- Mardi 6 décembre 2022
- Mercredi 7 décembre 2022
- Gestion de la compétence eau par les collectivités territoriales dans un contexte de changement climatique - Audition de MM. Thierry Burlot, président du Cercle français de l'eau (CFE), Baptiste Julien, responsable du pôle eau, Association Amorce, Bruno Forel, président, et Frédéric Molossi, coprésident de l'Association nationale des élus de bassin (ANEB)
- Questions diverses
- Proposition de nomination de M. Boris Ravignon, candidat proposé par le Président de la République aux fonctions de président du conseil d'administration de l'Agence de la transition écologique (Ademe) - Désignation d'un rapporteur
Mardi 6 décembre 2022
- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -
La réunion est ouverte à 17 h 00.
Projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans les domaines de l'économie, de la santé, du travail, des transports et de l'agriculture (procédure accélérée) - Examen du rapport pour avis et des amendements sur les articles délégués au fond
M. Jean-François Longeot, président. - Nous examinons le rapport pour avis de notre collègue Cyril Pellevat sur le projet de loi n° 140 (2022-2023) portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans les domaines de l'économie, de la santé, du travail, des transports et de l'agriculture. Notre commission a reçu de la commission des affaires sociales une délégation au fond pour l'examen des articles 26 à 29 de ce projet de loi. La commission des affaires sociales se réunira demain matin pour l'examen du texte au fond.
Je félicite notre rapporteur pour le travail accompli, dans un délai particulièrement contraint, ce qui ne l'a pas empêché de mener une dizaine d'auditions sur des sujets techniques.
M. Cyril Pellevat, rapporteur pour avis. - Notre commission est saisie pour avis avec délégation au fond des quatre articles du titre III, qui regroupe des dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière de transports.
Je regrette les délais extrêmement serrés dans lesquels nous avons eu à examiner ce texte particulièrement technique. Déposé le 23 novembre dernier, nous avons disposé de moins de dix jours pour conduire un travail de fond sur les articles qui nous ont été délégués. Pour autant, j'ai conduit une dizaine d'auditions, qui m'ont permis d'entendre les principales parties prenantes concernées par ces articles qui, au-delà de leur aspect purement technique, ont une portée résolument concrète pour la vie quotidienne de nos concitoyens.
L'article 26 transpose la dernière version de la directive relative à la taxation des véhicules pour l'utilisation de certaines infrastructures, dite directive « Eurovignette ».
Cette directive prévoit des règles nouvelles de modulation et de majoration des péages applicables aux véhicules lourds de transport de marchandises et de personnes. Dans sa précédente version, elle imposait de moduler les péages en fonction des émissions de polluants atmosphériques des véhicules, c'est-à-dire en fonction de leur classe « EURO ». Cette obligation, mise en oeuvre dans les contrats de concession conclus après 2010, n'a eu qu'une portée assez limitée : seuls 235 des 9 200 kilomètres du réseau routier national concédé sont concernés par cette modulation. De plus, la grande majorité des véhicules lourds relèvent aujourd'hui de la classe EURO VI, la classe la plus stricte en matière d'émissions de polluants atmosphériques. Dès lors, comme l'a confirmé l'Autorité de régulation des transports (ART), cette modulation perd de sa pertinence. La Commission a présenté le 10 novembre dernier une proposition visant à définir de nouvelles normes EURO VII.
La version révisée de la directive « Eurovignette » prévoit quant à elle une modulation en fonction des émissions de CO2 : c'est la première obligation fixée par la directive.
En second lieu, la directive prévoit l'obligation d'appliquer une redevance pour coûts externes liée à la pollution atmosphérique due au trafic à compter du 25 mars 2026.
Enfin, la troisième obligation impose de faire varier les péages applicables aux camionnettes et minibus en fonction de leur performance environnementale à compter de 2026.
Au-delà de ces éléments obligatoires, la directive donne aux États membres la possibilité de mettre en place d'autres dispositifs facultatifs, tels que la création d'un surpéage sur des tronçons saturés ou encore d'une redevance de congestion.
