Mercredi 18 janvier 2023

- Présidence de Mme Catherine Deroche, présidente -

La réunion est ouverte à 9 h 05.

Projet de loi relatif aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 - Examen du rapport pour avis

Mme Catherine Deroche, présidente. - Nous commençons nos travaux par l'examen du rapport pour avis de notre collègue Florence Lassarade sur le projet de loi relatif aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024.

Mme Florence Lassarade, rapporteure pour avis. - Sur les dix-neuf articles du projet de loi, la commission des lois a délégué à notre commission l'examen au fond des articles 1er et 2 relatifs à la santé ainsi que de l'article 17 relatif au travail. Notre commission s'est également saisie pour avis de l'article 4 relatif au contrôle antidopage.

L'article 1er vise à créer, pour la période des jeux Olympiques et Paralympiques (JOP), un centre de santé destiné aux seuls athlètes et membres des délégations, au sein même du village olympique.

Cet article traduit directement l'un des engagements du contrat de ville hôte qui prévoit la mise à disposition au sein du village olympique et paralympique d'une « polyclinique » destinée à délivrer des soins de premiers recours et à préserver la « bulle sécuritaire » que constitue ce village. Doivent ainsi pouvoir être dispensés les soins primaires, la médecine du sport, les services médicaux spécialisés, les services pharmaceutiques, les services dentaires, les thérapies physiques, la radiologie, l'imagerie à résonance magnétique et l'optométrie durant seize heures par jour. Des services médicaux d'urgence doivent être accessibles vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Certaines activités sont susceptibles d'être externalisées, comme les analyses biologiques, quand d'autres seront assurées, du fait d'un besoin limité, directement à l'hôpital comme les examens de scanner.

Cette « polyclinique », qui ne sera active que pendant la durée des Jeux, sera gérée par l'Assistance publique - hôpitaux de Paris (AP-HP).

Le format proposé, qui est conjointement élaboré par Paris 2024 et l'AP-HP, sous la supervision de l'agence régionale de santé (ARS) d'Île-de-France et de la direction générale de l'offre de soins, me paraît correspondre aux exigences du contrat de ville hôte.

Je souligne en outre qu'il s'agit ici d'une offre limitée, comme je le disais, à des soins de premier recours et que les éventuels besoins de soins plus importants seront gérés par l'offre hospitalière classique. Les athlètes seront ainsi dirigés vers l'hôpital Bichat, quand l'hôpital Avicenne et l'hôpital européen Georges-Pompidou accueilleront respectivement les médias et la famille olympique et paralympique.

En matière d'effectifs, selon les prévisions actualisées fournies par Paris 2024 et l'AP-HP, les professionnels estimés nécessaires pour le centre de santé sont, par jour et au pic d'activité, au nombre de 193 : 35 médecins, dont 6 urgentistes et 8 médecins du sport ; 16 dentistes ; 98 paramédicaux, dont 28 masseurs-kinésithérapeutes et 14 infirmiers ; 44 administratifs. Ces chiffres, s'ils ne sont pas négligeables, ne sont pas de nature, selon les acteurs entendus, à perturber l'organisation des soins sur le territoire. Je souligne par ailleurs que, en termes de fonctionnement, la plupart des praticiens seront des volontaires olympiques, bénévoles, l'encadrement étant assuré par des praticiens de l'AP-HP, qui seront salariés du centre.

J'en viens au dispositif lui-même porté par l'article 1er.

Le choix a été fait de retenir la forme d'un centre de santé. Je me suis interrogée sur la pertinence de cette structure. Toutefois, les arguments invoqués s'agissant de la souplesse, mais aussi de la cohérence du schéma avec les soins dispensés, m'invitent à valider cette option, privilégiée à la création d'un établissement de santé pour une durée si brève.

Cependant, des dérogations au régime de droit commun sont nécessaires, pour trois raisons principales. Premièrement, le centre de santé n'accueillera pas de public autre que les seuls membres des délégations et personnes accréditées ayant accès au village. Ensuite, cette polyclinique réalisera l'intégralité de ses actes à titre gratuit, sans prise en charge par l'assurance maladie. Enfin, le centre doit pouvoir dispenser des produits réservés à l'usage hospitalier.

En conséquence, le présent article prévoit un ensemble de dérogations expresses au code de la santé publique afin d'adapter le cadre juridique aux réalités de ce centre de santé très particulier et à la durée limitée. C'est le cas notamment des dispositions relatives au projet de santé. L'installation d'appareils d'imagerie est par ailleurs autorisée pour éviter des procédures d'autorisation longues et non pertinentes, et la pharmacie à usage intérieur de l'hôpital Bichat sera autorisée à disposer de locaux au sein du centre.

Je vous proposerai d'adopter cet article en y apportant plusieurs modifications tendant à clarifier le régime dérogatoire du centre de santé et à ajouter en outre sa dénomination usuelle ; à préciser le champ de la convention financière qui lie Paris 2024 et l'AP-HP et qui prévoit le remboursement à l'euro près à l'AP-HP des frais engagés ; et, enfin, à inscrire expressément dans la loi la possibilité pour les volontaires olympiques et paralympiques de participer aux activités du centre. Le droit commun autorisant les bénévoles à contribuer au fonctionnement des centres de santé ne me semble pas suffisamment protecteur sur ce point.

Enfin, je tiens à souligner que les principales préoccupations que nous pouvons avoir ne relèvent pas de cet article ni du centre de santé, mais bien de la capacité de l'offre de soins francilienne et nationale à répondre aux besoins de la population et de l'ensemble des visiteurs pour cet événement mondial en plein coeur du mois d'août. Notre commission devra suivre durant les prochains mois la préparation de l'événement sur ces aspects.

L'article 2 complète l'article 1er sur l'organisation d'une offre de soins spécifique aux Jeux en autorisant l'exercice de leur profession à trois grandes catégories de professionnels de santé mobilisés par l'événement, mais qui ne justifieraient pas des conditions requises pour exercer leur profession en France.

Il s'agit d'abord des médecins des fédérations accréditées. Dans certaines disciplines, telles que la boxe ou le rugby, c'est en effet le médecin de la fédération qui intervient pour évaluer la capacité d'un sportif à poursuivre ou non la compétition. L'article autorise donc ces médecins à exercer sur les seuls sites des compétitions à l'égard des athlètes qui y participent.

La deuxième catégorie de personnel autorisée à exercer lors des Jeux est composée des médecins accompagnant les délégations de sportifs, des professionnels de santé accompagnant les organisations participant à l'organisation des Jeux, et de la commission médicale et scientifique du Comité international olympique (CIO) et du Comité international paralympique (CIP). Ces professionnels - médecins, pharmaciens, kinésithérapeutes, etc. -, accrédités par le CIO ou le Comité d'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques (Cojop), ne pourraient exercer qu'à l'égard du personnel et des membres de la délégation qu'ils accompagnent, à l'exclusion explicite des établissements et services de santé. Ce n'est, au fond, que l'extension à d'autres professions d'une disposition du code de la santé publique concernant déjà les médecins accompagnant des délégations de sportifs.

Enfin, l'article 2 autorise l'exercice de leur profession aux professionnels de santé étrangers qui pourraient participer à l'activité de la polyclinique en tant que volontaires : l'article leur donne l'autorisation d'exercer à l'attention exclusive, par hypothèse, des sportifs et membres des délégations.

Il reste à ce stade à préciser la procédure de cooptation des soignants volontaires du centre de santé. Le Conseil national de l'ordre des médecins participera à la vérification des qualifications des volontaires français ; pour les volontaires étrangers, Paris 2024 nous dit privilégier la sélection de professionnels connus, du fait, par exemple, de leur participation à des olympiades antérieures. Ces dispositions ne posent à mon sens pas grande difficulté.

L'article 17 crée une dérogation exceptionnelle au repos dominical des salariés de certains commerces situés à proximité de sites de compétition des JOP, sur autorisation du préfet.

Je rappelle que le droit du travail pose le principe du repos dominical des salariés. Il peut être dérogé à ce principe dans plusieurs situations. Certains établissements bénéficient de dérogations permanentes, en raison des besoins de production ou du public. Dans le champ des commerces, sont, par exemple, concernés les magasins d'ameublement et de bricolage, les jardineries et les débits de tabac. C'est également le cas des hôtels, cafés et restaurants.

Des dérogations existent également pour les commerces alimentaires, le dimanche jusqu'à 13 heures. Les commerces de vente au détail de biens ou de services peuvent aussi déroger au repos dominical s'ils sont situés dans des zones touristiques.

Des dérogations peuvent aussi être accordées par le maire, pour un maximum de douze dimanches par an. Sont concernés les commerces de détail, qui ouvrent le plus souvent les dimanches des périodes de soldes et en amont des fêtes de fin d'année.

Le préfet peut aussi accorder des dérogations au repos dominical, à condition qu'un préjudice au public soit avéré ou que le fonctionnement normal de l'établissement soit compromis.

Le caractère exceptionnel des JOP impose toutefois de créer une dérogation au repos dominical spécifique. Une affluence considérable de touristes et de travailleurs est attendue, en particulier à proximité des sites de compétition qui seront situés en Île-de-France, dans des villes telles que Lille, Marseille, Bordeaux, Nantes, ou encore en Polynésie française.

Les critères sectoriels, géographiques ou les conditions particulières qui permettent aujourd'hui de déroger au repos dominical ne correspondent pas parfaitement aux besoins des JOP. C'est pourquoi il est prévu de créer, à titre temporaire, une dérogation au repos dominical qui concernera les commerces de vente au détail de biens ou de services. Entrent notamment dans ce champ les commerces alimentaires, d'habillement, d'électronique ou encore les coiffeurs. Seront éligibles les établissements qui sont situés dans les communes d'implantation des sites de compétition ainsi que dans les communes limitrophes ou à proximité de ces sites. La dérogation s'étalera du 1er juin au 30 septembre 2024, afin de couvrir la venue de touristes attendus quelques semaines en amont et en aval de la tenue des jeux. Pour déroger au repos dominical, un établissement devra obtenir l'autorisation du préfet, qui devra tenir compte « des besoins du public résultant de l'affluence exceptionnelle attendue de touristes et de travailleurs ». Le préfet devra saisir pour avis le conseil municipal, l'établissement public de coopération intercommunale (EPCI), la chambre de commerce et d'industrie, la chambre de métiers et de l'artisanat, ainsi que les organisations patronales et syndicales intéressées. Les salariés concernés ne travailleront le dimanche que sur la base du volontariat et bénéficieront d'une rémunération doublée et d'un repos compensateur équivalent en temps.

