Jeudi 2 février 2023
- Présidence de Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, et de M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer -Parentalité dans les outre-mer - Audition de M. Michel Villac, président, Mmes Laurence Rioux, secrétaire générale, et Camille Chaserant, conseillère scientifique du Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge (HCFEA), et de M. Claude-Valentin Marie, conseiller pour l'outre-mer auprès de la direction de l'Institut national d'études démographiques (INED)
Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, rapporteure. - Je suis très heureuse d'ouvrir ce matin, avec mon collègue Stéphane Artano, la première réunion commune à nos deux délégations, aux droits des femmes et aux outre-mer, sur la parentalité dans les outre-mer.
Au cours des prochains mois, nos deux délégations vont, en effet, mener ensemble un travail sur cette thématique et faire converger leurs approches dans le but de produire un rapport commun. Je me félicite de cette collaboration entre nos deux délégations, et je suis convaincue que croiser nos regards et nos analyses constituera une grande richesse pour nous tous.
La thématique de la parentalité dans les outre-mer nous permettra d'aborder de nombreux sujets, dont les spécificités des structures familiales dans les outre-mer, l'importance des familles monoparentales - au sein desquelles vivent plus de la moitié des mineurs aux Antilles, contre 20 % en France métropolitaine - la répartition des rôles parentaux, les politiques familiales et sociales et les dispositifs de soutien à la parentalité.
Quatre rapporteurs ont été désignés pour mener ces travaux : les présidents de chaque délégation - Stéphane Artano et moi-même -, ainsi que Victoire Jasmin et Elsa Schalck.
Nous sommes heureux d'accueillir ce matin M. Michel Villac, président, Mmes Laurence Rioux, secrétaire générale, et Camille Chaserant, conseillère scientifique du Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge (HCFEA) qui a publié, en mars 2022, un rapport intitulé La situation des familles, des enfants et des personnes âgées vulnérables dans les départements et régions d'outre-mer (DROM) : réalités sociales et politiques menées. Nous recevons également M. Claude-Valentin Marie, conseiller pour l'outre-mer auprès de la direction de l'Institut national d'études démographiques (Ined), qui publiera, au printemps, la seconde édition de l'enquête Migrations, famille et vieillissement (MFV) dans les départements et régions d'outre-mer.
Les représentants du HCFEA nous présenteront leur dernier rapport, qui met en évidence les spécificités des structures familiales des DROM, mais aussi les différences par territoire, et recense une grande diversité d'initiatives pour accompagner les familles, en particulier les mères seules.
M. Claude-Valentin Marie nous présentera les objectifs et modalités de la seconde enquête MFV dans les départements et régions d'outre-mer, plus de dix ans après la première, qui avait rendu possible l'analyse sur des thèmes jusque-là inédits dans ces territoires. En effet, pour apporter les bonnes réponses, encore faut-il que les études et les enquêtes soient menées... L'objectif était également de mener des politiques publiques mieux adaptées aux enjeux démographiques spécifiques des DROM ; il nous dira s'il a été atteint.
Nous sommes particulièrement intéressés par les données que vous pourrez nous communiquer sur les évolutions des structures familiales dans les outre-mer et sur les initiatives locales existantes en matière d'accompagnement à la parentalité.
M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer, rapporteur. - Étant actuellement à Saint-Pierre-et-Miquelon, je participe à cette première réunion en visioconférence, ce dont je vous prie de bien vouloir m'excuser.
Je me réjouis à mon tour de la perspective de ce travail en commun. Ce n'est d'ailleurs pas la première fois que nous l'expérimentons avec la délégation aux droits des femmes, et nous n'avons eu jusqu'à présent qu'à nous en féliciter. Je rappelle, notamment, le rapport conjoint de 2020 sur les violences faites aux femmes, rédigé par le président Michel Magras et vous-même, madame la présidente. Nous savons que cette question doit être traitée dans la durée et qu'il est utile d'unir nos efforts. Le récent colloque de l'Assemblée nationale sur le sujet, qui s'est appuyé sur nos travaux, montre à la fois leur pertinence et le chemin qu'il reste à parcourir sur de tels sujets de société.
Concernant la présente étude, avec Victoire Jasmin - qui appartient à nos deux délégations -, nous attendons un état des lieux précis afin d'identifier les moyens d'améliorer nos politiques publiques au regard des réalités ultramarines.
Vous savez que notre délégation est très engagée sur la question de l'adaptation des dispositifs et des normes. Sans préjuger des résultats de nos travaux, il ne serait pas surprenant que, dans le domaine de l'accompagnement à la parentalité comme dans bien d'autres, des éclairages ou des ajustements supplémentaires soient nécessaires.
Ce sujet est important pour comprendre les défis auxquels nos sociétés ultramarines sont confrontées.
