Mardi 28 février 2023
- Présidence de M. Gilbert-Luc Devinaz, président -
La réunion est ouverte à 16 h 30.
Technologies de la recherche dans le domaine des biocarburants, carburants synthétiques durables et hydrogène - Audition
M. Gilbert-Luc Devinaz, président. - Mes chers collègues, Madame et Messieurs, après les auditions du directeur général de l'énergie et du climat puis du secrétariat général des affaires européennes, nous poursuivons les travaux de notre mission d'information par une table ronde sur le thème des technologies et de la recherche dans le domaine des biocarburants, des carburants synthétiques durables et de l'hydrogène vert. Quatre organismes y participent : le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives, le Centre national de la recherche scientifique, l'Agence nationale de la recherche et l'IFP énergies nouvelles.
Cette réunion est captée et diffusée en direct sur le site Internet du Sénat, sur lequel elle pourra ensuite être consultée en vidéo à la demande, ainsi que sur Twitter.
Nous avons le plaisir d'accueillir cet après-midi :
- M. Thibault Cantat, directeur de recherche et chef du programme « Économie circulaire du carbone » au Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) ;
- M. Jean-Philippe Héraud, responsable du programme « Biomasse vers carburants » à l'IFP Énergies nouvelles (IFPEN) ;
- M. Alexandre Legris, directeur adjoint scientifique de l'Institut de Chimie du Centre national de la recherche scientifique, qui est accompagné par M. Thomas Borel, responsable des affaires publiques du CNRS ;
- enfin, en visioconférence, M. Pascal Bain, responsable du département « Sciences Physiques, Ingénierie, Chimie, Énergie » à l'Agence nationale de la recherche, qui est accompagné par Mme Cécile Schou, chargée de mission « Relations institutionnelles » à la direction générale de l'Agence nationale de la recherche.
Madame et Messieurs, notre mission d'information comprend 23 membres issus de différentes commissions et représentant l'ensemble des groupes politiques du Sénat.
Avec mes collègues, nous sommes convaincus de l'enjeu que représente le développement des filières de biocarburants, de carburants synthétiques durables et d'hydrogène vert, tant pour la capacité de la France et de l'Union européenne à atteindre l'objectif de neutralité climatique à l'horizon 2050 que pour notre souveraineté et la compétitivité de notre économie.
Les organismes que vous représentez sont des acteurs majeurs de la recherche scientifique et technologique sur les énergies bas-carbone, plus particulièrement dans le domaine de la décarbonation des transports qui nous intéresse aujourd'hui, soit en conduisant directement des recherches, soit en les finançant, notamment par le biais d'appels à projets.
Je vous propose que chacun d'entre vous puisse nous présenter, dans le cadre d'un propos liminaire d'une dizaine de minutes, le champ d'action et les programmes conduits par sa structure dans le domaine de la recherche sur les biocarburants, les carburants synthétiques durables et l'hydrogène vert.
Vous pourriez ainsi nous préciser votre vision du degré de maturité technologique des solutions envisageables, de leur capacité à être portées par l'industrie française et européenne, ainsi que de leur contribution potentielle à la décarbonation du secteur des transports.
Notre rapporteur, Vincent Capo-Canellas, vous a adressé un questionnaire qui peut vous servir de guide, mais sentez-vous libre dans votre propos introductif !
Je passerai ensuite la parole à notre rapporteur, Vincent Capo-Canellas, puis à l'ensemble de mes collègues, afin qu'ils puissent vous relancer et vous poser un certain nombre de questions. Vous pourrez nous transmettre ultérieurement des réponses écrites aux questions qui vous ont été adressées.
M. Thibault Cantat, directeur de recherche et chef du programme « Économie circulaire du carbone » au Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA). - Merci, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les membres de la Commission, pour cette invitation.
Le CEA est un organisme de recherche dont le but est d'éclairer la décision publique et de donner aux forces vives des tissus industriels et institutionnels les moyens scientifiques et technologiques de mieux maîtriser les mutations sociétales majeures auxquelles nous faisons face. Aussi bien dans les domaines de la transition énergétique que du numérique, de la santé du futur, de la défense et de la sécurité globale. L'organisme est présent au coeur des territoires. Neuf centres sont répartis sur l'ensemble de l'hexagone, équipés d'infrastructures de recherche de pointe. Chacun développe des partenariats académiques et industriels, en France comme à l'étranger.
Le CEA promeut une vision intégrée de l'énergie, qui s'appuie sur la complémentarité des sources bas-carbone. Ainsi nous avons l'ambition d'être un acteur de premier plan dans le développement de technologies relatives au photovoltaïque, aux systèmes de stockage énergétique, à l'amélioration de l'efficacité énergétique et à l'insertion des énergies renouvelables dans les réseaux énergétiques.
Le CEA est également investi dans des recherches de long terme telle l'économie circulaire des matières, mais également du carbone, dans l'optique de faire émerger des technologies compatibles avec l'objectif de neutralité carbone en 2050.
Les trois filières que sont les biocarburants, les carburants de synthèse, ou e-carburants, et l'hydrogène vert sont abordées de différentes manières par le CEA.
Concernant les biocarburants et e-carburants, la priorité du CEA est de développer des briques technologiques génériques au profit des communautés académiques et industrielles. L'objectif de neutralité carbone poursuivi conduira au développement de solutions indépendantes de l'origine du carbone, qu'il s'agisse de CO2 ou de carbone biogénique.
Les solutions reposant sur le vecteur hydrogène disposent d'une maturité technologique qui permet un déploiement industriel massif, mais des progrès technologiques sont encore nécessaires. Le CEA aborde la recherche-développement (R&D) sur l'ensemble de la chaîne de valeur, en privilégiant les composants et les systèmes pour la production d'hydrogène par électrolyse à haute température, son stockage dans des réservoirs haute pression ou sous forme liquide - que ce soit à travers la fixation de l'hydrogène de façon réversible sur des molécules sous forme liquide ou à travers du stockage cryogénique -, et enfin la conversion de l'hydrogène avec des piles à combustible (haute et basse température) de type PEM (membrane échangeuse de protons).