Du fait des besoins exceptionnels, la dérogation proposée me paraît donc justifiée et adaptée. Elle permettra d'accueillir le public dans de bonnes conditions et de favoriser le développement économique des territoires concernés. Elle est suffisamment encadrée et apporte des garanties aux salariés concernés.

La procédure d'autorisation prévue se décompose en deux étapes. Une fois que le préfet aura autorisé un établissement à déroger au repos dominical, il pourra prendre un arrêté étendant la dérogation à plusieurs établissements exerçant la même activité dans la même commune.

Compte tenu des nombreuses demandes de dérogations attendues, des besoins du public déjà prévisibles pendant cette période et du caractère bien circonscrit de la mesure, il me paraît préférable de simplifier cette procédure d'autorisation. Je vous proposerai donc que le préfet puisse d'emblée autoriser un ou plusieurs établissements à déroger au repos dominical. Il pourra ainsi délivrer des autorisations collectives pour des établissements dont l'ouverture répond aux besoins du public.

Enfin, l'article 4 complète l'arsenal de la lutte antidopage en autorisant l'examen de caractéristiques génétiques pour rechercher quatre méthodes possibles d'amélioration des performances : une transfusion sanguine par un don homologue ; la substitution d'échantillons prélevés ; une mutation génétique dans un gène impliqué dans la performance induisant une production endogène de substance interdite, telle l'érythropoïétine (EPO) ; ou enfin la manipulation génétique destinée à modifier les caractéristiques somatiques du sportif.

Le dopage génétique n'a encore jamais fondé de décision de sanction, mais ce n'est pas pour autant de la science-fiction : un rapport d'information sénatorial de 2013 s'en inquiétait déjà, et l'Agence mondiale antidopage multiplie depuis peu les mises en garde. Quoi qu'il en soit, le code mondial antidopage, qui s'impose à nous, l'interdit au même titre que les autres méthodes.

Reste à éclaircir deux zones d'ombre. D'une part, l'application dans le temps d'un dispositif, ici borné aux Jeux, mais qui a vocation à être pérennisé puisqu'il découle des règles mondiales antidopage. D'autre part, la possibilité de se dispenser du consentement du sportif pour procéder à un tel examen. Dans son avis, le Conseil d'État estimait la disposition contraire à la Constitution ; l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) soutient que le Conseil constitutionnel n'a jamais été si explicite dans sa jurisprudence.

La rapporteur de la commission des lois proposera une solution prudente pour tenter de résoudre ces deux difficultés : en pérennisant dans le code du sport la recherche d'une administration de sang homologue ou d'une possible substitution d'échantillons, qui posent moins de difficultés de consentement ; pour les deux autres techniques, plus intrusives, elle prévoit une expérimentation en bonne et due forme, suivie par le Conseil consultatif national d'éthique (CCNE) et la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil), et soldée par la remise au Parlement d'un rapport d'évaluation.

Un seul alinéa concerne plus spécifiquement la commission des affaires sociales : celui qui, reprenant les précautions figurant déjà dans le code civil, prévoit l'information du sportif dans le cas d'une découverte incidente de caractéristiques génétiques responsables d'une possible affection justifiant des soins pour lui-même ou son entourage, et son orientation vers une consultation appropriée. D'après la direction générale de la santé, une telle découverte est possible dans une seule hypothèse, celle de la recherche d'une mutation sur le gène produisant de l'érythropoïétine (EPO), qui exige donc cette précaution.

Sous réserve des modifications proposées par notre collègue de la commission des lois, je vous propose donc de donner un avis favorable sur cet article.

Il me revient enfin de vous proposer un périmètre pour l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution. Pour les dispositions dont l'examen a été délégué à notre commission, je considère qu'il comprend des dispositions relatives à l'organisation d'une offre de soins de premiers recours dérogatoire, destinée aux athlètes et membres des délégations au sein du village olympique et paralympique ; à l'autorisation d'exercice de certains professionnels de santé dans le cadre de leurs missions à l'occasion des jeux Olympiques et Paralympiques ; et aux dérogations au repos dominical des salariés liées à la tenue des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024.

Il en est ainsi décidé.

Mme Raymonde Poncet Monge. - Il sera possible d'instaurer une dérogation aux règles de repos dominical dans les « communes limitrophes » d'un site de compétition. Pourriez-vous préciser ce que recouvre cette notion ? Suffira-t-il à une commune d'avoir une frontière avec une autre hébergeant des sites de compétition pour être concernée ? Le périmètre d'application des dérogations serait ainsi considérablement élargi ! J'entends bien que les salariés ne travailleront le dimanche que s'ils sont volontaires, mais le volontariat est toujours très relatif dans les entreprises, car le rapport de forces ne permet pas toujours aux salariés de refuser... De nombreuses possibilités de dérogations au repos dominical existent déjà, je comprends mal l'intérêt d'en créer de nouvelles.

Mme Cathy Apourceau-Poly. - Les jeux olympiques constituent toujours un moment festif, il faut le rappeler.

Les patients qui ne seront pas pris en charge par le centre de santé du village olympique seront transférés dans des hôpitaux franciliens. Comment, dans ces conditions, le Gouvernement répondra-t-il aux besoins de santé supplémentaires liés aux Jeux sans réduire la capacité d'offre de soins, qui est déjà saturée ? De nouveaux lits seront-ils ouverts à l'hôpital pendant la durée des Jeux ? Le plan Blanc sera-t-il déclenché ?

Mme Corinne Féret. - On estime que les professionnels de santé nécessaires pour faire fonctionner le centre de santé du village olympique sont au nombre de 193. Le texte reste muet sur les moyens qui seront donnés à l'AP-HP pour compenser, alors que notre système de santé est déjà en forte tension. Comment faire pour ne pas perturber l'organisation des soins pendant les Jeux ?

L'article 17 autorise le préfet à octroyer par arrêté des dérogations aux règles relatives à l'ouverture des commerces le dimanche du 1er juin au 30 septembre 2024 ; toutefois, les Jeux ne commenceront que le 26 juillet. Pourquoi cette période est-elle si longue ? Il s'agirait, dit-on, de prévoir l'arrivée de touristes, mais des dérogations de droit commun sont déjà possibles, d'autant que la période concernée englobe déjà celle des soldes d'été.

Mme Frédérique Puissat. - Je salue les simplifications proposées par notre rapporteure à la procédure relative à l'octroi des dérogations au repos dominical. Les jeux olympiques et paralympiques constituent une opportunité unique de faire vivre notre tissu économique local : ne ratons pas l'occasion ! Les dérogations seront-elles aussi valables dans les communes qui ont le label « Terres de Jeux 2024 » ? Des équipes viendront s'y entraîner ; des manifestations et des événements seront organisés. Il conviendrait que le tissu économique local dans les territoires puisse en bénéficier.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Les Jeux constituent en effet un événement particulier ; nous devons faire en sorte qu'ils soient une réussite.

Mme Colette Mélot. - Il s'agit d'un texte d'ordre technique qui n'appelle pas beaucoup de commentaires. Il contient notamment des avancées en matière de lutte antidopage ou en ce qui concerne la formation au secourisme. Les Jeux sont une opportunité pour notre pays, nous devons la saisir.

Mme Florence Lassarade, rapporteure pour avis. - Les communes « limitrophes » sont celles qui ont une frontière avec une commune qui accueille un site de compétition. Le texte mentionne aussi les communes situées « à proximité » de ces sites. Celles-ci ne sont pas nécessairement limitrophes. Outre l'éloignement géographique, il s'agit d'apprécier si les commerces situés dans la commune répondent aux besoins des travailleurs et du public. En tout état de cause, c'est le préfet qui déterminera les établissements concernés. L'enjeu est de bien accueillir les visiteurs et les travailleurs.

Les hôpitaux franciliens seront en partie ouverts aux athlètes : la plupart sont en bonne santé, mais ils peuvent avoir des accidents, qui requièrent, notamment, des soins d'orthopédie. On peut donc s'attendre à une augmentation des besoins dans cette discipline à l'hôpital. La plupart des visiteurs ont une assurance sociale ; le texte ne prévoit pas à leur endroit des dérogations aux règles de droit commun de participation aux frais de santé. Le centre de santé du village olympique sera destiné aux seuls athlètes, membres des délégations, et personnes accréditées non au public. Doit-on craindre une diminution de l'offre de soins pendant les Jeux ? En réalité, cela dépendra beaucoup de ce que feront les Parisiens au mois d'août : déserteront-ils Paris pendant les Jeux comme les Londoniens l'ont fait en 2012 ? Nul ne le sait. Nous avons en tout cas fait part de notre inquiétude à la ministre. Un rapport de l'inspection générale des affaires sociales (Igas) sur la capacité de l'offre francilienne à répondre aux besoins de la période est attendu pour ce début d'année. L'agence régionale de santé d'Île-de-France et la direction générale de l'offre de soins travaillent aussi sur ce point.

Le centre de santé mobilisera une quinzaine de praticiens de l'AP-HP, uniquement pour la gouvernance de la polyclinique et la chefferie des différentes spécialités. Le reste de l'effectif sera constitué de volontaires. Les Jeux suscitent beaucoup d'enthousiasme dans le corps médical et paramédical. J'ai été surprise par le nombre de dentistes - 36 - mobilisés chaque jour dans le centre : en fait, beaucoup d'athlètes viennent de pays où les soins dentaires ou en ophtalmologie ne sont pas très développés, et les Jeux sont pour eux l'occasion de bénéficier de soins en ce domaine - c'est une préoccupation du CIO à chaque olympiade.

Vous m'avez interrogée sur la durée des dérogations au repos dominical. Il faut savoir que des équipes de travailleurs viendront en France pour participer à la préparation des Jeux, qui constituent, rappelons-le, une chance pour notre pays. On attend de nombreux visiteurs. Les commerçants sont impatients, ils espèrent réaliser une bonne année, après des années de vaches maigres. L'extension des dérogations au repos dominical ne devrait pas, dans ce contexte, soulever de problèmes particuliers. Les salariés concernés ne travailleront le dimanche que sur la base du volontariat et bénéficieront d'une rémunération doublée et d'un repos compensateur équivalent en temps.

