Jeudi 9 février 2023
- Présidence de Mme Sonia le la Provôté, présidente -
La réunion est ouverte à 15 h 30.
Audition de Mme Dominique Le Guludec, présidente de la Haute autorité de santé
Mme Sonia de La Provôté, présidente. - Nous commençons les travaux de notre commission d'enquête sur la pénurie de médicaments et les choix de l'industrie pharmaceutique française - car les deux sujets sont liés. Pour cette première audition, nous recevons la professeure Dominique Le Guludec, présidente de la Haute Autorité de santé (HAS), accompagnée de Mme Fabienne Bartoli, directrice générale de la HAS, que je remercie de s'être mobilisées dans un délai très bref.
Si la HAS n'est pas directement responsable du suivi ni de la gestion des pénuries, elle est chargée d'évaluer le service attendu des médicaments et d'émettre des avis sur leurs conditions de prescription ou d'utilisation. Au-delà, la HAS contribue à l'évaluation de la qualité de la prise en charge sanitaire de la population par le système de santé.
C'est pourquoi il nous semblait intéressant de vous auditionner dès aujourd'hui, pour entendre d'emblée une analyse des conséquences des pénuries sur la prise en charge des patients, car il s'agit bien d'une question de santé publique.
La HAS émet aussi des recommandations de bonnes pratiques à destination des professionnels de santé et certifie les hôpitaux : sans doute pourrez-vous nous éclairer également sur la manière dont les difficultés d'approvisionnement affectent les stratégies thérapeutiques et, plus largement, le travail des professionnels de santé. Nous vous interrogerons sur la meilleure manière de les accompagner.
Nous souhaiterions, madame la présidente, que vous puissiez formuler dans une brève présentation introductive vos principaux constats sur la situation actuelle et sur le rôle que la HAS peut être amenée à jouer dans la prévention des pénuries ou les réponses à y apporter - d'autant que les pénuries de médicaments ne sont pas un phénomène récent.
Avant de vous passer la parole, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, et je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « je le jure ».
Mmes Le Guludec et Bartoli prêtent serment.
Mme Dominique Le Guludec, présidente de la Haute autorité de santé. - Merci pour votre invitation. Vous mentionnez à raison que les pénuries de médicaments ne datent pas d'aujourd'hui : j'ai déjà été auditionnée sur le sujet en 2018 par la commission des affaires sociales du Sénat ; le problème n'est donc pas récent et il s'aggrave, les pénuries de médicaments sont de plus en plus récurrentes, c'est une préoccupation majeure quand la pénurie concerne le traitement de maladies graves ou encore nos enfants. Ces pénuries posent des problèmes de santé pour les patients et de santé publique, elles représentent aussi un gaspillage de temps médical, dont chacun sait combien il est précieux.
La HAS n'a pas de compétence définie dans la gestion des pénuries, qu'il s'agisse de vaccins ou de médicaments, nous n'avons donc pas de vision fine, chiffrée, sur ces phénomènes. Cependant, nous intervenons dans des situations particulières de pénurie. Étant en charge de la politique vaccinale, lorsqu'il y a une situation de pénurie, nous proposons d'ajuster la stratégie vaccinale, en priorisant des populations et en modifiant le schéma vaccinal. C'est ce que nous avons fait lors de la crise de la Covid, où la pénurie tenait à ce que les vaccins arrivaient lentement par rapport aux besoins ; nous l'avons fait également en 2018 lorsque les tensions d'approvisionnement en vaccins contre les infections à pneumocoque avaient conduit le directeur général de la santé à nous saisir pour établir un schéma vaccinal transitoire qui garantisse l'accès au vaccin pour les populations que nous identifions comme prioritaires. Nous avions alors déploré les difficultés d'accès à ce vaccin et leurs conséquences sur la couverture vaccinale. Nous avons encore eu à définir des publics prioritaires pour la vaccination contre le virus de la Covid-19, au fil de l'eau, en fonction du nombre de doses de vaccins dont notre pays disposait.