Ces activités s'inscrivent dans le cadre de la stratégie nationale hydrogène portée par l'État. Le CEA a développé des partenariats industriels privilégiés, entre autres avec Genvia pour l'électrolyse haute température et avec Symbio et INOCEL pour les piles à combustible de type PEM.
Ces efforts de R&D s'inscrivent en outre dans le cadre de la stratégie nationale bas carbone et de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE). Le mix énergétique français est basé à 60 % sur l'utilisation de ressources carbonées. Les remplacer par des alternatives qui n'émettent pas de gaz à effet de serre représente un enjeu de premier plan, notamment pour assurer la stabilité et la souveraineté de notre système énergétique.
Il convient donc de promouvoir à la fois une plus grande sobriété et une meilleure efficacité énergétique, mais également d'augmenter notre capacité de production en électricité bas carbone, de manière à électrifier tous les procédés qui mettent en oeuvre des ressources fossiles qui peuvent l'être. Comme l'électricité ne peut pas être stockée, il est nécessaire également de développer des technologies et vecteurs énergétiques qui seront capables de soutenir l'ensemble des services actuellement couverts par les ressources fossiles. En ce sens, la production d'hydrogène vert, de biocarburants et de e-carburants, à partir de ressources renouvelables, représente une possibilité pour atteindre la neutralité carbone dans tous les secteurs d'activité qui sont les plus difficiles à décarboner.
Dans cette optique, la vision du CEA est systémique et articule ces trois filières. Le programme « Économie circulaire du carbone » permet le déploiement de la R&D autour des biocarburants, essentiellement de 3e génération, et des e-carburants. Il permet de combiner des sources de carbone biogénique, du CO2, de l'eau et une source d'électricité bas-carbone pour les convertir et ainsi produire des carburants ou des produits chimiques de synthèse. Ce programme s'appuie sur différents procédés - comme la thermo-conversion, l'ajout d'hydrogène à de la biomasse ou les microalgues - qui permettent de développer des technologies émergentes de manière à produire des carburants durables. Le projet Jupiter 1000, développé dans le port de Fos-Marseille, est à ce titre emblématique du travail du CEA. Soutenu par l'Ademe, il vise à développer une installation de production de méthane de synthèse à partir d'électricité renouvelable et de CO2, via le vecteur hydrogène produit par électrolyse de l'eau.
La différence de traitement dont bénéficient l'hydrogène d'un côté, les biocarburants et e-carburants de l'autre, se manifeste à travers les différents programmes et équipements prioritaires de recherche (PEPR) qui couvrent ces activités. Le CEA copilote, en partenariat avec le CNRS, le PEPR sur l'hydrogène décarboné, mais il n'en existe pas de spécifiquement dédié à l'économie circulaire du carbone, bien que la décarbonation de l'industrie et le développement de biocarburants fassent l'objet de PEPR dédiés auxquels participe le CEA. L'absence de solution technologique unique impose de pousser en maturité de nombreux concepts, ainsi qu'une diversité de plateformes technologiques.
Au-delà des coûts d'investissement des différentes installations, il semble important de rappeler que leur maintien en condition opérationnelle nécessite des moyens financiers et humains qu'il faut prendre en compte. Le CEA plaide pour une réelle programmation de ces investissements et de leurs conditions de fonctionnement, aux échelles locale et nationale.
Néanmoins, la maturité technologique des trois filières ne leur permet pas aujourd'hui d'être économiquement compétitives par rapport aux énergies fossiles. La réglementation reste donc un des leviers principaux de déclenchement des investissements de long terme, y compris pour favoriser la R&D. À cette fin, il est primordial que la réglementation européenne soit stable et claire. Le CEA considère que les aides nationales et européennes favorisent le CAPEX (dépenses d'investissement) au détriment de l'OPEX (dépenses d'exploitation). A l'inverse, l'Inflation Reduction Act (IRA) américain semble plus équilibré. En conséquence, nous constatons que les projets initiés à l'échelle européenne concernent essentiellement des projets de démonstrateurs de taille modeste, en décalage avec les scénarios institutionnels et associatifs qui impliquent des puissances de plusieurs gigawatts. La réglementation européenne est cependant proactive dans une certaine mesure, comme l'illustre le paquet réglementaire « Fit for 55 » (Ajustement à l'objectif 55), qui ouvre une part de marché dédiée aux transports aériens et maritimes. Ce paquet prévoit par exemple qu'à l'horizon 2050, 63 % des carburants du transport aérien soient durables, à l'intérieur de l'Union européenne. 28 % devront être d'origine non biologique, car il n'est pas possible de mobiliser l'intégralité de la biomasse.
Enfin, si l'urgence climatique ne peut plus être aujourd'hui niée, il nous revient d'assurer la neutralité carbone, donc d'avoir recours à toutes les énergies bas-carbone possibles.
Il n'existe aucune solution générique globale qui soit soutenable à la fois économiquement et sur le environnemental. L'absence d'unicité de réponse nous impose de financer la R&D à un niveau qui soit conséquent. Le CEA a la conviction qu'un effort de programmation systémique est indispensable, car l'ensemble des filières industrielles de l'énergie doit être coordonné pour assurer cette neutralité carbone avec le coût le moins élevé possible. À ce , il semble important de rappeler qu'il peut exister - et qu'il faut prévenir - des conflits d'usage sur l'électricité bas-carbone, l'hydrogène vert et la mobilisation des ressources en biomasse sur lesquelles s'appuient les trois filières.
Je vous remercie pour votre attention et je reste disponible pour vos questions.
M. Gilbert-Luc Devinaz, président. - Monsieur le rapporteur, avant de poursuivre, souhaitez-vous que M. Cantat précise ses propos ?
M. Vincent Capo-Canellas, rapporteur. - Je vous remercie pour cette riche présentation. Vous avez abordé un certain nombre d'éléments. À des fins de clarification, pourriez-vous préciser votre distinction entre biocarburants et carburants de synthèse d'un côté, hydrogène d'un autre ?