Les communes labellisées « Terres de Jeux 2024 » ne sont pas spécifiquement visées par les dérogations. Elles seront éligibles si elles répondent aux critères fixés, sur décision du préfet. Les commerçants souhaitaient que la procédure soit simplifiée, c'est pourquoi je vous proposerai de permettre aux préfets de prononcer des dérogations pour plusieurs établissements sur un secteur, et non simplement commerce par commerce. J'ajoute que les dérogations prévues par le texte ne se substituent pas aux dérogations déjà prévues par la loi, celles que peut prononcer le maire, ou celles qui sont possibles dans les zones touristiques.

Mme Catherine Deroche, présidente. - La loi Macron de 2015 visait à faciliter le travail le dimanche, mais les commerces n'ouvrent que s'ils ont des clients et que le surcroît de chiffre d'affaires est intéressant. En réalité, comme on le constate à Angers, par exemple, peu de commerces ouvrent le dimanche, sauf peut-être en Île-de-France.

Mme Florence Lassarade, rapporteure pour avis. - Nous avons fait part de notre inquiétude à la ministre sur le remboursement des soins, car l'AP-HP n'est pas réputée pour sa capacité à récupérer les sommes qui lui sont dues. Paris 2024 devrait rembourser tous les frais avancés pour le centre de santé et les prises en charge qui y seront assurées. Nous devrons veiller à ce que les sommes engagées dans les autres hôpitaux, sur adressage du centre, tant pour les soins que pour les transports, soient bien remboursées à l'euro près.

Mme Brigitte Micouleau. - Pourquoi créer ce régime de dérogations supplémentaires au repos dominical ? N'aurait-il pas été plus simple de laisser la liberté aux maires d'autoriser les commerçants qui le souhaitent à ouvrir ?

Mme Florence Lassarade, rapporteure pour avis. - La législation actuelle ne le permet pas et le régime existant ne suffisait pas. Le préfet aura une marge d'appréciation ; il pourra délivrer des autorisations collectives pour plusieurs établissements d'un même secteur, dont l'ouverture le dimanche répondra aux besoins du public.

Mme Michelle Meunier. - Des actions d'éducation et de prévention en matière de santé, d'alimentation ou de promotion du sport sont-elles prévues ?

Mme Florence Lassarade, rapporteure pour avis. - Des actions de prévention sont prévues dans le village olympique, en matière, comme je l'ai dit, de soins dentaires et ophtalmologiques, ou encore d'alimentation, même si les athlètes sont en général conscients des enjeux dans ce domaine. Une communication aura lieu autour des Jeux afin de favoriser le sport. Un plan global de prévention est aussi prévu à l'attention des visiteurs sur différents sujets, tels l'alcool ou les infections sexuellement transmissibles (IST) par exemple.

EXAMEN DES ARTICLES DÉLÉGUÉS AU FOND

Article 1er (délégué)

Mme Florence Lassarade, rapporteure pour avis. - Mon amendement COM-100 vise à clarifier le cadre dérogatoire du statut du « centre de santé » créé au sein du village olympique.

Outre des modifications rédactionnelles, je vous propose de désigner le centre de santé par la dénomination retenue dans le contrat de ville hôte ; de déroger explicitement aux dispositions de l'article L. 6323-1 du code de la santé publique relatives au public visé et aussi au caractère remboursable par l'assurance maladie des prestations délivrées ; de clarifier la finalité de la convention financière entre l'AP-HP et Paris 2024 ; et de prévoir explicitement la possibilité de participation des volontaires olympiques et paralympiques aux missions du centre de santé.

L'amendement COM-100 est adopté.

L'amendement rédactionnel COM-101 est adopté.

La commission propose à la commission des lois d'adopter l'article 1er ainsi modifié.

Article 2 (délégué)

La commission propose à la commission des lois d'adopter l'article 2 sans modification.

Article  17 (délégué)

Mme Florence Lassarade, rapporteure pour avis. - L'amendement COM-12 vise à supprimer cet article. Je considère que la dérogation au repos dominical prévue à l'article 17 est justifiée par les besoins du public qui sera présent pendant les jeux olympiques et paralympiques et qu'elle est suffisamment encadrée dans le temps et dans l'espace. L'article apporte des garanties aux salariés concernés. Je ne suis donc pas favorable à sa suppression.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement COM-12.

Mme Florence Lassarade, rapporteure pour avis. - L'amendement COM-96 vise à donner au maire, plutôt qu'au préfet, la compétence pour autoriser les dérogations au repos dominical pour les commerces pendant les Jeux. Plusieurs communes étant susceptibles d'être concernées, pour un ensemble d'établissements qui répondent aux besoins d'un même public, il apparaît plus pertinent de maintenir la compétence du préfet pour délivrer les autorisations. Je rappelle que la dérogation proposée ne se substituera pas aux dérogations déjà existantes, dont les « dimanches du maire ». Avis défavorable.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement COM-96.

Mme Florence Lassarade, rapporteure pour avis. - Avis défavorable à l'amendement COM-98 : bien que l'on puisse considérer que les communes « limitrophes » de la commune qui accueillera un site de compétition sont forcément situées « à proximité » de cette commune, il me paraît moins risqué de maintenir les deux notions.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement COM-98.

Mme Florence Lassarade, rapporteure pour avis. - Aux termes de l'article 17, le préfet pourra autoriser des commerces de vente au détail de biens ou de services situés à proximité des sites de compétition des Jeux à déroger au repos dominical des salariés. Il est prévu que lorsque le préfet aura autorisé un établissement à déroger au repos dominical, il pourra prendre ensuite un arrêté d'extension au profit de tout ou partie des établissements de la même commune exerçant la même activité. Mon amendement COM-102 vise à simplifier la procédure en permettant au préfet d'autoriser d'emblée un ou plusieurs établissements éligibles à déroger au repos dominical.

L'amendement COM-102 est adopté.

Mme Florence Lassarade, rapporteure pour avis. - L'amendement COM-78 impose d'obtenir un avis favorable de la commune, de l'EPCI, des chambres consulaires, des organisations patronales et syndicales pour que le préfet puisse autoriser un commerce à déroger au repos dominical. Avis défavorable. Une telle disposition risque de bloquer toute procédure d'autorisation. Pour des raisons déjà évoquées, notamment liées à l'implantation territoriale des sites de compétition des Jeux sur plusieurs communes, il est pertinent de donner la compétence au préfet, qui tiendra compte des besoins du public sur le territoire en consultant les maires. Le dispositif semble suffisamment encadré tout en étant opérationnel.

Avis défavorable pour les mêmes raisons à l'amendement COM-95, qui prévoit un avis conforme du conseil municipal sur l'autorisation préfectorale de déroger au repos dominical.

La commission émet un avis défavorable aux amendements COM-78 et COM-95.

L'amendement rédactionnel COM-103 est adopté.

La commission propose à la commission des lois d'adopter l'article 17 ainsi modifié.

Après l'article 17 (délégué)

La commission propose à la commission des lois de déclarer irrecevables en application de l'article 45 de la Constitution les amendements identiques COM-8 et COM-68, de même que les amendements COM-7, COM-70, COM-22 et COM-116 rectifié.

EXAMEN DES ARTICLES POUR AVIS

La commission émet un avis favorable à l'adoption de l'article 4.

TABLEAU DES SORTS

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article 1er
Polyclinique olympique et paralympique

Mme LASSARADE, rapporteure pour avis

COM-100

Clarification du régime dérogatoire de la polyclinique olympique et paralympique et précisions sur son fonctionnement

Adopté

Mme LASSARADE, rapporteure pour avis

COM-101

Corrections rédactionnelles

Adopté

Article 17
Dérogation au repos dominical pour les commerces situés à proximité des sites de compétition

Mme LASSARADE, rapporteure pour avis

COM-102

Possibilité pour le préfet de délivrer des autorisations de dérogation au repos dominical pour un ou plusieurs établissements

Adopté

Mme LASSARADE, rapporteure pour avis

COM-103

Amendement rédactionnel

Adopté

TABLEAU DES AVIS

Auteur

Objet

Avis de la commission

Article 17
Dérogation au repos dominical pour les commerces situés à proximité des sites de compétition

Mme APOURCEAU-POLY

COM-12

Suppression de l'article

Défavorable

Mme de LA GONTRIE

COM-96

Compétence du maire pour accorder à certains commerces une dérogation au repos dominical pendant les JOP

Défavorable

M. THÉOPHILE

COM-98

Suppression de la notion de commune limitrophe et maintien de celle de commune située à proximité des sites de compétition pour l'application de la dérogation

Défavorable

M. BENARROCHE

COM-78

?Avis conforme des organismes saisis sur l'autorisation préfectorale de déroger au repos dominical

Défavorable

Mme de LA GONTRIE

COM-95

?Avis conforme du conseil municipal sur l'autorisation préfectorale de déroger au repos dominical

Défavorable

Article additionnel après l'Article 17

Mme DUMONT

COM-8

Allongement du préavis de grève dans le secteur des transports

Irrecevable au titre de l'article 45 de
la Constitution

M. TABAROT

COM-68 rect.

Allongement du préavis de grève dans le secteur des transports

Irrecevable au titre de l'article 45 de
la Constitution

Mme DUMONT

COM-7

Conditions de caducité d'un préavis de grève dans le secteur des transports

Irrecevable au titre de l'article 45 de
la Constitution

M. TABAROT

COM-70 rect.

Conditions de caducité d'un préavis de grève dans le secteur des transports

Irrecevable au titre de l'article 45 de
la Constitution

Mme DUMONT

COM-22

Encadrement des délais ouvrant le droit de rejoindre un mouvement de grève

Irrecevable au titre de l'article 45 de
la Constitution

Mme de MARCO

COM-116 rect.

Encadrement de la durée du travail des bénévoles recrutés par le comité organisateur des JOP

Irrecevable au titre de l'article 45 de
la Constitution

Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à améliorer l'encadrement des centres de santé - Désignation d'un rapporteur

La commission désigne M. Jean Sol rapporteur sur la proposition de loi n° 162 (2022-2023) visant à améliorer l'encadrement des centres de santé.

Proposition de loi organique visant à permettre à Saint-Barthélemy de participer à l'exercice de compétences de l'État - Demande de saisine pour avis et désignation d'un rapporteur pour avis

La commission demande à être saisie pour avis sur la proposition de loi organique n° 51 (2022-2023), présentée par Mme Micheline Jacques, visant à permettre à Saint-Barthélemy de participer à l'exercice de compétences de l'État et désigne M. Alain Milon rapporteur pour avis.