M. Claude-Valentin Marie, conseiller pour l'outre-mer auprès de la direction de l'Institut national d'études démographiques. - Je vais vous faire part de travaux en cours qui s'appuient sur l'enquête MFV (Migrations, famille et vieillissement) de l'INED dans les départements et régions d'outre-mer, les DROM. Le champ de l'enquête comprenait la mesure des diverses manières de faire famille dans les DROM. Il est important de souligner que les situations sont extrêmement différenciées d'un territoire à l'autre. L'ambition est de sortir d'une vision uniformisante des DROM, pour discerner en particulier des aménagements spécifiques à chacun d'entre eux.
Quelques éléments saillants : par rapport à la métropole, les familles monoparentales sont plus nombreuses, de même que les maternités précoces, les naissances hors mariage et celles non reconnues par les pères, et une cohabitation plus durable des enfants et des adultes.
L'enquête se base sur quatre axes d'étude à visée prospective. Le premier consiste en l'analyse des familles ultramarines, dans leur réalité et leur complexité, ce qui comprend les évolutions de la nuptialité et de la fécondité.
Le deuxième sujet est celui des migrations, de l'aspiration au départ des jeunes adultes, au coeur de la réalité de la Guadeloupe et de la Martinique, aux « migrants-retour », natifs de ces départements, ayant vécu en métropole et qui reviennent, en passant par l'arrivée de populations immigrantes, Français non natifs ou étrangers.
Le troisième est le vieillissement, avec la condition de vie des retraités et l'évolution des liens intergénérationnels, dans un contexte, là encore pour la Martinique et pour la Guadeloupe, d'une baisse de la natalité et d'un vieillissement croissant de la population.
Il s'agit d'une enquête d'ampleur : nous avons interrogé 16 000 personnes, dont des natifs des départements, qu'ils aient toujours résidé sur place ou soient de retour, ainsi que des immigrants, nationaux et étrangers. Les dynamiques sont extrêmement différentes entre ces populations.
On constate, tout d'abord, une forte chute de la natalité principalement aux Antilles : dans les années 1960, on s'affolait d'une moyenne de 6 enfants par femme en Martinique et en Guadeloupe, alors que nous sommes à 1,9 ou 1,8 aujourd'hui dans ces deux départements. Il n'y a donc plus de renouvellement de la population. De façon générale et à quelques écarts près, les dynamiques guadeloupéenne et martiniquaise sont très proches. C'est un élément à intégrer pour penser des politiques publiques différenciées.
Ensuite, la transition démographique s'accélère, même si l'on note que, alors que le nombre d'enfants par femme s'est nettement réduit en Martinique et en Guadeloupe, cette diminution est moins importante à La Réunion et n'existe presque pas en Guyane et à Mayotte. Ainsi, pour les deux premières, parmi les femmes nées entre 1930 et 1939, plus de la moitié a eu au moins trois enfants, et souvent six, tandis que leurs filles, nées entre 1960 et 1969, ont réduit leurs maternités de moitié. Le basculement complet des comportements de fécondité n'a pris qu'une génération. Notre enquête confirme les prévisions établies il y a dix ans.
En revanche, à La Réunion, cette transition démographique existe, mais elle est nettement atténuée. Mayotte et la Guyane sont, elles, dans une situation inverse, avec une forte natalité et une immigration importante, laquelle contraste avec l'émigration qui touche les Antilles.
J'en viens à la monoparentalité, largement répandue. L'enquête a permis d'en déterminer les conditions et les spécificités aux Antilles, qui diffèrent de ce que l'on observe en métropole et à La Réunion. Ainsi, les nombreuses familles monoparentales à la Martinique et à la Guadeloupe correspondent non pas à la rupture d'une vie de couple, mais à une entrée directe en monoparentalité, de la naissance à l'adolescence de l'enfant. La grande différence n'est pas seulement le taux de monoparentalité, mais les modalités même de la monoparentalité. Cela se cumule avec une forte précarité et, souvent, l'absence de reconnaissance par le père (55 à 68 % des naissances aux Antilles et en Guyane). Les effets sur la vie et le parcours scolaire des enfants sont nets.
Le dessinateur humoristique martiniquais Pancho le montre, avec un dessin représentant un père entouré d'enfants, qui lui demandent où sont leurs mamans. Une partie importante des enfants ne sont pas reconnus par leur père, ce qui est une dimension supplémentaire dans l'organisation sociale de la vie familiale et les perspectives des enfants. Les éléments que je vous livre sont issus du recensement de 2019.
Ensuite, la première enquête montrait, il y a dix ans, que les maternités précoces étaient nombreuses, surtout en Guyane et à La Réunion. Nous constations qu'elles étaient plus nombreuses qu'en métropole, mais pas dans les mêmes proportions entre les différents DROM, les données pour Mayotte datant de cinq ans plus tard. Ces maternités précoces s'accompagnent d'un recours à l'interruption volontaire de grossesse important dans ces départements.
