Mardi 28 février 2023
- Présidence de M. Pierre Henriet, député, président de l'Office -
La réunion est ouverte à 14 h 10.
Examen des conclusions de l'audition publique du 16 février 2023 sur la réforme du contrôle et de la recherche en sûreté nucléaire et radioprotection (Pierre Henriet, député, et Gérard Longuet, sénateur, rapporteurs)
M. Pierre Henriet, député, président de l'Office. - Chers collègues, notre ordre du jour porte sur l'examen des conclusions de l'audition publique du 16 février 2023 sur la réforme du contrôle et de la recherche en sûreté nucléaire et radioprotection.
Vous avez tous reçu un projet de conclusions, accompagné des communiqués de presse du ministère de la Transition énergétique en date des 8 et 23 février 2023, ainsi que d'un communiqué de l'Association nationale des comités et commissions locales d'information (ANCCLI).
Comme vous le savez, le 8 février dernier, le ministère de la Transition énergétique a publié un communiqué annonçant une évolution de l'organisation du contrôle et de la recherche en radioprotection et sûreté nucléaire. Ce communiqué indiquait que les compétences techniques de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) seraient réunies avec celles de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), autorité administrative indépendante, en étant vigilant à prendre en compte les synergies avec le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et le délégué à la sûreté nucléaire et à la radioprotection pour les activités et installations intéressant la Défense (DSND).
Afin de clarifier les enjeux de cette réorganisation, expliciter les conditions de sa bonne mise en oeuvre et éclairer les conséquences possibles, Gérard Longuet et moi-même avons conjointement décidé d'organiser une audition publique dans les plus brefs délais.
Aujourd'hui, nous sommes réunis pour délibérer sur les conclusions de cette audition. Nous nous excusons pour ce calendrier très serré, mais celui-ci permettra à l'Office d'éclairer les débats prévus à partir de ce soir en commission du développement durable et de prendre en compte les enjeux de cette réorganisation pour les principaux acteurs concernés entendus lors de l'audition : l'ASN, l'IRSN, le CEA, ainsi que les exploitants EDF et Orano - acteurs indispensables puisque ce sont les premiers responsables de la sûreté nucléaire.
Lors de cette audition, l'Office a également tenu à entendre les représentants des deux acteurs institutionnels ayant pour mission d'oeuvrer pour la transparence et la participation de la société civile : le Haut comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire (HCTISN) et l'ANCCLI.
Enfin, l'Office a jugé nécessaire d'apporter au débat l'éclairage des sciences humaines et sociales, en sollicitant la présence d'un historien du nucléaire.
M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office. - Je vais me livrer à la synthèse des propos tenus le 16 février dernier, exercice périlleux s'il en est.
Cette audition assez passionnante a permis d'identifier des opportunités liées à la réforme de l'organisation du contrôle et d'ouvrir un débat intellectuellement extrêmement intéressant, évidemment appelé à se poursuivre.
Le président de l'ASN, Bernard Doroszczuk, a d'ailleurs souligné que l'ouverture du débat est concomitante à la décision du Gouvernement de renforcer la filière nucléaire. Il a placé la réforme envisagée dans cette perspective.
De surcroît, il s'est exprimé avec force pour contester l'idée que celle-ci affaiblirait l'indispensable séparation entre la décision et l'expertise. De la même manière qu'on aime en France les jardins à la française et leurs perspectives ordonnées, on imaginait en effet assez bien la décision détenue par la seule ASN et l'expertise par le seul IRSN. Or, Bernard Doroszczuk nous rappelle que le dispositif actuel d'expertise est en réalité déjà pluriel.
Effectivement, l'ASN, dont l'effectif s'élève à plus de 400 salariés, dispose d'une expertise interne spécifique dans le secteur des équipements sous pression nucléaires. De plus, elle s'appuie sur six groupes permanents d'experts, lesquels sont amenés à émettre un avis sur les sujets les plus sensibles, avant la prise de décision par le collège.
La décision est du seul fait du collège de l'ASN, organe totalement séparé des services impliqués dans le processus d'expertise.
Bernard Doroszczuk considère que cette réforme n'entraînera aucune conséquence négative sur la transparence en matière de sûreté nucléaire. Il n'y a pas d'absorption de l'expertise par l'ASN. L'ASN et l'IRSN ont toujours travaillé ensemble et, par la suite, en étroite collaboration avec le réseau des commissions locales d'information (CLI), l'ANCCLI, le HCTISN ainsi que des associations environnementales.
Selon Bernard Doroszczuk, la communication avec le public et les échanges techniques avec l'ensemble des détenteurs de compétences techniques seraient en tout état de cause préservés, voire renforcés. Comme ceci a été évoqué lors de l'audition, nous voyons bien que le nucléaire appartient à de nombreux experts, tous aussi légitimes les uns que les autres - nous le constaterons avec l'intervention du directeur de la recherche d'EDF.
Enfin, lorsqu'il a été interrogé sur les avantages de la réorganisation envisagée par rapport à la situation actuelle, Bernard Doroszczuk a mis en avant la meilleure réactivité en situation de crise, permise par le rapprochement de la décision et de l'expertise au sein d'une même instance. Évidemment, c'est une hypothèse que nous avons envie d'écarter pour conjurer le mauvais sort, mais nous devons néanmoins l'envisager.
L'intervention de François Jacq, administrateur général du CEA, était pleine de prudence et de bon sens. Il a ainsi rappelé que la sûreté « vient de la connaissance acquise, des éléments de recherche qui permettent de fonder les évaluations. » Un aspect important, non évoqué lors de l'audition, est que la finesse des évaluations ne cessant de progresser, la satisfaction de la sûreté se présente comme une ligne à l'horizon, reculant chaque fois que nous avançons vers elle.
De fait, la recherche en sûreté ne peut exister sans l'apport de la recherche en physique, chimie, etc. Comme le rappelle François Jacq, celle-ci est réalisée, pour l'essentiel, dans les laboratoires universitaires, au CEA et au CNRS. En conséquence, le CEA souhaite contribuer à l'amélioration du système de contrôle de la sûreté, en assumant, dans une dynamique internationale, la mission de recherche qui lui est confiée en tant qu'établissement public - je crois que l'aspect international est fondamental en matière nucléaire.
Bernard Salha, directeur de la recherche et du développement d'EDF, a indiqué que son groupe souhaite que le dialogue technique puisse se développer avec une nouvelle autorité de contrôle disposant de moyens d'expertise propres et exerçant le rôle de maître d'ouvrage des recherches à mener en matière de sûreté nucléaire. Il semble donc indiquer préférer un interlocuteur unique.
Ces recherches menées par l'Autorité de sûreté seraient préférentiellement réalisées par le CEA, qui devra veiller à les séparer des activités de recherche et développement conduites pour le compte des exploitants - vous le savez, le CEA travaille pour lui-même, mais aussi pour différents donneurs d'ordre, en particulier EDF.
Bernard Salha a aussi souhaité qu'une nouvelle organisation permette de faire face aux nombreux travaux en cours ou à venir sur le parc électronucléaire existant, et intègre plus aisément les innovations, notamment en matière de règles et techniques de contrôle avancées. Ce sujet n'a pas été évoqué de façon plus précise lors de l'audition, mais des articles passionnants font état de progrès observés en matière d'évaluation des risques, d'évaluation de la résistance des matériaux et de tout autre type d'éléments susceptibles d'affecter le fonctionnement d'un réacteur. Personnellement, je considère que cet état de la recherche place la barre de la sûreté à un niveau qui doit intégrer la probabilité de survenance d'un événement. Dans tous les cas, il est évident que cette évolution est importante pour EDF, en tant qu'exploitant.
Laurence Gazagnes, directrice Sûreté, santé et sécurité d'Orano, a rappelé le principe fondamental de la responsabilité de l'exploitant - il faut le rappeler - en termes de sûreté et de radioprotection. L'exploitant doit donc être en ordre de marche pour assumer cette responsabilité, quel que soit le schéma retenu pour l'organisation du dispositif de contrôle mis en place par les pouvoirs publics. Assurément, c'est un rappel à l'ordre. On sent bien que les exploitants ont envie d'être présents et assument leur responsabilité, puisqu'ils peuvent créer les risques par leur métier même.
À côté de ces avis acceptant cette évolution, plusieurs intervenants ont formulé des points de vigilance, nombreux et défendus avec conviction, qu'appellerait la mise en oeuvre du projet de réforme. Ils ont même exprimé des interrogations, voire des inquiétudes, que je dois évoquer maintenant.
Tout d'abord, le directeur général de l'IRSN, Jean-Christophe Niel, a indiqué que l'appui technique à l'ASN ne représente que 25 % de l'activité de l'Institut. Sur les 1 700 salariés que compte celui-ci, environ 400 sont très directement liés aux travaux et missions de l'ASN. En effet, l'IRSN met ses compétences au service de très nombreuses autorités et opérateurs, notamment dans le domaine de la médecine. La réforme devra donc veiller à garantir la continuité du service qui leur est rendu. L'IRSN ne travaille pas que pour l'ASN, tant s'en faut.
Ensuite, Jean-Christophe Niel a insisté sur l'absolue nécessité de maintenir une séparation claire entre expertise et décision dans la nouvelle organisation, soulignant qu'une telle séparation est mise en oeuvre au sein de l'Autorité de sûreté américaine (United States Nuclear Regulatory Commission, ou NRC).
Il a jugé tout aussi indispensable de conserver le principe de la publication des avis techniques, actuellement inscrit dans la loi. Comprendre quelles obligations de publication incombent à l'IRSN et lesquelles relèvent de la compétence de l'ASN est également un sujet extrêmement sensible.
Par ailleurs, Jean-Christophe Niel a souligné la complexité d'une séparation des activités d'expertise et de recherche, qui sont parfois assumées par les mêmes personnes. Ceci est très clair et corrobore la déclaration de François Jacq, lorsque celui-ci a évoqué la sûreté des installations issues des recherches conduites dans différents domaines. Jean-Christophe Niel a également souligné la nécessité de veiller à ce que les crédits consacrés à la recherche en sûreté nucléaire et en radioprotection continuent d'être pilotés en soutien de l'expertise.
Enfin, il a fait part des inquiétudes des salariés de l'Institut - ceci me paraît légitime lorsqu'on évoque des changements de statut. Puis il a exprimé sa crainte que, dans un marché de l'emploi tendu, la réforme ne fasse peser sur le dispositif public de contrôle de la sûreté nucléaire le risque d'une perte de compétences, les salaires du secteur public étant inférieurs aux salaires du privé, en particulier ceux des exploitants.
S'appuyant sur l'histoire du nucléaire français, Michaël Mangeon, historien du nucléaire, s'est interrogé devant nous sur plusieurs autres risques susceptibles de découler du projet de réforme.
Premièrement, il est délicat de scinder recherche et expertise, car l'acquisition de connaissances dans un cadre propre à l'expert est facteur de sûreté. C'est une évidence évoquée par François Jacq, mais on ne peut pas basculer toute la recherche dans la sûreté et toute la sûreté dans la recherche. Les séparations sont toujours l'occasion de négociations pointilleuses.
Deuxièmement, la séparation entre expertise et décision ne doit pas être remise en cause. Il s'agit d'une bonne pratique internationalement reconnue, elle aussi gage de sûreté - je crois qu'il y a une large unanimité sur ce point.
Troisièmement, engager la filière dans un nouveau programme nucléaire, alors que le système de contrôle vit une transition majeure, peut placer les acteurs, exploitants comme autorité de sûreté, dans un cadre incertain. Si le Gouvernement souhaite aller vite, c'est peut-être pour dissiper les facteurs d'incertitude décelés par Michaël Mangeon.
Quatrièmement, celui-ci nous dit que s'il est insuffisamment justifié, le projet de réforme risque d'affaiblir la légitimité du système de sûreté auprès des citoyens.
C'est d'ailleurs ce qu'a laissé entendre mon ami et ancien collègue parlementaire Claude Birraux, ancien président de l'Office. Il a ainsi estimé que l'organisation prévue traduit « une méconnaissance grave de l'organisation de la sûreté, qui se nourrit de la confrontation entre l'expertise, la recherche et l'Autorité de sûreté nucléaire. »
À l'opposé, il considère que le système actuel « fonctionne bien, avec fluidité » et qu'en changer serait faire un retour de 30 ans en arrière - je me contente de rapporter son point de vue que je ne partage pas totalement, tant s'en faut : il y a trente ans, l'ASN n'existait pas. En conclusion, notre ancien président a appelé à ne pas rompre brutalement la confiance qui, au fil du temps, s'est nouée sur l'organisation actuelle.
De son côté, Jean-Claude Delalonde, président de l'ANCCLI, s'est interrogé sur le risque de « fermeture de l'accès aux informations pour la société civile » qui résulterait d'un transfert de la recherche en sûreté nucléaire au CEA. C'est un risque que l'on n'imagine pas dans une société de transparence, mais il a raison de l'évoquer.
Par ailleurs, Jean-Claude Delalonde a indiqué que « l'ANCCLI craint la fragilisation du socle d'une sûreté nucléaire de qualité, indépendante et robuste, qui est notre bien commun. » Soit dit en passant, l'avantage des discours de départ, c'est qu'on vous attribue les qualités qu'on vous avait toujours refusées lorsque vous étiez en activité.
Pour terminer, les questions posées dans la suite de l'audition ont montré que ces interrogations et inquiétudes, exprimées par les intervenants, étaient largement partagées par les parlementaires présents, membres ou non de l'Office, et par la quasi-totalité des internautes s'étant exprimés sur la plateforme informatique ouverte à cet effet, ce qui n'est pas habituel.
Bien que j'aie parfois traduit ces diverses interventions, je ne pense pas les avoir trahies.
Comme Claude Birraux, il considère que « l'ouverture de l'IRSN à la société civile est un axe majeur pour renforcer la cohésion des acteurs et co-construire les décisions ».
Enfin, il a posé ce que devrait être aux yeux de l'ANCCLI la méthode à suivre pour une éventuelle réforme : « Si une évolution doit se faire, elle doit se faire sereinement, en posant les arguments positifs et négatifs, et en examinant toutes les conséquences d'un changement et ceci sous le contrôle du Parlement. » Je ne peux qu'y souscrire.
M. Pierre Henriet, député, président de l'Office. - En ayant permis aux parties prenantes de s'exprimer publiquement, l'Office a assumé sa mission d'information du Parlement sur les conséquences des choix en matière scientifique et technologique. Peut-être même a-t-il contribué, ce faisant, à faire émerger plus clairement les trois grands principes qui doivent désormais guider la poursuite du projet.
Nous avons pu le constater dans le communiqué de presse publié le 23 février par le ministère de la Transition énergétique, qui a annoncé ces trois grands principes : d'abord, le maintien des compétences dans la future structure unifiée, ensuite la séparation - chère à Claude Birraux - entre les rôles exécutifs du contrôle et de l'expertise et les rôles de décision et de pilotage stratégique en particulier, et enfin les garanties sur l'information, la transparence et le dialogue technique avec la société.
Cette réforme suppose des ajustements législatifs, auxquels nous allons pouvoir contribuer dans le cadre des travaux qui débuteront cette semaine en commission à l'Assemblée nationale. Le Gouvernement prévoit de les proposer par amendement au projet de loi relatif à l'accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires, et nous pourrons les compléter. Pour information, au moins deux amendements ont d'ores et déjà été déposés : l'un relatif au statut des personnels de l'IRSN, l'autre aux missions de l'ASN.
Par ailleurs, nous estimons que la réforme ne peut pas faire l'économie de la plus grande transparence quant aux forces et faiblesses du système de contrôle actuel. Faute d'un diagnostic complet, rigoureux et rapidement rendu public, le risque est de faire apparaître ce projet au mieux comme un simple « meccano administratif », au pire comme un moyen de ne pas faire obstacle aux objectifs fixés à la filière pour le renouveau du programme électronucléaire national.
À la lumière de l'audition publique du 16 février dernier, nous soumettons à votre examen cinq recommandations.
En premier lieu, l'Office prend acte des grands principes énoncés dans le communiqué du 23 février 2023. Nous considérons que ces principes répondent de façon appropriée à diverses interrogations et inquiétudes exprimées, à juste titre, lors de l'audition publique. Ainsi, l'Office souhaite que les ajustements juridiques nécessaires à la mise en oeuvre du projet de réforme se conforment rigoureusement aux trois principes précités, notamment pour garantir l'autonomie de l'expertise par rapport à la décision - à l'image de ce qui existe à la NRC, comme l'a évoqué le directeur général de l'IRSN. L'Office propose donc qu'un contrôle du Parlement, en particulier de l'Office, soit effectif lors de la mise en place de la réforme.
En deuxième lieu, l'Office estime que, puisque le projet de réforme vise à mettre en place un système de contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection intégrant l'expertise, celui-ci doit être organisé en tirant tous les enseignements possibles des systèmes intégrés étrangers et en retenant les meilleures pratiques disponibles.
En troisième lieu, l'Office attire l'attention sur la nécessité de ne pas dégrader le fonctionnement du système de contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection pendant la phase de transition entre le dispositif actuel et le dispositif annoncé. Nous estimons que le maintien en bloc des compétences en matière de recherche et d'expertise au sein de la future autorité de sûreté, plutôt que leur dispersion, est susceptible de contribuer à cet objectif - je pense que cet avis a véritablement été partagé par l'ensemble des personnes consultées.
En quatrième lieu, l'Office considère que l'intégration dans l'ASN des compétences d'expertise présentes au sein de l'IRSN ne doit pas conduire à créer, au profit de l'autorité de sûreté, un monopole de l'expertise nucléaire. Les pouvoirs publics et l'ASN, dans le respect du principe d'indépendance applicable à cette dernière, doivent ainsi veiller à développer dans d'autres organismes, y compris non institutionnels, les compétences nécessaires au fonctionnement d'un système de contrôle ouvert et transparent - parmi les organismes non institutionnels, je pense en particulier à la société civile et aux acteurs que nous avons pu interroger.