Prise en charge des addictions - Audition de Mme Valérie Saintoyant, déléguée de la Mildeca (mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives), de M. Julien Morel d'Arleux, directeur de l'Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT), et du docteur Jean-Michel Delile, psychiatre, président de la Fédération Addiction

Mme Catherine Deroche, présidente. - Nous accueillons Mme Valérie Saintoyant, déléguée de la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca), M. Julien Morel d'Arleux, directeur de l'Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT), et le Dr Jean-Michel Delile, psychiatre, président de la Fédération Addiction, sur la prise en charge des addictions. Je les remercie d'avoir accepté notre invitation.

Cette audition fait l'objet d'une captation vidéo retransmise en direct sur le site du Sénat.

Le bureau de notre commission a décidé de ne plus se saisir pour avis du budget de la Mildeca, mais préserve une veille attentive sur le sujet des addictions, confiée à notre collègue Chantal Deseyne.

L'audition de ce matin a pour objet de faire le point sur l'évolution des pratiques en matière de conduites addictives et de nous éclairer sur la nécessaire adaptation des outils de prévention et de prise en charge. Cette audition intervient sur fond de crise structurelle de notre système de santé, particulièrement de notre système de santé mentale, alors que les difficultés croissent, notamment chez les adolescents et les jeunes adultes.

Mme Valérie Saintoyant, déléguée de la Mildeca (mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives). - Je vous remercie de votre invitation sur ce sujet de la politique de lutte contre les drogues et les pratiques addictives, qui nous tient à coeur. Un grand nombre d'acteurs publics, associatifs et privés sont concernés, tant au niveau gouvernemental qu'au sein des territoires.

Je commencerai par vous fournir quelques éléments de bilan sur la politique menée ces dernières années, et sur les priorités du Gouvernement. Ce vaste sujet implique de nombreux produits et de nombreux publics cibles. Nous arrivons au terme du plan national de mobilisation contre les addictions 2018-2022, qui a permis certaines évolutions positives pour plusieurs consommations, comme M. Julien Morel d'Arleux vous le présentera.

Les événements marquants ont été nombreux ces dernières années, à commencer par une meilleure information de la population sur les risques liés à la consommation de tabac, qui en matière de morbi-mortalité, constitue le principal défi auquel nous devons faire face : plus de 70 000 morts par an et un nombre considérable de pathologies sont encore liés à la consommation de tabac, et la lutte contre le tabac reste notre priorité.

Ces dernières années, une politique inscrite dans la durée a été développée. Deux programmes nationaux de lutte contre le tabagisme ont déjà été menés, et un troisième, en cours de préparation, sera annoncé par le Gouvernement lors des prochaines semaines. Plusieurs leviers ont déjà été activés, notamment ceux du prix et du paquet neutre, pour participer à la « dénormalisation » du tabac dans notre société, et faire plus clairement apparaître les risques liés à cette substance.

L'opération « mois sans tabac » pilotée par Santé publique France (SPF) porte un message clair sur les avantages de cesser l'usage du tabac, en matière de santé, de qualité de vie, comme de pouvoir d'achat - un fumeur consommant un paquet de cigarettes par jour débourse pour cela plus de 3 000 euros par an.

L'alcool fait encore plus de 40 000 morts par an dans notre pays. De nombreux risques sanitaires et sociaux sont associés à ce produit, notamment en ce qui concerne les phénomènes de violence. Ces dernières années, des campagnes d'information menées sous l'égide de SPF et portant sur la prévention des risques ont mieux diffusé les repères de consommation à moindre risque, notamment les limites de deux verres d'alcool par jour et de dix verres par semaine. Cependant, encore un quart de la population française se situe au-dessus de ces repères.

Nous avons encore 900 000 usagers quotidiens de cannabis dans notre pays. Il s'agit d'une préoccupation majeure pour le Gouvernement. Les risques liés à cet usage sont de mieux en mieux documentés par la littérature scientifique : il s'agit d'une bombe pour le cerveau des plus jeunes, des adolescents et des jeunes majeurs, jusqu'à 25 ans, car la maturation cérébrale dure jusqu'à cet âge. L'effet du cannabis se traduit par des troubles de la concentration, de la mémoire et de l'attention, dont l'impact sur la réussite scolaire comme sur l'insertion sociale et professionnelle est avéré. L'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) a suivi des cohortes de jeunes ayant eu un usage précoce, régulier, mais pas très intense de cannabis, et d'autres n'en ayant pas eu ; à bac +3, un vrai décrochage a été mesuré. Sous l'égide du service d'information du Gouvernement, deux séries de campagnes ont été diffusées, en 2021 et 2022, sur les risques liés à la consommation et au trafic de cannabis. Une campagne de SPF a été destinée aux jeunes usagers, pour les orienter vers la réduction ou l'arrêt de leur consommation. Une autre, sous l'égide de la sécurité routière, a insisté sur les risques en matière de conduite automobile.

L'information sur les risques est importante, mais ne suffit pas en matière de prévention. Les programmes pour le renforcement des compétences psychosociales se sont développés. Derrière ce terme se cachent des choses à la fois assez simples et difficiles à mettre en oeuvre. Les compétences concernées sont essentielles pour la vie en société : l'estime de soi, le recours à l'adulte, la capacité à résister à la pression de ses pairs et à faire ses propres choix. L'enjeu est de doter les enfants et les adolescents, voire les adultes, de ces compétences, pour leur permettre de ne pas adopter de comportements à risque, dont les conduites addictives.

Ces programmes ont été déployés en milieu scolaire, mais aussi dans les autres milieux de vie de l'enfant et de l'adolescent. Ils l'ont d'abord été de façon expérimentale, afin que leur efficacité soit évaluée. Désormais, même si nous n'en sommes pas encore à la généralisation, ces programmes ont avancé dans chaque région, en général dans le cadre de partenariats entre rectorats et agences de santé. Ils sont souvent déployés à l'aide d'acteurs du monde de la santé et de la prévention, dont Fédération Addiction et son programme « Unplugged » pour les collèges. L'enjeu est désormais d'intégrer ces recommandations dans les pratiques éducatives ordinaires, dans la formation initiale des enseignants et de la communauté éducative, afin que ces principes se diffusent largement dans l'éducation nationale.

De nombreux programmes de renforcement des compétences psychosociales existent notamment dans les établissements agricoles, tout comme dans les centres de l'Établissement pour l'insertion dans l'emploi (Epide) à destination des jeunes décrocheurs, ainsi que dans les établissements accueillant des jeunes relevant de la protection judiciaire de la jeunesse et de l'Aide sociale à l'enfance. Nous ne sommes pas arrivés au bout du chemin, mais une instruction interministérielle adoptée en août traduit l'engagement du Gouvernement.

Des environnements protecteurs sont ainsi constitués, en priorité pour les enfants et adolescents, publics les plus vulnérables concernant les conduites addictives. Les interdits protecteurs, portant sur la vente d'alcool, de tabac, de jeux d'argent et de hasard, et désormais de protoxyde d'azote aux moins de 18 ans, ne sont encore largement pas respectés en France. Les chiffres sont assez dramatiques : près de neuf enfants sur dix disent n'avoir aucune difficulté à s'approvisionner auprès des débitants de tabac, de boisson ou de jeux d'argent et de hasard ; plus de 10 % des buralistes vendent ces produits à des enfants de 12 ans, alors que la loi exige qu'une pièce d'identité soit présentée. Les contrôles et les sanctions sont trop peu nombreux, alors que leur effet pourrait être dissuasif. Nous avons beaucoup fait pour la formation et la sensibilisation des buralistes, en nous appuyant sur l'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie (Umih), la fédération du commerce et de la distribution, la confédération des buralistes, mais ces opérations ne suffisent pas. Il faut aussi mobiliser les forces de police et de gendarmerie pour mener des contrôles, ainsi que la justice pour qu'elle prononce des sanctions. Il est scientifiquement prouvé que la réduction de l'accès aux produits nocifs est efficace. Les phénomènes de contournement peuvent toujours exister, mais tant que l'interdit n'est pas respecté, un angle mort demeure dans notre politique publique.

Les interdits relatifs à la publicité doivent aussi être respectés. Les plus jeunes sont en particulier les victimes d'incitations à consommer. Un corpus législatif existe, même s'il est perfectible, notamment pour l'alcool et les jeux d'argent et de hasard. Cette réglementation récente, datant de 2020, doit être respectée, et le matraquage promotionnel ciblant les enfants comme les jeunes adultes doit être réduit.

Les parents sont également membres de cet environnement protecteur, et leur rôle est primordial. Ils doivent davantage être informés sur les risques, car l'initiation à l'alcool se fait encore trop souvent en famille : en classe de 6e, 44 % des enfants déclarent avoir déjà consommé de l'alcool, notamment lors de fêtes de famille, sous couvert d'éducation au goût. Ces pratiques familiales trop précoces sont très éloignées de celles de nos voisins européens. Concernant les jeux de hasard, l'initiation a également souvent lieu dans le cadre familial, par le biais de jeux à gratter ou de paris sportifs, et l'impact de ces initiations précoces sur les comportements des jeunes adultes est démontré. Là encore, il faut une mobilisation : on rêve d'un jour où les adultes s'émouvraient de la tolérance sociale envers la vente de tabac aux mineurs...

L'environnement protecteur concerne aussi d'autres milieux de vie, et notamment le milieu professionnel.

On a longtemps pensé qu'il y avait une séparation entre les usages de substances psychoactives en milieu privé et en milieu professionnel, mais les deux sont liés. On sait quelles sont les conséquences pour les entreprises d'avoir des salariés ayant des conduites addictives. Les entreprises ont donc un rôle à jouer, le bien-être des salariés étant aussi un enjeu économique. Certains milieux professionnels sont plus protecteurs que d'autres. On sait ainsi que l'habitude de faire des pots alcoolisés est une incitation à consommer. Il faut donc faire respecter la loi, celle-ci limitant le type d'alcool qui peut être proposé en milieu professionnel, et inciter les entreprises à prévoir aussi des boissons non alcoolisées.

