- Lundi 6 mars 2023
- Audition de M. Julien Denormandie, ancien ministre chargé de la ville et du logement
- Audition de Mme Corinne Le Quéré, présidente du Haut Conseil pour le climat
- Audition de M. Vincent Aussilloux, directeur du département économie et finances de France Stratégie, et Mme Sylvie Montout, responsable de projet en charge de l'évaluation du plan de relance
Lundi 6 mars 2023
- Présidence de Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente -
La réunion est ouverte à 15 h 00.
Audition de M. Julien Denormandie, ancien ministre chargé de la ville et du logement
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous avons débuté nos travaux il y a près d'un mois et avons auditionné la quasi-totalité des ministres de la transition écologique et/ou du logement.
Monsieur le ministre, vous avez été secrétaire d'État auprès du ministre de la cohésion des territoires de 2017 à 2018, puis ministre délégué chargé de la ville et du logement à partir d'octobre 2018 et jusqu'en 2020. Vous avez ensuite été ministre de l'agriculture et de l'alimentation jusqu'à la fin du premier quinquennat d'Emmanuel Macron. C'est bien entendu en votre qualité d'ancien ministre chargé du logement que nous vous recevons aujourd'hui.
Dans le cadre de ces fonctions, vous avez préparé et suivi l'examen de la loi du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat. Le volet logement de cette loi comportait des mesures de lutte contre la fraude aux certificats d'économies d'énergie (C2E) et un plan de lutte contre les passoires thermiques ciblé sur la vente et la location de ces biens. Vous avez également mené la refonte du crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE) et du dispositif Habiter mieux Agilité pour créer MaPrimeRénov'(MPR).
Monsieur le ministre, je souhaite que vous puissiez nous faire partager le bilan que vous tirez de votre expérience. Quels sont vos motifs de satisfaction, vos regrets, et les sujets sur lesquels vous auriez aimé aller encore plus loin ? Quelles sont les difficultés auxquelles vous avez fait face ?
Les objectifs de distribution de MPR que vous aviez annoncés ont été atteints et même dépassés : environ 650 000 logements ont bénéficié de la prime en 2021. Cependant, les rénovations globales restent faibles : l'Agence nationale de l'habitat (Anah) annonce avoir financé 51 967 rénovations globales en 2021, avec Habiter mieux Sérénité - désormais MaPrimeRénov' Sérénité - et MaPrimeRénov' Copropriété. Comment massifier le recours à ces rénovations plus performantes pour parvenir à notre objectif de 500 000 logements réellement rénovés globalement par an, un objectif pour l'heure jamais atteint ?
Par ailleurs, dans le cadre du déploiement de MPR, les difficultés de mise en oeuvre de l'Anah et les risques de fraudes ont-ils été suffisamment anticipés ? Le recours à un cabinet de conseil, en l'occurrence Cap Gemini, pour près de 28,5 millions d'euros au total, était-il justifié ?
Assumez-vous d'avoir privilégié la quantité des ménages aidés à la qualité des rénovations ?
Comment expliquez-vous que les fraudes, qu'il s'agisse d'arnaques pures et simples ou de malfaçons, soient si nombreuses et si peu sanctionnées ? Quelles mesures avez-vous prises en la matière ?
La loi Climat et résilience d'août 2021 a fixé un calendrier d'interdiction de location des passoires thermiques locatives. Est-il, selon vous, adapté pour ne pas gravement perturber le marché du logement, compte tenu des insuffisances, voire du manque de fiabilité du diagnostic de performance énergétique (DPE) et des rénovations globales ?
Enfin, avant de vous laisser la parole pour répondre à ces premières questions et pour un propos introductif d'une quinzaine de minutes, j'indique que cette audition est diffusée en direct ainsi qu'en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.
Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende.
Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Julien Denormandie prête serment.
M. Julien Denormandie, ancien ministre chargé de la Ville et du Logement. - Je vous remercie de vous être saisis de ce sujet ô combien important d'un point de vue climatique, puisque vous avez tous en tête le rôle du logement au regard du réchauffement climatique, mais aussi d'un point de vue social. Le changement climatique constitue l'un des plus grands vecteurs d'inégalités sociales et il revêt un enjeu humain, le logement étant le lieu où nous passons la majeure partie de notre vie. Dans un logement mal isolé, les enfants ne peuvent pas bénéficier des mêmes chances de réussite que les autres. Il s'agit donc d'un sujet absolument essentiel, et l'efficacité des politiques publiques constitue un objectif transpartisan ; et c'est effectivement là l'une des missions du Sénat que de s'interroger sur cette question.
Vous m'interrogez sur mon bilan, ma satisfaction et mes regrets.
Permettez-moi, tout d'abord, de citer un ancien sénateur qui fut aussi ministre du logement, à savoir Edgard Pisani. Pour décrire l'efficacité de l'action politique, celui-ci soulignait que la politique représentait deux choses : la vision et le quotidien - la bonne politique reposant sur la vision et les effets du quotidien, la mauvaise politique se focalisant uniquement sur les outils. Cette paraphrase résume assez bien ce qu'il faut faire en matière de politique du logement. En effet, vous en conviendrez, dans le cadre de cette politique, on parle beaucoup et essentiellement des outils, des outils parfois fort complexes, que nous aimons à modifier ou à créer dans chaque loi de finances. Mais il est essentiel de revenir à la vision et au quotidien.
La vision correspond à cette impérieuse nécessité d'accélérer encore la rénovation énergétique des bâtiments, au regard des enjeux climatiques, sociaux et humains. Le quotidien représente, quant à lui, la possibilité d'évaluer le nombre de rénovations réalisées année après année - je reviendrai sur ce sujet essentiel.
Au regard de cette première considération, je vous ferai part de cinq grandes conclusions nécessaires pour avoir une vision et se préoccuper du quotidien.
Premièrement, nous devons retrouver le temps long, c'est la grande difficulté en politique. Nous sommes tous confrontés à ce problème en tant que membres de l'exécutif ou parlementaires. Il importe de ne pas tomber dans la politique de l'émotion. Je sais que vous vous posez la question de la mise en place d'une loi pluriannuelle : j'ignore s'il s'agit du bon outil, mais je sais ô combien que la planification est importante. Je me souviens avoir, par exemple, tenté de faire perdurer la garantie Visa pour le logement et l'emploi (Visale), alors que beaucoup me conseillaient de changer son nom, afin que celle-ci soit attachée à mon nom ou au Président de la République en place. J'ai toujours considéré que ce changement aurait constitué une faute, puisque l'enjeu est bien de s'inscrire dans la durée, y compris en ce qui concerne les dénominations des dispositifs.
Deuxièmement, il faut absolument remettre l'humain au centre de la réflexion. En effet, dans le cadre des auditions que vous avez menées sur la question de la rénovation énergétique des bâtiments, un terme n'a pas été encore suffisamment mentionné : le reste à charge. La question du reste à charge zéro est essentielle. Faut-il arriver à un reste à charge zéro et pour qui ? Le reste à charge représente souvent une barrière pour beaucoup de nos concitoyens dans la mise en oeuvre des travaux de rénovation.
Troisièmement, la gouvernance doit être adaptée à la vision de la politique énergétique. Je suis de ceux qui considèrent qu'il est totalement pertinent que le ministère du Logement soit rattaché au ministère de la transition écologique. Lorsque le ministère du logement était en charge de l'Anah et celui de la transition énergétique des C2E, il existait forcément une perte d'efficacité. Emmanuelle Wargon vous a également parlé de la façon dont certaines questions s'étaient posées dans le cadre du pilotage de France Rénov' entre la gouvernance de l'Anah et celle de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), cette gouvernance étant forcément différente si le ministère du logement est dissocié de celui de la transition écologique.
Quatrièmement, il n'existe pas de politique publique efficace sans monitoring : nous devons être capables de dire à chaque instant, chaque fin d'année, combien de logements ont été rénovés, selon quelle qualité en vue de comparer ce chiffre avec l'objectif à atteindre. Lorsque j'étais ministre délégué au logement et à la ville, je me souviens avoir demandé que les chiffres de la rénovation soient publiés au même rythme que celui des constructions neuves. Or, alors que j'avais fixé la rénovation des bâtiments comme l'une des principales priorités, il m'était impossible de publier ces résultats et de les évaluer par rapport à mes engagements, ne rendant ainsi que plus difficile votre rôle de parlementaires de contrôler l'action du Gouvernement. C'est pourquoi nous avons créé l'Observatoire national de la rénovation énergétique (ONRE). Même si des décalages dans le temps demeurent, il me paraît essentiel que le ministère de la transition énergétique soit en capacité de publier les chiffres de la rénovation ; je pense d'ailleurs qu'il faudrait le faire à l'échelle départementale et pas seulement nationale, avec une granulométrie géographique.
Cinquièmement, une politique publique pour qu'elle soit sociale et efficace doit bénéficier d'un accompagnement. C'est folie de croire que, sous prétexte que nous aurions inventé un bon outil, celui-ci pourrait être déployé partout sur le territoire. C'est faux ; il faut un accompagnement même si celui-ci s'avère ardu. En effet, certaines familles m'ont rapporté qu'elles avaient dû s'adresser à quatre ou parfois cinq guichets différents pour pouvoir bénéficier de l'ensemble des aides, celles du département, de la région, de l'intercommunalité et de l'État, afin d'avoir un reste à charge le plus bas possible. Des associations accompagnement même les ménages les plus précaires pour constituer ces dossiers extrêmement complexes. Nous avons oeuvré depuis pour simplifier les démarches, Emmanuelle Wargon ayant beaucoup travaillé sur ce sujet, comme elle vous l'a précisé.
À titre personnel, je ne crois pas au guichet unique. Un guichet unique n'est en définitive qu'un guichet additionnel qui s'ajoute aux guichets existants. En revanche, je pense que l'ensemble de ces guichets doivent être en capacité de proposer la même offre à l'ensemble de nos concitoyens. Lorsqu'un guichet est sollicité, celui-ci devrait s'adresser aux autres pour permettre aux citoyens de bénéficier in fine de la totalité de l'offre. Que divers guichets proposent une offre unique et unifiée est l'un des meilleurs systèmes possible.
Concernant mes retours d'expérience, j'évoquerai tout d'abord la transformation du crédit d'impôt en MPR. J'insiste sur le fait qu'il s'agit, pour moi, de la meilleure décision. C'est un dispositif que nous avons élaboré de concert avec Emmanuelle Wargon, à la demande du Premier ministre Édouard Philippe, et qui a été créé au début de l'année 2020, juste avant la pandémie de covid-19. Si cela était à refaire, je le referais, pour une seule raison au moins, qui justifie à elle seule la démarche : la question de l'accessibilité de ces aides aux ménages les plus précaires. En effet, un crédit d'impôt diffère d'une année le versement de cette aide. Or la question de la trésorerie est absolument essentielle pour ces ménages - un crédit d'impôt n'est pas un outil social, contrairement à MPR.
Le deuxième élément porte sur la question de la rénovation globale au regard des du financement des gestes de rénovation. Il est primordial d'aller vers cette rénovation globale sans jamais nier la réalité, c'est-à-dire l'existence d'un parcours de rénovation. Il est donc essentiel de continuer à financer les gestes de rénovation, quitte à prévoir un accompagnement sur l'intérêt de procéder à une rénovation globale.
Le troisième point sur lequel je souhaite insister porte sur la question de savoir s'il faut privilégier l'interdiction ou l'incitation, ce qui me permet également de répondre à votre question sur l'interdiction de louer. Je fais partie de ceux qui considèrent que l'incitation vaut toujours mieux que l'interdiction. Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas procéder à des interdictions, mais celles-ci ne sont jamais suffisantes, sauf dans certains cas très précis - en témoigne le combat que nous avions mené ensemble contre les marchands de sommeil. À ce titre, j'ai des regrets quant au dispositif que nous avions créé - le dispositif Denormandie dans l'ancien qui porte toujours mon nom. Comme je l'avais résumé à l'époque : « Ayez la défiscalisation heureuse. » En effet, il s'agit de défiscaliser grâce à la rénovation des bâtiments et des centres-villes plutôt qu'à l'urbanisation périurbaine. Je ne porte pour autant pas de jugement sur la nature de l'habitat, mais je parle de l'utilisation de la défiscalisation. Nous devons continuer à promouvoir de tels dispositifs incitatifs pour faire en sorte que cette défiscalisation contribue à la rénovation, et donc à la revitalisation, des centres-villes.
