Mardi 28 février 2023
- Présidence de M. Alain Cadec, vice-président -
La réunion est ouverte à 14 h 30.
Audition des agences de l'eau
M. Alain Cadec, vice-président. - Mesdames et messieurs, mes chers collègues, je vous remercie d'avoir accepté de participer à notre mission d'information. Toutes les agences de l'eau sont représentées dans notre table ronde. Elles constituent le bras armé de notre politique de l'eau depuis au moins un demi-siècle. Nous ouvrons la première audition publique de notre mission d'information sénatoriale, qui a tenu sa réunion constitutive le 8 février. Cette mission d'information a été lancée à la demande du groupe socialiste, représenté aujourd'hui par Hervé Gillé. C'est une excellente initiative.
Rémy Pointereau, président de notre mission d'information n'a pas pu être présent. Il m'a donc confié la tâche de présider cette réunion. En amont de notre réunion, nous avons transmis aux représentants des agences de l'eau un questionnaire. Après mes propos introductifs et ceux du rapporteur Hervé Gillé, les responsables de chaque agence seront amenés à présenter les principales problématiques de leurs bassins hydrographiques et les priorités d'action définies dans leurs schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE). Puis, nous en viendrons aux questions du rapporteur et des sénatrices et sénateurs membres de notre mission d'information, qui nous permettront de débattre. Les représentants des agences de l'eau pourront présenter des propositions d'amélioration pour notre système de gestion de l'eau - modifications réglementaires ou législatives. Dans le contexte hydrographique actuel, je ne doute pas qu'ils formuleront des propositions.
Au nom de notre mission d'information, je remercie de nouveau les directrices et les directeurs des agences de l'eau d'avoir répondu à notre invitation, en venant en personne ou en déléguant leurs proches collaborateurs. Nous avons aussi convié les présidents de comité de bassin qui pouvaient se rendre disponibles. En effet, la politique de l'eau ne peut être appréhendée correctement en se réduisant à des enjeux techniques. Les élus ont aussi évidemment leur mot à dire, d'autant plus que la gestion de l'eau fait irruption sur le devant de la scène médiatique. Des restrictions sont attendues dans les mois ou années qui viennent.
Cette mission d'information a pour objet de mettre en lumière les objectifs et les instruments de notre politique publique de l'eau. Ces objectifs sont multiples : garantir un bon état des masses d'eau en luttant contre les différentes formes de pollution ; protéger les écosystèmes aquatiques et restaurer leurs fonctionnalités ; assurer un approvisionnement en eau suffisant pour toutes et tous et pour toutes les activités qui en ont besoin : ménages, abreuvement du bétail, irrigation, production d'énergie ...
En France, pays tempéré et bien arrosé, nous pouvons légitimement penser que ces objectifs peuvent être atteints avec un simple effort collectif. Nous pouvons encore considérer que la gestion de crise reste localisée et temporaire. Or le contexte se modifie. Le changement climatique nous conduit à réinterroger nos politiques de l'eau de manière assez radicale. La crise hydrique n'est plus si localisée ou si temporaire qu'autrefois.
En 2022, une sécheresse estivale record a affecté notre pays. Elle continue d'ailleurs cet hiver. Tous les départements ont connu des restrictions. Les crises de l'eau ne sont désormais plus l'apanage des départements méditerranéens. Désormais, nous connaissons aussi une sécheresse hivernale et nos nappes phréatiques se situent à des niveaux historiquement bas.
À l'issue des Assises de l'eau, nous avions visé une baisse de 10 % de notre consommation d'eau à l'horizon 2025 et de 25 % à l'horizon 2040. Il nous reste à trouver les moyens qui nous permettront d'atteindre ces objectifs.
Devons-nous davantage hiérarchiser les priorités dans les politiques publiques ? Pourrons-nous toujours accéder à l'eau à des prix raisonnables ? Devons-nous massivement investir dans la gestion de l'eau et, par conséquent, payer l'eau plus chère ? Qui devra payer ce surcoût, en sachant que le prix de l'eau varie selon les territoires ? Selon quelles modalités devons-nous organiser l'intervention publique, qui repose beaucoup sur les collectivités territoriales ? Qu'en est-il des objectifs de qualité ? Devons-nous accélérer nos interventions pour nous approcher des objectifs de la directive-cadre sur l'eau (DCE) à atteindre d'ici 2027 ? Pouvons-nous poursuivre simultanément les objectifs quantitatifs et qualitatifs de la DCE ?
En définitive, l'objet de notre mission est vaste. Si les retraites accaparent l'attention des médias pour les jours et semaines à venir, les questions de l'immigration et de l'eau suivront. Cette dernière devient stratégique dans le contexte de sécheresse que nous connaissons. Les quelques gouttes de pluie de ce week-end ne changeront pas la donne face à la sécheresse que nous subissons.
Je précise que j'ai été membre de l'Agence de l'eau Loire-Bretagne durant une dizaine d'années. J'ai été président de la Commission locale de l'eau (CLE) de la Baie de Saint-Brieuc, qui connait bien les problématiques liées aux nitrates et aux pesticides.
Je cède la parole au rapporteur, qui précisera les objectifs de notre table ronde.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Vous venez de présenter le cheminement de nos travaux. Tout d'abord, je remercie nos collègues, les présidents de comité de bassin et les directeurs d'agences de l'eau pour leur présence. Nous tenons compte des travaux menés récemment par la délégation sénatoriale à la Prospective sur la thématique de la gestion de l'eau.
En France, pendant longtemps, nous avons considéré que la disponibilité de l'eau coulait de source et que nous avions mis en place un outillage et un modèle technico-administratif suffisamment étoffé pour répondre en permanence à nos besoins. Or, il est temps de nous interroger et de dégager ensemble des pistes concrètes pour améliorer la gestion de notre eau.
Le mètre cube d'eau reste peu cher, facturé en moyenne à 4,3 euros. La bataille de l'assainissement est en grande partie gagnée, avec la réhabilitation ou la rénovation de nos réseaux d'alimentation en eau, ou encore avec la dynamique de réduction de la pollution industrielle. Des retenues d'eau ont été aménagées de longue date pour produire de l'hydroélectricité. Elles permettent de contribuer au soutien d'étiage et de sécuriser les apports d'eau, notamment en période sèche. Nous reviendrons dans nos débats sur la question de l'évolution des concessions hydroélectriques.
Néanmoins, ce système reste fragile. Les tensions connues dans certains villages, notamment dans le Var, couplées aux carences de notre système, ont conduit à des ruptures de l'approvisionnement en eau potable et au déploiement de citernes. De plus, les problèmes anciens de pollution ne sont pas réglés. Des études portant sur les eaux de surface posent question, notamment sur la pollution par les résidus de médicaments. L'enjeu de la pollution plastique monte en puissance. Par ailleurs, nos grands réservoirs et nos nappes ne se remplissent pas suffisamment et trop lentement. Enfin, les filières industrielles et agricoles devront adapter leurs processus de manière intelligente pour répondre à la demande et pour faire face à la concurrence, tout en faisant face aux enjeux climatiques. La crise de l'eau accélère notamment les transitions agricoles.
Les agences de l'eau et les comités de bassin jouent un rôle essentiel dans la politique de l'eau. Elles détiennent une expertise importante et une connaissance fine de la situation des masses d'eau. Les agences prélèvent des redevances sur les différents usagers de l'eau et soutiennent la mise en oeuvre des projets locaux de gestion de la ressource.
Les réalités des bassins hydrographiques varient, mais les changements observés concernent tout l'hexagone. L'ensemble du territoire national est donc impacté. C'est pourquoi nous avons souhaité entendre les représentants des agences et des comités de bassin pour échanger nos points de vue et enrichir notre réflexion, en ce début de mission d'information. In fine, nous aurons peut-être l'occasion de nous retrouver pour échanger de nouveau sur certains constats.
Comment ont évolué les soutiens à l'amélioration du petit cycle de l'eau ? Les porteurs de projets, touchant l'eau potable ou l'assainissement, se heurtent-ils aujourd'hui à des impasses de financement ? Les redevances permettent-elles d'appliquer correctement le principe préleveur-payeur et le principe pollueur-payeur ? Devons-nous faire évoluer le financement de l'eau en France ? Quelle stratégie est menée en matière de redevances ? Devons-nous mettre en oeuvre une solidarité financière interbassin ? Le renouvellement des concessions hydroélectriques fait-il courir un risque pour le soutien d'étiage ? Comment les agences sont-elles amenées à participer au financement du soutien d'étiage en termes d'investissements et de fonctionnement notamment pour l'indemnisation des énergéticiens pour les pertes de recettes liées à des lâchers d'eau estivaux ? Cette question est brulante d'actualité. Comment les agences interviennent-elles pour soutenir la mise en oeuvre des projets de territoire pour la gestion de l'eau (PTGE) ? Comment les agences et les comités de bassin accompagnent-ils la transformation des pratiques de l'agriculture et à quelles conditions les retenues de substitution constituent-elles une solution pertinente ? Comment améliorer l'acceptabilité des projets ? Faut-il encourager la réutilisation des eaux usées traitées (REUT), pratique très peu répandue aujourd'hui ? Cette question monte en puissance dans d'autres pays. Plus globalement, comment augmenter notre résilience face aux crises de l'eau ? Enfin, la gouvernance de l'eau vous parait-elle adaptée à la situation ? Associe-t-elle correctement les usagers, les élus et plus largement toutes les parties prenantes de la politique de l'eau ?
Naturellement, d'autres questions surgiront au cours de nos échanges. Pour commencer, nous vous invitons à décrire les principales problématiques rencontrées sur vos bassins hydrographiques et les grands axes des SDAGE dont vous gérez la mise en oeuvre.
M. André Flajolet, président du Comité de bassin de l'Agence de l'eau Artois-Picardie. - Le pilotage de la gestion de l'eau en France a la chance de compter sur des outils performants, à savoir les agences de l'eau, les comités de bassins et les préfets coordonnateurs de bassin. Ce pilotage s'inscrit dans le cadre défini par la DCE et les autres directives européennes et de la loi sur l'eau et les milieux aquatiques (LEMA) de 2006, dont j'ai eu l'honneur d'être le rapporteur comme député.
Néanmoins, ces outils ne sont pas entièrement opérationnels. Même si les SDAGE existent, ils ne sont pas nécessairement déclinés territorialement dans des schémas d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE). Des SAGE ont été produits dans l'ensemble du bassin Artois-Picardie, mais si certains d'entre eux fonctionnent parfaitement, d'autres pourraient recevoir une note de 2/10 ou de 3/10.
Or, face au manque d'eau actuel qui constitue une agression contre le coeur même de notre patrimoine, le principe de la gestion volumétrique de l'eau apparait fondamental. Ce principe intègre la question de la restriction de l'accès à l'eau, qui se pose notamment dans le monde agricole.
De nombreux élus pourraient être interpellés sur leur manière de gérer l'eau ou sur leur façon de gérer la question de l'imperméabilisation des sols urbains.
Une question se pose sur l'accès aux outils de bonne gestion de l'eau. Dans mon territoire, des agriculteurs très performants utilisent encore des méthodes d'irrigation archaïques. Ce point est problématique.
Je pense sincèrement que les outils de gouvernance doivent être améliorés et que les outils de financement doivent être respectés ; ces derniers ne l'ont pas toujours été et ils ne l'ont pas souvent été.
Vous indiquiez, monsieur le rapporteur, que les agences de l'eau représentaient le bras armé de la politique de l'eau. Néanmoins, compte tenu de l'augmentation des missions qui leur sont confiées, notamment en matière de biodiversité, et au regard de la diminution des moyens humains et financiers qui leur sont accordés, je pourrais presque oser dire qu'elles deviennent en réalité le bras désarmé de la politique de l'eau.
M. Alain Cadec, vice-président. - Pourquoi avez-vous attribué des notes aux SAGE ? Les SAGE mal notés sont-ils inaboutis ou incomplets ?
M. André Flajolet. - Les membres de certains SAGE n'ont pas nécessairement pris à bras le corps les exigences de leurs missions. De plus, un certain nombre de territoires ont préféré ignorer les problèmes à venir. Enfin, les SAGE inopérants sont associés au choix du temps court de l'immédiateté, préféré au temps long de la gestion patrimoniale de la ressource.
M. Alain Cadec, vice-président. - Les SAGE sont pourtant associés à des cahiers des charges.
M. André Flajolet. - Certes, mais les préfets, sous-préfets et les autres parties prenantes des SAGE doivent respecter ou faire respecter ces cahiers des charges.
M. Thierry Vatin, directeur général de l'Agence de l'eau Artois-Picardie. - Ce premier tour de table ne permettra pas de répondre à la longue liste de questions que vous nous avez posées. Je pourrais revenir sur la réflexion relative à la réforme des redevances, pilotée par mon agence. Les agences de l'eau mutualisent leurs réflexions et leurs travaux.
La question de l'eau du bassin Artois-Picardie est vaste. Notre petit bassin industriel a subi de très fortes pressions et continue d'en subir. Ces pressions provenaient historiquement de l'industrie, des mines et de la guerre.
Actuellement, le modèle économique industriel de l'agriculture de notre bassin constitue notre bête noire. En effet, cette agriculture génère des pressions extrêmes sur l'eau. Au cours de ces dernières années, la présence dans l'eau de produits phytosanitaires et de nitrates a été multipliée par deux ou par trois. Celle des substances cancérigènes, mutagènes et reprotoxiques (CMR) a été multipliée par dix.