En dernier lieu, l'Office estime indispensable qu'une telle réforme soit aussi l'occasion de s'inscrire dans une vision plus large et permette d'anticiper les évolutions futures, notamment celle d'un monde où les acteurs de la filière nucléaire deviendraient plus nombreux et diversifiés qu'aujourd'hui, ainsi que celle d'un accroissement de la complexité du contrôle qui nécessiterait une parfaite coordination.
Je vous propose d'échanger prioritairement sur la formulation des recommandations, sachant que celles-ci auront une importance particulière dans le cadre des débats qui auront prochainement lieu, en particulier à l'Assemblée nationale. Comme l'a indiqué Gérard Longuet, la restitution des conclusions vise à traduire l'essentiel des réflexions échangées lors de l'audition. Elle n'a pas pour vocation l'exhaustivité, ce qui explique pourquoi nous nous sommes contentés de proposer cinq recommandations : cela permet à la fois une transparence, mais aussi une synthèse de ce débat très complexe.
M. Gérard Leseul, député, vice-président de l'Office. - Tout d'abord, peut-être faut-il tempérer le paragraphe portant sur l'audition d'EDF. En effet, je n'ai pas souvenir que Monsieur Salha ait indiqué souhaiter que le dialogue puisse se développer avec une nouvelle autorité. Certes, il a dit que le dialogue devait se poursuivre, éventuellement avec une nouvelle autorité, mais je n'ai pas eu le sentiment qu'il appelait de ses voeux une nouvelle autorité. C'était le premier point, mais je n'insisterai pas particulièrement dessus afin d'aborder les recommandations.
J'aimerais avant cela revenir au paragraphe qui dit que « Les questions posées dans la suite de l'audition ont montré que ces interrogations et inquiétudes exprimées par les intervenants étaient assez largement partagées par les parlementaires présents, [...]. » Pour ma part, j'ai le sentiment qu'elles étaient largement partagées par les parlementaires présents, et donc qu'on peut enlever le mot « assez ». Nous avons exprimé presque plus d'interrogations et d'inquiétudes que les personnes auditionnées.
M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office. - Ne pas être préoccupé serait irresponsable.
M. Gérard Leseul, député, vice-président de l'Office. - J'en viens aux conclusions et recommandations.
Un point a été omis dans les observations : la pertinence du choix du véhicule de l'amendement. Je pense qu'il faudrait mentionner précisément dans la note les deux amendements évoqués. J'estime nécessaire de dire que le choix du véhicule de l'amendement n'apparaît ni judicieux ni propre à rassurer le Parlement. Cela a été exprimé à de nombreuses reprises, y compris par notre collègue sénatrice Angèle Préville.
À plusieurs reprises, vous avez parlé de diagnostic. Vous avez bien fait, mais je pense qu'il faut parler d'un diagnostic préalable. D'ailleurs, c'est aussi ce qu'avancent l'ANCCLI et Claude Birraux, ancien président de l'Office : nous avons besoin des éléments préalables à la compréhension et à la prise de décision, dans le cadre d'une discussion parlementaire. Là encore - je me fais aussi le porte-parole de collègues -, le choix des amendements ne nous apparaît pas judicieux.
Dans tous les cas, nous avons posé de nombreuses questions, mais nous n'avons pas recueilli suffisamment d'informations fermes et tangibles pour que l'on puisse se dire : « Oui, ils ont raison. » À tout le moins, je n'en ai pas recueilli suffisamment. Par conséquent, nous avons besoin d'en discuter davantage et d'obtenir ce fameux diagnostic préalable à la décision, dont la finalité serait de présenter la plus-value attendue d'une telle réforme, les dysfonctionnements actuels et ce qui a achoppé, non pas depuis 30 ans mais depuis la création de l'ASN voici 15 ans. Bref, nous devons être suffisamment éclairés sur les raisons qui amènent à prendre une telle décision de fusion.
Je ne suis pas opposé fondamentalement à la fusion, bien que plutôt attaché aux organisations duales car elles permettent les autocontrôles. Cependant, j'ai pris part à des auditions internes, notamment avec les représentants de l'ASN qui ont fait valoir qu'ils menaient cette réflexion depuis quelque temps. Ainsi, il ne faut pas être fermé à ces questions-là. Simplement, il faut être suffisamment éclairé sur ce que cette réforme pourrait amener comme améliorations. À cette fin, il faut encore faire le constat de ce qui dysfonctionne aujourd'hui. Or, je n'ai pas connaissance de dysfonctionnement majeur, donc j'ai du mal à apprécier la plus-value.
Nous pouvons donc à la fois discuter de l'objectif, mais aussi du véhicule, qui aujourd'hui n'est pas adapté. Comme l'a rappelé notre collègue sénatrice, le projet de loi a été voté en première lecture au Sénat sans qu'il n'y ait eu de discussion sur le sujet qui nous occupe. D'ailleurs, nous le savons tous bien : un amendement ou une proposition de loi évitent l'étude d'impact et l'examen par le Conseil d'État, ce qui réduit l'éclairage du Parlement sur les fondements mêmes de la réforme.
Pour conclure, je n'ai pas voulu détricoter le texte des recommandations. J'ai vu que c'est leur septième version qui nous est soumise, donc je vous remercie d'avoir pris le temps de ciseler leur formulation. Simplement, j'ai essayé de ciseler un peu plus, avec quelques adjectifs ou suppressions qui permettraient de rendre consensuel ce texte.
M. Pierre Henriet, député, président de l'Office. - Je prends note de vos propositions de modifications et suggère de faire un récapitulatif, en fin de réunion, de l'ensemble des corrections que nous pourrons apporter au texte des conclusions. Encore une fois, l'objectif que nous partageons tous est d'éclairer suffisamment nos collègues pour les débats qui vont suivre.
Du reste, je pense que des éclaircissements seront encore apportés lorsque le projet de loi reviendra devant le Sénat. En tout cas, je considère que ceci est souhaitable au vu du manque d'information, notamment d'étude d'impact.
D'ailleurs, c'est pour cela que nous avons souhaité, dès la publication du communiqué du ministère, que l'Office joue pleinement son rôle d'information du Parlement.
Pour autant, je rappelle que l'OPECST doit se focaliser sur les aspects scientifiques et technologiques de cette réforme et s'attacher à faire des recommandations de nature à traduire nos inquiétudes et à expliciter les garanties que nous souhaitons dans le cadre de la réforme annoncée.
M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office. - Le Sénat a demandé, et semble-t-il obtenu la possibilité d'examiner, avant la commission mixte paritaire (CMP) le texte qui sera adopté par l'Assemblée. Nous allons donc pouvoir en parler, ce qui donnera un peu plus d'importance au Parlement, importance à laquelle je suis très attaché. Ceci dit, malgré le caractère un peu expéditif de la réforme - je suis assez d'accord -, n'oublions pas que l'amendement Wallon a fait la République. Certains amendements sont constructeurs.
Je vais revenir sur le fond, mais il est vrai que nous pouvons peaufiner, notamment faire disparaître le « assez ». De plus, on ne voit pas assez la phase de réflexion, étant entendu qu'on ouvre la porte au changement, mais que le dispositif sera connu ultérieurement.
J'aimerais m'arrêter sur la troisième recommandation. Elle est essentielle, parce qu'elle souhaite le maintien en bloc des compétences en matière de recherche et d'expertise au sein de la future autorité de sûreté, plutôt que leur dispersion. Ce choix est extrêmement important et correspond assez bien à l'état d'esprit de l'IRSN, c'est-à-dire rassembler des compétences sans les disperser, ce qui pourrait être la tentation d'autres organismes.
Inversement, je découvre un certain nombre de choses. En particulier que l'ASN a embauché 200 personnes pour un unique motif - je ne sais plus s'il s'agissait de la corrosion des soudures ou des couvercles des cuves de réacteurs. Ce n'est pas rien. L'ASN a ainsi engagé une révolution importante en recrutant elle-même des experts qu'on aurait imaginé être recrutés par l'IRSN.
Au fond, le Gouvernement nous dit que ces deux structures ont coexisté. Pour certains, ce fut avec une complicité totale. Par exemple, EDF affirme qu'il s'agit d'une machine complètement solidaire. D'autres disent le contraire : lorsque l'un avance, l'autre recrute à son tour pour exister et ne pas prendre de retard.
Par conséquent, l'idée de réfléchir à donner un peu de cohérence ne me paraît pas absurde, puisqu'on relance le nucléaire - tant qu'on ne le relançait pas, ce n'était pas trop grave -, surtout si nous suivons les recommandations proposées.
Mme Christine Arrighi, députée. - D'abord, je me réjouis que l'Office ait pris la décision d'organiser, dans les plus brefs délais, une audition publique. Celle-ci a contribué à éclairer le débat et l'on sait que ce qui manque beaucoup en matière nucléaire - que l'on soit pour ou contre - c'est le débat. En effet, cette loi en cours de discussion n'aura pas été précédée d'un débat sur ce que l'on souhaite en matière d'énergie ; le débat aura lieu une fois que toutes les décisions auront été prises.
Pour ma part, je suis frappée par plusieurs choses, dont l'évolution de la formulation entre les différents communiqués de presse publiés par le Gouvernement. Ainsi, celui du 8 février parle de manière très affirmative : « Dans ce cadre, il a été décidé que les compétences techniques, [...]. Cette évolution conduira à renforcer [...] », comme si tout était fait et décidé. Le communiqué du 23 février nuance largement celui du 8, puisqu'on nous indique la prochaine ouverture d'une organisation avec un élargissement des missions de l'ASN, tout en maintenant l'IRSN et en engageant une réflexion sur ses différentes missions.
Pour tout vous dire, je ne comprends plus vraiment ce que veut faire le Gouvernement ; à tout le moins, les amendements qu'il va déposer. En effet, il était question d'une quasi-fusion-absorption dans un premier temps - ce sont d'ailleurs les termes utilisés par la troisième recommandation. Alors que dans le communiqué du 23 février, il est question d'un élargissement des missions de l'ASN, avec le maintien des conditions de travail et de rémunération de l'ensemble des personnels concernés. On ne sait pas si on fait allusion aux personnels de l'ASN ou à ceux de l'IRSN qui partiraient pour partie vers l'ASN. On ne sait pas non plus quelles missions de l'IRSN seraient transférées.
Enfin, dans la mesure où les conclusions sont formulées après l'audition, mais également après le second communiqué de presse du Gouvernement, dont on doit tenir compte, j'aimerais apporter quelques précisions sur les troisième et quatrième recommandations, qui me semblent un peu en contradiction, et à tout le moins pas assez explicites.
Ainsi, la troisième recommandation nous explique que « L'Office attire l'attention sur la nécessité de ne pas dégrader le fonctionnement du système de contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection pendant la phase de transition [...]. » On retrouve d'ailleurs cette même mise en garde dans la première recommandation, insistant sur le risque que cela puisse paraître comme un « meccano administratif ».
Ensuite, on arrive à l'endroit où la phrase ne me paraît pas claire : « [...] ; il estime que le maintien en bloc des compétences en matière de recherche et d'expertise au sein de la future autorité de sûreté [donc une fois que les deux structures seront absorbées] - plutôt que la dispersion, est susceptible de contribuer à cet objectif. », ce qui donne l'impression que l'Office exprime un avis favorable à cette fusion.
M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office. - Ceci signifie que l'Office est favorable au maintien en bloc des compétences de recherche et d'expertise.
Mme Christine Arrighi, députée. - De mon point de vue, ce n'est pas clairement exprimé.
M. Pierre Henriet, député, président de l'Office. - Quoi qu'il en soit, il s'agit du sens même de nos recommandations.
Mme Christine Arrighi, députée. - Néanmoins, on parle bien d'un maintien en bloc après le rapprochement des deux structures.
M. Jean-Luc Fugit, député, vice-président de l'Office. - Pour le cas où cela se ferait.
M. Pierre Henriet, député, président de l'Office. - Effectivement, cette proposition est en quelque sorte conditionnelle.
M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office. - Simplement, il faut que le rapprochement des deux structures n'entraîne pas une dispersion de l'IRSN.
Mme Christine Arrighi, députée. - Encore une fois, ce n'est pas suffisamment bien exprimé dans la recommandation. Il faut clairement dire que s'il devait y avoir une fusion, il faudrait maintenir les blocs IRSN et ASN sous un même chapeau, même si leurs dénominations ne seraient plus les mêmes. En réalité, cela nous donne à penser qu'il s'agirait d'un « meccano administratif » qui ne changerait rien à la situation telle qu'elle est aujourd'hui.
Dans la quatrième recommandation, « l'Office considère que l'intégration dans l'ASN des compétences d'expertise présentes au sein de l'IRSN ne doit pas conduire à créer au profit de l'Autorité de sûreté un monopole de l'expertise nucléaire [...]. », ce qui est en contradiction avec la troisième recommandation qui demande le maintien en bloc. On ne sait donc plus trop ce que pense l'OPECST.
M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office. - Nous avons clairement dit qu'il fallait mobiliser d'autres instances.
M. Jean-Luc Fugit, député, vice-président de l'Office. - On trouve ceci dans la suite de la quatrième recommandation.
Mme Christine Arrighi, députée. - Effectivement, mais ce n'est pas clair.
De surcroît, le communiqué de presse du Gouvernement nous a été envoyé entre-temps. Il dit qu'une partie seulement de l'IRSN sera transférée vers l'ASN, puisqu'on va ouvrir et élargir les missions de l'ASN. Dans ce cas, que restera-t-il de l'IRSN, sachant qu'il en resterait une partie hors ASN ? Nous ne comprenons pas bien.
En tout état de cause, toutes ces questions ne font que renforcer l'idée que cette réforme est largement prématurée et que nous ne sommes pas suffisamment éclairés.
À l'issue de tout cela, les propos que j'avais tenus lors de la précédente réunion, également exprimés par l'ANCCLI, se confirment : on peut être défavorable ou favorable à cette réforme, mais nous ne disposons pas aujourd'hui des éléments pour trancher. À l'issue du rapport de l'Office et du nouveau communiqué de presse du Gouvernement, le Parlement ne sera pas suffisamment informé pour prendre une décision éclairée sur ce sujet majeur.
D'ailleurs, ceci est exprimé très fermement dans le premier paragraphe du point C, où il est écrit que « la réforme ne peut pas faire l'économie de la plus grande transparence quant aux forces et faiblesses du système de contrôle actuel, ce dont nous ne disposons pas, puis que faute d'un diagnostic complet, rigoureux et rapidement rendu public - et d'une étude d'impact également, puisqu'au bout du compte, nous n'en disposons pas en tant que parlementaires -, le risque est de faire apparaître ce projet au mieux comme un simple “meccano administratif”, au pire comme un moyen de ne pas faire obstacle aux objectifs fixés à la filière [...]. » Tout est dit.
M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office. - Je pense qu'il ne faut pas confondre les compétences d'expertise et la fonction d'autorité exercée par l'Autorité de sûreté nucléaire. Il est utile et important de disposer d'une autorité de sûreté, c'est-à-dire un organisme indépendant et exprimant une conviction à partir de l'engagement de son collège.
Aujourd'hui, il est proposé que l'engagement de ce collège se nourrisse aussi de l'IRSN. Il faut donc être très clair : à partir du moment où l'IRSN rejoint l'ASN, l'IRSN est sous l'autorité du collège. Évidemment, cela change ses règles de fonctionnement.
Aujourd'hui, l'IRSN est un établissement public placé sous l'autorité d'un directeur général nommé par le Gouvernement. C'est un système quelque peu équivoque, parce que l'Institut emploie des experts qui, à juste titre, considèrent qu'ils sont d'abord des experts. Or, comme le directeur général est nommé par le Gouvernement, il devient une forme d'autorité et entre par là même en concurrence, qu'il le veuille ou non, avec l'autorité collégiale que la loi a voulu organiser avec l'ASN. C'est ce qui fonde la cinquième recommandation : le Gouvernement propose qu'il n'y ait qu'une seule autorité, parce qu'il n'y a qu'un seul collège, et parce qu'il y a une inquiétude, elle se voie attribuer aujourd'hui les moyens d'expertise de l'IRSN. Ces moyens d'expertise existeront de manière privée - travaux et recherches à la demande du collège - et ils n'existeront de manière publique qu'à partir du moment où le collège reprendra leurs observations.
Des expertises, comme le disait François Jacq, il y en a partout : l'expertise du CEA, puisque la recherche appuie la sûreté, mais aussi celle d'EDF, gestionnaire des réacteurs depuis cinquante ans, ce qui n'est pas négligeable. Les équipementiers travaillant sur les soudures connaissent admirablement la métallurgie, domaine essentiel dans le nucléaire - je crois d'ailleurs que Bernard Doroszczuk lui-même vient de la métallurgie. Les expertises sont donc multiples.
En outre, on parle beaucoup des nouveaux réacteurs à neutrons rapides, on dit que c'est formidable, parce qu'on va pouvoir utiliser un uranium faiblement enrichi et des déchets d'uranium. Mais pour l'instant ils n'existent pas. Il y aura donc une expertise privée internationale, américaine ou française qui se développera sur ces techniques. Puis un jour, il faudra une autorité pour contrôler la sûreté de ces réacteurs, et il ne peut y en avoir qu'une, le collège. Puisque des chercheurs sont mus par l'idée de service public, de radioprotection et par le souhait de se mettre à disposition des pouvoirs publics, il est normal qu'ils rejoignent l'ASN. Toutefois, ils ne seront pas les seuls, donc ils seront en débat. Ainsi, l'ASN disposera de son personnel et devra le gérer, et certes, vous avez raison, je n'exclus pas que des équipes rejoignent le CEA ou un exploitant à un horizon de cinq ou dix ans.