Concernant cette question de l'interdiction, il faut aussi s'interroger sur l'interdiction locative au regard d'autres dispositifs. Le Président de la République s'était engagé, en tant que candidat en 2017, à interdire les passoires thermiques à la location, engagement qui a été depuis lors tenu en raison des lois que vous avez évoquées. Il y a là un impact social évident, d'où la nécessité de placer le curseur au bon endroit pour ne pas créer d'autres problèmes. Le ministre François de Rugy avait proposé de conditionner la vente d'un bien à une forme de séquestration du montant des travaux, déduit du montant de la vente. J'ai toujours été fermement opposé à ce mécanisme pour une raison simple : ce mécanisme favorise l'assignation à résidence. Si un propriétaire possédant un pavillon en zone détendue trouve un travail en zone tendue et souhaite vendre son bien pour acheter en zone tendue, la valeur de sa maison sera totalement diminuée en raison du montant du séquestre des travaux, alors que ce différentiel serait bien moindre en zone tendue. Ce mécanisme crée donc une assignation à résidence. Je ne dis pas que le dispositif adopté est parfait, mais il est meilleur que celui-ci.
Le calendrier proposé aujourd'hui est-il le plus adapté ? Ayant quitté mes fonctions, je ne saurais le dire. Il vous faudra poser la question au ministre actuel.
S'agissant toujours de la question de l'incitation ou de l'interdiction, j'estime que l'ouverture de MPR aux bailleurs, après de longs débats, a constitué une très bonne mesure qu'il faut faire perdurer. Cette question de l'information renvoie finalement au débat sur la fiabilisation du DPE, qui est un sujet complexe, mais ô combien important.
Enfin, je souhaiterais vous faire part de quelques points relatifs à mon retour d'expérience.
S'agissant tout d'abord des outils de financement, je pense que, contrairement à ce que certains ont pu affirmer lors des débats publics, la rénovation énergétique des bâtiments n'est pas quelque chose de rentable sur un temps court, c'est-à-dire sur le temps total d'habitation du bâtiment pour un occupant. En effet, on estime que la durée moyenne d'occupation d'un bâtiment par un propriétaire est de huit ans et demi. Or, très rares sont les opérations de rénovation énergétique qui ont une rentabilité sur une telle période. Nous devons prendre en compte ce postulat. Du fait de cette temporalité dans le logement, il convient d'assumer la subvention d'une partie de ces travaux.
À mes yeux, la rénovation thermique sans subvention n'est pas économiquement viable, en tout cas pas suffisamment rapidement. J'ai un regret au sujet de la question de la rénovation thermique des copropriétés.
Quelques semaines avant le drame de la rue d'Aubagne, à Marseille, nous avions lancé le plan Initiative copropriétés, pour traiter des copropriétés dégradées. S'agissant de la rénovation thermique des copropriétés, si nous ne l'avons pas encore trouvée, j'estime que la meilleure solution serait de faire en sorte que ce ne soit pas le propriétaire qui s'endette, mais la copropriété. Ainsi, lors d'une mutation dans le logement, un portage de la dette de l'ancien propriétaire vers le nouveau serait pertinent. Nous avions tenté de porter un tel dispositif avec le réseau Procivis. C'est une solution à laquelle il convient de réfléchir.
Je veux attirer votre attention sur trois derniers points.
Les bailleurs sociaux sont partie intégrante du volet logement, avec le doublement des financements de l'Anru.
Lorsque je suis entré en fonctions, le ministère du logement n'avait pas la tutelle ni la mise à disposition de la direction de l'immobilier de l'État (DIE), laquelle dépend du ministère du budget. J'avais alors obtenu la mise à disposition de la DIE, ce qui, à mon sens, est essentiel. Certains s'interrogent sur la rénovation des bâtiments publics. En effet, la DIE ne doit pas être perçue comme un organe avec le seul prisme budgétaire, mais il doit être également doté d'une politique d'habitat et de logement.
Enfin, j'évoquerai une vaste question, celle de la décentralisation. Je suis favorable à la décentralisation de la politique de logement. C'est le maire ou le président d'intercommunalité qui détermine les politiques d'habitat. C'est pourquoi j'ai toujours été opposé au retrait du permis de construire dans la main des maires.
La question de la décentralisation des politiques de logement est très compliquée, car de nombreux outils fiscaux sont en jeu. Si le fonctionnement d'une agence, au niveau national, qui fixe les outils, le cadre, le budget, apparaît fort utile, l'accompagnement ou la distribution des aides, en revanche, peuvent être beaucoup plus déconcentrés. Il conviendrait de donner la compétence aux départements en matière de rénovation énergétique au titre des politiques sociales. En Grande-Bretagne, je crois savoir que les médecins auraient le droit de prescrire la rénovation des bâtiments. Si c'est vrai, c'est formidable ! En tout état de cause, la territorialisation de nos politiques de rénovation est probablement un enjeu essentiel, et c'est une direction à emprunter. C'est le sens de l'histoire.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Monsieur le ministre, vous n'avez pas répondu à la question ayant trait à l'anticipation des problématiques de fraudes, d'arnaques, voire d'effets d'aubaine.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Notre difficulté est justement de mettre en place ce type de politique sur un temps long, ce qui est lié à notre fonctionnement politique. En matière de réflexion sur ce temps long, une loi de programmation pourrait devenir un outil.
Par ailleurs, pourriez-vous nous apporter quelques précisions au sujet du dispositif MPR, que vous approuvez, en faisant le lien avec certains outils et leurs impacts, positifs ou négatifs comme la fraude ?
Sur la question du pilotage, vous avez plaidé pour un lien entre le ministère de la transition écologique et le ministère du logement et que ce dernier soit effectivement distinct. En outre, la question du logement reste évidemment liée à celle de la santé : le lien avec le ministère des affaires sociales revêt également une certaine importance.
En matière d'accompagnement, comment mettre en place des outils qui fonctionnent au sein d'intercommunalités dans d'autres territoires, sachant qu'ils viennent parfois en contradiction avec des politiques nationales ?
Pouvez-vous faire le lien entre le fait d'interdire les locations des passoires thermiques en faveur d'une rénovation à la vente des biens et le reste à charge zéro ? Pour les plus faibles revenus, ce reste à charge zéro est essentiel. Quel mécanisme pouvons-nous mettre en place ?
Pour une rénovation globale performante et plutôt rapide, une enveloppe supplémentaire de 1 milliard d'euros serait nécessaire. Quel est votre avis ?
En tant qu'ancien ministre de l'agriculture, quel est votre sentiment sur le lien entre la rénovation énergétique et les matériaux biosourcés ? Actuellement, la rénovation est réalisée avec 90 % de produits issus de la pétrochimie. Dans quelle mesure le développement en faveur de ces matériaux est-il possible ?
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Plutôt que de parler de reste à charge zéro, ne conviendrait-il pas de parler de reste à charge minimum.
M. Julien Denormandie. - Le temps long est d'abord une volonté politique et une capacité de l'exécutif à planifier. C'est le sens de la planification écologique voulue par le Président de la République et le sens du décret d'attribution des fonctions de la Première ministre, qui est aussi responsable des politiques écologiques et du Secrétariat général à la planification écologique (SGPE).
C'est aussi ensuite une hygiène collective. Nous sommes beaucoup à souhaiter cette vision à long terme. Nous avons été les premiers à modifier des dispositifs dans le cadre de lois de finances : c'est une réalité qu'il nous faut admettre. Je soulève dès lors la question de la pluriannualité dans les dispositifs et les outils, comme la fiscalité sur les prêts à taux zéro (PTZ) ou sur le dispositif Pinel. Quoi qu'il en soit, la déconcentration est peut-être un facteur de temps long.
Quant à MPR par rapport au CITE, un dispositif pluridistributif, plus social et plus accessible revêt évidemment davantage d'intérêt qu'un crédit d'impôt. La question du montant avait fait l'objet d'un débat : lors de la transformation du CITE en MPR, les montants des politiques d'efficacité énergétique avaient été rabotés du fait d'un recentrage de la politique. Il me semble que les budgets ont été finalement rehaussés, revenant à des niveaux comparables à ceux qui existaient auparavant.
S'agissant de la fraude, pour le crédit d'impôt, la simplicité de la déclaration d'impôts n'est pas un gage de sécurité par rapport au dispositif MPR, pour lequel il faut monter un dossier. Concomitamment à la mise en place de MPR, nous avons beaucoup oeuvré contre le démarchage téléphonique, un véritable fléau. Ainsi, je souligne l'importance de la formation de l'ensemble du réseau, notamment d'artisans. À l'évidence, la main ne doit jamais trembler lorsqu'il s'agit de fraude. Il peut toujours y avoir quelques effets d'aubaine. Pour ma part, je préfère que le dispositif ait un véritable impact social même s'il crée quelques effets d'aubaine. Tout est question d'équilibre.
Je suis très favorable à l'existence d'un lien entre le ministère du logement et le ministère des affaires sociales, et un autre avec le ministère de la ville, qui a une mission en termes de politique sociale. Ne l'oublions jamais, la politique du logement n'est rien sans politique de l'habitat. La véritable politique est celle de l'habitat.
L'objectif de « zéro artificialisation nette » (ZAN) est un sujet intrinsèquement lié à la rénovation : le fait de ne plus pouvoir construire autant que certains le souhaitaient renforce la rénovation et amoindrit le différentiel de coût entre la construction neuve et la rénovation. L'attractivité des villes entraîne, de fait, moins d'artificialisation des sols.
M. Franck Montaugé. - L'attractivité des villes et des villages.
M. Julien Denormandie. - Vous avez tout à fait raison. La démarche ZAN doit rester un objectif dynamique, pour laisser la possibilité à tout village de se développer. Qui serions-nous pour figer en 2023 l'état de notre pays pour les décennies à venir ?
Concernant la place des collectivités locales, l'accompagnement va de pair avec l'« aller vers », la proximité. Cela ne signifie pas que les plateformes numériques ne sont pas importantes, au contraire. Dans un monde idéal, la collectivité locale devrait être au plus près des citoyens, pouvoir distribuer l'aide de l'Anah, et la compléter le cas échéant. Il importe qu'une collectivité ou qu'une agence de l'État indique que c'est la solidarité nationale via l'impôt qui apporte le financement.
Concernant le reste à charge, vous avez raison, madame la présidente, il s'agit plutôt d'un reste à charge minimum ou acceptable. Dans ce cadre, je souligne et je salue les associations qui accompagnent les ménages précaires pour les aider à établir leurs dossiers d'aides.
Sur le financement, je ne saurais vous confirmer cette enveloppe de 1 milliard d'euros.
Enfin, je suis très favorable aux matériaux biosourcés en matière de rénovation. Dans la loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (Élan) ou dans le cadre de la réglementation environnementale RE2020, j'ai énormément incité à la construction bois et à l'utilisation des matériaux biosourcés qui concourent à la rénovation.
Mme Marta de Cidrac. - Nous vous sentons très attaché à une approche très sociale. Toutefois, vous avez aussi partagé le souhait d'une affiliation du ministère du logement au ministère de la transition écologique. Aviez-vous déjà manifesté ce souhait lorsque vous étiez ministre, et pourquoi l'arbitrage ne s'est-il pas réalisé de cette manière ?
Vous avez indiqué qu'une politique de rénovation énergétique ne peut s'opérer sans subvention. Ma question porte sur les classes moyennes. Aujourd'hui, un certain nombre de dispositifs existent pour les classes les plus modestes. En revanche, de quelle manière l'ensemble des Français pourraient-ils bénéficier d'aides, de dispositifs qui permettraient à tous de parvenir à une rénovation énergétique, sans monter une usine à gaz ? Dans le cadre de la décentralisation, il serait intéressant d'avoir différents guichets qui permettent de rendre accessible un certain nombre de dispositifs à l'ensemble de nos concitoyens plutôt qu'un seul guichet décliné différemment dans nos territoires.