Vous insistez sur l'absence de solution technologique unique et sur le fait que la maturité technologique n'est pas telle qu'une solution économique soit pour le moment envisageable. D'un point de vue pragmatique, comment faire coïncider la maturité technologique, la viabilité économique et l'objectif 2050 ?
M. Thibault Cantat. - La distinction est nécessaire, car il existe plusieurs déclinaisons possibles au sein de ces trois filières.
Alors que l'électricité n'est initialement pas stockable, l'hydrogène constitue un premier vecteur qui permet de stocker l'électricité bas-carbone sous forme chimique. L'hydrogène est en outre utilisé en tant que tel dans différents procédés industriels, tels que le raffinage de pétrole et la production d'engrais, mais il est issu de ressources fossiles. Dans cette situation, la stratégie qui consisterait à produire de l'hydrogène bas carbone et à l'utiliser directement en substitut à des ressources pétrolières est valable, mais ne répondra pas à tous les enjeux de neutralité carbone. Ainsi, elle trouve pour le moment une limite dans le transport aérien. Pour lutter contre la gravité, un avion requiert un carburant extrêmement dense en énergie. Or l'hydrogène a le défaut d'être un gaz et ne peut répondre à l'équation. Une façon de répondre au besoin sectoriel de l'aviation est d'utiliser l'hydrogène pour produire des carburants de synthèse, mais la maturité technologique n'est pas encore atteinte.
Il existe par ailleurs plusieurs générations de biocarburants :
- la première résulte du raffinage de sucres produits par la biomasse (éthanol). Il en résulte un conflit d'usage potentiel entre les secteurs de l'alimentation et de l'énergie ;
- la deuxième réemploie les déchets organiques ;
- la troisième utilise des micro-organismes, cultivés dans des photobioréacteurs, pour produire des huiles, raffinées en biocarburants.
Ces générations sont de maturités technologiques inégales et imposent différentes contraintes en termes de sollicitation des ressources.
Les e-carburants utilisent quant à eux le CO2 comme matière première. La stabilité de la molécule de CO2 oblige à ajouter une quantité importante d'hydrogène ou d'électricité pour le convertir. Plus gourmands en énergie, ils disposent d'un rendement énergétique plus faible. Leur développement doit être ciblé. L'utilisation de batteries peut par exemple être plus pertinente pour des véhicules, en fonction du rendement énergétique et du cycle de vie global des batteries. En raison de l'enjeu de la gravité, les carburants durables semblent être la solution pour le transport aérien.
La différence de maturité technologique de ces filières est de plus illustrée par la mise en place des projets importants d'intérêt européen commun (PIIEC) : deux sont consacrés à l'hydrogène, aucun aux biocarburants et e-carburants.
M. Gilbert-Luc Devinaz, président. - Merci M. Cantat. Je passe maintenant la parole à M. Jean-Philippe Héraud, responsable du programme « Biomasse vers carburants » à l'IFP Énergies nouvelles (IFPEN).
M. Jean-Philippe Héraud, responsable du programme « Biomasse vers carburants » à l'IFP Énergies nouvelles (IFPEN). - Merci, Monsieur le Président. L'IFPEN est un organisme public de recherche et d'innovation, dont l'objectif est de porter des idées du laboratoire vers des marchés. La valorisation de la recherche se matérialise par la vente de licences à différents groupes industriels à travers le monde.
L'IFPEN a développé la première génération de biocarburants en France dans les années 80. Depuis une dizaine d'années, la recherche s'intéresse aux carburants avancés, issus de biomasse, qui n'entrent pas en compétition avec l'alimentation humaine et animale. À cette fin, nous développons trois procédés de production à échelle industrielle.
Le premier récupère les huiles de cuisson usagées ou des graisses animales, ce qui correspond à l'hydrotraitement de charges lipidiques. Procédé proche de ce qui peut être trouvé dans le raffinage conventionnel du pétrole, il a une maturité élevée et est par exemple mis en oeuvre par TotalEnergies sur le site de La Mède. On compte une dizaine de licences de travers le monde.
Le deuxième permet de produire un biocarburant par voie biochimique, incorporable à de l'essence (éthanol) ou du Jet, à partir de biomasse ligno-cellulosique, c'est-à-dire de résidus agricoles et forestiers. Ce procédé a été développé grâce au projet Futurol, qui a nécessité 11 ans de recherche et mobilisé 90 millions d'euros. Arrêté en 2018, il est aujourd'hui commercialisé. L'éthanol peut être incorporé dans l'essence, mais peut aussi être valorisé sous forme de Jet (« Alcohol-to-Jet »), incorporable dans la limite de 50 % dans les aéronefs.
Le troisième s'oriente vers le gazole et le kérosène, par la voie Fischer-Tropsch. La matière première est encore une fois constituée de résidus agricoles et forestiers, mais soumise à un traitement thermochimique à haute température qui les transforme en gaz de synthèse composé de monoxyde de carbone et d'hydrogène. Ce gaz va être combiné pour donner différents carburants premiums. Ce procédé a été développé dans le cadre du projet BioTfueL, clos en 2021, qui également nécessité 11 ans de recherche et mobilisé 200 millions d'euros. Le projet a fait l'objet de deux unités de démonstration qui ont permis, comme dans le cas de Futurol, de « dérisquer » les étapes technologiques et de passer du laboratoire puis du démonstrateur à l'échelle industrielle. Le soutien de l'État s'est élevé à 30 millions d'euros environ. La technologie BioTfueL est en cours d'adaptation, dans le cadre de l'appel à projets Carb Aéro, pour créer la première unité de production de carburant durable d'aviation en France, à travers le projet BioTJet.
La production d'e-carburant suit plusieurs étapes. Certaines sont matures, telles que le captage du CO2 et le procédé Fischer-Tropsch. C'est également le cas de l'électrolyse, qui nécessite cependant d'importants investissements pour la production des électrolyseurs. La transformation du CO2 en CO (l'élimination d'un atome d'oxygène pour retrouver une molécule plus réactive), afin d'y greffer de l'hydrogène pour produire des carburants de synthèse, est encore à niveau du développement.