Au-delà de cette question qualitative, les prélèvements en eau du domaine agricole ont doublé en dix ans. L'agriculture prélève aujourd'hui 78 millions de mètres cubes d'eau en période estivale, contre 36 millions il y a dix ans. Elle prélève 40 % de l'eau en été, soit autant que les ménages, dans un bassin de 5 millions d'habitants pourtant très dense, où 75 % de la population est urbaine. L'industrie, pour sa part effectue environ 20 % des prélèvements estivaux.
Nous devons donc répondre à d'immenses enjeux. Seules 22 % de nos masses d'eau de surfaces se trouvent en bon état écologique, contre 44 % au niveau national et européen. Sur vingt ans, nous avons réalisé d'énormes progrès, en gagnant près d'une masse d'eau en bon état écologique chaque année. Nous comptons 18 masses d'eau sur 80 en bon état écologique et notre SDAGE en vise 50 d'ici à 2027. Nous devons donc accélérer l'amélioration de la qualité de l'eau, alors même que les pressions environnementales s'accroissent. Nous avançons donc devant une cible qui recule et il nous faut tripler notre rythme de progression.
Parallèlement, une question nouvelle d'ordre quantitatif se pose dans notre bassin. Depuis cinq ans, nous constatons que les effets du changement climatique se font directement sentir sur le nord de l'hexagone, sans phase préalable de progression géographique. Ainsi, les sols de notre bassin ont été les plus secs de France lors de la sécheresse de l'été 2022.
De plus, depuis cinq ans, des indicateurs montrent clairement que nos nappes phréatiques ne se rechargent plus suffisamment, alors même que l'essentiel de nos ressources en eau y sont captées. Or notre bassin est un pays plat qui ne compte pas de glaciers, de neige ou de cours d'eau torrentiels. Ainsi, le niveau de nos nappes phréatiques était dramatique durant l'été 2022. Nous l'avons évoqué hier avec notre ministre de tutelle et avec les préfets.
Nous risquons donc de rencontrer de grandes difficultés, avec une baisse du niveau de nos nappes phréatiques qui devrait atteindre 20 % à l'horizon 2040 ou 2050, tandis que les demandes en eau ne cessent d'augmenter, notamment celles du monde agricole.
Nous faisons ainsi face à un effet de ciseau et nous devons le traiter sérieusement, autrement que par la politique de petits pas que nous menons. Nous devons accélérer le nécessaire effort de sobriété de nos consommations en eau. L'importance de cet effort peut être difficilement appréhendée. Cette sobriété demande un changement radical de notre modèle agricole, voire de notre modèle économique général. Pour autant, les ménages de notre bassin ne sont pas les plus gourmands. Ils consomment moins d'eau que les ménages des autres bassins.
Je porte devant les parlementaires une constatation que je partage régulièrement autour de moi : nous ne ressentons pas les effets du Grenelle de l'environnement voté pourtant il y a 15 ans. Dans le cadre du Grenelle, nous avons investi 50 millions d'euros dans notre bassin pour réaliser des efforts de prévention destinés à améliorer la qualité de l'eau au niveau de captages prioritaires. Mais que pouvons-nous faire lorsque des cultures de pommes de terre rapportent 2 000 à 4 000 euros à l'hectare ?
Une autre question majeure se rapporte à la gestion intégrée des eaux pluviales dans les zones urbaines. Il importe de désimperméabiliser les sols des zones d'activité. L'eau pluviale n'est plus retenue, ni en ville ni dans la campagne. Elle ruisselle sans recharger nos nappes phréatiques.
De plus, nos réseaux d'assainissement sont principalement unitaires. Nous devons donc réaliser de nombreux investissements pour séparer les eaux usées de l'évacuation des eaux pluviales. Le traitement de cette question ne revient pas aux agences de l'eau, mais bien aux collectivités, qui doivent s'inscrire dans une gestion patrimoniale de leurs réseaux.
Pour le moment, les efforts des collectivités en la matière s'avèrent insuffisants. Pourtant, le dispositif des « aquaprêts », déployé à l'issue des Assises de l'eau, met à disposition des collectivités 2 milliards d'euros en prêts à taux très faibles et à maturité longue. J'étais directeur de l'eau et de la biodiversité au ministère de la Transition écologique lors de l'élaboration de ce dispositif. En pratique, ces prêts sont malheureusement très peu mobilisés.
M. Alain Cadec, vice-président. - Globalement, les réseaux d'eau ne sont pas en bon état ?
M. Thierry Vatin. - De nombreux investissements restent à réaliser sur nos réseaux. Ils relèvent des collectivités et non des agences de l'eau. Dans notre bassin, 70 % de notre réseau d'eau potable présente des fuites significatives. Enfin, il faut souligner que les moyens financiers de notre bassin sont insuffisants. Nous manquons d'un budget annuel de 50 millions d'euros et nous avons perdu 50 équivalents temps plein (ETP) en dix ans.
M. Laurent Roy, directeur général de l'Agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse. - La DCE demande aux États membres de l'Union européenne d'atteindre un bon état des eaux à l'horizon 2027. Le bon état des eaux comprend la qualité de l'eau, la quantité d'eau et la préservation des milieux. 48 % des masses d'eau de surface de notre bassin se trouvent en bon état écologique. Ce ratio atteint 89 % dans le bassin de Corse, dont la géographie est particulière. Il nous reste donc beaucoup à faire.
Pour autant, nous avons considérablement amélioré la qualité de l'eau. Depuis l'instauration des agences de l'eau, il y a plus de cinquante ans, des progrès conséquents ont été réalisés au niveau de l'assainissement. Les grandes villes et agglomérations disposent généralement de systèmes d'assainissement et de stations d'épuration performants et fonctionnels.
Les principales pollutions industrielles ont été éliminées et nous pouvons le percevoir. Dans les cours d'eau de notre bassin, le taux de pollution des grands polluants classiques - pollutions organiques, azote, phosphore, pollutions métalliques - a été divisé par un facteur compris entre deux et cinq selon les catégories de polluants. Nous polluons donc beaucoup moins les rivières qu'autrefois. Nous devons le rappeler à nos concitoyens, car le sentiment général dans l'opinion peut laisser croire que les eaux sont toujours plus polluées.
M. Alain Cadec, vice-président. - La plupart des villes, hormis leurs hypercentres, disposent de réseaux d'assainissement séparatifs.
M. Laurent Roy. - En réalité, les nouveaux quartiers disposent de réseaux d'assainissement séparatifs, mais la plupart des centres urbains disposent de réseaux unitaires. En matière de qualité, nous avons réalisé de grands progrès, mais nous devons encore régler la question de la pollution des eaux lors des épisodes de forte pluie. L'eau de pluie versée dans le réseau unitaire se mêle aux eaux usées alors que nous devrions séparer ces flux, notamment en désimperméabilisant les sols urbains.
De plus, nous devons résoudre la question des pollutions diffuses, qui regroupent des milliers de substances chimiques, comprenant notamment des pesticides. Le ratio entre la teneur en pesticides de nos cours d'eau et les valeurs guides environnementales (VGE) a été divisé par deux en vingt ans. Les substances qui y sont déversées sont moins toxiques, mais leur volume reste stable.
De nombreuses autres substances chimiques provenant de la vie quotidienne, par exemple issus de la cosmétique, rejoignent nos cours d'eau. Nous constatons aussi la présence de substances per- et polyfluoroalkylées (PFAS), qui font l'actualité dans notre bassin et qui proviennent des revêtements des poêles ou des skis. Nos eaux contiennent également des substances médicamenteuses issues des médecines humaine et vétérinaire. Ces substances sont généralement peu ou pas retenues par nos systèmes d'assainissement et elles se déversent dans les milieux naturels, y entrainant des conséquences biologiques.
En somme, nous avons réalisé d'important progrès en matière de qualité de l'eau, bien qu'il reste à traiter la question des eaux par temps de pluie et des substances chimiques diffuses.
Pour ce qui est de la quantité d'eau, seconde composante du bon état des eaux, nous avons également réalisé de réels progrès. Dans notre bassin, nous avons construit en 2014 le premier plan de bassin d'adaptation au changement climatique (PACC) de France, que nous révisons actuellement. Dans le cadre de notre PACC, nous avons créé l'outil du plan de gestion de la ressource en eau (PGRE), qui a initié le mouvement des PTGE au niveau national. Un PTGE est négocié avec toutes les parties prenantes de la gestion de l'eau d'un sous-bassin. Lorsque les besoins en eau se révèlent supérieurs à la ressource disponible, le PTGE intègre un plan d'action destiné à concilier les différents usages de l'eau. Nous n'avons pas enregistré un seul contentieux administratif sur les 65 PGRE établis dans notre bassin. Ces PGRE ont permis de réaliser une économie d'eau de 340 millions de mètres cubes, via le subventionnement de près de 70 projets de retenues de substitution, de tiers stockage et de transfert d'eau.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Vous mettez en exergue la réussite des PTGE. Avez-vous rencontré les difficultés attribuées aux PTGE : lenteur, difficulté à entrer dans une approche conclusive ?
M. Laurent Roy. - La dynamique des PGRE a été lancée en 2014, soit il y a presque neuf ans. De plus, nous bénéficions d'une antériorité, compte tenu des fortes et anciennes tensions sur la ressource en eau qui pèsent sur le bassin méditerranéen. Ce bassin bénéficie d'une culture de la gestion collective de l'eau particulièrement ancrée, pratiquée depuis l'antiquité.
De plus, nous ne constatons pas de refus de principe de l'irrigation de la part des associations, car nous savons bien que les cultures ne poussent pas sans arrosage en zone méditerranéenne. Il existe une culture du dialogue autour des projets, probablement plus avancée que dans d'autres régions. Pour la première fois, le SDAGE Rhône-Méditerranée de 2022-2027 a été voté à l'unanimité. La Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) et France nature et environnement (FNE) se sont donc mis d'accord sur un document commun qui s'intéresse à l'irrigation, au stockage d'eau et à la pression du changement climatique.
Néanmoins, malgré nos grands progrès, nous sommes rattrapés par la vitesse du changement climatique en matière de gestion quantitative de l'eau.
M. Alain Cadec, vice-président. - Vous rapprochez-vous des objectifs de la DCE, dont l'atteinte est attendue pour 2027 ?
M. Laurent Roy. - Malgré nos efforts, nous stagnons par rapport aux objectifs de la DCE. Nous conservons un ratio de 48 % de masses d'eau de surface en bon état écologique, alors que le nouveau SDAGE demande de le porter à 67 % d'ici à 2027. Nous déployons un plan d'action pour atteindre cet objectif qui s'avère ambitieux et qui demande de dégager d'importants moyens financiers.
Nous avançons rapidement grâce à nos efforts, mais nous avançons sur un tapis roulant qui recule. Par conséquent nous stagnons. Les effets du changement climatique mettent considérablement en tension la question de l'accès à la ressource en eau, mais d'autres facteurs s'ajoutent, comme l'augmentation de la population. Dans notre bassin, s'ajoute la question de l'importante population touristique liée tant au tourisme estival qu'au tourisme hivernal. Nous avons ainsi des débats sur la neige de culture.
Par ailleurs, je ne souhaite pas passer sous silence un troisième grand défi qui concerne les milieux naturels et qui renvoie à la restauration des cours d'eau, des zones humides et des milieux marins. Je rappelle d'ailleurs que les agences de l'eau se réfèrent tant à la DCE qu'à la directive-cadre stratégie pour le milieu marin (DCSMM), associée à des objectifs de bon état écologique du milieu marin.
M. Alain Cadec, vice-président. - Où vous situez-vous dans l'opération d'inventaire des zones humides ?
M. Laurent Roy. - Nous avons relevé l'existence de nombreuses méthodes d'inventaire des zones humides. Nous essayons de bâtir une stratégie d'homogénéisation de ces méthodes.
Enfin, au-delà de la question du bon état des eaux, figure parmi les priorités d'intervention des agences de l'eau la question de la solidarité des territoires urbains et ruraux. Les territoires ruraux sont souvent réputés comme étant abandonnés et les agences de l'eau représentent un outil puissant de transferts financiers dirigés depuis les territoires urbains vers les territoires ruraux.
En effet, l'essentiel des redevances de l'eau est payé dans les territoires urbains, à travers les factures d'eau domestiques. Or, nos subventions sont souvent fléchées dans le domaine du petit cycle de l'eau potable et de l'assainissement vers des territoires ruraux et en particulier des zones de revitalisation rurales. Ces subventions concernant le renouvellement de canalisations, la modernisation de stations d'épuration, ou encore la sécurisation de l'eau potable.
M. Guillaume Choisy, directeur général de l'Agence de l'eau Adour-Garonne. - Comme André Flajolet, je pense que l'organisation de la gestion de l'eau par bassins hydrographiques constitue un bel outil. Cette organisation est reconnue tant en France qu'à l'international.
L'Agence Adour-Garonne coordonne les politiques internationales des agences de l'eau. Pour rappel, la loi Oudin-Santini de 2005 autorise les agences de l'eau à consacrer jusqu'à 1 % de leurs recettes à des actions de solidarité internationale.