On sait également que la cocaïne, notamment, se diffuse en France, l'offre étant très abondante. Dans certains milieux professionnels, soumis à de fortes exigences de performance, les usages sont en augmentation, même s'ils sont sans commune mesure avec la consommation de cannabis. La cocaïne n'est plus simplement consommée dans les milieux un peu classiques, son usage se développe, à titre d'exemple, dans la restauration et l'hôtellerie, le bâtiment ou chez les marins-pêcheurs, dans des métiers très durs.

Il y a également beaucoup de choses à faire en milieu étudiant. Nous avons lancé une démarche avec le ministère de l'enseignement supérieur afin de faire prendre conscience aux établissements de l'enseignement supérieur de leur caractère incitatif ou au contraire protecteur en matière de conduites addictives. La prévention et la réduction des risques en milieu festif sont une partie importante de notre politique publique, mais il faut également veiller à ce qui se passe sur les campus, dans les logements étudiants, les clubs sportifs ou de loisirs. Il est important que les encadrants des multiples associations qui existent sur un campus tiennent un discours clair et n'incitent pas les étudiants à la consommation. Certaines universités déploient ainsi des espaces sans tabac, tiennent un discours clair sur l'alcool. Nous aurons du mal à progresser sur ces sujets tant que les dirigeants et les encadrants des universités et des grandes écoles continueront de considérer que la consommation massive d'alcool est un passage obligé, qu'elle fait partie d'un rite initiatique. Il convient également de sensibiliser les salariés de ces établissements afin qu'eux aussi puissent bénéficier d'un environnement plus protecteur.

Nous menons par ailleurs une politique de réduction des risques associés à la consommation d'alcool et de drogues illicites. Depuis 2016, la réduction des risques est clairement inscrite dans la loi, de nouveaux outils sont développés, à l'instar des salles de consommation à moindre risque, désormais appelées haltes « soins addictions ». Deux expérimentations ont été conduites à Paris et à Strasbourg, l'évaluation qui en a été faite a mis en évidence leur efficacité. Nous sommes désormais confrontés au défi de la stabilisation de ces dispositifs, notamment à Paris, mais aussi de l'ouverture de nouvelles haltes dans des territoires comptant des scènes ouvertes de consommation et une alliance d'acteurs locaux prêt à porter un tel dispositif.

Mais la réduction des risques, ce n'est pas que cela. Elle se traduit également dans de nombreux autres dispositifs, notamment dans les établissements et services du secteur de l'accueil, de l'hébergement et de l'insertion, où les usagers de substances psychoactives doivent être accompagnés. De même, il faut aussi intervenir lors des grands événements festifs afin de réduire les risques.

J'évoquerai à présent la lutte contre les trafics, qui a été renforcée depuis 2019, un premier plan national de lutte contre les stupéfiants ayant été adopté, lequel devrait être renouvelé en 2023. Ce plan prévoit une mobilisation massive des forces de sécurité, des douanes et de toute la chaîne pénale afin de lutter contre la criminalité organisée, mais aussi contre le trafic du quotidien, la sécurité au quotidien étant une préoccupation première du Gouvernement. Les efforts portent ainsi sur le démantèlement des points de deal.

Enfin, pour conclure, j'aborderai le renforcement des dynamiques territoriales en matière de lutte contre les addictions. Il y a eu beaucoup d'évolutions au cours des dernières années. Notre ambition est de les renforcer. Ainsi, les préfectures, qui sont les relais de la Mildeca à l'échelon local, ont écrit des feuilles de route régionales en 2019. Ce premier exercice très perfectible a traduit la mobilisation interministérielle des acteurs à l'échelle d'une région et d'un département.

De même, les agences régionales de santé, grâce au Fonds national de lutte contre les addictions, ont des crédits et des politiques désormais stabilisées pour lutter contre les conduites addictives et mener des actions ambitieuses en matière de prévention, d'accompagnement et de réduction des risques. Enfin, les collectivités locales contribuent de plus en plus à cette politique. Depuis 2018, la Mildeca lance des appels à projets nationaux à destination des communes et des intercommunalités, qui connaissent un succès grandissant. On a ainsi pu conclure une cinquantaine de partenariats avec des communes et des intercommunalités de toutes tailles sur l'ensemble du territoire. Des projets divers sont menés, dans le respect de l'orientation politique fixée par les élus. Certains privilégient l'accompagnement des familles, la prévention dès le plus jeune âge, d'autres souhaitent mettre l'accent sur l'application de la loi et responsabiliser les débitants par exemple. Certains projets enfin concernent les agents et le maire en tant qu'employeur.

Telle est la présentation globale que je souhaitais vous faire de notre action. Je suis à votre disposition pour répondre à vos questions. Je laisse à Julien Morel d'Arleux le soin d'évoquer les chiffres sur les pratiques et la consommation.

M. Julien Morel d'Arleux, directeur de l'Observatoire français des drogues et des tendances addictives. - Je vous remercie de nous accueillir aujourd'hui. Dans la mesure où nous nous sommes vus il y a un peu plus d'un an à l'issue de la crise sanitaire, je ne reviendrai pas aujourd'hui sur l'ensemble des données produites par l'Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT), je vous présenterai simplement les derniers chiffres concernant la consommation de cannabis en population adulte et de l'ensemble des drogues illicites pour les adolescents. Une partie de ces données ont été publiées au mois de décembre dans le cadre du Baromètre santé 2021 de Santé publique France, une autre partie sera publiée au mois de mars dans notre revue Tendances.

Nous avons réalisé en mars 2022, avec le soutien du ministère des armées, une enquête sur la santé et les consommations lors de la journée d'appel et de préparation à la défense (Escapad) auprès de 23 000 jeunes âgés de 17 ans. Dans la mesure où il s'agit de la première enquête de cette ampleur en population adolescente après la crise sanitaire, il me semblait important de la rendre disponible pour le grand public, les décideurs publics et les professionnels du champ le plus tôt possible.

Je ne reviens pas sur les missions de l'OFDT, que vous connaissez. Je vous signale simplement que, dans la mesure où le champ d'observation et le périmètre d'action de l'Observatoire ont été étendus, notre logo et notre nom ont été modifiés. Nous sommes désormais l'Observatoire français des drogues et des tendances addictives. Le terme « tendances » est important pour nous, notre rôle étant de mesurer les évolutions dans le temps.

Je vais aujourd'hui vous présenter ce que nous appelons les usages dans l'année, les pratiques au cours de l'année écoulée. Nous avons resserré la focale sur l'usage récent, c'est-à-dire dans le mois, et sur l'usage régulier, c'est-à-dire dix fois au cours d'un même mois. Dans le cadre de l'enquête Baromètre santé de 2021 sur l'évolution de l'usage du cannabis, près de 23 000 adultes, âgés de 18 à 64 ans, usagers de drogues illicites, ont été interrogés. Aujourd'hui, un peu moins de la moitié des 18-64 ans ont déjà expérimenté le cannabis, soit une légère hausse par rapport à 2017, notre année de référence. En revanche, en 2021, l'usage dans l'année est resté stable - un peu plus de 10 % des adultes ont consommé du cannabis dans l'année. Les usages réguliers, c'est-à-dire dix fois au cours d'un même mois, sont eux en baisse, tout comme l'usage quotidien chez les adultes.

Deux éléments sont marquants : une prédominance masculine dans les usages - c'est un invariant - et un vieillissement des usagers. C'est la première fois que le nombre d'expérimentateurs chez les 18-24 ans est en baisse par rapport aux années précédentes. Les consommations de cannabis dans notre pays sont aujourd'hui portées plus par les 25-45 ans que par les 18-24 ans. On note également une augmentation des usages dans l'année chez 55-64 ans. Le vieillissement des usages est continu depuis plusieurs années.

Nous avons publié une évolution des usages par région, y compris dans les territoires ultramarins, la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique et La Réunion. On a ainsi une carte de France assez hétérogène. Il existe un contraste entre le nord et le sud. Trois régions se distinguent par des usages plus importants que la moyenne nationale : la Nouvelle-Aquitaine, l'Occitanie et la Provence-Alpes-Côte d'Azur. Par ailleurs, on relève que l'expérimentation et la diffusion du cannabis sont moins importantes dans les territoires ultramarins. En revanche, les niveaux d'usage dans l'année n'y sont pas significativement différents de ceux du territoire hexagonal. Le produit est moins diffusé, mais il reste consommé par une même frange de la population que sur le territoire hexagonal.

Tels sont les premiers éléments que je souhaitais vous présenter.

J'évoquerai à présent quelques éléments de l'enquête sur la santé et les consommations lors de la journée d'appel et de préparation à la défense.

Grâce à un partenariat avec le ministère des armées, qui existe depuis un peu plus de 20 ans, nous pouvons à cette occasion interroger toute une classe d'âge de manière régulière. Il s'agissait du dixième exercice depuis 2000, et du premier depuis 2017. Cette enquête est représentative des consommations chez les jeunes Français de 17 ans. Sa formulation ne varie pas dans le temps, mais, depuis 2011, nous y avons ajouté des questions sur les jeux d'argent et de hasard, ainsi qu'un module sur la santé physique et mentale. Elle a eu lieu en mars 2022. Le ministère des armées nous a permis de convoquer près de 25 000 jeunes en une semaine sur le territoire hexagonal. Cette année, nous la conduirons dans les territoires ultramarins.

En tout, 22 430 jeunes de 17 ans ont répondu à notre questionnaire. Nous sommes encore en cours d'analyse des résultats, que nous présenterons en mars, mais il en ressort déjà une baisse très forte du tabagisme. En 2021, l'enquête en classe de troisième montrait déjà une très forte diminution de la consommation de tabac. Cette baisse s'accentue, et l'on perd quasiment dix points de pourcentage entre 2017 et 2022 : 15,6 % des jeunes de 17 ans se déclarent fumeurs quotidiens, contre 25 % il y a 5 ans. Par contraste, l'usage de la e-cigarette a doublé, alors même que les jeunes ont souvent du mal à dire ce qu'elle contient. D'ailleurs, on observe parfois des incidents sanitaires lorsque certains produits de synthèse y sont absorbés.