Par ailleurs, combiner hydrogène et carburant de type BtL (Biomass-to-Liquid) permet de maximiser le rendement énergétique et de valoriser au maximum la ressource biomasse pour la production de carburant. Cette possibilité est d'autant plus intéressante au regard des débats sur la disponibilité de la biomasse en tant que ressource.
En conclusion, nous disposons de la maturité technologique pour produire des biocarburants avancés. Nous devons maintenant en permettre le déploiement pour répondre aux objectifs 2030 et 2050 de production de biocarburants. La France dispose, dans cette optique, de plusieurs atouts : les ressources agricoles et forestières, un écosystème industriel développé, des savoirs technologiques issus de travaux de recherche français. Le déploiement est lié à trois enjeux : structurer la filière d'approvisionnement de la ressource, soutenir l'investissement et assurer une réglementation stable permettant de développer et de valoriser des produits sur le long terme.
Les différentes filières doivent en outre travailler de concert afin de réduire les coûts de production du futur mix énergétique dont nous aurons besoin pour répondre à la demande du secteur des transports.
M. Gilbert-Luc Devinaz, président. - Monsieur le rapporteur, avant de poursuivre, souhaitez-vous que M. Héraud précise un de ses propos ?
M. Vincent Capo-Canellas, rapporteur. - Vous insistez surtout sur le besoin de passer au déploiement, avec l'idée que la maturité technologique est déjà présente.
M. Jean-Philippe Héraud. - La maturité technologique existe effectivement et a été démontrée à l'échelle préindustrielle, pour les biocarburants avancés produits par les voies biochimiques et thermochimiques.
M. Vincent Capo-Canellas, rapporteur. - À quoi cela correspond-il en termes de volumes et de coûts ?
M. Jean-Philippe Héraud. - La question du volume rejoint celle de la disponibilité de la ressource. Une étude de l'Imperial College publiée en 2021 estime que le potentiel existe en France pour produire une quantité suffisante. Reste à structurer la filière afin d'aller récupérer la ressource, sans pour autant appauvrir les sols.
La production de biocarburants est plus complexe, donc plus coûteuse, que la production de carburants conventionnels. Le travail en commun des différents secteurs ainsi que l'avancement de la maturité technologique des premières unités industrielles permettront de diminuer les coûts et d'acquérir l'expérience utile à la construction des futures unités.
M. Gilbert-Luc Devinaz, président. - Merci M. Héraud. Je passe maintenant la parole à M. Pascal Bain, responsable du département « Sciences Physiques, Ingénierie, Chimie, Énergie » à l'Agence nationale de la recherche (ANR).
M. Pascal Bain, responsable du département « Sciences Physiques, Ingénierie, Chimie, Énergie » à l'Agence nationale de la recherche (ANR). - L'ANR est l'agence publique de financement de la recherche sur projet, qui accompagne la recherche de niveau de maturité technologique (TRL) en général bas, au niveau national et international. L'ANR soutient des organismes publics de recherche, des universités, des grandes écoles ainsi que des entreprises privées.
L'Agence est également un des 4 grands opérateurs de France 2030. Elle prend en charge l'organisation et le développement des projets financés dans ce cadre. Ses actions sont généralement positionnées sur le soutien à la recherche amont, principalement dans le cadre des stratégies nationales d'accélération, dont le volet amont est décliné sous la forme de PEPR. Un de ces programmes est dédié à l'hydrogène décarboné. D'autres traitent d'une part des carburants avancés, d'autre part de la décarbonation de l'industrie, dans laquelle se trouve un projet portant sur les e-carburants.
Le positionnement de l'ANR diffère de celui d'autres organismes, dans la mesure où elle n'est pas un opérateur de recherche. Elle soutient des équipes de recherche qui répondent à des appels à projets lancés par ses soins.
Les biocarburants, notamment la deuxième génération, présentent un degré de maturité technologique assez avancée, comme l'illustrent les résultats du projet Futurol. Les travaux soutenus par l'ANR portaient sur des briques technologiques spécifiques, notamment la déconstruction de la biomasse, ainsi que sur les voies de transformation conduisant au produit final. La mise sur le marché du produit issu du projet Futurol en illustre le potentiel. L'agence soutient en outre, depuis 2007, le développement de la troisième génération de biocarburants. Cette filière est celle qui nécessite encore le plus de travaux et elle est à ce titre l'objet de l'un des deux projets ciblés du PEPR, précisément consacré au développement de la recherche autour des microalgues.
L'Agence a de plus déployé un programme de recherche ambitieux consacré au développement de l'hydrogène décarboné. D'un montant de 100 millions d'euros, il a permis le financement de plus de 120 projets en six ans, focalisés en grande partie sur l'électrolyse à basse et haute température. L'ANR a également financé plusieurs projets d'un niveau de maturité technologie moins élevé, tel que le stockage d'hydrogène sous forme solide.
Enfin, la filière des carburants de types e-carburants ou carburants solaires est la moins mature. Les premiers projets financés par l'ANR à ce sujet étaient consacrés aux différentes voies de valorisation du CO2, à partir de 2010. Ces voies sont toujours explorées aujourd'hui et suscitent une importante créativité de la part des chercheurs.
Le très faible degré de maturité de cette filière, en particulier lorsque l'on cherche à utiliser directement l'énergie solaire pour produire des molécules de type carburant par des processus photoélectrochimiques, justifie que l'ANR apporte des financements. L'Agence finance le plus de voies de recherche possible afin de s'assurer que certaines d'entre elles dépasseront la phase 4 de l'échelle TRL.
M. Gilbert-Luc Devinaz, président. - Merci M. Bain. Je passe maintenant la parole à M. Alexandre Legris, directeur adjoint scientifique de l'Institut de Chimie du Centre national de la recherche scientifique (CNRS).
M. Alexandre Legris, directeur adjoint scientifique de l'Institut de Chimie du Centre national de la recherche scientifique (CNRS). - Le CNRS fonctionne de manière complémentaire avec les organismes ici représentés, mais différemment. Les chercheurs n'y travaillent pas sur projet, dans un souci d'indépendance de la recherche qui encourage la créativité. Néanmoins, dans le domaine qui nous intéresse aujourd'hui, le Centre a mené ces dernières années un certain nombre d'actions.