Nous constatons une décroissance rapide des populations antillaises. Ainsi, dans les Antilles, la chute importante de la natalité - nous sommes passés de 10 000 naissances par an en 1960 à 3 700 aujourd'hui - entraîne, depuis quelques années, un solde naturel négatif. S'ajoute à cela l'émigration, qui creuse encore les générations d'âge actif. En outre, si, dans les années 1960 et 1970, la métropole recevait des travailleurs peu qualifiés, modestes - dans les PTT et les hôpitaux, par exemple -, on observe, aujourd'hui, que l'émigration est de plus en plus sélective. Reste donc installée en métropole une grande part de la jeunesse la plus qualifiée de ces territoires.
Le processus est inverse à Mayotte et en Guyane, avec une très forte croissance démographique - particulièrement à Mayotte, dont la densité de population crée des conditions de vie pour le moins délicates -, à laquelle s'ajoute une importante immigration. Ainsi, à Mayotte, malgré le départ vers la métropole de très nombreux jeunes mahorais avec, entre autres, l'aide de l'Agence de l'outre-mer pour la mobilité (Ladom), la dynamique de précarité reste très importante.
Ainsi, la démographie de la Guyane et de Mayotte est marquée par une population croissante et en forte recomposition. Alors que 75 % de la population antillaise est native des Antilles, avec les deux parents nés sur place, auxquels s'ajoutent des personnes issues de parents dits « originaires » des Antilles, il n'y a que 4 % de population étrangère, contre 45 % en Guyane - la situation est similaire à Mayotte.
Ainsi, la population des Antilles vieillit et diminue, alors que, à Mayotte et en Guyane, elle croît et se recompose. La question des étrangers et du devenir de leurs enfants ne fait donc pas du tout naître les mêmes enjeux.
Mayotte est le lieu de dynamiques extrêmes : se croisent les jeunes quittant le territoire pour la métropole, les natifs de retour, ceux qui n'ont jamais migré - seulement 23 % de la population - et 47 % de non-natifs, principalement étrangers, eux-mêmes principalement comoriens, ces derniers essentiellement originaires d'Anjouan. Bien des difficultés sont liées à cette dynamique, d'autant que ces arrivants ont des taux natalité et de précarité très élevés. En résultent une croissance démographique et une densification fortes, à 600 habitants par mètre carré à Mayotte, ce qui cache, d'ailleurs, d'extrêmes disparités selon les communes. Les conditions de vie et de prise en charge des enfants s'en trouvent très différentes de celles qui existent à la Martinique et à la Guadeloupe.
En outre, les mères comoriennes représentent, pour 2021, la grande majorité des 10 000 naissances enregistrées à Mayotte. Les naissances avec au moins un parent étranger - le plus souvent, la mère, d'origine comorienne et, en général, anjouanaise - augmentent nettement. C'est autour de cet enjeu que se joue la question du droit de la nationalité avec, concrètement, un droit du sol remis en cause pour ces enfants nés sur le territoire français. Le croisement de ces dynamiques crée des situations de violence et de précarité exacerbées et, in fine, un enjeu institutionnel. Que deviendront ces enfants dans dix à quinze ans ?
La part des nationalités étrangères parmi les parents des enfants nés sur le territoire est donc particulièrement forte en Guyane et à Mayotte, dont la situation est très éloignée des Antilles, avec un énorme point d'interrogation sur le devenir des enfants. Ceux-ci vivent des scolarisations plus courtes, souvent plus tardives et se terminant plus tôt. Ainsi, en 2019, les difficultés scolaires, voire l'illettrisme, sont particulièrement présents à Mayotte, et le phénomène commence à se faire sentir en Guyane.
Outre ces inégalités globales, la Guyane montre qu'existent, outre ces inégalités globales entre territoires, d'importantes inégalités internes à chacun. C'est le cas des populations dites « de l'intérieur », qui n'ont pas fait l'objet de l'enquête en raison des difficultés à les atteindre. Par exemple, Saint-Laurent-du-Maroni, qui accueille de nombreux étrangers, affiche un taux élevé de non-scolarisation ; on peut en déduire que celle-ci les concerne davantage.
Dans ce contexte, la protection sociale est d'une importance cruciale, particulièrement pour les familles monoparentales. Elle ne suffit cependant pas à rayer les inégalités et à réduire le taux de pauvreté.
Une fois la nouvelle enquête MFV terminée, je ne manquerai pas de vous faire parvenir des données actualisées.
Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, rapporteure. - Je vous remercie. Vos éléments sont très précis. Ils éclaireront et orienteront nos travaux.
M. Michel Villac, président du Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge. - J'enchaîne sur les derniers éléments présentés par Claude-Valentin Marie : dans les quatre DROM historiques, la part de la population couverte par la sécurité sociale (55 à 77 %) dépasse celle de la métropole (49 %), du fait d'un revenu plus faible. En revanche, à Mayotte, dont le niveau de vie est le sixième de celui de l'Hexagone, seul un tiers de la population est couverte. Cela veut dire que le code de la sécurité sociale, restrictif, ne protège qu'une part minoritaire de la population, malgré des besoins très importants.