Nous intervenons aussi face au risque de pénurie de médicaments, mais de façon marginale par rapport à l'Agence nationale de sûreté du médicament (ANSM). Je pense par exemple à la pénurie de technétium 99m (99mTc), principal élément radioactif utilisé en médecine nucléaire pour la réalisation de scintigraphies, qui était apparue en 2016. L'ANSM devait prioriser les populations et elle nous avait saisis sur l'usage d'alternatives au technétium pour les femmes enceintes quand il y avait une suspicion d'embolie pulmonaire : certains produits alternatifs pouvant être plus irradiants, il fallait un examen spécifique et préciser les bonnes conduites.
En dehors de ces saisines ponctuelles, pendant la crise sanitaire, pour aider les professionnels gênés dans leur pratique, nous avons fait, ce que nous avons appelé des réponses ou recommandations rapides. Elles ne suivent pas, faute de temps, la procédure scientifique habituelle des recommandations de la HAS, mais sont faites avec des professionnels et des patients, avec la même rigueur et dans les mêmes conditions déontologiques. Nous avons ainsi eu à nous prononcer sur l'usage parcimonieux du midazolam, utilisé pour la prise en charge de l'anxiolyse en réanimation et pour la sédation en soins palliatifs, ceci au moment où la crise sanitaire faisait augmenter très fortement les besoins, au risque d'une pénurie.
Dernier exemple, la HAS met à disposition des éditeurs de logiciels de soins ou de bases de données sur les médicaments, la liste des systèmes d'aide à la décision indexée par médicaments (SAM) référencés, en vue de leur intégration dans les logiciels d'aide à la prescription (LAP) et de dispensation (LAD). Les SAM, que les pharmaciens connaissent bien, permettent qu'au moment de la prescription ou de la dispensation, un message d'information se déclenche en fonction du médicament prescrit et du contexte clinique ou physiologique du patient - informant le professionnel des risques liés au mésusage du médicament. En cas de pénurie, nous communiquons aux éditeurs de ces logiciels des informations supplémentaires à insérer, pour alerter les professionnels sur le bon usage du médicament et sur les alternatives. Nous l'avons fait par exemple pour l'Amoxicilline, pour encourager les alternatives et faire respecter les durées de traitement. Ces pop-up sont très utiles, mais leur efficacité dépend de la rapidité avec laquelle les éditeurs de ces logiciels les insèrent - nous publions du contenu mais sa diffusion n'est pas dans nos mains, il y a probablement des progrès à faire de ce côté-là.
Il existe plusieurs situations de pénurie. Elle peut être conjoncturelle, en venant d'une demande qui augmente tout à coup très fortement, ou bien lorsqu'un segment de la chaîne de production connaît un problème subit, comme il y en a, et ce n'est pas rare, dans la production de certains vaccins qui utilisent le vivant. La pénurie conjoncturelle ne tient pas, dans ces deux cas, à la volonté ni aux stratégies des laboratoires pharmaceutiques. Autre chose est le cas de la pénurie d'un médicament ou d'un vaccin qui résulte du désintérêt de l'industriel pour ce médicament ou ce vaccin anciens, qu'il considère peu rémunérateurs, alors qu'ils comptent beaucoup dans la stratégie vaccinale ou de soins. Enfin, troisième cause de pénurie, les choix commerciaux des laboratoires, qui relèvent de leur stratégie d'entreprise - et qui les fait décider de la répartition géographique de leurs produits en fonction d'un grand nombre de facteurs.
Je n'ai pas de chiffres qui répartissent ces trois facteurs de pénurie, mais on constate que les problèmes liés à la fabrication des produits deviennent de plus en plus fréquents. Une amélioration possible est à rechercher du côté de la collaboration entre États européens, parce que si des problèmes peuvent être résolus par l'ANSM, d'autres se posent en fait à une échelle bien trop large, où une gestion européenne aurait plus de chance d'être efficace. Cette démarche a commencé, avec l'Agence européenne des médicaments (EMA), qui s'est vue confier de nouvelles missions. De même, l'Union européenne s'est dotée d'une nouvelle autorité de préparation et de réaction en cas d'urgence sanitaire, appelée à faire des achats groupés, dans certaines circonstances.