Le CNRS a permis la création d'une fédération de recherche nationale dédiée à l'hydrogène, qui regroupe une trentaine de laboratoires disséminés sur l'ensemble du territoire. Cette fédération est l'un des acteurs majeurs du PEPR hydrogène que nous co-portons avec le CEA. Les domaines traités couvrent l'ensemble des activités en lien avec la production de l'hydrogène, son utilisation comme vecteur de transport, ainsi que les piles à combustible et le stockage. Elle s'intéresse également aux systèmes produits par l'agrégation d'un certain nombre d'unités de base, qui fonctionnent aussi bien pour l'électrolyse que pour les piles à combustible. Ces recherches sont complémentaires des recherches menées par le CEA, avec lequel nous collaborons.
Dans le domaine des biocarburants, le CNRS a également procédé, au milieu des années 2010, à la création d'une autre fédération de recherche nationale. Les carburants issus de la biomasse y sont étudiés, aussi bien du point de vue des procédés que des solutions innovantes. Le CNRS n'est pas porteur du PEPR qui leur est dédié.
S'agissant des e-carburants, le Centre est en revanche partie prenante du PEPR consacré à la décarbonation de l'industrie. Notre recherche se situe en amont de ce qui est produit au sein des filières industrielles, dans le but de développer des solutions innovantes. Les différentes équipes de recherche travaillent à la capture et la valorisation du CO2 sous différentes formes. L'objectif est de défricher le terrain pour voir ce qui peut émerger en termes de filières industrielles.
Les chercheurs du CNRS travaillent donc en toute liberté, mais une liberté qui connaît un certain infléchissement depuis plusieurs années. Les programmes nationaux mis en place, les PEPR en particulier, permettent de structurer les filières ainsi que des communautés de recherches, qui vont travailler ensemble pour développer des solutions dans un domaine de recherche très varié. Ainsi, en chimie, la programmation des enzymes peut constituer une alternative essentielle pour la production des molécules d'intérêt de demain, aussi bien pour produire des biocarburants que des matériaux.
M. Gilbert-Luc Devinaz, président. - Monsieur le rapporteur, avant de poursuivre, souhaitez-vous que M. LEGRIS précise un de ses propos ?
M. Vincent Capo-Canellas, rapporteur. - Du point de vue du CNRS, quel regard portez-vous sur la maturité de ces directions de recherche ?
M. Alexandre Legris. - Le CNRS mène, depuis quelques années, une politique de prématuration très importante. Nous souscrivons en particulier à deux éléments abordés par les différents intervenants :
- d'une part, transformer la matière de basse énergie en matière à haute énergie a un certain coût ainsi qu'un rendement limité. Passer ce col énergétique nécessite un prix à payer, en fonction du degré de maturité des technologies ;
- d'autre part, la réglementation permettra de compenser ce surcoût. Les communautés scientifiques sont de plus en plus convaincues par ces thématiques à l'interface entre la science et le mode de vie.
Mme Martine Berthet. - Merci pour ces éléments. Nous disposons en France de beaucoup de chercheurs de haut niveau, ainsi que d'une recherche qui offre de nombreuses possibilités. Encore faut-il pouvoir organiser l'ensemble des filières. À cet effet, comment sont mises en oeuvre les relations entre vos organismes, les entreprises et les laboratoires de recherche de grands groupes ?
M. Thibault Cantat. - Le CEA développe ses partenariats en fonction des degrés de maturité technologique des projets. Dans le cas d'une maturité technologique basse, la recherche partenariale avec le tissu académique sera privilégiée. Lorsque l'on monte en maturité, le tissu industriel devient le relai le plus approprié. La recherche bilatérale est la plus propice aux transferts technologiques.
Lorsque le degré de maturité technologique n'est pas assez élevé, la recherche partenariale peut être financée par des fonds nationaux et européens. Ces financements permettent d'établir un lien privilégié avec le tissu industriel, tout en amortissant le risque économique pour les parties. Si la réglementation est effectivement un moteur pour le développement industriel, ce lien est également un moteur important de la R&D. Il est évident, du point de vue de l'industriel, que lorsqu'une réglementation se précise, il faut se tourner vers la recherche pour développer des solutions nouvelles.
En tant qu'opérateurs de recherche, bien qu'il nous soit difficile d'estimer ce à quoi doivent correspondre les prix des biocarburants et e-carburants, il nous est cependant possible de donner un ordre de grandeur. Un carburant durable devrait avoir un prix entre trois et quatre fois supérieur à celui d'un carburant issu de ressources fossiles.
Le service rendu par les carburants n'est cependant pas identique. L'utilisation d'un carburant issu de ressources fossiles puise dans des ressources épuisables et accumule du CO2 dans l'atmosphère. L'utilisation d'un carburant durable produit l'inverse. La réglementation européenne établit qu'il doit produire 70 % de moins de CO2 que des équivalents fossiles : le surcoût provient effectivement du service rendu par le carburant.
M. Jean-Philippe Héraud. - Au cours du développement de nos projets, nous sommes soucieux de la problématique des ressources. En collaboration avec les acteurs des secteurs des différentes ressources, nous avons développé des technologies multi-ressources afin de ne pas dépendre d'un seul type de charge, avec la vocation de pouvoir déployer nos technologies à travers le monde. Nous avons en outre développé une cartographie qui permet de balayer les différents types de ressources testées sur nos unités de démonstration, de façon à évaluer les différences entre ces ressources ainsi que les adaptations technologiques nécessaires. Les rayons de collecte, pour les unités de production de biocarburants, sont d'environ 200 kilomètres. Au-delà apparaissent des effets directs sur les émissions de CO2.
M. Pascal Bain. - De nombreux directeurs scientifiques et de la recherche de grandes entreprises expriment leur attente du soutien de l'État dans la recherche publique, qui ouvre des possibilités qu'ils ne peuvent se permettre au sein de leurs laboratoires.