L'organisation de la gestion de l'eau par bassins, que nous avons été les premiers à mettre en oeuvre, a été reprise par 77 pays d'Europe, d'Amérique latine, d'Asie, ou encore d'Afrique, avec des modes d'organisation parfois différents. En particulier, les bassins transfrontaliers, que nous retrouvons par exemple au Sénégal, demandent une organisation plus complexe et peuvent constituer un facteur de paix.
Cette forme d'organisation nous permet de progresser, sans toutefois nous permettre d'atteindre un ratio de 100 % de masses d'eau en bon état écologique. Notre SDAGE vise 70 % de masses d'eau en bon état écologique en 2027.
Pour autant, nous ambitionnons de supprimer l'intégralité des rejets industriels et des rejets d'assainissement. Dans ce cadre, nous comptons mettre aux normes environ 500 stations d'épuration situées essentiellement en milieu rural, pour limiter les rejets polluants dans les milieux.
Cette opération aura un coût relativement important. Elle pourra être réalisée grâce au principe de la solidarité des territoires urbains et ruraux, porté par notre système d'agences de l'eau. Ainsi, à Toulouse, pour 100 euros prélevés, 13 euros sont dépensés pour la collectivité, tandis que dans les territoires les plus ruraux, situés en Dordogne ou encore dans le Cantal, pour 100 euros prélevés, 200 euros sont dépensés localement.
Sans ce système de solidarité et sans cette forme de gouvernance, nous ne pourrions pas maintenir un prix de l'eau moyen de 4,3 euros par mètre cube, eau et assainissement compris, un prix relativement bas par rapport à celui d'autres pays européens.
Par ailleurs, nous avons diminué les prélèvements d'environ un tiers sur les vingt dernières années, y compris dans l'irrigation agricole. En 2003, une année de canicule particulièrement sèche dans le Sud-Ouest, nous avions prélevé 2,7 milliards de mètres cubes d'eau. En 2019, une année également très sèche, nous n'en avons prélevé que 1,9 milliard. La diminution de nos prélèvements a été obtenue grâce à la police de l'eau sur l'irrigation agricole, mais aussi grâce à des améliorations de performances.
Pour limiter les fuites d'eau, les collectivités doivent aussi oeuvrer au renouvellement des réseaux, dont la durée de vie dépasse les 100 ans. Or 13 milliards d'euros seraient nécessaires pour financer 1 % de ce renouvellement dans l'ensemble de la France. Il importe donc d'amortir le financement de ce renouvellement, notamment via l'intéressant dispositif d'aquaprêts instauré après les Assises de l'eau.
Pour réduire les fuites d'eau, il existe aussi une solution moins chère à mettre en oeuvre et efficace, qui consiste à améliorer la performance de la gestion des débits. En effet, les débits trop forts accentuent les fuites, notamment en montagne, ou dans les zones au relief accidenté. Avec ce procédé, nous avons pu diminuer de 7 % les fuites à Toulouse et de 20 % dans les hauts plateaux de Corrèze.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - La faiblesse de la mobilisation du dispositif des aquaprêts traduit-elle un manque d'ambition politique ou une crainte financière ?
M. Guillaume Choisy. - En prenant la carte des ruptures d'eau potable de cet été dans le bassin Adour-Garonne, nous constatons que près de 90 % des 250 collectivités concernées ont souhaité conserver la gestion de l'eau au niveau communal, plutôt que de transférer la compétence comme le prévoit la loi portant sur la nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe). À l'heure actuelle et depuis la mi-2022, 17 collectivités sont encore en rupture d'approvisionnement en eau. Neuf d'entre elles réalisent du « citernage » et huit distribuent des bouteilles d'eau.
La gouvernance de ces collectivités explique peut-être directement les difficultés rencontrées. En effet, les collectivités peuvent avoir du mal à amortir seules leurs prêts et à construire des modèles économiques pérennes. Cette hypothèse animera sans doute des débats.
Quoi qu'il en soit, les aquaprêts peinent à être mobilisés par des collectivités qui doivent investir des sommes importantes pour sécuriser la qualité et la quantité de leurs eaux. Or, ils permettraient notamment de limiter l'impact de leurs investissements sur le prix de l'eau.
Pour en venir aux évolutions que nous envisageons, il faut préciser que les agences de l'eau s'inscrivent sur le temps long. Nous articulons des actions de long terme s'inscrivant dans le cadre du PACC avec des actions aux effets plus immédiats, en lien avec le régalien -- c'est-à-dire l'État et les préfets et avec les objectifs de notre SDAGE.
En particulier, nous veillons à sécuriser les captages en termes de qualité. Cette mission est d'autant plus importante que 60 % de la population de notre bassin est alimentée en eau par des rivières.
Avec la réduction de la quantité d'eau, plus les débits décroissent et plus la qualité de l'eau des rivières se dégrade : concentration des micropolluants, augmentation de la température ... Nous avons pu voir dans notre colloque de Bordeaux « Micropolluants dans l'eau, un enjeu pour le vivant » que nous retrouvons plus d'un million de molécules différentes dans nos rivières. Ces molécules interagissent davantage entre elles lorsque la température de l'eau est chaude et la présence de ces micropolluants a sans cesse augmenté.
Ainsi, le pouvoir régalien doit parvenir à faire face à ces enjeux et les agences de l'eau doivent travailler avec les préfets. La répartition des compétences des différents acteurs de la gestion de l'eau doit être claire et ces acteurs doivent avancer dans une dynamique commune.
Nous tentons d'articuler nos actions avec les préfets et les collectivités dans le cadre d'une organisation structurée par sous-bassins. Dans cette organisation, les collectivités locales, regroupées autour des établissements publics territoriaux de bassin (EPTB), ont pour interlocuteurs les préfets de chaque sous-bassin.
Par ailleurs, nous identifions la nécessité de renaturer les villes et de faire évoluer nos modèles agricoles. En particulier, il faut noter que le monde agricole intervient fortement dans la gestion durable de l'eau. Nous avons perdu énormément d'éleveurs en Aveyron, en Lozère, au Cantal, en Ariège, ou encore dans les Pyrénées. Depuis lors, nous constatons que les pâtures de montagne cèdent leur place à des friches davantage consommatrices d'eau et non productives. Cette transformation empêche l'eau de redescendre vers les plaines en été. Il apparait donc que nos plus importantes unités de stockage d'eau se trouvent probablement dans la nature et que nous avons besoin de nos agriculteurs pour les préserver.
Dans les zones céréalières, des efforts doivent être réalisés pour mettre en adéquation le développement économique et la sécurisation de la qualité de l'eau, notamment à travers une réduction des intrants. La transformation du modèle agricole interroge notamment nos choix alimentaires et la part de pouvoir d'achat dédiée à l'alimentation.
Les agences de l'eau expérimentent les paiements pour services environnementaux (PSE). Ces PSE rémunèrent des agriculteurs qui contribuent à maintenir la qualité de l'eau en maintenant certains écosystèmes. Par la même occasion, la préservation de paysages menacés profite au tourisme.
Enfin, nous devons mettre en cohérence les objectifs de la DCE et ceux de la politique agricole commune (PAC). Cette cohérence a d'ailleurs fait l'objet d'un rapport européen récent.
M. Alain Cadec, vice-président. - Thierry Vatin notait que l'agriculture constituait actuellement la « bête noire » de la gestion durable de l'eau dans le bassin Artois-Picardie.
M. Thierry Vatin. - J'expliquais que ces vingt dernières années, les fortes pressions des activités industrielles que nous connaissions sont presque retombées, et qu'elles sont désormais remplacées par celles du monde agricole. Je souhaitais seulement préciser que les pressions de l'industrie agricole et agroalimentaire s'avèrent si importantes que nous ne parvenons pas à y faire face. En particulier, nous devons parvenir à diminuer l'utilisation d'intrants - azote, pesticides. En ce sens, il s'agit de poursuivre une politique nationale, menée depuis quelques années, mais qui a globalement du mal à s'appliquer.
De plus, je pense que notre agriculture, évidemment nécessaire, doit changer de modèle et consommer moins d'eau. Pour encourager cette transformation, nous lançons cette année un appel à projets visant à trouver des modes d'irrigation plus raisonnés, avec un financement de 2 millions d'euros.
M. Marc Hoeltzel, directeur général de l'Agence de l'eau Rhin-Meuse. - Historiquement, le bassin Rhin-Meuse n'était pas perçu comme étant sujet à des problèmes de quantité d'eau. Notre axe d'intervention se centrait donc sur la qualité de l'eau. En particulier, nous disposons d'une longue tradition de collaboration transfrontalière avec les pays bordés par le Rhin et par la Meuse, en matière de qualité de l'eau.
Comme les autres agences de l'eau, nous devons répondre aux objectifs fixés par la DCE. Il nous reste beaucoup de chemin à parcourir. Notre SDAGE fixe un objectif de 46 % de masses d'eau en bon état écologique d'ici à 2027. Nous avons réalisé des progrès substantiels en matière de réduction des pollutions chimiques, dans les nappes phréatiques et les eaux de surface. Sur ces pollutions, nous partions de très loin.
En revanche, 95 % de nos masses d'eau souterraines se trouvent en bon état quantitatif. Nous ne rencontrons pas historiquement de problèmes majeurs sur ces masses d'eau. Cependant, nous observons nettement des prémices des effets du changement climatique depuis la fin des années 1990. Ainsi, nous avons pris un virage très fort dans le cadre de notre onzième programme (2019-2024) en y inscrivant des actions d'adaptation au changement climatique. Nous avons travaillé sur cette politique avec nos instances et nous l'avons porté fortement, à la surprise générale. A posteriori, chacun a reconnu le bien-fondé de notre choix. Il faut donc retenir que notre mode de gouvernance nous offre la capacité d'anticiper les changements, d'endosser le rôle de lanceur d'alerte et de mettre en action les territoires.
Si nous suivons des programmes pluriannuels, qui s'étendent sur six ans, ces programmes sont susceptibles d'évoluer. Nous l'avons montré dans le cadre du plan de relance. Nous avons été mobilisés par le gouvernement l'an passé et cette année sur des plans de résilience. Un programme lourd qui s'étend sur six ans peut aussi s'adapter rapidement à des commandes politiques.
Depuis 2019, l'objectif chiffré de notre programme relatif à la désimperméabilisation des villes s'est accru de 73 %. Nos objectifs qui se rapportent à la gestion quantitative de l'eau se sont aussi élevés, avec des volumes d'eau visés qui ont augmenté de 60 %.
Ainsi, nous pouvons donner des coups d'accélérateur dans nos actions. Evidemment, comme nos moyens sont contraints, nous avons diminué nos efforts sur d'autres axes. Pour autant, avec les membres de nos instances, nous opérons des choix politiques.
En matière de désimperméabilisation, nos résultats sont particulièrement probants, avec plus de 250 projets traités par an, contre 35 au début du programme. Les surfaces désimperméabilisées ont été multipliées par cinq.
Nous pouvons donc impulser une transformation de modèle, tant dans l'aménagement urbain que dans le monde agricole. Nous promouvons la nécessité d'aménager et de produire autrement, pour faire face au grand défi à venir du changement climatique.
Néanmoins, nous rencontrons des difficultés dans la gestion de la pollution diffuse agricole. Le modèle agricole actuel a besoin d'être transformé. La question des micropolluants est difficile à appréhender et elle nous demandera encore beaucoup de travail.
Nous avons réalisé nos actions avec des ETP qui ont diminué de 24 % en dix ans. Pourtant, les collectivités ont besoin d'être accompagnées dans leur gestion de l'eau. Pour préserver notre ingénierie territoriale, nous avons mutualisé nos fonctions support. Toutefois, la baisse de nos moyens humains se ressent indubitablement. Notre présence territoriale a reculé.
Nous pourrions mieux accompagner les collectivités grâce à davantage de moyens humains et ainsi aller plus loin dans l'atteinte de nos objectifs.
Il faut noter que la part des autres financeurs des projets des collectivités locales liés à la gestion de l'eau, comme les conseils départementaux, a reculé ces dix dernières années. Aujourd'hui, notre agence de l'eau intervient souvent seule. Malgré les cofinancements de certains départements qui poursuivent leur politique antérieure et la montée en puissance de la participation des régions, l'équation financière des projets dépend souvent principalement des agences de l'eau, dont les moyens n'ont pas été accrus. Notre agence de l'eau n'a pas modifié ses taux de redevance depuis 2015 et reste sous son plafond mordant. Nous avons dû réaliser des choix de priorisation, que nous avons voulu les plus équilibrés possibles, mais qui ne sont pas souvent bien perçus sur les territoires.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - La réflexion sur le plafond mordant met en évidence la question de l'inscription des politiques de l'eau dans différents échelons de contractualisation, notamment à travers des contrats de plan État-région (CPER) ou des contrats de plan interrégionaux État-région (CPIER). Les agences de l'eau doivent accompagner la montée en puissance des politiques de l'eau au niveau des collectivités.
M. Marc Hoeltzel. - Nous tentons effectivement de combiner au maximum nos financements. Nous montons des partenariats financiers avec les régions et avec les départements. Nous tentons d'articuler nos actions avec les préfets.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Pour autant, vous constatez un recul des cofinancements.
M. Marc Hoeltzel. - Globalement, dans notre bassin, nous bénéficions de moins de cofinancements qu'il y a quelques années, malgré les partenariats que nous parvenons à monter. Par conséquent, la part de l'Agence de l'eau dans le financement des projets a augmenté.