M. Julien Denormandie. - Sur la question de l'approche sociale et celle du périmètre ministériel, je considère qu'il n'y aura pas de politique de transition écologique si elle n'est pas très fortement axée sur son caractère social. Le changement climatique est l'un des principaux éléments de fracture sociale. Il ne fait qu'accélérer les inégalités sociales. Dès lors que le ministère du logement est en lien avec le ministère de la transition écologique, il devient un ministère profondément ancré dans les politiques sociales. Sinon, cela ne fonctionnera jamais. Les personnes les plus aisées ont les bilans carbone les plus élevés et la capacité de payer des taxes carbone, tandis que les moins aisées souffrent le plus des conséquences du changement climatique. Cette politique écologique est consubstantielle à une politique sociale.
Lorsque j'étais en fonctions, la structure gouvernementale était déjà ainsi : avec pour ministre de tutelle, Jacques Mézard, qui était lui-même ministre de la cohésion des territoires, avec un très fort impact social. Il a toujours eu à coeur de lutter contre ces fractures territoriales, dont le logement faisait partie. Au moment de la nomination d'un nouveau gouvernement, j'avais plaidé pour que le ministère du logement soit rattaché au ministère de la transition écologique. C'est la décision qui fut prise, et je pense que c'était la bonne décision. N'oublions pas les politiques de l'habitat : je serais favorable à la création d'un ministère de l'habitat. Remettre de l'humain, c'est parler de l'habitat et pas du logement.
S'agissant de la trésorerie des classes moyennes, Emmanuelle Wargon et moi-même nous étions battus sans obtenir tous les arbitrages en ce sens pour que MPR soit ouvert aux déciles plus élevés. Pour davantage d'efficacité et de rapidité, accompagner les classes moyennes est un élément important. C'est aussi dans cette optique que nous avions ouvert MPR aux bailleurs : contrairement aux idées reçues, certains d'entre eux peuvent se trouver dans des situations de précarité et avoir besoin du loyer de leur bien comme complément de retraite.
Le guichet unique est une fausse bonne idée. Dès le moment où n'importe quel guichet distribuant l'ensemble des aides accepte de dire d'où elles proviennent, il s'agit d'une bonne politique.
M. Joël Bigot. - Vous évoquez le temps long nécessaire, et donc de la vision, pour envisager une rénovation énergétique performante des bâtiments. La Suède a mis vingt ans pour réaliser cette opération. Pour ce faire, vous indiquez qu'il conviendrait probablement d'utiliser des matériaux biosourcés. Dans cette optique, certains professionnels doivent être soutenus pour accomplir cette transition énergétique des bâtiments. Comment envisagez-vous d'accompagner le vivier de la ressource qui permettrait de l'envisager ?
M. Julien Denormandie. - C'est une question de réconciliation. Il y a vingt ans, durant mes études, j'entendais : « En France, la forêt avance, mais le bois recule. » En effet, si les forêts ne cessaient de croître, l'utilisation du bois, dans son secteur industriel, n'avançait pas du tout à la même vitesse. Il en est de même dans le débat sociétal. Tout le monde plaide pour les rénovations en bois, mais que n'ai-je pas entendu lorsque j'ai indiqué : « une forêt, ça se protège, mais ça se cultive ? » Il existe une forme de cohabitation des contraires, qu'il conviendrait de réconcilier. Le courage en politique, c'est d'affronter le temps - le plus difficile - et la complexité des choses. Si nous voulons effectuer de la rénovation avec des matériaux biosourcés, le bois, le chanvre, nous sommes contraints de les cultiver. Si le développement de la culture du bois est évident, il est nécessaire de protéger la forêt en France, de mieux l'exploiter.
Bientôt, les constructeurs devront faire le bilan carbone de leur structure. Lorsque les bilans carbone des différents projets utilisant des matériaux biosourcés prendront en compte les analyses de cycle de vie, ils deviendront peut-être meilleurs que les bilans carbone de bâtiments n'utilisant que du « tout béton ». La publication des bilans carbone sera un accélérateur de l'utilisation de ces matériaux biosourcés.
M. Franck Montaugé. - Vous inscrivez le volet social au coeur des politiques publiques. Or, dans quelle mesure la réforme des aides personnelles au logement (APL), que vous avez conduite, a-t-elle une dimension sociale, même si vous n'étiez pas seul décideur à l'époque ? Des spécialistes de l'économie de l'habitat et de la construction ont alors considéré que le modèle du logement social avait été déséquilibré. Quelle part ces décisions ont-elles dans l'effondrement de la production de logement social aujourd'hui ?
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Cette réflexion va au-delà de la rénovation énergétique.
M. Franck Montaugé. - Je reste néanmoins dans le sujet.
M. Julien Denormandie. - Les bailleurs sociaux sont confrontés à la rénovation des bâtiments de façon massive. Conformément à l'engagement du président de la République, nous avions doublé l'enveloppe de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru), laquelle a, depuis lors, encore été augmentée.
Je distingue deux pans s'agissant de la réforme des APL : la baisse de cinq euros, qui était une mauvaise décision, et celui, au coeur de la loi Élan, qui équilibre le dispositif de réduction de loyer de solidarité (RLS), le regroupement des bailleurs sociaux et la vente d'un certain nombre de logements sociaux. Finalement, le regroupement mis en place par cette réforme était-il nécessaire et pertinent ? Je serais heureux de lire un rapport du Sénat sur l'efficacité de cette réforme. Je reste très attaché au modèle du logement social. Dans un tel cadre, je me souviens de longues discussions portant sur la vente des logements sociaux, qui n'est pas antisociale : nous avions ainsi évoqué la possibilité de donner un parcours résidentiel à ceux qui le souhaitaient et de donner des capacités de fonds propres aux bailleurs en permettant d'agir selon un cadre très réglementé. La loi Élan permet, par exemple, au nouveau propriétaire de revendre au bailleur en cas de difficulté, de laisser à celui-ci la gestion directe du bien. La réforme est complexe. L'avenir nous dira si nous avons atteint les objectifs escomptés.
Par ailleurs, les politiques du logement ont fait l'objet de réductions budgétaires. Ce n'est d'ailleurs pas propre au dernier quinquennat : la question du soutien budgétaire aux politiques de logement revient systématiquement année après année, parce que bon nombre considèrent qu'elles ne sont pas assez efficaces, quand bien même un budget consacré est significatif. Il est alors légitime de se demander si certains budgets peuvent être utilisés à d'autres desseins. Ainsi est né notre débat sur l'efficacité énergétique des changements de portes et de fenêtres. Au-delà de l'efficacité, il y a le signal que l'on envoie : après avoir commencé à changer les fenêtres, nos concitoyens peuvent entreprendre ensuite d'autres travaux de rénovation. En tout état de cause, les politiques du logement demeurent liées à la pluriannualité et la lisibilité. Plus la politique sera efficace, moins la question des changements budgétaires, année après année, sera posée.
M. Franck Montaugé. - Pensez-vous que nous mettions en oeuvre les bonnes démarches et que nous consacrions suffisamment de moyens à l'évaluation de cette politique ?
M. Julien Denormandie. - Une loi doit représenter la vision, le sens. Ensuite, le rôle du Parlement reste, incessamment, l'évaluation. J'ai conscience que j'ai péché également, la loi Élan est une loi bavarde à certains égards, parfois très technique. Pour rendre hommage à Montesquieu, ayons à l'esprit d'un côté, le sens et l'évaluation et, de l'autre, la vision et le quotidien.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je vous remercie de votre participation, monsieur le ministre.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition de Mme Corinne Le Quéré, présidente du Haut Conseil pour le climat
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous poursuivons nos travaux par l'audition de Mme Corinne Le Quéré, présidente du Haut Conseil pour le climat (HCC).
Madame, vous exercez depuis 2018 la présidence de cet organisme indépendant chargé d'émettre des avis et recommandations sur la mise en oeuvre des politiques publiques pour réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) de la France. Vous êtes également climatologue et professeure en science du changement climatique à l'université d'East Anglia. Vous avez précédemment été auteure du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) et coprésidente du Global Carbon Project.
Votre audition doit nous permettre de mieux comprendre la position du HCC sur l'efficacité des politiques publiques en matière de rénovation énergétique, alors que vous avez publié en novembre 2020 un rapport sur le sujet, intitulé Rénover mieux : leçons d'Europe.
Dans ce rapport, qui fait suite à une saisine du Gouvernement, vous insistez sur le retard pris par la France, qui apparaît comme ayant les logements les moins performants par rapport à la Suède, aux Pays-Bas, au Royaume-Uni et à l'Allemagne, les quatre pays que vous avez étudiés. Vous identifiez les blocages qui expliquent ce retard observé, alors que les politiques mises en oeuvre sont, selon vous, inadaptées aux besoins de rénovation profonde, au temps long nécessaire à la rénovation et à la structuration de la filière et que les capacités de financement des ménages apparaissent trop faibles.
Plus de deux ans après la publication de ce rapport, ce retard est-il, selon vous, toujours aussi important ? Dans quelle mesure la loi Climat et résilience de 2021 a-t-elle répondu à vos préconisations ?
Parmi celles qui n'ont pas été encore mises en oeuvre, lesquelles vous paraissent les plus importantes ? La focalisation des aides sur les rénovations les plus performantes ? La suppression du taux de TVA à 5,5 % pour transférer les crédits alloués sur les rénovations globales ? Augmenter les contrôles ? Porter à 120 000 euros le montant de l'éco-prêt à taux zéro (éco-PTZ) ?
Enfin, vous insistez dans votre rapport sur la nécessité d'une plus grande planification et d'une visibilité en matière de rénovation énergétique. Pour assurer cette stabilité, la ministre Barbara Pompili, que nous avons auditionnée, a évoqué l'adoption d'une loi de programmation de la rénovation énergétique, qui permettrait une planification pluriannuelle. L'adoption d'une telle loi vous semble-t-elle pertinente ou une annexe à la prochaine programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) serait-elle suffisante ?
Avant de vous laisser répondre à ces premières questions et pour un propos introductif d'une vingtaine de minutes, je vous indique que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.
Je vous rappelle également qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende.
Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Corinne Le Quéré prête serment.
Mme Corinne Le Quéré, présidente du Haut Conseil pour le climat. - Le HCC est en effet un organisme indépendant inscrit dans la loi Énergie-climat de 2019. Il est chargé d'évaluer la stratégie du Gouvernement en matière de climat et sa cohérence avec l'accord de Paris. Il compare les actions de la France par rapport à celles des autres pays et émet des avis et des recommandations indépendants et objectifs.
Le HCC doit rendre chaque année un rapport sur le respect de la trajectoire de baisse des émissions au regard du budget carbone de la France. Dans ce cadre, il effectue un suivi des émissions provenant des bâtiments. Le rapport prend aussi en considération l'impact socio-économique des actions. Le Gouvernement doit répondre à ce rapport dans les six mois. Ce cycle vertueux vise à rehausser le niveau des actions et à suivre leur évolution.
Le HCC a également publié, après une saisine du Gouvernement, un rapport de parangonnage sur la rénovation énergétique du bâtiment dans lequel nous avons comparé les actions de la France avec celles de la Suède, de l'Allemagne, des Pays-Bas et du Royaume-Uni.
Notre dernier constat énonce que le secteur du bâtiment est responsable de 18 % des émissions directes en France. Avec le chauffage au fioul et au gaz, poste qui génère le plus d'émissions, et le secteur des transports, le bâtiment est l'un des grands secteurs émetteurs, quasiment au même niveau que l'agriculture et l'industrie. Les demandes en énergie pour se chauffer sont d'autant plus importantes que les bâtiments sont mal isolés : des pertes d'énergie pourraient être évitées. En outre, lorsqu'on prend en compte les émissions qui sont associées à l'électricité et aux réseaux de chaleur, la part des bâtiments s'élève à environ 28 %, soit un peu plus d'un quart des émissions.
