- Mercredi 18 janvier 2023
- Conférence interparlementaire sur la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) et la politique de sécurité et de défense commune (PSDC) - Désignation de représentants
- Proposition de résolution européenne visant à prendre des mesures appropriées contre les atteintes aux droits fondamentaux commises en Iran - Désignation d'un rapporteur
- Projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la Principauté d'Andorre relatif à l'exercice des activités professionnelles des membres de la famille du personnel diplomatique, consulaire, technique et administratif des missions officielles - Examen du rapport et du texte de la commission
- Projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République d'Ouzbékistan relatif aux transports routiers internationaux de voyageurs et de marchandises et de l'accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République tunisienne sur le transport international routier de personnes - Examen du rapport et du texte de la commission
- Projet de loi autorisant l'approbation de l'amendement de la convention relative à la collecte, au dépôt et à la réception des déchets survenant en navigation rhénane et intérieure et de son règlement d'application, partie B, par des dispositions concernant le traitement de résidus gazeux de cargaison liquide (vapeurs), issu de la résolution CDNI-2017-I-4, adoptée le 22 juin 2017 - Examen du rapport et du texte de la commission
- Projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord relatif à la coopération sur les questions de sûreté maritime et portuaire s'agissant spécifiquement des navires à passagers dans la Manche - Examen du rapport et du texte de la commission
- Réunion commune avec la commission de la défense nationale et des affaires étrangères du Parlement grec
- Justice et affaires intérieures - Enjeux juridiques en matière de politique étrangère et de sécurité commune (PESC) d'une adhésion de l'Union européenne (UE) à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CESDH) - Communication
Mercredi 18 janvier 2023
- Présidence de M. Christian Cambon, président -
La réunion est ouverte à 10 h 15.
Conférence interparlementaire sur la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) et la politique de sécurité et de défense commune (PSDC) - Désignation de représentants
M. Christian Cambon, président. - La Conférence interparlementaire sur la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) et la politique de sécurité et de défense commune (PSDC) se tiendra à Stockholm les 2 et 3 mars prochain. La délégation du Sénat français est composée de trois sénateurs issus de notre commission.
La commission désigne M. Joël Guerriau, chef de délégation, ainsi que MM. Ronan Le Gleut et Rachid Temal membres de la délégation du Sénat à la Conférence interparlementaire sur la PESC-PSDC.
Proposition de résolution européenne visant à prendre des mesures appropriées contre les atteintes aux droits fondamentaux commises en Iran - Désignation d'un rapporteur
M. Christian Cambon, président. - La commission des affaires européennes s'est saisie de la proposition de résolution européenne (PPRE), déposée par notre collègue Nathalie Goulet, visant à prendre des mesures appropriées contre les atteintes aux droits fondamentaux commises en Iran. En vue de son examen au début du mois de février prochain, elle a désigné notre collègue Pascal Allizard en qualité de rapporteur.
Cette proposition de résolution invite la France et l'Europe à prendre de nouvelles sanctions, économiques et politiques, à l'égard de l'Iran. Compte tenu de la compétence de notre commission en matière d'affaires étrangères, ce texte devrait donc nous être renvoyé à l'issue de son adoption par la commission des affaires européennes début février. Il nous appartiendra alors de nous saisir de ce texte et de désigner un rapporteur.
Je vous proposerai, le moment venu, que Pascal Allizard soit également désigné, après l'adoption de la PPRE par la commission des affaires européennes, rapporteur de notre commission. Il a déjà commencé ses travaux et pourra donc en faire bénéficier notre commission.
M. Pierre Laurent. - Il est important de prendre des initiatives sur ce sujet. Mais, en plus du projet de Mme Goulet, le groupe RDPI a déposé un autre texte. Comment s'organise-t-on, alors que ces deux projets sont soumis à tous les groupes politiques et expriment des positions très différentes sur des points sensibles ?
M. Christian Cambon, président. - Depuis quelque temps, nous observons une propension à déposer des résolutions. Or les résolutions sont fortes lorsqu'elles sont rares. La proposition de résolution européenne de Mme Goulet relève de la commission des affaires européennes, saisie au fond. Chaque sénateur dispose d'un droit imprescriptible de proposer une résolution, mais l'accumulation pose problème. La multiplication des résolutions annule leur effet, voire obtient un résultat contraire à celui qui est espéré.
M. François Patriat. - Une conférence des présidents se réunira ce soir. Notre résolution reprend celle qui a été votée, à une large majorité, à l'Assemblée nationale ; elle ne vient pas ex nihilo. Cela dit, elle présente des divergences avec celle de Mme Goulet : une synthèse des deux n'est pas possible.
M. Pascal Allizard. - La semaine prochaine, je procéderai à six auditions pour la commission des affaires européennes. Si les deux propositions de résolution prospèrent, il faudra étudier les deux. Il y a des divergences importantes entre les deux textes, sur l'autorité de contrôle du nucléaire notamment. Nous allons essayer d'adopter la position la plus utile diplomatiquement.
M. André Gattolin. - Il est étrange que la commission des affaires européennes et la commission des affaires étrangères choisissent un même rapporteur. Le renvoi à la commission au fond se justifie par une analyse du sujet. Le problème a pu être résolu par le passé par le biais d'auditions communes, notamment de la commission de la culture et de celle des affaires européennes. Quelle est la ligne directrice de notre commission ? Choisir un même rapporteur fait gagner du temps, mais je me demande si c'est bénéfique pour l'examen du sujet...
M. Christian Cambon, président. - Au contraire : pour un sujet si sensible, il est plus rapide et plus efficace d'avoir un seul rapporteur.
M. André Gattolin. - Cette procédure est-elle conforme à notre réglementation ?
M. Christian Cambon, président. - Oui sur le fond. Si certains veulent que la France sorte de l'accord de Vienne sur le nucléaire iranien (JCPoA), ce dont je doute, il faudra évidemment que notre commission exprime fortement sa position sur le sujet...
Projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la Principauté d'Andorre relatif à l'exercice des activités professionnelles des membres de la famille du personnel diplomatique, consulaire, technique et administratif des missions officielles - Examen du rapport et du texte de la commission
M. Christian Cambon, président. - Nous examinons le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Principauté d'Andorre relatif à l'exercice des activités professionnelles des membres de la famille du personnel diplomatique, consulaire, technique et administratif des missions officielles, sur le rapport de notre collègue Ronan Le Gleut.
M. Ronan Le Gleut, rapporteur. - Depuis 2018, notre commission a examiné huit projets de loi autorisant l'approbation d'accords similaires, conclus avec cinq pays européens, huit pays d'Amérique, trois États africains et un pays d'Asie.
La volonté de favoriser la mobilité géographique de ses agents a conduit le ministère de l'Europe et des affaires étrangères à moderniser le cadre d'expatriation et à tenir compte, notamment, du souhait croissant des familles de ses personnels, en particulier les conjoints et les partenaires de pacte civil de solidarité (PACS), d'occuper un emploi dans le pays d'affectation. En effet, la possibilité de poursuivre sa carrière professionnelle est un critère de plus en plus déterminant dans la décision d'expatriation.
À cet égard, des facilités existent au sein de l'Espace économique européen, qui regroupe trente États, en vertu du principe de libre circulation des travailleurs. Ce n'est pas le cas dans la plupart des pays situés hors des frontières de l'Union européenne.
Le Quai d'Orsay a donc entamé, en 2015, des négociations visant à tripler le nombre de conventions bilatérales permettant aux conjoints des agents en mission officielle à l'étranger d'avoir accès au marché du travail local, sans préjudice de leur statut diplomatique ou consulaire et de certaines immunités qui leur sont accordées. L'activité professionnelle rémunérée peut être exercée au sein d'une entreprise privée, ou bien au sein d'une structure française sous tutelle du ministère - ambassade, consulat, Institut français, Alliance française, établissement scolaire relevant de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE).
Au total, 3 000 familles d'agents publics pourraient bénéficier du dispositif, essentiellement des conjoints de fonctionnaires du Quai d'Orsay, auxquels s'ajoutent les conjoints d'agents issus d'autres administrations, telles que le ministère des armées ou encore le ministère chargé de l'économie et des finances.
Cet accord résulte de négociations engagées à la demande de la partie andorrane. Il a pour objet d'autoriser, sur la base de la réciprocité, les membres de la famille du personnel diplomatique, consulaire, technique et administratif des missions officielles à occuper un emploi pendant toute la durée d'affectation dudit personnel sur le territoire de l'autre partie. Cela participera à une meilleure conciliation de leur vie privée et de leur vie professionnelle.
L'accord s'appliquera, en premier lieu, au conjoint de l'agent ou à son partenaire de PACS ayant obtenu un titre de séjour spécial délivré par le protocole du pays d'accueil. L'Andorre reconnaît les unions civiles entre personnes du même sexe. L'accord concernera également les enfants célibataires vivant à la charge de leurs parents, âgés de moins de 21 ans ou présentant un handicap physique ou mental.
La procédure de demande d'autorisation de travail est détaillée dans l'accord. Toute demande doit être transmise par la mission officielle au ministère des affaires étrangères de l'autre partie. Une nouvelle demande doit être établie en cas de changement d'activité professionnelle ou d'employeur. Bien entendu, les bénéficiaires d'une autorisation de travail doivent se conformer à la législation sociale de l'État d'accueil, y compris lorsqu'ils exercent une profession réglementée. Il leur est interdit de poursuivre l'exercice de leur emploi après la fin de la mission officielle de l'agent de leur famille, ou lorsqu'ils cessent d'avoir la qualité de membre de la famille.
Enfin, les immunités de juridiction civile, administrative et d'exécution cessent de s'appliquer aux personnes concernées dans le cadre de leur nouvelle activité professionnelle, à la différence de l'immunité de juridiction pénale qui, en cas de délit grave commis dans le cadre de l'emploi salarié, pourra toutefois faire l'objet d'une demande de renonciation écrite par l'État accréditaire. L'octroi de ces immunités est très important, en ce qu'elles protègent nos diplomates de toute pression qui pourrait être exercée sur eux par l'entremise de leur famille, en particulier dans un pays sensible.
Cet accord répond à une volonté de notre diplomatie d'améliorer la qualité de vie des familles de leurs agents en mission. Il permettra principalement à leurs conjoints de mieux s'insérer dans le pays d'affectation et de poursuivre ou de diversifier leur parcours professionnel, en exerçant une activité rémunérée.
La portée de cet accord est certes limitée, compte tenu du nombre restreint d'agents affectés auprès des postes diplomatiques français et andorran. Néanmoins, eu égard aux difficultés d'attractivité que rencontre notre ambassade sur place, pénalisée par le coût élevé de l'immobilier et par une indemnité d'expatriation peu incitative, il est important de permettre aux conjoints des agents d'occuper un emploi salarié. La Principauté d'Andorre offre des conditions d'emploi similaires à celles que nous connaissons en France. Cependant, la connaissance du catalan ou de l'espagnol peut constituer un frein à l'accès au marché du travail local. En outre, l'Andorre ne propose aucun dispositif d'assurance chômage en cas de perte d'emploi.
Bien que le nombre de personnes concernées soit modeste, ce type d'accords est important pour nos concitoyens expatriés, car leurs partenaires ou conjoints interrompent leur carrière pour les accompagner à l'étranger. Ces instruments, juridiquement contraignants, leur permettent de poursuivre leur vie professionnelle et d'apporter des compétences nouvelles aux pays d'accueil ; il est donc essentiel d'élargir le tissu conventionnel à l'ensemble des pays où notre diplomatie est présente.
En conséquence, je préconise l'adoption de ce projet de loi. Son examen en séance publique est prévu le mercredi 25 janvier, selon la procédure simplifiée.
Mme Gisèle Jourda. - En Andorre, on parle plutôt l'andorran que le catalan.
M. Ronan Le Gleut, rapporteur. - Dont acte.
Suivant l'avis du rapporteur, la commission a adopté, à l'unanimité, le rapport et le projet de loi précité.
Projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République d'Ouzbékistan relatif aux transports routiers internationaux de voyageurs et de marchandises et de l'accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République tunisienne sur le transport international routier de personnes - Examen du rapport et du texte de la commission
M. Christian Cambon, président. - Nous examinons maintenant le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République d'Ouzbékistan relatif aux transports routiers internationaux de voyageurs et de marchandises et de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République tunisienne sur le transport international routier de personnes, sur le rapport de notre collègue Isabelle Raimond-Pavero, excusée.
M. Ronan Le Gleut, en remplacement de Mme Isabelle Raimond-Pavero, rapporteur. - Les transporteurs établis au sein de l'Union européenne peuvent organiser du transport occasionnel de personnes sans aucune limite, ainsi que des opérations de transport international de marchandises. Pour les transporteurs établis dans un État tiers, les règles d'accès au marché peuvent être fixées soit au niveau communautaire, soit au travers d'accords bilatéraux : c'est précisément l'objet des deux textes que nous examinons ce matin.
En effet, ces accords visent à permettre la réalisation d'opérations de transport routier entre les deux pays signataires, sur la base de la réciprocité, et à fixer les règles d'accès au marché ainsi que les conditions de leur respect.
Dans le domaine du transport de marchandises, il existe un contingent multilatéral d'autorisations de transport routier lourd dites « autorisations CEMT » (Conférence européenne des ministres des transports), auquel la France est partie aux côtés de quarante-deux autres pays, majoritairement des États membres de l'Union européenne. Ce contingent ne présente d'intérêt que pour les pays tiers dans la mesure où le transport international est libéralisé au sein du marché intérieur. Cependant, ni l'Ouzbékistan ni la Tunisie ne sont parties au CEMT.
L'accord conclu avec l'Ouzbékistan concerne à la fois le transport de personnes et le transport de marchandises. Cet État d'Asie centrale présente la particularité d'être l'un des deux seuls pays doublement enclavés avec le Liechtenstein ; ainsi, les Ouzbeks doivent traverser au moins deux frontières internationales pour atteindre un littoral. Le pays s'est donc lancé dans une stratégie de désenclavement et de connectivité : cet accord, conclu sur son initiative, s'inscrit dans cette politique.
L'Ouzbékistan considère que, en l'absence d'instrument bilatéral, le transport ne peut être assuré que par des entreprises de pays tiers, autorisées à circuler à la fois en France et en Ouzbékistan. Par conséquent, cet accord est de nature à favoriser les intérêts des sociétés de transport françaises et ouzbèkes. La France a conclu des accords bilatéraux avec les États voisins de l'Ouzbékistan qu'il faut traverser pour accéder au territoire ouzbek.
Notre commerce bilatéral reste modeste, mais nos exportations vers l'Ouzbékistan connaissent une progression continue depuis 2018 ; notre balance commerciale est d'ailleurs excédentaire avec ce pays. S'agissant du transport de marchandises, aucun contingent n'a été évalué à ce stade ; le nombre d'autorisations à échanger sera fixé ultérieurement, d'un commun accord entre les parties.
En ce qui concerne le volet voyageurs, il n'existe à ce jour aucune ligne routière entre nos territoires respectifs compte tenu de notre éloignement géographique. En outre, aucun transporteur n'a manifesté son intérêt pour l'exploitation d'une telle ligne.
J'en viens à présent à l'accord franco-tunisien. Son objet est circonscrit au transport de personnes, nos deux pays étant déjà liés par un accord sur les transports routiers de marchandises, signé en 1983. Celui-ci bénéficie essentiellement aux transporteurs français, à tel point qu'un relèvement du nombre d'autorisations a été sollicité par nos entreprises du secteur.
Le texte qui nous est soumis a été conclu sur l'initiative de la Tunisie, qui souhaite favoriser le développement et la régulation du transport occasionnel de groupes à des fins touristiques, et fixer le principe de réciprocité visant à faire valoir ses intérêts dans ce secteur d'activité. Toutefois, il n'existe pour le moment aucune ligne de transport routier de voyageurs entre la France et la Tunisie.
Cet accord constitue le seul cadre juridique permettant l'accès par les entreprises françaises ou tunisiennes au marché de transport routier entre les deux pays. Il permettra la mise en place de lignes de transport de personnes grâce à des partenariats qui seront passés entre nos entreprises, suivant la demande pour ce type de services, l'offre de transport maritime disponible et la durée du trajet. Actuellement, le transport aérien reste le moyen de transport le plus rapide pour se rendre d'une rive à l'autre de la Méditerranée.
Ces deux accords bilatéraux pourraient ouvrir de nouveaux marchés pour nos sociétés de transport, mais il reste à en définir les modalités précises, notamment les contingents d'autorisations bilatérales. La portée de ces textes, dont la signature a été sollicitée par l'Ouzbékistan et la Tunisie, paraît davantage politique qu'économique : ils témoignent d'une volonté de resserrer nos liens et d'intensifier nos échanges.
En conséquence, je préconise l'adoption de ce projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale le 17 février 2022. Son examen en séance publique au Sénat est prévu le mercredi 25 janvier, selon la procédure d'examen simplifié.
Suivant l'avis du rapporteur, la commission a adopté, à l'unanimité, le rapport et le projet de loi précité.
Projet de loi autorisant l'approbation de l'amendement de la convention relative à la collecte, au dépôt et à la réception des déchets survenant en navigation rhénane et intérieure et de son règlement d'application, partie B, par des dispositions concernant le traitement de résidus gazeux de cargaison liquide (vapeurs), issu de la résolution CDNI-2017-I-4, adoptée le 22 juin 2017 - Examen du rapport et du texte de la commission
M. Christian Cambon, président. - Nous examinons maintenant le projet de loi autorisant l'approbation de l'amendement de la convention relative à la collecte, au dépôt et à la réception des déchets survenant en navigation rhénane et intérieure et de son règlement d'application, partie B, par des dispositions concernant le traitement de résidus gazeux de cargaison liquide (vapeurs), issu de la résolution CDNI-2017-I-4, adoptée le 22 juin 2017, sur le rapport de notre collègue Ludovic Haye.
M. Ludovic Haye, rapporteur. - Sous ce titre un peu abscons, il s'agit simplement de compléter la convention relative à la collecte, au dépôt et à la réception des déchets survenant en navigation rhénane et intérieure (CDNI).
La CDNI a été signée à Strasbourg, le 9 septembre 1996, par l'Allemagne, la Belgique, la France, le Luxembourg, les Pays-Bas et la Suisse. Au terme des ratifications par tous les États signataires, elle n'est entrée en vigueur que le 1er novembre 2009. Le siège des différents organes de la convention est établi à Strasbourg. Le secrétariat de la CDNI est confié au secrétariat de la Commission centrale pour la navigation du Rhin (CCNR).
Elle s'applique à l'ensemble du Rhin et à toutes les voies de navigation intérieure en Allemagne, aux Pays-Bas et en Belgique, mais aussi à la Moselle et au Luxembourg. En France, sont concernés, outre le Rhin, la Moselle, la Meuse et les canaux du Nord.
Elle a pour objet d'encadrer la gestion et le traitement des déchets produits par la navigation rhénane. Elle interdit le déversement des déchets solides et liquides dans les eaux navigables, mais ne s'appliquait pas, jusqu'ici, aux rejets de vapeur. C'est là l'objet du présent amendement.
La convention s'articule en trois parties relatives aux obligations de collecte et de traitement des déchets, classés selon trois catégories : déchets huileux ou graisseux (partie A), résidus de cargaison (partie B) ou déchets ménagers (partie C).
L'ensemble de la convention repose sur le principe « pollueur-payeur » : elle définit explicitement que les coûts de nettoyage sont à la charge du destinataire de la cargaison pour les cargaisons sèches et à l'affréteur pour les cargaisons liquides. Elle décrit également les procédures et les modalités du contrôle de leur respect par les pouvoirs publics des parties contractantes.
La convention a fait l'objet de plusieurs adaptations par la conférence des parties contractantes, afin de prendre en considération les récentes évolutions dans les domaines de la protection de l'environnement et des eaux, ainsi que pour améliorer l'applicabilité des dispositions dans la pratique.
Mais, en juin 2017, la conférence des parties contractantes a adopté, pour la première fois depuis sa signature en 1996, une résolution portant modification de la convention. Il s'agissait de compléter la partie B de la convention (résidus de cargaison) par des dispositions relatives au traitement des résidus gazeux, avancée significative pour la protection de l'environnement.
Jusque-là, la partie B de la convention ne définissait les obligations de prise en charge des déchets de cargaison et de remise en état des cales qu'en ce qui concernait les résidus de cargaison laissés par les opérations de déchargement, les eaux de lavage des cales et des citernes et les boues de résidus de cargaison s'accumulant au fond des citernes et dans les compartiments des bateaux.
Certes, des textes européens ou internationaux encadrent en partie la gestion des vapeurs des cargaisons en navigation intérieure, mais ils sont spécifiques à certains types de substances et ne mettent pas en place des règles communes de gestion de ces déchets ou de répartition de responsabilités des acteurs de la chaîne logistique.
Après le déchargement d'un bâtiment, une partie de la cargaison subsiste dans la citerne sous forme de vapeurs. Ces vapeurs, appartenant au propriétaire de la cargaison, doivent être évacuées afin que la citerne soit suffisamment propre pour le transport d'une cargaison suivante. Or, jusqu'à présent, ces dégazages sont le plus souvent effectués à l'air libre, ce qui entraîne une pollution de l'eau dans laquelle ils finissent par retomber. De plus, l'évacuation de ces vapeurs s'effectue souvent en très peu de temps, sur une zone restreinte, entraînant des pics élevés dans l'atmosphère à des endroits ponctuels, la plupart du temps dans les zones portuaires.
Des mesures ont été effectuées dans le port de Rotterdam, qui abrite de nombreuses industries et qui constitue à ce titre une zone particulièrement exposée à ce type de pollution. Les études ont montré que non seulement les concentrations de fond en vapeurs toxiques y sont davantage mesurées, mais aussi que des pics de charge dans l'atmosphère sont observés à chaque dégazage à l'air libre.
Ces analyses démontrent que ce type de dégazage de vapeurs organiques et toxiques est une menace directe pour l'environnement et pour la santé publique de la population qui habite les zones du bassin du Rhin présentant des concentrations d'industries pétrochimiques importantes.
Comme aucune réglementation internationale n'interdit à ce jour la libération de vapeurs dans l'atmosphère pour la navigation intérieure, des réglementations locales ont été introduites, notamment par les Pays-Bas. Des autorités locales ont interdit les dégazages à l'air libre, mais en se limitant à leurs propres voies d'eau. Cette réglementation fragmentée peut aboutir à un « tourisme de déchets » : certains conducteurs peuvent être tentés d'atteindre une zone où le dégazage dans l'atmosphère n'est pas interdit pour y ventiler leur navire.
L'intégration dans la convention d'une interdiction de dégazage de façon uniforme, en couvrant la majeure partie de la navigation internationale en Europe, évitera les comportements de ce type et garantira une meilleure protection de l'environnement et de la santé publique des riverains.
C'est donc à l'initiative des Pays-Bas, principal usager de la navigation rhénane, que cet amendement a été adopté par le CDNI.
L'étude d'impact réalisée par la CDNI indique que cette interdiction préviendrait 95% des dégazages nocifs à l'air libre.
Cette avancée serait obtenue par deux moyens : d'une part, les dégazages seraient effectués dans une station de réception des vapeurs ; d'autre part, plus de 60 % des dégazages seraient évités grâce à des solutions logistiques, notamment en faisant s'enchaîner des cargaisons identiques ou parfaitement compatibles entre elles. En effet, le dégazage n'est nécessaire que lorsque la cargaison suivante est incompatible et que le bateau doit être nettoyé.
Le coût d'un dégazage à la réception est, pour l'affréteur, de 6 000 euros en moyenne. Il est donc raisonnable de penser que les affréteurs veilleront à limiter le nombre de dégazages nécessaires et s'attacheront à transporter davantage de matières compatibles ou exclusives.
Des stations de dégazage mobiles ou fixes existent déjà, mais de nouvelles, dont le nombre est difficile à estimer, devront être créées. La résolution prévoit que, si les pouvoirs publics doivent faciliter ou soutenir leur développement, ces infrastructures seront créées par les acteurs privés du secteur.
