Mercredi 1 mars 2023
- Présidence de M. Laurent Lafon, président -
La réunion est ouverte à 9 h 30.
Audition de MM. François Brouat, président du collège des directeurs des Écoles nationales supérieures d'architecture (ENSA), et Olivier Celnik, élu au Conseil national de l'Ordre des architectes d'Île-de-France
M. Laurent Lafon, président. - Notre audition est consacrée aux questions liées aux écoles d'architecture et à la politique en matière d'architecture, qui relèvent de la responsabilité du ministère de la culture. Afin de nous éclairer sur certains des enjeux actuels dans ce domaine, nous accueillons, d'une part, M. François Brouat, directeur de l'École nationale supérieure d'architecture (ENSA) de Paris-Belleville, qui intervient également au titre de président de l'Association des directeurs des 20 ENSA que compte notre pays, et, d'autre part, M. Olivier Celnik, architecte et enseignant en architecture, qui intervient au nom du Conseil national de l'Ordre des architectes dont il est élu.
Nos intervenants sont accompagnés par M. Raphaël Labrunye, directeur de l'ENSA de Normandie, Mme Amina Sellali, directrice de l'ENSA de la ville des territoires de Paris-Est, ainsi que M. Philippe Bach, directeur de l'ENSA Paris-Val de Seine.
Mesdames et Messieurs, nous vous remercions d'avoir répondu à notre invitation. Nous mesurons combien la qualité de la formation des architectes et des urbanistes est importante pour relever plusieurs défis auxquels notre pays fait face, à commencer par celui de la lutte contre le changement climatique. Le fonctionnement des ENSA a été profondément réformé en 2018. Pourtant, nous constatons que les écoles restent confrontées à certaines difficultés de fonctionnement encore aggravées par la crise énergétique actuelle. Après la vague des grèves qui avaient secoué les ENSA au début de l'année 2020, l'ENSA de Normandie s'est à nouveau mise en grève au début du mois de février pour protester contre ses mauvaises conditions de fonctionnement. Nous souhaitons donc d'abord connaître le regard que vous portez sur les ambitions de cette réforme et sur ses premiers résultats. Des adaptations vous paraissent-elles déjà nécessaires pour réussir à parachever sa mise en oeuvre ou à réorienter éventuellement certains de ces contours ? Que faut-il faire pour assurer l'avenir des écoles d'architecture et leur permettre d'offrir aux étudiants des qualités d'enseignement encore meilleures que ce qu'elles sont aujourd'hui ?
J'en viens au second sujet qui nous préoccupe, à savoir la transition écologique du bâti ancien. À l'initiative de notre collègue Sabine Drexler, rapporteur pour avis des crédits budgétaires sur le patrimoine de notre commission, nous conduisons depuis plusieurs mois des travaux autour de cette question. Nous considérons qu'il s'agit d'un enjeu tout à fait mésestimé. Ce type de bâti représente près du tiers de notre parc de logements, mais le cadre réglementaire applicable en matière de rénovation énergétique ne prend nullement ou faiblement en considération ses spécificités. Nous ne pouvons pas nous résigner à voir disparaître ce patrimoine ni le voir modifier dans ses principales caractéristiques. Nous estimons au contraire que sa réhabilitation contribuerait davantage aux objectifs de développement durable et de réduction des gaz à effet de serre, que son remplacement progressif par des constructions neuves. Quelle est la position des femmes et des hommes de l'art à ce sujet ? Dans quelles mesures les architectes peuvent-ils contribuer à la transition écologique du bâti ancien ? Y sont-ils aujourd'hui correctement préparés ? Dans les écoles d'architecture quelle est la façon dont vous appréhendez ces problématiques et la formation de vos futurs collègues ? Quelles réformes préconisez-vous pour permettre à notre pays de mieux concilier les impératifs de transition écologique avec les objectifs de préservation de notre patrimoine ?
Je me permettrai de vous rappeler que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo retransmise en direct sur le site internet du Sénat. Pour permettre une bonne qualité d'échange, M. Brouat et M. Celnik, dans un propos préliminaire, présenteront leurs éléments de réponse par rapport à cette série de questions. Ensuite, comme nous en avons l'habitude, mes chers collègues, vous interviendrez en interrogeant nos invités. Je vous laisse la parole.
M. François Brouat, président du collège des écoles nationales supérieures d'architecture. - Je vous remercie de votre invitation qui nous donne l'occasion d'évoquer avec vous des sujets qui nous tiennent à coeur. Notre pays compte 20 écoles nationales supérieures d'architecture, établissements publics sous la tutelle du ministère de la culture, ainsi que 2 écoles qui délivrent le diplôme d'État d'architecte - l'École spéciale d'architecture de Paris, seule école privée qui possède cette habilitation, et l'INSA de Strasbourg pour des raisons historiques.
Ces écoles accueillent 20 000 étudiants. Alors qu'il y a 40 000 architectes, 3 300 étudiants entrent chaque année dans les écoles d'architecture. Nous délivrons 2 500 diplômes d'État d'architecte chaque année et 1 500 habilitations à la maîtrise d'oeuvre. Ce réseau d'écoles comprend 1 736 enseignants et 723 agents administratifs.
Il y a six écoles en Île-de-France qui forment à peu près 40 % des architectes français. La carte des écoles d'Île-de-France a été profondément rénovée en 2000 pour supprimer un certain nombre d'écoles, les regrouper et disposer d'un paysage plus pertinent et plus efficace en région parisienne. Deux régions seulement sont dépourvues d'écoles d'architecture : la région Centre-Val de Loire et la région Bourgogne-Franche-Comté. Lorsqu'aucune école d'architecture n'est présente dans une région, les territoires sont en conséquence peu nourris par des architectes. Se pose alors des difficultés sur la qualité des constructions et de l'aménagement.
En outre-mer, une seule région est pourvue d'une école d'architecture : La Réunion. Elle ne propose qu'une formation à l'architecture pilotée depuis l'École nationale supérieure d'architecture de Montpellier. Il ne s'agit donc pas d'une école de plein exercice. Il est assez regrettable qu'aucune formation à l'architecture ne soit dispensée aux Antilles où un dispositif universitaire très complet est en place.
Les écoles d'architecture ont subi depuis une trentaine d'années une transformation très importante : d'écoles professionnelles, elles sont devenues des établissements de type universitaire qui accueillent des équipes de recherche, lesquelles ont développé des enseignements académiques indispensables à la formation des architectes. Comme l'ensemble des établissements d'enseignement supérieur français, elles sont évaluées régulièrement par le Haut commissariat de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur. Cette évaluation est un préalable nécessaire à l'accréditation par l'État de nos établissements et de la délivrance de diplômes reconnus. Placées sous la double tutelle du ministère de la culture et du ministère de l'enseignement supérieur, nos écoles ont adopté le système licence-master-doctorat (LMD) en 2006, comme l'ensemble des universités européennes. Ainsi, la qualification de nos étudiants est reconnue au niveau des différents niveaux d'études. Les collaborations entre établissements et les passages d'un établissement à un autre sont facilités. Elles délivrent des diplômes qui valent grades universitaires jusqu'au doctorat.
Toutes les écoles d'architecture, de façon plus ou moins intégrée, participent au mouvement de regroupement universitaire à l'oeuvre depuis quelques années en France. Quatre d'entre elles sont des établissements expérimentaux, composantes d'université. D'autres sont simplement associées. Les regroupements universitaires de grandes écoles, d'universités et de centres de recherche sont de nature très diverse. Certains sont très intégrés, d'autres plus fédéraux, d'autres, de simples associations. Ce mouvement est stratégique. En tant qu'ancrage dans le paysage de l'enseignement supérieur de notre pays, ces regroupements ont permis beaucoup de collaborations, notamment au niveau de la recherche, des participations de nos établissements aux écoles doctorales, et des approches pluridisciplinaires. Il a ainsi été possible de développer des doubles diplômes ou des formations conjointes avec des écoles d'ingénieurs, de design ou avec des masters spécialisés des universités. Ainsi, l'offre de formation a été développée et adaptée à une réalité complexe et multiple. En plus de cet aspect universitaire, les écoles d'architecture dispensent toujours une formation professionnalisante qui forme à la profession réglementée d'architecte, laquelle ne peut s'exercer qu'avec des diplômes agréés par l'État.
L'habilitation à la maîtrise d'oeuvre en nom propre (HMONP) est obligatoire pour pouvoir signer les permis de construire, s'inscrire à l'Ordre des architectes et porter le titre d'architecte. Depuis la réforme de 2006, les écoles d'architecte dispensent cette formation, en collaboration avec l'Ordre des architectes. Nous délivrons une partie théorique et une partie pratique (mise en situation professionnelle de plusieurs mois). Cette double nature académique et professionnelle des ENSA constitue une vraie richesse.