Cependant, ce qui est proposé aujourd'hui est un collège qui assume la fonction d'autorité, en s'appuyant sur toutes les expertises, dont la sienne. Je dis bien « dont la sienne », puisque l'ASN devra s'appuyer sur des expertises externes dans certains cas. Par exemple, nous n'avons plus d'expérience en matière d'exploitation des réacteurs à neutrons rapides en France. Il faudra donc bien que l'ASN se retourne vers des personnes qui s'y connaissent, car elle ne trouvera pas cette expertise au sein de ses équipes.
Enfin, en tant que pouvoirs publics et parlementaires, nous avons besoin que nos compatriotes soient rassurés. Donc il faut une autorité, alors que des experts, il y en a beaucoup et que leurs avis divergent - nous l'avons vu dans le domaine de la santé.
Mme Christine Arrighi, députée. - Douter fait la noblesse de la recherche.
M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office. - Je suis entièrement d'accord, mais si l'on veut établir la confiance vis-à-vis des pouvoirs publics, il faut dire avec calme et force ce dont on est sûr : c'est le rôle d'un collège. En revanche, je trouve que le collège de l'ASN est un peu réduit.
M. Pierre Henriet, député, président de l'Office. - Quand je disais que l'on peut exprimer un doute et que les avis divergent, ceci concernait l'expertise et la recherche. Pour bien accompagner la décision indépendante d'une autorité, quelle qu'elle soit, il faut qu'elle prenne en compte l'ensemble de ces dispositifs et soit libre de sa décision.
M. Jean-Luc Fugit, député, vice-président de l'Office. - L'ASN est libre de sa décision.
M. Pierre Henriet, député, président de l'Office. - Complètement, puisqu'elle est une autorité indépendante.
M. Jean-Luc Fugit, député, vice-président de l'Office. - Une petite chose me gêne : nous sommes dans le cadre de l'OPECST, pour rendre compte d'une audition durant laquelle nous avons entendu un certain nombre de choses. Aussi, j'estime que les conclusions de l'audition ne doivent pas être modifiées au regard d'un communiqué publié par la suite, parce que nous allons devoir nous prononcer sur le document qui nous est présenté, reflet de ce que nous avons entendu ce jour-là.
Ma seule remarque est que j'aurais été particulièrement choqué si l'on avait proposé de placer les équipes de l'ASN sous l'autorité de l'IRSN. Contrairement à l'ASN, celui-ci n'est pas indépendant du pouvoir. Aujourd'hui, j'ai compris qu'on allait renforcer l'expertise de l'ASN avec des experts de l'IRSN et que ce projet soulève des interrogations. Je le vois en fait comme le début d'un processus qui va être assez long à mettre en place plutôt que comme un point d'arrivée.
Je ne sais pas où mettre la limite à la discussion d'aujourd'hui, sachant qu'elle doit surtout être basée sur ce qu'ont dit les différents acteurs de l'audition publique, avec leurs sensibilités. D'ailleurs, ils n'ont pas tous dit être fondamentalement opposés au projet de réforme. Comme avec Gérard Leseul, certains membres de l'ASN ou de l'IRSN m'ont dit que ce sont des évolutions auxquelles ils réfléchissaient déjà. De notre côté, nous devons nous contenter de rendre compte de ce que nous avons entendu le jour de l'audition.
Mme Christine Arrighi, députée. - Ne proposons-nous pas aussi des recommandations ?
M. Pierre Henriet, député, président de l'Office. - Effectivement, mais des recommandations circonscrites au rôle de l'Office, comme l'a dit Jean-Luc Fugit.
Pour que nous tombions d'accord sur les objectifs des recommandations, je souhaite revenir à la troisième recommandation : « il estime que le maintien en bloc des compétences en matière de recherche et d'expertise au sein de la future autorité - c'est-à-dire l'absorption de l'IRSN par l'ASN -, plutôt que leur dispersion, est susceptible de contribuer à cet objectif. » Nous souhaitons bien ce maintien en bloc, c'est-à-dire une distinction au sein de la nouvelle structure, au cas où cette réforme serait mise en oeuvre, afin d'identifier au sein de l'ASN une fonction d'expertise et de recherche dans un bloc dédié, permettant d'alimenter la décision.
Nous pouvons peut-être le formuler un peu différemment, mais notre objectif est de garantir au sein de l'Autorité de sûreté nucléaire une activité d'expertise et de recherche. À moins que quelqu'un y soit opposé, c'est quelque chose qu'il me semble important de traduire.
Mme Christine Arrighi, députée. - Je ne vois pas la différence avec ce qui se passe aujourd'hui. En tout état de cause, c'est en contradiction avec ce qui est écrit dans le communiqué de presse du 23 février, mais cela me va très bien.
M. Pierre Henriet, député, président de l'Office. - On peut y voir une forme de contradiction avec le communiqué du 23 février. D'ailleurs, je pense que des propositions d'amendements, déposées par les membres de l'OPECST ou d'autres, iront dans le sens de la recommandation. Si nous adoptons celle-ci, l'objectif sera de la défendre ensuite en commission et en séance publique. Cela me semble normal, au vu de nos missions.
Mme Angèle Préville, sénatrice, vice-présidente de l'Office. - Je voulais justement revenir sur la formulation des recommandations. Puisque nous avons été nombreux à dire qu'un diagnostic complet et rigoureux de l'état actuel de la sûreté était nécessaire, je ne comprends pas pourquoi nous ne le faisons pas apparaître en première recommandation. Cela me paraîtrait essentiel.
M. Pierre Henriet, député, président de l'Office. - Je pense qu'il est préférable d'introduire nos recommandations par les trois grands principes généraux.
Mme Angèle Préville, sénatrice, vice-présidente de l'Office. - Sauf que c'est en lien avec le communiqué de presse qui vient après, alors qu'il s'agit de nos recommandations, suite à notre audition.
M. Pierre Henriet, député, président de l'Office. - C'est vrai, nous pouvons supprimer la mention au communiqué de presse du 23 février. Ceci va dans le sens des conclusions, comme le disait Jean-Luc Fugit.
M. Jean-Luc Fugit, député, vice-président de l'Office. - En effet, cela me gênait de faire référence au communiqué du 23 février, puisque nous sommes censés rendre compte d'une audition ayant eu lieu avant.
M. Pierre Henriet, député, président de l'Office. - Je vous propose d'indiquer que l'Office prend acte de trois grands principes puis de citer ces derniers, mais de supprimer la référence au communiqué du 23 février. Cela évitera tout malentendu et de nommer ce communiqué qui est venu après l'audition.
Cela dit, nous nous retrouvons aujourd'hui pour discuter après le 23 février, donc nous ne pouvons pas non plus faire fi de ce communiqué de presse. D'ailleurs, en tant que parlementaires totalement libres et indépendants, nous pouvons dire que l'audition de l'Office s'est avérée plutôt positive, en ceci que nous avons pu constater la réaction qui a suivi et la prise en compte de notre audition.
M. Jean-Luc Fugit, député, vice-président de l'Office. - En effet, le communiqué du Gouvernement fait état des échanges avec les parlementaires.
M. Pierre Henriet, député, président de l'Office. - Encore une fois, cela montre la force que nous avons aujourd'hui et que nous aurons. Je propose la formulation suivante : « L'Office prend acte de trois grands principes : maintien des compétences dans la future structure unifiée, séparation entre les rôles exécutifs du contrôle et de l'expertise et les rôles de décision et de pilotage stratégique, et les garanties sur l'information, la transparence et le dialogue avec la société. » Je pense que nous avons traduit cette idée dans notre première recommandation, ce qui permet de clarifier les choses.
Mme Angèle Préville, sénatrice, vice-présidente de l'Office. - La demande de diagnostic de l'état actuel de la sûreté et de son fonctionnement est également importante. En effet, nous ne savons pas comment les salariés de l'IRSN seront traités et comment ils vont s'intégrer dans cette nouvelle structure, donc il faut savoir ce qui ne fonctionnait pas. Si l'on fait cette réforme, c'est qu'il y a une raison : laquelle ?
M. Pierre Henriet, député, président de l'Office. - À mon sens, c'est là où nous sortons de notre rôle d'expertise scientifique et technologique...
Mme Angèle Préville, sénatrice, vice-présidente de l'Office. - Le but est que l'on sache si le système actuel est efficace ou pas.
M. Pierre Henriet, député, président de l'Office. - Nous l'évoquons dès la première recommandation, où il est dit que l'Office « propose qu'un contrôle du Parlement, en particulier de l'Office, soit effectif lors de la mise en place de la réforme. » Ceci ouvre la voie à des garanties à la fois sur les diagnostics et sur la mise en place de cette réforme.
Mme Christine Arrighi, députée. - Il faut que la phrase que j'ai lue tout à l'heure apparaisse dès la première recommandation : « Il estime que la réforme ne peut pas faire l'économie de la plus grande transparence quant aux forces et aux faiblesses du système de contrôle actuel. Faute d'un diagnostic préalable complet, rigoureux et rapidement rendu public, [...]. » Nous pouvons commencer par dire que l'Office prend acte de trois principes, les énoncer et recopier ce paragraphe après avoir écrit « À la lumière de ces trois grands principes [...]. »
M. Pierre Henriet, député, président de l'Office. - « L'Office estime que la réforme ne peut pas faire l'économie de la plus grande transparence quant aux forces et aux faiblesses du système de contrôle actuel. » Est-ce bien cela ?
Mme Christine Arrighi, députée. - Toute la phrase, donc jusqu'à « [...] programme électronucléaire national ».
M. Pierre Henriet, député, président de l'Office. - Je vois. Je pense qu'on peut s'arrêter là, parce qu'il faut aussi regarder la suite de la première recommandation : « Il considère que ces principes répondent de façon appropriée à diverses interrogations et inquiétudes [...]. » Cela revient à ce que l'on disait avant dans les conclusions.
Surtout, il faut que la première recommandation insiste sur la garantie d'autonomie d'expertise et sur le fait qu'on propose un contrôle du Parlement, en particulier de l'Office. Je pense que c'est fondamental.
Mme Christine Arrighi, députée. - Justement, c'est complètement lié. Il faut écrire que « L'Office prend acte des trois grands principes que sont [...]. À la lumière de ces principes, l'Office estime que la réforme ne peut pas faire l'économie [...]. », jusqu'à « programme électronucléaire national ». Puis : « L'Office souhaite que les ajustements juridiques nécessaires à la mise en oeuvre du projet de réforme se conforment rigoureusement [...]. » Du coup, il est extrêmement logique que nous énoncions les principes et le fait que nous n'avons pas de diagnostic, et qu'ensuite nous donnions l'orientation.
M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office. - Je suis assez favorable à cette exigence d'un diagnostic préalable. En effet, il y a des problèmes inhérents à l'ASN que nous n'avons pas évoqués jusqu'à maintenant : l'ASN est à fois un organisme normatif fixant des règles et un organisme quasi juridictionnel décidant si oui ou non on a respecté ces règles, ce qui est un peu contradictoire, car le collège devrait normalement juger des règles fixées par un tiers. Je ne vais pas régler ce problème à cet instant, mais quand nous allons ouvrir le tiroir, nous allons nous apercevoir qu'il y a beaucoup de désordre.
Mme Christine Arrighi, députée. - Le Gouvernement s'en rend compte, puisqu'il indique « avancer en parallèle sur la définition précise des modalités de mise en oeuvre de la réforme. Parmi elles, [...] les évolutions réglementaires à prévoir, ainsi que les conditions de transfert et de recrutement des personnels. »
M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office. - Plus le rôle des expertises extérieures, parce que celles-ci sont indispensables.
Mme Christine Arrighi, députée. - Évidemment, mais ils ont ouvert une boîte et ils se rendent compte que tout ceci est très compliqué...
M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office. - Certes, mais il est bien de l'ouvrir. De toute façon, il fallait le faire.
Mme Christine Arrighi, députée. - Très bien, mais s'ils avaient fait une étude avant...
M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office. - Ils voudraient ouvrir la boîte et la refermer. De notre côté, nous voulons l'ouvrir, mais on la refermera quand elle sera rangée.
M. Jean-Luc Fugit, député, vice-président de l'Office. - C'est pour cela que je vois ce travail de 12 à 18 mois comme un point de départ. Cette réorganisation potentielle n'aboutira vraiment que d'ici un an et demi.
M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office. - Exactement. De plus on « déplace » tout l'IRSN. Assez logiquement, on s'apercevra que certains chercheurs de l'IRSN préfèrent aller ailleurs.
M. Jean-Luc Fugit, député, vice-président de l'Office. - Je souhaiterais proposer l'ajout d'un mot à la troisième recommandation. Au lieu d'écrire : « Il estime que le maintien en bloc des compétences en matière de recherche et d'expertise au sein de la future autorité [...]. », nous pourrions simplement écrire « au sein de la possible future autorité. » Après tout, nous ne savons pas ce qui va arriver.
M. Pierre Henriet, député, président de l'Office. - Oui, il vaut mieux parler au conditionnel.
Mme Christine Arrighi, députée. - De « l'éventuelle ».
M. Jean-Luc Fugit, député, vice-président de l'Office. - « Éventuelle » est encore mieux.
M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office. - « Éventuelle » est plus élégant.
M. Gérard Leseul, député, vice-président de l'Office. - Et il ne faudrait pas parler d'absorption.
M. Jean-Luc Fugit, député, vice-président de l'Office. - « Possible » ou « éventuelle », peu importe le mot qui sera choisi, mais il faut nuancer. D'ailleurs, pourquoi évoquer une absorption ?
M. Pierre Henriet, député, président de l'Office. - Je vous propose d'écrire : « Il estime que le maintien en bloc des compétences en matière de recherche et d'expertise est susceptible de contribuer à cet objectif. », en mettant la mention « au sein de l'autorité de sûreté dans sa possible configuration ». Cela simplifie et clarifie, suivant le souhait de Christine Arrighi.
M. Jean-Luc Fugit, député, vice-président de l'Office. - Il faudrait aussi employer le conditionnel.
Mme Olga Givernet, députée. - Si j'ai bien compris, la proposition de modification de la première recommandation consisterait à y incorporer : « L'Office estime que la réforme [...]. » Est-ce bien cela ?
M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office. - Oui, c'est cela.
Mme Olga Givernet, députée. - Concernant la sûreté nucléaire, je pense qu'il faudrait que nous tombions d'accord sur le fait que nous avons besoin d'une sûreté nucléaire en action plutôt qu'en réaction, c'est-à-dire une sûreté nucléaire en accompagnement. Certains blocages survenus par le passé ne correspondent pas à un accompagnement satisfaisant de la sûreté nucléaire, comme ce serait souhaitable. Nous l'avons vu lors de certains projets, ce qui sape un peu plus la confiance des citoyens sur notre capacité à assurer une sûreté nucléaire.
Dans ce cadre, j'en viens à la cinquième recommandation, qui demande justement une vision plus large et une anticipation, au regard de ce qui pourrait être attendu de la sûreté nucléaire, pour assurer que les moyens nécessaires à la recherche et au développement soient bien mis en place. À cet égard, j'ai déposé dans le cadre du projet de loi un amendement venant appuyer notre outil d'expérimentation et de recherche sous irradiation, le réacteur Jules Horowitz (RJH). Il faudrait montrer que la volonté de consolider notre système de sûreté nucléaire au travers de cette réforme, intègre la volonté un peu plus large de consolider les outils de recherche de manière souveraine, car tant que nous ne disposons pas de ce réacteur nous restons dépendants d'infrastructures situées en dehors de nos frontières, notamment en Russie.
Je ne sais pas si la cinquième recommandation est suffisamment précise à cet égard. Quoi qu'il en soit, il faudrait au moins montrer que la sûreté nucléaire est présente tout au long des projets et ne s'exerce pas simplement comme un couperet en milieu ou en fin de projet.
M. Philippe Berta, député. - Je connais l'IRSN par l'une de ses principales composantes de recherche, la biologie. Ce sont des biologistes avant tout. Ma vision de l'IRSN, c'est qu'en tant que prestataire de services, il a affaire à des clients, dont l'ASN n'est qu'un parmi d'autres. En effet, l'ASN ne représente que 25 % de l'activité de l'Institut. Dans le cadre d'une future intégration, il faut donc aussi réfléchir à la façon de gérer une autorité administrative indépendante exerçant une activité commerciale.
Par ailleurs, ce projet est une belle occasion de se reposer la question du millefeuille administratif, étant donné que l'idée est de faire émerger une structure renforcée, encore plus rassurante pour la population. Des acteurs en sécurité nucléaire, il y en a d'autres. Le millefeuille est partout dans le pays, y compris dans les activités liées à l'étude des effets biologiques des rayonnements, qu'il soit question de végétal, d'humain ou d'animal.
Par exemple, je connais quelques laboratoires de la direction des sciences du vivant (DSV) du CEA : ils font exactement le même métier que l'IRSN. Comme lui, ils étudient les effets de la contamination interne ou du rayonnement sur le fonctionnement du système rénal humain. J'imagine que si je fouille au CNRS, je vais aussi trouver des équipes comparables.
C'est donc peut-être aussi l'occasion de rendre l'ensemble de cette activité plus cohérente, plus cohésive et mieux cadrée, ce qui suppose une meilleure définition.
M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office. - La rédaction des propositions permet de le faire dans la durée. Il n'est pas possible de procéder à un découpage à court terme pour satisfaire les uns et les autres.
M. Philippe Berta, député. - Avez-vous reçu le rapport du Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Hcéres) sur l'IRSN ? Il serait intéressant de disposer de l'évaluation d'experts sur l'activité de l'IRSN.
M. Pierre Henriet, député, président de l'Office. - Il n'a pas encore été rendu public mais le sera mi-mars.
Mme Christine Arrighi, députée. - Pour compléter ce qui vient d'être dit, le Gouvernement indique avoir demandé au président de l'ASN et au directeur général de l'IRSN un rapport de propositions sur la mise en oeuvre de la réforme, qui devra être communiqué en juin. Déposer des amendements aujourd'hui, alors même que le Gouvernement ne sera pas éclairé avant juin, me paraît complètement à contre-courant de tout réalisme législatif.