C'est pour laisser le temps aux différents acteurs d'adapter leur organisation et de créer les stations nécessaires que l'interdiction des dégazages à l'air libre sera introduite de manière progressive. Trois phases sont prévues, en fonction des matières concernées, avec des délais de respectivement six mois, deux ans et trois ans à compter de la ratification de l'amendement.
C'est au terme de la troisième phase que le seuil de 95 % de réduction d'émissions de vapeurs nocives dans l'atmosphère devrait être atteint. Une évaluation est prévue à chaque étape.
Pour diverses raisons, l'entrée en vigueur de cet amendement aura peu de conséquences pour la France. D'abord, sur les 300 millions de tonnes de marchandises transportées annuellement sur le réseau rhénan, seuls 11 millions de tonnes le sont sur les parties françaises. Ensuite, le transport de cargaison liquide sur le territoire français est très majoritairement constitué de transport exclusif ou compatible, non soumis aux obligations de dégazage. Hors des frontières, les entreprises françaises sont peu présentes sur le marché des cargaisons liquides, donc peu exposées aux coûts supplémentaires de la mise en oeuvre de l'amendement.
En conséquence, je préconise l'adoption de ce projet de loi, dont le Sénat est saisi en premier. Son examen est prévu en séance publique le mercredi 25 janvier 2023, selon la procédure simplifiée, ce à quoi la conférence des présidents, de même que votre rapporteur, a souscrit.
M. Christian Cambon, président. - Merci. C'est un texte important pour la protection de l'environnement.
Suivant l'avis du rapporteur, la commission a adopté, à l'unanimité, le rapport et le projet de loi précité.
Projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord relatif à la coopération sur les questions de sûreté maritime et portuaire s'agissant spécifiquement des navires à passagers dans la Manche - Examen du rapport et du texte de la commission
M. Christian Cambon, président. - Nous examinons maintenant le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord relatif à la coopération sur les questions de sûreté maritime et portuaire s'agissant spécifiquement des navires à passagers dans la Manche, sur le rapport de notre collègue Pascal Allizard.
M. Pascal Allizard, rapporteur. - Ce texte s'inscrit dans le cadre de la lutte contre la menace terroriste, qui a touché de plein fouet nos deux pays depuis 2015. Au Royaume-Uni, plus de seize attentats ont endeuillé le pays et huit ont été déjoués. En France, nous avons connu depuis 2015 une série d'attentats abjects, que je ne vais pas rappeler ici. D'après les chiffres communiqués par la direction générale de la sécurité intérieure, ils ont causé la mort de 271 personnes et fait près de 1 200 blessés ; 70 attentats auraient été déjoués depuis 2012.
Sauf pendant la crise sanitaire, près de 15 millions de passagers traversent la Manche chaque année. Ce nombre risque de s'accroître encore lors de la Coupe du monde de rugby de 2023 et des jeux Olympiques de Paris de 2024.
Évidemment, lors de ces traversées, les navires sont particulièrement isolés, et, bien qu'heureusement aucune tentative d'attentat n'ait été à déplorer à ce jour, la sécurité des passagers doit être garantie, surtout dans le contexte actuel d'actes terroristes de personnes isolées, n'utilisant pas nécessairement des armes sophistiquées.
Ce texte ne vise que les actions terroristes, qu'il définit comme « des actes illicites » pouvant « mettre en danger la vie ou l'intégrité physique des personnes, ainsi que la sécurité de la navigation, entraver fortement l'exploitation des services maritimes et porter atteinte à la confiance de la population dans la sécurité de la navigation maritime. » Il est donc totalement indépendant des questions d'immigration clandestine vers le Royaume-Uni, lesquelles sont réglées par d'autres accords bilatéraux.
Afin de lutter contre la menace terroriste à bord des navires de passagers traversant la Manche, la France a conclu avec le Royaume-Uni, en décembre 2016, un arrangement technique qui préfigure le présent accord. Jusque-là, la France autorisait, depuis le mois d'avril 2016, le déploiement d'agents français armés à bord des navires à passagers battant pavillon français. Mais en l'absence d'accord avec le Royaume-Uni, ces agents devaient cesser leur mission dans les eaux sous souveraineté britannique.
L'arrangement technique de décembre 2016 a permis aux agents français de poursuivre leur mission durant la totalité de la traversée. Cet arrangement n'a été conçu que pour être provisoire : il est prorogé chaque année et pourrait être reconduit jusqu'en juin 2023.
De plus, il comporte un certain nombre de lacunes. En particulier, il n'encadre que le déploiement d'agents français, et rien n'est prévu pour assurer la protection juridique de ces agents.
Une solution pérenne devait être trouvée. Des négociations ont débuté à l'initiative de la partie française, dès l'été 2017. Le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) a mené les travaux pour la France.
Si un premier texte a été proposé aux autorités britanniques dès l'été 2019, la crise sanitaire a ralenti les négociations bilatérales et l'accord n'a finalement été signé que le 26 juillet 2021 par les ministres des affaires étrangères, à Paris.
Cet accord apporte des avancées significatives en structurant la coopération bilatérale franco-britannique en matière de sûreté maritime et portuaire. D'abord, il met en place un partage d'informations afin d'évaluer la menace. Une réunion annuelle des autorités compétentes est prévue. Lorsque la menace est imminente, l'échange d'informations doit s'effectuer « dans les meilleurs délais possibles » et « en utilisant les procédures opérationnelles établies en vigueur ». Des exercices et des formations conjoints sont également prévus.
Ensuite, et surtout, il permet le déploiement d'agents privés et d'agents des deux États sur les navires à passagers battant son pavillon. Il faut distinguer le cas des agents privés de celui des agents étatiques. Si leur mission - « contribuer à la sécurité des passagers et de l'équipage » - est identique, les modalités d'exercice de leur mission sont différentes. L'intervention des agents privés est davantage encadrée. Le droit britannique interdisant aux agents privés d'être armés, l'accord prévoit que seuls des agents privés non armés pourront être déployés à bord des navires battant pavillon de l'un ou de l'autre État. Ils devront porter un uniforme distinct de celui des agents de l'État.
De plus, ne disposant pas de pouvoirs de police administrative, ils ne peuvent pas effectuer de fouilles et ne sont autorisés à employer la force que dans le cadre de la légitime défense. Enfin, le recours à ces agents privés étant à la charge des compagnies maritimes, il est peu probable qu'elles y aient régulièrement recours, comme nous l'ont fait savoir les compagnies Britanny Ferries et DFDS lors de leurs auditions. Depuis l'entrée en vigueur de l'arrangement technique, aucune compagnie privée de protection n'a d'ailleurs été employée. Toutefois, leur présence à bord pourrait agir comme un moyen de dissuasion visible. Les agents privés sont utilisés à terre pour l'embarquement et le débarquement.
L'intervention des agents étatiques consiste en des équipes de protection des navires à passagers (Epnap). En France, ces dernières sont composées, pour l'essentiel, de gendarmes maritimes, qui disposent donc de pouvoirs de police administrative et judiciaire et peuvent, à ce titre, effectuer d'initiative des contrôles d'identité et des palpations de sécurité. Ces équipes peuvent éventuellement être renforcées par des fusiliers marins. Sept compagnies maritimes sont concernées : Brittany Ferries, Condor Ferries, DFDS, Seaways, Irish Ferries, Manches Iles, P&O Ferries et Stena Line. Votre rapporteur en a auditionné certaines.
La sélection des navires à bord desquels les équipes sont envoyées est effectuée par la cellule « évaluation des menaces et analyse de sécurité » du centre des opérations de renseignement de chaque groupement de gendarmerie maritime, coordonnée par le préfet maritime de Cherbourg. Cette cellule est chargée du criblage des passagers des navires, en prenant en considération les éléments d'ambiance et d'environnement. À ce jour, la fréquence de déploiement est en moyenne d'une par semaine.
Il est à noter que les Epnap sont non pas des unités, mais des équipes spécialement constituées pour réaliser une mission.
Le SGDSN a indiqué ne pas disposer actuellement de données précises sur le nombre de personnes qui seront déployées à l'avenir par la partie britannique. Les autorités britanniques mènent actuellement des travaux et des échanges avec la gendarmerie française sur notre organisation afin de bénéficier de notre retour d'expérience.
Le déploiement de ces équipes, privées ou étatiques, peut s'effectuer pour prévenir des actes illicites, ou y mettre fin, mais, dans ce dernier cas, uniquement lorsque se présente une « situation d'urgence » définie à l'article 9 de l'accord. Les agents de l'État peuvent mettre en oeuvre des « mesures provisoires nécessaires » : les personnes faisant l'objet de mesures de coercition doivent être remises au capitaine du navire, à charge pour lui de les remettre aux autorités judiciaires de l'État côtier. Aucune mesure de police judiciaire - placement en garde à vue, interrogatoire, perquisition - n'est prévue. Toutefois, il existe, à bord, des cabines de rétention.
Dans l'avis qu'il a rendu le 3 septembre 2019 sur cet accord, le Conseil d'État s'est prononcé sur la constitutionnalité de l'intervention d'agents étrangers sur le territoire français au regard de notre souveraineté nationale. Il a admis qu'un tel pouvoir de police « puisse être délégué à des agents publics étrangers intervenant sur le territoire national, y compris sans l'autorisation préalable et hors la présence des autorités françaises, dans des situations particulières ne permettant pas que ces agents puissent être placés sous le contrôle des autorités françaises » et « sous réserve que cette délégation s'exerce sur une zone restreinte et pour une durée limitée et que les mesures coercitives susceptibles d'être prises en compte ne soient pas de nature à porter une atteinte durable à un droit fondamental ou à la privation de liberté. » Le temps de trajet étant compris entre deux et six heures, cela rentre dans le cadre de l'accord.
L'article 10 de l'accord organise la répartition des responsabilités de gestion de crise, lorsque l'acte illicite nécessite l'intervention d'autres unités que celles que prévoit le présent accord. C'est alors l'État côtier qui assure la gestion de crise aux niveaux gouvernemental et opérationnel, quel que soit le pavillon du navire. Si l'acte illicite a lieu en pleine mer, c'est l'État du pavillon qui est responsable. Dans les deux cas, chaque État peut demander le concours de l'autre partie.
Enfin, l'accord prévoit des priorités de juridiction pour les infractions qui seraient commises par les agents de l'État dans l'exercice de leurs fonctions. Elles sont comparables à celles qui sont reprises dans les accords de statut des forces : ce sont les juridictions de l'État dont relèvent les agents qui sont compétentes.
Enfin, l'accord organise un point sensible : le règlement des dommages causés par une partie aux personnels ou aux biens de l'autre partie.
Cet accord apporte une meilleure réponse juridique et opérationnelle à la menace terroriste. Il permet également à la partie britannique de déployer ses propres agents sur les navires battant son pavillon, ce qui n'était pas le cas dans le cadre de l'arrangement technique, caractérisé par une asymétrie de situation. C'est donc une avancée certaine en matière de lutte contre le terrorisme, dans des circonstances qui, du fait de l'éloignement potentiel des côtes, pourraient avoir des conséquences dramatiques.
Bien sûr, sa mise en oeuvre dépendra des moyens alloués. Du côté français, le dispositif devra être renforcé, en particulier lors de pics de fréquentation. Côté britannique, les échanges écrits que nous avons eus avec les services de l'ambassade nous rendent optimistes sur la volonté des autorités britanniques de jouer le jeu.
Si cet accord est le premier de ce type signé par la France, il pourrait en inspirer d'autres, notamment avec l'Italie.
Le Royaume-Uni a achevé toutes les procédures parlementaires et administratives permettant la ratification de l'accord. En conséquence, je préconise l'adoption de ce projet de loi, dont le Sénat est saisi en second. Son examen est prévu en séance publique le mercredi 25 janvier 2023, selon la procédure simplifiée, ce à quoi la conférence des présidents, de même que votre rapporteur, a souscrit.
Je ferai deux remarques conclusives, en ce qui concerne les contrôles effectués depuis le Brexit et qui me viennent des opérateurs que j'ai rencontrés : d'abord, on observe une différence dans les moyens mis en oeuvre entre les ports nationaux et les autres. Ensuite, les contrôles font perdre beaucoup de temps lors des débarquements. Il serait utile que ces contrôles puissent s'effectuer à bord des navires.