La réforme de 2018 a été décidée à la suite d'un rapport conjoint de l'Inspection générale des affaires culturelles (IGAC) et de l'Inspection générale de l'enseignement supérieur et de la recherche de 2014, consacré à la question du développement de la recherche dans les ENSA. La réforme de 2018 avait pour but de rapprocher nos établissements avec l'enseignement supérieur, notamment en termes de fonctionnement. Elle comportait deux volets essentiels.
Le premier volet concernait le statut de nos établissements. Il s'agit d'établissements publics administratifs sous tutelle du ministère de la culture. Il n'a pas été décidé de les transformer en établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel (EPSCP). Notre gouvernance a été rénovée et se rapproche des établissements universitaires, notamment par la composition de notre conseil d'administration, lequel inclut des personnalités extérieures, des membres de droit, des personnalités qualifiées, des élus, des enseignants, des étudiants et des personnes administratives. D'autres instances consultatives ont également été installées, telles que le comité pédagogique et scientifique, la commission de la formation et de la vie étudiante et la commission de la recherche. Elles possèdent des compétences sur des sujets qui constituent le fond de la mission de nos établissements : la pédagogie, la recherche et la vie étudiante.
Le second volet de la réforme portait sur le statut des enseignants-chercheurs. Même si nos écoles effectuent de la recherche depuis les années 1970, c'est la première fois qu'a été reconnue dans le statut de nos enseignants la qualité de chercheur. La recherche fait désormais officiellement partie intégrante de leur mission générale de formation, comme dans tous les établissements d'enseignement supérieur. Ce nouveau statut a permis un rapprochement avec les corps enseignants de l'université, notamment les professeurs, maîtres de conférences et intervenants extérieurs.
Le mode de recrutement de ces enseignants-chercheurs a également été profondément modifié. Les enseignants-chercheurs font désormais l'objet d'une qualification par les pairs grâce à la mise en place d'un Conseil national des enseignants des écoles d'architecture. Les concours et le recrutement sont désormais organisés par les écoles elles-mêmes. Cette liberté du recrutement constitue l'un des fondements de l'autonomie des établissements universitaires.
Pour mettre en oeuvre cette réforme, le ministère avait imaginé un système de décharge pour alléger les charges d'enseignement des professeurs et décompter la recherche dans leur service. Un certain nombre de postes d'enseignants devait être créé. Les évaluations estimaient nécessaires la création de 150 postes enseignants, soit par création nette, soit par transformation de postes de contractuels ou de vacataire en postes de titulaire. L'objectif consistait également à atteindre 80 % d'enseignants permanents (titulaires et associés) dans nos établissements et 20 % de contractuels et vacataires, soit la proportion de l'enseignement supérieur général. Le ministère de la culture avait passé un accord avec le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche pour pourvoir ces postes. En réalité, seul une cinquantaine de postes a été créée jusqu'à présent. Ce n'est pas négligeable, mais ce nombre est largement insuffisant.
Avant la réforme, les écoles étaient déjà sous-encadrées de façon structurelle. Les missions nouvelles qui résultent de la réforme nécessitent un travail supplémentaire de notre part assez considérable. Or, les dotations budgétaires nécessaires n'ont pas suivi.
Nous avons ainsi alerté le ministère à la fin de l'année 2019 et demandé le soutien du ministre Franck Riester pour remplir ces objectifs. Le ministère a pris deux initiatives. D'une part, il a confié à l'IGAC le soin de réaliser un bilan de la mise en oeuvre de la réforme. Ce rapport a été rendu en décembre 2021. D'autre part, l'IGAC et l'Inspection de l'éducation, du sport et de la recherche (IGESR) ont publié, également en décembre 2021, un rapport conjoint relatif aux conditions de l'enseignement et au déroulement de la formation. Il traite de l'adaptation de notre pédagogie et du contenu de nos formations aux évolutions très profondes de la profession.
Permettez-moi de vous dire quelques mots au sujet du premier rapport que je vous ai cité, celui de l'IGAC. Il effectue un constat des difficultés de mise en oeuvre de la réforme. Sur cette base, nous avons beaucoup travaillé avec le ministère sur de nouvelles dispositions réglementaires, qui devraient être publiées au mois d'avril. Elles devraient permettre d'améliorer la situation. Il est néanmoins dommage d'avoir eu à attendre 2023 pour les obtenir, alors que ces points étaient inhérents à la réforme de 2018. Je pense que la crise actuelle trouve très largement son origine dans la lassitude ressentie par les enseignants et les étudiants.
La revalorisation des traitements des enseignants titulaires et contractuels doit connaître des avancées. La loi de finances initiale pour 2023 prévoit un rapprochement de toutes les conditions de rémunération et notamment la création d'un régime indemnitaire pour rapprocher le statut des enseignants-chercheurs des écoles d'architecture de celui des professeurs et maître de conférences de l'université. Ces derniers ne sont pas parmi les Européens les mieux rémunérés. Nous attendons des mesures techniques comme la possibilité pour les enseignants d'avoir des heures complémentaires. En effet, nous souhaitons développer la formation continue des architectes, préalable indispensable dont nous ne disposions pas jusqu'alors. Nous souffrons toujours d'une véritable tension en matière de ressources humaines, car il n'y a pas eu de créations de postes d'enseignants ou de cadres administratifs et techniques en nombre suffisant dans les années récentes.
J'en viens maintenant au second rapport, celui rédigé conjointement par l'IGAC et l'IGESR. Il rappelle les évolutions très positives de la structuration et de la diversification de l'enseignement supérieur de l'architecture, ainsi que la nécessité de travailler sur les rythmes des emplois du temps des étudiants. Nous avons trouvé légèrement abusive la campagne de presse qui laissait à penser que les étudiants en architecture étaient maltraités, car il nous semble qu'une forme de pression s'exerce sur les étudiants dans l'ensemble de l'enseignement supérieur, comme le suggèrent les tensions sur l'emploi et sur l'insertion des étudiants. Chacune des écoles travaille beaucoup sur la question de la refonte des emplois du temps pour diminuer les tensions et éventuellement donner plus d'autonomie et de responsabilités aux étudiants.
La stagnation de notre offre de formation constitue un problème majeur et persistant face à une explosion de la demande. Un numerus clausus important a été mis en place depuis une vingtaine d'années dans les écoles d'architecture. La plupart accueillent sur Parcoursup entre 100 et 150 nouveaux étudiants chaque année et reçoivent des milliers de candidatures. Dans mon école, ce sont 3 000 candidats pour 130 postes. Toutefois, les candidats se présentent probablement dans plusieurs écoles.
Alors que les effectifs de l'enseignement supérieur ont augmenté de 20 à 25 % depuis 15 ans, les effectifs des écoles d'architecture demeurent inchangés à quelques centaines près depuis 2000. Cette situation ne s'explique pas par un besoin moindre en architectes. Elle découle de la décision prise en 2000 de définir des capacités d'accueil maximales de chacune de nos 20 écoles. Depuis, aucune réflexion et aucun projet de développement n'ont eu lieu. Nos écoles sont indispensables pour répondre aux enjeux de construction de la ville de demain et de l'aménagement du territoire. Elles doivent faire évoluer leur pédagogie et le savoir qui y est dispensé. La nation a besoin d'architectes. Il est donc nécessaire de travailler avec nos ministères de tutelle.
En outre, ce second rapport n'envisage qu'une augmentation de 0,5 % des effectifs sous forme de succursales des établissements existants. La réponse ne nous paraît pas à la hauteur des enjeux et nous sommes en train de réfléchir à des propositions à adresser au ministère. En effet, les tailles des écoles sont relativement différentes. Sept ou huit écoles ont moins de 1 000 étudiants. Nous pensons qu'elles pourraient passer de 600 à 1 000 étudiants d'ici cinq ans.
Pour conclure, j'indiquerai que les mutations de notre environnement économique et professionnel, le réchauffement climatique et la transition écologique constituent des défis majeurs pour l'ensemble de la filière de l'architecture. La fin de l'artificialisation des sols, le réemploi de matériaux, l'usage des matériaux décarbonés et biosourcés, l'intervention sur l'existant, les modalités de conception et d'aménagement de nos villes et de nos territoires doivent être totalement repensés à l'aune de ces impératifs écologiques. Il est essentiel pour nos concitoyens que nous parvenions à relever correctement ces défis. Il en va de la qualité de nos logements, de nos espaces de travail, de nos espaces de loisirs, de nos équipements, et de nos espaces publics. Bref, la qualité de nos villes, de nos territoires et de nos paysages en dépend. C'est bien la question du vivre ensemble dans un environnement durable qui est posée. J'ai le sentiment que cette prise de conscience dans nos écoles est complète. J'ai observé un changement absolument considérable depuis quatre ou cinq ans. Les étudiants ont pris conscience de ces sujets depuis davantage de temps encore. Je dirige depuis huit ans l'école de Paris Belleville, j'ai remarqué un changement très profond de la part des enseignants dans la manière d'envisager l'architecture, nos logements et nos villes.