M. Jean-Luc Fugit, député, vice-président de l'Office. - Si je peux me permettre, nous ne débattons pas ici des amendements qui seront examinés en commission et en séance publique.
M. Pierre Henriet, député, président de l'Office. - Il est vrai que notre rôle n'est pas d'entrer dans la mécanique des amendements. Nous partageons plutôt des recommandations et des orientations, pour éclairer nos collègues.
Mme Christine Arrighi, députée. - Mon propos portait sur le constat que le rapport que nous demandons dans les conclusions sera également nécessaire au Gouvernement.
Mme Olga Givernet, députée. - Qu'en est-il de l'ajout d'une mention dans la cinquième recommandation pour conforter les outils de recherche et d'expérimentation sous irradiation ?
M. Pierre Henriet, député, président de l'Office. - C'est très précis. En ce cas, il faudrait aussi mentionner les outils de recherche pour la biologie, le médical, etc. Pour éviter d'entrer dans ces détails, nous pourrions ajouter : « s'appuyant sur les capacités de la recherche ».
M. Gérard Leseul, député, vice-président de l'Office. - Dans ce paragraphe, je propose d'écrire en première ligne « qu'une telle réforme s'inscrive dans une vision plus large » plutôt que « soit aussi l'occasion de s'inscrire... ». De même, je propose de remplacer dans la troisième recommandation : « l'Office attire l'attention sur la nécessité de ne pas dégrader... » par : « l'Office attire l'attention sur l'absolue nécessité de ne pas dégrader... » et dans la deuxième : « en tirant tous le enseignements possibles » par : « en tirant préalablement tous les enseignements possibles ».
M. Pierre Henriet, député, président de l'Office. - C'est un peu jouer sur les mots, d'autant que ce dernier point est déjà précisé dans la première recommandation.
M. Gérard Leseul, député, vice-président de l'Office. - Le projet de réforme vise à mettre en place un système, encore faut-il qu'il soit préalablement éclairé. Mais je ne veux pas me bagarrer là-dessus.
M. Pierre Henriet, député, président de l'Office. - La formulation proposée préserve la possibilité que cela soit aussi évolutif, au fil du temps et des progrès de la connaissance.
La première recommandation étant devenue très longue à la suite de nos échanges, je vous propose de la scinder en deux pour simplifier la lecture, ce qui porterait le nombre de recommandations à six au lieu de cinq. Cela donnerait pour la première recommandation : « L'Office insiste sur trois grands principes [...]. » La deuxième recommandation débuterait à partir de : « L'Office souhaite que les ajustements [...]. ». J'insiste pour qu'il s'agisse d'une recommandation à part entière sur le contrôle que le Parlement, en particulier l'OPECST, pourra exercer sur le projet de réforme.
M. Gérard Leseul, député, vice-président de l'Office. - Si j'ai bien compris, la phrase : « Il estime que la réforme ne peut pas faire l'économie de la plus grande transparence [...]. » fait désormais partie de la première recommandation. Est-ce bien cela ?
M. Pierre Henriet, député, président de l'Office. - Exactement. La deuxième recommandation, quant à elle, débute par : « L'Office souhaite que les ajustements juridiques nécessaires à la mise en oeuvre du projet de réforme s'y conforment rigoureusement, notamment pour garantir l'autonomie de l'expertise par rapport à la décision ; il propose qu'un contrôle du Parlement, en particulier de l'Office, soit effectif lors de la mise en place de la réforme. »
Nous prenons également en compte les deux remarques formulées par Gérard Leseul : ne pas parler d'une « nouvelle autorité de contrôle », mais de « l'autorité de contrôle », ce qui permet de rester dans le conditionnel, et enlever mot « assez ».
M. Gérard Leseul, député, vice-président de l'Office. - La cinquième recommandation propose de « développer dans d'autres instances, y compris non institutionnelles, les compétences nécessaires au fonctionnement d'un système de contrôle ouvert et transparent. » Qu'entendons-nous par d'autres instances ?
M. Pierre Henriet, député, président de l'Office. - Il s'agit d'autres instituts de recherche, puisque nous savons que nombre d'entre eux contribuent directement ou indirectement à l'expertise et à la recherche en sûreté nucléaire, comme cela a été indiqué par Philippe Berta.
M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office. - Le terme « instance » n'est peut-être pas le plus adapté, car il fait penser à une instance de décision.
M. Pierre Henriet, député, président de l'Office. - « Établissement » est un terme beaucoup plus employé en recherche. Ou bien « organismes », terme plus ouvert.
J'espère que l'ensemble des modifications suggérées permettront de clarifier l'avis formulé par l'Office auprès de nos collègues parlementaires et seront l'occasion de poursuivre notre mission essentielle : assurer une qualité irréprochable d'expertise et une sûreté nucléaire qui soit optimale, afin de garantir la confiance de nos concitoyens dans ce processus complexe.
Mme Christine Arrighi, députée. - Lorsque des auditions donnent lieu à des conclusions, ces dernières sont-elles communiquées à l'ensemble des participants auditionnés ?
M. Pierre Henriet, député, président de l'Office. - Elles sont publiées sur les sites de l'Assemblée et du Sénat.
M. Jean-Luc Fugit, député, vice-président de l'Office. - Il faudrait qu'elles le soient le plus rapidement possible, le débat commençant cet après-midi dès 17 heures 15.
M. Pierre Henriet, député, président de l'Office. - Nous allons nous mettre en mesure de les publier avant 17 heures 15. Comme d'habitude, nous les transmettrons aussi aux présidents des commissions concernées et saisies sur le projet de loi. De plus, nous avons déjà beaucoup été sollicités par la presse.
Je propose d'adopter ces conclusions, avec l'ensemble des modifications apportées. Je ne vois ni opposition, ni abstention. Les conclusions ainsi modifiées sont donc adoptées à l'unanimité.
Je vous remercie pour ce débat très riche et, avant de lever la séance, je vous rappelle que nous nous retrouvons dès jeudi pour une audition publique consacrée aux innovations technologiques de l'éolien offshore.
L'Office adopte à l'unanimité les conclusions de l'audition publique du 16 février 2023 et autorise la publication, sous forme de rapport, du compte rendu de l'audition et de ces conclusions.
La réunion est close à 15 h 35.
Jeudi 2 mars 2023
- Présidence de M. Pierre Henriet, député, président de l'Office -
La réunion est ouverte à 10 h 05.
Audition publique sur les innovations technologiques de l'éolien offshore
M. Pierre Henriet, député, président de l'Office. - L'audition publique de ce matin concerne un sujet important pour notre pays, alors que l'indépendance énergétique occupe tout particulièrement le Parlement ces jours-ci. Après les questions relatives au nucléaire, évoquées en début de semaine, l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) se penche aujourd'hui sur une filière prometteuse des énergies renouvelables, celle de l'éolien offshore. Des objectifs ambitieux ont été fixés en France et pour l'Union européenne, et il est important pour nous de voir quelles technologies peuvent être mobilisées pour y parvenir.
Je remercie notre premier vice-président pour l'idée de cette audition qui vient à point nommé dans la préparation des débats sur la prochaine programmation pluriannuelle de l'énergie. Je rappelle que cette audition est diffusée en direct sur le site de l'Assemblée nationale et qu'elle sera ensuite disponible en vidéo à la demande. Les internautes qui nous suivent en direct ont également la possibilité de poser des questions sur la plateforme dont le lien se trouve sur les sites de l'Assemblée et du Sénat.
M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office. - Nous avons tenu à organiser cette audition pour que les parlementaires, députés et sénateurs, soient le mieux informés possible des capacités nouvelles des éoliennes offshore. Beaucoup en parlent - et les élus qui en parlent le plus ne sont pas nécessairement ceux qui en font le plus : je suis moi-même sénateur d'un département, la Meuse, qui compte plus de 300 éoliennes, avec lesquelles on « pompe » l'argent du milieu urbain pour le redistribuer dans le milieu rural. C'est l'unique raison pour laquelle je les soutiens. Car ces beaux engins, avec leur belle mécanique, posent un certain nombre de problèmes, divers et parfois en lien avec des technologies nouvelles.
Cette audition rassemble des acteurs de types différents. Nous entendrons ainsi des représentants des pouvoirs publics, en l'occurrence de la DGEC (Direction générale de l'énergie et du climat) et de l'Ademe (Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie). Nous entendrons également le gestionnaire du réseau, RTE (Réseau de transport d'électricité) : les éoliennes en mer peuvent être posées ou flottantes, mais elles doivent malgré tout être reliées à la terre, ce qui pose un certain nombre de problèmes techniques sur lesquels nous aimerions être éclairés.
Nous entendrons aussi France Énergie Éolienne, qui assure une représentation institutionnelle de la filière éolienne, ainsi que France Énergies Marines, qui mutualise une partie de la R&D du secteur.
Quatre opérateurs de parcs flottants auront enfin la parole. Des appels d'offres sont en cours, et il n'en sera pas question ici. L'objectif est de permettre aux parlementaires d'être plus éclairés et mieux informés des grandes options technologiques actuelles.
M. Nicolas Clausset, sous-directeur du système électrique et des énergies renouvelables à la Direction générale de l'énergie et du climat. - Nous soutenons les technologies de l'éolien posé et de l'éolien flottant depuis un peu plus d'une dizaine d'années. Un premier parc a ainsi été mis en service de façon complète à la fin de l'année dernière, au large de Saint-Nazaire. Il repose sur une technologie posée, pour une puissance d'environ 500 mégawatts. Parmi les premiers appels d'offres attribués en 2012 et 2013, cinq autres projets reposant sur une technologie posée seront installés, pour une puissance à peu près équivalente. Enfin, un septième parc, au large de Dunkerque, attribué en 2019, repose également sur une technologie posée.
Notre pays fait partie de ceux qui bénéficient des surfaces maritimes les plus importantes au monde. Nos contraintes sont toutefois un peu différentes de celles des pays du nord de l'Europe, où la faible profondeur des fonds marins permet d'installer ces technologies posées très loin des côtes.
En France, dès qu'on s'éloigne des côtes, les profondeurs peuvent dépasser 70 mètres, rendant nécessaire le recours au flottant.
Sur la façade maritime de la Manche, les profondeurs sont relativement modestes jusqu'à la limite du rail maritime, au-delà de laquelle on ne peut aller. Sur la façade Manche Est-Mer du Nord, on restera ainsi essentiellement sur des technologies posées. C'est d'ailleurs dans ces zones de technologie posée que le plus grand nombre de projets éoliens en mer sont prévus.
En revanche, en Méditerranée, on devra recourir au flottant : après trois fermes pilotes soutenues en 2015, d'une puissance d'environ 25 mégawatts chacune, deux projets commerciaux sont actuellement en phase de dialogue concurrentiel.
Au large de la Bretagne et sur la façade Atlantique, dès que l'on s'éloigne de quelques dizaines de kilomètres des côtes, on doit aussi recourir à l'éolien flottant.
Je laisserai d'autres plus compétents que moi l'évoquer, mais il semble qu'il y ait beaucoup d'enjeux autour de l'innovation dans l'éolien flottant, notamment en ce qui concerne les flotteurs et leurs matériaux. C'est aussi la raison pour laquelle nous avons soutenu plusieurs fermes pilotes, qui s'appuient sur des technologies différentes et pour lesquelles la marge d'apprentissage apparaît importante.
Dans l'éolien posé, les innovations portent moins sur la technologie elle-même que sur les questions environnementales, et notamment la recyclabilité des pales. En quelques années seulement, certains producteurs de pales se sont engagés à fabriquer des pales 100 % recyclables. Et dans nos appels d'offres, les questions environnementales font désormais partie des critères, pour que les systèmes soient le plus vertueux possible.
La question du raccordement électrique est un grand enjeu : dès que l'on s'éloigne des côtes, un poste électrique en mer doit pouvoir convertir l'électricité et l'acheminer sur la côte. Et, comme pour les éoliennes elles-mêmes, dès que la profondeur est importante, il faut que le poste puisse être flottant. Or les technologies actuelles ne le permettent pas toujours. RTE évoquera ces questions plus tard.
Dans d'autres pays, notamment proches de la mer du Nord, un autre point majeur, lié à la question du raccordement, est celui de la transformation de l'électricité, en hydrogène par exemple, lequel peut plus facilement être ramené sur la côte. Une telle opération présente toutefois des risques industriels et des difficultés tenant à la conversion, cette opération entraînant des pertes importantes. En outre, une fois acheminé, cet hydrogène devra être à son tour retransformé en électricité, ce qui demande d'autres types d'infrastructures et d'adaptations.
Ces enjeux liés au raccordement ne touchent pas les parcs qui seront en service dans les prochaines années. Mais plus nous nous éloignerons des côtes, et plus ils deviendront prégnants.
Mme Bénédicte Genthon, directrice adjointe Bioéconomie et énergies renouvelables de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe). - L'Ademe, dans une publication de novembre 2021 complétée en février 2022, a exploré quatre scénarios permettant d'atteindre la neutralité carbone en 2050, afin d'éclairer les choix de politiques publiques. Tous les secteurs ont été examinés, qu'il s'agisse du bâtiment, de l'agriculture, des forêts ou de l'industrie, afin de pouvoir vérifier leur interdépendance et la bonne marche du système, en termes d'équilibre entre les émissions de gaz à effet de serre et les puits de carbone, mais aussi l'usage des sols, la biomasse.
S'agissant du mix énergétique, ces scénarios atteignent des niveaux de consommation d'électricité différenciés. Ainsi, les scénarios 1 et 2 sont davantage axés sur la sobriété et les scénarios 3 et 4 mobilisent davantage les technologies.
Les consommations d'électricité finale dans ces quatre scénarios sont comprises entre 408 et 839 térawattheures par an, et la part des énergies renouvelables va de 72 %, pour le scénario 4, à 97 %, pour le scénario 1.
Nous nous intéressons aujourd'hui à la place de l'éolien dans ces quatre chemins vers la neutralité carbone. Pour des questions d'acceptation sociale, les possibilités de l'éolien terrestre sont assez resserrées et se situent entre 58 et 63 gigawatts de puissance installée. L'éolien en mer offre davantage de marge, avec une fourchette comprise entre 14 et 48 gigawatts. Dans cet ensemble, l'éolien flottant se situe entre 5 gigawatts (pour les scénarios 1 et 2 ainsi que la version nucléaire du scénario 3) et 28 gigawatts (pour le scénario 4 et la seconde variante énergies renouvelables du scénario 3). Quel que soit le scénario retenu, la part de l'énergie éolienne représente au moins 12 %, et peut atteindre 25 % pour la version renouvelable du scénario 3.
Je voudrais également rappeler que l'Ademe travaille beaucoup sur les questions d'appropriation citoyenne, sur la question des paysages ainsi que sur les conséquences de l'éolien de façon générale. Nous avons notamment un projet de centre de ressources énergies renouvelables et biodiversité avec l'Office français pour la biodiversité (OFB), et nous avons lancé un grand projet de recherche sur les enjeux socio-économiques du déploiement de l'éolien en mer avec une cinquantaine de chercheurs et de nombreux organismes de recherche. Cet observatoire permettra d'examiner, sur plusieurs années, les conséquences de l'éolien en mer en termes d'emplois et d'impact sur les territoires. Les derniers chiffres publiés par l'Observatoire de l'énergie éolienne en mer font état de 6 600 emplois dans la filière éolienne en mer, dont 5 000 dans l'éolien posé et 1 120 dans l'éolien flottant en 2022. C'est 36 % de plus que l'année précédente.
M. Régis Le Bars, directeur adjoint Entreprises et transitions industrielles de l'Ademe. - La DGEC, dans son introduction, a rappelé que l'innovation était l'un des facteurs-clés du développement de l'éolien flottant. Il y a effectivement en France, depuis 2010, un continuum de l'innovation et du développement de l'éolien flottant, porté par l'Ademe dans le cadre du Programme d'investissements d'avenir (PIA). Cela a commencé avec des démonstrateurs au cours de la période 2010-2015, dans le but de développer des briques technologiques permettant d'améliorer les coûts de revient de l'éolien flottant, puis cela s'est poursuivi avec le lancement de fermes pilotes en 2018 qui devraient voir leur mise à l'eau à partir de 2024.
Pas moins de 350 millions d'euros d'aides d'État ont été apportés aux acteurs industriels sur l'ensemble de ces projets qui constituent des enjeux importants pour le développement de l'éolien flottant. Ces projets se poursuivent aujourd'hui dans le cadre du programme France 2030. Les enjeux sont la fiabilisation de la technologie et surtout le développement des structures industrielles dans des marchés commerciaux.
À cet égard, les ports sont des maillons essentiels, et leur capacité à accueillir des charges lourdes, les moyens de mise à l'eau et de stockage, les longueurs et les profondeurs de quai sont cruciaux. Certains ports maritimes français, qui ont une tradition de construction navale, ont des opportunités à saisir dans le développement de l'éolien flottant.
Ces opportunités industrielles sont partagées, puisque la chaîne de valeur de l'éolien flottant est assez similaire à celle de l'éolien posé. Les risques et les besoins de développement ne portent pas tant sur l'éolienne elle-même que sur les flotteurs, les ancrages, les câblages dynamiques.
Quant aux infrastructures, le territoire français a la chance de disposer déjà d'usines d'éoliennes flottantes, comme les usines de Siemens Gamesa ou de General Electric à Saint-Nazaire, ainsi que d'usines de production de pales, comme Siemens Gamesa au Havre. L'innovation peut désormais porter sur l'impact carbone de la production de flotteurs, lié à la décarbonation de l'industrie de l'acier et du béton.
L'éolien flottant permet la rencontre de plusieurs métiers : des énergéticiens, des développeurs, des métiers de l'offshore pétrolier qui vont se convertir vers des métiers de la transition écologique, de la construction navale, des ports, qui vont eux-mêmes intégrer les métiers des énergies renouvelables.