L'ANR a mis en place trois principaux dispositifs qui favorisent le travail en commun entre les chercheurs du secteur public et les entreprises.
Le premier repose sur des appels à projets de l'ANR, pour une durée d'environ quatre ans. Lorsque nous avons scindé l'axe scientifique de l'appel à projets générique de l'ANR en deux, sur la recherche en amont puis sur les TRL intermédiaires, ce second sous-axe a suscité un afflux supérieur de projets.
Le deuxième consiste dans le développement des « Labcom », laboratoires communs en partenariat avec des TPE/PME. Les Labcom développent des programmes de recherche conjoints, axés sur des TRL intermédiaires, destinés à favoriser les transferts de connaissance et de technologie depuis le laboratoire public vers l'industriel. Un laboratoire a par exemple été financé en 2017 à Montpellier, pour permettre de remplacer par de l'hydrogène le gaz naturel utilisé dans des brûleurs.
L'ANR finance enfin des chaires industrielles, en partenariat avec un ou plusieurs groupes industriels. Les laboratoires impliqués développent des sujets d'intérêts pour les industriels, comme c'était récemment le cas pour un projet de transport d'hydrogène.
L'Agence finance majoritairement des projets n'impliquant que la recherche publique. Nous observons néanmoins que, dans le domaine de l'énergie, de nombreux projets aboutissent au dépôt de brevets. Certains d'entre eux poursuivent leur développement, notamment grâce à des financements de l'Ademe. C'est actuellement le cas de projets de démonstrations portant sur les microalgues, dans le cadre de France 2030.
M. Alexandre Legris. - La relation entre les entreprises et le CNRS est ancienne. Fin 2021, nous avons célébré le 200e laboratoire commun. Le dispositif CIFRE est en outre très utilisé pour le financement de thèses.
Le CNRS a également développé un outil pour la prématuration ainsi que des partenariats avec les sociétés d'accélération du transfert de technologies (SATT) pour la maturation.
M. Daniel Salmon. - Je vous remercie pour vos présentations.
L'électrolyse permet un rendement de 35 % maximum, soit une perte de 65 % de l'énergie électrique impulsée pour produire cet hydrogène. Lorsque cette électricité provient d'une centrale nucléaire, dont le rendement est de 30 %, nous n'utilisons au final que 10 % de l'énergie primaire. La recherche peut-elle permettre de dépasser ce plafond ?
Le problème de la ressource de biomasse, c'est celui des gisements. Il existe déjà une tension quant à l'utilisation des déchets, comme nous avons pu le constater lors de la mission d'information sur la méthanisation. Existe-t-il une marge de manoeuvre à ce sujet ?
Enfin, nous souhaiterions connaître le rendement énergétique d'un hectare de culture destiné à un biocarburant, en comparaison à un hectare de photovoltaïque, ainsi que le bilan carbone des différents biocarburants.
M. Thibault Cantat. - Lorsque se pose la question du rendement, il faut observer les rendements de l'intégralité de la chaîne de valeur et prendre en compte la production d'hydrogène, son stockage, sa distribution et ses différents modes d'utilisation.
Vous posez en réalité la question de savoir s'il est raisonnable d'utiliser de l'hydrogène alors que son rendement est inférieur. L'interrogation essentielle doit toutefois porter sur la raison de l'utilisation des carburants durables, qui doivent être envisagés en fonction du service que nous en attendons. D'où mes propos sur l'intérêt potentiel des batteries, par rapport aux biocarburants, pour les véhicules personnels. Nous devons d'abord nous focaliser sur l'utilisation de l'hydrogène et des carburants de synthèse dans les secteurs d'activité pour lesquels il n'y aura pas d'alternatives, ce qui permet de dépasser la question du rendement.
Le développement industriel des filières et la montée en maturité technologique vont permettre d'améliorer les rendements, qui n'ont pas de limite physique thermodynamique. Si des alternatives telles que l'électrification, la sobriété et l'efficacité énergétique sont possibles, elles sont à privilégier.
La question des gisements représente l'un des points de vigilance précédemment soulevés à propos des conflits d'usage. La biomasse comme les énergies bas-carbone serviront de nombreux secteurs qui souhaiteront améliorer leur bilan carbone. Ces conflits doivent être anticipés. L'Union européenne prend en compte cette problématique dans le paquet « Fit for 55 ». Dans la part obligatoire des carburants durables utilisés par le transport aérien en 2050, une partie ne devra pas être d'origine biologique.
M. Jean-Philippe Héraud. - Le rapport de l'Imperial College précédemment évoqué avait pour objectif de recenser le potentiel de biomasse à l'échelle de l'Europe et de démontrer, en prenant en compte la multiplicité des usages, le potentiel spécifique de la France dans la production de biocarburants. Potentiel, parce qu'il y a une structuration de la filière à mener. La récolte des restes forestiers est à mettre en place dans de nombreux secteurs et régions. La réglementation européenne offre en outre l'opportunité d'utiliser d'autres types de charges, tels que les bois de classe B. Les déchets ménagers pourront à terme être valorisés, en fonction des futures adaptations technologiques.
Des études montrent que les procédés de production d'éthanol et de fuel synthétique avancés permettent une réduction de 90 % d'émission de CO2 par rapport à la référence fossile. Ces niveaux sont supérieurs à ceux exigés par la réglementation européenne. Des progrès restent à faire dans la réduction des émissions lors du processus de récupération.
Le coût de production des biocarburants avancés se répartit en 50 % d'investissement, 25 % de récupération de la ressource et 25 % de frais divers. Le double enjeu est la récupération de la ressource, à moindre coût.
Les coûts des e-carburants sont quant à eux effectivement dépendants du prix de l'électricité, leur vecteur énergétique.
M. Pascal Bain. - Le coût de production d'hydrogène par électrolyse est explicable à hauteur de 70 % par le prix de l'électricité. Je souscris par ailleurs aux propos de M. Cantat, qui estimait que l'hydrogène ne doit pas devenir un substitut du pétrole pour tous les types d'usages.