M. Olivier Celnik, élu au Conseil national de l'Ordre des architectes. - Je vous présente les salutations de notre présidente Christine Leconte qui vous prie de l'excuser pour son absence. Elle m'a chargé de la représenter. Je suis élu au Conseil national de l'Ordre des architectes. Je m'y occupe des écoles d'architecture et de l'évolution du tableau. Enfin, je suis enseignant en école d'architecture et enseignant contractuel depuis une trentaine d'années. J'ai commencé à enseigner sur les sujets du numérique, lesquels sont des outils, mais également les témoins des nouveaux modes d'évolution et des modes de collaboration, notamment au sein des équipes de maîtrise d'oeuvre. J'ai pu m'occuper, dès son origine, de la mise en place puis de la direction du cycle HMONP, lequel établit le lien avec la profession. Je m'occupe désormais d'un nouveau cursus : le master d'architecte en apprentissage à l'école d'architecture Paris-Val de seine.
Nous sommes 30 000 architectes inscrits à l'Ordre des architectes en France. Ce chiffre est stable depuis 1984. Le Conseil national coordonne les 17 conseils régionaux et nous sommes environ 300 élus au total au sein de ces différents conseils placés sous la tutelle du ministère de la culture. Nous sommes les professionnels en charge de l'aménagement de l'espace et du cadre bâti, les seuls que la loi sur l'architecture de 1977 autorise à porter le titre d'architecte. Cette loi est fondamentale en ce qu'elle proclame que l'architecture est une expression de la culture et qu'elle est d'intérêt public. Les architectes inscrits à l'ordre, diplômés par le Gouvernement (DPLG) pour les plus anciens, et diplômés d'État et habilités à exercer la maîtrise d'ouvrage en leur nom propre, pour ceux qui ont été diplômés plus récemment, disposent d'une assurance apportant une garantie décennale et ont une obligation de formation continue de trois journées par an. La majorité des architectes n'exerce plus aujourd'hui en libéral. Il s'agit d'un important changement d'état d'esprit, lequel s'observe également dans les écoles. Néanmoins, 80 % des agences emploient cinq personnes maximum. 9 000 entreprises d'architecture sont répertoriées, elles emploient 39 000 salariés. Nous constatons un intérêt accru des agences d'architecture pour les sujets de recherche et développement, comme en témoignent la hausse de la demande de crédits d'impôt, l'accueil régulier de doctorants dans le cadre de conventions industrielles de formation par la recherche (CIFRE) et la multiplication des projets d'expérimentation.
En France, il y a 0,4 architecte pour 1 000 habitants, contre une moyenne de 1,1 pour l'ensemble de l'Union européenne. Nous sommes très loin de l'Italie (2,6), du Portugal (2,2), du Danemark (1,8) et de l'Allemagne (1,3). L'enquête Archigraphie indique que la Creuse compte 15 architectes et la Haute-Marne 13 architectes. Certaines zones sont désertifiées, ce qui n'est pas sans difficulté pour garantir des interventions sur tout le territoire et un appui à l'ensemble des maires. Nous tentons d'établir des liens avec les deux régions qui ne disposent pas d'école d'architecture. Par ailleurs, un tiers des architectes sont concentrés en Île-de-France.
L'Ordre assure des missions de service public pour la promotion de l'architecture, la diffusion de la culture architecturale, la formation des architectes, les liens avec les écoles et la formation continue. Le rapport de décembre 2021 sur les conditions de l'enseignement et la formation dans les écoles nationales supérieures d'architecture comportait beaucoup de propositions auxquelles nous adhérons. Nous souscrivons par ailleurs aux récents propos de la ministre de la culture, qui a déclaré que les 20 000 étudiants sont les bâtisseurs de demain et que les écoles forment un vivier incroyable d'étudiants.
Le lancement récent du palmarès national RESEDA, qui vise à récompenser les projets de fin d'études les plus écoresponsables, montre bien que nous n'avons jamais eu autant besoin d'architecture. Les projets primés ont trait à une multiplicité de domaines : les constructions neuves, l'intervention sur l'existant, l'aménagement urbain, la revalorisation des territoires ruraux et l'architecture conceptuelle et innovante.
En outre, l'Ordre a entrepris il y a quelque temps, un travail interne pour bâtir un référentiel métier. Il s'agit d'identifier les activités des architectes, exclusives, emblématiques, connexes ou annexes, et les compétences nécessaires associées. Nous participons à plusieurs groupes de travail aux côtés des écoles : un groupe de travail sur les référentiels de compétences et la refonte des programmes en fiches RNCP ; le plan d'investissement métiers et compétences d'avenir sur l'évolution des métiers et des pratiques ; l'Observatoire de l'économie de l'architecture.
L'Ordre a développé, depuis la réforme LMD, des liens accrus et nouveaux avec les écoles. De mon temps, les écoles ne considéraient pas le monde professionnel, l'ordre, les syndicats et les agences. Aujourd'hui, nous sommes présents dans les conseils d'administration des écoles et dans les jurys d'HMONP. Un membre de l'Ordre est membre titulaire de droit de ces jurys. Dans les grandes régions qui comptent de nombreuses écoles d'architecture - l'Ile-de-France qui en a sept, Auvergne-Rhône-Alpes qui en compte quatre, l'Ordre organise régulièrement des réunions avec les écoles de leur territoire pour harmoniser les réflexions. L'Ordre encourage également les initiatives de formation continue des écoles d'architecture et souhaite s'appuyer sur les écoles pour pouvoir former de façon continue les professionnels.
Nous pouvons signaler que désormais quatre membres du Conseil national de l'Ordre, à commencer par notre présidente, sont eux-mêmes enseignants. De nombreux enseignants sont présents dans les conseils régionaux.
J'en viens maintenant aux enjeux liés au contenu de la formation. Le métier d'architecte connait des mutations rapides et profondes. Il nécessite des compétences de créativité et surtout une maîtrise de la complexité du monde de la construction et une réelle vision d'ensemble, parce que les architectes ont vocation à être les interlocuteurs privilégiés de l'ensemble des partenaires intervenant dans ce domaine. Les écoles n'ont peut-être pas toujours conscience des mutations rapides que connaît notre métier. Les attentes de la société d'aujourd'hui vis-à-vis des architectes sont multiples, que ce soit en termes de qualité de logement, d'adaptation des normes et du bâti, de rénovation et de réhabilitation, d'objectifs de développement durable. Les demandes sont de plus en plus techniques ; les architectes doivent savoir se montrer innovants. Les technologies numériques tiennent une place croissante dans l'exercice du métier.
De plus, 40 % des diplômés n'exercent plus en agence d'architecture ou comme architectes libéraux. Les architectes travaillent dans de très nombreux endroits où ils peuvent diffuser notre culture : les collectivités territoriales, les CAUE, les mairies, chez des maîtres d'ouvrage, des bailleurs sociaux ou des promoteurs. Nous pensons qu'il est nécessaire de tenir compte de ces évolutions du métier et de renforcer l'enseignement autour des questions de rénovation du bâti existant, de transition écologique et numérique, de recours aux biomatériaux et aux matériaux biocourcés, de développement de l'économie circulaire, d'amélioration de l'expression écrite et orale.
Nous constatons et déplorons également le numerus clausus évoqué précédemment par M. Brouat : une place disponible en école d'architecture pour 20 demandes. Dans le même temps, les places en école d'ingénieurs ont très fortement augmenté. Si l'on comptait une place en école d'architecte pour quatre en école d'ingénieur en 1990, on ne compte plus qu'une place en école d'architecte pour onze en école d'ingénieur aujourd'hui.
Le numerus clausus se situe également en sortie d'école. Tous les étudiants ne peuvent pas s'inscrire à l'HMO facilement. De ce fait, nous avons un fort contingent d'architectes qui sont seulement diplômés d'État. Ils ne peuvent pas s'inscrire à l'Ordre et porter le titre. Ils ne peuvent exprimer leur connaissance et culture en tant qu'architectes. D'après Archigraphie, presque un étudiant diplômé d'État en architecture sur deux ne s'inscrit pas à l'HMO.
L'évolution des modalités pédagogiques a permis de rapprocher les étudiants architectes du monde professionnel. Il est indispensable de poursuivre dans cette voie, avec des années de césure et des stages longs pour comprendre les différentes facettes des mondes professionnels. Trois écoles ont mis en place des procédures de master en apprentissage. Ainsi, les étudiants sont pendant trois jours en agence et deux jours à l'école. Une apprentie est notamment présente dans mon agence.
Je souhaiterais vous faire part de deux sujets d'inquiétude néanmoins.