En tous cas, l'ensemble des usages déclarés est en baisse, qu'il s'agisse de produits licites ou illicites : consommation d'alcool dans le mois, usage au moins dix fois par mois du cannabis... L'usage du CBD a fait l'objet de nombreux débats. On observe que 14 % des jeunes en ont consommé au cours du dernier mois. Pour les autres produits illicites, l'usage passe de 6,8 % à 3,9 %. L'enquête révèle une baisse de 25 points de l'usage quotidien de tabac. Le chiffre était de 41 % en 2000, il est désormais de 16 %. La baisse a été de neuf points entre 2007 et 2022. L'interdiction de vente aux mineurs, l'interdiction de fumer dans les lieux publics, le paquet neutre : tous ces éléments ont diminué l'accessibilité de ce produit et ont eu un effet marquant.

Un bémol, toutefois, est constitué par la dégradation de tous les indicateurs de santé, physique et psychique, des adolescents. Si la consommation de médicaments est globalement comparable à celle de 2017, les jeunes perçoivent davantage leur santé comme mauvaise. Avec leur taille et leur poids, nous mesurons leur indice de masse corporelle, ce qui révèle une augmentation du surpoids et de l'obésité de 2,5 points en cinq ans. Nous mesurons le risque de dépression légère ou sévère, et observons une hausse de dix points des indicateurs correspondants. Nous constatons enfin une forte hausse des pensées suicidaires ainsi que des tentatives de suicide déclarées.

Cette évolution est inverse à celle des usages... À la différence des adultes qui ont pu expérimenter certains produits, ces jeunes n'ont pas eu l'opportunité, en particulier pendant les périodes de confinement, d'accéder à d'autres modes de sociabilité, de découvrir des produits, mais aussi d'avoir des activités qui leur permettraient de lutter contre le risque de dépression légère ou sévère et les pensées suicidaires, et d'éviter d'avoir cette perception globale d'une santé mauvaise. C'est là un élément de vigilance et d'attention.

Nous publierons ces résultats début mars, avec un focus spécifique sur les jeux d'argent et de hasard et sur des analyses régionales.

Dr. Jean-Michel Delile, psychiatre, président de la Fédération Addiction. - Merci, madame la présidente, d'avoir évoqué en introduction la crise qui frappe actuellement tout le système de santé, et particulièrement le système de santé mentale. J'y suis sensible en tant que psychiatre, surtout parce que j'exerce dans le secteur médico-social, où la crise est également massive, y compris sous forme de pénurie de ressources humaines.

Je préside la Fédération Addiction, qui regroupe environ 80 % des établissements au niveau national. Les équipes pluridisciplinaires y proposent une prise en charge globale.

En matière de prévention, vous avez raison de souligner qu'avec la crise sanitaire et l'isolement dans lequel elle a placé les jeunes, on constate une dégradation extrêmement sensible de la qualité de vie, reflétée par celle des indicateurs de santé mentale chez les adolescents. Cela pose le problème des conduites suicidaires et accroît la vulnérabilité pouvant conduire à des consommations et conduites addictives. C'est donc un point à surveiller de très près.

Nous continuons donc à promouvoir les actions de soutien aux compétences psychosociales et à développer tous les programmes liés aux consultations jeunes consommateurs. J'avais souligné, lors d'une réunion en décembre à l'Assemblée nationale, co-présidée d'ailleurs par le sénateur Iacovelli, et en présence du ministre, l'importance des structures de terrain, réparties sur tous les territoires et qui permettent de recevoir des jeunes en difficulté au plan psychologique, social, familial. Le point d'appel peut être une prise de substances ou un abus d'écran, mais il permet de faire un bilan général.

La prise en charge doit bien sûr s'adapter à l'évolution des pratiques et des consommations. Des données sont disponibles, notamment sur le tabac et l'alcool. L'action conjointe des pouvoirs publics et des professionnels a conduit à une prise de conscience dans l'ensemble de la population et à un véritable effondrement des niveaux de consommation par rapport aux années 1960. D'ailleurs, on constate une mutation complète des modes de consommation, avec une réduction drastique des consommations quotidiennes de vin à table et une évolution vers d'autres modes de consommation, qui posent d'autres problèmes. L'usage du tabac continue à se réduire, même si on observe un ralentissement de la tendance actuellement.

Moins il y aura de personnes dépendantes de ces produits, plus les personnes qui vont y rester accrochées présenteront des comorbidités et des vulnérabilités psychologiques et sociales. C'est déjà évident pour le tabac, qui devient un facteur majeur d'inégalités sociales. C'est vrai aussi pour l'alcool, et cela commence à l'être pour le cannabis. Il faut donc prendre en charge ces personnes et ces vulnérabilités. D'où l'intérêt des équipes pluridisciplinaires et des établissements comme les nôtres. Même si, historiquement, ceux-ci étaient plutôt spécialisés sur l'héroïne ou la cocaïne, ils vont devoir développer encore davantage des activités liées au tabac, à l'alcool et au cannabis.

Une autre évolution sensible est celle des problématiques de comportement alimentaire, avec des boulimies à dimension manifestement addictive.

Le temps passé devant les écrans a explosé, notamment avec le confinement. Les écrans sont peut-être moins dangereux pour la santé physique, mais ils ne sont pas bons pour la santé psychique, car ils constituent un facteur d'isolement, de dépression, de conduite suicidaire. Ils induisent aussi de vraies addictions, aux jeux d'argent et de hasard, à la pornographie... Cela nous oblige à adapter nos savoir-faire. La covid, qui a permis de développer des outils de santé numérique, nous aura aussi contraints à développer des modalités d'intervention plus proches de ces patients bien réels, mais éloignés de nous par un espace virtuel.

Avec internet, on constate aussi que se développe l'usage de produits de synthèse comme la cathinone, le 3-MMC ou les cannabinoïdes de synthèse, sans parler du protoxyde d'azote, qu'on peut commander assez facilement.

Nous devons faciliter l'accès à nos structures, en les débarrassant de l'image qu'elles ont d'être des lieux où l'on se débarrasse intégralement d'une addiction. Beaucoup d'usagers, en effet, sont rebutés par une telle perspective et veulent simplement redevenir des consommateurs maîtrisés. Pour autant, leur consommation excessive est dommageable à leur santé.

Nous avons donc développé des actions au plus près des demandes des patients, comme la sécurisation des consommations et la diminution des niveaux, notamment pour l'alcool. Nous le faisons aussi dans les centres sociaux, ce qui permet d'élargir le spectre de personnes accueillies. Cela fonctionne très bien pour les jeunes ayant une addiction aux écrans : ils ne veulent certainement pas arrêter, mais simplement réduire les risques.

Mme Chantal Deseyne. - Vous avez évoqué les salles de consommation à moindre risque. Nous avons été alertés des difficultés rencontrées par ces structures, à Paris notamment. Les personnes prises en charge, sous l'emprise de drogues, ont besoin d'un suivi, en particulier depuis l'évacuation du square Forceval en octobre dernier. Il faut donc du personnel, d'autant que les besoins ont augmenté. Nous avions placé beaucoup d'espoir dans cette expérimentation, lancée il y a six ans. J'espérais, après Paris et Strasbourg, une extension de ce dispositif. J'avais entendu parler de projets à Marseille ou Bordeaux, mais ceux-ci n'ont jamais vu le jour. Où en est la politique en la matière ?

Quelle est la situation des usagers de crack dans le Nord-Est parisien ? Le dispositif Assore permettait de les accompagner en leur proposant des hébergements en chambres d'hôtel. Mais l'offre n'est pas suffisante. Comment améliorer ce dispositif pour accompagner ce public particulièrement fragile ?

L'addiction au jeu et l'addiction alimentaire me préoccupent également, et feront l'objet, je pense, d'autres questions.

Mme Michelle Meunier. - Comment avez-vous été associés à l'organisation des Jeux olympiques de 2024 ? A-t-on pensé à d'éventuelles dérogations à la loi Evin ? Quid de la prévention primaire ? Les sponsors alcooliers et, en général, les marques liées au plaisir et au dépassement sont souvent très pernicieux...

Vous avez évoqué les aidants. En particulier, ceux des malades alcooliques souffrent beaucoup, car il y a dans l'alcoolisme un déni, sans parler des violences. Existe-t-il des actions spécifiques pour les soutenir ?

Il existe des sites consacrés à la vente de protoxyde d'azote. Quels sont les contrôles réellement effectués sur la commercialisation de ce produit ? Combien d'équivalents temps plein consacrez-vous à cette mission ?

Mme Laurence Cohen. - Je remercie les intervenants pour leurs présentations. J'aimerais les interroger sur des phénomènes à la mode, comme le tabac en sachet à sucer, le snus, très en vogue chez les jeunes, notamment sur TikTok, et chez certains sportifs. Quelle évaluation faites-vous de ce phénomène ? Comment faire de la prévention ?

S'agissant des puffs, nous n'avons pas de recul suffisant pour évaluer leur nocivité et l'addiction qu'elles peuvent entraîner. Des recherches ont-elles permis de mieux appréhender les avantages et les inconvénients de ces cigarettes électroniques ? Le Sénat avait voté leur taxation, mais le Gouvernement a rejeté cette mesure.

Le tabac et l'alcool, qui sont en vente libre, ont des effets terribles sur la santé publique. Le cannabis, qui, lui, ne l'est pas, entraîne, en zone urbanisée comme en zone rurale, des trafics sources de violences. Toutes les politiques sécuritaires et d'interdiction menées ont été des échecs, notamment aux États-Unis.

J'avais été à l'initiative d'une charte, qui avait réuni en 2012 les principales associations et les fédérations de lutte contre les addictions : tous les participants étaient parvenus à la conclusion qu'il fallait dépénaliser l'usage du cannabis. Sa légalisation permettrait de stopper les trafics et d'exercer un contrôle, car le cannabis d'aujourd'hui n'est plus dosé aujourd'hui de la même façon qu'il y a quelques années. Quelle est votre analyse de cette question ?

Les moyens de la Mildeca et de l'OFDT sont en forte diminution ; ils sont notamment très faibles pour poursuivre les trafiquants. Quelle appréciation portez-vous sur les moyens dont vous disposez pour répondre à vos missions ?

Mme Brigitte Micouleau. - La Mildeca a édité en 2022 un guide intitulé « Le maire face aux conduites addictives ». Quels retours avez-vous sur cette publication ?

Quel est le bilan des deux années de mise en place d'amendes forfaitaires délictuelles pour usage de stupéfiants ?

Enfin, la Coupe du monde de football vient de se terminer : les chiffres ont-ils particulièrement explosé en cette période ?