M. Laurent Roy. - La capacité d'aide des agences de l'eau a diminué d'un peu moins de 15 % entre notre dixième programme, achevé en 2018, et notre onzième programme qui s'étend sur la période 2019-2024. En effet, il nous a été demandé de baisser nos recettes parce que ce sont des impôts. De plus, depuis la loi de finances initiale (LFI) de 2018, le financement de l'Office français de la biodiversité (OFB) est assuré presque exclusivement par les agences de l'eau. Ce financement était auparavant assuré par le budget de l'État, via le programme 113.
La diminution de la participation des départements aux cofinancements est hétérogène. Depuis que les départements ne bénéficient plus de la clause générale de compétence, seuls les départements qui l'ont souhaité ont poursuivi ces cofinancements, dans un cadre optionnel, au titre de leurs politiques territoriales. Dans le bassin Rhône-Méditerranée-Corse, seule la moitié des départements a maintenu ses cofinancements.
M. Guillaume Choisy. - Dans le bassin Adour-Garonne, tous les départements ont maintenu leurs cofinancements, car la tension sur l'eau est forte. Les départements qui avaient cessé leurs cofinancements les ont repris. Pour autant, des alertes juridiques commencent à être émises sur la capacité des départements à intervenir.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Les départements peuvent mobiliser la taxe départementale des espaces naturels sensibles (TDENS).
M. Guillaume Choisy. - Nous ne pourrions pas remplir les objectifs de notre SDAGE sans le concours des départements, y compris les aides se rattachant au petit cycle de l'eau. Le budget de notre agence représente environ 10 % du budget global de l'ensemble des agences de l'eau, bien que notre bassin s'étende sur 23 % du territoire national.
Nous nous coordonnons avec les régions dans le cadre de notre PACC, autour de différentes actions intégralement cofinancées : désimperméabilisation des sols urbains, protection des zones humides etc.
Les collectivités locales participent à ces cofinancements et elles tendent à anticiper le changement climatique de manière globale, en s'intéressant à différentes questions telles la constitution d'un parc de voitures électriques, l'isolation des bâtiments, la désimperméabilisation des sols ou encore la préservation des zones humides. Ce positionnement s'observe d'autant plus dans les collectivités rurales.
En tout état de cause, nous apprenons à travailler avec différents acteurs et à élargir nos partenariats, en mobilisant notamment le contrat de relance et de transition écologique (CRTE) ou le Fonds vert.
M. Marc Hoeltzel. - Dans le bassin Rhin-Meuse, je constate un reflux des cofinancements des départements. Pour autant, certains départements continuent de participer ponctuellement à différentes actions et leurs cofinancements sont bien utiles. De plus, nous nouons un partenariat important avec la région Grand Est, qui se montre très volontariste en matière de politique environnementale. Malgré tout, je constate que la part de financement de notre agence a augmenté dans l'ensemble des projets cofinancés. De ce fait, nous avons dû faire des choix pour tenir compte de nos moyens contraints.
D'une manière générale, dans le cadre de notre relation avec nos partenaires, nous tendons à promouvoir une contractualisation pluriannuelle, notamment dans le cadre des contrats Eau et climat. Nous permettons ainsi à nos partenaires de s'appuyer sur notre capacité à porter des budgets sur six ans. Dans ce cadre, nous accompagnons les territoires dans leur adaptation au changement climatique. En particulier, nous aidons les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à concevoir des politiques de l'eau dans une approche intégrée. Ils se positionnent sur le volet agricole et alimentaire, ou encore sur le champ de la transformation urbaine. Dans ce cadre, nous tentons de déployer nos moyens au mieux, dans un cadre contraint.
Ces partenariats se construisent en relation étroite avec le comité de bassin, dont les membres s'accordent sur des sujets importants associés à l'équilibre de la gestion des eaux de notre bassin.
M. Alain Cadec, vice-président. - Nous poursuivons notre tour de table avec le bassin Loire-Bretagne, qui est le plus long de France. Il s'étend du mont Gerbier-de-Jonc dans l'Ardèche à la Pointe du Raz dans le Finistère.
M. Valéry Morard, directeur général adjoint de l'Agence de l'eau Loire-Bretagne. - J'interviens avant mon collègue de l'agence Seine-Normandie qui est dotée de la plus grande capacité financière et excuse Thierry Burlot, président du Comité de bassin Loire-Bretagne ainsi que Martin Gutton, directeur général de l'agence, actuellement en mission dans le bassin du Bandama, en Côte d'Ivoire. La gestion intégrée de la ressource par bassin représente effectivement un modèle, que la Côte d'Ivoire souhaite mettre en place dans le bassin de ce fleuve qui constitue un équivalent de la Loire. Nous pourrons sans doute tirer des leçons de l'expérience ivoirienne.
Nous oublions trop souvent que l'eau est le patrimoine commun de la nation. Nous l'affirmons, mais cette affirmation se traduit-elle dans nos pratiques ? De notre côté, nous avons le sentiment d'en tenir compte dans notre organisation institutionnelle, avec les comités de bassin, ou encore avec la gestion par bassin. Nous devons conserver cette forme de gouvernance.
Mais si l'organisation institutionnelle est identique par bassin, chaque bassin a ses spécificités. Nous devons préserver notre proximité avec les territoires, dans la gestion de leurs problématiques liées à l'eau et dans la définition de leurs priorités. Notre approche doit se construire à l'échelle des territoires, sans jamais être descendante, comme elle peut l'être dans beaucoup d'autres politiques publiques. Ainsi, nos comités de bassin constituent pour nous des points forts. Néanmoins, nous souhaiterions que cette forme de gouvernance puisse progresser à l'échelle des sous-bassins et des commissions locales de l'eau.
En outre, nous devons nous interroger quotidiennement sur notre capacité à dépasser le principe d'une gestion de l'eau comme bien commun au sens économique du terme, pour aller vers une logique de gestion de l'eau comme patrimoine.
Le bassin Loire-Bretagne est le plus long de France. Il couvre 28 % du territoire métropolitain pour seulement 7 millions d'habitants. Ce bassin est donc relativement peu dense, bien moins que le bassin Artois-Picardie. Il est constitué d'environ 135 000 kilomètres de cours d'eau et 4 000 kilomètres de côtes.
Un tiers de la production agricole nationale est localisée dans notre bassin. Cette production est caractérisée par une forte dominance de l'élevage. De la même façon que dans le bassin Adour-Garonne, le déclin de l'élevage nuit à la préservation des milieux humides. Or notre surface agricole est composée à 46 % de prairies. Nous devons absolument préserver ces prairies, qui jouent un rôle clé dans la rétention d'eau. En effet, les solutions fondées sur la nature ne se limitent pas à la réintégration de la nature dans nos villes. Nous devons préserver la capacité de rétention d'eau de tous nos écosystèmes, y compris celle de nos écosystèmes agricoles. Cette démarche constitue le premier levier de résilience que nous pouvons actionner pour protéger nos eaux face au changement climatique.
Notre modèle se construit aussi autour d'un SDAGE qui comprend 14 orientations. Notre SDAGE met l'accent sur le problème de la gestion quantitative de l'eau. Contrairement à l'Agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse, nous avons enregistré de nombreux recours gracieux et certains contentieux car la gestion quantitative de l'eau génère des tensions.
Pour autant, si notre SDAGE n'a été approuvé qu'avec 72 % des voix, cette absence d'unanimité peut être considérée comme un signe de bonne santé démocratique. Des débats se sont tenus, mettant en jeu des intérêts contradictoires. En particulier, je pourrai revenir sur la question des PTGE qui visent à aménager des retenues de substitution, appelées par certains « mégabassines ». J'ose espérer que seul le premier terme sera employé dans les débats parlementaires, car le second est connoté négativement. Il ne faudrait pas penser d'ailleurs que le SDAGE se limite à porter une gestion quantitative de l'eau.
À l'automne dernier, nous avons remis une contribution dans le cadre de la préparation du plan Eau, qui rappelle l'importance d'un partage de l'eau inscrit dans une gestion équilibrée de la ressource, de l'accès à un service d'alimentation en eau organisé et compétent et de l'amélioration de la résilience des écosystèmes aquatiques.
La préservation des écosystèmes aquatiques représente un levier essentiel que nous devons actionner. Nous devons continuer à oeuvrer pour améliorer la qualité de l'eau - même si nous constatons déjà des améliorations, décrites par Laurent Roy, y compris sur la pollution aux nitrates en Bretagne - car le dérèglement climatique accentue la pression qui pèse sur la qualité de la ressource.
Nous ne pouvons pas accompagner toutes les collectivités face aux difficultés d'approvisionnement en eau potable. Pour le renouvellement des réseaux, nous devrions investir pas moins de 700 millions d'euros cette année, soit le double du budget d'intervention de notre agence. Nous accompagnons donc les collectivités confrontées à des situations particulières. Dans le cadre de notre plan de résilience, nous développerons ainsi un volet additionnel relatif à l'aide aux collectivités. Cependant, cette aide ne sera pas sans conditions, car nous constatons que la structuration des compétences des collectivités tarde à progresser. Cette conditionnalité se matérialisera dans le cadre de contrats de résilience, qui mettent en jeu les questions de la tarification, de la structuration des services et du schéma de distribution ou d'assainissement.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Différenciez-vous votre niveau d'aide en fonction de la richesse des collectivités concernées ?
M. Valéry Morard. - Nous augmentons progressivement la part du prix de l'assainissement en fonction de l'avancement du programme. Le tarif plancher de l'assainissement passera de 80 centimes à 1,2 euro le mètre cube d'eau. Il s'agit de montrer que la puissance publique, matérialisée par notre établissement public, ne doit pas être la seule à prendre en charge les financements associés à l'assainissement. Les collectivités doivent se doter des capacités de financement nécessaires, dans le cadre de la structuration de leurs compétences. En parallèle, nous les accompagnons sur des aspects techniques, pour les aider à prendre en charge la gestion des services de l'eau. Par exemple, en Creuse, un des départements qui a connu le plus de difficultés au cours de la sécheresse de l'été dernier, nous finançons un schéma d'interconnexion entre ce département et l'Allier, en mobilisant les moyens additionnels dégagés l'an dernier dans le cadre du plan de résilience. La moitié des collectivités du département se rejoindront pour se concerter dans la gestion de l'eau. Enfin, je précise que je pourrais revenir au cours de nos échanges sur la question des PTGE qui prévoient des aménagements de retenues de substitutions.
M. Christophe Poupard, directeur de la connaissance et de la planification de l'Agence de l'eau Seine-Normandie. - Tout d'abord, je vous prie d'excuser l'absence de Nicolas Juillet, président de notre comité de bassin, et celle de Sandrine Rocard, notre directrice générale.
Le bassin Seine-Normandie concentre 30 % de la population de notre pays et 39 % de son PIB. L'agriculture couvre 60 % de sa surface et est extrêmement productive.
Notre manière de gérer le cycle de l'eau dans notre bassin dépend des sols rencontrés par les eaux pluviales. En rencontrant un sol imperméable, ces eaux peuvent ruisseler directement vers les rivières et provoquer potentiellement des inondations. En rencontrant un sol chargé en polluants, ces eaux souilleront les nappes phréatiques ou les cours d'eau. En rencontrant un sol meuble et aéré, ces eaux s'enfonceront dans les nappes souterraines.
Nous faisons face à de multiples pressions d'origine anthropiques dans notre bassin, qui accueille la plus grande agglomération d'Europe. Nous y constatons aussi une forte évapotranspiration, qui est d'ailleurs beaucoup plus forte que dans le bassin Rhône-Méditerranée-Corse. En effet, 70 % de l'eau qui rejoint le sol de notre bassin s'évapore. Le bassin est en effet très plat et l'eau y coule très lentement.
Si nous ne disposons pas de montagne, des nappes d'eau souterraines importantes permettent de stocker notre eau « au frais ». Ce dernier point est important. En effet, la température moyenne de la Seine en été a augmenté de deux degrés dans les cinquante dernières années. Cette augmentation de température est plus rapide que celle de l'atmosphère. Elle a de forts impacts sur la biodiversité. Différents poissons, dont des poissons migrateurs, peinent à atteindre leurs frayères, en raison de perturbations de leurs cycles physiologiques. Le réchauffement de l'eau pose aussi des difficultés dans le refroidissement de la centrale nucléaire de Nogent-sur-Seine, ou encore pour les réseaux de froid de la région parisienne. Plus l'eau sera chaude, moins elle sera apte à servir pour des usages de refroidissement. Une eau plus chaude est aussi plus difficile à rejeter, au regard des règles de protection de la biodiversité.
L'eau des nappes souterraines permet de réalimenter les cours d'eau. En été, 40 % du débit de l'eau de l'estuaire de la Seine est passé par des nappes d'eau souterraines.
Dans le cadre de notre SDAGE, nous visons une restauration du bon état écologique de nos masses d'eau de surface et du bon état chimique de nos masses d'eau souterraines. Aujourd'hui, 32 % de nos eaux de surface se trouvent en bon état écologique. Ce ratio n'est pas si mauvais au regard du portrait que j'ai dressé de notre bassin, mais pourrait certainement être meilleur. Lorsque nous avons bâti notre SDAGE, nous avons estimé que seulement 18 % de nos masses d'eau seraient en bon état écologique sans les actions volontaristes de l'agence de l'eau. Ainsi, nous essayons d'accélérer sur un tapis roulant qui recule.