Ce secteur peut et doit parvenir au « zéro émission » pour que la France atteigne la neutralité carbone en 2050 et réponde au changement climatique. Si nous n'atteignons pas cette neutralité carbone au niveau global, le réchauffement de la planète se poursuivra. L'objectif est donc très important, pour la France et pour le secteur du bâtiment.
Le secteur peut atteindre cet objectif de neutralité - ou presque - grâce à une rénovation thermique globale de l'ensemble du parc des bâtiments, à une augmentation de l'efficacité énergétique et au développement du chauffage bas-carbone, qui passe par la création de pompes à chaleur électriques ou sur des réseaux de chaleur. Nous pourrions penser qu'il suffirait de substituer au chauffage au gaz et au fioul le chauffage bas-carbone, mais la demande supplémentaire qui pèserait alors sur le réseau électrique serait trop forte compte tenu de la hausse anticipée de la demande émanant des autres secteurs, en particulier de ceux des transports et de l'industrie. L'amélioration de la performance énergétique des logements demeure donc essentielle. Par ailleurs, celle-ci entraine plusieurs co-bénéfices, dont la réduction de la facture énergique, l'amélioration du confort thermique et la réduction des externalités liées à l'énergie. Enfin, la rénovation énergétique constitue un gisement d'emplois important.
Pour atteindre la neutralité carbone dans le secteur du bâtiment le plus rapidement possible - ou parvenir à un résultat approchant -, il faut développer en France une planification à long terme, grâce à laquelle nous amplifierons les efforts déjà fournis et les maintiendrons dans la durée, jusqu'à ce que la neutralité carbone soit atteinte. En effet, les tendances observées ne permettront pas d'atteindre les objectifs de réduction inscrits dans la stratégie nationale bas-carbone (SNBC).
Avant de donner quelques chiffres, je souhaiterais souligner que le secteur du bâtiment figure parmi les trois secteurs émetteurs qui voient leurs émissions diminuer, avec ceux de l'énergie et de l'industrie. Les efforts fournis payent donc déjà et nous observons cette diminution depuis plus d'une décennie. La baisse est structurelle puisqu'elle s'appuie sur la réglementation environnementale 2020 (RE2020), qui donne des critères pour les bâtiments neufs, sur de nouveaux financements, débloqués en particulier dans le cadre du plan de relance, mais aussi sur le travail de l'Observatoire national de la rénovation énergétique (ONRE), qui produit des données permettant de guider l'action, en plus des instruments déjà existants.
Toutefois, le niveau de cette baisse n'est pas suffisant. Nous observons ce phénomène en France, mais aussi ailleurs : la tendance à la baisse est bien présente, mais celle-ci demeure trop faible. Si les émissions produites s'élèvent à 75 millions de tonnes de CO2 par an, elles ont diminué de 1,9 million de tonnes par année pendant la période 2015-2018, couverte par le premier budget carbone. Cependant, cette baisse a ralenti pendant les deux dernières années, en raison des mesures prises dans le cadre de la crise sanitaire et de la progression du télétravail. Cette baisse annuelle des émissions devrait se situer entre 3 et 4 millions de tonnes pour correspondre à la trajectoire fixée par la SNBC pour la période 2022-2030. Par ailleurs, le nouvel objectif européen de réduction à l'horizon 2030 nous engage à dépasser ces objectifs inscrits dans la loi. Nous n'y sommes pas et le premier budget carbone a été dépassé. Il nous faut augmenter le rythme annuel de baisse de ces émissions.
Comme l'a confirmé le bilan de l'ONRE, le nombre d'opérations de rénovation a, quant à lui, fortement augmenté depuis 2016. Cependant, malgré leurs évolutions récentes, nos dispositifs de subvention et de financement encouragent peu les rénovations globales et profondes, qui permettent pourtant d'obtenir plus de gains que la rénovation par gestes, grâce au chauffage bas-carbone et à la rénovation de l'enveloppe.
À titre d'exemple, selon les données de l'Agence nationale de l'habitat (Anah), les rénovations globales ne représenteraient que 0,1 % des travaux financés par le dispositif MaPrimeRénov'. De la même façon, le ciblage des autres aides encourage davantage des rénovations partielles aux gains énergétiques limités et de nombreux instruments encouragent ces gestes : la TVA à 5,5 %, l'éco-prêt à taux accessible et sans condition, mais aussi certaines dispositions ponctuelles de certificats d'économies d'énergie (C2E). Les travaux ainsi financés sont pour l'essentiel immédiats et ne permettent pas d'atteindre une performance globale satisfaisante. L'objectif est donc de s'ancrer dans une trajectoire de massification de la rénovation énergétique complète performante.
La RE2020 structure les stratégies des acteurs de la construction, ce qui représente une avancée très positive. Mais cette réglementation doit déjà s'adapter à la révision de la directive européenne sur la performance énergétique du bâtiment, notamment à l'exigence de constructions neuves à émission nulle d'ici à 2030, voire avant.
Afin d'améliorer la situation et de favoriser le développement de cette trajectoire de massification, le HCC a formulé plusieurs recommandations.
En premier lieu, il faut réorienter la rénovation des bâtiments vers des parcours de rénovations globales performantes. Dans cet objectif, mettre en cohérence et unifier nos dispositifs d'aide paraît essentiel, afin de faciliter et d'accroître l'ambition des parcours, en gardant à l'esprit une trajectoire claire et en définissant des objectifs intermédiaires, en termes de nombre de rénovations, mais aussi de qualité attendue. De plus, il s'agit de réorienter les dispositifs pour privilégier les parcours de rénovation maximisant les économies d'énergie et de planifier les parcours de rénovation dans la durée, notamment à l'aide de maîtres d'ouvrage et de feuilles de route.
En deuxième lieu, il faut renforcer l'accompagnement des ménages en situation de précarité énergétique. À ce titre, nous proposons d'organiser le subventionnement des rénovations globales profondes, soit en visant un reste à charge nul pour les ménages les plus précaires, soit à l'aide de dispositifs d'accompagnement tels que des prêts ou des parcours de rénovation, pour les autres ménages.
En troisième lieu, nous recommandons le conditionnement des aides publiques à l'exigence de résultats. À la suite de l'étude de parangonnage, nous avons constaté que c'est l'un des éléments de l'approche allemande qui fonctionne bien. Nous suggérons de réaliser une évaluation annuelle de l'efficacité des dispositifs d'aide, en prenant en compte une estimation des réductions attendues, pour conditionner les aides à l'obtention de résultats. Il nous faut passer du remboursement de factures au financement de la performance et à la maîtrise de l'ouvrage, pour faire en sorte que l'argent public finance des rénovations vraiment performantes.
En quatrième lieu, afin de massifier ces rénovations et d'inscrire le processus dans la durée, il faut renforcer la formation des professionnels de la filière. Pour ce faire, nous proposons de mieux structurer la filière du bâtiment en mettant en place des formations et en assurant la montée en compétences des professionnels du secteur. Il s'agira aussi de développer une programmation pluriannuelle des financements publics, qui doit s'intégrer dans le cadre budgétaire de l'État et chiffrer les coûts des orientations de la SNBC, en matière de rénovation des bâtiments notamment.
En cinquième lieu, le HCC recommande de mettre en oeuvre et de consolider la RE2020. À cet égard, il faut dès maintenant anticiper les dispositions de prise en compte de l'adaptation au changement climatique dans la définition et l'application du label associé à la RE2020.
En sixième et dernier lieu, nous proposons d'accroître fortement le potentiel des réseaux de chaleur. Si la Suède a avancé de manière profonde en matière de rénovation énergétique des bâtiments, c'est en partie grâce au développement des réseaux de chaleur, qui semblent très efficaces aussi aux Pays-Bas, où des feuilles de route régionales permettent d'encourager leur développement.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - En ce qui concerne les exemples étrangers, je voudrais d'abord revenir sur le cas de l'Allemagne où, pour bénéficier d'aides publiques, il est nécessaire d'avoir recours à un expert en énergie certifié. Ce procédé paraît intéressant, notamment pour développer la rénovation globale et permettre d'avoir une bonne visibilité avant d'engager des travaux. Lors de son audition, Mme Wargon a expliqué que ce procédé lui semblait difficilement transposable en France et a évoqué le risque d'un blocage du système ; quel est votre avis sur la question ?
Dans le cas des Pays-Bas, la dimension locale nous intéresse. Nous nous interrogeons sur la manière de relier la politique de rénovation thermique aux collectivités et aux élus. Pourriez-vous revenir sur cet exemple et partager votre analyse de ce qui se passe en France en la matière ?
S'agissant de la Suède, l'implication des ministères sociaux en matière de rénovation énergétique retient mon attention. Nous avons évoqué cette question avec l'ancien ministre Julien Denormandie, notamment le lien entre le ministère de l'écologie et celui du logement. La question sociale me semble particulièrement importante.
Dans votre rapport, vous évoquez la création de l'ONRE, que vous aviez souhaitée. Que pensez-vous de cet organisme, deux ans après sa création ?
Dans l'objectif de privilégier la rénovation globale, vous préconisez de supprimer d'ici à trois ans les aides aux gestes individuels, notamment dans le cadre du dispositif MaPrimeRénov'. Les différents ministres que nous avons entendus livrent à ce sujet des avis différents. Julien Denormandie vient de nous expliquer qu'il était important de conserver les gestes uniques, parce qu'ils constituent un premier pas vers une rénovation potentiellement plus importante. Ce qui manque vraiment est peut-être cet accompagnement et cette vision globale de la rénovation, qui peut se faire pas à pas.
Par ailleurs, vous avez plutôt critiqué le manque de fiabilité du nouveau diagnostic de performance énergétique (DPE) ; quel constat faites-vous aujourd'hui, quelques mois après sa mise en place ?
Parmi les propositions formulées par la Convention citoyenne sur le climat n'ayant pas été retenues, certaines vous paraissent-elles essentielles ?
Enfin, lors de sa dernière leçon au Collège de France, Esther Duflo émettait des doutes sur la rénovation thermique, en raison de son coût et de ses effets limités. Elle suggérait qu'on pouvait agir de façon plus efficace en se concentrant sur le fonctionnement des habitants, notamment au moyen de compteurs d'énergie. Nous avons prévu de la recevoir, mais quel est votre avis sur cette déclaration ?
Mme Corinne Le Quéré. - L'Allemagne a eu recours à une ingénierie financière pour encourager les aides aux rénovations profondes. Ainsi, plus la rénovation tend vers le niveau profond, plus les aides sont importantes. En ce qui concerne la transposition de cet effort en France, un travail a déjà été accompli avec les banques et les opérateurs de rénovation allemands. Cependant, la France est confrontée à un problème que la ministre a évoqué : les opérateurs français sont beaucoup plus petits qu'en Allemagne, où le fonctionnement est plus centralisé, ce qui a rendu les choses plus faciles avec les banques.
Ces difficultés n'empêchent pas de travailler à un parcours de financement de la rénovation et l'important est bien de reconnaître que la rénovation énergétique des bâtiments coûte cher. Il faut trouver des financements. Prévoir des aides qui ne financent qu'une partie de la rénovation ne se révèle pas très utile et entraîne des craintes, le reste à charge demeurant assez élevé. Le Gouvernement doit trouver de quoi couvrir l'ensemble des coûts de la rénovation, au moyen de subventions ou de prêts, organisés soit avec l'aide du Gouvernement, soit directement entre les usagers et les banques.
C'est au niveau de cette ingénierie financière que l'Allemagne a réussi à avancer. Par ailleurs, ce pays peut compter sur deux éléments importants. D'une part, leurs rénovations sont toujours accompagnées de maîtres de rénovation, qui sont des architectes qui suivent les rénovations du bâtiment dans leur ensemble. D'autre part, ils ont recours à des vérifications, une fois les travaux achevés. Tous ces éléments leur ont permis d'aller plus loin.