Le facteur économique ne peut être exclu des causes d'une pénurie, mais il n'est pas certain qu'une hausse du prix en France suffirait à y remédier, d'abord parce que les laboratoires pharmaceutiques développent des stratégies mondiales, dans lesquelles le marché français représente peu. Quant aux pénuries liées à des problèmes de fabrication, laquelle est souvent très complexe, il nous semble important de les anticiper au mieux, pour disposer le plus rapidement possible de stratégies alternatives et en informer les professionnels et les patients.
Les pénuries de vaccins et de médicaments étant donc multifactorielles, complexes, il ne me semble pas qu'il y ait une solution simple, unique. La HAS n'ayant pas de compétence dédiée à ce sujet, je ne dispose pas de données précises ni synthétiques sur le sujet, je ne suis pas en mesure de vous en présenter un tableau général - et je précise que le rôle de la HAS en la matière reste modeste.
Mme Laurence Cohen, rapporteure. - Merci pour ce propos liminaire. Nous vous avons envoyé un questionnaire précis, peut-être pourrez-vous y répondre par écrit, certaines réponses nécessitant un travail approfondi.
Les pénuries de médicaments et de vaccins ont bien des similitudes et elles ont des causes multiples, nous en sommes bien d'accord. C'est d'autant plus vrai que les chaînes de production, de plus en plus complexes, dépendent d'usines de moins en moins nombreuses - ces chaînes sont donc plus fragiles. Vous mentionnez aussi le désintérêt des industriels pour certains produits qu'ils jugent peu rentables, et le fait qu'une augmentation du prix, qu'on nous dit pourtant être une solution, ne suffirait pas : qu'en est-il plus précisément ? Qui donc établit la rentabilité financière - et que pèse, dans la balance, la réponse aux besoins des populations ? La HAS peut-elle intervenir en la matière ?
Les choix des industriels, ensuite, ont des conséquences plus ou moins importantes sur les pertes de chances des patients : quelle est votre expertise sur ce point ?
Sur la question des stocks, la loi impose un minimum correspondant à deux mois ; or, en visitant un laboratoire, nous avons appris que les stocks étaient purement déclaratifs et qu'il n'y avait manifestement pas de contrôle : qu'en est-il ?
La HAS formule des recommandations sur les bonnes pratiques et sur les alternatives : pour quels médicaments en particulier ? Et quelles places respectives y tiennent les traitements anciens, peu rentables, et les traitements plus récents ?
Enfin, à la lumière de votre expérience, quelles propositions auriez-vous à faire pour améliorer la gestion des pénuries de vaccins et de médicaments ?
Mme Dominique Le Guludec. - Je ne suis pas la bonne personne pour vous renseigner sur la rentabilité d'un produit pour l'industrie pharmaceutique ; en revanche, je peux vous informer sur la façon dont le tarif de remboursement en est fixé, et quelle part y prend la HAS. Les nouveaux médicaments sont très nombreux, je n'ai jamais assisté, depuis quatre décennies, à une telle profusion - et ces médicaments innovants arrivent sur le marché à des prix parfois très élevés. Nous ne fixons pas les prix de marché des nouveaux médicaments, notre rôle consiste, une fois le médicament autorisé sur le marché - par l'ANSM ou l'EMA, d'après la balance bénéfices-risques -, à évaluer le service médical rendu (SMR) par le produit pour en établir le remboursement : c'est le rôle de notre commission de la transparence. Les critères pour évaluer le SMR sont nombreux, et la commission de la transparence conclut à quatre catégories de SMR : nul, faible, modéré ou élevé. Le remboursement tient aussi compte de l'amélioration du service médical rendu (ASMR) : le nouveau produit améliore-t-il la stratégie thérapeutique, est-il utile au patient ? Cette amélioration est évaluée d'après deux facteurs : la quantité d'effet et ce qu'on appelle la qualité de la démonstration apportée par le laboratoire. Or, les innovations étant très nombreuses et l'accès au marché étant accéléré dans certains cas pour une délivrance plus rapide aux patients, - l'EMA délivre des autorisations conditionnelles de mise sur le marché, un an avant la fin de la procédure complète -, le degré d'incertitude augmente, donc l'ASMR varie. Une fois le SMR et l'ASMR déterminés, il reste à fixer le tarif de remboursement, c'est l'objet d'une négociation avec les industriels. Un nouveau médicament sera le plus souvent plus cher qu'un ancien, c'est un facteur à prendre en compte. Faut-il intégrer, parmi les critères, le lieu de fabrication du médicament ou du vaccin ? C'est une décision qui ne relève pas de la HAS...