M. Alain Cadec, vice-président. - Vous reprenez l'image de ce tapis roulant qui recule.
M. Christophe Poupard. - En effet, car les pressions augmentent : le changement climatique, l'augmentation de la population ou encore le développement d'activités économiques jouent sur la qualité de l'eau.
Pour la première fois, notre SDAGE vise à réduire les flux de nitrates dirigés vers la mer, objectif qui ne se retrouve pas dans les autres bassins. Il a été rendu nécessaire par la DCSMM, qui s'intéresse notamment au bon état des eaux côtières et des eaux du large au regard du critère de l'eutrophisation. Les nitrates rejetés à la mer proviennent de l'ensemble du bassin.
Le SDAGE vise aussi à réduire les pollutions au niveau des aires d'alimentation des captages, objectif important qui se trouve à la jonction des questions quantitatives et qualitatives. Ainsi la communauté d'agglomération de Chartres a failli manquer d'eau cette année, non pas en raison d'une insuffisance de remplissage de la nappe de Beauce, mais en raison de la pollution extrême de cette eau, notamment par les nitrates. Cet été, la communauté d'agglomération devait donc mélanger l'eau souterraine avec d'autres eaux de meilleure qualité, qui étaient alors particulièrement sollicitées pour l'irrigation. Un conflit d'usage fort a donc opposé les agriculteurs de la Beauce et la communauté d'agglomération. Chaque année, nous fermons des captages en raison des pollutions agricoles aux nitrates ou aux pesticides. Il est regrettable de nous priver de la ressource de ces captages, qui nous manquera un jour, mais qui ne sera pas utilisable parce que trop polluée.
Par ailleurs, notre SDAGE vise à réduire les déséquilibres quantitatifs de la ressource en eau. Pour l'instant, notre bassin n'est pas particulièrement fragile, mais les quantités d'eau tendent à s'amenuiser dans certains secteurs, notamment dans la nappe de Craie.
En matière d'assainissement, l'aménagement de réseaux séparatifs n'est pas la panacée. L'agglomération parisienne en dispose mais de nombreux mauvais branchements y sont constatés. Certains raccordements rejoignent les cours d'eau au lieu des stations d'épuration. Nous finançons donc un programme important pour corriger ces branchements d'ici aux Jeux olympiques, qui prévoient des épreuves dans la Seine, qui doit devenir baignable. Il est d'ailleurs souhaitable de multiplier la possibilité des baignades dans les villes, afin d'apporter une fraicheur accessible à tous en période de canicule. Cela évitera les ouvertures sauvages de bouches d'incendie.
Nous menons des opérations importantes, notamment dans l'agglomération parisienne, pour favoriser l'infiltration des eaux de pluie dans les nappes souterraines. Cet axe monte en puissance dans notre programme d'intervention.
Aussi, il faut préciser que les agences de l'eau s'ouvrent à d'autres thématiques que celle de l'eau, en s'intéressant désormais notamment à la biodiversité. Nous nous apprêtons à gérer le fonds vert en étroite collaboration avec les préfets. Le dispositif préfectoral peut notamment compter sur les moyens humains et sur les compétences de l'agence liés à l'instruction des demandes d'aides. La Direction générale de l'énergie et du climat nous a également désignés pour gérer le fonds de l'OFB dédié au projet de parc éolien en mer qui concerne notamment la façade normande. Ce fonds devra être employé pour financer des projets favorables à la biodiversité des milieux marins. Ainsi, nous étendons le domaine d'action de notre agence bien au-delà de son champ de compétences historique. Cette évolution prouve que nos agences constituent des outils intéressants qui peuvent évoluer.
Néanmoins, comme l'ont largement souligné mes collègues, nous devrions bénéficier de moyens humains supplémentaires conséquents pour absorber l'important surplus d'activité généré par cette évolution.
M. Éric Gold. - Je souhaite revenir sur la question des conflits d'usage et du partage de la ressource en eau. La loi de 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques (LEMA) a fixé une priorisation dans les usages, fondée sur la répartition équitable de la ressource en eau et sur l'intérêt général. Pensez-vous que cette loi permette réellement de respecter les usages prioritaires de l'eau - la sécurité publique, l'alimentation en eau potable et le maintien des écosystèmes - dans un souci de sobriété, y compris dans des secteurs particuliers où il existe une utilisation commerciale de la ressource par des acteurs privés ? Cette question apparait d'autant plus importante dans un contexte de sécheresses récurrentes, où les nappes ne se rechargent plus suffisamment. Elle met aussi en avant l'importance de la solidarité entre les différents usagers. Par exemple, à Volvic, territoire que je connais bien, une réserve d'eau s'amenuise. Je ne suis ni technicien ni scientifique, mais je fais remonter l'existence d'une crainte des utilisateurs. Au regard d'une éventuelle surexploitation de la ressource en eau de Volvic à des fins commerciales, nous pouvons nous demander si la loi LEMA est respectée.
M. Laurent Roy. - Quoique Volvic soit située dans le bassin de Loire-Bretagne, nous connaissons dans notre bassin Rhône-Méditerranée-Corse un problème similaire à Evian. Ce problème se rencontre encore à Vittel.
L'outil des SAGE vise précisément à définir des règles communes sur la question de l'accès à la ressource en eau et sur la qualité de l'eau. À Vittel, il existait des conflits violents qui mettaient en opposition Nestlé Waters, qui souhaitait se développer, et les usagers de l'eau potable. Nestlé Waters demandait initialement aux collectivités du secteur de Vittel de chercher de l'eau ailleurs, pour se réserver la ressource en eau de Vittel. Cette question a été traitée dans le cadre du SAGE qui concerne la nappe phréatique de Vittel. Ce SAGE a fixé des règles opposables d'accès à la ressource.
Dans d'autres lieux où les enjeux sont peut-être plus faibles, des PTGE sont mobilisés en vue de partager l'eau dans des contextes de fortes tensions sur la ressource. Il est vrai que les tensions sur la ressource en eau s'accroissent. Pour faire face à cette situation, nous avons besoin d'outils de régulation, qui sont définis dans le dispositif législatif français. Ces outils, qui comprennent notamment les SAGE, sont déployés dans nos territoires.
M. Marc Hoeltzel. - À Vittel, le SAGE est en cours de consultation mais pas encore adopté formellement. Lors de son élaboration, les deux comités de bassin concernés ont réaffirmé la priorité à l'eau potable, conformément aux dispositions de la loi LEMA. Cette démarche a conduit Nestlé Waters à demander de manière volontaire un recul de son plafond de prélèvement, qui passe de 1 million à 200 000 mètres cubes d'eau par an. Le SDAGE à cette force de pouvoir réaffirmer la priorité les usages. En le déclinant dans un SAGE - qui est en cours de préparation - on voit que les acteurs économiques acceptent cette contrainte qui est à terme inéluctable, de revenir sur la priorité des usages.
M. Guillaume Choisy. - Au-delà du SDAGE, il faut tenir compte de la capacité d'action régalienne. En effet, un SAGE « nappes profondes » a été construit en Gironde, mais les mesures qu'il porte tardent à être mises en oeuvre. Le captage réalisé sur la nappe de Gironde prélève depuis plusieurs années 120 millions de mètres cubes chaque année, soit le strict équivalent de la capacité de régénération de la nappe. Pour autant, nous n'avons toujours pas enclenché les travaux nécessaires à la sécurisation de l'approvisionnement en eau, via le recours à des ressources de substitutions, prévu dans le SAGE. Les deux phases de ces travaux doivent permettre de prélever chaque année 10 millions, puis 20 millions de mètres cubes d'eau.
Les agences de l'eau peuvent attribuer des moyens aux collectivités sur la base du principe de solidarité, mais elles ne disposent pas de la compétence régalienne de la gestion de l'eau potable, qui revient aux collectivités locales. Les collectivités locales ne trouvent pas toujours facilement des consensus devant les contraintes qui pèsent sur la ressource en eau. Or, nous devrions avancer plus vite face au changement climatique, dès lors que nous avons connaissance des enjeux qui s'y rapportent et que nous avons défini une stratégie. De ce fait, une question se pose sur un renforcement des dispositifs législatifs, qui aiderait à perdre moins de temps.
Dans le bassin Adour-Garonne, 88 % du territoire souffre d'un déséquilibre quantitatif de la ressource en eau. Une proportion similaire du territoire connait des problèmes de qualité de l'eau. Les PTGE constituent un bon levier pour faire face à ces difficultés, en l'absence de conflits. Néanmoins, il est difficile de les mettre en place dans des territoires où les relations sont conflictuelles.
Nous accompagnons les territoires par notre capacité d'ingénierie pour les aider à élaborer des diagnostics. Cet accompagnement permet d'identifier les différentes solutions destinées à résoudre les déséquilibres qui touchent la ressource en eau. En l'absence de diagnostic, les collectivités ne peuvent pas se mettre d'accord sur des solutions. Le stockage de l'eau est d'ailleurs l'une des solutions.
Les médias ont tendance à mettre en exergue les situations de conflit, avec la question des retenues de substitution de Sainte-Soline, ou encore avec les projets de barrage de Sivens et de Charlas. Pour autant, nous parvenons aussi à prévenir de potentiels conflits en travaillant avec des associations et des élus. La sénatrice Marie-Claude Varaillas a notamment participé à l'élaboration du PTGE du bassin de l'Isle en Dordogne. Ce projet a été construit en sept mois, malgré des désaccords. Cette opération s'est relativement bien passée et a abouti à un résultat cohérent.
M. André Flajolet. - Votre question est cruciale, car elle anticipe une potentielle généralisation des conflits. Des moyens juridiques et techniques devraient nous permettre de gérer en bons pères de famille la ressource en eau qui se fragilise et se raréfie. Si les SAGE ne sont pas opérationnels, l'État doit reprendre la main par l'intermédiaire des sous-préfets ou des préfets coordonnateurs de bassin, pour fixer des règles précises. Aujourd'hui, il ne le fait pas.
Dans notre bassin Artois-Picardie, nous disposons de quinze SAGE, dont certains n'existent que sur le papier, sans réalisations significatives. Dès qu'une question capitale se pose, les acteurs disposant des pouvoirs régaliens ne prennent pas leurs responsabilités, peut-être par crainte d'être mal perçus.
Aucune solution n'est universelle. Toutes les situations sont particulières et leurs spécificités évoluent. Il faut bien tenir compte de ce point. Ainsi, dans le bassin Artois-Picardie, nous disposons de beaucoup d'eau dans le Valenciennois et l'Avesnois, tandis que l'eau est rare à Dunkerque. Il existe une « autoroute invisible » de 70 kilomètres qui permet d'alimenter Dunkerque en eau. Lorsque nous parlons de différentiels de redevances dans les territoires urbains et ruraux, nous ne devons pas oublier que l'eau des villes provient des campagnes. À qui impose-t-on des contraintes pour sauvegarder le patrimoine de l'eau, si ce n'est aux agriculteurs ? À force de raisonner en silos, nous oublions d'appréhender le sujet dans sa globalité.
La région des Hauts-de-France est la première région exportatrice de produits agricoles bruts, mais aussi la deuxième région importatrice de produits agricoles transformés. Le déficit de la balance commerciale de cette région atteint environ 700 millions d'euros, d'après l'Agence de l'environnement et de la maitrise de l'énergie (ADEME). Ainsi, la charge de l'eau et de l'énergie se trouve dans notre région, tandis que le bénéfice de cette charge se trouve ailleurs. Quelles sont nos compensations ?
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Nous aurons l'occasion de revenir sur le sujet majeur des compensations territoriales.
M. Guillaume Choisy. - Cette question se pose aussi à l'échelle infra-territoriale, au niveau des utilisateurs.
M. Christophe Poupard. - Différents modèles d'agriculture coexistent. Ces modèles sont plus ou moins consommateurs d'eau et d'intrants. Nous avons introduit dans le SDAGE du bassin Seine-Normandie une proposition de hiérarchisation des usages agricoles. Nous nous sommes interrogés sur les types de productions agricoles à privilégier lorsque la ressource en eau se révèle insuffisante pour répondre à tous les besoins d'irrigation. Ainsi, notre comité de bassin privilégie les productions agricoles les moins polluantes, telles que l'agriculture biologique et les cultures à bas niveau d'intrant comme le maraichage ou l'arboriculture. Cette priorisation n'a pas force de loi, mais elle ouvre une réflexion. Dans certains territoires de notre bassin, tous les agriculteurs ne peuvent pas accéder à l'eau.
M. Thierry Vatin. - Jusqu'à maintenant, nous vivons dans l'abondance et nous ne connaissons pas la situation que nous pourrions vivre dans dix à vingt ans. Nous disposons de tous les outils pour anticiper ce défi : SDAGE, SAGE, comités de bassin, CLE. Mais nous devons les utiliser dès maintenant, car les tensions qui existent dans certains bassins constituent les prémices de difficultés plus larges. Ainsi, la gouvernance de l'eau à l'échelle des sous-bassins, qui s'articule autour de PTGE ou encore de PGRE, est fondamentale. Dans les semaines et les mois à venir, nous devons anticiper les difficultés liées au partage de l'eau, avant qu'apparaissent les conflits, en nous appuyant sur la gouvernance locale de l'eau.