D'une part, je m'inquiète de la possible diminution du nombre de praticiens dans les écoles d'architecture : la réforme demande désormais que 70 % des titularisations reviennent à des personnes possédant un doctorat ou une habilitation à diriger des recherches. Nous craignons que les praticiens soient moins nombreux qu'auparavant et que nous perdions le lien entre les écoles et le monde professionnel. Si le statut des enseignants contractuels et vacataires s'est amélioré, il reste néanmoins encore précaire.
D'autre part, je suis préoccupé par le manque de moyens alloués aux écoles d'architecture : le mouvement parti de Rouen il y a quelques semaines dénonçant les conditions de fonctionnement de l'école se propage dans plusieurs autres écoles. Le rapport IGAC signalait un budget de 8 500 euros par an et par étudiant en école d'architecture quand l'État engage 10 500 euros en moyenne à l'université et 15 500 euros dans les classes préparatoires aux grandes écoles. Ce manque de moyens avait été signalé dans une tribune récente en décembre 2022 par les directeurs des écoles d'architecture qui appelaient à un investissement massif dans l'enseignement de l'architecture, afin de former les futurs acteurs de la transition. Nous sommes en phase avec eux.
À l'heure des évolutions de la société et de la transition environnementale, de nouvelles activités se présentent aux architectes. Ce sont des défis du siècle et les écoles doivent s'en emparer. Il est nécessaire de renforcer les sujets de réhabilitation, de rénovation énergétique, d'éco matériaux, de construction de la ville sur la ville. Rappelons que 80 % de la ville de 2050 est déjà présente. Les écoles commencent à aborder ce tournant dans la profession. Nous allons davantage travailler sur l'existant, le rénover, en faire des extensions, des restructurations, des réversions. La création de bâtiments neufs se poursuivra, mais dans une moindre mesure. Seront en jeu des sujets de décarbonation, de zéro artificialisation des sols, d'aménagement du territoire et de respect du patrimoine bâti.
Afin de garantir une meilleure prise en compte du patrimoine existant, nous avons proposé aux maires lors de leur dernier salon que chacun d'entre eux soit accompagné par un architecte. Nous avons intitulé cette initiative « Un maire, un architecte ». Le but est de donner à chaque maire une vision globale de son territoire et de l'aider à établir des diagnostics d'adaptation d'évolution de son patrimoine pour ensuite prendre les mesures nécessaires. Nous suivons également les politiques nationales « Petites villes de demain » et « Action en coeur de ville » qui se concentrent sur les villes petites et moyennes, et pas seulement sur les métropoles. En outre, nous pensons que les architectes peuvent accompagner les maires pour porter une réflexion sur la manière de résoudre au mieux les défis de l'objectif « zéro artificialisation nette » (ZAN) pour 2050. De plus en plus d'architectes sont donc nécessaires. Le mouvement n'est pas encore vraiment amorcé. Le plaidoyer que nous avons publié un an avant les élections présente l'architecture comme une solution pour l'habitat, les villes les territoires avec quelques mots d'ordre :
- renforcer les territoires pour permettre un développement mieux équilibré ;
- passer d'une politique du logement à une politique de l'habitat ;
- réparer la ville en donnant la priorité à la réhabilitation ;
- changer nos pratiques face au changement climatique ;
- décarboner la construction en développant de nouvelles filières de matériaux.
Je terminerai par une citation présente dans le rapport IGAC de Joseph Belmont, directeur de l'architecture à la fin des années 70 : « Il y a trop d'architectes pour faire ce qu'ils font, mais pas assez pour faire ce qu'ils doivent faire. »
Mme Sylvie Robert. - Cela fait plusieurs mois, voire plusieurs années, que notre commission se préoccupe de la question des écoles d'architecture, parce que plusieurs projets de loi comme la loi Élan comportent des dispositions qui ont eu pour effet de fragiliser et d'accroître les difficultés ressenties par un certain nombre de nos collègues, d'élus et de partenaires. L'architecture et le métier d'architecte sont aujourd'hui absolument essentiels dans notre société.
Notre commission doit s'emparer de la question des école d'architecture et même des écoles supérieures sous la tutelle du ministère de la culture, comme le suggère la tribune des écoles d'art publiée dans Le Monde il y a deux jours. Vous façonnez nos environnements. Aujourd'hui, les citoyens ne désirent plus vivre dans des espaces, comme ils ont pu ou dû parfois malheureusement vivre. L'évocation du ZAN par exemple - nous en parlerons dans notre hémicycle dans quelques semaines - implique de soutenir et d'accompagner l'évolution des pratiques, ce qui suppose également d'y sensibiliser les enseignants, les chercheurs et les partenaires qui concourent à l'évolution de nos sociétés sur nos transitions.
Quel est le climat social aujourd'hui dans les écoles d'architecture ? La question s'est posée pour la Bretagne suite à une journée morte il y a quelques mois. Nous sentons que nous sommes peut-être aujourd'hui à un point de rupture et cette préoccupation que vous portez nous interroge.
Le corollaire de ma question concerne le lien avec votre ministère de tutelle et les réponses apportées par le ministère de la culture. C'est d'autant plus paradoxal que l'attractivité des écoles de l'enseignement supérieur de la culture est absolument incroyable, comme en témoignent le nombre de voeux déposés sur Parcoursup. Malheureusement, le faible nombre d'écoles, la dimension de leurs locaux - la Bretagne en est un exemple en tant que petite école -, leur vétusté et leur caractère inadapté à l'évolution des pratiques freinent cette situation. Nous manquons aujourd'hui d'architectes dans notre pays. Au regard de la dotation de l'État par étudiant en architecture, nous nous interrogeons sur la question des moyens.
Sur le plan des coûts énergétiques, de l'inflation et des ressources humaines, avez-vous chiffré le besoin dans les écoles d'architecture pour pouvoir retrouver une conduite de vos écoles beaucoup plus sereine ?
Combien de temps en recherche passe aujourd'hui un enseignant-chercheur en architecture ? En effet, cet aspect participe de l'attractivité des écoles au niveau international.
La question du contenu de l'enseignement de l'architecture renvoie aux problématiques liées à l'évolution de nos sociétés contemporaines. Pour cette raison, les architectes, aut même titre que les artistes, sont au coeur des questionnements symboliques et politiques qui se posent aujourd'hui dans notre pays.
M. Stéphane Piednoir. - Je voudrais d'abord vous remercier pour les éclairages que vous nous avez apportés sur ces formations, à la fois qualifiantes et professionnalisantes. Ces mots sont souvent opposés dans l'enseignement supérieur et général, je me réjouis donc que nous puissions disposer en France de formations avec un taux d'insertion absolument idéal.
Quelles sont les raisons du faible taux d'étudiants en architecture en France et du faible ratio d'architectes par habitant ? Derrière ce numerus clausus, existe-t-il une volonté politique de limiter depuis de longue date le nombre d'inscriptions dans ces formations ?
Quelle est la part d'apprentis dans vos écoles ? Aujourd'hui, un apprenti sur trois est dans l'enseignement supérieur, avec une augmentation conséquente de leur nombre au cours des trois dernières années.
Nous savons que notre pays est souvent pointé du doigt en matière de rénovation thermique des bâtiments. Existe-t-il un label particulier qui permettrait de donner confiance aux propriétaires et aux bailleurs pour se diriger vers ces rénovations ? De fait, nous avons affaire à des professionnels qui ne sont pas de qualité égale.
Vous n'avez pas évoqué l'impact du distanciel durant la crise sanitaire. J'imagine que, pour ce type de formation en particulier, l'impact a été important. Ressentez-vous toujours cet impact aujourd'hui ?
Par ailleurs, les regroupements sont-ils induits par la réforme de 2018 ? Pourriez-vous préciser des projets de regroupement éventuels ? Quels sont les droits d'inscription en moyenne pour l'ensemble des 20 écoles ? Je rappelle à mes collègues que dans d'autres formations, la subvention de l'État ne s'élève pas à 10 000 euros, mais à 1 000 euros par étudiant.
Les maires ont un contact parfois privilégié avec certains architectes : les architectes des bâtiments de France. Rentrent-ils en ligne de compte dans une spécialisation dans la formation proposée aux architectes ?
Mme Sabine Drexler. - Notre commission porte beaucoup d'intérêt au bâti ancien et a identifié un certain nombre de risques liés notamment à l'application de la loi climat et résilience sur l'isolation thermique. Même si nous mesurons la complexité à concilier impératifs de transition écologique et protection du patrimoine, nous pouvons parvenir aujourd'hui à l'application des normes de bâtiment à basse consommation (BBC) dans le logement ancien. Pour ce faire, nous aurons besoin d'architectes nombreux et formés à des techniques bien particulières, parfois ancestrales. Ces dernières n'ont pas été privilégiées ces dernières décennies. Nous avons préféré démolir plutôt que rénover. Nous aurons besoin d'architectes capables de répondre aux impératifs de densification d'usine, de questionner l'insertion harmonieuse du bâti neuf dans les îlots anciens, trouver des volumes compatibles avec les tissus urbains historiques, mais aussi questionner la conservation, l'extension du bâti ancien, son adaptation comme par exemple celle des nombreux corps de ferme aujourd'hui à l'abandon. Ces derniers sont de plus en plus nombreux. Des granges pourraient répondre aux attentes actuelles.