L'article 26 transpose dans le code de la voirie routière, de manière fidèle, les seules dispositions obligatoires de la directive. Pour éviter de remettre en cause les règles tarifaires des contrats autoroutiers et de bouleverser l'équilibre économique des contrats en cours, il prévoit, en conformité avec le droit européen, de n'appliquer ces nouvelles obligations qu'aux contrats de concession conclus postérieurement au 24 mars 2022.
Au-delà de cette transposition des seules obligations de la directive « Eurovignette », je vous proposerai plusieurs amendements ouvrant le recours à certains des dispositifs facultatifs prévus par la directive, ceci pour relever l'ambition du texte et mieux accompagner le mouvement de décarbonation du transport routier. Je pense notamment à la possibilité d'exonérer de redevance pour coûts externes les véhicules relevant de la classe EURO la plus stricte pendant quatre ans, ce qui permettra d'encourager le renouvellement des flottes, ou encore à la possibilité d'appliquer une modulation en fonction de la congestion du trafic.
Par ailleurs, j'ai constaté que la transposition proposée par cet article 26 se contentait de modifier les seules dispositions relatives aux contrats de concession autoroutiers. Or, l'ordonnance relative à l'instauration d'une taxe sur le transport de marchandises par la Collectivité européenne d'Alsace (CEA) obéit également aux règles fixées par la directive « Eurovignette ». La taxe alsacienne doit ainsi être actualisée au regard du droit européen révisé. Aussi, il nous revient, pour donner davantage de visibilité à la CEA dans la mise en oeuvre de sa taxe, de transposer a minima les obligations prévues par la dernière directive. Je vous proposerai donc un amendement en ce sens.
L'article 28 du projet de loi, ensuite, met en application le règlement sur les droits et obligations des voyageurs ferroviaires.
Afin de mieux les protéger en cas de retard, d'annulation ou de discrimination, ce texte procède à une refonte du règlement de 2007 sur les droits et obligations des voyageurs ferroviaires. Plusieurs améliorations sont proposées par ce texte européen, en matière d'assistance aux personnes handicapées et aux personnes à mobilité réduite, en faveur de l'accroissement de la place des vélos dans le système ferroviaire et du renforcement de l'information des voyageurs. Il prévoit également de meilleures conditions de remboursement, de réacheminement, d'indemnisation et d'assistance en cas de retard ou d'annulation d'un train.
La présidente de la commission des transports du Parlement européen y a vu un « pas en avant », même si le Parlement était plus ambitieux pour étendre les droits des consommateurs. La portée de ce nouveau règlement doit, en effet, être relativisée parce que le droit national est déjà souvent plus favorable que la « norme minimale » européenne - par exemple s'agissant du nombre de places de vélos ou des droits à l'information des voyageurs - mais aussi parce que le Gouvernement en a restreint le champ d'application aux services urbains, suburbains et régionaux de transport ferroviaire, en recourant à un certain nombre de dérogations. J'entends cependant son argument, en particulier sur le nombre de voyageurs beaucoup plus élevé dans ces transports du quotidien et les caractéristiques différentes des conditions de voyage - notamment l'absence de billet nominatif, contrairement aux TGV et Intercités.
De plus, à un article près, le Gouvernement a choisi la dérogation au règlement la plus étendue possible en n'appliquant à ces services que les articles qui concernent l'ensemble des modes de transport ferroviaire, sachant qu'en tout état de cause, il ne s'applique pas aux services de transport guidé que sont le métro, le tramway et, au moins pour partie, le RER.
Pour l'essentiel, nous sommes donc conduits à nous prononcer sur le champ des exceptions aux principes fixés par le règlement.
Si l'équilibre proposé par l'article 28 est globalement satisfaisant, je vous proposerai quelques ajustements.
Je vous proposerai de renforcer les droits des personnes handicapées ou à mobilité réduite en prévoyant une obligation d'indemnisation par les entreprises ferroviaires et les gestionnaires des gares en cas de perte ou d'endommagement d'équipements de mobilité, comme les fauteuils roulants, de dispositifs d'assistance, ou la blessure d'un chien d'assistance.