Les défis à relever sont nombreux : la France et l'ensemble des acteurs industriels, qu'il s'agisse des ports eux-mêmes ou des entreprises qui y développeront des capacités de production, devront notamment acquérir des compétences humaines en métallurgie et dans le béton. L'arbitrage entre des flotteurs béton et des flotteurs acier n'est d'ailleurs pas encore fait. La production de flotteurs apportera dans tous les cas des opportunités économiques pour les territoires.
M. Régis Boigegrain, directeur exécutif en charge de la direction des affaires maritimes de RTE. - Dans le développement des énergies marines renouvelables, RTE est maître d'ouvrage pour l'ensemble des raccordements des parcs éoliens en mer français, qu'ils soient posés ou flottants. D'une manière générale, il est co-maître d'ouvrage avec les pouvoirs publics pendant les phases de débat public, d'identification des zones d'implantation des parcs, puis de dialogue concurrentiel, période pendant laquelle un développeur pour le parc est choisi. Il est ensuite co-maître d'ouvrage avec le lauréat, avec lequel il se coordonne pour que les ouvrages de raccordement arrivent au bon moment par rapport à l'installation du parc d'éoliennes lui-même.
Opérateur industriel maritime, RTE a par ailleurs un rôle d'éclaireur des pouvoirs publics sur l'évolution du système électrique vers la neutralité carbone. Dans l'étude prospective Futurs énergétiques 2050, plusieurs scénarios ont été identifiés en termes de développement de l'éolien en mer. Si l'on s'en tient à l'objectif fixé par le président de la République de 40 gigawatts de capacité d'éolien en mer en service à l'horizon 2050, il faudra qu'environ 50 % de cette capacité de production soit posée et 50 % flottante, d'où l'importance pour la filière flottante de se développer et d'arriver à maturité industrielle.
Un point de repère a déjà été évoqué pour l'installation des éoliennes : la profondeur de 50 mètres, en-dessous de laquelle on installe du posé, et au-delà de laquelle on bascule sur du flottant, avec une zone grise entre les deux.
Il y a un deuxième chiffre à avoir en tête, 100 mètres, qui concerne la technologie de raccordement. On peut raccorder des parcs flottants avec une plateforme électrique en mer posée jusqu'à environ 100 mètres de profondeur, ce qui permet d'aller plus loin que pour les éoliennes posées elles-mêmes. Les projets Sud Bretagne, Provence-Alpes-Côte d'Azur et Occitanie sont les trois premiers appels d'offres de parcs éoliens flottants commerciaux, avec un raccordement posé.
Mais si l'on veut atteindre les 40 gigawatts d'éolien en mer, dont la moitié issus d'éoliennes flottantes, on devra recourir aux technologies de raccordement flottant. Il s'agit de postes à forte puissance, comme sur l'image d'illustration que vous voyez, prêtée par les Chantiers de l'Atlantique.
Pour atteindre cet objectif de développement industriel, il faut avoir en tête deux tendances. La première est la propension à l'augmentation de la puissance des parcs pour des raisons d'optimum technico-économique. Cela conduit, en termes de raccordement, à basculer sur des technologies en courant continu. Celles-ci nécessitent de prévoir, dans les postes électriques en mer, des stations de conversion du courant alternatif vers le courant continu assez massives et sensibles. À terre, le courant est à nouveau transformé en alternatif. La deuxième tendance est celle de l'éloignement des côtes, qui implique de basculer sur un raccordement flottant.
Un certain nombre de difficultés devront être surmontées, car si l'on sait aujourd'hui faire un poste flottant pour le courant alternatif, on ne sait pas si on pourra le faire - ni comment - pour un courant continu de forte puissance, 1 000 mégawatts voire davantage.
Nous avons trois défis technologiques principaux : le premier est de parvenir à concevoir une station de conversion de courant continu en courant alternatif dans un environnement d'oscillation vibratoire, avec de la houle et des vagues. Il concerne les industriels.
Le deuxième a trait au câble dynamique de forte puissance. Le raccordement flottant implique en effet l'existence d'un câble, enfoui sous les fonds marins sur une certaine distance, joint à son extrémité à un câble souple, dynamique, qui accompagne les mouvements de la plateforme flottante. On sait aujourd'hui fabriquer des câbles dynamiques à des niveaux de tension intermédiaires de l'ordre de 66 000 volts. Des recherches sont en cours pour un courant alternatif de 225 000 volts. Si l'on bascule en courant continu, il faudra prévoir des câbles dynamiques de plus forte puissance, de 320 000, voire 525 000 volts.
Le dernier défi, moindre que les deux précédents, est de parvenir à installer des transformateurs électriques sur ces plateformes. On ne sait pas encore très bien comment se comporte un transformateur électrique lorsqu'il est soumis à un ballottement d'huile dans sa cuve. Il faut examiner les conditions de résistance, de résilience, d'usure éventuellement accélérée d'un certain nombre de composants placés sur ces postes électriques en mer.
Tout ceci constitue un véritable écosystème rassemblant des organismes de recherche et des industriels, puisqu'on allie les compétences électriques et les compétences mécaniques, notamment avec nos partenaires des Chantiers de l'Atlantique. Notre feuille de route R&D vise la mise en service industrielle d'un premier poste électrique flottant de forte puissance autour de 2040 : cela implique que toutes ces difficultés aient été surmontées autour de 2030.
M. Michel Gioria, délégué général de France Énergie Éolienne. - Dans tous les scénarios évoqués par RTE, l'éolien, notamment offshore, est une composante essentielle de l'atteinte de la neutralité carbone en France à l'horizon 2050. Aujourd'hui, 225 gigawatts d'éolien terrestre sont installés au niveau européen, la part de la France étant d'environ 8 %, soit à peu près 20 gigawatts. Et sur les 30 gigawatts d'éolien offshore déjà installés en Europe, la part française est à peu près de 1,5gigawatt, en incluant depuis le mois de novembre le parc de Saint-Nazaire, sachant que d'autres vont arriver.
Bien que représentant une part modeste des capacités offshore installées en Europe, la France a néanmoins réussi un véritable tour de force industriel, qu'il convient de souligner, car la transition énergétique et le développement des énergies renouvelables doivent avoir des retombées industrielles importantes et contribuer à la réindustrialisation du pays. Un tiers des capacités de production européennes de composants se situent sur le territoire français : citons Le Havre avec l'usine de Siemens Gamesa, Saint-Nazaire avec General Electric, Cherbourg avec les pales, et les Chantiers de l'Atlantique, avec les sous-stations et les stations de conversion. Cela représente pas moins de 6 500 emplois sur notre territoire.
Et si on atteint l'objectif de 18 gigawatts d'éolien offshore à l'horizon 2035 - on parle en effet beaucoup de 2050, mais les horizons intermédiaires sont extrêmement importants -, ce seront pas moins de 20 000 emplois sur le territoire national qui seront associés à ce développement, comme cela a été indiqué dans le pacte éolien en mer signé entre l'État et la filière en mars 2022.
Il est important de noter qu'aujourd'hui la France n'est pas en retard sur la recherche, le développement, la démonstration et la pré-industrialisation de l'éolien flottant. La dynamique de continuum d'innovation mise en place depuis 2010 fonctionne. Nous faisons néanmoins face à une accélération des autres pays, notamment la Corée du Sud, le Japon, les États-Unis et, plus près de nous, le Royaume-Uni et les pays du nord de l'Europe, mais aussi du Sud avec l'Italie notamment.
Dans ce contexte, il est important de capitaliser sur la dynamique d'innovation mise en place pour resserrer les calendriers et augmenter en taille les appels d'offres commerciaux, dans le prolongement de ceux de Bretagne-Sud et de Méditerranée. Nos appels d'offres commerciaux tournent autour de 250-300 mégawatts. Il faut qu'au cours du quinquennat on arrive à des extensions de 500 mégawatts qui, progressivement, grâce à l'augmentation de la taille, l'industrialisation, la standardisation des process, vont permettre une importante baisse des coûts.
Aujourd'hui, le coût de l'éolien en mer posé est entre 40 et 60 euros par mégawattheure, hors raccordement. Le dernier projet attribué en France, celui de Dunkerque, est à 44 euros par mégawattheure, et autour de 60 euros par mégawattheure si l'on ajoute le raccordement. On attend encore les chiffres des premiers appels d'offres commerciaux, notamment de Bretagne-Sud, sur l'éolien flottant. En échangeant avec l'ensemble des acteurs industriels, on entrevoit un rapprochement des coûts entre l'offshore flottant et l'offshore posé à l'horizon 2033-2035, ce qui permettra alors de ne plus parler que d'une seule filière offshore, où le flottant constituera un relais de croissance et permettra de s'adapter notamment aux différentes composantes des fonds marins.
Un dernier enjeu majeur concerne les 12 gigawatts d'éolien en mer qui doivent être attribués avant la fin du quinquennat. Il s'agit pour deux tiers de posé et pour un tiers de flottant. Ces projets seront mis en oeuvre à partir de 2035 ou 2036 et amèneront aux horizons indiqués par RTE à l'instant, soit de 50 % de posé et de 50 % de flottant en 2050. Le respect du calendrier est un point important. Si en effet on doit faire un bilan des douze dernières années d'engagement sur l'éolien en mer en France, il apparaît qu'un travail significatif a été effectué sur le continuum d'innovation. Nous poursuivons ce travail, notamment avec les investissements dans les ports. Mais nous n'avons pas été parfaits sur les questions de calendrier. L'environnement actuel mondial, au-delà des questions climatiques, est marqué par une accélération, ce qui pourrait nous faire perdre notre avantage compétitif industriel. La Corée du Sud ou le Japon sont décidés à devenir des acteurs significatifs sur ce terrain-là.
M. Florent Guinot, responsable du programme caractérisation de sites de France Éénergies Marines. - France Énergies Marines est l'institut pour la transition énergétique consacré aux énergies marines renouvelables, dont plus de 90 % de l'activité porte sur l'éolien posé et l'éolien flottant. Sa vocation est d'en fédérer les différents acteurs - industriels, partenaires publics, collectivités, partenaires académiques - et de mutualiser les efforts de recherche et développement pour lever les verrous technologiques, dont certains ont déjà été mentionnés, et améliorer à terme la compétitivité de la filière. Notre activité principale porte sur la mise en place, le pilotage et la réalisation de projets de R&D collaboratifs, par l'intermédiaire de quatre programmes qui donnent un aperçu des innovations nécessaires au développement des filières.
Le premier programme porte sur la caractérisation des sites, et notamment des conditions météorologiques : le vent, les vagues, le courant, pour le dimensionnement des systèmes. Avec l'éloignement des côtes, certaines données sont plus difficiles à appréhender, comme le déferlement des vagues ou la turbulence du vent, car on ne peut pas disposer de mât de mesure. Le changement climatique entre aussi en jeu : quelles sont les tendances en conditions normales, en conditions extrêmes ? Il faut tenir compte de tous ces paramètres dans le dimensionnement des projets, et améliorer le cadre normatif.
Le deuxième programme porte sur le dimensionnement et le suivi des systèmes. On a déjà évoqué le câble dynamique, ce câble soumis à de fortes sollicitations pour délivrer l'électricité au câble statique. Il y a également la question des lignes d'ancrage : on constate que plus les profondeurs augmentent, plus les solutions classiques de type ancrage par chaînes montrent leurs limites. Soit elles ne sont plus faisables, soit elles ne sont plus assez compétitives en termes de coûts. On travaille sur des lignes synthétiques, en nylon ou polyester.
Le troisième programme s'attache au sujet important de l'intégration environnementale et sociétale. En effet, ce n'est pas parce que ces parcs seront placés beaucoup plus loin des côtes qu'ils seront sans impacts. Tout un travail est mené pour élaborer des protocoles de caractérisation de l'état initial. L'objectif est de parvenir à identifier la faune marine de la zone, les oiseaux, la faune benthique, ainsi que les usages en mer, et ensuite de déterminer des protocoles de suivi pour identifier tous les impacts. Une des activités principales de France Énergies Marines est ainsi d'accompagner les acteurs industriels sur cette thématique.
Le dernier programme porte sur l'intégration en réseau et l'architecture de fermes pour organiser les différents systèmes. Sur l'intégration en réseau, nous travaillons conjointement avec RTE sur les sous-stations du futur, flottantes, en courant continu et d'une capacité se mesurant en gigawatts. On réfléchit également à la façon de gérer l'intermittence de la production grâce à l'hydrogène, et à la façon de la valoriser, soit en l'utilisant en mer, soit en la rapatriant à terre.
On essaie ainsi de couvrir l'intégralité des problématiques. Les défis à relever sont encore très nombreux. L'accélération est réelle et nous devons faire des efforts pour lever ces dernières difficultés et améliorer la compétitivité de la filière. La France a la chance de disposer d'un institut tel que France Énergies Marines.
M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office. - Quel est le statut de France Énergies Marines ?
M. Florent Guinot. - C'est une SAS, financée par des partenariats, des industriels et des acteurs académiques.
On ne dispose pas actuellement en France d'infrastructures d'ampleur comme il en existe à l'étranger. Il y a ainsi des observatoires à très grande échelle en Allemagne, des éoliennes flottantes dédiées à la R&D en Norvège, des éoliennes offshore dédiées à la R&D au Royaume-Uni.
En France, nous sommes encore limités à des échelles réduites, en termes de représentativité de nos travaux. Si l'on veut accompagner la filière et accélérer, un point important sera de pouvoir disposer d'infrastructures comme celles qui sont déjà très originales à l'échelle de l'Europe. On évoque par exemple une éolienne de grande échelle dédiée à la R&D, où l'on pourrait tester des briques technologiques en conditions réelles. Cela permettrait de confirmer plus rapidement la viabilité des lignes d'ancrage, des connecteurs, des câbles dynamiques, etc. En plus des verrous technologiques, il y a les problématiques liées à la formation, à l'industrialisation, aux infrastructures portuaires. On essaie d'accompagner la filière sur tous ces sujets.
M. Grégoire de Roux, directeur technique des activités offshore d'EDF Renouvelables. - EDF Renouvelables est un acteur historique de l'éolien, présent en Europe depuis dix ans, pour une puissance installée d'un peu plus de 1 500 mégawatts, dont 500 en France depuis novembre avec le parc de Saint-Nazaire. 1 500 mégawatts supplémentaires sont en cours de construction, avec les champs de Fécamp, Courseulles et Provence Grand Large, et 3 000 mégawatts supplémentaires sont en phase de « pré-construction », comme par exemple le champ de Dunkerque.
Les chiffres de notre activité de prospection et de développement atteignent aujourd'hui quasiment 15 gigawatts, un ordre de grandeur caractéristique de cette industrie en très forte croissance.
Actuellement, EDF Renouvelables est principalement présent sur le posé. Mais il est également très actif sur le flottant, qui est beaucoup moins mature. Dans le monde, le posé totalise une cinquantaine de gigawatts installés quand le flottant ne représente encore que 123 mégawatts installés. La France se distingue à cet égard : dans nos trois parcs pilotes méditerranéens, 75 mégawatts vont bientôt être mis en service, ce qui, au regard des 123 mégawatts mondiaux, est loin d'être anecdotique. Des appels d'offres de 250 mégawatts sont à venir. Ce sont encore de petits volumes, mais les opportunités sont nombreuses, et ceci dans toutes les régions du monde.
Nous travaillons sur différents fronts et dans différentes régions : aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Asie, et évidemment en France, avec le projet Provence Grand Large qui sera mis en service à la fin de l'année, ou avec différents appels d'offres commerciaux auxquels nous participons.
Nous avons fait le choix technologique de considérer une grande variété de flotteurs. Par exemple, des flotteurs semi-submersibles dits à stabilité de forme, dont l'ancrage n'affecte pas directement les mouvements du flotteur. Pour l'appel d'offres français, on s'est intéressé aux barges, avec des flotteurs plus compacts, qui déplacent un peu plus d'eau. Citons aussi la technologie assez atypique du projet Provence Grand Large, qui est une plateforme à ligne tendue : il faut imaginer un ancrage qui tire le flotteur sous l'eau, participant ainsi directement au mouvement du premier rang du flotteur et donc à la façon dont la turbine va vivre l'excitation dynamique liée à l'environnement marin.
Cette variété technologique est un choix délibéré de la part d'EDF Renouvelables. Nous sommes convaincus que c'est à travers un exercice détaillé avec plusieurs flotteurs que nous deviendrons compétents. Cela nous permettra de lever certains verrous technologiques, et d'atteindre l'échelle commerciale que nous visons tous. Et nous serons plus efficaces en expérimentant ces nouveaux concepts sur un site réel, avec un vrai port et des fabricants, qu'en travaillant sur des exercices papier théoriques qui auraient vocation à trouver une technologie universellement pertinente. Nous n'en sommes pas encore là.
L'idée même de projet pilote mise en oeuvre en France, et avec Provence Grand Large, est très féconde. Le projet est encore en phase de fabrication et sera installé cet été, mais les apports et le retour d'expérience bénéficient déjà directement aux appels d'offres en cours et sont très importants pour la filière.
De nombreuses questions subsistent sur cette échelle commerciale - cela a été évoqué notamment au sujet de l'industrialisation de la fabrication des flotteurs. Si l'on considère le taux de croissance des prochaines années, on obtient le chiffre de 3 ou 4 gigawatts par an, ce qui correspond, pour la technologie utilisant l'acier, à quasiment un million de tonnes par an, soit environ 15 % de la construction navale mondiale. Les enjeux en termes de disponibilité, de moyens et d'intérêt des différents acteurs pour la filière sont importants et doivent donc être correctement évalués.
Pour parvenir à l'échelle industrielle sur le flottant, un autre point important pour tous les développeurs de France Énergies Marines est celui de la maintenance des parcs, et notamment la possibilité de réparations directement en mer. On s'est longtemps attaché à des questions de design : cela va-t-il flotter ? Cela va-t-il tourner avec un flotteur qui bouge ? Cette étape semble franchie et désormais, la question de la maintenance influe sur la pertinence de tel ou tel flotteur.