Malheureusement, avec un DPE inadapté au bâti ancien, aujourd'hui obligatoire et opposable aux propriétaires bailleurs, nous en sommes arrivés à une situation très préoccupante où certains particuliers entreprennent sans être conseillés des travaux totalement inappropriés pour répondre aux bons critères thermiques. S'ensuit l'altération définitive de ce bâti. D'autres encore pour des raisons financières ou techniques renoncent à effectuer des travaux, délaissent, puis revendent leurs biens qui sera démoli. Le ZAN accélérera encore la rareté et l'inflation des coûts du foncier. Des études, notamment celles du crédit, montrent pourtant que la réaffectation et la réhabilitation du bâti ancien peut constituer du point de vue écologique l'avenir de la construction. La promotion de quelques belles vitrines de réhabilitation montrerait au plus grand nombre le champ des possibles.
Pour conclure, nous sommes rassurés d'entendre que ces enjeux sont aujourd'hui pris en compte par les écoles d'architecture et par l'Ordre des architectes.
M. Raphaël Labrunye, directeur de l'école nationale supérieure d'architecture de Normandie. - En ce qui concerne le climat social, je préciserai qu'il s'agit globalement d'un effet de ciseau observable de manière structurelle.
Durant les dernières semaines, l'école d'architecture s'est interrogée sur la réalisation d'une carte des partenariats à l'école d'architecture qu'elle a conclus. Comme tout établissement d'enseignement supérieur, nous sommes un acteur des politiques publiques d'une manière générale et nous sommes donc amenés à travailler avec des collectivités ou des mairies qui souhaitent réfléchir au devenir de leur territoire, mais aussi avec le ministère de l'enseignement supérieur ou l'Agence nationale de la recherche.
Nous avons donc besoin d'une ingénierie administrative de plus en plus complexe qui n'est pas structurellement présente dans les écoles. De plus, l'inflation et l'augmentation des coûts s'ajoutent à ces enjeux. Dès lors que vous ne pouvez pas toucher à la masse salariale ou aux coûts de fonctionnement et d'entretien des locaux, la seule marge de manoeuvre se situe au niveau des dépenses liées à la pédagogie. Les étudiants et les enseignants le ressentent très rapidement.
Certaines écoles financent près de 40 % de leur budget en recettes propres. Ce travail important de construction de partenariats, de recherche de financements autres que ceux de notre ministère de tutelle nécessitent un investissement très lourd de la part des enseignants et des personnels administratifs. Pour les établissements de petite taille, les variables d'ajustement sont très difficiles à trouver. Dès que l'on traverse une période de difficultés conjoncturelles, nous n'avons plus la capacité de répondre aux besoins structurels des établissements. Par exemple, en l'absence de capacité de remplacement des personnels administratifs, nous n'avions pas la possibilité d'assurer les inscriptions et l'emploi du temps pour le second semestre. Cela relève pourtant des missions fondamentales de l'école.
De plus, notre ministère de tutelle porte des politiques très fortes en matière de protection du patrimoine avec lequel nous pouvons collaborer de manière très satisfaisante. Mais, les politiques en matière de transition notamment relèvent d'un autre ministère. Même si nous bénéficions d'une cotutelle nous ne sommes financés que par le ministère de la culture. Ainsi, nous émargeons aux politiques publiques. Nous répondons à des appels à projets d'autres ministères, mais l'articulation n'est pas nécessairement la plus souple et la plus souhaitable. Par exemple, la construction des incubateurs pour l'insertion professionnelle de nos jeunes diplômés ou de chaires partenariales avec des industriels constituent des sujets développés au sein des écoles, et portés parfois par d'autres tutelles.
M. Philippe Bach, directeur de l'école nationale supérieure d'architecture Paris-Val de Seine. - Notre tutelle nous accompagne. Un train de mesures concernant le régime indiciaire des enseignants contractuels est enclenché et devrait se poursuivre. Le rapport qui a déclenché la réforme de 2018 « Une nouvelle ambition pour la recherche », date de 2014. Mais les chiffres utilisés datent de 2013.
La loi de finances - et c'est encore le cas pour 2023 - prévoit un accompagnement de l'État dans la mise en oeuvre de la réforme. En effet, le nombre d'ETP dans les ENSA a évolué, peut-être insuffisamment, de 216 ETP depuis 2013. Les emplois titulaires ont augmenté de 319 ETP. La subvention pour charges de service public dans la même période a évolué à hauteur de 10 millions d'euros pour accompagner le développement des écoles. L'effectif étudiant a augmenté de 1 000 étudiants. Les subventions de charge de service public par étudiant, en euro constant, sont restées approximativement au même niveau : 2 283 euros en 2013 et 2 687 euros en 2023.
Il n'est pas toujours évident de comparer les ressources et les dépenses par étudiant dans les ENSA et dans le reste de l'enseignement supérieur, car nous ne disposons pas toujours de chiffres comparables. Nous sommes en passe de voter le compte financier dans les ENSA. Pour mon ENSA, la dépense par étudiant ou la recette s'élève aujourd'hui à 10 000 euros si nous prenons en compte la masse salariale relevant du titre 2, les recettes propres et les subventions pour charge de service public.
Le nombre de professeurs constituait également un des éléments importants de la réforme de 2018 et du rapport « Une nouvelle ambition pour la recherche ». Il est en progression également dans les ENSA. Nous sommes passés de 12 % d'enseignants titulaires au rang de professeur à 17 %. Nous sommes certes loin de l'objectif fixé à l'époque à 30 % et désormais fixé à 40 % dans l'enseignement supérieur depuis la loi pour la programmation de la recherche. La dynamique est néanmoins enclenchée.
Enfin, nous sommes au début du processus de l'accueil d'étudiants en apprentissage dans les ENSA. Marne-la-Vallée a commencé il y a deux ou trois ans et Val de Seine il y a deux ans. L'école de Versailles a rejoint le processus l'année dernière. Le chiffre s'élève à 1 % d'étudiants en formation en alternance. En revanche, le dernier rapport IGAC-IGESR demande à généraliser et tester le système dans des écoles, notamment en région. Car aujourd'hui l'alternance est opérée uniquement dans les écoles franciliennes.
Mme Amina Sellali, directrice de l'école nationale supérieure d'architecture de la ville et des territoires Paris-Est. - La charge d'enseignement de nos professeurs s'élève à 320 heures, contrairement au système universitaire où les enseignants-chercheurs n'ont que 192 heures d'enseignement. Aujourd'hui nos enseignants titulaires ne sont que 7 à 10 % à effectuer de la recherche et à disposer de temps de recherche. Le nombre de décharges a cru depuis notamment la réforme de 2018, mais il reste très en deçà des besoins réels dans les écoles d'architecture. Ainsi, aujourd'hui, un certain nombre d'enseignants effectuent de la recherche, avec un dédommagement en temps. Mais beaucoup d'enseignants effectuent de la recherche sur leur temps personnel.
Dans votre rapport, madame Drexler, il me semble que vous insistiez sur la nécessité de renforcer la recherche dans les écoles d'architecture pour parvenir à combler tous les besoins, notamment en termes d'action des architectes sur les activités de rénovation. Par ailleurs, nous avions en moyenne un financement de 10 contrats doctoraux pour les 20 écoles d'architecture par an. En rythme de croisière, nous avons 30 doctorats financés pour 20 écoles. Cela reste très en deçà à la fois des besoins et de la capacité qu'aurait le monde de l'architecture à contribuer et à faire évoluer le métier en rapport avec la transition écologique.
M. Olivier Celnik. - J'ajouterai que pour les écoles de Val de Seine, Paris-Est ou Versailles, les étudiants en alternance représentent 10 à 15 % de l'effectif d'une année. Le chiffre évoqué par Philippe Bach concernait la moyenne nationale. À Val de Seine par exemple, une petite centaine d'étudiants sont présents pour le master en apprentissage.
De plus, nous avons été les uns et les autres auditionnés par l'Ordre des architectes Rhône-Alpes et les quatre écoles de cette région pour apporter nos témoignages, afin d'inciter au moins l'une d'entre elles à mettre en place également ce dispositif.