Mme Fabienne Bartoli, directrice générale de la Haute autorité de santé. - Nous ne sommes pas dans les comptes des entreprises, mais il se peut que, dans certains cas, lorsque le médicament est ancien et que son tarif est bas, certaines augmentations de coûts ne soient pas prises en compte, mais l'issue relève d'une négociation entre les industriels et le ministère de la santé.
Mme Dominique Le Guludec. - Les pertes de chances liées aux pénuries sont indéniables, par exemple lorsqu'il manque des médicaments anticancéreux qui sont partie entière d'un protocole, quand il manque des anti-infectieux ou des antibiotiques nécessaires, ou encore dans les traitements consécutifs à des greffes, qui ne doivent pas être interrompus. Nous sommes d'ailleurs sollicités pour trouver les alternatives qui limitent les pertes de chance.
La HAS n'étant pas chargée de la surveillance des stocks de médicaments, je ne peux vous répondre sur ce sujet, il faut questionner les Agences régionales de la santé (ARS), qui ont des services d'inspection.
Mme Fabienne Bartoli. - Les ARS disposent en effet de pharmaciens inspecteurs et l'ANSM est chargée de la surveillance de l'ensemble.
Mme Laurence Cohen, rapporteure. - Qu'il n'y ait pas d'ambiguïté, je ne vous ai pas posé cette question parce que j'aurais pensé que la HAS eût des compétences de contrôle des stocks de médicaments, mais plutôt pour faire appel à votre expérience et à votre point de vue personnel : à votre avis, de quel stock aurait-on besoin pour sécuriser notre approvisionnement ? Avez-vous des retours sur les vaccins ?
Mme Dominique Le Guludec. - Le décret du 30 mars 2021 dispose qu'à compter du 1er septembre 2021, les laboratoires pharmaceutiques ont l'obligation de constituer un stock de sécurité minimal de deux mois pour tous les médicaments d'intérêt thérapeutique majeur (MITM) destinés aux patients français - et de quatre mois pour les MITM qui ont fait l'objet de ruptures ou de risques de ruptures de stock réguliers dans les deux dernières années. Ce n'est peut-être pas suffisant, mais cela cadre déjà les choses, nous participons à un comité interministériel qui examine s'il faut mieux établir et élargir la liste de ces médicaments. Nous allons examiner également si cette notion de MITM couvre effectivement les médicaments dont une pénurie entrainerait des pertes de chance.
Ces règles concernant les stocks sont-elles bien appliquées ? Il faut y regarder de près, examiner les sanctions et pénalités. Le problème, cependant, tient aussi à ce que les laboratoires étant des multinationales dont l'échelle stratégique est mondiale, ils pourraient choisir de payer des pénalités plutôt que de constituer des stocks pour le marché français, qui demeure assez petit - c'est le même raisonnement que pour l'augmentation du prix des médicaments jugés peu rentables et c'est aussi pourquoi, là encore, une action européenne aurait plus de chance d'aboutir.
Nous travaillons beaucoup sur les bonnes pratiques, en dehors des pénuries - mais encore davantage pour les produits en tension -, nous travaillons avec les professionnels pour trouver des alternatives, et je dirais qu'en France, d'une manière générale, nous avons de gros progrès à faire en particulier sur la prescription. Dans des pays qu'on nous cite souvent en exemple, par exemple l'Allemagne, les contraintes de prescription sont bien plus fortes pour le remboursement - et s'il y a bien une latitude laissée au médecin, parce que la médecine n'est pas une science exacte et que les situations cliniques varient toujours, le médicament n'est pas remboursé en Allemagne quand il est prescrit hors des clous.