Mme Michelle Gréaume. - L'accord n'est pas censé concerner les migrants, mais, entre la Belgique et la France, on a mis en place des filets pour attraper les passeurs de bateaux gonflables ou de gilets de sauvetage. Le mois dernier, de nouvelles personnes sont mortes dans la Manche en tentant d'accéder au Royaume-Uni.
Les accords du Touquet sont encore en vigueur, alors qu'ils devraient être au moins revus. La frontière du Royaume-Uni est désormais en France : c'est anormal, d'autant que ce pays n'appartient plus à l'Union européenne. Sur un bateau gonflable, cela reste du droit de la mer...
M. Christian Cambon, président. - Merci de ce rappel, important, même si ce n'est pas le but de la convention.
M. Olivier Cadic. - La convention vise le fret et les bateaux enregistrés, et non les migrants. Y a-t-il une procédure d'approbation préalable par chaque gouvernement des sociétés de sécurité privée auxquelles ont recours les compagnies ?
M. Pascal Allizard, rapporteur. - Cette convention ne porte pas sur les migrants, mais j'ai entendu parler de ce problème lors de chaque audition. Tous les acteurs sont conscients de cette situation permanente.
Les sociétés auxquelles recourent les compagnies sont agréées. Cependant, pour l'instant, aucune compagnie ne souhaite y recourir à bord : elles préfèrent que soit renforcée la présence d'agents publics. Il y a aussi une question culturelle : l'Habeas Corpus diffère de notre droit...
M. Pierre Laurent. - Cet accord inclut le gouvernement d'Irlande du Nord. Or il n'y en a pas depuis plus d'un an ! En vertu de l'accord du Vendredi saint, le Premier ministre et le vice-Premier ministre sont, pour l'un, unioniste, pour l'autre, nationaliste, mais les unionistes refusent d'appliquer cette règle depuis la victoire du Sinn Féin lors des dernières élections.
Cette instabilité peut être dangereuse et remettre en cause l'accord du Vendredi saint. Certes, cela n'a pas de lien direct avec ce projet de loi, mais le sujet concerne l'une des parties signataires de l'accord.
Suivant l'avis du rapporteur, la commission a adopté, à l'unanimité, le rapport et le projet de loi précité.
M. Christian Cambon, président. - À 16 h 30, nous nous réunirons, avec les commissions des lois et des affaires européennes, pour étudier les enjeux juridiques en matière de politique étrangère et de sécurité commune (PESC) d'une adhésion de l'Union européenne à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CESDH). Le Gouvernement a encouragé une telle concertation.
Réunion commune avec la commission de la défense nationale et des affaires étrangères du Parlement grec
M. Christian Cambon, président. - Mesdames, messieurs les membres de la Vouli, mes chers collègues, cette réunion ayant lieu sur l'initiative de la commission de la défense nationale et des affaires étrangères du Parlement grec, je laisse M. le président Gioulekas commencer.
M. Konstantinos Gioulekas, président de la commission de la défense nationale et des affaires étrangères du Parlement grec. - Je salue nos collègues de Paris, et plus particulièrement M. Cambon. Je le remercie d'avoir accepté l'invitation de notre commission pour discuter des événements en Méditerranée orientale et en mer Égée, compte tenu de la position de la Turquie.
M. Christian Cambon, président. - Cher président Konstantinos Gioulekas, je vous remercie de cette belle initiative. Nous sommes particulièrement heureux de cet échange, qui intervient un peu plus d'un an après la signature de notre important partenariat stratégique franco-grec en matière de sécurité et de défense, le 28 septembre 2021. Comme l'ensemble de mes collègues, je suis particulièrement attaché à ce dialogue interparlementaire entre la France et la Grèce, qui est notre allié le plus fidèle en Méditerranée orientale.
Nos échanges ont été nourris par la visite et le travail de nos deux rapporteures, Catherine Dumas et Isabelle Raimond-Pavero. Notre commission a adopté le rapport de nos deux collègues sur le réarmement en Méditerranée orientale.
Nous vous laisserons d'abord présenter le contexte géostratégique tendu avec votre voisin, la Turquie. La semaine passée, nous avons eu l'occasion d'entendre le nouvel ambassadeur de Turquie à Paris.
Nous évoquerons également la guerre en Ukraine, afin d'échanger nos analyses et de saluer la résistance proprement héroïque du peuple ukrainien face à l'offensive russe. Plus que jamais, les Européens doivent être mobilisés et unis face à un contexte instable.
M. Konstantinos Gioulekas. - La conjoncture est excellente, puisque vous avez rencontré l'ambassadeur turc en France la semaine dernière. Par ailleurs, cela fera bientôt un an que l'invasion russe est intervenue en Ukraine. Cette invasion a été condamnée par la Grèce, qui s'est rangée sans réserve du côté de l'Ukraine en envoyant une aide humanitaire et des armements dans le cadre de la stratégie adoptée par l'Union européenne et l'OTAN.
S'agissant des frontières de notre pays, qui coïncident avec les frontières de la grande famille européenne, je veux rappeler que nous sommes toujours ancrés dans les principes du droit international, de la démocratie et de la paix. Ainsi notre pays lutte-t-il pour sauvegarder la paix dans la région, en respectant les traités d'où découlent les droits et obligations de notre pays et des pays voisins. Par ailleurs, nous nous efforçons de mettre en oeuvre tout ce qui découle de la convention des Nations unies sur le droit de la mer.
Malheureusement, la Grèce reçoit désormais quotidiennement, depuis plus de deux ans, des menaces de la Turquie contre son indépendance, sa souveraineté nationale et son intégrité territoriale. M. Erdogan et ses ministres menacent chaque jour ouvertement la Grèce, afin de la dissuader de faire usage de ses droits légitimes en matière d'extension de ses eaux territoriales de 6 à 12 milles marins, tels que définis par le droit international. Ils promeuvent également un révisionnisme de type ottoman - permettez-moi de le caractériser ainsi -, en essayant de modifier les traités en vigueur. Le président turc a même évoqué le « besoin » de changer le traité de Lausanne, signé voilà exactement cent ans, en 1923.
La Grèce affronte cette situation avec sang-froid et avec le souci constant de renforcer la paix et la sécurité du peuple grec.
Chers collègues de Paris, nous faisons tout notre possible pour éviter les tensions. Toutefois, nous sommes attachés à nos droits et à notre souveraineté nationale, qui ne sont pas négociables. À cet égard, je souhaite exprimer la reconnaissance du peuple grec envers la France, qui s'est toujours rangée du côtés de la Grèce dans les moments difficiles, par des actes, et non seulement par des paroles. Ce rapport très étroit entre nos deux pays a été confirmé par l'accord de coopération en matière de défense signé il y a plusieurs mois. Celui-ci prévoit le concours, en matière de défense, de l'un ou l'autre pays en cas d'agression militaire.
Aux niveaux politique et diplomatique, nous continuons de signer des accords et d'armer nos forces, afin d'éviter tout danger. Les Rafale français volent désormais avec les couleurs grecques, et nous avons reçu la première partie de l'ensemble de la commande que nous avons passée. Par ailleurs, trois frégates françaises sont en construction afin de renforcer la marine grecque.
M. Christian Cambon, président. - Merci de cette première présentation, monsieur le président.
Je veux vous réaffirmer le soutien de la France : nous avons signé avec la Grèce des contrats portant sur la livraison de dix-huit Rafale et de trois frégates FDI, ces dernières étant en cours de construction et prélevées sur le rythme de construction que la marine nationale devait obtenir pour sa flotte. L'effort, vous le voyez, est considérable.
J'ajoute que la Grèce est le pays qui bénéficie du plus grand nombre de visites de la marine nationale française, trente-sept l'année dernière : nous sommes à vos côtés. Lors de l'audition assez tendue organisée ici même la semaine dernière avec l'ambassadeur de Turquie, nous n'avons pas manqué de souligner la nécessité d'apaiser la Méditerranée orientale et de faire en sorte que les traités internationaux, notamment ceux qui relèvent du droit de la mer, soient strictement appliqués.
M. Konstantinos Gioulekas. - Nous sommes très heureux de cette livraison de Rafale, qui permettra d'assurer la défense du ciel grec.
Je donne la parole à M. Theodoros Roussopoulos, ancien ministre, au nom du parti « Nouvelle démocratie ».
M. Theodoros Roussopoulos. - En tant que docteur en histoire, je suis bien placé pour savoir que l'histoire ne se réduit pas à des mots écrits dans des livres destinés aux rayons des bibliothèques : l'histoire est vivante et les événements qui la composent doivent être utilisés comme références en vue de l'avenir. À cet égard, en tant que parlementaires, notre responsabilité est de dire les choses telles qu'elles sont.
En 1974, la Turquie envahit une île, Chypre, dont la moitié du territoire est désormais un pays membre de l'Union européenne. Un peu plus tard, l'armée de l'Égée est positionnée par la Turquie en face des îles grecques et basée à Izmir. En 1983, la partie occupée de Chypre est proclamée République indépendante. En 1995, l'Assemblée nationale turque décide de considérer comme casus belli toute tentative de la Grèce d'étendre ses eaux territoriales, donc d'exercer son droit souverain, jusqu'à 12 milles nautiques de ses rives ; et M. Erdogan continue de suivre cette décision. La Turquie est pourtant elle-même allée jusqu'à 12 milles de ses rives, en mer Noire, bien qu'elle n'ait pas ratifié la convention des Nations unies sur le droit de la mer.
En 1996, une invasion a lieu sur le plateau continental grec, sur l'île d'Imia. En 2018 est élaborée la doctrine de la Patrie bleue : les commentateurs turcs sont nombreux à se réclamer d'un prétendu droit international pour alléguer que la Grèce, forte de ses 10 millions d'habitants, est un danger pour la Turquie, qui en compte 84 millions... La Turquie essaie ensuite d'étendre le dogme de la Patrie bleue via le mémorandum d'accord signé avec la Libye, qui a été condamné par l'Union européenne.
Concernant l'obligation pour tout pays de défendre ses droits nationaux, je renvoie chacun à l'article 51 de la Charte des Nations unies. M. Cambon a dit que l'ambassadeur turc avait évoqué, pour la déplorer, la militarisation des îles grecques, mais il est bien prévu, à l'article 51, qu'aucune disposition de cette charte ne peut porter atteinte au droit naturel de légitime défense dans le cas où un membre de l'Organisation des Nations unies est l'objet d'une agression armée.
Ces trois dernières années, le président Erdogan, son ministre de la défense, M. Hulusi Akar, son ministre des affaires étrangères, M. Mevlut Cavusoglu, et d'autres importants responsables politiques turcs, attaquent la Grèce en répétant une phrase cliché : « Nous viendrons un soir », ce qui veut dire non pas qu'ils nous rendront visite pour boire un verre de raki, mais bien qu'un jour ils provoqueront une invasion... C'est exactement ce que la Turquie a essayé de faire sur le fleuve Evros, en instrumentalisant des migrants et des réfugiés qui souhaitaient se rendre en Europe occidental, les utilisant en tant qu'armes afin de violer nos frontières.
Heureusement, tous les États ont été à nos côtés, c'est-à-dire aux côtés de la paix et des traités internationaux. La Grèce ne mendie rien ; elle veut seulement le respect du droit international et le soutien de sa famille européenne. La France agit en ce sens, comme en témoigne l'accord signé par MM. Macron et Mitsotakis. Et l'Europe peut jouer un rôle primordial de locomotive, en défendant les droits et les libertés hérités de la Révolution française.
M. Konstantinos Gioulekas. - Le peuple grec n'oublie jamais que la restauration de la démocratie est venue de Paris, lorsque Konstantinos Karamanlis, exilé en France et qui deviendra ensuite Premier ministre puis président de la République, est revenu en Grèce par l'avion privé de Valéry Giscard d'Estaing, en juillet 1974, après sept années de dictature. Nous exprimons notre amour et notre reconnaissance à la France pour l'assistance et le concours qu'elle nous a toujours apporté.
M. Christian Cambon, président. Je salue l'ambassadeur de la République hellénique en France, Dimitrios Zevelakis, avec qui nous entretenons une relation étroite et très amicale.