Quant aux Pays-Bas, ils ont développé une approche reposant sur des feuilles de route, et ce à deux niveaux. D'abord, ils ont recours à des feuilles de route claires en matière de bâtiments publics, ce qui a aidé à renforcer les filières et à donner une perspective dans le temps. Ensuite, ils ont établi des feuilles de route au niveau régional, notamment pour définir le zonage et déterminer où développer des réseaux de chaleur et où installer des pompes à chaleur. Ce procédé a permis d'engager les acteurs régionaux et de développer une approche mieux coordonnée dans le temps.
J'aurai moins à dire sur la question de la coordination entre les différents ministères dans le cas de la Suède. En revanche, parmi les pays que nous avons observés, la Suède est le seul pays dans lequel les bâtiments sont presque entièrement décarbonés. Les Suédois ont atteint le niveau que nous visons, et ce grâce à l'utilisation de ces trois leviers : l'efficacité énergétique, la rénovation et le chauffage bas-carbone, reposant sur un mélange entre pompes à chaleur et réseaux de chaleur. Il leur a fallu des décennies pour parvenir à ces résultats, ces développements ayant commencé dans les années 1970, avec l'adoption d'une réglementation stricte sur le neuf. Ce statut bas-carbone a été atteint grâce à une politique coordonnée menée pendant plusieurs décennies. En France, la politique est beaucoup plus jeune. Elle doit encore se coordonner et donner une visibilité d'ensemble au secteur. Le processus prendra aussi plusieurs décennies. La nôtre doit voir le niveau des rénovations remonter et il faudra ensuite une vingtaine d'années pour rénover l'ensemble du parc.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Je me permets de vous interrompre un instant sur l'exemple de la Suède, qui a obtenu de très bons résultats en agissant à deux niveaux : le chauffage bas-carbone et la rénovation thermique. On se demande souvent en France lequel des deux il faut d'abord privilégier ; savez-vous par quoi le processus a commencé en Suède ?
Mme Corinne Le Quéré. - Je n'ai pas plus de précisions sur l'exemple suédois, mais nous avons besoin du chauffage bas-carbone et de la rénovation thermique, qui doivent se développer en parallèle. La SNBC prévoit une trajectoire en parallèle pour les deux et il ne s'agit pas de privilégier l'un ou l'autre.
J'en viens à la création de l'ONRE, qui a constitué une excellente nouvelle. Cependant, à ce stade, je ne peux pas vous dire grand-chose des résultats déjà obtenus. L'Observatoire a soumis un rapport en juillet dernier, mais le HCC est entre deux rapports, le précédent ayant été soumis en juin. Nous n'avons pas encore consulté les données produites par l'ONRE, mais, pour relever un défi tel que celui de la rénovation de l'ensemble du parc de bâtiments, cet organisme semble crucial. Il doit apporter des données de suivi très fines et permettre de dire si, dans l'ensemble, le parc de bâtiments répond aux attentes et devient plus efficace en matière énergétique, de manière structurée.
En ce qui concerne les gestes individuels, le rapport du HCC préconise surtout la rénovation globale performante. Cependant, les actions mises en place doivent être pratiques et il ne s'agit pas de viser un ensemble de gestes parfaits. Il faut pousser les instruments actuels le plus possible, afin que les dépenses soutiennent les rénovations les plus profondes, performantes et globales possible. Les principaux obstacles que nous rencontrons actuellement sont constitués par le coût des rénovations et des problèmes de disponibilité en matière de réalisation des travaux. Développer les instruments actuels pour encourager les travaux globaux pourrait permettre de relever le niveau d'efficacité du parc.
Dans quel ordre doit-on faire les choses ? Doit-on procéder à toutes les rénovations de manière parfaite tout de suite ? Non. Nous pouvons produire des feuilles de route pour la planification des rénovations globales. Le danger, c'est qu'une personne rénove les fenêtres de son bâtiment et se dise ensuite qu'elle n'a plus de budget et qu'elle a fait sa part. Les uns et les autres doivent se rendre compte qu'il y a tout un travail à fournir, une route à parcourir et que, si l'on fait des gestes individuels et uniques, ceux-ci doivent s'inscrire dans une trajectoire prévoyant la rénovation des bâtiments, jusqu'à ce qu'ils atteignent un niveau plus performant. Nous ne parviendrons pas à une rénovation globale parfaite de l'ensemble des bâtiments avant 2050. Cependant, en combinant des mesures incitatives qui poussent le plus possible à cette rénovation globale et une décarbonation de la chaleur, grâce au chauffage bas-carbone, le secteur du bâtiment pourra atteindre la neutralité carbone dans les temps. Les feuilles de route et la planification du financement pour payer les factures, ou donner aux ménages les options pour ce faire, deviennent donc très importantes.
Au sujet du nouveau DPE, je rappelle que nous sommes entre deux rapports et je ne peux pas vous donner beaucoup d'éléments quant à sa performance. Cependant, nous avons identifié une difficulté puisque nous ne voyons pas bien comment relier ce DPE avec les objectifs de la SNBC. Cette stratégie est en cours de révision et il s'agira sans doute, avec une combinaison du DPE actuel et de la SNBC, de dire quels objectifs on doit atteindre avec quel nombre de bâtiments.
En ce qui concerne la Convention citoyenne pour le climat, je n'ai pas beaucoup d'éléments à apporter. Je voudrais juste noter que, dans le secteur du bâtiment, comme dans bien d'autres, on sous-estime les mesures de sobriété, ce qui est lié aussi à votre dernière question. Peut-on réduire l'utilisation d'énergie dans le bâtiment grâce à ces mesures ? Oui. Des mesures de sobriété sont adoptées dans le parc actuel, notamment en matière de réduction de l'utilisation du chauffage, par exemple dans les pièces qui ne sont pas utilisées ou pendant certaines plages horaires. Ces efforts peuvent être fournis de manière structurelle. En effet, il ne s'agit pas seulement de dire aux gens de baisser la température, mais de développer des guides directeurs ou le zonage dans les immeubles. Toutefois, nous ne pouvons miser uniquement sur ces mesures de sobriété puisque nous aurons toujours besoin de chauffage et, si les bâtiments perdent leur énergie, un problème énergétique global se posera.
Les rénovations énergétiques sont essentielles. Elles constituent l'une des actions menées en réponse au réchauffement climatique qui coûte le plus cher. Pour cette raison, la planification de ces actions et leur financement dans le temps sont très importants.
Mme Marta de Cidrac. - Des normes et des indicateurs existent lorsqu'il s'agit de concevoir un bâtiment neuf et, avec la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire (Agec), nous avons recours à des diagnostics lorsque le bâtiment arrive en fin de vie et devient un déchet, pour identifier les matériaux qui le composent et pouvoir ainsi les réutiliser.
Ici, nous nous intéressons à la vie des bâtiments, entre leur création et leur mort. J'ai cru comprendre, à travers vos propos, que le sujet de la pathologie du bâtiment vous intéressait. Il s'agit de savoir quelle solution correspond à quel diagnostic. Nous allons voir le médecin de temps en temps pour vérifier que tout va bien, plutôt que d'attendre de devenir très malade et d'avoir recours à un traitement très lourd. Ne faudrait-il pas imaginer, dans le cadre de nos politiques publiques, une sorte de check up pour notre patrimoine immobilier ? Ce diagnostic périodique permettrait de préconiser des interventions plus ou moins légères. Si cette approche émerge dans certains pays - on le voit au travers des parangonnages -, elle n'a pas encore été adoptée en France. Il faudrait mener une réflexion à ce sujet, d'autant que lorsque nos concitoyens ont envie de se lancer dans une rénovation, ils se retrouvent parfois un peu démunis parce qu'ils ne sont pas spécialistes. À titre d'exemple, nous savons que pour avoir un chauffage efficace, il faut s'interroger sur la qualité de la ventilation des logements et sur d'autres éléments techniques. Quid d'un check up périodique adapté à nos bâtiments ?
Mme Corinne Le Quéré. - Nous n'avons pas approfondi cette question, mais pourquoi pas ? Un des problèmes que nous rencontrons, en effet, est que l'on connaît mal les bâtiments. C'est pourquoi l'ONRE a un rôle important à jouer pour faire des retours d'expérience et diffuser les connaissances.
S'agissant des diagnostics, les éléments d'information sur la rénovation énergétique du bâtiment sont très importants pour guider les ménages dans leurs démarches. Leur réalisation suppose une bonne connaissance des bâtiments et des dispositifs d'aide. En filigrane se pose la question de la formation de tous les acteurs de la filière afin qu'ils maîtrisent bien ce qu'il convient de faire pour réaliser une rénovation énergétique performante, notamment en ce qui concerne la ventilation - sujet très important en effet -, le confort en été, le chauffage bas-carbone, etc. Le Gouvernement doit soutenir cet effort de formation.
M. Franck Montaugé. - Vous avez insisté sur la nécessité de définir des programmations pluriannuelles de financement public pour la rénovation énergétique. Mais la question se pose aussi pour les investisseurs privés et les organismes de prêt : le Haut Conseil a-t-il travaillé sur la dimension économique de la rénovation énergétique ? Je pense en particulier aux effets du prix du carbone et des taux d'actualisation. Ces derniers sont très utilisés pour évaluer l'opportunité et le coût d'un investissement à moyen terme, notamment pour déterminer le taux des prêts destinés à financer les opérations de rénovation énergétique.
Mme Corinne Le Quéré. - Vous avez raison, il importe de disposer d'une programmation des financements publics, mais il convient aussi de tenir compte des possibilités de financement privé. Nous n'avons pas étudié les conséquences de l'évolution des paramètres qui motivent les décisions financières. Le gel de la taxe carbone a eu un effet sur la mise en place de la trajectoire définie dans la stratégie nationale bas-carbone : la hausse anticipée du prix du carbone n'a pas eu lieu, si ce n'est l'année dernière avec la crise énergétique, et cela n'a sans doute pas contribué au respect de la trajectoire. Mais une réforme du système d'échange de quotas d'émission de l'Union européenne (SEQE) est en cours ; les secteurs du bâtiment et du transport seront visés par ce nouveau mécanisme, qui remplacera la taxe carbone en France. Il constituera un facteur incitatif à la rénovation énergétique. Ce mécanisme ne sera toutefois opérationnel que dans plusieurs années. Cette perspective ne doit donc pas nous dispenser de travailler en parallèle sur d'autres instruments qui visent à donner un prix indirect au carbone, notamment la réglementation.
M. Jean-Jacques Michau. - La formation est cruciale. Les artisans jouent souvent un rôle de prescripteur à l'égard des propriétaires. Toutefois, ils sont critiques à l'égard de la certification RGE - reconnu garant de l'environnement. Doit-on faire évoluer celle-ci ? Comment accompagner la profession pour l'aider à jouer un rôle de conseil ?
Mme Corinne Le Quéré. - Nous n'avons pas examiné ce point en détail. Je ne peux que plaider de nouveau pour l'instauration de contrôles à la fin des travaux pour vérifier que les résultats sont bien là. C'est d'ailleurs une demande des artisans, qui craignent que les abus observés ici ou là n'entraînent un doute généralisé. Un système de vérification ne pourrait que valoriser les artisans qui travaillent bien.
Mme Amel Gacquerre. - En ce qui concerne la gouvernance, vous avez souligné le besoin d'une meilleure coordination entre les acteurs. La complexité des dispositifs explique certaines difficultés : le manque d'accompagnement des ménages, le manque d'évaluation, etc. Quelles sont vos préconisations ? Quel est le meilleur échelon pour conduire cette politique ? Comment peut-on renforcer la gouvernance territoriale ?
Mme Corinne Le Quéré. - La répartition entre les niveaux national, territorial et local est importante. Le niveau national doit déterminer la trajectoire et les objectifs, mais ceux-ci doivent être déclinés au niveau régional. Il existe des aides au niveau national, mais aussi au niveau régional ; toutefois leur mise en oeuvre varie fortement selon les lieux ; certaines régions sont en avance, mieux organisées, disposent d'un observatoire de suivi des émissions de gaz à effet de serre, entre autres, tandis que d'autres sont en retard. Je ne sais pas quel est le meilleur échelon, mais il existe des financements régionaux qui pourraient être mieux mobilisés pour accompagner les acteurs locaux. On manque de coordination à cet égard. Conformément à la loi Climat et résilience, le Haut Conseil doit rédiger un rapport sur la gouvernance en 2024.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Avez-vous travaillé sur la question des matériaux biosourcés : le bois, le chanvre, la paille, etc. ? Ils constituent un moyen de stocker durablement du carbone dans les bâtiments. La filière s'interroge sur la manière de valoriser ce carbone afin de financer le développement de la filière.