M. Daniel Chasseing- Vous avez tenu quelques propos réconfortants : la consommation d'alcool diminue chez les jeunes, même si elle augmente de façon massive dans le cadre de certaines festivités, et la consommation de cannabis a été divisée par deux.

Le protoxyde d'azote touche maintenant le milieu rural. Quelle est l'ampleur du phénomène ? La vente se fait-elle par internet ?

Quels sont les produits contenus dans la cigarette électronique ? Quid de leur nocivité ?

Le cannabis est vraiment une plaie pour notre pays, car il provoque des troubles de la mémoire et des troubles psychotiques. Dans les pays où il a été légalisé, les problèmes sont toujours présents.

Mme Valérie Saintoyant. - Merci pour toutes vos questions et observations. La plupart des sujets mériteraient un large débat, et je m'excuse d'avance de ne pas vous répondre de manière exhaustive.

Vous m'avez interrogée sur les salles de consommation à moindre risque, sur la situation du crack dans le nord-est parisien et sur les nouvelles HSA. Une évacuation du square Forceval a été menée au début de l'automne par les services de l'État, avec l'aide des acteurs du monde sanitaire, médico-social et social pour la prise en charge des usagers de crack. La problématique est très complexe. Pour l'instant, il n'y a pas eu de reconstitution d'un campement, notamment en raison de la mobilisation très forte des forces de l'ordre à Paris.

Le dispositif Assore est monté en charge, avec près de 600 places offertes. Un effort considérable a été fourni par les pouvoirs publics et leurs partenaires. Une évaluation menée par les Hospices civils de Lyon montre que la prise en charge via ce dispositif a permis à 87 % des personnes accompagnées de réduire, voire d'arrêter, leur consommation de crack.

La salle de consommation à moindre risque de Paris est un dispositif efficace, qu'il faut conforter. Elle est confrontée à un problème de recrutement, qui touche plus largement les secteurs sanitaire, médico-social et social.

S'agissant des nouvelles HSA, la politique du Gouvernement est d'accompagner leur développement. Des crédits ont été mis en réserve à cette fin. L'enjeu est de trouver des alliances territoriales pour permettre l'ouverture de tels endroits. Les projets en cours à Bordeaux, Marseille, Lille et Lyon ne sont pas enterrés, mais ils nécessitent la mobilisation conjointe des services de l'État, de la collectivité locale d'implantation et des acteurs locaux.

Une association malheureuse est souvent faite entre sport et alcool, ce qui entraîne des consommations à risques d'alcool aux abords des stades et en accompagnement des événements sportifs. Nous travaillons avec la Délégation interministérielle à la gestion des grands événements sportifs (Diges) pour préparer au mieux les prochaines échéances - les jeux Olympiques et la Coupe du monde de rugby -, avec des actions de prévention pour réduire les consommations à risque et la régulation des débits de boisson concernés.

Il faut aussi lutter contre l'association, qui n'est là aussi pas que positive, entre sport et jeux d'argent et de hasard. Le sponsoring du monde sportif par les opérateurs de jeux d'argent et de hasard s'est développé, pour marier l'image des grands sportifs et du sport aux paris sportifs. Ces paris peuvent certes être une pratique récréative, mais certains jeunes, qui sont un public vulnérable, en ont un usage problématique, qui peut conduire à des problèmes financiers importants, voire à des comportements de délinquance pour rembourser des dettes.

Le snus est interdit en France, mais il reste un point de vigilance. Les puffs sont un moyen pour l'industrie du tabac de toucher les jeunes. La plupart contiennent de la nicotine : l'addiction à ce produit est un point d'entrée dans le tabagisme. Il faut travailler, y compris avec vous parlementaires, afin de trouver la meilleure façon d'encadrer ces usages.

Nous n'avons pas le temps de débattre de la légalisation du cannabis. Je rappellerai la position du Gouvernement, qui n'est pas favorable à un changement de statut légal, pour des raisons principalement pragmatiques. Les objectifs d'un tel changement de statut légal seraient de réduire les consommations ou de diminuer la criminalité associée aux stupéfiants. Au terme de l'observation des expériences étrangères, même si elles ne sont pas achevées et que l'on ne peut faire qu'un point d'étape, nous considérons que les pays qui ont franchi le pas ne sont pas parvenus à réduire la consommation - au contraire, on assiste à une banalisation du produit et à une augmentation de l'usage chez les jeunes adultes. On ne constate pas non plus d'avancées significatives en termes de réduction des trafics, les trafiquants se déportant sur des produits soit plus dosés soit moins onéreux. Cette question mériterait un débat à part entière.

Nous sommes heureux d'avoir pu diffuser le guide du maire. Nous ne disposons pas d'évaluation de son impact, mais les exemplaires sont bien partis ! Cet outil sert aux maires, aux élus, mais aussi aux acteurs locaux, notamment aux préfectures.

Le protoxyde d'azote reste un sujet. Une loi a été adoptée en 2021 pour interdire la vente aux mineurs et dans un certain nombre de débits. Se pose très clairement la question des contrôles - on ne peut qu'en convenir -, mais elle se pose aussi pour faire respecter l'interdiction de vente aux mineurs d'alcool, de tabac et de jeux d'argent et de hasard.

M. Jean-Michel Delile. - En ce qui concerne les salles de consommation, dorénavant dénommées haltes soins addictions, la situation est très différente à Paris et à Strasbourg. À Paris se posent divers problèmes - flux massifs, population paupérisée et marginale très visible gênant la tranquillité publique - que l'on ne retrouve pas à Strasbourg, où la population est comparable, mais de moindre effectif.

Une des leçons que l'on peut en tirer - et nous en avions fait la proposition au ministre Véran -, c'est qu'au lieu de développer dans les villes des dispositifs importants comme à Paris, il faudrait prévoir des dispositifs de plus faible ampleur, voire mobiles, qui ont notamment été expérimentés à Barcelone, à Copenhague, et à Montréal. La loi prévoit la possibilité de mettre en place de tels dispositifs, mais, à ma connaissance, les décrets d'application n'ont pas été pris. Le travail continue à Bordeaux, à Lyon et à Marseille, malgré les difficultés liées au retentissement négatif de ce qui s'est passé à Paris.

Les problèmes d'addiction sont des problèmes mixtes : ils vont nécessairement de pair avec des problèmes psychologiques et sociaux. Il faut non pas juste mettre en place une salle de manière isolée, mais prévoir un dispositif intégré. C'est d'ailleurs le projet des haltes « soins addictions », avec l'ouverture vers une prise en charge globale.

Sur les e-cigarettes, le Haut Conseil de la santé publique a rendu un rapport au début de l'année dernière, et une revue Cochrane - des méta-analyses médicales - est disponible. Il semblerait que ces cigarettes aient une relative efficacité dans l'aide au sevrage tabagique. De nombreux usagers ne sont pas prêts à arrêter tout de suite, et la cigarette électronique permet de les aider à se dégager du tabac en douceur, dans une logique de réduction des risques, éventuellement en combinaison avec des patchs nicotiniques.

En revanche, nous sommes terrifiés par les nouveaux dispositifs, comme les puffs, inventées par le marketing, avec des couleurs flashy et des goûts ciblés sur les mineurs, qui sont un produit d'entrée dans le tabagisme. Toute mesure qui pourrait permettre de restreindre l'accès à ce type de produits sera bienvenue.

Le snus, lié à l'imagerie sportive, est moins présent dans notre pays.

En ce qui concerne le protoxyde d'azote, la loi a été d'une grande aide. Ce qui est nouveau, ce sont les complications sanitaires, neurologiques et hématologiques, très dommageables de ce produit.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Le crack est-il toujours un phénomène urbain ou sa consommation s'est-elle diffusée sur le territoire français ?

M. Jean-Michel Delile - La cocaïne « normale » se dégrade à la chaleur : on peut la sniffer, l'injecter, mais on ne peut pas la brûler. Pour que la cocaïne puisse être fumée, il faut la baser. Certains le font eux-mêmes, notamment en province : ils achètent de la cocaïne et la transforment en crack par une technique de basage, avec du bicarbonate par exemple. Le crack vendu d'emblée en tant que tel, donc sous forme de cristaux, se trouve plutôt dans les grandes villes et est consommé par des populations très marginales.

La cocaïne fumée touche aussi les populations marginales en province et dans les Caraïbes, mais pas uniquement : sa diffusion touche des populations plus larges, y compris des usagers traditionnels de la cocaïne.

Mme Colette Mélot. - Face aux nouvelles drogues - je pense au protoxyde d'azote, et à la puff électronique -, la réglementation en vigueur n'est plus suffisante. Il faut la durcir et sanctionner financièrement la vente de puffs aux mineurs.

Je crois beaucoup à la prévention au sein des services publics, implantés dans tous nos territoires, qui s'occupent des questions de jeunesse et de citoyenneté.

De plus, j'ai beaucoup apprécié l'initiative du festival Festi'Prev, qui s'est tenu à La Rochelle en mai 2022, au cours duquel le court-métrage Juste pour rire, réalisé des étudiantes de mon département, visant à alerter la jeunesse sur ces questions a remporté le prix du jury Pro.

Mme Jocelyne Guidez. - J'invite mes collègues à relire le rapport Protoxyde d'azote : un gaz tout sauf hilarant, aux séquelles neurologiques très loin d'être drôles de la Mildeca, qui est paru en septembre 2022.

Monsieur le directeur, avez-vous interrogé des personnes qui, après avoir consommé du TDH, ont été atteintes de troubles du neuro-développement ? Si tel est le cas, quels sont les résultats de votre enquête, et comment pensez-vous les accompagner ?

Mme Émilienne Poumirol. - Nous sommes d'accord : la consommation de cannabis par les jeunes de moins de 25 ans comporte des risques, en particulier sur le plan cérébral.

Vous avez évoqué le chiffre de 900 000 consommateurs habituels de cannabis... Or en Occitanie, ma région, quelque 55 % des jeunes entre 14 ans et 17 ans ont déjà essayé le cannabis, c'est fort inquiétant !

En matière de cannabis, la France est à la fois le pays le plus répressif et le plus consommateur de l'Union européenne. De quels moyens financiers disposez-vous pour vos actions de prévention ?

Aussi, je ne suis pas d'accord le propos de Mme Saintoyant sur la légalisation. Nous savons qu'au Canada, par exemple, la production et la consommation de cannabis sont contrôlées par l'État. Un tel cadre permettrait sans doute d'éviter les mélanges dangereux augmentant le taux de THC, de diminuer la consommation, et traiter les problèmes qui sont liés : l'économie souterraine, le mal-être dans les quartiers prioritaires de la ville, les trafics et les violences.