Je donne la parole à Mme Catherine Dumas, au nom du groupe Les Républicains.
Mme Catherine Dumas. - Je remercie les présidents de nos deux commissions pour cette réunion, plus que jamais nécessaire dans une période difficile de crise migratoire, économique et militaire.
En août 2022, je me suis rendue en Grèce et à Chypre avec ma collègue Isabelle Raimond-Pavero dans le cadre de la préparation d'un rapport sur le réarmement en Méditerranée orientale, rapport qui a, depuis, été adopté à l'unanimité par notre commission. Reçues par des parlementaires grecs, nous avons évoqué le partenariat stratégique qui unit nos deux pays pour la coopération en matière de défense et de sécurité. Nous avons pu observer combien l'ambiance à Athènes était anxiogène et mesurer combien un conflit régional, voire mondial, était susceptible d'éclater à tout moment. La Turquie multiplie, en effet, les provocations à votre égard : rhétorique hostile, violations de l'espace aérien, non-respect des frontières maritimes. Confirmez-vous qu'une escalade de tensions est en cours dans cette zone ?
Craignez-vous une instrumentalisation des flux migratoires à vos frontières ? Estimez-vous que l'Europe dispose de moyens adaptés pour répondre à un tel risque ?
Un an après le début de la présidence française du Conseil de l'Union européenne et près de dix mois après l'adoption de la Boussole stratégique, comment évaluez-vous le déploiement actuel de nouveaux instruments en faveur d'une Europe de la défense, sur le plan capacitaire notamment ?
M. Konstantinos Gioulekas. - Je donne la parole à M. Georgios Katrougalos, ancien ministre des affaires étrangères, pour Syriza.
M. Georgios Katrougalos. - Nous entretenons avec la France une relation non seulement stratégique, mais également historique. Lorsque mon parti, Syriza, était au pouvoir, il a développé cette relation ; je pense à la déclaration commune de 2015 et au road map de notre relation stratégique de 2016. Nous voyons dans la France non seulement un allié, mais encore un exemple pour les libertés, les droits et même les révolutions en Europe. Notre discussion ne se fonde donc pas uniquement sur des intérêts communs : elle doit aussi être l'occasion de promouvoir des principes que nous avons en commun.
La Turquie ne se contente pas de violer les droits de la Grèce ; elle viole aussi les droits de Chypre, de l'Irak et d'autres pays, en installant des troupes militaires d'occupation et en participant à des guerres, directement ou indirectement, comme au Haut-Karabagh, démontrant ainsi son peu de considération pour le respect du droit international.
Il faut diminuer les activités agressives de la Turquie à l'égard de la Grèce. Cela ne concerne pas que les intérêts de la Grèce et de la France : il y va de la paix en Europe et du respect du droit international dans notre région. On observe une escalade, y compris sur le plan diplomatique, avec une menace exercée sur la souveraineté grecque dans nos îles. Nous observons également des survols de notre espace aérien et des violations de notre zone économique exclusive, ainsi que l'instrumentalisation des migrants et des réfugiés.
Selon nous, il conviendrait de forcer la Turquie à respecter le droit international et de l'inviter à dialoguer avec la Grèce. Même s'il faut disposer des armements nécessaires pour faire face à toute menace, ce n'est dans l'intérêt d'aucun de nos deux pays d'entrer dans une course aux armements.
Notre collègue évoquait la défense européenne ; il faut aussi une politique extérieure commune. L'Europe a des forces en commun, mais il lui faut aussi une voix commune. Elle ne doit pas être, dans ses affaires extérieures, le porte-parole des États-Unis. Il nous faut une stratégie par rapport à l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (Otan). Nous le voulons en tant qu'Européens et que Grecs, parce que l'Otan ne peut nous garantir la paix. En effet, pour les États-Unis, la Turquie présente un intérêt géopolitique plus important que notre pays - celui-ci doit donc pouvoir se défendre.
La guerre en Ukraine est l'exemple d'un conflit sans issue. Il n'y a aucune initiative en faveur de la paix. Les intérêts géostratégiques de l'Europe sont menacés par la prolongation de cette guerre ; je pense à la dégradation de la place de notre continent sur le plan économique par rapport à la Chine et aux États-Unis, mais également à notre vocation à devenir un troisième pôle international d'attraction.
M. Christian Cambon, président. - Je donne la parole à Mme Hélène Conway-Mouret, ancienne ministre, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Mme Hélène Conway-Mouret. - Mon groupe partage les interrogations du président Cambon et de notre collègue Catherine Dumas sur le partenariat stratégique et militaire, sur notre relation bilatérale privilégiée. Nous n'oublions pas que, en 2013 et en 2014, la France avait joué un rôle essentiel de solidarité pour que la Grèce reste dans la zone euro.
Votre position géographique vous confère un lien privilégié avec le continent et avec la Méditerranée. Quelles sont les conséquences de la guerre en Ukraine sur l'évolution géopolitique des Balkans ? Votre perception de l'adhésion de ces pays à l'Union européenne et de la reconnaissance du Kosovo a-t-elle évolué ?
Puisque vous avez un lien fort avec les Balkans, quelle est votre politique méditerranéenne ? Faut-il relancer le processus multilatéral de Barcelone, pour aller vers une politique commune de l'Union européenne à l'égard de la Méditerranée, qui n'existe pas encore ?
M. Konstantinos Gioulekas. - La Grèce s'est félicitée des conclusions du Conseil de l'Union du 13 décembre dernier sur l'élargissement de l'Europe, avec un avis favorable à l'octroi d'un statut de candidat à la Bosnie-Herzégovine. Nous sommes en faveur de l'adhésion des pays des Balkans occidentaux à la grande famille européenne, sans réserve.
Nous avons soutenu la décision historique prise par l'Union européenne d'attribuer le statut de pays candidat à la Moldavie et à l'Ukraine, parce que la Grèce a toujours appuyé le rapprochement entre ces pays et l'Union européenne. D'ailleurs, la signature de leur statut d'association avec l'Union a eu lieu sous présidence grecque, en 2014.
La parole est à M. Andreas Loverdos, ancien ministre, pour le groupe Pasok.
M. Andreas Loverdos. - La guerre en Ukraine a provoqué de grands troubles dans les Balkans. L'Ukraine est très proche de la Grèce et des Balkans et les évolutions qu'elle connaît nous influencent forcément. Selon moi, les perturbations qui existent dans les Balkans - la dernière crise, très dangereuse, remonte à décembre dernier, quand le ministre de la défense de la Serbie a demandé à ses forces armées d'être en état d'alerte absolu - sont liées à la guerre en Ukraine.
Il faut donc que cette guerre se termine. Je suis d'accord avec M. Katrougalos : malheureusement, il n'existe pas actuellement d'initiative en faveur de la paix. Du reste, un processus de paix qui émergerait maintenant pourrait laisser penser que la Russie a gagné. Or il faut à tout prix éviter cela : la Russie doit perdre cette guerre. La classe politique et le peuple grecs ont été, dès le début, contre cette invasion russe, illégale, injustifiée et qui a conduit à l'occupation de territoires ukrainiens. Le peuple grec se range donc du côté de l'Ukraine, bien que les conséquences de la guerre soient visibles dans le pays, notamment sur le coût de la vie.
La Turquie représente, pour la Grèce, un problème majeur. Il ne s'agit pas d'un problème général de politique étrangère comme tous les pays en connaissent : l'un de nos voisins nous menace de guerre ! Dans la presse internationale, notamment dans Politico, des articles récents évoquent ce problème et indiquent que le président turc Erdogan menace la Grèce d'une guerre afin de sauver sa peau d'un point de vue électoral. Les auteurs de ces articles affirment qu'il n'est pas improbable que, d'ici aux élections présidentielle et législatives turques du premier semestre 2023, nous connaissions un épisode de guerre ou un incident de frontière. Erdogan agit ouvertement en ce sens.
Les États membres de l'Union ne peuvent ignorer cette réalité. Nous n'avons pas de politique étrangère unilatérale. Nous sommes membres de l'Union européenne, de la zone euro, de l'Otan, mais nous sommes sous la menace d'une guerre de la part d'un pays voisin, au mépris de la Charte des Nations unies et des principes de l'Union européenne. La IVe armée turque est déployée le long de nos frontières... Vous devez connaître, mesdames, messieurs les sénateurs français, sous quelle menace nous vivons et vous devrez être attentifs aux attitudes agressives de la Turquie au cours des six prochains mois.
M. Christian Cambon, président. - Je vous rassure, monsieur le député : nous sommes extrêmement vigilants sur la situation en Méditerranée orientale et nous souhaitons que notre coopération soit aussi dense que possible.
Je donne la parole à M. Jacques Le Nay, pour le groupe Union Centriste.
M. Jacques Le Nay. - La guerre en Ukraine a-t-elle modifié le rapport de forces avec la Turquie en mer Égée ?
Votre industrie de défense a subi de nombreux désinvestissements au cours des dernières années ; dans quel état se trouve-t-elle aujourd'hui ? Quelles faiblesses identifiez-vous ?
M. Konstantinos Gioulekas. - Nous subissons bien évidemment l'influence de la guerre en Ukraine. Il faut condamner l'invasion russe, mais surtout mettre fin à cette guerre, afin que la Russie n'atteigne pas ses objectifs. Ce pays tente de violer les traités internationaux et porte atteinte à la souveraineté ukrainienne. Notre collègue l'a dit, cela conduit à des violations continues du droit international et à des menaces de guerre, ce qui n'est pas bon pour la sécurité en Méditerranée orientale.
Je donne parole à M. Antonios Mylonakis, pour le parti Solution grecque (Elliniki Lysi).
M. Antonios Mylonakis - Nous avons évoqué ce que subit la Grèce, à l'épicentre de l'expansionnisme turc. France et Grèce maintiennent de très bonnes relations. Notre politique méditerranéenne est liée à notre famille européenne, surtout ces deux dernières années. Le révisionnisme turc est excessif et menace la Grèce au travers de groupes terroristes ou de casus belli dans la mer Égée ou dans l'est de la Méditerranée. Nous demandons un soutien tangible à la France. Nous avons une excellente coopération en matière d'armement : la Grèce a acheté des Rafale et des frégates pour plusieurs milliards d'euros.
Nous vous demandons d'être clairs dans vos discours avec Erdogan. Il ne faut pas qu'il continue à terroriser en paroles et qu'il menace un pays membre de l'Otan de le frapper de ses roquettes ! Nous sommes membres de l'Otan et de la famille européenne. Tous les pays devraient faire cesser cette attitude. Nous devons tous soutenir l'intégrité des zones économiques exclusives (ZEE) grecque et chypriote. La Grèce est un hub énergétique qui peut aider l'Europe à avoir du gaz naturel et du pétrole durant de longues années. Nous avons des projets pour transporter du gaz liquide à partir d'Israël et de Chypre vers l'Europe, en passant par le sud de la Crète. La crise énergétique continuera de s'accroître en 2023 et 2024 et nos économies vont chuter.
M. Christian Cambon, président. - Merci de ces précisions sur les initiatives grecques pour approvisionner l'Europe en énergie. Les accords signés avec Israël vont dans le bon sens.
Je donne la parole à M. André Gattolin, au nom du groupe RDPI.
M. André Gattolin. - Merci de vos témoignages et de ces rappels des liens forts qui unissent la Grèce et la France. Les prises de position politiques françaises des cinquante dernières années sont là pour en témoigner. Je remercie le président de la commission d'avoir rappelé le rôle de Valéry Giscard d'Estaing en faveur de l'admission de la Grèce au sein de l'Union européenne. Notre relation est certes sentimentale, voire romantique, culturelle, mais la réalité des faits est là : en septembre 2021, nous avons signé un accord de coopération, de sécurité et de défense.
L'année dernière, grâce à ses efforts, la Grèce est sortie du programme de surveillance renforcée qui avait été mis en place au moment de la crise de la dette grecque, au début des années 2010. À l'époque, l'une des raisons invoquées était le montant trop important des dépenses militaires. L'Union européenne n'avait qu'une gestion comptable. Désormais, il y a un réveil géopolitique : chacun rêve d'investissements de défense à la hauteur des vôtres. Il y a énormément d'enjeux en Méditerranée orientale, notamment autour de Chypre.