M. Philippe Bach. - Nous avons assisté à une explosion du nombre d'étudiants en architecture après 1968 au moment de la sortie de l'enseignement de l'architecture des beaux-arts. En 1978, la première grande réforme après 1968 de l'enseignement de l'architecture a installé un numerus clausus à l'entrée en première année. Ce numerus clausus a duré jusqu'à la réforme de 1984. À ce moment, le ministère en charge de l'enseignement de l'architecture, à l'époque le ministère de l'équipement, a communiqué très régulièrement aux ENSA le nombre d'étudiants qu'elles pouvaient accueillir en première année. Ensuite, ce numerus clausus a été levé, mais il s'est installé compte tenu des capacités d'accueil des bâtiments qui abritent les ENSA.
M. François Brouat. - J'ajouterai qu'il s'est imposé compte tenu de l'absence totale d'évolution des budgets immobiliers, d'investissement et de fonctionnement.
Mme Amina Sellali. - Les droits d'inscription sont identiques à ceux de l'université : moins de 1 000 euros en master et 300 euros en licence. L'augmentation de nos ressources propres est donc nécessaire pour pallier une stagnation de la subvention pour charges de service public.
M. François Brouat. - Certaines écoles ont créé des formations spécialisées au-delà du cursus licence master. En l'absence de recettes budgétaires, nous devons trouver à la fois des partenariats financiers et mettre en place des droits d'inscription plus élevés pour ces formations qualifiantes spécialisées.
Mme Sonia de La Provôté. -Nous nous rendons compte - y compris au moment des discussions budgétaires - que le métier d'architecte évolue et que les attentes sont importantes, en particulier en matière de dialogue avec les élus dans les territoires.
Le numerus clausus et nos interrogations sur le devenir du patrimoine bâti, le défi écologique ou la préservation des paysages ne sont pas nouveaux. Je pense ainsi à la problématique du développement de l'éolien qui nuit au patrimoine paysager.
La mise aux normes énergétiques constitue un vrai défi. Mais, en opérant de façon systématique, on peut espérer des gains en matière énergétique importante. Le ZAN constitue certes un défi, mais qu'avons-nous produit depuis 20 ans entre le pavillon et le R +5 ? Je caricature un peu la situation, mais dans les modes d'habiter, beaucoup de systèmes existent dans d'autres pays. Il y a 15 ans, des discussions ont eu lieu dans les pays nordiques sur l'habitat intermédiaire semi-individuel. Il s'agit de densité urbaine, mais de densité heureuse et nous n'avons pas répondu à ces défis. Désormais, nous faisons face à d'autres sujets : les îlots de fraîcheur, la lutte contre les îlots de chaleur urbains, la préservation des espaces extérieurs individuels et collectifs. Les architectes ont proposé un panel de compétences, d'expertises, d'inventivité, de sens de l'esthétique, de sens de l'habitat pour penser la société de demain dans les villes et dans les territoires plus ruraux. En effet, il est important de ne pas négliger les paysages et le patrimoine, qui sont deux éléments importants pour nos concitoyens. Parfois, dans les CAUE et dans les services de l'État, des architectes nous accompagnent. Mais, globalement, un manque cruel se fait sentir et des formations nouvelles doivent être inventées.
Il faudrait sans doute parvenir à diversifier les profils. Quel plan de formation avez-vous dans les écoles d'architecture pour proposer de nouveaux diplômes sur les paysages et sur l'urbanisme notamment ? Quelle perspective avez-vous en matière de développement de formation en lien avec les ingénieurs et la recherche pour concilier dans les territoires les savoir-faire constructifs et la modernité ? Nous ne réussirons pas le défi écologique si nous n'arrivons pas à concilier ces deux attentes : la préservation de ce que nous sommes et puis répondre positivement à cet enjeu majeur de la mise aux normes énergétiques dans les territoires notamment.
Mme Céline Brulin. - Sénatrice de la Seine-Maritime, je suis également ancienne étudiante de l'école d'architecture de Normandie. La situation de cette école est emblématique de la situation que vivent l'ensemble d'entre elles. Les solutions apportées pour la rentrée du second semestre ne peuvent pas être durables. Il est nécessaire de chercher à débloquer de nouveaux moyens. Je salue le caractère mesuré de vos propos qui ne rend pas compte de l'ampleur de la situation très inquiétante. Nous nous trouvons effectivement à un point de rupture.
Le problème est-il uniquement d'ordre financier ? Autrement dit, avec de l'envie, ne pourrions-nous pas parvenir chacun à trouver des moyens supplémentaires pour enrayer la situation ? Ou, au contraire, cette situation ne masque-t-elle pas l'idée que des ingénieurs pourraient suffire à assurer les objectifs en matière de construction et de transition écologique et que les besoins en architecte ne seraient pas si importants ?
Pour les questions strictement financière et budgétaire, je vous rejoins. Par exemple, à Rouen, la situation de l'école est fort sympathique, mais les étudiants ont beaucoup moins accès aux services des Crous que les autres étudiants. Cet aspect doit aussi être pris en compte dans une évaluation globale en logement, restauration, etc. Le ministère de la transition écologique doit entrer en ligne de compte, mais il parait difficilement imaginable d'instaurer une triple tutelle, ainsi quelle forme devrait prendre cette association ? Comment pourrait se répartir la participation des uns et des autres ?
Il me semble qu'au sein d'un problème financier global se trouvent des disparités assez importantes entre écoles. Comment s'expliquent ces disparités ?
Existe-t-il des différences d'une école à l'autre pour les recettes propres ?
Tous ces aspects renforcent le besoin d'ingénierie administrative.
Ne pensez-vous pas que des initiatives de formation, pour les élus locaux notamment, devraient être mises en oeuvre ? En effet, j'ai pu constater tant dans ma formation initiale qu'en tant qu'élue qu'il existe des incompréhensions terribles, car à la différence d'autres pays européens, c'est seulement au moment des études supérieures que la familiarisation avec l'architecture commence.
M. Bernard Fialaire. - J'aimerais avoir un éclairage sur les architectes formés à l'étranger qui exercent en France. Quelle est leur part au sein des architectes ? Quelles sont les conditions ? Doivent-ils s'inscrire au Conseil de l'Ordre ? Ont-ils des validations ? Quelle est la part d'étudiants français qui partent faire leurs études à l'étranger pour revenir exercer chez nous ? Au contraire, formez-vous beaucoup d'architectes qui partent exercer à l'étranger ?
Par ailleurs, pouvez-vous m'éclairer sur les relations entre la formation d'architectes et l'urbanisme ? Existe-t-il beaucoup de passerelles ?
Pour le Conseil de l'Ordre, combien faudrait-il d'architectes en France ?
Mme Annick Billon. - La réforme a-t-elle eu des conséquences immédiates sur l'attractivité des métiers d'enseignement dans ces filières ? En effet, si nous voulons accueillir plus d'élèves, il est également nécessaire que les métiers soient attractifs.
La répartition des postes entre les enseignants titulaires et les enseignants contractuels est identique à l'enseignement général. Est-ce positif ou cela doit-il nous inquiéter pour l'attractivité des métiers ?
Quelle est la féminisation du métier d'architecte et des instances qui dirigent les métiers de l'architecture et les architectes ? S'il existe 20 écoles, cela signifie qu'il y a peu de territoires où les femmes disposent de modèles ou ont la possibilité à proximité de se lancer dans l'architecture.
Ensuite, ne pensez-vous pas que les doubles diplômes et le développement de l'alternance constituent une réponse à l'évolution du métier d'architecte ?
Lorsque nous parlons de transition énergétique, nous pensons inévitablement aux nouveaux matériaux qui doivent être utilisés. Quels sont les rapports de votre profession avec ces nouvelles technologies ? Nous connaissons l'impact des gros faiseurs, notamment dans l'isolation, et de la difficulté à faire rentrer ces nouveaux matériaux dans les normes environnementales - RE2020 et autres. Ces matériaux ont des qualités propres et rencontrent des difficultés à être reconnus et à trouver une place dans la norme actuelle.
Les zonages et les normes se sont multipliés. Les collectivités peinent de plus en plus à mener à bien des projets en interne et font appel à des cabinets spécialisés. Ces derniers regroupent de nombreuses compétences. Quelle est la place de l'architecte ? La multiplication des cabinets pluridisciplinaires signifie-t-elle que l'architecte a peut-être perdu de sa superbe et que les ingénieurs ont pris le pas sur la réflexion globale ?
J'ai assisté à une réunion récemment, comme ce fut le cas cinq ans plus tôt, sur les maisons fissurées, lesquelles concernent de nombreux départements, dont la Vendée. En tant qu'élus, nous nous battons pour effectuer des déclarations d'état de catastrophe naturelle qui permettront au-delà de la garantie décennale de sortir des familles de situations très complexes. Comment a-t-on progressé au niveau de la construction et des réponses à donner ? En effet, les sécheresses se multiplient et se répètent. J'ai l'impression que notre modèle de construction n'a pas été modifié.