Mme Corinne Le Quéré. - Un petit peu. La stratégie nationale bas-carbone comporte un volet qui vise à développer le recours au bois comme matériau de construction afin de réduire les émissions de GES, mais on observe parallèlement un dépérissement des forêts à cause du réchauffement climatique ou du manque de plantations. La gestion des forêts n'est pas assez active. L'idée est d'utiliser davantage le bois de construction dans la mesure où les forêts stockent le carbone, mais le bilan n'est pas encore équilibré. Des discussions ont eu lieu lors des Assises de la forêt et du bois l'année dernière pour améliorer la gestion de la forêt et faire en sorte que les prélèvements soient compensés par des plantations.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je vous remercie.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition de M. Vincent Aussilloux, directeur du département économie et finances de France Stratégie, et Mme Sylvie Montout, responsable de projet en charge de l'évaluation du plan de relance
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous poursuivons nos travaux aujourd'hui par l'audition de M. Vincent Aussilloux et de Mme Sylvie Montout.
Monsieur Aussilloux, vous êtes économiste, responsable du département Économie et finances de France Stratégie depuis plus de huit ans. Vous exerciez précédemment des responsabilités au sein de cabinets ministériels ainsi qu'à la Commission européenne et au ministère de l'économie. Madame Montout, vous êtes, vous aussi, économiste, responsable de projet chez France Stratégie, en charge de l'évaluation du plan de relance. Vous étiez auparavant économiste auprès de Business France, précédemment Agence française pour les investissements internationaux.
Votre audition doit nous permettre de comprendre le bilan que France Stratégie dresse des politiques publiques en matière de rénovation énergétique. Il s'agit aussi de vous entendre quant à vos analyses au titre du Comité d'évaluation du plan de relance présidé par Benoît Coeuré. Vous avez en effet participé à la rédaction de son rapport récent, rendu public en décembre 2022, dont un chapitre est dédié à MaPrimeRénov'. Vous aviez aussi préparé en 2021 une note sur la rentabilité économique des rénovations énergétiques, et, en 2020, une autre intitulée : Comment accélérer la rénovation énergétique des logements.
Dans ces différents documents, qui sont de nature différente, mais que je regroupe pour faciliter la discussion, vous insistez sur la faible part des travaux de rénovation globale. Le dispositif MaPrimeRénov' par exemple soutient essentiellement des rénovations mono-gestes avec 83 % des dossiers validés en 2021, ce qui représentait 55 % du montant des primes accordées. Vous notiez aussi que les travaux de rénovation financés par les aides publiques sont marqués par la prédominance des travaux liés au chauffage, avec ce chiffre marquant de 70 % des dossiers MaPrimeRénov' en 2021. Comment expliquer de tels résultats ? Dans quelle mesure des dispositions législatives et réglementaires pourraient infléchir ces résultats ?
Vous expliquez, par ailleurs, que l'évaluation précise des politiques de rénovation énergétique est parfois difficile, vous nous expliquerez pourquoi et quels sont les moyens mobilisables pour améliorer le suivi et l'évaluation de ces dispositifs. Les économies d'énergie engendrées restent en réalité très « théoriques », de même que les réductions de carbone émis, puisque les comparaisons entre consommations réelles avant et après travaux font défaut. Comment améliorer les statistiques sur les économies d'énergie, les émissions de gaz à effet de serre (GES) et les coûts d'abattement des solutions retenues, c'est-à-dire leur coût rapporté aux émissions évitées ?
En outre, nous voudrions que vous nous présentiez vos propositions pour massifier, rendre plus efficace et accélérer la rénovation énergétique des logements alors que les obstacles à dépasser sont si grands : problème des logements collectifs, question de rentabilité économique des travaux, difficultés spécifiques des ménages les plus modestes ou encore risque d'effet rebond, c'est-à-dire de changements de comportement après travaux, certains ménages choisissant par exemple d'augmenter leur température de chauffage.
Avant de vous laisser la parole pour répondre à ces premières questions et pour un propos introductif d'une vingtaine de minutes à vous répartir, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.
Je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 à 100 000 euros d'amende.
Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Vincent Aussilloux et Mme Sylvie Montout prêtent serment.
M. Vincent Aussilloux, directeur du département Économie et finances de France Stratégie. - La France est très en retard par rapport à ses voisins en ce qui concerne les émissions de carbone des bâtiments et les rénovations énergétiques performantes. Il s'agit pourtant d'un enjeu important, car le secteur du bâtiment représente 27 % des émissions de gaz à effet de serre et 45 % de notre consommation d'énergie. Il est absolument essentiel de faire des rénovations énergétiques performantes si l'on veut tenir notre objectif de zéro émission nette en 2050. Nous sommes en dessous de la trajectoire de la stratégie nationale bas-carbone (SNBC). Le Haut Conseil pour le climat estime qu'il faudrait réaliser 370 000 rénovations énergétiques performantes chaque année à partir de 2023, or nous n'en avons réalisé que 50 000 en 2021 et 2022. À partir de 2030, il sera nécessaire de réaliser 700 000 rénovations énergétiques performantes par an. On en est loin.
Nous avons étudié la question des obstacles à la massification et à la montée en qualité des opérations de rénovation énergétique. La question centrale est celle du financement. On mobilise déjà beaucoup d'argent public ou d'épargne des ménages en faveur de la rénovation énergétique - environ 15 milliards d'euros chaque année -, mais selon l'Institut de l'économie pour le Climat (I4CE), il faudrait dépenser 10 milliards d'euros supplémentaires chaque année pour tenir les objectifs de la SNBC. Or chacun sait les contraintes qui pèsent sur nos finances publiques et sur les budgets des ménages. Les ménages hésitent à s'endetter. Ceux qui s'endettent pour acheter un logement sont souvent à la limite de leurs capacités d'emprunt, et ils n'ont pas toujours les moyens de faire des travaux de rénovation.
La question du financement est donc essentielle. Nous avons cherché à déterminer un nouveau vecteur de financement : nous proposons d'utiliser les économies d'énergie réalisées grâce aux rénovations comme sources de financement : elles pourraient être estimées en amont et être considérées comme des ressources ou un apport des ménages, ce qui réduirait de facto le montant qu'ils auraient à emprunter.
Un autre obstacle tient à la multiplicité des acteurs avec lesquels doivent traiter les ménages : en dépit de la création du guichet unique France Rénov' ou de l'existence de sociétés de tiers-financement, les démarches de rénovation énergétique restent complexes. Les particuliers doivent gérer des relations avec plusieurs entreprises ; on manque d'acteurs qui réaliseraient des opérations de rénovation globales. Comme les rénovations énergétiques réalisées à une époque étaient peu performantes, on observe aussi un manque de confiance envers les acteurs de la rénovation. Il est donc essentiel de rétablir la confiance en alignant les intérêts des particuliers qui réalisent les travaux, de la collectivité et des entreprises si l'on veut parvenir à multiplier les rénovations énergétiques performantes au meilleur coût. De même, si un propriétaire bailleur réalise une opération de rénovation, il doit en supporter le coût alors que le résultat bénéficie d'abord aux locataires. Là encore, il faudrait parvenir à aligner les intérêts en présence.
Nous avons travaillé sur la notion d'« opérateur ensemblier », une entreprise qui assurerait à la fois la conception des travaux, la maîtrise d'oeuvre, en pilotant les sous-traitants, et le financement du projet ; elle se rembourserait sur la baisse de la facture énergétique des résidents du logement rénové en récupérant le montant des économies réalisées. Les particuliers ne dépenseraient donc pas plus, n'auraient pas à puiser dans leur épargne ou à s'endetter, tout en améliorant leur confort. Plusieurs acteurs se sont déclarés intéressés. Une bonne partie des rénovations énergétiques pourraient être réalisées de cette manière. Avant la hausse du prix de l'énergie, on avait calculé qu'un tiers des opérations de rénovation énergétique performante pouvaient être financées grâce aux économies d'énergie réalisées. Ce chiffre a encore augmenté avec la hausse de l'énergie.
Les aides publiques pourraient être mieux utilisées en les mobilisant, tout en tenant compte des revenus des ménages, vers les bâtiments dont la rénovation ne peut pas être financée par les économies réalisées sur la facture d'énergie : les bâtiments historiques ou en centre-ville, haussmanniens par exemple, pour lesquels les rénovations sont plus chères.
Un tel mécanisme serait gage de simplification. Les ménages n'auraient qu'un seul interlocuteur, l'opérateur ensemblier, qui financerait et superviserait l'ensemble de l'opération et se rembourserait grâce aux économies d'énergie. Ce mécanisme alignerait aussi les intérêts des locataires et des propriétaires dans les copropriétés. La performance serait améliorée, car si les travaux sont peu performants ou mal réalisés, c'est l'ensemblier qui en supporterait le coût. Les collectivités territoriales pourraient aussi recourir à des ensembliers pour rénover des quartiers : les coûts seraient réduits grâce aux économies d'échelle, incitant les propriétaires à passer par cet opérateur, dans un climat de confiance retrouvée. Cette démarche peut aussi inciter à doter les bâtiments d'équipements produisant de l'énergie, afin de développer l'autoconsommation d'énergie ou la géothermie, etc. Ces opérateurs pourraient aussi intervenir sur la gestion de l'eau par exemple.
Mme Sylvie Montout, responsable de projet en charge de l'évaluation du plan de relance. - Je vais vous présenter les résultats de notre évaluation de MaPrimeRénov' qui montre que nous devons aller vers davantage de rénovations énergétiques globales performantes, et pas seulement des opérations mono-gestes.
Le dispositif évolue, avec la mise en place depuis la fin de l'année dernière de la plateforme France Rénov' et de Mon Accompagnateur Rénov'. On avait noté, lors de notre première évaluation en 2021, le manque d'accompagnement des ménages, lequel aboutissait à privilégier les mono-gestes. Les ménages modestes sont les principaux bénéficiaires du dispositif, mais, si l'on se fonde sur les déclarations des ménages auprès de l'Anah, le reste à charge reste important, même s'il ne s'agit que d'une estimation, car nous n'avons pas accès à toutes les primes que touchent les ménages. C'est pourquoi, en mars 2022, un décret met en oeuvre le nouvel éco-prêt à taux zéro. J'espère que nous pourrons en voir les effets lors de notre prochaine évaluation.
Les rénovations mono-gestes sont prépondérantes. La plupart des travaux demandés par les ménages sont liés au chauffage et à la ventilation. En 2021, les travaux engagés par MaPrimeRénov' auraient permis d'obtenir un gain théorique supérieur à celui du crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE) en 2019. Par logement, les gains de MaPrimeRénov' sont 40 % supérieurs à ceux du CITE.
Mais on constate que ce ne sont pas les travaux les plus efficients en termes de gains énergétiques par euro investi qui sont subventionnés. Les taux de subvention moyens de la pompe à chaleur air-eau, de la chaudière gaz très haute performance énergétique (THPE), ou encore de l'isolation des murs par l'intérieur sont modestes comparé à leur gain énergétique par euro de travaux investi. À l'inverse, les installations de chauffe-eau solaires individuels et de ventilations à double flux ont des taux de subvention moyens parmi les plus élevés et des gains énergétiques moyens par euro de travaux relativement modestes.
Néanmoins, MaPrimeRénov' a un impact important pour la réduction de l'émission de GES, grâce notamment à l'installation de poêles à granulés ou de pompes à chaleur air-eau.
Nous avons également vérifié si MaPrimeRénov' était sollicité par des territoires ayant des besoins en termes de rénovation énergétique ; c'est bien le cas, à l'exception de la région Île-de-France où le recours à MaPrimeRénov' s'avère faible par rapport au nombre de passoires thermiques. Cela s'explique par le fait que les propriétaires bailleurs ont fait peu appel à MaPrimeRénov' et que le recours à MaPrimeRénov' Copropriétés est encore peu répandu. Au-delà des difficultés liées aux procédures, des villes comme Paris sont très fournies en bâtiments historiques, avec des réglementations strictes à respecter.