Demain, le Président de la République rencontrera le Premier ministre espagnol Sanchez pour signer un traité d'amitié et de coopération. C'est le troisième traité bilatéral de ce type avec un pays européen, après le traité historique signé avec l'Allemagne en 1963 et celui du Quirinal, avec l'Italie, en 2021. Il serait extrêmement bénéfique, au-delà de notre appartenance commune à l'Union européenne et à l'Otan, que nous envisagions de signer un traité d'amitié et de coopération franco-grec sur des compétences qui ne relèvent pas totalement de l'Union européenne.
M. Konstantinos Gioulekas. - Nous devons tous assumer un rôle bien plus actif, renforcer notre participation dans l'Union européenne, dans l'esprit des pères fondateurs de la Communauté économique européenne (CEE), qui rêvaient d'une formation politique, et non pas seulement économique, et assurer une politique de défense et de sécurité plus active. Nous l'avons vu avec la Yougoslavie et désormais avec l'Ukraine : nos institutions doivent être plus puissantes.
Mme Sofia Sakorafa va prendre la parole, pour le parti MéRA25.
Mme Sofia Sakorafa - Récemment, les médias occidentaux ont évoqué de plus en plus clairement l'agressivité du régime de Vladimir Poutine, sans le faire pour d'autres régimes violents comme Israël et la Turquie en Méditerranée orientale. En 2003, trois présidents - Jacques Chirac, Gerhard Schröder et Vladimir Poutine, soit deux des cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU - s'étaient concertés sur le gouvernement de l'Irak après Saddam Hussein.
La France, quoique membre permanent du Conseil de sécurité, dispose de l'arme nucléaire. Comment concilier ces deux éléments : la puissance internationale française et la situation en Europe et en Méditerranée orientale ?
La Grèce et Chypre ont des intérêts vitaux dans la région. La viabilité de nos pays en jeu : Chypre a été coupée en deux. Nous avons lu la nouvelle stratégie du président Macron. Quel rôle la France peut-elle jouer pour assurer la paix dans la région, et comment ces efforts seront-ils soutenus sur le plan économique ? Les ruines subsistent toujours à Famagouste, en Libye, en Irak, en Afghanistan, où il reste des armes, mais aussi où des familles vivent. Nous avons l'obligation de trouver un projet d'espoir.
La situation en Méditerranée orientale change. La zone d'influence turque s'élargit et le nouveau gouvernement israélien ne nous laisse pas espérer grand-chose. Les régimes autoritaires sont renforcés et coopèrent entre eux, ce qui pose problème. Les principes démocratiques doivent définir non seulement la politique interne des gouvernements, mais aussi les relations internationales.
M. Christian Cambon, président. - La force de dissuasion nucléaire française n'est une menace pour personne. Elle est une garantie pour nos intérêts vitaux, conformément aux déclarations du Président de la République sur ce sujet. Son existence fait consensus. Malheureusement, compte tenu du contexte, il y a un réel intérêt pour la France, membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU, de disposer de cette défense ultime que nous ne souhaitons pas utiliser, hormis pour défendre nos intérêts vitaux.
La France ne ménage pas ses efforts pour multiplier toutes les initiatives en faveur d'un apaisement en Méditerranée orientale. Nous avons redit à l'ambassadeur turc que, si la Turquie souhaite être une puissance régionale, cela doit se faire en construisant la paix plutôt qu'en multipliant les agressions et en violant les traités internationaux.
Je passe la parole à M. Pierre Laurent, au nom du groupe CRCE.
M. Pierre Laurent. - L'initiative de cette rencontre entre nos deux commissions est bienvenue. Nos deux pays, au-delà des liens historiques, ont intérêt à travailler conjointement aux sujets de paix et de sécurité collective. La Grèce peut être un partenaire majeur. Elle est une plaque sensible entre les Balkans, l'Ukraine et la Turquie.
Les inquiétudes actuelles se concentrent dans cette région. Notre action commune devrait, au-delà de la coopération de défense, se concentrer sur la paix. Il faut mettre fin aux visées agressives de la Turquie, faire respecter le droit international et maritime, et assurer la souveraineté grecque sur les terres et les eaux dont elle a la responsabilité.
Nos deux pays devraient relancer une initiative politique sur la situation à Chypre. Ils peuvent agir pour que l'Union européenne reprenne la main sur ce dossier, possible foyer de tension en Europe. De même, nous devons lancer une initiative de paix pour que l'Ukraine retrouve sa souveraineté sur l'intégralité de son territoire.
Nous devons agir pour préserver la paix dans les Balkans, zone qui reste instable.
L'accord de Prespa avec la République de Macédoine du Nord est une voie pour assurer la paix et la stabilité dans les Balkans. Ces efforts doivent être conduits prioritairement à l'échelle de l'Union européenne.
La situation de l'Otan est particulière, comme nous l'a rappelé l'ambassadeur turc la semaine dernière. La Turquie a une place importante dans l'Otan. Ce cadre est donc impropre à résoudre les problèmes de sécurité de la Grèce. Renforçons nos efforts pour la paix et la sécurité collective dans l'Union européenne.
M. Konstantinos Gioulekas. - Nous avons épuisé toutes les demandes de parole émanant des différents partis du Parlement hellénique. Nous voulons renforcer les institutions européennes, notamment autour d'un axe : la solidarité entre États membres. Nous le demandons non seulement pour nous, mais aussi pour toute l'Union européenne, car les menaces que nous avons évoquées pèsent sur tous les États membres.
Malheureusement, la Turquie continue d'être candidat à l'adhésion à l'Union européenne, mais menace ouvertement de guerre deux de ses pays membres : la Grèce et la République chypriote.
Certains pays européens envoient même des armes à la Turquie, qu'elle utilise pour menacer la Grèce et Chypre. Il faut renforcer les institutions européennes. Enfin, nous devons disposer d'une politique de défense et de sécurité commune pour aller de l'avant.
Tous les pays doivent agir de la même manière. Nous avons aidé l'Ukraine face à l'agression russe, mais certains pays sont hypocrites par rapport à Chypre. Depuis l'invasion militaire de 1974, 40 % du territoire chypriote est occupé illégalement, alors que Chypre est membre de l'Union européenne ! C'est un point noir. La Turquie a même reconnu l'État illégal de « Chypre du Nord ».
Je cède la parole à M. Konstantinos Zouraris, député de Syriza.
M. Konstantinos Zouraris. - La France est mon deuxième pays. J'ai beaucoup apprécié le niveau des débats. Le régime turc actuel n'est pas révisionniste. Il a dépassé ce stade depuis longtemps : c'est un État voyou, un rogue state. L'invasion de Chypre a causé 8 000 morts. La Grèce subit des agressions continuelles qui prennent la forme de remise en cause de notre souveraineté dans nos espaces aériens et maritimes. La Turquie instrumentalise les réfugiés en les envoyant vers la frontière du fleuve Evros. Il faut que la France considère la Turquie comme un État voyou.
M. Christian Cambon, président. - La parole est à M. André Guiol, au nom du RDSE.
M. André Guiol. - Le 22 novembre 2022 s'est échoué sur les côtes grecques un bateau avec 500 migrants à bord. La Grèce a appelé à la solidarité européenne de l'Union et de ses États membres. Au-delà de la dimension humanitaire s'exprimait l'inquiétude d'une infiltration terroriste en Grèce, en France ou en Italie, dans un contexte tendu avec la Turquie. Comment la Grèce a-t-elle géré la situation ? L'Union européenne a-t-elle été à la hauteur de la solidarité ?
M. Christian Cambon, président. - Pour terminer, je cède la parole à M. Guillaume Gontard, au nom du GEST.
M. Guillaume Gontard. - Je salue l'initiative et le langage clair de la Grèce par rapport à Moscou : la Grèce a été l'un des premiers pays à envoyer des armes à l'Ukraine et joue un rôle fort de stabilité en Europe, en faveur de la paix.
Le conflit ukrainien a modifié les configurations géopolitiques en Europe, notamment sur les questions énergétiques. La déconnexion du gaz russe décidée par l'Union européenne remet sur le devant de la scène la possibilité de faire transiter du gaz par la Méditerranée orientale. La Grèce est réservée sur le projet de gazoduc vers Israël et la Turquie qui transiterait par Chypre, et préférerait utiliser des navires avec des terminaux gaziers - elle dispose de l'une des plus grosses flottes de tankers. Quelles relations avez-vous avec Israël et la Turquie sur les sujets énergétiques ?
M. Theodoros Roussopoulos. - La Turquie ne participe pas à l'embargo contre la Russie. Ses relations avec Poutine sont excellentes. Erdogan s'est présenté comme un pacificateur, alors qu'il est un facteur de déstabilisation et ressemble de plus en plus à Poutine. Souvenez-vous des invasions russes en Crimée et en Géorgie. La situation est similaire en Méditerranée orientale, avec un nouveau Poutine. N'oubliez pas les menaces d'invasion en Grèce.
M. Konstantinos Gioulekas. - Soyons clairs : la Grèce ne veut pas d'une Turquie isolée. Elle veut d'une Turquie qui participe avec tous ses voisins à sauvegarder la paix, alors que la guerre fait rage au coeur de l'Europe, en Ukraine. Nous invitons tous nos partenaires à faire de même. Nos collègues français et grecs ont donné des exemples concrets.
Derrière les événements en Irak, en Syrie, en Libye, en Afghanistan, au Haut-Karabagh se cache la Turquie. Il n'est pas possible qu'elle soit le seul pays à créer des problèmes, et à bloquer l'adhésion de la Suède et de la Finlande à l'OTAN. La Suède et la Finlande, menacés après l'invasion ukrainienne, veulent adhérer à l'Otan. On ne peut pas être indifférent au refus de la Turquie d'appliquer la politique de sanctions de l'Union européenne contre la Russie. N'encourageons pas Erdogan à continuer dans cette voie et à trahir davantage nos idéaux démocratiques.
Je remercie la France, pays ami, et la commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat.
M. Christian Cambon, président. - Merci de cet échange qui nous a permis de recueillir de nombreuses informations sur la situation réelle du conflit gréco-turc dans un contexte de fragilisation des Balkans.
Je le redis solennellement : notre soutien à la Grèce ne se limite pas à des paroles. En cas d'agression caractérisée de la Turquie, la Grèce serait protégée par le septième alinéa de l'article 42 du traité de l'Union européenne, mais aussi par le partenariat stratégique signé avec la France, qui renforce considérablement nos relations en matière de défense et la protection de vos intérêts, terrestres et maritimes. Nous suivons attentivement la situation.
Nous partageons vos craintes sur la présence turque indue dans certains pays. Je me suis rendu sur la ligne verte chypriote. En Irak, j'ai vu combien les Turcs étaient avancés, à plus de 60 kilomètres à l'intérieur du territoire national. Les problèmes pourraient être réglés autrement. La Turquie voit le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) partout. Dès qu'il y a un problème, ce serait la faute du PKK, et cela justifierait que la Turquie s'arroge des droits contraires au droit international.
La France ne cesse de rappeler la Turquie au respect des règles internationales. En 2019-2020, cela a donné lieu à de grandes tensions avec ce pays. Nous gardons le contact avec la Turquie, mais les sénateurs français ne se sont pas laissé impressionner par l'ambassadeur turc et ont évoqué les droits des femmes, le respect et l'intégrité des frontières, le droit maritime, la présence turque en Libye et en Irak. Nous continuerons à maintenir cette pression.
Ces échanges soulignent l'importance de la diplomatie parlementaire. J'invite nos collègues grecs à se rendre à Paris pour continuer nos débats, en réponse à l'accueil réservé à notre délégation l'été dernier en Grèce. Soyez assuré de notre affectueuse amitié et de notre soutien. Je remercie le président Gioulekas de sa belle initiative.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 12 h 40.
- Présidence de M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères de la défense et des forces armées, de M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale et de M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes -
La réunion est ouverte à 16 h 40.