Les territoires ultramarins sont confrontés à des façons d'habiter différentes, lesquelles présentent un intérêt culturel. L'absence d'accès à l'architecture dans ces territoires constitue-t-elle une perte de connaissance et de savoir-faire ? Comment agir ? De fait, nous avons une obligation par rapport aux enjeux d'avenir et à la politique de logement. Le logement est un problème crucial aujourd'hui dans la société. Il y a une urgence pour les territoires ultramarins. Comment y répondre ?
Mme Laurence Garnier. - Monsieur Celnik, je m'interroge sur l'impact éventuel du télétravail dans le cadre de vos réflexions ? La crise sanitaire a fait bouger les lignes, notamment dans les milieux très urbains et les grandes agglomérations. La question du télétravail présente la particularité d'impacter à la fois le l'habitat et le domaine de l'immobilier d'entreprise. Je souhaiterais connaître les réflexions de l'Ordre des architectes sur cet enjeu et la façon dont on construira demain le logement et l'immobilier de l'entreprise.
Mme Monique de Marco. - Monsieur Celnik, nous avons tous reçu au mois de juillet une pétition et un courrier du collectif pour des conditions dignes et égalitaires des enseignants en école d'architecture. Il présentait deux revendications principales : l'équilibrage de traitement des enseignants contractuels et des vacataires, la reconnaissance et l'identification par arrêté de toute discipline obligatoirement enseignée à l'école d'architecture, notamment les langues étrangères.
Vous avez demandé un rendez-vous avec la ministre de la culture. Je souhaitais savoir aujourd'hui, six mois après, où vous en êtes.
Mme Alexandra Borchio Fontimp. - Les places manquent dans les écoles. La bonne nouvelle est que vos professions continuent de susciter des vocations. Malheureusement, nous ne pouvons pas répondre à la demande de chacun. Ainsi, quels sont les freins à l'ouverture de nouvelles écoles et de nouvelles classes ? Je suis sénatrice des Alpes-Maritimes, un département à forte densité et très urbanisé. Il n'y a aucune ENSA dans les Alpes-Maritimes ni chez nos voisins du Var.
À quelques jours du 8 mars, je souhaitais aborder la question de la place des femmes dans l'architecture. Les femmes sont devenues majoritaires dans les écoles, mais elles restent minoritaires au sein de l'Ordre des architectes. Quelles sont vos actions pour réduire ces inégalités ?
Mme Catherine Morin-Desailly. -J'ai eu le plaisir de siéger au Conseil d'administration de l'école d'architecture de Normandie. La situation de cette école illustre ce qu'il se passe dans le reste de la France. Il y a plusieurs semaines, Le Figaro Magazine publiait une enquête consacrée à la France moche. Il existe un véritable paradoxe. Nous avons voté la loi LCAP il y a quelques années. À la suite du rapport sur l'architecture de notre collègue, ancien président de la commission culture de l'Assemblée nationale, Patrick Bloche, nous avions mis en avant le fait que la profession d'architecte était insuffisamment valorisée et accompagnée dans notre pays. La loi visait à donner des outils pour permettre de requalifier l'architecture. Force est de constater que quelques années plus tard, le ministère ne s'est pas emparé de ce sujet.
Nous n'entendons par ailleurs aucun ministre auditionné lors des préparations budgétaires nous parler particulièrement de l'architecture. Or, la position du ministère par rapport à cet enjeu est important, compte tenu des liens entre architecture et patrimoine. Pourtant, seul le patrimoine est abordé. Il n'est pas admissible que le coût de revient d'un étudiant en école d'architecture soit inférieur à celui d'un étudiant inscrit à l'université. Ils ont les mêmes besoins d'accompagnement pour leurs études et les mêmes droits en termes de qualité d'enseignement. Je souhaite réitérer notre soutien à l'ensemble des directeurs et directrices ici présents.
Il me semble qu'une réunion est prévue le 24 mars entre l'ENSA de Normandie et le ministère de la culture. Comment celle-ci s'annonce-t-elle ? Comment comptez-vous faire valoir ces problématiques ?
M. François Brouat. - Je suis frappé et touché par la sensibilité des parlementaires concernant nos problématiques. C'est peut-être la première fois que les problèmes de la société sont aussi près des questions des architectes.
Il nous importe que les élus s'emparent de l'architecture. En ce qui concerne les solutions budgétaires, nous travaillerons avec notre ministère de tutelle. 20 000 étudiants en école d'architecture correspondent à la taille d'une université moyenne. Le ministère de l'enseignement supérieur a, depuis des années, beaucoup travaillé sur des investissements forts pour la situation des enseignants du supérieur, comme avec les plans campus. Les budgets de fonctionnement des universités augmentent chaque année. Il ne semble pas inabordable pour l'État de mettre en place un plan pluriannuel pour remettre à niveau nos établissements.
Les regroupements universitaires sont très importants, parce qu'ils nous permettent d'aborder des questions diverses avec des ingénieurs, des géographes, des urbanistes et des chercheurs qui travaillent parfois sur les matériaux, le thermique, etc. Ils nous permettent également de monter des formations avec les universités ou les grandes écoles qui dédoublent le cursus ou créent des formations spécialisées. L'architecture constitue déjà une question qui fait appel à plusieurs disciplines : c'est une question technique, culturelle et de sciences humaines.
J'ai parlé de différentes modalités à l'oeuvre, parce que les situations sont très différentes localement. Et cela n'est pas nécessairement négatif. Le LMD et le rapprochement avec les procédures universitaires ont beaucoup servi les écoles d'architecture, puisque nous avons tous accès au système Erasmus. Dans mon école, à peu près 80 % à 90 % des étudiants passent au moins un semestre à l'étranger, voire deux. Nous avons signé 80 accords avec des écoles et universités dans le monde entier. Toutes les écoles possèdent une politique internationale très dynamique. Ce phénomène a commencé il y a 10 ou 15 ans. La mobilité des enseignants et des étudiants est majeure pour la place de l'architecture française. Les écoles sont ouvertes, accueillantes et sont accueillies.
Toutes les écoles d'architecture sont totalement impliquées dans les questions d'urbanisme. Les Anglo-saxons possèdent deux mots pour parler d'urbanisme (urban design et urban planning), tandis que nous n'en avons qu'un seul. L'urban planning définit un urbanisme opérationnel et réglementaire, qui concerne moins les architectes. L'urban design concerne la conception et la compréhension de l'aménagement des villes, sujet des architectes. Je pense qu'il n'existe pas une seule école en France qui ne s'intéresse pas à l'urbanisme et qui ne le traite pas dans le cursus licence master, voire a posteriori dans des formations spécialisées. Il existe plusieurs diplômes supérieurs post master en urbanisme. Enfin, le double cursus ingénieurs-architectes constitue une offre que nous devons pouvoir proposer.
M. Olivier Celnik. - Il existe un certain nombre d'agences pluridisciplinaires d'experts conduites par des architectes. La crainte de voir les architectes disparaître au profit d'autres professions n'est donc pas forcément fondée. Il est important en revanche que les architectes côtoient davantage les autres professions qu'ils ne le font aujourd'hui en collaborant à ce type de structures. Les architectes y sont impliqués, mais pas à une échelle suffisante.
Archigraphie établit un bilan chiffré tous les deux ans de l'état et des évolutions de la profession. La féminisation de la profession se poursuit : la part des femmes architectes a doublé en 20 ans : on comptait 33 % de femmes dans la profession en 2021. Il y plus d'étudiantes que d'étudiants dans les écoles et depuis longtemps déjà. S'ajoute une résorption du déséquilibre entre les femmes et les hommes pour les entrants à l'Ordre.
Nous côtoyons également sur le terrain de très nombreuses femmes architectes à la tête d'agences parfois conséquentes. Les instances ordinales sont paritaires. C'est une des conditions du montage des listes pour les prochaines mandatures.
Nous avons connu au premier janvier une revalorisation du traitement des enseignants contractuels. L'indice de rémunération est passé de 352 à 410. Dans quasiment toutes les écoles, nous attendons que ce soit effectif. Il est promis de passer à l'indice 460. Il s'agit certes d'un pas, mais qui reste encore insuffisant pour leur donner un statut réel. Car les enseignants contractuels sont des personnes qui revêtent une importance égale aux enseignants titulaires. Il s'agit également de permettre aux enseignants de langues de pouvoir avoir droit aux qualifications et aux éventuelles titularisations. Nous avons été reçus par les services du ministère à plusieurs reprises dans des réunions de comités techniques aux côtés des syndicats notamment. La situation a ainsi pu évoluer, grâce aussi au soutien des parlementaires du Sénat ou de l'Assemblée que nous remercions.