MaPrimeRénov' Sérénité - le dispositif qui s'est substitué à « Habiter Mieux Sérénité » - a permis, en 2021, d'engager environ 60 000 rénovations globales. Cela dit, même avec des rénovations induisant des gains énergétiques importants, ceux-ci ne sont pas toujours suffisants pour garantir des sorties de l'état de passoire thermique. Ainsi, certains logements avec des gains énergétiques moyens parmi les plus importants sont encore considérés comme des passoires thermiques. L'enjeu est d'arriver à identifier les bons gestes. Un audit réalisé avant les travaux permet d'estimer le gain attendu. Cependant, même si le gain attendu est significatif, l'ensemble de ces rénovations globales n'a permis des sorties de passoires thermiques que pour 57 % des logements concernés.
En conclusion, il s'agit de noter la massification des travaux de rénovation. Les économies en matière d'émissions de CO2 sont importantes, en adéquation avec les attentes de la stratégie nationale bas-carbone (SNBC). En revanche, le dispositif a montré ses limites - mais peut-être n'était-ce pas son ambition première - dans le déclenchement des rénovations d'ampleur, ces rénovations « performantes » et « globales » qui doivent être réalisées dans un temps déterminé - pas plus de 18 mois -, en vérifiant la cohérence et la simultanéité de certains gestes et, bien sûr, en atteignant un gain énergétique significatif.
La difficulté consiste à massifier les travaux de rénovation dans les copropriétés, qui représentent plus de la moitié des résidences principales. Or, MaPrimeRénov' concerne essentiellement des maisons individuelles. On observe un faible accès des ménages à MaPrimeRénov' Copropriétés ; il semblerait que l'on assiste à une légère progression pour l'année 2022, mais cela reste très en deçà des attentes. L'horizon de temps est le principal problème ; afin de pouvoir enclencher les travaux, il faut que se tienne une assemblée générale réunissant les copropriétaires et que soit obtenu un vote à la majorité. La difficulté du processus peut expliquer le faible recours, outre le fait de composer avec de fortes contraintes dans les métropoles.
Vous avez évoqué le fait que l'ensemble des travaux étaient basés sur des estimations théoriques, notamment l'enquête sur les travaux de rénovation énergétique dans les maisons individuelles (TREMI) du Commissariat général au développement durable (CGDD). Nous en avons conscience et, dans un premier temps, avons réalisé une première évaluation afin de vérifier l'impact des travaux de rénovation sur un échantillon ; le nombre de réponses étant insuffisant, nous n'avons pu établir une estimation.
Cette année, le service statistique du CGDD prévoit d'évaluer la consommation de 1 million de ménages, soit l'ensemble des ménages ayant réalisé des travaux de rénovation énergétique, et non seulement ceux qui ont bénéficié de MaPrimeRénov'. D'ici fin 2023 ou début 2024, il devrait être possible d'estimer l'impact de ces travaux de rénovation, en prenant en compte la consommation réelle et l'effet rebond.
L'enjeu est aussi important, d'un point de vue environnemental et sociétal, pour les bâtiments publics. Beaucoup de bâtiments sont, en effet, de vraies passoires thermiques...
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous avons axé notre débat sur le logement privé, mais le sujet des bâtiments publics a été également évoqué lors des auditions.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Ma première question concerne le financement. Vous avez évoqué les 15 milliards d'euros déjà investis et les 10 milliards supplémentaires qu'il conviendrait d'engager. Pensez-vous qu'en engageant ces milliards supplémentaires, les travaux pourraient être réalisés ?
Vous avez présenté un système vertueux, avec cet opérateur ensemblier à même de faire converger les intérêts et qui se rembourse sur les économies d'énergie. Mais comment, dans votre dispositif, intégrez-vous l'augmentation du coût de l'énergie ? Car l'on s'aperçoit que la facture d'énergie, même après une rénovation, s'avère parfois plus élevée, car le prix de l'énergie augmente...
Il faut tenir compte aussi des changements de comportement après les travaux. Certains ménages, par exemple, choisissent d'augmenter la température de leur chauffage pour accroître leur confort, ce qui limite le véritable impact énergétique. Comment réagir devant ces comportements ?
Il m'a semblé comprendre que plus les investissements en matière de rénovation étaient lourds, moins ils s'avéraient rentables, car il est plus difficile de se rembourser avec les économies d'énergie. Qu'en pensez-vous ?
Je souhaite connaître votre avis sur les différents moyens à notre disposition pour intervenir. Au niveau législatif, il a été décidé d'interdire la location de passoires thermiques ; des discussions ont également porté sur le fait d'agir sur la vente.
Une proposition de loi citoyenne préconise, afin que chacun puisse investir, la création d'un fonds de rénovation qui ressemble à votre système. Seule différence : ce fonds ne se rembourserait pas à partir des économies d'énergies, mais via une hypothèque, au moment de la vente du bâtiment. Avez-vous connaissance de cette proposition ?
La fiabilité des diagnostics de performance énergétique (DPE) est essentielle. Que pensez-vous des nouveaux DPE et de leur place dans les politiques mises en oeuvre ?
Enfin, ma dernière question porte sur les matériaux biosourcés. On estimerait qu'environ 90 % des matériaux utilisés pour la rénovation énergétique sont liés à l'industrie pétrochimique. Il s'agit donc de se tourner vers les matériaux biosourcés et de soutenir financièrement la mise en place de filières. Je pense, par exemple, à la valeur du carbone stocké que l'on retrouve ensuite dans les bâtiments.
M. Vincent Aussilloux. - Les 15 milliards d'euros investis pour la rénovation énergétique des logements privés - dont 6 milliards d'aides publiques - ne sont pas mobilisés de façon performante. L'Institut de l'économie pour le climat estime que, sur ces 15 milliards d'euros, 8 milliards ne génèrent pas d'économies d'énergie.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Pouvez-vous nous donner des exemples ?
M. Vincent Aussilloux. - Cela correspond à des gestes de rénovation qui ne sont pas performants ni réalisés de façon indépendante. L'intérêt d'une entreprise n'est pas aligné sur celui du particulier quand elle réalise des travaux. Ces cas de rénovations qui n'ont pas abouti à des économies d'énergie ont dégradé la confiance des particuliers.
L'augmentation du coût de l'énergie n'est pas un problème pour mettre en oeuvre l'opérateur ensemblier. L'idée est de calculer l'écart entre la facture dont il aurait fallu s'acquitter sans rénovation et celle, effective, après la rénovation ; le montant de l'écart est ensuite partagé entre les particuliers et l'opérateur ensemblier qui finance l'investissement. Cela ne veut pas dire que la facture énergétique des ménages n'augmentera jamais, mais celle-ci augmentera beaucoup moins qu'en l'absence de rénovation ; il est donc important de mobiliser ces économies d'énergie pour la financer et la réaliser. Si les prix de l'énergie baissent fortement - ce qui n'est pas exclu pour les énergies carbonées en cas de récession mondiale -, ce serait toujours intéressant car une des clauses du contrat de l'opérateur ensemblier autorise le prolongement automatique de la durée de celui-ci en cas de plus faible retour sur investissement.
Il serait intéressant que la puissance publique mobilise un fonds de garantie afin de couvrir une partie des pertes éventuelles - 50 % par exemple - de l'opérateur ensemblier. Les intérêts des particuliers et de l'opérateur resteraient alignés. On serait sûr alors que celui-ci conserve la maîtrise des travaux et anticipe bien les économies d'énergie réalisées. Cela permettrait à la puissance publique de mieux mobiliser les fonds afin que les aides soient plus efficaces, et de davantage développer les investissements réalisés par les acteurs privés plutôt que par les particuliers.
Il existe plusieurs moyens de contrôler l'évolution de la consommation d'énergie post-rénovation et de faire le tri entre ce qui est dû à la rénovation énergétique et ce qui est dû au changement de comportement du ménage. Une première technique consiste à développer des diagnostics performants ; des initiatives de ce type émergent, notamment dans le cadre du projet Sereine (Solution d'Évaluation de la peRformance Énergétique INtrinsèquE des bâtiments). Le diagnostic pourrait être établi par un acteur tiers, autre que l'opérateur ensemblier ; il interviendrait avant et après la rénovation afin de déterminer, à comportement inchangé, la part de baisse de la consommation énergétique.
Parmi les autres techniques possibles, une entreprise a développé un système simple et peu coûteux de capteurs. Avec un capteur à l'intérieur du bâtiment et un autre à l'extérieur, il est possible de distinguer la part liée à un comportement dispendieux d'utilisation du chauffage. Il existe également, combinés au compteur Linky, des systèmes de compteurs intelligents qui permettent de faire la part entre les différents équipements en cas d'achat de nouveaux équipements.
C'est un des avantages de l'opérateur ensemblier : comme, dans un premier temps, les gains sur la facture énergétique ne reviennent pas directement aux ménages, mais, en priorité, à l'opérateur qui paie les travaux, cela entraîne moins d'effets rebonds. Souvent, quand la baisse de la facture énergétique est importante, le réflexe est de consommer davantage. La facture baissant peu, cela n'incite pas à consommer plus.
Par ailleurs, l'opérateur ensemblier, restant en contrat avec les particuliers sur une longue période, peut intervenir auprès d'eux s'il observe des comportements mal adaptés en termes de consommation énergétique. La décision, en dernier ressort, appartient aux particuliers, mais l'opérateur ensemblier peut aider, conseiller, accompagner dans le choix d'équipements, en matière de domotique par exemple.
Actuellement, lorsqu'une entreprise a réalisé les travaux et qu'on lui a payé sa facture, elle n'est plus partie prenante.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Des expérimentations de ce système ont-elles été menées ?
M. Vincent Aussilloux. - Ce système n'a encore jamais été mis en place, ni en France ni à l'étranger. À France Stratégie, nous avons étudié des systèmes proches, comme les sociétés de tiers-financement, de manière à ce que l'opérateur ensemblier puisse répondre aux problèmes déjà rencontrés. Parmi les différences, les sociétés de tiers-financement mobilisent des prêts et ne sont pas responsabilisées sur la performance dans la mesure où leur financement ne dépend pas d'elle.
Plusieurs sociétés de tiers-financement sont aujourd'hui intéressées pour devenir des sociétés de tiers-investissement. Ces sociétés font actuellement en sorte que le financement du prêt n'excède pas l'économie que le ménage va faire sur sa facture d'énergie, mais le processus n'est pas intégré. En passant par les sociétés de tiers-financement, le choix des artisans et la relation qu'ils entretiennent avec eux s'avèrent souvent compliqués pour les ménages.
Les aides pour réaliser une rénovation énergétique performante sont également compliquées à mobiliser. Ainsi, certains ménages ont dû patienter plus de six mois pour savoir s'ils allaient bénéficier des aides, alors qu'ils venaient d'acheter une maison et voulaient réaliser des travaux de rénovation énergétique en même temps que d'autres travaux de rénovation. Il est important, au moment des ventes, de pouvoir réaliser ce financement par les économies d'énergie. Une obligation de rénovation énergétique au moment des ventes serait un geste fort, notamment pour les maisons individuelles avec un classement énergétique DPE faible. Cela inciterait les propriétaires à l'intégrer dans leur prix de vente, ou bien à la réaliser avant la vente, via un opérateur ensemblier, sachant que le contrat liant le propriétaire à un opérateur ensemblier peut se transmettre au prochain propriétaire.
Concernant les hypothèques à la vente, il existe déjà un système de prêts. Concrètement, il est aujourd'hui peu mobilisé. Nous n'avons pas d'explication claire à ce sujet. Nous savons, d'après les enquêtes, que les particuliers sont réticents à l'idée de solliciter des prêts. Par exemple, les parents qui réalisent des travaux et anticipent la transmission de leur logement à leurs enfants ne veulent pas que le remboursement s'effectue au moment de la transmission.