L'industrialisation demande de l'innovation, et donc une certaine vigilance et une ouverture à ce qui est proposé, à ce qui peut-être demain nous fera préférer un flotteur qu'on regarde un peu moins aujourd'hui.
Si l'on doit résumer notre vision du flottant aujourd'hui, la première chose me paraît être la nécessité d'un changement d'échelle. L'augmentation de la taille des turbines fait que, pour une taille de parc donnée, on a moins de flotteurs. Et si l'on veut commencer à fabriquer des flotteurs en série, il nous faut des parcs encore un peu plus grands. Les appels d'offres Bretagne-Sud et Méditerranée, avec 250 mégawatts, sont déjà de beaux projets, mais ils ne permettent pas encore de profiter à plein de l'effet d'échelle. La baisse du coût du flottant est fonction du volume et de la taille des projets, et à cet égard il est difficile de donner une date indépendamment du nombre de projets installés et des volumes fabriqués.
Un deuxième point important sur le flottant est la visibilité. Les questions de planification sont cruciales pour les industriels, et surtout pour les infrastructures portuaires : les projets pris isolément ne seront pas suffisants pour mettre à niveau les ports de nos façades sur l'éolien flottant. Il s'agit donc d'établir un programme pour savoir comment transformer nos ports, qui constituent déjà en eux-mêmes des atouts de proximité évidents. Des travaux et des adaptations sont à prévoir.
Le flottant est enthousiasmant et innovant, et sa technologie suscite naturellement l'intérêt. Je pense néanmoins, et c'est mon dernier point, que le posé n'a pas dit son dernier mot. Cette technologie est compétitive de façon avérée. La profondeur limite d'installation est aujourd'hui de 50 mètres, parfois de 60 mètres ou 70 mètres, mais il n'existe pas en réalité de limitation technique. Les pétroliers installent des structures fixes dans 200 ou 300 mètres d'eau.
Évidemment, cela n'aurait pas de sens d'installer un champ de 100 éoliennes dans 300 mètres d'eau. Mais nous devons garder en tête que la limite n'est pas technique mais plutôt technico-économique. Si le flottant met un peu plus de temps que prévu à faire baisser son coût, le posé aura peut-être la possibilité d'aller un petit peu plus profond. Dans le partage futur entre flottant et posé, je suis très optimiste pour le flottant, mais le sujet est dynamique et mouvant.
M. Grégoire de Saivre, responsable du département éolien offshore de TotalEnergies. - Mon rôle au sein de la direction technique de TotalEnergies est de concevoir tous les futurs projets éoliens offshore, de prévoir les schémas de développement industriel et de les mettre en oeuvre jusqu'à la décision d'investissement. Notre chemin dans l'éolien en mer a commencé il y a trois ans. Nous avons aujourd'hui un portefeuille d'une dizaine de projets pour à peu près 10 gigawatts : 4 gigawatts aux États-Unis, 4 gigawatts en Grande-Bretagne, 3 gigawatts en Corée, et nous participons à l'un des projets pilotes de l'Ademe en France. Un quart de ce portefeuille est flottant.
L'éolien correspond assez bien à l'ADN de TotalEnergies : ce sont de grands projets industriels qui mobilisent notre capacité à investir, à développer, à construire. C'est en mer, et c'est très international. Nous nous intéressons particulièrement au flottant, qui est la nouvelle frontière de l'éolien en mer.
Mon propos ressemblera beaucoup à celui d'EDF Renouvelables. La frontière est floue entre le flottant et le posé, et TotalEnergies est bien placé pour le savoir : on pose du posé très profond dans le pétrole. Mais le flottant a un certain nombre d'avantages qui le rendent particulièrement intéressant, et font qu'il représente un quart de notre portefeuille de projets, bien au-delà de la proportion réelle entre posé et flottant dans l'industrie aujourd'hui.
La spécificité du flottant tient au flotteur et aux ancrages, davantage qu'aux turbines et au raccordement, semblables à ceux du posé. TotalEnergies connaît bien les différents flotteurs, leurs avantages et leurs inconvénients respectifs, pour en avoir mis en oeuvre à peu près tous les types possibles dans l'industrie pétrolière : des barges, des semi-submersibles, des flotteurs à ancrage tendu. L'adaptation de gros flotteurs pétroliers à une multitude de flotteurs plus petits pour l'industrie éolienne en mer constitue une forme d'innovation. Elle ne pose pas de problème technologique majeur en termes d'architecture navale, tous les flotteurs ayant des avantages et des défauts. Nous nous intéressons à ceux qui peuvent être produits en grande série et pour un coût intéressant, c'est-à-dire à ceux qui ont un véritable potentiel d'industrialisation. Des flotteurs légers, mobilisant moins de matière, béton ou acier, sont à cet égard plus intéressants, car les besoins en matériaux sont gigantesques. Nous privilégions aussi des flotteurs faciles à assembler. Les ports, même s'ils font beaucoup d'efforts d'adaptation, auront beaucoup de difficultés à accueillir des monstres de 80 mètres d'empattement construits par dizaines. En résumé, le premier défi de l'éolien flottant est de trouver des flotteurs légers et pas chers à assembler.
Le deuxième défi est celui des ancrages qui mobilisent aussi énormément de matière. Sur un ancrage classique, c'est le poids de la chaîne qui maintient le flotteur en place, comme pour un bateau. Cela représente des quantités d'acier astronomiques, une emprise au sol importante, et plusieurs centaines de mètres de chaîne - à moins d'avoir des ancrages tendus. On essaie d'innover sur ces ancrages, et l'on travaille notamment à tenter de réduire leur emprise, pour diminuer à la fois les tensions dans les ancres et la quantité de matière à utiliser.
Le troisième sujet se situe à l'interface de plusieurs champs, or l'industrie ne parvient pas encore bien à travailler collectivement. Un flotteur d'éolienne est une sorte de culbuto : une grosse masse avec un très grand bracon sur lequel on met une masse lourde assez haut. Le design des flotteurs est réalisé par les flottoristes ; la turbine et le mât, par les turbiniers. Mais ces acteurs ne parviennent pas encore bien à travailler ensemble. Accorder ces deux pans de l'industrie est l'un des défis des intégrateurs, des développeurs. Une turbine bon marché ne servira à rien si le prix du flotteur est démesuré.
Un autre sujet important, également à l'interface de plusieurs champs, est celui des ports. L'infrastructure portuaire française est un de nos atouts, comme on l'a déjà dit. Mais sa mise à l'échelle requiert encore beaucoup de travail, et des financements auxquels un seul projet ne suffira pas.
Outre ces défis d'ingénierie technique, d'autres tiennent aux spécificités du système français. Nous avons beaucoup d'atouts, notamment celui d'être parvenus rapidement à mettre en place des projets pilotes, et il ne faut pas perdre notre avance. En revanche, dans les autres pays, l'industrialisation est plus rapide, ainsi que l'attribution de grandes capacités. Or l'industrialisation de l'éolien offshore a besoin de pouvoir compter sur des quantités, et sur un calendrier. Attribuer des projets par quarts de gigawatt est insuffisant, il faut aller plus vite et tout faire pour améliorer la visibilité sur l'attribution des permis de construction. Outre l'importante question du volume, il faut pouvoir planifier, anticiper les délais de mise en oeuvre de ces volumes. C'est dans ces conditions seulement que l'industrie française, avec toute la chaîne de sous-traitants, pourra s'organiser.
Un autre sujet est celui des coûts. La filière n'est pas encore mature, et l'on demande aujourd'hui, particulièrement en France, de prédire ce que seront les coûts pour des constructions dans huit à dix ans. C'est impossible, et cela constitue un risque énorme pour l'industrie. Les appels d'offres sont aujourd'hui ultra-concurrentiels, et ils ne portent pas sur de très gros volumes, et cela, pour des constructions dans huit à dix ans, sur une filière qui n'est pas mature. L'énorme difficulté pour nos équipes techniques, ainsi que pour l'industrie en général, est moins de dimensionner le flotteur que de savoir combien il va coûter dans dix ans. Or c'est maintenant qu'il faut prévoir un prix.
Enfin, plus il y aura de la visibilité sur le calendrier de mise en oeuvre de ces projets, plus il sera facile pour nous et nos sous-traitants de concevoir des schémas innovants, de développer des outils industriels adaptés en France, de nous appuyer sur les avantages considérables dont la France dispose pour une fabrication locale de ces flotteurs. À l'inverse, sans visibilité, avec une pression sur les coûts, nous ne pourrons plus prendre de risques sur nos projets, et nous utiliserons des capacités de construction déjà mises à l'échelle, à bas coûts - et elles ne seront pas françaises.
M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office. - On est au coeur du sujet, mais j'y reviendrai plus tard dans le débat. Je veux d'abord laisser parler nos intervenants et je donne maintenant la parole aux opérateurs.
M. Marc Hirt, directeur général d'OceanWinds France. - OceanWinds est la co-entreprise fondée il y a quelques années par Engie et EDPR, la filiale énergies renouvelables d'Energias de Portugal (EDP). Nous sommes donc un « pure player » dans l'éolien offshore.
L'expérience d'OceanWinds montre que l'éolien flottant est prêt à passer à une échelle industrielle. Nous opérons dans l'éolien depuis dix ans. Après l'étape des prototypes est venue celle des projets pilotes : ainsi, le projet de 24 mégawatts au large des côtes du Portugal, avec trois éoliennes sur flotteurs, est une expérience riche en enseignements.
La société Principle Power, dont nous sommes actionnaires à travers EDP, a développé, avec ses équipes, basées en grande partie à Aix-en-Provence, une technologie de flotteurs assez innovante : il s'agit de trois flotteurs classiques sous une turbine, mais avec un système d'équilibrage interne qui transfère de l'eau d'un flotteur à l'autre, selon les conditions météorologiques et océaniques. Cette technologie est aujourd'hui complètement aboutie et prête à être mise en oeuvre à l'échelle industrielle. Nous allons l'utiliser dans un projet pilote de 30 mégawatts, que nous sommes en train de développer, en partenariat avec l'Ademe, au large de Port Leucate et Port-la-Nouvelle.
Je voulais également insister sur notre action à l'étranger : notre portefeuille d'éolien représente aujourd'hui à peu près 16,5 gigawatts, dont un tiers de flottant. Des projets à taille industrielle vont être lancés très prochainement : un projet de 1,3 gigawatt en Corée, qui sera mis en service avant la fin de la décennie ; deux projets de 2 gigawatts, l'un en Californie, l'autre au nord de l'Écosse, qui seront mis en service probablement au début des années 2030. Nous sommes donc prêts à investir, à développer des projets de cette taille, qui vont émerger un peu partout dans le monde dans les prochaines années : l'industrie est prête à relever ce défi et à développer des capacités importantes d'éolien flottant.
Nous serions ravis de pouvoir le faire également en France : je pense qu'il y a une capacité de développement plus rapide que celle annoncée aujourd'hui. L'objectif de 40 gigawatts à l'horizon 2050 correspond à un rythme de développement d'éolien flottant et posé d'environ 1,4 gigawatt par an, bien inférieur aux rythmes annoncés au Royaume-Uni, en Allemagne ou aux Pays-Bas, qui sont de 2,5 gigawatts par an, voire davantage, sur la même période. Nos voisins vont donc beaucoup plus vite, et l'industrie va s'organiser autour de ces volumes. La France peut donc saisir cette opportunité d'accélérer son développement de l'éolien.
M. Alexis Darquin, directeur d'Equinor Renewables France. - Equinor est le principal énergéticien norvégien, et compte plus de 22 000 collaborateurs dans 30 pays. Son actionnaire majoritaire est l'État norvégien, ce qui lui donne une spécificité : celle d'être guidé principalement par des valeurs et des engagements envers les communautés et la planète. Equinor applique ainsi toujours les plus hauts standards et a une éthique de travail reconnue dans l'industrie. Nous essayons de rester des alliés fiables et de procurer une sécurité d'approvisionnement énergétique à nos partenaires. Equinor est ainsi, depuis plus de vingt ans, le premier fournisseur de gaz naturel de la France.
L'autre spécificité d'Equinor est sa longue tradition de travail en mer. Depuis plus de cinquante ans, nous sommes spécialisés dans la livraison de projets complexes offshore, ce qui nous a donné une expérience unique et nous a permis d'être à la pointe de l'innovation industrielle en mer. Nous sommes également à l'origine de la fabrication de stations de production sous-marines. Il n'existe que trois stations pétrolières flottantes dans le monde, construites en béton, dont deux sur ancrage tendu, et toutes sont opérées par Equinor. Nous développons aujourd'hui des câbles dynamiques pour des liaisons de plus de 300 kilomètres de long en courant continu, pour alimenter l'une de ces plateformes flottantes au large de la Norvège.
Equinor a ainsi naturellement été le premier à fabriquer un démonstrateur d'éoliennes flottantes, mis en service en 2009 au large de la Norvège, qui est toujours utilisé dans le cadre d'un centre d'essais pour servir au développement de briques technologiques. Celui-ci nous a permis d'établir le fonctionnement de cette technologie et de développer le contrôleur de turbines lié à l'éolien flottant.
Depuis cinq ans maintenant, nous sommes opérateurs d'une ferme flottante au large de l'Écosse, qui présente de manière répétée les meilleurs facteurs de charge au monde, et qui nous a notamment permis de développer les techniques d'installation et d'exploitation de l'éolien flottant. En 2022, Equinor a mis en service au large de la Norvège la plus importante ferme flottante au monde, Hywind Tampen, avec onze flotteurs et une capacité installée juste en-deçà de 100 mégawatts. Cette installation nous a permis d'aborder l'industrialisation des flotteurs et des ancrages. Les précédents flotteurs étaient en acier, ceux d'Hywind Tampen sont en béton. Equinor a donc construit et installé plus de la moitié de la capacité flottante mondiale en service, qui est aujourd'hui d'un peu plus de 200 mégawatts - un chiffre en constante évolution, mais qui reste encore modeste par rapport à la proportion d'éolien posé installée.
La ferme d'Hywind Tampen a été réalisée avec plus de 50 % de contenu local, bien qu'il n'y ait pas de turbiniers en Norvège et que ce soit la première ferme éolienne en mer du pays, ce qui prouve que le projet est non seulement possible, mais aussi réussi, puisqu'il apporte des bénéfices aux communautés locales. Nous agissons toujours de façon transparente en promouvant la co-construction de ces projets avec les acteurs locaux.
Equinor est également présent sur l'éolien posé, avec plusieurs parcs en exploitation et la construction actuelle de la plus importante ferme posée au monde, Dogger Bank en Angleterre, qui produira à terme 5 gigawatts et qui mobilise par exemple pour les prochaines années l'usine General Electric de Saint-Nazaire. Nous sommes donc d'ores et déjà en collaboration avec des entreprises et des infrastructures situées en France, afin de partager notre savoir-faire et développer les innovations qui nous permettront de lancer la filière de l'éolien flottant en France. Comme cela a déjà été dit, la visibilité, les volumes, l'adaptation des infrastructures portuaires et le calendrier vont être des points-clés dans le lancement de cette filière qui présente énormément d'opportunités en France.
M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office. - Cet échange entre vous, professionnels aux expériences et responsabilités diverses, qui maîtrisez les aspects techniques, et nous, élus qui aurons la responsabilité de voter la prochaine loi de programmation pluriannuelle de l'énergie, est absolument passionnant. Il ne faut pas oublier que nous sommes dans un monde ouvert et que chacune de nos décisions doit être mesurée à l'aune de ce qui se passe dans le monde, y compris lorsque l'entreprise est de culture française.
La France représente 4 % de l'économie mondiale. Vos entreprises sont en général présentes dans le monde entier. Si nous prenons une décision sans tenir compte de ce qui se passe hors de France, nous risquons d'arriver après la bataille. Notre réflexion publique doit donc être guidée par la volonté de nos compatriotes, tout en s'insérant dans le schéma général des actions et des décisions prises par ceux qui vont déterminer la nature même des outils de production, selon une norme mondiale, et leur capacité de transfert. Il s'agit d'identifier les problèmes techniques et peut-être de donner la parole à ceux qui vont être les voisins de ces projets, préoccupés par la nature même de ceux-ci.
En ouvrant la séance, j'ai dit aimer les éoliennes, parce qu'elles ont un effet redistributeur entre les villes et le monde rural. Qui sont les partisans de l'éolien maritime ? Les premiers sont ceux qui ne veulent pas de l'éolien à terre ; ils ne se mobilisent pas très activement. D'autres font partie des bénéficiaires potentiels du développement économique apporté par ces projets qui impliquent des investissements colossaux. Mais la plupart d'entre nous voudraient le beurre et l'argent du beurre, c'est-à-dire continuer à jouir de ce qu'ils connaissent, leurs paysages, et bénéficier malgré tout des retombées économiques.
Aux professionnels qui s'expriment aujourd'hui, je souhaiterais poser quelques questions techniques. La première s'adresse à RTE : le raccordement étant complexe, quel est son impact sur les coûts de production ?
La deuxième porte sur les turbines, leur taille, leur puissance et leur probable évolution. On peut penser qu'il vaut mieux installer des éoliennes moins nombreuses, avec des turbines plus puissantes, produisant unitairement plus de courant. Quelle est la capacité optimale des turbines et est-elle limitée ? Cette puissance est naturellement liée à la structure qui porte la turbine, et c'est cette structure qui définit l'impact de l'éolienne sur le paysage et sur la vie quotidienne.
La dernière question porte sur les capacités des installations portuaires : ce sont des productions qui requièrent beaucoup d'espace, pour la préparation et le stockage. Or les ports disposent souvent d'un espace limité à dédier à de telles activités : Le Havre est par exemple un très grand port, mais il a de très grandes ambitions et un espace limité ; Marseille a une vocation vraiment plus spécialisée aujourd'hui. Il serait intéressant de connaître votre point de vue sur les atouts et les faiblesses de nos ports, ceux où l'on construit et assemble les éoliennes maritimes constituant pour vous des alliés de taille.