Il est temps de s'interroger sur l'opportunité de légaliser le cannabis. Le durcissement de la répression n'est pas efficace.

M. Olivier Henno. - Près d'un jeune sur cinq dans notre pays aurait des pulsions suicidaires. Cela témoigne d'un mal-être dans notre société. Comment interprétez-vous cette tendance ?

Par ailleurs, est-ce que le nombre de jeunes présentant un trouble de la bipolarité est en train d'augmenter ? Si tel est le cas, quelles en seraient les causes ?

Mme Annick Jacquemet. - Les travaux de la pédiatre Anne-Lise Ducanda mettent en évidence que la surexposition aux écrans des enfants de 0 à 6 ans entraîne des retards du développement, et des troubles du neuro-développement et de la vision.

J'ai également été sensibilisée, dans les cadres des auditions que je mène pour l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, aux risques liés à la lumière bleue pour les yeux des enfants.

Comment faudrait-il prévenir les conséquences de l'exposition des plus jeunes aux écrans numériques ? Est-ce que des mesures concrètes sont prévues dans le prochain plan national de santé publique ?

Mme Catherine Procaccia. - Je m'étonne de l'absence de recherches sérieuses sur le tabac, qui est pourtant la priorité du plan national de santé publique, sur les puffs, qui sont un nouveau mode de consommation du tabac, et sur le tabac à chauffer, qui est présenté comme moins addictif et moins dangereux pour les personnes qui ne veulent pas arrêter de fumer ? J'ai toutefois bien noté les études - vous les avez évoquées - qui portent sur les cigarettes électroniques.

Pourquoi ne lançons-nous pas d'études sérieuses sur ces sujets, en France ?

M. Jean Sol. - Mes questions s'adressent à Mme Saintoyant, qui a malheureusement dû nous quitter.

Tout d'abord, j'aurais souhaité avoir des éclairages sur le plan national de mobilisation contre les addictions, qui vient d'arriver à échéance ; j'ai cru comprendre qu'une nouvelle stratégie allait être mise en place pour les cinq prochaines années.

Ensuite, j'aurais aimé avoir un bilan des projets menés par la Mildeca, notamment dans les régions.

Enfin, j'aurais voulu avoir des informations sur les actions menées par la Mildeca, dans son domaine de compétences, contre les produits illicites qui traversent nos frontières, et qui causent de multiples dégâts.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Monsieur Sol, si nous n'avons pas les réponses à vos questions, nous interrogerons la Mildeca par écrit.

M. Julien Morel d'Arleux. - L'Observatoire européen des drogues et des toxicomanies, l'OEDT, a publié à l'automne dernier un rapport sur l'étendue de la consommation de protoxyde d'azote à l'échelle de l'Union européenne.

Les données présentées permettent de comparer les législations en vigueur dans différents pays : aux Pays-Bas et au Danemark, où les jeunes sont particulièrement touchés par ce phénomène, les dispositifs législatifs se sont adaptés au fur et à mesure des modifications des méthodes de diffusion du protoxyde d'azote.

Nous publierons, en mars prochain, une synthèse des dernières données disponibles relatives aux usages de la cocaïne dans notre pays. Le nombre d'usagers de cocaïne fumée pris en charge dans les centres de soins, d'accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA) a fortement augmenté au cours des cinq dernières années.

Nous n'avons que très peu d'exemples de marchés structurés de produits de crack en dehors de Paris, même s'il existe des points de vigilance dans certaines régions. À cet égard, nous avons réalisé, à la demande de l'agence régionale de santé des Pays de la Loire, une enquête sur les publics les plus précaires, au cours duquel nous avons interrogé plus d'une soixantaine de professionnels et d'usagers, hors de la métropole nantaise ; nous en rendrons les résultats publics à la fin du mois de février.

En ce qui concerne la légalisation du cannabis, nous cherchons à comprendre les cadres réglementaires mis en oeuvre à l'étranger. Depuis 2019, grâce au fonds de lutte contre les addictions liées aux substances psychoactives, nous menons le projet pour une analyse stratégique des politiques de régulation du cannabis, dit Astracan, qui vise à mesurer les modèles de légalisation ou de régulation en vigueur au Canada et aux États-Unis ; les résultats seront disponibles au printemps 2023.

Lorsque des phénomènes marketing apparaissent rapidement, comme le puff et le snuff, notre analyse est en décalage, car nous devons comparer les résultats dans le temps. C'est pourquoi, dans notre enquête sur la santé et les consommations lors de la journée d'appel et de préparation à la défense (enquête Escapad) de 2017, nous n'avons pas pu traiter le sujet du protoxyde d'azote, car il venait d'apparaître.

Les résultats de l'enquête que nous avons menée en milieu scolaire en 2020 ont montré que 5,5 % des élèves de troisième ont déjà expérimenté le protoxyde d'azote. Une nouvelle enquête sera menée en 2022 pour comparer les données avec celles de 2021.

Le protoxyde d'azote est diffusé parmi 10 % des jeunes : même s'il n'atteint pas le niveau de diffusion du tabac au début des années 2000, il ne faut surtout pas minimiser les risques liés à sa consommation. Nous devons suivre ces phénomènes qui apparaissent et disparaissent, car les jeunes y sont très réactifs.

Par ailleurs, les jeunes ne savent pas ce qu'ils inhalent en consommant des cigarettes de type puff ; l'enjeu est donc de prévenir l'addiction à la nicotine.

Enfin, l'enquête Escapad, menée auprès de 24 000 jeunes, qui passent la Journée défense et citoyenneté (JDC), montre que certains d'entre eux ont un trouble de l'attention.

Dr Jean-Michel Delile. - Les principaux acteurs de la prévention sont les jeunes, car les messages qu'ils portent sont plus acceptables par d'autres jeunes. Or, justement, les jeunes ayant consommé du cannabis dans les années 1990 ont pu constater les dégâts de cette drogue, et prendre conscience du danger qu'elle représente. J'espère que les jeunes d'aujourd'hui se rendront également compte que la consommation de protoxyde d'azote n'est pas anodine, et qu'ils développeront ainsi des messages de préventions - nous pourrons les relayer de notre côté.

Cependant, nos moyens actuels ne sont pas suffisants. Les actions de prévention sont financées à l'année, ce qui crée une insécurité, chaque année sur leur renouvellement.

Parmi les troubles neuro-développementaux, le trouble du déficit de l'attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) peut favoriser un comportement addictif au moment de l'adolescence. Aussi, il est nécessaire de décloisonner les filières de santé mentale, de pédopsychiatrie et d'addictologie. Le repérage précoce et le traitement du TDAH peuvent réduire le risque d'addiction chez un patient.

Toutefois, ce repérage n'est pas toujours bien fait, il y a beaucoup de travail. En effet, mes consultations pour les jeunes consommateurs sont insuffisantes et il faut que nos équipes apprennent à repérer les cas.

La Fédération Addiction est, de longue date, favorable à une dépénalisation de l'usage du cannabis, ce qui n'empêche pas qu'il faille l'interdire pour les mineurs, au travail, au volant, etc. Au fond, l'interdiction du cannabis doit se fonder sur des critères rationnels. Aux États-Unis, la législation varie d'un État à l'autre, ce qui permet de comparer les différentes formes de légalisation. La légalisation contrôlée, en vigueur dans certains États de l'est des États-Unis, au Canada et au Québec, semble la plus intéressante, car elle a des effets sur le plan économique et social, sans causer d'importants dommages sur la santé publique.

Pour l'heure, nous avons proposé à l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), dans le cadre de l'expérimentation relative à l'usage médical du cannabis, qui vient d'être prolongée, d'étendre l'indication du cannabis thérapeutique aux adultes dépendants, pour éviter qu'ils ne retombent dans le trafic de drogue. Il pourrait en effet être intéressant de les intégrer à un circuit médical, tout en élargissant le circuit de distribution du cannabis thérapeutique, qui vient d'être mis en place.

Par ailleurs, la présence de substances psychoactives - l'alcool, le cannabis et la cocaïne - a été mise en avant dans le cas de violences conjugales. Nous essayons de faire en sorte que les CSAPA soient associés aux actions de la lutte contre les violences intrafamiliales, afin qu'ils puissent accompagner les auteurs d'infraction, et ainsi éviter la récidive, mais également les victimes, qui peuvent aussi être sous l'emprise de substances.

Le problème des pensées suicidaires s'est accentué au moment du confinement, ce qui s'explique par l'isolement : l'adolescence est le moment où l'on a le plus besoin du regard des autres, que la pandémie a brutalement éloigné. Nombre d'enquêtes ont montré que la deuxième préoccupation des adolescents, après la survie de leurs parents, était de ne pas voir leurs amis.

Enfin, le TDAH est un facteur de risque pour l'addiction, mais les écrans sont également un facteur de risque pour le TDAH... Je ne sais pas ce qui sera écrit dans le plan national, mais un effort d'éducation et de mobilisation des parents est nécessaire, car entre 0 et 6 ans les enfants dépendent encore de leurs parents. Les situations les plus problématiques se situent sans doute dans les familles en difficulté, ce qui rend indispensables des mesures qui les soutiennent.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Quel regard portez-vous sur les rave-parties ? Toutes les communes sont confrontées à ce problème...

M. Julien Morel d'Arleux. - Nous observons depuis plus de vingt ans, dans notre étude sur les tendances récentes et nouvelles drogues (Trend), ce qu'on appelle l'espace festif électronique, qui inclut notamment les free parties, et les rave-parties ou assimilées.

Nous allons publier, la semaine prochaine, la synthèse des résultats de l'année 2021 et du début de l'année 2022, qui comprendra un focus sur leur reprise après les périodes de confinements.

Pendant le confinement, il y a eu moins de rave-parties en raison des restrictions de circulation et du couvre-feu, mais le mouvement existe toujours. Nous continuons de les observer, car ce sont des lieux de diffusion et de consommation de produits stupéfiants, mais où des associations de réduction des risques interviennent également. Enfin, nous sommes attentifs à la diffusion de nouveaux produits, tels que les cathinones de synthèse, et la 3-MMC, qui désigne la 3-méthylméthcathinone.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Je vous remercie.

La réunion est close à 11 h 55

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.