Nous déclinons à l'échelle de nos sous-bassins une étude prospective réalisée à l'échelle de notre bassin, pour informer les CLE des SAGE sur l'évolution de leurs volumes d'eau disponibles à un horizon de dix à vingt ans. Sur cette base, nous élaborons avec ces commissions des modèles de développement des sous-bassins qui tiennent compte de la disponibilité future de la ressource en eau.
Mme Évelyne Perrot. - L'Aube comprend un bassin à dominante céréalière. Depuis dix à douze ans, des fermes se sont mises à produire des pommes de terre en très grande quantité et utilisent énormément d'eau. Avec le réchauffement climatique et les sécheresses d'été, la peur de l'incendie s'est instillée dans ce bassin céréalier. Des champs qui entourent les villages risquent de prendre feu. Dans ce contexte, pourquoi n'utiliserions-nous pas les eaux usées pour arroser les champs de pommes de terre situés en périphérie de village ? Nous pourrions mener cette réflexion avec le monde agricole.
M. André Flajolet. - Au regard de la raréfaction de la ressource en eau, nous devons sans doute réfléchir sur le lien qui relie la terre nourricière et les emblavements que nous lui imposons. En Artois-Picardie, l'industrie de la pomme de terre belge et néerlandaise a transformé les agriculteurs en ouvriers du monde agricole. De nombreux hectares se trouvent désormais dans un système de sous-location totalement illégal qui a détruit le statut du fermage et qui a précarisé les agriculteurs. Ce point renvoie à la question du partage de la valeur du travail. De plus, les cahiers des charges imposent aux agriculteurs l'usage d'intrants, que nous cherchons plutôt à éliminer. Alors que nous travaillons sur des questions aussi techniques que l'amélioration génétique des plants, nous disposons encore de systèmes d'arrosage archaïques et obsolètes, alors que dans le même temps, nous interdisons aux particuliers le lavage des voitures.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Nous pourrons approfondir la question des techniques agricoles lorsque nous échangerons avec les acteurs des filières professionnelles. En tout état de cause, il est intéressant de constater que, de votre point de vue, la recherche appliquée n'est pas très organisée dans le monde agricole. En effet, vous mettez en exergue le fait que les exploitations s'appuient encore sur des techniques vieillissantes et archaïques, alors qu'elles devraient être accompagnées pour se diriger vers de nouveaux systèmes. Cependant, la transformation des techniques d'irrigation a un coût. Les agences de l'eau accompagnent-elles les agriculteurs dans cette évolution ?
M. Guillaume Choisy. - Dans le Sud-Ouest, nous avons conduit différentes politiques d'accompagnement des agriculteurs. L'agriculture de notre bassin ne repose plus sur l'irrigation gravitaire. L'essentiel de notre arboriculture utilise des systèmes de goutte-à-goutte. Nous expérimentons cette année ce système en grandes cultures. Il est notamment répandu dans le Tarn-et-Garonne et dans le Lot. Mais on peut devoir maintenir des techniques d'aspersion pour protéger les plantes contre les gelées tardives d'avril et de mai, le goutte-à-goutte étant inadapté. Or l'aspersion est plus consommatrice d'eau et freine le rechargement des nappes avant l'été. Notre retour d'expérience (RETEX) cette année a montré que l'irrigation par canons en plein été n'est plus acceptée. D'ailleurs, nous ne voyons plus cette pratique le long de nos autoroutes. Les préfets ont bien compris les enjeux.
Les arrêtés préfectoraux de restriction d'eau contiennent majoritairement des interdictions d'irrigation certains jours de la semaine - par exemple, on enlève une journée ou deux sur sept - alors qu'ils pourraient concerner seulement certaines heures de la journée. En effet, l'évapotranspiration est bien moindre la nuit qu'en journée. L'arrosage nocturne peut tout à fait être programmé électroniquement.
Nous avons signé une convention avec l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE) qui nous conduit à réaliser des expérimentations de réutilisation des eaux usées traitées, dans le cadre du réseau REUSE. Il nous faut également mieux anticiper nos usages. L'eau peut avoir plusieurs usages. Elle peut servir d'abord à la production d'hydroélectricité, puis à l'alimentation des zones humides, avant d'être intégrée au réseau d'eau potable, et enfin d'être employée dans l'agriculture. L'avenir sera de donner plusieurs usages à l'eau ! De cette manière, nous pouvons sécuriser les productions. Néanmoins, en matière de réutilisation, la France est en retard par rapport à d'autres pays européens, même si des décrets sont en cours de publication, notamment dans le cadre de la transposition de textes européens. De plus, le coût de cette pratique s'avère important. Une première étude montre que 700 000 euros sont nécessaires pour obtenir 2,6 millions de mètres cubes d'eau par ce biais. Si la réutilisation de l'eau employée dans la géothermie ne pose pas de difficultés, il existe de nombreux garde-fous qui freinent la réutilisation de l'eau sortie des stations d'épuration. Nous devons donc accélérer la mise en oeuvre de cette nouvelle forme d'usage de l'eau.
Il faut noter que les exploitations qui s'étaient tournées vers l'agroécologie ont parfois été celles qui ont le plus souffert cet été dans notre bassin. Par exemple, la culture du sorgho, céréale peu gourmande en eau, a été la plus pénalisée par les restrictions d'eau. Ces restrictions se sont appliquées durant la période où cette plante avait le plus besoin d'être irriguée. Cette plante a en effet moins besoin d'eau, mais elle en a besoin plus tardivement dans la saison, au moment où les arrêtés de restriction étaient mis en place. Il faut prendre en compte ces spécificités pour encourager les agriculteurs à se diriger vers des cultures agroécologiques.
M. Laurent Roy. - Il existe plusieurs voies d'accompagnement de l'agriculture pour faire face au défi de tensions accrues sur la ressource en eau. Est surtout évoquée la question du stockage de l'eau à travers la mobilisation de nouvelles ressources et la construction de retenues d'eau, qui renvoie à l'axe 3 du Varenne agricole de l'eau. Mais l'axe 2 du Varenne nous encourage plutôt à accompagner le développement d'une agriculture plus résiliente face au changement climatique, à travers des innovations et l'optimisation de la consommation d'eau. Les agences de l'eau offrent un accompagnement technique autour des techniques d'irrigation ou encore d'ombrage. Les agriculteurs sont ainsi amenés à modifier leurs pratiques agronomiques. Ils favorisent les couverts végétaux, les sols frais, la conservation de l'eau dans le sol. Ils peuvent aussi procéder à des modifications variétales. La politique des cépages en viticulture est ainsi fortement liée à l'eau : nous devrons recourir à des cépages plus résistants à la chaleur et à la sécheresse, à condition de pouvoir modifier le règlement des appellations. L'évolution des conditions pédoclimatiques peut aussi demander de modifier nos cultures dans certains territoires, car certaines plantes risquent de ne plus y être adaptées.
M. Alain Cadec. - À vous entendre, la question de la modification des cultures apparait délicate. En effet, chaque région est ancrée dans ses spécialités.
M. Valéry Morard. - Il n'existe pas de solution universelle en matière d'amélioration de l'irrigation, car chaque territoire est spécifique. La réutilisation des eaux usées peut améliorer la gestion quantitative de l'eau dans certains territoires. En Vendée, à travers le projet Jourdain, nous soutenons un important projet de réutilisation, à hauteur de 8 millions d'euros, qui permet de retarder le rejet à la mer des eaux de la station d'épuration des Sables-d'Olonne. Sans sa réutilisation, cette eau aurait été directement rejetée en mer. Mais cette solution n'est pas universelle.
En matière d'agriculture, il ne s'agit pas seulement d'encourager un changement de pratiques : nous devons proposer aux agriculteurs des solutions les aidant à transformer leurs systèmes de cultures dans leur ensemble, notamment dans le cadre de projets de territoires, à travers l'allongement des rotations, la diversification des cultures, de nouvelles exigences en matière de pesticides, etc.
Nous devons aussi accompagner d'autres utilisateurs de l'eau, comme Nestlé Waters, qui peut éventuellement améliorer ses processus internes pour éviter de gâcher de l'eau.
Nous pouvons nous interroger sur le poids des agences de l'eau dans les orientations des politiques agricoles, nationales ou européennes.
Je constate que l'utilisation des nitrates et des pesticides dépend aussi du rapport entre le coût des traitements et le coût des matières premières.
Le coût de l'énergie constitue aussi un facteur limitant dans le déploiement de certaines méthodes d'irrigation. Il en est de même pour la REUT. Un directeur régional d'EDF indiquait que des agriculteurs de Beauce n'installent pas de systèmes d'irrigation en raison du coût de l'énergie.
Notre agence a refusé une aide à l'île de Groix, qui a dû mettre en place une installation de dessalement pour préserver la capacité touristique de l'île. Nous aurions pu apporter cette aide mais uniquement pour l'alimentation en eau de la population. En effet, la capacité touristique d'un territoire doit être dimensionnée en fonction de ses capacités d'alimentation en eau potable et d'assainissement. D'ailleurs, le préfet des Côtes-d'Armor a refusé des permis d'aménagements dans un territoire dont les capacités d'assainissement n'étaient pas suffisantes, pour préserver les zones conchylicoles.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Nous devons nous montrer plus volontaristes dans la construction des schémas de cohérence territoriale (SCoT), ou encore dans les plans locaux d'urbanisme communaux ou intercommunaux (PLU et PLUI), pour fixer des conditionnalités à l'accueil des populations, notamment touristiques.
M. Valéry Morard. - Il conviendrait qu'il y ait davantage de cohérence entre les dispositions législatives. Nous luttons contre l'une des principales causes de non-atteinte du bon état de nos masses, à savoir leurs altérations hydromorphologiques qui génèrent des pertes de continuité écologique. Or, certaines dispositions votées récemment nous freinent. Des acteurs territoriaux qui s'engagent dans des projets multithématiques touchant notamment la préservation des milieux aquatiques ne comprennent pas toujours ces freins.
M. Christophe Poupard. - Nous distinguons trois types de solutions pour faire face à la crise climatique en matière de gestion de l'eau. La sobriété de la consommation en eau constitue une solution de premier ordre qui ne coûte rien et qui rapporte même de l'argent. Les industriels l'ont bien compris dans le bassin Seine-Normandie. Il s'agit des usagers qui ont obtenu les meilleurs résultats en termes de sobriété. Nous les avons aidés à mettre en place de nouveaux processus, mais ils ont bien compris l'intérêt économique de cette démarche. Cependant, le principe de la sobriété rencontre des obstacles socioculturels importants. Nous pouvons penser que nous nous passons de ressources dont nous pouvions auparavant profiter sans limites, mais le monde est en train de changer.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Nous pouvons envisager la mise en place de tarifications différenciées pour encourager cette sobriété.
M. Christophe Poupard. - Tout à fait, nous pouvons notamment envisager des tarifications par paliers de consommation. Nous pouvons aussi faire preuve de pédagogie. Les collectivités ont un énorme rôle de sensibilisation à jouer.
Puis, après les solutions fondées sur la sobriété viennent les solutions fondées sur la nature, préconisées par le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC). Ces solutions s'appuient sur les écosystèmes. Il est par exemple possible de conserver l'humidité des sols agricoles en évitant de constituer de grandes parcelles exposées aux vents et au soleil, en installant des arbres ou des haies. Ces solutions ne sont pas gratuites et demandent de réaliser des aménagements, des recherches et des formations. Ces solutions améliorent la biodiversité. Or, l'autre grand défi que nous affrontons est celui de l'effondrement de la biodiversité. Ce défi est certainement plus grand que celui du changement climatique.
En troisième lieu, il existe des solutions technologiques, qui s'avèrent parfois nécessaires. Mais elles sont plus chères et généralement émettrices de gaz à effet de serre (GES). Elles peuvent aussi nuire à la biodiversité, car l'extraction des matériaux qu'elles utilisent, souvent importés de pays lointains, porte atteinte à des milieux naturels.
Le SDAGE Seine-Normandie ne présente pas cette typologie de solutions. Il me semble que les collectivités sont les mieux placées pour sensibiliser les citoyens au sujet de ces différentes solutions, en amont de la prochaine sécheresse qui s'annonce pour l'été prochain.
M. Thierry Vatin. - Je souhaite revenir sur le système du plafond mordant, pour en souligner l'absurdité. Les élus de notre comité de bassin ont été suffisamment courageux pour fixer un prix de l'eau et des taux de redevance assez élevés. En effet, la consommation des différents types d'usagers s'était accrue et notre assiette s'était élargie. Or, l'application du système du plafond mordant a écrêté nos recettes de 13 millions d'euros.
Les administrateurs du Comité de bassin ont trouvé cette situation insupportable, d'autant plus qu'elle dure depuis des années. Ainsi, nous devrions baisser nos taux de redevance pour échapper à cet écrêtement. Finalement, avec ce système, plus nous consommons d'eau et moins nous payons.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Sur tous les bancs du Sénat, nous sommes intervenus pour tenter de supprimer le plafond mordant.
M. Thierry Vatin. - Je signale que nous devrions augmenter nos recettes de 300 à 400 millions d'euros dans les années à venir pour répondre à nos missions et aux défis qui se présentent.