Mme Michelle Meunier, sénatrice. - Merci aux intervenants pour tout ce que vous nous avez apporté aujourd'hui, et pour la diversité de vos approches sur cette même question de l'éolien en mer, qui, en tant que sénatrice de la Loire-Atlantique, m'a beaucoup intéressée. Pour ma part, j'inscrirai mes questions dans le champ des sciences sociales.
La première s'adresse à Florent Guinot, de France Énergies Marines, qui a évoqué les défis d'intégration à la fois environnementale, sociale, voire sociétale, de l'éolien en mer. La population étant parfois réticente, voire hostile, à ces installations, avez-vous des perspectives pour développer davantage encore cette intégration environnementale et sociale ?
Ma seconde question s'adresse à Grégoire de Roux, d'EDF Renouvelables, qui a évoqué la nécessité d'une démarche programmatique. Ne faut-il pas aussi tenir compte de tout ce que les collectivités ont déjà pu développer, en termes d'accès, de transport, de déplacement et de mise à disposition de ces techniques ?
Mme Sonia de La Provôté, sénatrice, vice-présidente de l'Office. - J'aurai quelques précisions à vous demander sur les questions de planification et sur le calendrier de mise en place des infrastructures industrielles, en back office. Pour les projets de loi de finances, nous aurions besoin d'une estimation du montant nécessaire à la mise à niveau des infrastructures portuaires en France.
Ma deuxième question porte sur les ressources humaines : vous prévoyez de créer de très nombreux emplois ; or, depuis quelques années déjà, le recrutement pose problème en France, de l'ingénieur au technicien. Existe-t-il un comité interministériel en lien avec les industriels pour aborder ces questions ? Quel est l'état des ressources humaines dans ce domaine ?
Ma troisième question concerne la R&D : alors que certains pays dédient des éoliennes flottantes à la R&D, pourquoi la France, alors qu'elle était pendant un temps plutôt en avance dans ce domaine, ne l'a pas fait ?
Ma question suivante porte sur les impacts des éoliennes, qu'il ne faut pas sous-estimer. Les impacts sur la faune et la pêche, notamment, sont des questions qui nous mobilisent énormément sur le terrain. Y a-t-il, au niveau international, un suivi et une recherche en matière d'innovation ? Sur l'exploitation des grands fonds marins, par exemple, cela se met en place difficilement. Pourrait-il y avoir une mise en commun des connaissances scientifiques sur les impacts possibles de l'éolien offshore ? Rappelons que l'absence de données formelles, précises et consensuelles sur l'éolien terrestre a créé du doute et de l'hostilité, ce qui constitue ici un danger potentiel.
Enfin, si la France n'a pu être pionnière pour l'éolien posé, que manque-t-il pour qu'elle puisse l'être un peu pour l'éolien flottant ?
M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office. - La parole est d'abord aux pouvoirs publics - la DGEC et l'Ademe -, directement sollicités par les questions de nos collègues. Nous donnerons ensuite la parole aux entreprises, dont l'expérience internationale constitue une grande chance pour nous.
M. Nicolas Clausset. - Les entreprises seront peut-être plus à même d'apporter des précisions sur la partie technologique. Sur le parc de Saint-Nazaire, la puissance des turbines est de 6 mégawatts. L'usine qui produisait ces turbines de 6 mégawatts à Saint-Nazaire a aujourd'hui basculé sur du 13 ou 14 mégawatts, nous sommes donc dans une optique d'augmentation assez significative. Je ne sais pas s'il y a un plafond technique.
En tout état de cause, il est certain que dès lors qu'on augmente la puissance de la turbine, on augmente aussi la hauteur de l'éolienne, d'où la nécessité de disposer d'infrastructures portuaires de taille suffisante pour procéder à leur assemblage. Il ne s'agira pas alors de frein technologique quant à la hauteur des ouvrages, mais de contrainte de taille et de logistique pour les infrastructures portuaires en mesure de les accueillir. Sur les prochains parcs, pour lesquels nous sommes en procédure de mise en concurrence, nous prévoyons des puissances unitaires d'un peu plus de 15 mégawatts, pour une mise en service entre 2028 et 2030.
Un certain nombre de financements sont déjà mobilisés pour la mise à niveau des infrastructures portuaires, notamment par l'intermédiaire du plan France 2030 : 100 millions d'euros sont prévus pour la phase d'industrialisation des ports, mais il y aura évidemment d'autres fonds à mobiliser, l'estimation des investissements nécessaires à la mise à niveau des infrastructures portuaires s'élevant entre 100 et 300 millions d'euros. Tous les ports ne seront pas concernés, mais plusieurs sont intéressés, dont un ou deux sur la façade méditerranéenne. La région Bretagne a également investi dans le port de Brest pour accueillir la construction du parc du cinquième appel d'offres sur l'éolien en mer, dans la perspective d'en avoir effectivement d'autres par la suite. Ces niveaux d'investissement demandent donc, comme cela a déjà été dit, d'avoir une certaine visibilité sur un volume : une puissance limitée à 250 mégawatts ne saurait y suffire. Dans cette perspective, la loi prévoit d'ores et déjà un rythme d'attribution de l'ordre d'un gigawatt par an à compter de 2024.
Pour répondre à la question des impacts sur l'environnement et la pêche, nous avons déjà quelques retours d'expérience au niveau international. Un observatoire de l'éolien en mer, annoncé par le Premier ministre Jean Castex à l'été 2020, a été mis en place et est toujours en construction. L'un des premiers objectifs de cet observatoire est d'établir un retour d'expérience à partir des observations faites pour l'instant essentiellement à l'étranger, mais aussi de capitaliser sur ce qui pourra être fait en France. Nous sommes en train d'établir un programme d'acquisition de connaissances, de nouvelles études, sachant que certaines sont directement liées à des projets en cours, notamment sur l'avifaune dans le golfe du Lion. Nous envisageons de faire de même pour les prochains appels d'offres sur l'arc atlantique, afin de bien caractériser les enjeux environnementaux et d'être mieux à même de mesurer par la suite les impacts de l'éolien.
M. Régis Le Bars. - Je complète le propos pour l'Ademe. Les premières fermes pilotes d'éolien flottant étaient du 6 mégawatts par turbine. Aujourd'hui, on voit des productions de 13 mégawatts développées, et, pour l'éolien offshore, la norme devient 15 mégawatts. Les turbines ont des pales de plus de 100 mètres et des rayons de 50 mètres. On atteint donc déjà des hauteurs limites très importantes, et aujourd'hui, à la demande de l'État, l'Ademe mène des études sur la possibilité d'industrialiser la production avec des standards de 20 mégawatts. Les turbiniers, qui ont des objectifs supérieurs, nous disent ouvertement qu'il n'y a pas de limite technique, mais cela pose la question de l'adéquation entre la turbine et le flotteur. Il n'y a cependant pas d'homothétie directe : ce n'est pas parce qu'on double la puissance de la turbine qu'on double la taille du flotteur. La taille des flotteurs reste dans des standards, passant peut-être de 60 à 80 mètres de largeur.
Pour compléter ce qui a été dit par la DGEC sur les ports, l'État a demandé à l'Ademe, agence de la transition écologique, d'appeler les ports à manifester leur intérêt, afin d'anticiper leurs besoins en termes d'investissements. Ceci nous permettra de déterminer les sommes nécessaires pour rallonger les quais, à savoir 60, 100 ou 200 millions d'euros. Cette étude doit également permettre d'établir des synergies entre les ports : un port ne va peut-être pas, à lui seul, porter l'ensemble de la chaîne de fabrication et d'intégration. L'un peut se spécialiser sur les sujets liés au béton, un autre sur l'acier. Un port peut effectivement construire le flotteur, un deuxième intégrer le mât de l'éolienne sur le flotteur, et un troisième gérer ce qui concerne le câblage dynamique et l'ancrage. Cette synergie peut être importante et créer effectivement des emplois distribués sur l'ensemble d'une façade maritime, en distinguant bien la façade atlantique de la façade méditerranéenne.
Enfin, le sujet des compétences a partiellement été pris en compte dans le cadre du programme France 2030, qui inclut bien le ministère de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation. Ce dernier a publié des appels à projets, pour que les métiers puissent être développés. Mais si les compétences manquantes pour développer l'éolien flottant ont été anticipées - France Énergie Éolienne pourra sans doute évoquer plus longuement ce point -, ce n'est pas pour autant qu'elles sont résolues.
M. Alexis Darquin. - Je souhaiterais apporter un complément d'information sur le calendrier et les volumes de l'éolien flottant construits avant la fin de la décennie : je pense que nous parviendrons au gigawatt en Norvège ou en Corée du Sud avant 2030. En ce qui concerne la taille des turbines, comme cela a été dit, nous nous projetons plutôt sur 20 mégawatts à la fin de la décennie. Deux turbiniers chinois proposent déjà des machines de l'ordre de 18 mégawatts. Il n'y a pas en effet de limite technique, et des concepts de turbines de potentiellement 50 mégawatts existent déjà.
Outre les questions liées aux infrastructures et aux moyens humains que pose l'installation de telles turbines, il y a la dimension économique : la technologie évoluant très rapidement, l'investissement des turbiniers pour développer une nouvelle plateforme ne sera pas nécessairement rentabilisé si les volumes produits pendant une période donnée sont insuffisants. Pour surmonter cette limite technico-économique, située sans doute entre 20 et 30 mégawatts, il sera nécessaire de passer un palier.
M. Grégoire de Saivre. - Je suis tout à fait d'accord avec Alexis Darquin au sujet du problème économique des turbines : les turbiniers sont en très mauvaise santé aujourd'hui, ils se sont fait prendre au jeu de la course à la taille, et ils ne rentabilisent pas les investissements de leurs plateformes. Nous espérons un ralentissement, mais il y a là un vrai enjeu de survie de la chaîne et des turbiniers européens, dans un contexte où les turbiniers chinois poussent fort à la porte.
Quant à la taille, il faut faire la différence entre la puissance de la machine et le diamètre des pales, qui doit être adapté à la force des vents. Pour moissonner large dans les zones de vents faibles, comme l'Asie, il faut des pales au diamètre important et des turbines adaptées : on ne va pas faire de très gros rotors pour de toutes petites puissances. Dans les zones de vents forts, qui sont plutôt les zones du nord de l'Europe, le diamètre des pales se standardise et les turbines sont de grosses machines, avec la limite technico-économique de la rentabilité des turbiniers.
La question des infrastructures portuaires est vraiment essentielle pour l'éolien flottant : si les ancrages requièrent peu de temps et de moyens, et qu'ils peuvent être préparés partout, l'intégration d'énormes flotteurs, qui font tout de même 80 mètres d'empattement, nécessite des quais solides, avec une certaine profondeur d'eau. Seuls deux ports, un sur la façade atlantique, l'autre sur la façade méditerranéenne, sont vraiment adaptés pour ces flotteurs.
M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office. - Les flotteurs sont-ils reliés physiquement entre eux ?
M. Grégoire de Saivre. - Un flotteur, pour une plateforme semi-submersible, ce sont trois gros tubes métalliques ou éventuellement en béton reliés par des bracons, l'ensemble ayant un empattement de 80 mètres.
La quasi-totalité de la préfabrication et de la fabrication peut être faite sur place, comme à Fos-sur-Mer, ou en ce moment même à Port-la-Nouvelle pour les projets pilotes, mais cela nécessite beaucoup de place quand de nombreux flotteurs sont fabriqués en même temps. Il faut également s'assurer que la main-d'oeuvre est compétitive, ou que les appels d'offres permettent de la payer correctement. On peut sinon préfabriquer à l'étranger, amener les différentes briques sur des bateaux de taille raisonnable, et faire uniquement l'assemblage final sur un port français.
M. Alexis Darquin. - Nous estimons, par notre expérience à l'étranger, les montants nécessaires à la mise à niveau des infrastructures portuaires à plus de 250 millions d'euros. Étant donné le nombre de ports intéressés pour soutenir cette filière en France, le coût va sans doute s'élever à plus d'un milliard d'euros, alors que 300 millions seulement sont aujourd'hui prévus.
Pour sa fabrication, l'éolien flottant est tributaire de la capacité des infrastructures portuaires, là où l'éolien posé dépend de la capacité des bateaux d'installation. La fabrication des flotteurs peut être faite à terre ou en mer, selon les matériaux utilisés, béton ou acier. Pour avoir des infrastructures portuaires qui soient capables de manipuler du béton et de supporter des portances très lourdes, il faut des investissements très importants. Les constructeurs qui adoptent la technologie béton peuvent alors choisir de produire les modules à terre mais de les assembler en mer, la structure complète, qui pèse plus de 20 000 tonnes, ne pouvant être manipulée à terre. Les deux techniques peuvent être utilisées.
M. Grégoire de Roux. - La faisabilité en mer qui vient d'être évoquée correspond à une typologie côtière un peu particulière : pour pouvoir accoster ces modules dans de bonnes conditions, il faut être dans des zones suffisamment abritées, comme les fjords, mais ce n'est pas possible en mer ouverte. Des logiques d'assemblage pertinentes à un endroit donné ne pourront pas toujours être déployées ailleurs.
M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office. - Pour un flotteur de très grande taille, peut-on imaginer un assemblage en mer de ses différentes briques ?
M. Grégoire de Saivre. - Un tel assemblage n'est pas possible en pleine mer : contrairement aux fjords, les côtes françaises ne sont pas assez abritées.
En matière d'industrialisation, l'option qui me semble la plus crédible est d'utiliser la préfabrication, peu coûteuse et modulaire, et de prévoir un assemblage final rapide. Cette rapidité d'exécution est essentielle, car on ne dispose pas de place suffisante pour stocker ces ouvrages dans les ports.
Mathieu Monnier, délégué général adjoint de France Énergie Éolienne. - Pour répondre à votre question sur les prototypes, j'évoquerai Floatgen, celui que nous avons mis en service en 2018 au large du Croisic. Ses résultats sont prometteurs, avec une production électrique record en France. L'École centrale de Nantes qui l'exploite nous fournit un retour d'expérience important.
La question des ressources humaines et des compétences, est un point extrêmement important, transversal à toutes les filières électriques. Nous y travaillons beaucoup avec l'Union française de l'électricité. Certains métiers, présents à la fois dans le nucléaire et dans les énergies renouvelables, comme soudeur ou chaudronnier, sont en tension. Il est de notre intérêt de mutualiser les investissements, les compétences, pour ces différentes filières. Un volet « emploi-formation » dans la programmation pluriannuelle de l'énergie serait opportun, et un certain nombre de programmes de France 2030 pourraient également aller en ce sens. Pour la filière éolienne en mer, 20 000 emplois sont prévus en France à l'horizon 2035. Il faudrait particulièrement investir au niveau régional, puisque les emplois et formations relèvent d'une compétence régionale forte, et que nous travaillons déjà avec les collectivités.
M. Grégoire de Roux. - Ces échanges sur l'assemblage et la mise à l'eau du flotteur sont pour moi typiques de la difficulté que nous pouvons avoir à fournir aux ports un cahier des charges solide et intelligible. L'ensemble des possibles ne pouvant être atteint pour un port, il nous faut absolument affiner ce cahier des charges, et interagir avec les ports en amont. Je pense que nous nous accordons tous sur une logique de façade maritime : il ne faut surtout pas qu'il y ait de compétition entre les ports, mais que chacun joue un rôle particulier, afin d'utiliser au mieux l'argent investi. Qu'il s'agisse de l'assemblage des flotteurs, de leur type, de la taille des turbines, nous avons la responsabilité collective - délicate à appréhender - d'inscrire correctement les ports dans cette feuille de route.
Quant aux turbiniers, il y a de nombreuses façons d'aborder le sujet, qu'il s'agisse de l'augmentation de la taille des turbines, de la santé des turbiniers ou encore de la taille des rotors. En effet, pour une production optimale, il faut adapter la taille du rotor à celle de la nacelle. La puissance unitaire de la nacelle ne constitue probablement pas une limite - nous savons bien faire de très belles locomotives de train -, et nous avons donc encore une marge de progression. C'est sans doute un peu moins le cas pour la taille des rotors, où des logiques de qualité de fabrication de ces objets, qui vont demain mesurer de 100 à 150 mètres, sont en jeu. Il faut également prendre en compte la vitesse minimum de rotation de la machine : avec 10 tours par minute environ pour un rotor d'un peu plus de 200 mètres, la vitesse en bout de pale est déjà de 400 km/h, ce qui doit nous amener à considérer la question de l'érosion et de l'intégrité à long terme des rotors. Sera-t-elle de 30, 25 ou 32 ans ? À nous d'essayer de le prévoir le plus justement possible.
Les nacelles que nous allons installer, sur le parc Provence Grand Large et sur les autres fermes pilotes, sont typiques d'une locomotive de TGV : elles pèsent 450 tonnes et ont une puissance de 10 mégawatts.
M. Marc Hirt. - Les monopieux enfoncés dans le sol, qui soutiennent les éoliennes posées, pèsent jusqu'à 2 000 tonnes. Un flotteur peut peser jusqu'à 4 000 tonnes aujourd'hui, ce qui est vraiment très lourd.
Je voudrais évoquer la phase « opération et maintenance » : nous parlons beaucoup de la phase de construction, mais cette partie ultérieure génère aussi énormément d'activité pour les ports, ainsi qu'une activité locale, puisque des équipes se rendent quotidiennement sur site, en bateau, pour les opérations de maintenance. Cette phase crée un énorme gisement d'emplois et d'activités non délocalisables, contrairement à la phase de construction, qui nécessite d'énormes emplacements de chantier - des yards - que nous n'avons pas toujours, ou seulement en partie, en France.
M. Michel Gioria. - Pour revenir sur les questions sociales et sociétales, effectivement essentielles, plusieurs points me semblent devoir être évoqués sur la manière de susciter l'adhésion et d'accompagner le changement.