Mme Alexandra Borchio Fontimp. - Le cancer est la première cause de décès chez l'homme, la deuxième chez la femme, et il tue 500 enfants chaque année ; or, de 10 à 15 % des médicaments en pénurie sont utilisés contre le cancer, et trois cancérologues sur quatre ont déjà été confrontés à une pénurie de médicaments pour leurs patients. L'ANSM vient d'autoriser les pharmacies à produire de l'Amoxicilline, à titre exceptionnel et temporaire. La Ligue contre le cancer demande la création d'un établissement public du médicament qui travaillerait de manière coordonnée dans le cadre d'une participation publique-privée : pensez-vous qu'un tel établissement améliorerait la gestion des stocks et l'anticipation des pénuries ?
Mme Corinne Imbert. - Vous soulignez que les pénuries gaspillent du temps de médecins, c'est aussi un gâchis de temps pour les pharmaciens...
Savez-vous dans quel délai moyen les éditeurs de logiciels intègrent les pop-up dont vous nous avez parlé ?
Vous nous dites que l'EMA a de nouvelles missions qui aideraient contre les pénuries : lesquelles ?
M. Alain Milon. - Une première observation : je n'ai reçu qu'hier l'invitation à cette audition, c'est un peu court - mais cela tient peut-être au fait que je n'ai pas pu me rendre à notre réunion constitutive...
Mme Sonia de La Provôté, présidente. - Soyez assuré, en tous les cas, que nous sommes très heureux de votre participation...
M. Alain Milon. - Pourvu que ça dure... Deuxième observation, sous forme de question : ne pourrions-nous pas recevoir, avant les auditions, les questions que notre rapporteure envisage de poser, de façon à ce que nous y arrivions plus instruits et mieux à même de poser d'autres questions utiles ?
Mme Sonia de La Provôté, présidente. - Je prends bonne note de cette observation, avec humilité...
M. Alain Milon. - Je continuerai par une proposition. La gestion des pénuries de médicaments n'étant pas dans les compétences de la HAS, je me suis d'abord demandé pourquoi nous la recevions en premier ; puis en vous écoutant, je me demande si nous ne gagnerions pas à vous revoir une fois que nous aurons terminé notre tour d'auditions, quand nous aurons plus d'éléments à discuter avec vous. Je propose également que nous n'entendions pas les agences isolément, mais en présence de représentants de l'industrie pharmaceutique, pour qu'il y ait du contradictoire, un débat véritable dont nous pourrions tirer la substantifique moelle...
Merci d'être venues devant notre commission d'enquête, j'espère vous revoir quand nous serons plus instruits sur les pénuries de médicaments et de vaccins.
Mme Sonia de La Provôté, présidente. - Nos interlocutrices ne sont évidemment pas parjures et nous ne sommes pas nous-mêmes naïfs - et je suis assurée que nos invitées n'utilisent pas de paroles inappropriées ou inexactes.
Mme Laurence Harribey. - Vous dites que vous réalisez une évaluation médico-économique pour fixer les prix, la notion de rentabilité ne peut en être exclue ; l'industrie pharmaceutique est certes mondialisée, mais il faut prendre en compte les nombreuses PME qui produisent des génériques, et qui sont en grande difficulté parce que les tarifs sont trop bas. Dans ces conditions, ne faut-il pas traiter différemment les médicaments dit matures, quand ils sont d'intérêt thérapeutique majeur, et les médicaments innovants - le raisonnement économique ne pouvant pas être le même, ne faut-il pas revoir notre politique de fixation des prix et les tarifs de remboursement ?
Ensuite, dès lors que nous sommes face à un enjeu de santé publique, ne peut-on pas imaginer, - comme les Américains l'ont fait avec Civica, qui associe 900 hôpitaux publics -, fabriquer des médicaments « de base » par un établissement issu d'un partenariat public-privé, à l'échelon européen ? Il me semble qu'on est arrivé à un tournant et qu'il faut revoir notre politique du médicament, en distinguant mieux ce qui relève de la recherche, et des traitements « matures ».