Les banques expriment leur volonté de financer les rénovations énergétiques, mais, dans la réalité, peu de prêts sont contractés ; même la distribution du prêt à taux zéro s'avère faible par rapport au potentiel estimé. Les institutions bancaires n'ont pas d'actifs à adosser au prêt de rénovation énergétique, contrairement, par exemple, à la construction d'une maison ou d'un bâtiment. Par ailleurs, il est complexe pour ces institutions d'analyser la situation financière des particuliers alors qu'il serait plus simple pour elles de financer des opérateurs ensembliers. Les banques pourraient évaluer plus aisément la situation financière de l'opérateur ensemblier, ainsi que sa performance en termes de réalisation des rénovations énergétiques.
Mme Marta de Cidrac. - Madame Montout, vous avez indiqué que MaPrimeRénov' bénéficie pour l'essentiel aux ménages modestes. Vous avez également insisté sur le fait qu'en dépit des investissements, les bâtiments ne sortaient pas toujours du statut de passoire thermique. Je m'interroge donc sur le cas des ménages modestes qui vont solliciter un prêt et effectuer des travaux ne leur permettant pas de sortir leur logement du statut de passoire énergétique. Or, si j'ai bien compris la manière dont se financerait l'opérateur ensemblier, le critère de progrès énergétique est indispensable. Pouvez-vous nous donner des précisions ?
Je m'interroge également sur la durée de vie des bâtiments. L'opérateur ensemblier pourrait-il également apporter à nos concitoyens une sorte de diagnostic global sur la pathologie de leur logement ?
M. Vincent Aussilloux. - Pour les ménages modestes, l'opérateur ensemblier est un vecteur permettant d'obtenir des rénovations énergétiques globales et performantes, dans la mesure où ils n'ont pas besoin de s'endetter et de solliciter un prêt. L'opérateur ensemblier porte seul l'investissement. Et pour que la rénovation énergétique ne se limite pas à générer des économies d'énergie, mais améliore aussi le confort des particuliers, la puissance publique pourrait définir des seuils à atteindre obligatoirement : catégorie C pour les passoires thermiques, catégorie A ou B pour les autres. Après en avoir discuté avec les entreprises, cela est tout à fait réalisable.
La puissance publique pourrait également fixer une obligation supplémentaire et demander à l'opérateur ensemblier d'évaluer la qualité du bâtiment indépendamment de la rénovation énergétique. Nous avons un intérêt collectif à mieux anticiper les risques liés à la durée de vie d'un bâtiment, d'effondrement par exemple. Naturellement, cela ajouterait un coût et la puissance publique devrait apporter des aides financières spécifiques afin de ne pas plomber l'investissement dans les rénovations énergétiques.
Comme je l'ai mentionné précédemment concernant la gestion de l'eau, l'opérateur ensemblier pourrait également prendre en charge l'adaptation des logements au vieillissement de la population. Cela ne serait pas financé par les économies d'énergie, mais il serait possible de mobiliser des aides publiques déjà existantes, ou bien de trouver d'autres types de financement afin que cette partie des travaux soit réalisée en complément de la rénovation énergétique. En réalisant tous les travaux en même temps, on baisserait le coût unitaire de la rénovation énergétique.
Vous avez évoqué les matériaux biosourcés. Il s'agit, en effet, d'un enjeu majeur pour le pays et pour la planète. Dans un premier temps, il serait préférable de ne pas fixer de contraintes plus élevées aux opérateurs ensembliers qu'aux opérateurs classiques de la rénovation énergétique. Dans un second temps en revanche, des contraintes supplémentaires aideraient à développer l'offre pour ces matériaux biosourcés. S'agissant du chanvre par exemple, l'enjeu est de faire baisser les prix, de produire davantage, et que les professionnels sachent également mieux utiliser le matériau.
La formation et la montée en compétences des professionnels est également un enjeu. Beaucoup d'artisans qui travaillent aujourd'hui dans la construction devraient se réorienter dans la rénovation énergétique des bâtiments. Outre la puissance publique et les collectivités territoriales, les opérateurs ensembliers peuvent jouer un rôle afin de réorienter et de former. Ces acteurs vont réaliser des investissements importants et développer des relations avec de nombreux corps de métiers ; il semble donc légitime qu'ils puissent former ces artisans et structurer l'écosystème.
Mme Marta de Cidrac. - Évoquant le rôle de ces opérateurs ensembliers, vous décrivez des architectes ou des maîtres d'oeuvre qui devront se préoccuper des compétences, former éventuellement, prendre en charge la réalisation des travaux de la conception jusqu'à la fin du chantier, et même au-delà. Ne se dirige-t-on pas vers une usine à gaz ? Et qui va contrôler tout cela ?
M. Vincent Aussilloux. - C'est précisément pour éviter l'usine à gaz qu'une entreprise, dont c'est le métier et la compétence, est mobilisée afin de gérer la conception du projet et de s'assurer de la qualité des travaux. Comme elle se rembourse sur les économies d'énergie, son intérêt est lié à la performance de la rénovation énergétique. Si l'opérateur ensemblier se trompe dans le choix des corps de métiers et maîtrise mal le suivi des travaux, c'est lui qui supportera les pertes.
Il existe déjà des entreprises qui disposent de ces compétences, assurent un accompagnement de qualité dans la rénovation énergétique. Ce sont des PME, des grandes entreprises, des fédérations d'artisans, des sociétés d'économie mixte comme les sociétés de tiers-financement. Dans la mesure où la rentabilité de ces entreprises dépend des travaux et des économies d'énergie réalisées, les risques de malfaçon sont plus faibles et il sera facile pour la puissance publique d'assurer le suivi, avec une transmission d'informations automatique ex ante, avant la rénovation énergétique.
En même temps que sa proposition de contrat à un particulier ou une copropriété, l'opérateur ensemblier transmet à l'agence en charge de la régulation une estimation du coût des travaux et des économies d'énergie qu'il anticipe. L'agence donne son avis et, après la rénovation, l'opérateur ensemblier lui transmet le coût effectif des travaux et les économies effectives d'énergie ; l'agence peut donc voir si un opérateur a tendance à se tromper trop souvent ou si son prix, par exemple pour la rénovation d'un bâtiment, est plus élevé que celui des autres opérateurs.
Mme Amel Gacquerre. - Ce système d'opérateur ensemblier est théoriquement intéressant, dans la mesure où il répond à la complexité que rencontrent aujourd'hui les ménages dans leur projet de rénovation. En revanche, vous faites fi du contexte de pénurie de matériaux et de main-d'oeuvre dans certains secteurs de la rénovation. Tenez-vous bien compte, dans vos propositions, de ces difficultés ?
Vous avez évoqué le fait que ce système existait ailleurs sous d'autres formes. Pouvez-vous nous en dire davantage ?
M. Vincent Aussilloux. - Les sociétés de tiers-financement sont des structures très proches de l'opérateur ensemblier, ainsi que certains délégataires de certificats d'économies d'énergie (CEE) qui assurent un accompagnement dans la rénovation énergétique. Mais ces structures ne portent pas l'investissement. L'opérateur ensemblier permet un meilleur alignement des intérêts et apporte une réponse à la difficulté de mobiliser des financements. Le gain en qualité et en efficacité permettra de regagner la confiance de la population. Aujourd'hui, le bouche-à-oreille est plutôt négatif, les gens ont peur de ne pas obtenir une rénovation de qualité.
La disponibilité de la main-d'oeuvre est un enjeu essentiel. L'Assemblée nationale a confié à France Stratégie la mission d'identifier les besoins en main-d'oeuvre et en compétences pour la rénovation énergétique, avec l'idée d'atteindre l'objectif fixé de zéro émission nette de CO2 d'ici à 2050. En aidant à mieux structurer l'écosystème autour d'acteurs de confiance, on le rendra plus attractif pour des personnes désireuses de se lancer dans ces métiers, pour attirer des jeunes et les former. Dans le secteur du bâtiment notamment, des ressources pourraient être davantage mobilisées dans le sens de la rénovation énergétique et moins dans celui de la construction neuve.
L'opérateur ensemblier aura pour mission d'accompagner l'artisan dans sa reconversion et d'assurer un suivi de sa formation. Des aides publiques seront sans doute nécessaires pour augmenter le nombre d'organismes de formation dans le domaine de la rénovation énergétique et inciter nos jeunes travailleurs à s'orienter vers ce domaine. Mais le facteur essentiel reste de mieux structurer l'écosystème, avec des acteurs qui assurent l'investissement, le recrutement et la performance de la rénovation. Car les artisans ou les salariés se démobilisent si les rénovations ne sont pas performantes et les particuliers craignent d'être victimes d'arnaque.
M. Jean-Jacques Michau. - Si j'ai bien compris vos propos : les locataires ou propriétaires de ces immeubles rembourseront la différence entre ce qu'ils payaient avant les travaux et après les travaux en termes de consommation d'énergie. Dans la mesure où un locataire occupe un ou deux ans un logement et qu'un propriétaire garde son logement pendant huit à dix ans, le remboursement sera-t-il lié au bâtiment ou aux personnes ? Ce remboursement constituera-t-il une servitude notariée ? Comment avez-vous pensé cette relation ?
M. Vincent Aussilloux. - Il existe plusieurs cas de figure. Dans le cas d'une copropriété, qui comprend des bailleurs et des locataires, c'est la baisse de la consommation d'énergie qui financera la rénovation énergétique sur les parties communes. Quant aux parties privatives, il existe un engagement selon lequel le locataire paiera le même tarif, comme si la rénovation énergétique n'avait pas eu lieu, tout en bénéficiant d'un logement beaucoup plus confortable et sain.
Dans le cas d'un propriétaire qui laisserait vide son appartement, il existe une clause qui fixe un montant minimum à payer par mois, ce qui constitue une incitation supplémentaire à louer son bien.
Par ailleurs, la clause stipule également qu'un propriétaire souhaitant vendre son logement fait face à deux options : intégrer le restant dû à l'opérateur ensemblier dans son prix de vente, ou intégrer au sein du contrat de vente l'obligation pour le nouveau propriétaire de reprendre le contrat passé avec l'opérateur ensemblier. Le dispositif est donc facile à transmettre : il s'agit d'une simple clause inscrite au contrat.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Avez-vous déjà eu des retours de la part des différents ministères quant à l'intérêt porté à ce système ? De même en ce qui concerne les organisations professionnelles du secteur ?
M. Vincent Aussilloux. - Il existe effectivement un fort intérêt pour ces dispositifs de la part des différents ministères. Un appel à projets doit d'ailleurs être lancé dans le cadre de France 2030, afin d'expérimenter ce dispositif dans quelques semaines. Par ailleurs, les fédérations et beaucoup d'acteurs du secteur du bâtiment sont intéressés et souhaitent se lancer en tant qu'opérateurs ensembliers, car ceux-ci perçoivent bien l'opportunité et l'ampleur du marché. Bouygues, par exemple, a affirmé vouloir passer de 80 % de constructions neuves et 20 % de rénovation, à 20 % de constructions neuves et 80 % de rénovation énergétique. Ainsi, beaucoup d'acteurs savent que la partie la plus dynamique du marché correspondra à la rénovation énergétique dans les prochaines années, puisque celle-ci devient obligatoire et qu'elle représente également un enjeu essentiel pour notre planète.
De plus, grâce à ce concept, la France aurait l'opportunité de développer des entreprises qui pourraient ensuite intervenir à l'étranger. En effet, beaucoup de pays se demandent comment financer leur rénovation énergétique.
J'ajoute qu'il est essentiel de simplifier la capacité de décision des copropriétés de ce point de vue. L'intervention des opérateurs ensembliers permettrait de créer une offre globale ne nécessitant qu'un seul vote pour valider le principe de la rénovation énergétique, sachant que les propriétaires n'auraient rien à payer de plus que la facture énergétique habituelle. Les opérateurs ensembliers présenteraient leurs offres à la copropriété et celle-ci n'aurait qu'à voter ensuite pour choisir l'opérateur, là où aujourd'hui la procédure nécessite une multiplicité de votes pour chaque opération.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je vous remercie.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 18 h 50.