Le HCFEA a réalisé trois rapports, au titre de ses conseils de la famille, de l'enfance et de l'âge. Pour les rédiger, nous nous sommes appuyés sur les excellents travaux de Claude-Valentin Marie et de Robin Antoine.
Pour résumer, la situation démographique est contrastée, avec des flux migratoires de nature différente entre les Antilles, la Guyane et Mayotte. Les structures familiales sont spécifiques, les familles monoparentales obéissant à des modèles particuliers. Les grossesses adolescentes et les IVG, plus fréquentes, restent concentrées sur certains territoires. Les problématiques des violences intrafamiliales et du logement précaire touchent une partie de la population de Mayotte et de la Guyane. Le taux de pauvreté est aussi plus élevé que dans l'Hexagone, particulièrement pour ces deux mêmes départements. Alors que le niveau de vie est plus faible, les prix sont plus élevés, ce qui rend la situation d'autant plus tendue en termes de pouvoir d'achat. Les difficultés d'emploi et de formation sont importantes pour les jeunes, avec des taux d'emploi plus faibles qu'en métropole, notamment à Mayotte et en Guyane. Enfin, à Mayotte, on observe une part importante d'habitats de fortune, de bidonvilles.
Quelles sont les politiques menées ? Nous constatons, au cours du temps, une tension entre une volonté d'harmonisation des prestations avec la métropole et la persistance de réglementations spécifiques justifiées, en principe, par des situations locales particulières, singulièrement à Mayotte. J'y reviendrai.
Du côté des quatre DROM historiques, le mouvement vers l'alignement des prestations familiales avec l'Hexagone se poursuit. La logique initiale était celle d'une parité sociale globale, avec des prestations moins élevées assorties de politiques complémentaires. On a avancé vers l'égalisation, qui n'est pas complète. En revanche, ce mouvement n'est pas engagé pour Mayotte.
Ainsi, dans ces quatre DROM, les prestations familiales sont identiques. Il existe toutefois des exceptions : il en va ainsi des allocations familiales pour le premier enfant, soit 24,39 euros en 2021, et du complément familial. Ce dernier, dans l'Hexagone, s'adresse aux familles modestes ayant au moins trois enfants, pour améliorer leur niveau de vie, en prenant la suite de la prestation d'accueil du jeune enfant (Paje). En revanche, en outre-mer, les conditions d'attribution sont complètement différentes : seules sont concernées les familles ayant un ou plusieurs enfants âgés de trois à cinq ans, ce qui pose des problèmes de continuité, avec un complément familial qui n'est parfois plus perçu malgré une nouvelle naissance. En effet, sa nature est différente : il s'agissait plutôt de ne pas encourager la natalité. Cependant, les éléments présentés par Claude-Valentin Marie montrent que cet argument n'a plus de poids.
D'un autre côté, les prestations familiales ont vocation à aider les familles à éduquer les enfants : il n'y a pas de raison qu'un enfant, parce qu'il vit dans un DROM, bénéficie d'une aide moindre de la collectivité que s'il vivait dans l'Hexagone.
Deuxièmement, les prestations de solidarité sont identiques, notamment le revenu de solidarité active (RSA). S'y ajoute le revenu de solidarité outre-mer (RSO), pour les personnes bénéficiant du RSA depuis au moins deux ans, âgées de 55 à 60 ans et retirées du marché du travail. Toutefois, cette prestation ne dénombre que peu d'allocataires. Les aides au logement sont, elles aussi, différentes.
La situation à Mayotte est tout à fait spécifique. Seules les allocations familiales pour deux enfants, non modulées, sont les mêmes qu'en métropole, ainsi que deux prestations spécifiques, notamment pour les enfants handicapés.
L'allocation de soutien familial n'est pas servie, à l'instar de la Paje, qui, en la matière, représente l'une des masses financières les plus importantes en métropole. De même, le RSO n'existe pas à Mayotte.
Un certain nombre de prestations devraient être déployées dans les mois qui viennent, comme le congé de mode de garde et le congé de paternité et d'accueil de l'enfant.
En outre, il existe une série de prestations aux conditions ou montants spécifiques. Les allocations familiales à partir du troisième enfant sont moins élevées qu'ailleurs. Le complément familial, l'allocation de rentrée scolaire (ARS) et le RSA, la prime d'activité, l'allocation aux adultes handicapés (AAH) et les aides au logement sont aussi assorties de conditions nettement moins favorables. C'est pourquoi, malgré un fort taux de pauvreté, seul un tiers de la population bénéficie des prestations familiales ou sociales.
En résumé, le profil des bénéficiaires outre-mer est marqué par le poids de la pauvreté et par les conditions d'attribution des différentes prestations. Les allocataires à bas revenus sont beaucoup plus dépendants qu'en métropole de ce qu'ils perçoivent des caisses d'allocations familiales (CAF) ; excepté Mayotte, une part importante de la population perçoit le RSA ; quant aux dépenses de prestations familiales, elles présentent des profils spécifiques liés aux conditions d'attribution.