Mme Florence Blatrix Contat. - En matière de transformation de l'agriculture, je serais moins optimiste que vous. En effet, ce matin, je me suis rendue au salon de l'agriculture sur le stand de l'Ain, mon département. Les agriculteurs m'ont unanimement indiqué que nous devrions stocker plus d'eau. Ils me précisaient que l'eau ne ferait que repartir vers la mer si elle n'était pas stockée. Nous disposons dans l'Ain de droits de prélèvements dans le Rhône et nous pratiquons de l'irrigation de cultures de maïs en journée le long de l'autoroute. Cette pratique irrite tout le monde. Je ne vois pas de changements dans ces pratiques et je suis inquiète. Vous évoquiez la possibilité de hiérarchiser l'accès à l'eau des agriculteurs selon les formes d'agricultures. Mettez-vous déjà en oeuvre cette priorisation ? Cette piste semble intéressante, mais elle ne parait pas simple à appliquer.
M. Christophe Poupard. - Cette piste n'est effectivement pas simple à appliquer. Elle peut notamment être freinée par la PAC. Quoi qu'il en soit, le Varenne agricole de l'eau demande aux chambres régionales d'agriculture de réfléchir sur l'adaptation de leurs filières au changement climatique. Notre SDAGE, adopté par notre comité de bassin après des débats approfondis, porte des recommandations en matière de transformation agricole. Cependant, il revient ensuite aux agriculteurs de s'en saisir et d'anticiper l'avenir.
Pour l'instant, des agriculteurs peuvent considérer qu'ils pourront poursuivre leurs pratiques d'irrigation actuelles. Cependant, ils pourraient très bien être brutalement contraints de les abandonner, si une priorité devait être donnée à l'eau potable.
Il est vrai qu'une question se pose sur la culture irriguée du maïs en plaine. Cette culture doit-elle se limiter à certaines productions de haute valeur ajoutée, comme celle du maïs-semence ? Il ne nous appartient pas de répondre à ces questions, les filières agricoles doivent s'en saisir.
M. Laurent Roy. - La poursuite de ces pratiques dépend fondamentalement de la disponibilité de la ressource. J'évoquais tout à l'heure le fait que nous ne pouvons pas faire pousser toutes cultures en tous lieux.
Les PTGE nous aident à partager l'eau en cas de fortes tensions, en définissant des règles de priorité d'accès et des solutions alternatives. Ces solutions pourraient d'abord se trouver dans la sobriété, puis dans les solutions fondées sur la nature, la réutilisation des eaux usées et enfin, le stockage. Le stockage ne doit être mobilisé qu'en dernier lieu.
Cependant, le cas du maïs irrigué que vous évoquez est spécifique. En effet, la ressource en eau n'est pas déficitaire sur le bassin du Rhône. Le débit estival moyen du Rhône est actuellement de 600 à 700 mètres cubes d'eau par seconde. Ce débit ferait sans doute rêver mes collègues, car il est bien plus élevé que le débit d'étiage de la Garonne, de la Loire, ou de la Seine. Ainsi, le débit d'étiage de la Garonne n'est que de 35 mètres cubes d'eau par seconde.
Le Rhône continuera de bénéficier d'un débit élevé sur le long terme. La dernière étude sur l'évolution de l'hydrologie du Rhône et le changement climatique montre que les débits estivaux du fleuve ont baissé de 15 % depuis 1972. À l'horizon de 2050, nous attendons une baisse de ces débits de l'ordre de 20 à 30 %. Ces baisses sont sensibles, mais le débit du fleuve restera relativement élevé. Les mesures à prendre au sujet du Rhône s'inscrivent donc plutôt dans un moyen terme. Il existe des territoires où les pressions sur la ressource en eau sont très fortes, comme les bassins côtiers languedociens ou provençaux, la Drôme, ou encore l'Ardèche. Pour ces territoires, la question de l'eau est prégnante dans l'immédiat. Ces territoires ont construit des PTGE. En revanche, la question rhodanienne doit être anticipée, mais ses enjeux sont moins immédiats.
M. Valéry Morard. - Sur l'axe Loire-Allier, nous trouvons deux grands barrages, à Naussac et Villerest, qui jouent un rôle historique de régulation des débits. Ces barrages jouent aussi désormais un rôle de soutien d'étiage. Or le barrage de Naussac affiche actuellement un remplissage de 32 %. Devant les difficultés de remplissage de ce début d'année, nous avons tenu une réunion du comité de gestion de l'établissement public Loire qui gère ces deux barrages. Dans ce cadre, les représentants agricoles de ce comité ont annoncé qu'ils réduiront leurs emblavements de maïs de 15 %. Cet effort est sans doute encore insuffisant. Mais cet exemple prouve que la solution du stockage ne peut être que transitoire et qu'il faudra repenser le système agricole.
Il faut noter que ces situations de tension sont parfois très localisées, si bien que les collectivités qui jouxtent deux bassins peuvent avoir du mal à comprendre les différences de gestion de l'eau.
Les agriculteurs peuvent faire évoluer leurs pratiques, mais ils le font sans doute trop tardivement par rapport aux alertes émises auparavant.
M. André Flajolet. - Il est vrai que tous les fleuves se jettent dans la mer. Mais comment s'y rendent-ils ? Que laissent-ils et que prélèvent-ils sur leur parcours ? En France ou dans le monde, nous observons une surutilisation de l'eau qui entraine de véritables catastrophes humaines et écologiques. Je peux citer les difficultés qui apparaissent entre le Mexique et les États-Unis et notamment en Californie. Des villes comme Los Angeles ou Dallas font face à des manques d'eau. Les hommes ont considéré que la ressource en eau pouvait être mobilisée sans limites, pour tous types d'usages. Il faut aussi noter que de vrais problèmes peuvent apparaitre dans la délimitation de la frontière des eaux salées et douces.
Mme Florence Blatrix Contat. - Il faut mener une véritable politique d'accompagnement des agriculteurs dans la transition des cultures, tout en leur maintenant des possibilités d'irrigation, dont ils ont besoin, pour ne pas les mettre en difficulté.
M. André Flajolet. - Cette transition doit effectivement s'opérer dans le cadre d'accords négociés et d'un partage des responsabilités. Cependant, il faut préciser que les acteurs qui vivent grâce aux agriculteurs sont bien plus réticents à changer de modèles agricoles.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Je souhaiterais vous adresser quelques questions assez sensibles pour conclure nos échanges. Nous vous invitons aussi à répondre par écrit aux questions que nous vous avons adressées, pour compléter vos réponses et pour étayer nos travaux.
Pour revenir sur le sujet des redevances, une question se pose sur l'évolution du modèle économique du soutien d'étiage. Quels sont les modèles de financement du soutien d'étiage ? Quels sont les modèles qui vous semblent les plus vertueux ? Si l'acceptabilité de la construction historique des barrages a pu varier localement, nous pourrions tendre vers la définition d'un modèle économique commun du soutien d'étiage.
Le financement du soutien d'étiage soulève aussi des questions sur la définition des domaines d'intervention des agences de l'eau. Les agences de l'eau pourraient être amenées à intervenir dans le fonctionnement des retenues d'eau, sans se limiter aux investissements qui s'y rapportent. Pourriez-vous nous apporter votre point de vue sur cette possibilité ?
Enfin, tout en tenant compte des ressources disponibles, une question se pose sur l'éventualité d'une mise en concurrence des concessions hydroélectriques, voire des propriétaires de retenue d'eau. Ces derniers participent aujourd'hui à la politique de soutien d'étiage. Le cahier des charges de cette mise en concurrence pourrait être amené à évoluer, mais elle est envisagée.
M. Guillaume Choisy. - Notre bassin est le seul à avoir développé un modèle économique étoffé de soutien d'étiage qui comprenne aussi un volet sur le fonctionnement. Cet aspect pose des difficultés, y compris juridiques, car les autres agences de l'eau apportent seulement leurs concours dans les investissements liés au soutien d'étiage. Je pense que l'intervention des agences de l'eau dans le fonctionnement des retenues d'eau est assez rare.
Nous collaborons avec les EPTB, avec les producteurs d'énergie, à savoir EDF et la société hydroélectrique du Midi (SHEM), pour construire un modèle qui ne se fonde pas sur un achat d'eau, mais sur un soutien des usages de l'eau de notre territoire. Cette évolution s'inscrit dans la suite du rapport Le Coz produit par le ministère de la Transition écologique et consacré au bassin Adour-Garonne.
Ce rapport a mis en évidence la nécessité de doubler le soutien d'étiage dans les grands axes du bassin, malgré une répartition assez inéquitable des retenues d'eau hydroélectriques. La Garonne comprend assez peu d'installations hydroélectriques, celles-ci se concentrant notamment en Dordogne. Le bassin Adour-Garonne n'est d'ailleurs pas le bassin qui comprend le plus de retenues hydroélectriques.
Il existe aussi des retenues intermédiaires, qui ne produisent pas d'électricité. Ces retenues d'eau sont historiquement gérées par des départements, des collectivités locales, ou des EPTB. Dans ce cas, le modèle économique du soutien d'étiage est plus facile à mettre en oeuvre.
Nous réfléchissons à la question du soutien d'étiage avec notre ministère de tutelle et avec l'État, dans une perspective de sécurisation des usages. Les étiages vont nécessairement évoluer. Les débits des rivières ne permettront pas d'absorber les effets du changement climatique. La Garonne ou la Charente perdent 50 % de leurs débits. Sur la Charente, nous disposons d'une capacité de stockage de 30 millions de mètres cubes d'eau, que nous peinons à remplir. Cette année, nos réservoirs sont remplis aux alentours de 30 %. Ils pourraient se remplir à 40 % si le printemps s'avérait pluvieux. Même si nos capacités de stockage triplaient, il nous resterait à les remplir.
M. Marc Hoeltzel. - Nous disposons d'un modèle économique de soutien d'étiage qui n'est peut-être pas transposable. Nous sommes historiquement co-investisseur avec EDF dans le cadre de l'aménagement d'une retenue d'eau. Sur notre part d'investissement, nous gérons un quart du volume d'eau de cette retenue que nous utilisons pour réaliser du soutien d'étiage à des fins écologiques.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Il s'agit donc d'un retour sur investissement qui s'exprime par le biais d'une participation au fonctionnement de la retenue d'eau.
M. Marc Hoeltzel. - Nous disposons d'une capacité d'action en matière de soutien d'étiage, grâce à ce modèle économique de partage construit avec EDF. EDF utilise la retenue pour soutenir le débit de la Moselle pour la centrale nucléaire de Cattenom, tandis que nous l'utilisons pour un soutien d'étiage à fins écologiques.
De plus, avec EDF, nous avons été amenés à revoir le modèle de remplissage de cette retenue, face aux difficultés liées à la variabilité saisonnière. Souvent, les retenues d'eau sont présentées comme une panacée, mais l'organisation de leur remplissage ne s'improvise pas. Elles ne se remplissent pas sans interventions humaines, car il faut trouver les bons moments pour la remplir, sans manquer les fenêtres de tir.
M. Laurent Roy. - Notre bassin dispose des deux tiers de la capacité de production hydroélectrique française. Cependant, nous ne sommes pas favorables à une implication de notre agence dans l'aide au fonctionnement du soutien d'étiage. De plus, nos cours d'eau n'ont pas nécessairement de besoins importants en termes de soutien d'étiage. En particulier, soutenir l'étiage du Rhône n'aurait pas de sens.
En pratique, nous participons marginalement au soutien d'étiage. Cependant, cette forme d'intervention financière reste ponctuelle, car nous estimons qu'elle ne se rapporte pas à nos missions.
Par exemple, nous intervenons sur l'étiage de l'Ain, en offrant une compensation à EDF pour la perte de production générée par un soutien d'étiage. Mais notre intervention n'est que provisoire et elle a des fins écologiques, notamment de protection des populations de poissons. Nous comptons ensuite investir dans un projet de station de transfert d'énergie par pompage (STEP). Ce projet visera à limiter l'impact biologique de la retenue d'eau concernée, mais aussi à améliorer ses capacités de production.
Nous avons déployé sur la Durance un dispositif de compte épargne volume (CEV). L'eau qui n'est pas consommée par les agriculteurs entre dans les turbines d'EDF. L'eau mise dans le CEV peut ainsi être mobilisée pour réaliser des soutiens d'étiage, notamment à des fins écologiques. Néanmoins, ce système est difficile à mettre en pratique. En effet, il implique l'application de règles de gestion et d'optimisation complexes.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Le président de notre mission d'information souhaitait insister sur la question des solidarités financières interbassin. Comment vous organisez-vous sur ce point ? Comment cette question est-elle prise en considération ? Comment sont financés vos projets d'intérêt majeur, qui peuvent relever de l'intérêt national, voire transfrontalier ? Comment ces projets sont-ils mis en place et comment pourraient-ils mieux fonctionner ?
M. André Flajolet. - Chaque bassin vit son histoire propre. En cas de nécessité, une solidarité interbassin pourrait être envisagée. Cependant, je pense qu'il faudrait interroger le rôle de l'OFB, dont le poids est important en termes d'ingénierie et de financement. Nous pouvons peut-être trouver derrière la définition du rôle de l'OFB des pistes de réflexion stratégiques qui mériteraient d'être examinées.
Le processus de recrutement du futur directeur de l'OFB pourrait donner l'occasion à une audition au Sénat de cet office. En effet, l'OFB est né récemment et il ne sait pas toujours très bien où il va. J'émets cette suggestion en tant que vice-président de l'OFB.