Mme Dominique Le Guludec. - Je me dois de préciser les choses. Il y a une commission spécifique pour l'évaluation médico-économique des produits, qui sert au comité économique des produits de santé (CEPS) pour la fixation des prix mais seulement pour les produits qui ont un impact budgétaire important. Pour les autres, je n'ai parlé que de l'évaluation scientifique stricto sensu, avec le SMR et l'ASMR, la HAS en est chargée et cette étude est séparée de l'évaluation médico-économique : c'est un choix que la France a fait, à la différence de la Grande-Bretagne, par exemple, qui mêle les deux aspects, et, a priori, du nouveau règlement européen sur l'évaluation des produits de santé.
Faut-il changer nos modalités de fixation des prix des médicaments ? Votre question va bien au-delà de mes compétences, elle emporte de nombreux aspects non médicaux.
Les médicaments innovants posent des problèmes très différents, c'est vrai, d'autant que leurs prix explosent - alors qu'il y a quelques années, on trouvait exorbitants des traitements à 200 000 euros, certains coûtent désormais plusieurs millions d'euros, ces prix se fondant sur la capacité des personnes riches à les payer. Or, nous devons suivre, ou bien les industriels ne nous délivreront pas ces médicaments.
Faut-il produire davantage de médicaments en France ? Il faut évaluer cette question, nous disposons de trois pharmacies centrales, qui pourraient voir leurs missions évoluer - mais la réponse dépend d'un grand nombre de facteurs.
On paie très cher les nouveaux médicaments, et si l'on doit payer davantage qu'aujourd'hui les médicaments plus anciens, que va-t-il de rester de l'objectif national de dépenses de l'assurance maladie (Ondam) ? La question est entière, surtout quand nos hôpitaux manquent de moyens : combien accepte-t-on de payer les médicaments, sachant qu'en deçà d'un certain prix, les laboratoires ne nous les livreront pas ? Nous ne sommes pas sur des marchés captifs et nous ne voulons pas priver nos patients de médicaments.
Il est vrai que tout cela demande beaucoup de temps aux professionnels de santé en général, médecins comme pharmaciens en particulier.
Je ne sais pas quel est le délai moyen d'implantation de nos pop-up par les éditeurs de logiciels, même s'ils reçoivent des pénalités s'ils ne le font pas dans des délais raisonnables - et je crois que personne ne recense cette information.
L'HERA s'est vue confier la mission de gérer des produits en tension, comme l'ANSM le fait à l'échelon national - les travaux à l'échelon européen commencent tout juste, alors que c'est bien l'échelon pertinent pour avoir un impact.
Un établissement public du médicament serait-il une solution ? C'est une question très complexe, je crois que la directrice générale de la HAS, qui par le passé a dirigé l'ANSM, saura mieux y répondre.
Mme Fabienne Bartoli. - La question est effectivement très large et dépend du sens qu'on donne à ce projet. J'étais dans d'autres fonctions ministérielles quand la HAS a été instituée et je peux témoigner que le législateur avait à l'esprit d'assurer l'indépendance de l'expertise scientifique du remboursement, en garantissant la plus grande visibilité aux critères du remboursement, au moyen de travaux transparents et rigoureux, accessibles à tous. C'est vrai aussi pour le déremboursement, comme cela a été le cas récemment pour l'homéopathie, dont le déremboursement a été établi sur le critère d'absence de preuve d'efficacité - les sources sont consultables par tous, la décision prise n'est pas politique, mais scientifique. Il faut préserver cette indépendance scientifique et la détacher de toute influence globale. L'autorisation de mise sur le marché se fait au regard de textes européens, les médicaments autorisés circulent librement sur le marché européen, mais ils sont diversement remboursés par les États membres à leurs ressortissants, les règles sont alors très nombreuses et différentes, chaque système a son histoire - et il est très important de préserver une indépendance pour cette mission d'expertise du remboursement.
Mme Laurence Cohen, rapporteure. - Une précision : vous dites faire l'évaluation socio-économique et l'évaluation scientifique dans des conditions séparées, est-ce bien le cas ? Et l'évaluation du SMR et de l'ASMR sont-elles publiques ?