Les politiques et dispositifs d'action sociale différenciée tendent à converger entre les DROM et la métropole. L'accueil du jeune enfant fait l'objet d'une forte attention, car, en la matière, l'offre est bien moins développée qu'en France métropolitaine. L'aide sociale à l'enfance (ASE) présente de grandes différences. Enfin - j'insiste -, la situation de Mayotte reste hors normes.
Le Haut Conseil en est convaincu : seuls d'importants investissements permettront de réduire l'écart avec la métropole. Les prestations familiales ne suffiront pas : la collectivité doit miser sur le développement économique, l'éducation et le logement, domaines qui, bien sûr, ne sont pas de notre ressort.
Reste la question de l'immigration, notamment à Mayotte et en Guyane. En vertu de la Convention internationale des droits de l'enfant, on ne peut pas considérer qu'un mineur est en situation illégale ; nos responsabilités sont les mêmes pour tous les enfants mineurs vivant dans ces territoires, en particulier pour l'accès à l'éducation. Or, à Mayotte, les mineurs non accompagnés ont de grandes difficultés - c'est un euphémisme - pour s'inscrire à l'école. C'est un problème dès maintenant ; c'est aussi une bombe à retardement, car, une fois devenus adultes, ces enfants resteront très probablement sur place.
Face à ces situations, le Haut Conseil propose de verser les mêmes prestations familiales et sociales aux familles, quel que soit le territoire où elles habitent, à commencer par le complément familial.
Pour ce qui concerne Mayotte, des engagements de convergence ont été pris ; à présent, nous avons besoin d'un calendrier précis. Il faut se pencher en priorité sur l'allocation de base de la Paje, les allocations familiales pour trois enfants et plus et le complément familial. Cela n'aurait sans doute pas de sens d'aligner le RSA à Mayotte sur son niveau en métropole. En revanche, il faut avoir pour objectif une parité sociale globale.
Selon nous, Mayotte doit entrer dans le droit commun. Toutes les dispositions relatives à ce territoire, notamment pour ce qui concerne les prestations familiales, sont prises par ordonnances et ne sont donc pas débattues au Parlement : l'administration décide selon ses propres impératifs. À l'inverse, il faut passer par la voie législative. De même, le code de la sécurité sociale doit être étendu rapidement à Mayotte, qui dispose jusqu'à présent d'un régime autonome de sécurité sociale. On ne demande pas à la Lozère ou aux Pyrénées-Atlantiques d'avoir un régime à l'équilibre : la logique, c'est la mutualisation sur l'ensemble du territoire.
En outre, tous les enfants d'outre-mer doivent avoir accès à un repas chaud, et non à une simple collation, au moins au déjeuner. Les DROM disposent, certes, de la prestation d'aide à la restauration scolaire (Pras), mais encore faut-il que les enfants bénéficient de cette dernière. Ainsi, à Saint-Laurent-du-Maroni, les difficultés de scolarisation sont telles que la moitié des enfants ont classe le matin, et l'autre moitié l'après-midi : dans l'intervalle, il n'y a pas de cantine.
S'il n'est pas au coeur de nos attributions, le logement représente évidemment un enjeu fondamental. Les difficultés sont massives à Mayotte et en Guyane, moindres dans les autres départements, si l'on excepte certains quartiers. Quoi qu'il en soit, il faut intensifier l'effort de résorption de l'habitat insalubre et déployer l'aide personnalisée au logement (APL) avec plus de vigueur.
En parallèle, nous proposons de développer les programmes d'accompagnement de la parentalité en les orientant vers la prévention des grossesses précoces et non désirées lorsque c'est nécessaire.
Enfin, il faut traiter la question du non-recours aux prestations qui est importante et tient au fait que les populations soit ne connaissent pas l'existence des prestations soit sont trop éloignées des institutions qui les délivrent, en particulier en Guyane et à Mayotte. Il faut également améliorer la des enfants, notamment en Guyane et, à Mayotte, où seulement respectivement 87 % et 64 % des enfants de trois ans sont scolarisés, contre 98 % dans l'hexagone.
M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer, rapporteur. - Merci de la qualité de vos interventions.
Les associations d'accompagnement à la parentalité sont-elles suffisamment implantées dans tous les territoires d'outre-mer ? Comment pourrait-on faciliter leur action et améliorer la connaissance des dispositifs existants ? Ce serait notamment le moyen de limiter le non-recours aux prestations, qui est un véritable problème.
Mme Victoire Jasmin, rapporteure. - Merci de vos interventions, dans lesquelles je retrouve la vraie vie des outre-mer, quels qu'ils soient.
Notre collègue Thani Mohamed Soilihi appelle souvent l'attention du Sénat sur la situation de Mayotte. Lors du dernier congrès des maires de France, son homologue députée a, elle aussi, lancé un cri d'alarme.
Bien sûr, je n'oublie pas non plus mon territoire de la Guadeloupe.
Dans un tel contexte, les travaux que nous entamons ont toute leur importance ; je les ai évoqués la semaine dernière avec le président Gérard Larcher lors de sa venue en Guadeloupe, en insistant sur les questions de santé, qui me tiennent particulièrement à coeur.