Justice et affaires intérieures - Enjeux juridiques en matière de politique étrangère et de sécurité commune (PESC) d'une adhésion de l'Union européenne (UE) à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CESDH) - Communication
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - Nous sommes réunis cet après-midi pour évoquer les perspectives de dépôt d'une proposition de résolution européenne sur l'impact pour la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) que pourrait avoir l'adhésion de l'Union européenne à la Convention européenne des droits de l'homme.
Il y a maintenant un peu plus de deux ans, nos collègues Philippe Bonnecarrère et Jean-Yves Leconte avaient publié un rapport d'ensemble sur la relance des négociations d'adhésion de l'Union européenne à la Convention européenne des droits de l'homme, qui recouvrent d'autres aspects que celui dont nous allons traiter aujourd'hui.
Nos collègues Gisèle Jourda et Dominique de Legge ont présenté une communication devant la commission des affaires européennes sur ce dossier le 20 octobre dernier à la suite d'un échange que nous avions eu avec le représentant permanent de la France auprès de l'Union européenne, Philippe Léglise-Costa.
À l'issue de leur communication, j'ai évoqué ce sujet sensible avec les présidents Buffet et Cambon et nous sommes convenus d'écrire à la Première ministre pour appeler son attention sur cette question qui ne peut être traitée au seul niveau technique.
La Première ministre nous a répondu par une lettre du 26 décembre dernier, dans laquelle elle nous invite, ainsi que nous l'avions évoqué dans notre courrier, à déposer une proposition de résolution européenne qui renforcerait la position du Gouvernement dans les négociations en cours, qui sont déjà très avancées.
La France, qui était et demeure favorable, dans son principe, à l'adhésion de l'Union européenne à la Convention européenne des droits de l'Homme, se retrouve très isolée, alors que la présidence suédoise souhaite conclure les négociations le plus rapidement possible et que se profile, mi-mai, un sommet des chefs d'État et de gouvernement du Conseil de l'Europe à Reykjavik. Or, pour la plupart des États membres, un accord en vue de l'adhésion de l'Union à la Convention serait un « livrable » parfait et très symbolique. La pression est donc forte, même si la Première ministre tend à la minimiser dans son courrier.
Tant la lettre de saisine de la Première ministre que sa réponse vous ont été communiquées par mail ou via Déméter. Sans être trop long, je voudrais vous rappeler les principales conclusions de la communication de Gisèle Jourda et Dominique de Legge, qui ont suscité notre mobilisation.
Chacun des vingt-sept États membres de l'Union européenne est partie à la Convention européenne des droits de l'homme, condition nécessaire pour adhérer au Conseil de l'Europe. Ils se soumettent donc pour son interprétation à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, dont le siège est à Strasbourg.
En revanche, l'Union européenne en tant que telle n'a pas encore adhéré à cette Convention, alors que cette adhésion est expressément prévue par les traités. En effet, l'article 6, paragraphe 2, du traité sur l'Union européenne stipule, depuis le traité de Lisbonne, que « l'Union adhère à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Cette adhésion ne modifie pas les compétences de l'Union telles qu'elles sont définies dans les traités ».
Le protocole n° 8 annexé aux traités fixe des conditions à l'adhésion de l'Union européenne à la Convention. Son article 2 indique notamment que l'accord relatif à l'adhésion « doit garantir que l'adhésion de l'Union n'affecte ni les compétences de l'Union ni les attributions de ses institutions ».
S'agissant spécifiquement de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC), il ressort des articles 24 du traité sur l'Union européenne et 275 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne que la CJUE n'est pas compétente en ce qui concerne les dispositions relatives à la politique étrangère et de sécurité commune, ni en ce qui concerne les actes adoptés sur leur base, à deux exceptions près, notamment pour examiner les recours concernant les mesures restrictives adoptées par le Conseil à l'encontre de personnes physiques ou morales.
Une première séquence de négociations en vue de l'adhésion avait eu lieu en 2010-2011 et avait débouché, en avril 2013, sur un projet d'accord au Conseil. Néanmoins, la procédure prévoyait que ce projet d'accord devait être soumis pour avis à la Cour de justice de l'Union européenne. Dans son avis 2/13 rendu en assemblée plénière le 18 décembre 2014, celle-ci avait jugé que le projet d'accord d'adhésion n'était pas compatible avec le droit de l'Union européenne.
La CJUE rejetait en particulier la possibilité que la Cour européenne des droits de l'homme puisse connaître des actes relatifs à la politique étrangère et de sécurité commune, alors qu'elle-même ne le pouvait pas en application des traités. Elle soulignait que la compétence pour effectuer un contrôle juridictionnel d'actes, d'actions ou d'omissions de l'Union, y compris au regard des droits fondamentaux, ne saurait être attribuée exclusivement à une juridiction internationale qui se situe en dehors du cadre institutionnel et juridictionnel de l'Union.
Cette décision s'est traduite par un arrêt du processus d'adhésion. Les négociations d'adhésion ont toutefois été relancées à compter du 7 octobre 2019, date à laquelle le Conseil a adopté des directives de négociation en vue de répondre aux différents problèmes recensés par la CJUE.
S'agissant de la PESC, ces directives privilégiaient en particulier la définition d'un mécanisme de réattribution de responsabilités. Concrètement, cela signifierait que des tribunaux nationaux, choisis en fonction de critères spécifiques, seraient amenés à se prononcer sur une éventuelle violation des droits de l'homme du fait de la mise en oeuvre d'actes relevant de la PESC. Cette solution devait permettre d'assurer le respect du principe de subsidiarité et l'épuisement de voies de recours internes avant que la Cour européenne des droits de l'homme soit saisie.
Ce mécanisme de réattribution de responsabilités a été au coeur des discussions du panier 4 relatif à la PESC, mais des blocages sont apparus, certains États membres faisant notamment valoir des difficultés d'ordre constitutionnel. D'autres mécanismes ont été examinés.
La Commission européenne a alors proposé une autre solution : adopter une déclaration intergouvernementale interprétative qui permettrait à la Cour de justice de l'Union européenne d'étendre sa compétence aux actes relevant de la PESC afin de vérifier une éventuelle violation des droits fondamentaux avant que la Cour européenne des droits de l'homme se prononce.
La présidence française du Conseil n'a pas endossé cette proposition. C'est bien la Commission qui l'a présentée. La présidence se devant d'être neutre, la France qui l'assumait était alors dans l'incapacité de faire valoir certaines critiques, comme elle peut désormais le faire, mais elle ne voulait pas donner l'impression de la soutenir non plus.
Le service juridique du Conseil a soutenu l'approche de la Commission. Il estime ainsi qu'au regard des circonstances spécifiques, une déclaration interprétative permettrait de réconcilier les dispositions contradictoires des traités, en établissant que ces derniers permettraient de conférer une compétence juridictionnelle à la CJUE en matière de PESC dans les cas limités d'actions introduites pour des violations de droits fondamentaux par l'Union européenne par des requérants ayant qualité à agir devant la Cour européenne des droits de l'homme.
Cette proposition est désormais soutenue par la quasi-totalité des États membres. La France fait figure d'exception. Elle est la seule à s'être exprimée contre cette proposition lors du conseil Justice et affaires intérieures (JAI) du 9 décembre 2022. Certes, elle ne désespère pas, comme le relève la Première ministre, de faire évoluer les positions de certains États membres qui n'ont pas le même degré de coordination interministérielle que nous. Mais pour cela, le Gouvernement a aussi besoin d'un appui que le Sénat serait en mesure d'apporter.
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. - Ce dossier nous paraît soulever des enjeux d'abord purement juridiques.
En premier lieu, il apparaît contestable de procéder à une extension des compétences de la CJUE, en allant frontalement à l'encontre de ce qui est prévu par les traités par le biais d'une simple déclaration intergouvernementale interprétative.
Même si les déclarations intergouvernementales interprétatives existent en droit international, la particularité de la construction européenne et la sensibilité des sujets en cause doivent conduire à une grande prudence. On assisterait en l'espèce à une forme de révision déguisée des traités, qui ne correspond pas à la procédure prévue par l'article 48 du traité sur l'Union européenne.
Peut-être certains considèrent-ils qu'une révision en bonne et due forme des traités, pourtant demandée par la Conférence sur l'avenir de l'Europe, serait impossible à atteindre. Il reste que ce serait créer un précédent dangereux, qui apparaît contraire à l'État de droit, alors que le traité de Lisbonne a été ratifié par les États membres et a, dans le cas français, donné lieu à une révision de la Constitution.
J'ajouterai, au surplus, que la voie proposée d'une déclaration interprétative n'était absolument pas mentionnée dans les directives de négociation concernant l'adhésion de l'Union à la Convention européenne des droits de l'homme et qu'on peut donc considérer, en pur droit, qu'il n'appartenait pas à la Commission de la formuler.
En second lieu, il faut souligner que, dans une affaire concernant la mission PESC « Eulex Kosovo », le tribunal de l'Union européenne s'est déclaré incompétent au mois de novembre 2021, en se fondant justement sur l'absence d'une base juridique idoine dans les traités. Or la Commission s'est jointe à l'appel formé par les requérants devant la CJUE afin de renverser ce jugement d'incompétence.
Le fait de proposer une déclaration intergouvernementale interprétative en cours de procédure devant la Cour de justice de l'Union européenne pourrait laisser penser à une tentative de la Commission d'instrumentaliser le Conseil dans l'espoir d'obtenir un revirement de jurisprudence de la Cour. C'est une question qui mérite d'être considérée en tant que telle, alors que la prudence voudrait qu'on s'abstienne de prendre position dans ce domaine tant que la CJUE ne s'est pas prononcée dans cette affaire.
Là encore, la France s'est retrouvée isolée lors du Conseil JAI du 9 décembre : seule la Hongrie a soutenu sa position consistant à demander de ne pas adopter une telle déclaration en cours de procédure.
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. - Je me réjouis de l'occasion qui est donnée cette après-midi à nos trois commissions d'échanger et de réfléchir en commun. Si le sujet qui nous occupe peut à première vue sembler technique, je pense qu'il s'agit là d'une illusion.
Les conditions d'adhésion de l'Union européenne à la Convention européenne des droits de l'homme soulèvent au contraire des enjeux éminemment politiques, que cela soit pour la conduite de notre politique étrangère, pour notre position au sein de l'Union européenne ou pour la cohérence de notre système juridictionnel.
Sans revenir dans le détail sur les motifs qui nous conduisent à condamner par avance toute solution qui reviendrait à une modification déguisée des traités, j'aimerais insister sur deux points spécifiques que la commission des affaires étrangères et de la défense scrute avec une attention particulière.
En premier lieu, j'aimerais insister sur les conséquences concrètes que pourrait avoir une extension de la compétence de la Cour de Luxembourg à la politique étrangère et de sécurité commune.
Il y a environ un an et demi, la décision B.K. c/ Slovénie, rendue par la grande chambre de la Cour de justice de l'Union européenne le 15 juillet 2021, est venue nous rappeler combien la sécurité juridique de l'organisation de notre défense nationale est précieuse et doit être absolument préservée.
Bien que les enjeux soulevés par l'adhésion à la Convention européenne des droits de l'homme diffèrent de ceux soulevés par cette décision, je pense que cette décision récente est une illustration du caractère essentiel de l'architecture juridictionnelle de l'Union européenne, y compris pour notre politique extérieure.
Pour rappel, dans cette décision qualifiée de « déception » par la directrice des affaires juridiques du ministère des armées de l'époque et de « risque d'affaiblissement de la condition militaire » par le Haut Comité d'évaluation de la condition militaire, les juges de Luxembourg avaient estimé que les militaires ne sont pas, par principe, exclus du champ d'application de la directive relative au temps de travail du 4 novembre 2003. Cette décision était intervenue malgré le deuxième paragraphe de l'article 4 du traité sur l'Union européenne qui consacre la responsabilité exclusive des États membres en matière de sécurité nationale.
Si le Conseil d'État est venu préciser la portée de cette jurisprudence en écartant la requête d'un sous-officier de gendarmerie en décembre 2021, cette décision n'a pas dissipé tous les doutes sur le temps de travail de nos militaires. En effet, le Conseil d'État s'est borné à constater que le régime actuel respectait les dispositions de la directive, tout en admettant l'inclusion de la gendarmerie départementale dans le champ d'application de la directive.