On relève tout d'abord un intérêt conjoint des industriels et des différents usagers de la côte autour de la question de la planification. La planification doit donner de la visibilité, comme pour un grand projet d'aménagement urbain. Je prends souvent l'exemple de la ville de Marseille avec le projet Euroméditerranée : lorsque le projet a été décidé il y a une quinzaine d'années maintenant, les transformations à venir ont tout de suite été rendues visibles aux usagers de la ville, qu'il s'agisse de l'emplacement des réseaux de chaleur, de l'hôpital ou du lycée international. Il faut que nous fassions de même sur les façades maritimes, et que nous puissions donner à l'ensemble des usagers de la mer et des riverains des éléments sur lesquels échanger, comme par exemple le nombre de parcs à horizon 15 ou 30 ans, ou les modalités de développement en termes de taille et d'éloignement par exemple. Cette visibilité à long terme est un point essentiel, parce le fonctionnement au coup par coup génère de vraies difficultés pour les différents usagers. Cette planification répondra aussi à des enjeux d'infrastructures industrielles et de financement.
Un deuxième point important - déjà traité lors des nombreux débats au cours de la loi d'accélération des énergies renouvelables - est le partage de la valeur associée au développement des énergies renouvelables. Ce partage est essentiel, avec les communes bien sûr, et aussi pour soutenir la transition énergétique d'autres secteurs d'activité co-usagers de la mer : les pêcheurs, notamment, qui doivent engager une reconversion de leur flotte de bateaux, du fioul à l'hydrogène par exemple. Un travail doit être fait sur les modalités d'accompagnement, sur l'usage de ces investissements en mer, pour contribuer à la décarbonation d'autres secteurs d'activité, notamment le transport de marchandises en mer et la pêche, pour que les bénéfices communs soient partagés.
Enfin, il nous faut faire preuve de beaucoup plus de pédagogie sur ce changement sans précédent que constitue la décroissance organisée et programmée de la consommation d'énergie fossile, celle-ci représentant aujourd'hui encore 60 % de notre bilan énergétique. On ne met pas suffisamment en lumière le fait que, pour remplacer ces 60 % de consommation d'énergie importée - puisqu'on n'a quasiment pas de gisements fossiles sur le territoire national -, il va falloir produire l'énergie, notamment à travers les énergies renouvelables, sur notre territoire terrestre et maritime. Je pense que ce changement n'est pas encore clair dans l'esprit de beaucoup de nos concitoyens, et ces projets, notamment dans le cas d'un futur débat public sur l'éolien offshore, sont l'occasion d'expliquer et d'illustrer ce que représentent ces énergies.
M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office. - Dans le projet de loi sur les énergies renouvelables actuellement discuté à l'Assemblée nationale et au Sénat, nous avons fait le choix d'éloigner un peu l'éolien maritime des côtes. N'est-ce pas une complication inutile ?
Mme Sonia de La Provôté, sénatrice, vice-présidente de l'Office. - S'éloigner des côtes permet à la fois d'éviter des problèmes de nuisance visuelle pour les riverains, et de favoriser l'accélération du flottant, n'est-ce pas ?
M. Nicolas Clausset. - La géographie compte aussi. En Méditerranée, loin des côtes, il y a des canyons sur lesquels on ne peut pas construire. Sur la façade Manche-Est Mer du Nord, on a évoqué tout à l'heure le rail de navigation transmanche, autour duquel il faut ajouter une distance de sécurité. Si on s'éloigne trop, on supprime ainsi toute possibilité de développement.
Sur l'Atlantique, la profondeur augmente très rapidement. On peut donc technologiquement passer à du flottant. Hélas, on ne sait pas encore raccorder au-delà de cent mètres.
M. Régis Boigegrain. - Plus exactement, on ne sait pas raccorder à un coût raisonnable au-delà de cent mètres.
Concernant les coûts, c'est l'éloignement combiné à la puissance du parc à raccorder, qui fait passer des technologies de courant alternatif vers les technologies de courant continu. Le parc Centre Manche 1, d'une puissance d'un gigawatt, et le parc Centre Manche 2, d'une puissance de 1,5 gigawatt, seront nos premiers parcs ainsi raccordés en courant continu. Ils combinent une puissance importante et un éloignement de l'ordre de 100 kilomètres du point de connexion terrestre. Les seuils à retenir pour le choix du raccordement en courant continu sont les suivants : 130 km pour une puissance d'un gigawatt, et 100 km pour 2 gigawatts. L'explication est assez simple : en courant alternatif, les coûts liés au câble augmentent avec l'éloignement de façon linéaire, alors qu'en courant continu, l'essentiel des coûts d'investissement porte sur les stations de conversion terrestres et maritimes. Dit autrement, en courant continu, le coût initial est élevé, mais s'éloigner coûte ensuite assez peu.
M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office. - Pourquoi cette différence entre courant alternatif et courant continu ?
M. Régis Boigegrain. - En courant alternatif, pour 750 mégawatts par exemple, on doit utiliser trois câbles. En courant continu, il y a moins de perte : un aller-retour est nécessaire. Cela dépend bien sûr si l'on est en monopôle ou en bipôle, mais globalement, on gagne aussi sur la consistance générale de l'ouvrage.
Quant à la profondeur, à partir de 100 mètres, le problème est davantage économique que technologique - même si l'on imagine les jambes d'acier nécessaires pour supporter une plateforme de 20 000 tonnes... C'est plus d'un étage de la Tour Eiffel, au minimum. L'impact environnemental est considérable. Les coûts de construction sont gigantesques, sans parler de l'entretien de la mécanique immergée, qui n'est pas notre coeur de métier et que l'on déléguera.
Au sujet du développement du flottant, nous nous intéressons déjà à la manière de réduire ou de contenir ces coûts. Lorsque c'est possible, on mutualise les infrastructures : c'est ce que l'on va faire pour les parcs Sud Bretagne et les deux parcs en Méditerranée, en construisant un poste électrique de 750 mégawatts qui va permettre d'accueillir sur le même poste en mer les premiers parcs ainsi que les extensions attendues.
On essaie également de standardiser : pour les raccordements des parcs Centre Manche 1 et Centre Manche 2, on prévoit ainsi deux plateformes de courant continu d'une puissance de 1,25 gigawatt. On vient de modifier notre avis de marché pour inclure la plateforme qui sera prévue pour le raccordement de l'appel d'offres AO7 Sud-Atlantique. Cela signifie que l'on standardise le design pour rendre possible l'achat de trois plateformes auprès d'un consortium industriel, en espérant que la répétitivité permettra de contenir le coût.
Je suis très frappé de ce qui s'est passé en mer du Nord, où une communauté d'acteurs s'est formée et a su solliciter les fonds européens. La mer du Nord est une cuvette, avec une profondeur de 50 à 60 mètres partout : cela convient bien aux technologies posées. Aujourd'hui, un standard de plateforme posée de 2 gigawatts de courant continu est en train d'être porté par les opérateurs allemands et néerlandais (TenneT au premier chef, Amprion, etc.) et soutenu par l'industrie allemande, Siemens faisant partie des grands fournisseurs de courant continu.
Pour le flottant, rien n'est encore organisé. Or nous devrions conduire le même type de réflexion sur les avantages ou les inconvénients géographiques. La France doit trouver des alliés. En Europe, il y a les Irlandais, les Norvégiens, les Portugais, et les Espagnols.
Quant au fléchage des fonds européens pour aider au développement de l'éolien en mer, il serait bon que l'on puisse faire en sorte de réduire le coût et d'accélérer l'industrialisation, pas uniquement en mer du Nord, mais également sur l'arc atlantique, parce que l'on pourrait associer a minima le Portugal, l'Espagne, la France et l'Irlande - c'est plus compliqué pour la Norvège. Cela nous permettrait de lever les verrous technologiques que j'évoquais tout à l'heure.
M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office. - Est-il absurde de dire que le raccordement électrique représente un quart ou un tiers du budget ?
M. Régis Boigegrain. - Pour le posé, l'ordre de grandeur est entre 25 % et 30 % du coût du parc. Pour le flottant, on ne sait pas encore - à vrai dire, le marché mondial est lui-même flottant.
M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office. - Qui, parmi les exploitants, partage ce point de vue ?
M. Alexis Darquin. - Je confirmerai ce que dit Régis Boigegrain : 80 % de la ressource éolienne marine potentielle est en flottant, mais nous sommes confrontés à des limites technico-économiques. Les parcs attribués sur la côte ouest des États-Unis vont être développés par un kilomètre de fond. Plusieurs Joint Industry Projects sont en cours pour développer ces fermes flottantes.
M. Grégoire de Saivre. - Nous sommes du même avis. Géographiquement, trois quarts du marché potentiel est flottant, mais il va falloir du temps avant que le marché du posé soit saturé.
M. Grégoire de Roux. - Je pense aussi qu'il y a encore beaucoup de choses à faire en posé. Le marché potentiel du flottant est effectivement considérable, mais la question demeure de savoir quelle part de ce marché se réalisera effectivement.
M. Marc Hirt. - Je confirme que le potentiel de l'éolien flottant est énorme, et cela ira sans doute plus vite que certains le pensent.
M. Régis Boigegrain. - Sur les 40 gigawatts prévus en 2050, 10 ou 12 gigawatts seulement se feront avec un raccordement flottant. Cela équivaut à cinq plateformes. Ce sera certainement insuffisant pour que nous puissions amortir les coûts. Sans doute faut-il tout de suite chercher des alliés et viser un marché au-delà de la France, voire de l'Europe.
M. Alexis Darquin. - Aujourd'hui, compte tenu du volume des projets, le raccordement devrait correspondre à environ un quart des coûts. Pour l'amortir, il faudra des volumes de l'ordre de 2 gigawatts, comme sur les projets de la côte Ouest aux États-Unis. C'est la mutualisation dont parlait Régis Boigegrain.
M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office. - Que pense TotalEnergies, dont le marché est mondial, d'une mutualisation ? Y a-t-il réellement un marché français ?
M. Grégoire de Saivre. - La France a beaucoup de potentiel. Le problème est celui du calendrier : il ne faut pas se laisser distancer par le rythme mondial.
M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office. - Une stratégie française d'alliance pour un type de produit ne serait donc pas absurde...
M. Grégoire de Saivre. - Je ne sais pas quoi vous répondre...
M. Florent Guinot. - Deux questions n'ont pas été évoquées, celles portant sur les notions d'impact et d'acceptabilité.
M. Pierre Henriet, député, président de l'Office. - Oui, quelques questions à ce sujet ont justement été posées sur la plateforme en ligne. Ce n'est pas directement l'objet de l'audition aujourd'hui, mais c'est bien de l'évoquer.
M. Florent Guinot. - La tendance est à l'éloignement croissant des parcs, notamment pour éviter leur impact visuel, qui est subjectif. Les autres conséquences, sur la faune, la flore, les usages, l'avifaune, le benthos, sont difficiles à préciser et relèvent encore de l'imaginaire : on ne sait pas quantifier quelles populations sont présentes sur ces zones lointaines. Et l'on ne dispose que de très peu de retours d'expérience, contrairement aux premiers kilomètres à proximité des côtes.
Il y a donc un réel effort à mener pour caractériser ce qu'on appelle l'état initial, et ensuite pour déterminer les impacts de manière objective. Actuellement, chacun interprète à sa façon telle ou telle évolution de population ; or seules des approches écosystémiques objectives pourront permettre de caractériser l'impact de tous les projets dans l'écosystème global.
Nous travaillons de manière très rapprochée avec toutes les parties prenantes, que ce soient les développeurs de projets ou les autres acteurs de la filière, pour apporter les éléments qui permettront une caractérisation scientifique. C'est un point sur lequel il faut des investissements et des efforts conséquents. C'est seulement après que nous pourrons prendre des décisions de manière objective, et passer aux méthodes dites « ERC » pour éviter, réduire et compenser les impacts.
Mme Bénédicte Genthon. - À l'Ademe, nous travaillons beaucoup sur le paysage, notamment avec l'École nationale supérieure de paysage de Versailles, avec les appels à projets Plan de paysage, ou avec la Direction de l'Habitat, de l'Urbanisme et des Paysages (DHUP) au sein du ministère de la Transition écologique et solidaire. Nous avons notamment produit un imagier de la transition énergétique qui permet de voir la façon dont les paysages ont évolué au cours de l'histoire, avec la transformation des systèmes énergétiques, et comment ils vont continuer à évoluer.
La question du paysage nous paraît vraiment essentielle pour l'appropriation des projets. Quant aux enjeux socio-économiques, nous menons, avec France Énergies Marines et beaucoup d'autres partenaires, un projet de recherche sur le long terme qui s'appelle EOLENMER, destiné à faire un « point zéro » sur les sites en termes de tourisme, de pêche, d'emplois, etc. Après ce diagnostic territorial vient un suivi thématique dans chacun de ces domaines, et enfin un suivi ouvert interdisciplinaire. EOLENMER associe une cinquantaine de chercheurs du CEA, du CNRS, de l'Ifremer, de l'IFPEN, de l'IRD et des universités. Mentionnons enfin ce centre de ressources énergies renouvelables et biodiversité que l'on souhaite construire, et sur lequel nous travaillons conjointement avec l'Office français de la biodiversité.
M. Grégoire de Roux. - Au sujet du partage de données et de la mutualisation, il y a effectivement des choses à faire. En commençant par la demande de l'État de partager toutes les données collectées au cours du développement jusqu'à la mise en service.
Il y a une dimension de savoir-faire importante. Dans le cadre de la future implantation de Provence Grand Large, nous sommes en train d'installer une caméra pour compter les oiseaux, savoir comment vole telle espèce et où elle va, avec des outils qui sont en constante évolution et avec un peu d'intelligence artificielle. Sur le parc de Fécamp, des drones ont été équipés pour compter les oiseaux sur la falaise et caractériser un état initial. Nous répéterons cela tous les ans.
Certaines entités comme France Énergies Marines ont effectivement une vocation collaborative, loin de la compétition qu'on peut se livrer par ailleurs entre développeurs. La rationalisation des débats est dans notre intérêt commun. Il y a quelques jours est ainsi paru un article très positif, indiquant que les oiseaux de mer semblent s'accommoder assez bien des parcs éoliens.
Mme Sonia de La Provôté, sénatrice, vice-présidente de l'Office. - Les pêcheurs nous interpellent beaucoup...
M. Marc Hirt. - La pêche est l'activité économique la plus perturbée par les parcs qu'on implante. Nous devons faire beaucoup d'efforts pour que les pêcheurs puissent travailler dans les parcs. Certains pays l'interdisent, la Belgique par exemple.
Un point important est de veiller à donner aux pêcheurs une vision d'ensemble. Il est très irritant pour eux d'avoir des informations sur les projets au coup par coup. La planification leur est utile.
M. Grégoire de Roux. - Dans la construction d'un parc comme celui de Saint-Nazaire, la possibilité de la pêche est prévue. À Fécamp, un couloir a même été aménagé au milieu du parc pour que les bateaux n'aient pas à faire le tour. Et pendant la construction elle-même, un phasage était établi pour libérer des zones au fur et à mesure.
La concertation est longue, parce qu'elle demande de comprendre les différents types de pêche et les impératifs de chacune. Mais la coactivité s'opère correctement. Elle est importante pour nous parce que les pêcheurs restent près du parc toute leur vie. Il est dans notre intérêt que ça se passe bien pour eux, et on pense y parvenir correctement sur des parcs comme ceux-là.
M. Florent Guinot. - Il y avait une question sur les raisons pour lesquelles la France ne s'était pas dotée d'une éolienne de R&D. Je viens du monde de l'industrie et il est vrai qu'on voit beaucoup de projets pilotes ou de démonstrateurs dont les efforts dispersés ne bénéficient pas à l'ensemble de la filière. Pour la mise en place de ce type d'infrastructures, dont les coûts sont très importants, de l'ordre de centaines de millions d'euros, une mutualisation des efforts permettrait d'aller plus loin dans les tests, actuellement limités, de briques technologiques.
Je ne sais pas si tous les industriels autour de la table sont enthousiastes à l'idée de cette initiative. Il faut pourtant que la France dispose de ces outils bénéficiant à l'ensemble de la filière. Il n'est pas seulement question de la validation de briques technologiques, mais de la formation, de développements locaux à travers lesquels la filière industrielle commence à se mettre en marche. Nous soutenons un certain nombre d'initiatives dans ce sens, dont vous entendrez peut-être parler au cours de l'année.
L'enjeu concerne le côté opérationnel des technologies. Nous devons encore améliorer notre compétitivité. Si l'on arrive à faire gagner 2 % ou 3 %, voire 5 %, sur les coûts opérationnels ou les coûts de construction de ces systèmes, sachant que l'on parle de centaines, voire de milliers de systèmes, cela chiffre très vite. On a donc tout intérêt à travailler sur la recherche et le développement pour améliorer la montée en puissance et la compétitivité de la filière.
Mathieu Monnier. - Je signale que l'on va bientôt publier un rapport, commandé à France Énergies Marines, sur les impacts environnementaux de l'éolien en mer, qui rassemble un très grand nombre de données européennes, représentant trente années de retour sur expérience. Nous aurons plaisir à vous l'adresser d'ici quelques semaines.
M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office. - Je vous suis très reconnaissant d'avoir consacré une matinée complète à l'enrichissement de la connaissance des députés et sénateurs sur ce sujet difficile. Le débat sur l'énergie est engagé. Le président de la République a pris des initiatives.
Ce qui me préoccupe le plus est la compatibilité entre notre intérêt national et le projet industriel mondial. Comment faire en sorte que nous ne perdions pas la main sur le plan industriel alors que nous pouvons peut-être encore la garder ? La mondialisation a beaucoup d'avantages en termes de pouvoir d'achat, mais elle a aussi parfois des inconvénients en termes d'ambition industrielle - pas toujours cela dit, car il nous arrive de gagner. Mais notre balance commerciale est déficitaire. Je vous remercie une nouvelle fois pour votre présence ce matin.
La réunion est close à 12 h 20.