En matière de parentalité, un certain nombre de dispositifs ont été déployés outre-mer, comme les réseaux d'écoute et d'accompagnement des parents. Les travailleurs sociaux assurent, eux aussi, un accompagnement. Où en sommes-nous ? À l'évidence, un travail d'évaluation est nécessaire.
Dans le même temps, beaucoup de couples souhaitent avoir des enfants sans pour autant pouvoir mener à bien leur projet de parentalité. Parmi les difficultés auxquelles se heurtent les familles figure la carence des différents modes de garde, publics ou privés.
Vous évoquez la question migratoire : avez-vous des données quant au nombre de femmes haïtiennes ou dominicaines qui viennent accoucher en Guadeloupe ?
Enfin, vous insistez sur les enjeux économiques. À ce titre, il est indispensable de développer l'emploi outre-mer, en particulier pour favoriser le retour des jeunes partis étudier en métropole.
Mme Elsa Schalck, rapporteure. - À mon tour, je vous remercie de vos présentations et des chiffres précis que vous nous avez livrés : il est indispensable de commencer par un tel état des lieux sur ce sujet commun aux délégations aux droits des femmes et aux outre-mer, qui mérite bel et bien un regard croisé.
Comment expliquez-vous le taux très élevé de grossesses précoces observé outre-mer ? Dans quelle mesure ce phénomène est-il lié à une scolarisation plus courte des jeunes femmes ?
Pouvez-vous nous préciser les différences évoquées entre la métropole et les outre-mer quant aux modes d'accueil des jeunes enfants ? Les jeunes mères de famille peuvent-elles, à un moment donné, retrouver la voie des études ou entrer dans la vie professionnelle ?
Pour assurer un meilleur accompagnement à la parentalité, notamment pour prévenir les grossesses précoces, formulez-vous des recommandations précises ?
Enfin, vous relevez que le modèle de monoparentalité est de plus en plus fréquent depuis une dizaine d'années, en particulier en Guyane et à La Réunion. Comment l'expliquez-vous ?
Mme Marie-Laure Phinera-Horth. - J'insiste sur les graves problèmes déplorés dans les familles d'accueil de Guyane, révélés notamment par l'enquête menée par Mediapart.
De jeunes Amérindiens sont placés dans des familles d'accueil du littoral afin de suivre une scolarité - ce sont les seules parties du territoire guyanais où se trouvent des établissements d'enseignement. Or nombre d'entre eux y subissent des violences, notamment sexuelles. Certains sont poussés au suicide, d'autres sont complètement désorientés. Le HCFEA s'est-il penché sur le sort de ces adolescents ?
Mme Nassimah Dindar. - Victoire Jasmin l'a souligné avec raison, vous décrivez parfaitement la réalité des territoires ultramarins, lesquels sont les plus inégalitaires de France. À cet égard, les chiffres relatifs aux prestations familiales et sociales sont éclairants.
Vous parlez, à juste titre, d'une « bombe à retardement » ; et vous décrivez avec beaucoup de force le cercle vicieux de la précarité, notamment pour les femmes. Nous sommes face à un enjeu de développement, non seulement économique, mais aussi sociétal : en tant que Français, nous défendons les valeurs citoyennes de la France.
Les élus locaux d'outre-mer sont perpétuellement sommés de faire face à l'urgence sociale, car nous avons collectivement échoué à transformer le modèle en vigueur outre-mer. Pourquoi y a-t-il tant de violences intrafamiliales ? Et, parallèlement, pourquoi y a-t-il tant de grossesses précoces ? Parce que le fait de devenir maman vous assure un statut ; non seulement il vous permet d'échapper à une famille potentiellement violente, mais il garantit votre survie financière par l'obtention de certaines aides et d'un logement.
Pour ma part, je souhaite que le RSA versé à Mayotte soit aligné sur le niveau des autres territoires, pour une raison très simple : les Mahorais viennent à La Réunion pour percevoir un RSA largement supérieur, quitte à faire des allers-retours. Ce serait aussi un moyen de traiter le cas des mineurs non accompagnés et de réduire les carences éducatives. Nombre de ces enfants finissent par devenir une simple source de revenus ; ils passent l'année à La Réunion, quand leurs parents repartent à Mayotte, voire aux Comores. Nous refusons de voir cette réalité et d'apporter de vraies réponses.
Quant au RSO, où persiste-t-il précisément ? Pour sa part, le département de La Réunion est en train de réduire le versement de cette prestation, qui - j'apporte cette correction - est destinée aux personnes inemployables. Ces dernières sont désormais orientées vers l'allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa).
M. Gérard Poadja. - Je vous remercie moi aussi des informations précises que vous nous avez communiquées sur ce sujet, qui nous tient à coeur. À cet égard, les outre-mer dans leur ensemble méritent une attention particulière de la part de la République.