L'extension de la compétence de la CJUE aurait également des conséquences concrètes sur le plan opérationnel. Cette extension de compétence pourrait être de nature à fragiliser la sécurité juridique des conditions d'engagements des forces dans les opérations de la PESC et de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC).
L'analyse de la Commission européenne, selon laquelle la Cour de justice de l'Union européenne a déjà développé une jurisprudence abondante relative à la PESC, notamment en matière de mesures restrictives, apparaît contestable. En effet, le contrôle de la CJUE porterait alors sur des actes de nature différente et au regard d'un texte de référence différent.
On peut également exprimer une inquiétude vis-à-vis d'une instrumentalisation potentielle de la procédure par des ONG ou des États tiers. On ne pourrait dans ce cas exclure un affaiblissement paradoxal des opérations menées au titre de la PESC ou de la PSDC, voire des stratégies de contournement qui pourraient prendre la forme d'accords intergouvernementaux ne relevant pas de la PESC.
Le deuxième point d'attention, en lien direct avec ce que je viens d'évoquer, tient au contrôle démocratique que le Parlement exerce sur les principaux traités négociés et signés par la France. C'est l'objet de l'article 53 de notre Constitution qui subordonne la ratification des principaux traités internationaux à l'adoption d'une loi autorisant cette ratification. Par la loi du 13 février 2008, le Parlement a autorisé la ratification du traité de Lisbonne par la France.
Parallèlement aux arguments juridiques qui justifient que nous nous opposions à toute opération assimilable à un détournement de procédure, j'insiste également sur le fait qu'une déclaration interprétative ayant pour objet de modifier la substance des traités courrait le risque de contourner le contrôle démocratique que le Parlement exerce légitimement sur l'action extérieure du Gouvernement.
Je me réjouis donc que l'occasion soit donnée aujourd'hui au Sénat et à travers lui à la représentation nationale d'affirmer son attachement au respect des traités, de la Constitution et du contrôle légitime que le Parlement exerce sur une matière qui est au premier chef politique.
Pour ces différentes raisons, et suivant l'encouragement de la Première ministre, il nous semblerait important d'adopter une résolution reprenant ces différentes considérations et affirmant avec force qu'une déclaration interprétative serait contraire aux traités et constituerait une violation des règles de l'État de droit.
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - Vous le voyez, ce dossier comporte des aspects juridiques comme opérationnels.
Nous avons eu des échanges avec le Gouvernement, notamment avec le secrétariat général des affaires européennes (SGAE), mais aussi avec l'Élysée : c'est un sujet qui inquiète au plus haut niveau de l'État et sur lequel la France se sent isolée.
C'est le Sénat qui avait soulevé ce problème et je crois que nous devons soutenir la position française. Notre objectif est de déposer dans les meilleurs délais une proposition de résolution européenne qui, transmise aux autorités compétentes, permettrait de formaliser ce soutien.
Plusieurs États membres exercent une forte pression pour que, conformément au traité, l'Union adhère à la Convention européenne des droits de l'homme, mais je crois qu'il est nécessaire de bien clarifier les choses au préalable.
M. André Gattolin. - Je rappelle que notre ancien collègue Denis Badré s'était vu confier en 2011 une mission à ce sujet et qu'il avait rendu un rapport particulièrement documenté.
Nous sommes face à un conflit de doctrine juridique : qui établit le droit de l'Union européenne ? Le Conseil de l'Europe dispose de plusieurs organes importants, dont la Cour européenne des droits de l'homme qui définit une jurisprudence dans un champ finalement réduit, à savoir les libertés fondamentales et l'État de droit. De son côté, le champ de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne est principalement de nature économique ; elle peut d'ailleurs infliger des sanctions financières, qui sont parfois lourdes.
J'ai travaillé sur la question des libertés académiques. En 2017, lorsque la Hongrie a adopté une législation restreignant les libertés en la matière, un double recours a été déposé : la CJUE a fondé sa décision sur la liberté d'entreprendre et la CEDH sur la liberté d'expression, ce qui me paraît d'ailleurs plus adapté en l'espèce. La volonté de recentrer les choses autour de la CJUE pourrait renforcer cette logique économique - la défense du marché unique - au détriment d'autres aspects.
Pour autant, je partage l'avis du Gouvernement et celui qui vient d'être exprimé par nos trois présidents de commission. Il n'est pas souhaitable d'élargir le champ juridictionnel de la CJUE sans un consentement démocratique.
M. Dominique de Legge. - Je suis d'accord sur le fait que nous ne pouvons pas accepter une réécriture des traités sans consentement démocratique. C'est ce que nous indiquions dans notre communication d'octobre dernier.
J'ajoute que, par rapport au moment où le traité de Lisbonne a été signé et ratifié, le contexte a changé. Je pense évidemment à la guerre en Ukraine. Nous devons donc prendre le temps de la réflexion pour évaluer précisément les conséquences pratiques et opérationnelles d'une adhésion de l'Union européenne à la Convention européenne des droits de l'homme.
Qui plus est, la France a une place, donc une voix, spécifique : nous sommes le seul pays de l'Union européenne qui dispose d'une armée capable de se projeter.
M. Philippe Bonnecarrère. - Ce sujet est d'apparence technique, mais il est profondément politique.
Je partage les préoccupations qui ont été exprimées et l'idée que les actes régaliens, en particulier en matière de politique étrangère et de défense, doivent être sanctuarisés. En ce qui concerne le statut des militaires ou la lutte contre le terrorisme, par exemple, je crois que la France a péché par insuffisance d'analyse en amont des projets de textes européens - je pense à la directive sur le temps de travail ou au règlement général sur la protection des données (RDPD).
Je crois que l'idée qu'il pourrait y avoir une approche différente sur les valeurs entre la CJUE et la CEDH est un non-sujet. En effet, la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne fait explicitement référence aux droits qui résultent de la Convention européenne des droits de l'homme.
Par ailleurs, l'obligation d'adhésion de l'Union européenne à la Convention européenne des droits de l'homme, telle qu'elle est prévue dans le traité, conduirait la CEDH à traiter de tous les sujets pouvant lui être soumis, sans exclusion ou réserve en ce qui concerne la PESC ou la PSDC. La CJUE avait déjà adressé un tir de barrage à ce sujet en 2014 et elle a renouvelé cette position en 2019 avec des arguments forts : il serait en effet paradoxal, d'une part, que la CJUE ne soit pas compétente en matière de PESC, alors que la CEDH le serait, d'autre part, que des actes et décisions de l'Union européenne, en particulier dans des domaines régaliens, soient soumis à des magistrats ressortissants de pays non membres de l'Union européenne, par exemple la Russie ou la Turquie.
La plupart des États membres ne nous suivent pas. En Europe, l'idée la plus répandue est que le contrôle de l'État de droit doit être confié à des tiers. De ce point de vue, la CEDH est tout indiquée. La proposition de résolution européenne (PPRE) envisagée est donc très bienvenue.
En fait, la Commission essaie de protéger la CJUE. En effet, la CEDH deviendrait compétente sur la PESC. En somme, la Commission pousse la CJUE à outrepasser son mandat pour éviter qu'une autre instance ne devienne compétente à sa place. Au fond, la question est de savoir quelle sera la juridiction faîtière. L'adhésion de l'Union européenne à la CEDH donnerait à cette instance un rôle faîtier, au-dessus de la CJUE, ce qui n'est pas convenable. Bref, si les autres États membres acceptent de ne pas remettre sur le tapis la question de l'adhésion à la CEDH, la Commission n'aura aucun motif d'organiser un contre-feu en donnant à la CJUE des pouvoirs supplémentaires.
M. Didier Marie. - Je ne suis pas spécialiste de la question, qui a été suivie par Gisèle Jourda, Dominique de Legge et Jean-Yves Leconte. Les 27 États membres adhèrent à la CEDH. Le traité de Lisbonne a entériné le fait que l'Union devait adhérer à la CEDH. Le processus a été lancé. Il s'est avéré qu'il pose quelques difficultés, majeures, pour la PESC. Mais l'adhésion de l'Union européenne à la CEDH est tout de même un renforcement des droits fondamentaux des citoyens européens par rapport à toute décision que l'Union européenne pourrait prendre les concernant. C'est donc une avancée, et il ne faudrait pas que la PPRE donne le sentiment que nous souhaitons remettre cette adhésion en cause.
Comme l'ont bien dit les trois présidents, nous ne pouvons pas accepter une réforme déguisée des traités. Il existe des mécanismes et ils doivent être respectés. Si l'on commence, sur ce sujet, à réviser de façon détournée les traités, pourquoi ne pas le faire pour d'autres sujets ? Cela aboutirait à détricoter la totalité des dispositifs qui organisent notre vie collective.
Il faut trouver des solutions alternatives. Parmi celles-ci figurent la redéfinition des périmètres de compétence des deux cours, et la spécification de celles de la CJUE. Pourquoi ne pas imaginer une instance provisoire permettant de départager les responsabilités et, en cas de conflit, tranchant les différences d'appréciation ? Entre l'Union européenne et le Conseil de l'Europe, on doit pouvoir trouver une articulation qui satisfasse les intérêts des uns et des autres.
La PPRE devrait donc réaffirmer l'intérêt pour les Européens que l'Union adhère à la CEDH et proposer quelques solutions de ce type.
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - Sauf à revoir le traité de Lisbonne, rien ne conduira à remettre en cause l'objectif d'adhésion de l'Union à la CEDH. La France, du reste, a affirmé clairement sa volonté que cette adhésion se fasse. Nous pouvons le rappeler dans la PPRE, d'autant qu'on nous reproche parfois de ne plus avoir cette volonté.
M. Philippe Bonnecarrère. - Voilà plus de dix ans que nous sommes dans cette situation, et que nous utilisons l'opposition acharnée de la CJUE, qui bloque, à mon avis légitimement, les choses.
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. - Nous devons néanmoins veiller à l'orthodoxie de la procédure, qui garantit le respect des engagements des uns et des autres et des règles communes. Sur le sujet de fond, seule la France est engagée dans les opérations. Notre devoir est aussi de protéger notre pays et les actions qu'il engage, celles-ci étant de toute façon soumises à un contrôle juridictionnel. Dans sa lettre, la Première ministre nous encourage à continuer. Cette PPRE constituera un soutien assez marqué à nos dirigeants pour faire prévaloir les intérêts de la France et de l'Europe.
M. Philippe Bonnecarrère. - La position réaffirmée par la Première ministre vise à éviter que les actes régaliens, notamment en matière de défense, ne soient soumis au contrôle de la CJUE. Mais si l'Union européenne adhère à la CEDH, celle-ci pourra assurer le contrôle de la PESC - sauf à réviser les traités, ce que vous avez raison de rejeter. Je vous invite donc à vous lancer dans un long combat pour organiser une inertie longue et puissante sur les deux terrains...
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. - Nous devons sauvegarder le contrôle parlementaire de ces politiques étrangères, au vu de l'importance des crédits qui leur sont consacrés et des conséquences qu'elles peuvent avoir sur la paix, la sécurité et la souveraineté de chaque État. On a suffisamment reproché aux instances européennes de se mêler de compétences qui semblaient relever plutôt des États : défendons nos prérogatives !
Curieusement, dans cette affaire, la Commission européenne interprète de la manière la plus extensive la possibilité d'aller à l'encontre des traités. Or elle n'a aucune légitimité démocratique pour faire cela. Tout se passe comme si l'on n'avait pas tiré les leçons du Brexit... Les États membres ne sont pas tous fanatiques du fédéralisme européen, et de nombreux partis militent pour que la dimension nationale soit sauvegardée au sein de l'Union européenne. Les Britanniques se plaignaient notamment des décisions de la CEDH, dont ils voulaient s'affranchir.
Une démarche forte, sous la forme d'une PPRE, est donc bienvenue. C'est un dispositif dont il ne faut d'ailleurs pas abuser.
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - Le texte sera d'abord soumis à la commission des affaires européennes, puis à la commission des affaires étrangères si nécessaire, avant de devenir, après adoption, résolution du Sénat. Nous voulons un texte porteur d'un message fort, en tous cas.
La réunion est close à 17 h 25.