La production d'hydrogène à basse température, plus mature que la production à haute température, dispose aujourd'hui d'un rendement de 40 %. Son développement est pour le moment limité, dans la mesure où les électrolyseurs utilisent de l'iridium, ressource rare. Dans le cadre du PEPR consacré à l'hydrogène décarboné soutenu par l'ANR, un projet vise à réduire la teneur en iridium des électrolyseurs de type PEM, tout en maintenant les rendements de l'état de l'art actuel. Un autre projet cherche à substituer l'iridium par des catalyseurs sans métaux nobles, avec des perspectives intéressantes en termes de rendement.
M. Alexandre Legris. - Si nous souhaitons augmenter les rendements, nous devons augmenter les températures et abaisser les cols, donc utiliser des catalyseurs. Des recherches fondamentales sont donc à mener.
De plus, l'énergie disponible est largement sous-utilisée, comme c'est le cas de l'uranium dans la production d'énergie nucléaire.
M. Pierre Cuypers. - Merci Monsieur le Président.
Chacun d'entre vous a évoqué les coûts élevés de la R&D, du déploiement et de la compétitivité des énergies renouvelables par rapport aux énergies fossiles. Une étude des coûts de la dépendance et de la fragilité énergétiques de la France, énergie par énergie, existe-t-elle ?
M. Thibault Cantat. - En tant qu'opérateur de recherche, le CEA ne dispose pas des éléments macroscopiques pour apporter une réponse. Cependant, 85 % de l'énergie mondiale est d'origine chimique, extraite du sous-sol puis brûlée afin de produire électricité et chaleur. Nous n'avons pas quitté l'âge du feu.
Nous essayons de renverser ce paradigme par la production d'électricité bas-carbone que l'on transforme en une forme d'énergie chimique, parce qu'elle est facile à stocker, extrêmement dense, facile à utiliser et abondante.
Ce changement de paradigme, massif, légitime des coûts de déploiement importants.
La dépendance énergétique, le coût environnemental et les pénalités subies par les générations futures ne sont pas correctement pris en compte dans les analyses de coût. La production de biocarburants, e-carburants et d'hydrogène, dans la mesure où nous disposons des ressources, peut permettre l'accès à un plus haut degré d'indépendance.
M. Pascal Bain. - L'ANR a financé des projets de recherche portant sur cette question, dont je ne peux cependant vous restituer les conclusions à l'instant.
M. Alexandre Legris. - Les laboratoires du CNRS sont extrêmement sollicités par les entreprises à propos des sujets que nous évoquons. Un véritable changement est à l'oeuvre, aussi bien dans les entreprises que dans le secteur de la recherche.
M. Vincent Capo-Canellas, rapporteur. - Vous n'avez pas mentionné les interactions des programmes de recherche avec l'échelon européen dans la définition des processus et des degrés de niveau de maturité technologique.
Par ailleurs, comment s'organisent, aux niveaux français et européens, vos interactions avec les pouvoirs publics ? Comment les décisions d'orientation de la recherche sont-elles prises ? L'on observe que dans la filière des transports, des contrats sont signés, mais pas nécessairement en France.
M. Thibault Cantat. - Il existe à l'échelon européen deux niveaux de structuration de maturités différentes. Concernant l'hydrogène, des partenariats publics-privés (PPP) ainsi que deux PIIEC sont mis en place, qui facilitent les liens entre la recherche publique et le tissu industriel. Il n'y a, à ce jour, pas d'équivalents dédiés aux biocarburants et aux e-fuel. Néanmoins, des associations d'organismes de recherche, en partenariat avec des industriels, existent. C'est le cas de CO2 Value Europe, association dédiée à la transformation du CO2 en e-carburants. Elles permettent de structurer les filières et de porter un message au niveau européen.
Le CEA est un organisme de recherche, qui n'a pas vocation à établir de liens entre le tissu industriel et les pouvoirs publics. Cependant, les stratégies d'accélération participent de fait à cette structuration des filières. Ces stratégies sont mises en oeuvre à propos de l'hydrogène bas carbone, de la décarbonation de l'industriel ainsi que des biocarburants, bioproduits et carburants durables. Les comités stratégiques de filière, en particulier celui dédié aux nouveaux systèmes énergétiques, remplissent également cette fonction.
M. Jean-Philippe Héraud. - Les PIIEC représentent une voie qui favorise le développement de la filière biocarburants. D'autres programmes d'aides ont été installés, mais englobent des thématiques trop larges.
Plusieurs organisations, dans le cadre des directives européennes, permettent d'émettre de nouvelles idées et de donner des tendances sur les caps d'incorporation des biocarburants avancés dans les pools énergétiques.
Nous entretenons également des liens avec l'Union européenne à propos des ressources.
M. Pascal Bain. - L'ANR est impliquée dans différents partenariats, avec d'autres agences de financement, dans le cadre du programme Horizon Europe. M. Cantat a mentionné le partenariat concernant l'hydrogène, qui existe depuis longtemps. Parallèlement, différents partenariats développent et financent des programmes de recherche transnationaux dédiés à l'énergie. L'ANR est notamment impliquée dans plusieurs d'entre eux, dont certains traitent des biocarburants ou de la valorisation du CO2. Je souligne à ce propos que le nouveau partenariat européen sur l'énergie lancé dans le cadre d'Horizon Europe s'appuie sur un ancien dispositif, ERA-NET, auquel participaient l'ANR et l'Ademe, à propos du captage et de la valorisation du CO2. Plusieurs projets conduits avec des partenaires français ont ainsi été financés, en particulier Next CCUS, qui visait à produire massivement du méthanol à partir de CO2 issu du captage et de l'énergie solaire.
Je souhaitais en outre mentionner que ce partenariat nous permet de constater la diversité des stratégies nationales adoptées. Alors que la France s'intéresse particulièrement à l'hydrogène bas carbone ou décarboné, obtenu principalement par électrolyse de l'eau, la Norvège, par exemple, envisage de produire de l'hydrogène bas-carbone en couplant gaz naturel et captage du CO2.