Pouvez-vous nous préciser les taux de « filles-mères » selon les territoires ? Il s'agit là d'un véritable enjeu des politiques sociales, qui doivent être menées conjointement par l'État et les collectivités territoriales dans les cas spécifiques des outre-mer, dont certains relèvent de caisses autonomes.
Mme Micheline Jacques. - Vos propos très éclairants m'inspirent plusieurs remarques.
Premièrement, en matière d'immigration, il ne faut pas se voiler la face : dans certains cas, la grossesse est un moyen de bénéficier du droit du sol.
Deuxièmement, peut-on envisager de développer l'éducation à la sexualité et les plannings familiaux, tout en prévoyant des actions spécifiques en faveur des jeunes illettrés ?
Troisièmement, enfin, vous expliquez fort bien qu'il faut adapter la politique du logement aux différents territoires en suivant certains critères sociaux ; je pense en particulier à la taille de la fratrie. Je me bats en ce sens, mais il faut encore y travailler.
Mme Viviane Malet. - Le HCFEA préconise de développer les programmes d'accompagnement de la parentalité. La Réunion mène déjà plusieurs actions en ce sens, notamment via les centres de protection maternelle et infantile (PMI), les lieux d'accueil enfants-parents (Laep), les maisons de parents et les relais d'assistantes maternelles itinérants. Comment faire pour que ces initiatives soient mieux connues, mieux coordonnées tout au long du parcours de l'enfant, jusqu'à l'adolescence, et plus attrayantes ?
Mme Camille Chaserant, conseillère scientifique du Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge. - Le taux de non-recours aux prestations est particulièrement élevé à Mayotte et en Guyane : dans ce territoire immense et en partie enclavé, l'accès aux CAF n'est pas aisé. S'y ajoute la difficulté de conserver les documents en papier : non seulement l'humidité est en soi un problème, mais ce réflexe ne correspond pas à la culture locale. Certes, un service de pirogues itinérantes a été créé, mais les familles ont leur propre rythme de vie. N'oublions pas non plus la barrière de la langue, qui rend la terminologie administrative encore plus aride.
On s'efforce d'aller vers les parents et les familles en misant sur le tissu associatif, qu'il s'agisse de grands opérateurs ou d'initiatives locales. Malheureusement, ces dernières durent rarement plus de quelques années, car elles dépendent souvent d'une seule personne. Quand le directeur de la CAF de la Guyane nous a transmis son plan d'action relatif au service aux familles, il a insisté sur l'effort de formation des gestionnaires, à tous les niveaux, en faveur de la parentalité.
Aux Antilles comme à La Réunion, grâce à l'Observatoire de la parentalité, beaucoup d'actions sont menées pour développer le rôle des pères. Avec notre regard métropolitain, nous avons souvent tendance à les juger absents, même si ce n'est pas toujours le cas. Le but, c'est de faire entrer les pères dans les familles, ce qui suppose aussi une évolution du regard des mères. Les entretiens menés avec les sociologues sont éclairants quant à ce mode de « faire famille ». Le lien père-enfant tend d'ailleurs à se développer dans les jeunes générations.
Je relève la pertinence des propos relatifs aux grossesses précoces. Il faut s'efforcer de maintenir la scolarisation des jeunes filles grâce à des lieux dédiés dans les collèges et lycées.
Mme Nassimah Dindar. - Ils existent à La Réunion.
Mme Viviane Malet. - Tout à fait !
Mme Camile Chaserant. - Madame Schalck, l'accueil du jeune enfant inspire, outre-mer, un certain nombre de méfiances ; l'information est lacunaire et la tradition veut que l'enfant soit élevé au sein de sa famille, en vertu de solidarités intergénérationnelles et intrafamiliales assez fortes. Certes, la grossesse peut déclencher la sortie du système scolaire pour les jeunes femmes, mais ces dernières sont aussi extrêmement mobilisées par leurs mères et leurs tantes pour s'occuper des autres enfants de la famille.
Lors d'un entretien qu'elle m'a accordé, Sophie Charles, maire de Saint-Laurent-du-Maroni a appelé mon attention sur la situation de sa commune, qui est frontalière du Suriname : il n'y a qu'un fleuve à traverser, et bon nombre de familles s'étendent sur les deux rives. Les femmes surinamaises viennent accoucher à l'hôpital de Saint-Laurent-du-Maroni, faute de pouvoir mettre au monde leur enfant dans de bonnes conditions de l'autre côté de la frontière, et payent des hommes pour qu'ils se déclarent pères. Ainsi, elles bénéficient du droit du sol avant de repartir au Suriname avec leur enfant. Il y a une différence importante entre le nombre de naissances et le nombre d'enfants que l'on voit arriver à trois ans à l'école.
En parallèle, au lieu de construire des logements sociaux qui ne correspondent pas au mode de vie local, qui plus est sur l'immense territoire de la Guyane, où la propriété du sol est une question éminemment complexe, le maire de Saint-Laurent-du-Maroni favorise, au titre du logement social, l'acquisition de terrains où les familles peuvent bâtir leur propre maison grâce à des aides dédiées. Le risque est, sinon, de construire des habitations qui ne conviennent pas aux familles. J'ai visité des logements sociaux construits à Soula : les familles quittent ces appartements traditionnels qui ne leur sont pas adaptés.