Au sujet de l'impact des évolutions sur l'habitat de demain, les architectes pensent qu'il y a autre chose à concevoir que des maisons individuelles loin des centres-villes ou des immeubles un peu similaires le long des grandes routes. À travers des exemples vertueux, nous pourrons montrer le champ des possibles. Vous connaissez sans doute le rapport Girometti-Leclercq sur la qualité du logement. Il s'agit de faire en sorte de ne pas raisonner seulement en nombre de logements, mais également en qualité de l'habitat. Sont souvent évoqués des logements à construire. Trois millions de logements non habités pourraient être réhabilités et restructurés d'une façon conséquente grâce au concours d'architectes.
Les architectes et ingénieurs sont complémentaires, mais seuls les architectes sont formés dans nos écoles en bénéficiant d'une formation leur dispensant une vision de projet, transversale et d'ensemble. Nous devons apporter ce rôle à la fois d'intervention technique et plus globale sur la prise en compte et la compréhension des questions.
Il existe à l'Ordre des équivalences avec les pays européens. Ils peuvent s'inscrire dès lors que les étudiants sont formés dans un système équivalent à l'HMO. Il existe des possibilités ponctuelles d'exercer sur des projets. Dans une procédure annexe en liaison avec le ministère de la culture, nous recevons des demandes de qualification d'architecte d'autres pays : Amérique du Sud ou du Nord par exemple. Ils demandent à faire reconnaître leurs titres au regard d'un dossier de projet.
M. Laurent Lafon, président. - Constatez-vous que des étudiants français non retenus dans les écoles d'architecture en France se forment à l'étranger ?
M. François Brouat. - Il y a une 21e école qui se situe en Belgique où plus de 1 000 étudiants français réalisent leurs études.
M. Olivier Celnik. - Désormais les étudiants qui ont suivi leur formation en Belgique peuvent s'inscrire pour obtenir l'habilitation en France.
M. Philippe Bach. - Pour la formation des ABF, il existe une formation dédiée à l'école de Chaillot. Dans toutes les écoles d'architecture, il existe aujourd'hui au niveau master ou post master, des diplômes spécialisés, des départements, des domaines d'études consacrés à la question de la transformation du patrimoine ou de l'intervention ur le bâti existant. Pratiquement toutes les écoles sont en étroite relation avec des CAUE sur les territoires. Dans nos écoles, interviennent également des architectes urbanistes et conseils de l'État, facilitant ainsi le maillage territorial de nos écoles, bien au-delà du territoire d'implantation de chaque école. Par exemple, à l'école Paris Val-de-Seine, nous intervenons à Villefranche-de-Conflent dans les Pyrénées-Orientalesdans le cadre du programme intitulé « Petite ville, grand patrimoine ». Nous intervenons également à Ambazac en Haute-Vienne. Ces deux exemples illustrent bien le fait que chaque école se projette loin de son territoire.
Un ensemble de chaires partenariales de recherche est en place. L'habitat de demain est porté notamment par la chaire « Le logement de demain ». D'autres chaires portent sur des questions patrimoniales, comme la reconversion du patrimoine hospitalier. La loi LCAP organise la possibilité pour les écoles de mener des missions d'expertise. Se pose ainsi la capacité, dans le cadre du référentiel national d'équivalence horaire, de décharger nos enseignants en heures complémentaires ou en décharge pour porter ces missions d'expertise.
Nous avons de grandes marges de progrès pour améliorer le nombre de contrats doctoraux, aujourd'hui encore faible. Nous portons des contrats CIFRE, autre façon de financer ces contrats doctoraux. Cependant, les contrats doctoraux impactent le plafond d'emplois des ENSA. Ainsi, nous sommes obligés de faire porter ces contrats doctoraux par nos communes. Une piste d'évolution consisterait à dégager ces contrats doctoraux des plafonds d'emplois des ENSA.
Compte tenu des nouvelles missions des ENSA, nous avons besoin de développer l'attractivité de nos emplois administratifs. L'attractivité de nos emplois enseignants se porte plutôt bien. De plus, l'effort devrait se diriger plutôt vers les services supports et la possibilité de recruter des cadres administratifs de haut niveau.
M. Raphaël Labrunye. - Une réunion est effectivement prévue le 24 mars avec une délégation de l'école d'architecture de Normandie. La date doit être encore confirmée avec le directeur général des patrimoines puisque le poste de direction de l'architecture est vacant depuis le mois de janvier.
Le taux d'architecte en France est équivalent à celui de l'Estonie. Il existe globalement une inculture architecturale dans le pays. Élu pendant 12 ans dans une collectivité territoriale, j'ai pu mesurer le décalage sur ces questions. Les écoles d'architecture, les CAUE, les maisons de l'architecture et l'Ordre des architectes ont une mission de valorisation de la culture architecturale. Historiquement, nos écoles d'architecture ont été très indépendantes et se sont satisfaites d'être indépendantes. Cela a abouti à la construction d'écoles très éloignées des centres universitaires. Nous en payons aujourd'hui l'héritage en termes d'infrastructures et d'accompagnement des étudiants. L'école de Normandie et plusieurs autres écoles sont dans cette situation. Depuis quelques années, les écoles se sont très largement rapprochées des modèles universitaires en multipliant les associations.
Nous avons été lauréats d'un appel d'offres sur les métiers d'avenir dans le domaine de l'architecture. Les résultats devraient être connus au mois de juin. Nous devrions enclencher une deuxième phase de cet appel à projets pour financer la transformation des formations.
Autant les architectes ont le monopole des permis de construire, autant les écoles d'architecture ont le monopole de la culture architecturale. Dans le système d'enseignement supérieur, l'urbanisme est en revanche porté par les universités (géographie, histoire de l'art, histoire de l'architecture). L'ingénierie est enseignée dans les écoles d'ingénieurs. Ces cultures et ces formations contribuent à comprendre la manière de construire la ville et de faire évoluer le paysage. Quelques-uns de nos collègues dispensent des formations en paysages dans les écoles d'architecture. Mis à part ces exceptions, nous n'avons pas la capacité de développer de nouvelles formations dans nos établissements. Nous collaborons ainsi avec les établissements partenaires. En ce sens, l'effet de ciseau implique une augmentation des besoins et des demandes de parcours étudiant, à l'international ou dans nos formations. J'ai par exemple poursuivi ma formation d'architecte vers un doctorat en histoire. Nous observons aujourd'hui un nombre de parcours multifactoriels en hausse. 20 % des étudiants HMO ont effectué une autre formation que l'école d'architecture. Cette ingénierie pédagogique a été mise en place globalement à coût constant.
Les écoles d'architecture devraient être le lieu majeur de formation des professionnels, y compris des ingénieurs, sur les questions de réhabilitation. Une formation est en place depuis 1999 avec l'université du Havre sur la réhabilitation. Elle doit évoluer pour devenir ouverte à des professionnels : les praticiens sur le territoire normand. Je porte ce projet depuis quatre ans. Cependant, je ne peux pas décharger un enseignant, lequel a sa charge de service, pour multiplier les formations. Sinon, il sera nécessaire de chercher encore une fois des ressources complémentaires et ces ressources propres. Cela demande également un travail administratif.
Pour un établissement qui compte 700 étudiants, la charge de direction, d'organisation et de gestion n'est pas nécessairement moins conséquente que pour un établissement de 1 000 étudiants. En revanche, plus un établissement compte d'étudiants, plus il dispose d'une capacité à développer très largement les doubles cursus, les formations professionnelles, l'apprentissage, les incubateurs, etc.
Nous mettons en place des dispositifs pour aider les jeunes lycéens à s'orienter vers l'architecture. Nous sommes des écoles extrêmement ouvertes et les élèves de toutes les filières de baccalauréat peuvent candidater. Chaque année, mon école accueille un bachelier professionnel. L'ouverture, la structuration de parcours du baccalauréat au doctorat, la formation professionnelle et la formation continue constituent des enjeux généraux. Malgré nos dispositifs, nous arrivons un peu aux limites de nos capacités. L'enjeu de développement me semble très important.
M. Olivier Celnik. - Une délégation du Conseil national menée par notre présidente a accompli une mission d'une dizaine de jours en Martinique, Guadeloupe et Guyane au début du mois de janvier pour nouer des contacts avec les conseils régionaux et pour comprendre le fonctionnement local et les questions liées à l'habitat.
Nous ne souhaitons pas un nombre précis d'architectes. Mais ces derniers doivent être plus visibles. Dans le groupe de travail que je dirige, « Évolution du tableau », nous cherchons à inciter les architectes diplômés à s'inscrire à l'Ordre pour montrer que les architectes en France sont plus nombreux que les chiffres répertoriés. Le but est que tous les acteurs qui portent une réflexion globale en tant qu'architecte soient bien identifiés par leurs interlocuteurs comme étant des architectes, même s'ils jouent un rôle autre et ne travaillent pas dans une agence d'architecture classique.
M. Laurent Lafon, président. - Merci pour la précision de vos réponses. Vous avez vu à travers les nombreuses questions l'intérêt que porte notre commission à ces sujets.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo, disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 11 h 30.