M. Alexandre Legris. - L'Union européenne finance un certain nombre de programmes, comme cela a été le cas sur les batteries ou les bioraffineries. Le CNRS s'inscrit dans ces recherches collaboratives, au-delà des bourses ERC (Conseil européen de la recherche) qui financent des projets individuels.
M. Gilbert-Luc Devinaz, président. - Je retiens la nécessité d'une réglementation stable, que la notion de mix énergétique ne signifie pas une mise en concurrence des différentes filières et que vous avez soulevé la question de l'investissement.
Considérez-vous aujourd'hui que les investisseurs, publics comme privés, accompagnent suffisamment le passage de la recherche à la transformation industrielle ? La R&D menée en France permet-elle à notre pays d'être bien placé au niveau de l'Union européenne ? Quel regard portez-vous sur la stratégie de recherche et industrielle des États-Unis ?
M. Thibault Cantat. - En l'occurrence, sur ces différentes questions, le CEA est un opérateur de recherche et je ne dispose pas de chiffres quantitatifs qui permettraient d'avoir une vision consolidée sur ces différents points.
Mon sentiment en tant qu'expert est que la France est bien positionnée au niveau de l'Union européenne. Le tissu académique est très dynamique et les financements du plan hydrogène, bien que légèrement inférieurs, se situent dans le même ordre de grandeur que ceux de l'Allemagne.
La lecture de l'Inflation Reduction Act nous informe que, par rapport aux États-Unis, le soutien à l'OPEX fait défaut, alors qu'il permet d'installer une dynamique qui permet d'amorcer une filière en créant des parts de marché et en établissant des prix de rachat.
M. Jean-Philippe Héraud. - La nouveauté est que lors de leur phase de développement, les projets sur les biocarburants avancés sont portés par des monteurs de projets qui en assument les risques, et non par des groupes industriels.
La France est bien située au sein de l'Union européenne. La recherche bénéficie d'un réel soutien, comme l'illustrent les subventions allouées aux projets Futurol et BioTfueL, ainsi que l'aide apportée par l'ADEME. Nous disposons d'un savoir-faire, que nous savons valoriser.
Les États-Unis ne développent pas les mêmes produits que la France, ce qui entraîne des différences en termes de marché. La première génération de biocarburants y constitue une véritable solution, alors que l'Union européenne développe des biocarburants avancés. Les stratégies et l'industrialisation diffèrent donc.
M. Pascal Bain. - La question des investissements échappe également à mon domaine de compétences personnelles.
La position de la France au niveau de l'Union européenne est relativement bonne.
La mise en place des PEPR et des stratégies nationales suscite un soutien massif, que nous espérons pérenne, à la R&D. Les chercheurs français sont en outre très bien positionnés dans les différents dispositifs soutenus par l'Union européenne. Ainsi, dans cadre du PPP portant sur l'hydrogène, sur la période 2008-2017, les organismes publics de recherche français sont partenaires de 57 % des projets, presque au niveau de l'Allemagne, loin devant le Royaume-Uni.
L'ANR est porteur de l'initiative Sunergy, soutenue par le Coordination and Support Action, également promue par le CEA, qui vise à développer la recherche dans le domaine des carburants solaires et des e-carburants.
Le Department of Energy des États-Unis encourage la R&D à travers trois principaux dispositifs :
- le soutien à la recherche fondamentale ;
- le projet ARPA-E, inspiré de la DARPA (Defense Advanced Research Projects Agency), qui vise, sur des travaux ciblés, une montée en TRL du niveau 2 au niveau 4. Ce dispositif est particulièrement intéressant pour faire émerger de nouvelles filières ;
- d'importants programmes dédiés au soutien de l'expérimentation et de la démonstration.
M. Alexandre Legris. - Je ne dispose pas non plus de données chiffrées. Le CNRS procède régulièrement à des recherches bibliographiques. Par rapport à sa population, il nous semble également que la France se situe dans une bonne situation. Les chercheurs français sont présents dans tous les domaines de recherche importants à l'échelle mondiale.
M. Vincent Capo-Canellas, rapporteur. - M. Héraud, les distorsions dans la définition des standards des biocarburants ne vont-elles pas nous poser des difficultés ?
M. Jean-Philippe Héraud. - Cela limitera les importations et les exportations entre les régions. Ce n'est pas la qualité du carburant, mais seulement l'origine de la biomasse, qui diffère.
M. Vincent Capo-Canellas, rapporteur. - À quel usage seront-ils dédiés ?
M. Jean-Philippe Héraud. - Ils seront dédiés à tous les usages. Les États-Unis regardent le Carbon Index, c'est-à-dire le contenu carbone de la biomasse. La distinction entre la qualité avancée et la compétition avec l'alimentation humaine et animale n'est pas opérée.
M. Vincent Capo-Canellas, rapporteur. - Les différentes définitions peuvent-elle poser des difficultés dans le secteur de l'aviation ?
M. Jean-Philippe Héraud. - Cette différence pourrait poser des problèmes en termes de taux d'incorporation.
M. Vincent Capo-Canellas, rapporteur. - La question peut-elle poser dans le secteur de l'hydrogène ? En cas de non-définition d'un standard, l'industrie la plus puissante ne risque-t-elle pas de s'imposer ?
M. Jean-Philippe Héraud. - La qualité des produits sera identique. Les évolutions réglementaires sont effectivement à prendre en compte. Toutefois, alors que les États-Unis prévoient une incorporation des biocarburants, d'autres ne le font pas. La question de la distorsion se pose également dans ces cas-là.
M. Gilbert-Luc Devinaz, président. - Merci, Messieurs, pour vos éclairages.
Mes chers collègues, je vous informe que la prochaine réunion plénière de la mission d'information aura lieu le mercredi 8 mars à 16 heures 30. Nous entendrons alors M. Boris Ravignon, président-directeur général de l'Ademe.
Notre rapporteur auditionnera également le mardi 7 mars, à 10 heures, M. Damien Cazé, directeur général de l'aviation civile. Cette audition est ouverte à l'ensemble des membres de la mission.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La séance est levée à 18 heures 25.