Mme Laurence Muller-Bronn. - Vous dites que c'est le critère scientifique qui vous a conduit à dé-rembourser l'homéopathie, mais pourquoi, s'il s'agit de science, d'autres pays européens n'ont-ils pas la même analyse ? La science diffère-t-elle d'un point à l'autre du continent ?
Mme Dominique Le Guludec. - L'analyse socio-économique est faite par la HAS pour les médicaments très onéreux, mais dans un cadre bien distinct de l'analyse scientifique, qui relève de la commission de la transparence et dont les travaux - qui établissent le SMR et l'ASMR - sont publics. La transparence de cette commission est totale et obligatoire, dans ses travaux, ses méthodes, dans ses débats - enregistrés et accessibles par tous. C'est très important : on peut ne pas être d'accord avec les décisions qu'elle prend, mais elles sont collégiales, les débats sont contradictoires, nous auditionnons des experts et des contre-experts en tant que de besoin.
Le regard scientifique intègre les patients, dans toutes nos commissions, ils apportent leur regard pertinent sur les traitements, sur la qualité de vie, c'est très important par rapport à la vision qu'ont les médecins, qui voient surtout l'amélioration de la durée de vie. La France est le seul pays à avoir évalué scientifiquement l'homéopathie dans le cadre du remboursement, à la demande d'Agnès Buzyn ; nous avons fait une consultation publique, comme habituellement pour certains vaccins et médicaments sensibles, nous y avons présenté les choses avec humilité : nous ne disons pas qu'il n'y a pas de cas où ces traitements soient efficaces, mais qu'il n'y a pas de preuve d'efficacité, c'est ce qu'on a pu dire après une consultation très large de la littérature spécialisée et des professionnels de santé.
D'une manière générale, notre analyse scientifique est fondée sur des dossiers d'études déposés par laboratoires aux différentes phases de développement et nous travaillons avec nos partenaires européens pour rapprocher nos méthodes. Restera à chaque pays d'apprécier s'il veut, ou non, rembourser le médicament et dans quelle proportion.
Mme Sonia de La Provôté, présidente. - Merci pour ces réponses. Souhaitez-vous porter d'autres éléments à la connaissance de notre commission ?
Une question, cependant : comment se passe la saisine de la HAS pour cette évaluation scientifique ? Est-elle toujours externe, ou bien avez-vous la capacité d'auto-saisine ? Êtes-vous systématiquement saisis pour tout nouveau médicament ? C'est d'autant plus important que, comme on l'a vu pendant la crise sanitaire, vous apportez un éclairage très utile.
Mme Dominique Le Guludec. - Il y a deux types d'entrées : l'évaluation en vue d'un remboursement, et ce sont alors les industriels qui déposent leur dossier ; les demandes de recommandations pratiques, qui peuvent être adressées par le ministère, des associations, les professions, que dont nous pouvons même prendre l'initiative, comme nous le faisons pour examiner l'ensemble d'une classe de médicaments où nous constatons que les choses ont évolué. Ce travail exige beaucoup de temps et de moyens, il est déterminant pour revoir les stratégies thérapeutiques et la place qu'y occupent les classes thérapeutiques de médicaments.
D'une manière générale, sur les pénuries, je pense qu'il faut distinguer deux aspects bien différents : la prévention des pénuries, avec leurs aspects industriels, sur lesquels nous n'avons que peu de prise ; la gestion des pénuries, où nous pouvons anticiper les choses de façon à se coordonner le plus rapidement possible quand elles se produisent, donc en limiter les effets.
M. Alain Milon. - Je vous rejoins sur l'importance de la prévention - même si nous n'avons pas oublié les reproches qui ont été faits à Roselyne Bachelot, d'avoir acheté trop de masques et de Tamiflu face à la grippe H1N1... Il y a une limite à tout.
Mme Dominique Le Guludec. - Oui, les pénuries de médicaments sont très complexes, c'est pourquoi nous n'avons pas de solution miracle...
Mme Sonia de La Provôté, présidente. - Il y a cependant des épidémies récurrentes, qu'on peut donc prévoir pour mieux anticiper - merci de nous y aider, en répondant à nos questions par écrit.
La réunion est close à 16 h 45.