M. Thierry Vatin. - Je ne sais pas si votre question renvoie à des cofinancements de projets interbassins. Toutefois, nous attendons surtout une solidarité nationale. En effet, il manque aux six agences de l'eau un budget annuel global d'environ 400 millions d'euros, qui permettrait d'atteindre nos objectifs et remplir nos missions dont le champ a été élargi. Ce manque a été identifié dans le rapport parlementaire Jerretie-Richard.
En 2018, nous avons perdu 200 millions d'euros avec l'instauration du plafond mordant. Or, avec notre onzième programme, nous endossons de nouvelles missions touchant la biodiversité, ou encore les milieux marins.
Ainsi, nous n'avons pas suffisamment de moyens pour répondre aux enjeux qualitatifs et quantitatifs liés à la ressource en eau. Ces moyens manquent tant pour le soutien du petit cycle de l'eau que pour celui du grand cycle de l'eau, étroitement associé à l'atteinte de nos objectifs de bon état de l'eau.
En définitive, nous pourrions supprimer nos plafonds de dépenses, globalement inutiles. Nous pourrions recalibrer notre plafond de recettes, le plafond mordant, de 300 à 400 millions d'euros. Sur les 2,4 milliards d'euros des redevances annuelles des six agences de l'eau, 400 millions d'euros sont directement reversés à l'OFB.
M. Laurent Roy. - La gouvernance du système de l'eau que nous avons tous défendue repose sur la subsidiarité de bassins. Nous pouvons citer le cas singulier des redevances de l'eau dont le taux est voté par des comités de bassin, des instances qui ne dépendent pas de l'État, qui n'y détient que 20 % des voix.
Le vote des taux de redevance par les comités de bassin fonctionne bien, car ces comités se sont appropriés les politiques conduites dans le bassin. Ils votent les SDAGE. Or, en expliquant aux comités de bassin que les redevances qu'ils ont définies serviront à d'autres usages que celui de la conduite des politiques de bassin, nous fragilisons sérieusement notre système de gouvernance.
Plutôt que de chercher à puiser dans les recettes des autres bassins, je pense que nous devrions tous insister sur le fait qu'il manque globalement aux agences de l'eau un budget annuel de 400 millions d'euros.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Je me permets de me montrer volontairement provocateur. Un bassin très riche, dont les assiettes sont très larges et qui peut mettre en place une fiscalité particulièrement dynamique, doit-il conserver son argent, même s'il ne doit pas répondre aux mêmes enjeux qu'un autre bassin dont l'assiette s'avère bien plus restreinte et qui dispose de beaucoup moins de moyens ? Au niveau des comités de bassin, vous connaissez ces différences.
M. Guillaume Choisy. - Il existe effectivement des différences de taux. C'est pourquoi dans un bassin comme le mien, les départements sont restés présents sur la question du petit cycle de l'eau. Néanmoins, il nous est difficile de nous prononcer sur la question de la solidarité interbassin sans disposer d'éléments tangibles. Seul un rapport a évoqué ce principe. Nous ne disposons pas d'éléments objectifs qui nous permettraient de vous apporter des réponses étayées. Pour autant, ce principe a été évoqué dans le rapport Lavarde de 2018 piloté par le ministère de la Transition écologique et par le ministère de l'Économie et des Finances.
Une partie des redevances destinées au petit cycle de l'eau a été utilisée pour financer la protection de la biodiversité et la connaissance des milieux marins. Je pense que les agences ont effectivement vocation à élargir leurs missions vers la prise en compte des enjeux de la biodiversité. Cependant, le niveau des redevances doit permettre de remplir ces nouvelles missions. Dans mon bassin, une vingtaine de millions d'euros remontent vers Bercy.
De plus, dans notre bassin, nous connaissons un développement touristique. Le développement du tourisme doit certainement saturer en Méditerranée et il tend à se reporter sur la côte Atlantique, notamment dans l'axe aquitain et en Charente-Maritime. Sur les dix dernières années, les économies d'eau réalisées dans le bassin de la Charente ont abouti à une réduction de 20 à 30 % des prélèvements en eau. Néanmoins, ces économies ont été intégralement compensées par l'augmentation estivale de la consommation d'eau potable. Cette situation créée des tensions entre usagers. Or, le cadre législatif ne permet pas de maitriser les effets du développement touristique. Il serait notamment possible d'imaginer des redevances spécifiques associées au tourisme, d'autant plus que certains touristes peuvent être présents dans un territoire presque six mois dans l'année.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Il pourrait être possible de mobiliser les taxes de séjour : elles ont bien été mobilisées pour financer la ligne à grande vitesse (LGV) de Toulouse-Bordeaux !
M. Guillaume Choisy. - Aujourd'hui, les recettes des taxes de séjour touristiques ne sont pas adaptées pour être dirigées vers les agences.
M. André Flajolet. - Les Assises de l'eau et le Comité national de l'eau (CNE) ont transformé le slogan « l'eau paye l'eau » en « l'eau et la biodiversité payent l'eau et la biodiversité ». Or, si toutes les agences de l'eau payent pour la biodiversité, la biodiversité ne paye jamais pour elle-même. Ainsi, une redevance « biodiversité », proposée par les directeurs des agences de l'eau, permettrait aux agences de remplir leurs nouvelles missions.
Quoi qu'il en soit, notre manque de moyens crée un réel blocage. La suppression du plafond mordant ne suffirait peut-être pas à débloquer cette situation, car avant l'introduction de ce plafond de recettes, nos ministres de tutelle, quelles que soient leurs couleurs politiques, prélevaient régulièrement des dizaines de millions d'euros dans nos recettes.
Je dois signaler qu'en raison du plafond mordant, mon agence a dû abaisser le montant de ses redevances, pour ne pas avoir à réaliser de reversements. Nous abaissons ainsi la valeur réelle de l'eau.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - La compétence exclusive et obligatoire relative à la gestion des milieux aquatiques et à la prévention des inondations (GEMAPI) pose des problèmes à de nombreuses collectivités, malgré les ajustements de la loi relative à la différenciation, à la décentralisation et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale (3DS). Les collectivités dotées de cette compétence peinent à s'en saisir, notamment au niveau des cours d'eau majeurs. De plus, les agences de l'eau ont du mal à accompagner les projets qui se rapportent à la GEMAPI. Elles financent des études, mais peinent à financer plus de 30 ou 40 % des investissements nécessaires pour aménager des digues. Cette difficulté se fait d'autant plus sentir lorsqu'il s'agit de réaliser des aménagements sur des cours d'eau majeurs.
M. Laurent Roy. - Nous n'agissons pas directement dans la prévention des inondations. Nous intervenons plutôt dans la gestion des milieux aquatiques, comprise dans la GEMAPI, qui peut avoir un lien avec la prévention des inondations. En effet, en laissant un cours d'eau gagner de l'espace en reculant des digues, nous protégeons les milieux aquatiques tout en prévenant les inondations. Cette forme d'action rend la prévention des inondations moins coûteuse et plus efficace.
Des maitrises d'ouvrage structurées en syndicats de rivières, en EPTB, ou en établissements publics d'aménagement et de gestion de l'eau (EPAGE), qui disposent d'une compétence globale à l'échelle de bassins versants reçue des EPCI, parviennent à mettre en oeuvre des programmes d'investissement ambitieux relatifs à la GEMAPI. Ces structurations ne se retrouvent pas dans tous les territoires.
M. Marc Hoeltzel. - Il faut donner un signal aux comités de bassin, pour préserver le consentement à l'impôt. Ce signal pourrait prendre la forme d'une suppression du plafond mordant, ou encore d'une redevance « biodiversité ». En revanche, la mobilisation du levier de la solidarité interbassin ne serait pas nécessairement bien perçue. En effet, elle renvoie trop à la contribution apportée à l'OFB. En tout état de cause, je pense que nos instances sont prêtes à voter des taux de redevances à la hauteur des enjeux qui se présentent, à condition qu'elles ne soient pas bloquées par le plafond mordant.
M. Thierry Vatin. - Pour répondre aux enjeux des cinq à dix ans à venir, nous devons nous montrer plus ambitieux, en dégageant davantage de moyens. Si nous sommes prêts à mobiliser 100 milliards d'euros dans un plan d'infrastructure ferroviaire, nous pouvons augmenter le budget annuel des agences de l'eau à hauteur de 400 millions d'euros. En effet, nous devons accélérer l'atteinte de nos objectifs quantitatifs et qualitatifs. Si nous disposons de nombreux outils et d'une gouvernance pertinente, nous devons mettre en oeuvre notre stratégie et agir collectivement, avec les collectivités, qui doivent se saisir des enjeux de la gestion patrimoniale des réseaux d'eau.
M. Valéry Morard. - Nous devons souligner l'importance de l'articulation de la gestion de l'eau avec les leviers réglementaires, qui sont trop peu actionnés. Ce point a d'ailleurs été abordé hier par notre ministre de tutelle. Combien de zones de répartition des eaux ont-elles été désignées durant la dernière décennie ? Combien de dérogations retrouvons-nous dans les arrêtés préfectoraux de restriction d'usage ? Comment gérons-nous les crises ? Très souvent, les agences de l'eau se retrouvent seules auprès des collectivités territoriales et portent toutes les responsabilités de la puissance publique. Elles accompagnent aussi des collectivités qui ne sont pas toujours suffisamment structurées pour porter leurs projets.
Les agences de l'eau sont fières de porter ces responsabilités, notamment dans le cadre du plan de relance, ou dans la gestion du fonds vert. Elles se montrent aussi volontaristes. Néanmoins, elles commencent à se décourager, car elles ont perdu 20 % de leurs effectifs, tout en recevant de nouvelles missions. La réduction des effectifs s'accompagne aussi d'une perte de compétences. Les agents chargés de réaliser des médiations à Sainte-Soline ne peuvent pas avoir le même profil que ceux qui sont chargés d'étudier la performance de systèmes d'alimentation en eau ou d'assainissement. Régulièrement, nos agents se sentent seuls.
La promotion de la sobriété et les annonces de financements sont positives. Les agences ont aussi entrepris de nombreuses réalisations sans attendre ces annonces. Néanmoins, si nous souhaitons changer drastiquement nos modèles, nous devons aussi lancer des signaux réglementaires et imposer parfois des contraintes.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Lorsque nous ouvrons ce type d'échanges, nous sommes toujours frustrés de devoir les conclure, car nous souhaitons toujours approfondir.
Nous avons évoqué la question majeure de la gouvernance. Nous y reviendrons lorsque nous nous intéresserons aux propositions du livre bleu de l'association nationale des élus des bassins (ANEB). Vous pourrez aussi nous apporter des éléments complémentaires dans vos réponses écrites, notamment en abordant la question de la gouvernance.
Comme vous l'avez compris, cet échange s'inscrit dans un premier cycle d'auditions, conduites dans le cadre de notre mission d'information. Nous pourrions revenir vers vous au cours de nos travaux, pour approfondir certaines de nos réflexions, dans la perspective de la rédaction de notre rapport d'information.
Je vous remercie pour votre participation et pour la qualité de nos échanges. Je vous invite à répondre par écrit à nos questions et notamment aux questions que nous n'avons pas pu aborder en profondeur.
M. Guillaume Choisy. - Pensez-vous vous rendre sur le terrain ?
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Nous prévoyons effectivement des déplacements.
M. Alain Cadec, vice-président. - En ma qualité de président de séance, je vous remercie pour votre participation. De toute évidence, les agences de l'eau manquent de moyens. Il est aussi vrai que leurs ressources ont diminué de manière significative ces dernières années, alors même qu'elles sont indispensables et incontournables en matière de gestion durable de l'eau. Nous en sommes parfaitement conscients et encore davantage après nos échanges. Je rappelle que le Sénat est la chambre des élus locaux, avec qui les agences de l'eau travaillent quotidiennement. Les sénateurs présents aujourd'hui ont été élus dans les agences de l'eau. Il me semble que nous maitrisons le sujet de la gestion de l'eau. Les députés de l'Assemblée nationale ont moins souvent été des élus locaux, contrairement aux sénateurs, qui ont eu à gérer des questions d'assainissement ou d'approvisionnement en eau, en tant qu'élus locaux.
Je remercie mes collègues socialistes de s'être saisis de cette problématique, qui devient de plus en plus prégnante et qui se renforcera dans les mois et les années à venir. Nous devrons sans doute prendre des décisions extrêmement difficiles et douloureuses.
Vos réflexions montrent que nous devons faire évoluer nos modèles, notamment dans l'agriculture. Cette transformation est envisagée depuis longtemps, mais il n'est pas toujours facile de la mettre en oeuvre, comme nous pouvons le constater lors de nos échanges sur le salon de l'agriculture. Je pense qu'il faut aussi rendre hommage aux agriculteurs. Dans beaucoup de régions et notamment en Bretagne, ils participent largement à cette évolution positive. Ils ont notamment contribué à faire diminuer la teneur en nitrate des eaux du bassin Loire-Bretagne. C'est pourquoi il importe de faire participer les agriculteurs aux politiques de l'eau.
Je vous remercie de nous avoir éclairés sur de nombreuses questions. Je vous remercie encore d'avoir participé à cette réunion.
La réunion est close à 17 heures.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.