S'agissant toujours de la Guyane, que je connais assez bien, j'en arrive au dysfonctionnement des familles d'accueil : je ne suis pas certaine que ce soit le seul facteur explicatif du suicide des jeunes amérindiens, même si cela a sans doute une influence. Nous n'avons pas enquêté sur les familles d'accueil qui accueillent les jeunes allant vers Cayenne ou Saint-Laurent-du-Maroni pour accéder à un collège ou à un lycée. En revanche, nous nous sommes entretenus avec les responsables de l'aide sociale à l'enfance. On compte beaucoup de placements d'enfants en Guyane, mais les familles ne sont ni formées ni suivies. Un enfant de l'ASE souffre souvent de problèmes, de troubles du comportement, d'un manque d'affection : cela amplifie les difficultés s'il n'y a pas d'accompagnement le temps de l'accueil.
Plus globalement, une grande partie des difficultés de construction et d'accueil relève aussi d'un problème d'endettement des communes et de collectivités. Ainsi, les grands projets prévus en 2017 pour la Guyane, accompagnés de financements, ne se sont toujours pas concrétisés pour la plupart : les premiers sortent à peine de terre. Il y a des compétences locales à développer, et une attractivité des territoires à développer.
Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, rapporteure. - Nous devons rapidement mettre un terme à la réunion. Je vous invite à nous communiquer, par écrit, tous les éléments que vous n'aurez pas eu le temps de nous donner.
Mme Laurence Rioux, secrétaire générale du Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge. - L'accueil du jeune enfant est doublement important : il permet de concilier vie familiale et vie professionnelle pour les parents et occasionne une socialisation précoce du jeune enfant, ce qui l'aidera en vue de son entrée à l'école maternelle. On constate des différences avec la métropole, et même entre les DROM eux-mêmes. Ainsi, en métropole, le taux de couverture par un accueil formel est de 60 % pour les enfants de moins de trois ans. Il atteint 55 % à la Martinique, 44 % à la Guadeloupe, 32 % à La Réunion, 9 % en Guyane, et il est quasiment nul à Mayotte.
Par ailleurs, si les assistantes maternelles sont le premier mode d'accueil en métropole, c'est l'accueil collectif qui arrive en tête en outre-mer, en raison du manque d'offre d'accueil par les assistantes maternelles.
Mme Nassimah Dindar. - Elles sont plus chères à La Réunion.
Mme Viviane Malet. - Plus chères qu'une crèche !
Mme Laurence Rioux. - En effet, à La Réunion, la part de couverture par les assistantes maternelles est de 23 %. Elles sont plus chères que l'accueil en crèche pour les parents gagnant moins de trois fois le Smic. Il est aussi plus difficile d'obtenir un agrément auprès de la PMI en raison de logements inadaptés. Je n'oublie pas non plus les difficultés financières des collectivités, qui empêchent ou freinent l'investissement dans les crèches, que les CAF seules ne peuvent financer.
M. Claude-Valentin Marie. - J'ai peu parlé de La Réunion, mais sa situation est, structurellement, plus organisée et régulée. La monoparentalité y est semblable à celle de la métropole : issue de ruptures d'union. La manière d'y prendre en compte la position et l'implication du père doit donc être différente de celle des Antilles. Ce n'est pas le même univers.
De plus, dans les dynamiques de sortie de la précarité sur vingt ans, on observe d'importants progrès à La Réunion par rapport à la dégradation relative constatée aux Antilles. Les équilibres généraux et l'occupation des espaces réunionnais placent l'île dans une position intermédiaire. On ne peut décalquer la situation de La Réunion sur celle des autres territoires.
Enfin, la part de la monoparentalité et de la non-reconnaissance par les pères est très importante dans les Antilles. Cela reste indépendant du taux de natalité : sa baisse n'a pas modifié les dynamiques de la monoparentalité. Elle n'empêche pas non plus les grossesses précoces : les jeunes mères en font, quelque part, un facteur d'identité. C'est une façon de devenir femme, avec une forme de reconnaissance.
Mme Nassimah Dindar. - Les grossesses précoces sont parfois voulues à La Réunion, de même que l'absence de père. L'inconscient collectif a intégré un modèle selon lequel, comme sur les plantations, les hommes viennent, copulent et repartent, et les femmes restent. C'est l'histoire de l'esclavage : anthropologiquement, le père est dehors, sans participer. Vous avez sans doute rencontré Thierry Malbert, universitaire qui travaille sur la parentalité.
Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, rapporteure. - Je vous remercie pour la qualité des informations que vous nous avez livrées, ainsi que des pistes de réflexion que vous dressez.
M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer, rapporteur. - Je remercie à mon tour les intervenants. Nos délégations sauront s'inspirer de vos travaux.