Je vous proposerai aussi de reporter à 2025 l'entrée en vigueur, pour les services ferroviaires régionaux, de certaines dispositions relatives au remboursement, à l'indemnisation et à l'assistance des voyageurs qui disposent d'un billet direct pour effectuer un voyage. En l'état actuel, cette disposition est de nature à créer des ruptures d'égalité entre différentes catégories de voyageurs, d'une part, et à entraver le bon déroulement de l'ouverture à la concurrence, d'autre part.
Je vous proposerai, enfin, de prévoir une évaluation des dérogations aux obligations fixées par le règlement européen, dans un délai de cinq ans. Cette évaluation pourrait être l'occasion d'ajuster le champ de ces dérogations, afin d'améliorer davantage les droits des voyageurs ferroviaires et d'accroître la part modale du transport ferroviaire.
Enfin, les deux autres articles qui nous ont été renvoyés au fond, les articles 27 et 29, apportent des corrections rédactionnelles qui n'appellent pas d'observation particulière. Je vous proposerai, dans un souci de sécurité juridique, de ratifier l'ordonnance qui transpose une directive européenne relative aux installations de réception portuaires pour le dépôt des déchets des navires.
M. Jacques Fernique. - Il est surprenant que la transposition ait oublié d'inclure la taxe mise en place en Alsace. Nous avions pourtant, au Sénat, introduit des dispositions pour anticiper cette actualisation de la directive « Eurovignette », notamment pour prendre en compte dans la taxation des véhicules leur contribution à la pollution, mais cet ajout n'avait pas survécu à la navette. Nous pouvons aujourd'hui y revenir. J'ai compris que la transposition proposée était a minima, vous le dites, mais alors quels seront les autres outils que la CEA pourra mobiliser pour aller plus loin ?
M. Cyril Pellevat, rapporteur pour avis. - La CEA pourrait par exemple mettre en place une redevance pour congestion. Je vous indique d'ores et déjà que, si l'inclusion de la taxe alsacienne dans la transposition semble faire consensus parmi les sénateurs alsaciens que j'ai consultés, le Gouvernement paraît préférer passer par la voie d'une ordonnance, ce qui lui ferait donner un avis défavorable à notre amendement ; nous verrons bien ce qu'il en est.
M. Jean-François Longeot, président. - Il entre pleinement dans le rôle du législateur de légiférer en examinant un texte législatif plutôt qu'en approuvant un projet de loi d'habilitation à légiférer par ordonnances. Il est essentiel que le Sénat exerce pleinement son rôle à cet égard.
Nous devons fixer, conformément à l'article 44 bis du Règlement du Sénat, le périmètre de l'article 45 de la Constitution sur ces articles dont le fond nous est délégué.
M. Cyril Pellevat rapporteur pour avis. - Je vous propose de retenir dans le périmètre du texte les dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne concernant :
- la taxation des véhicules pour l'utilisation d'infrastructures routières ;
- les installations de réception portuaires pour le dépôt des déchets des navires ;
- les droits et obligations des voyageurs ferroviaires ;
- le transport routier international avec le Royaume-Uni.
Il en est ainsi décidé.
EXAMEN DES ARTICLES
M. Cyril Pellevat, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-13 précise que les véhicules concernés par les nouvelles obligations de modulation et de majoration prévues par la directive « Eurovignette » dans sa version de 2022, sont les véhicules d'un poids total autorisé en charge supérieur à 3,5 tonnes.
L'amendement COM-13 est adopté.
M. Cyril Pellevat, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-14 donne la possibilité, dans les futurs contrats de concession, d'exonérer de péages les véhicules à émission nulle. Cette possibilité est temporaire et s'achèvera au 31 mars 2025, conformément à ce que permet la directive « Eurovignette », dans sa dernière version.
L'amendement COM-14 est adopté.
M. Cyril Pellevat, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-25 donne la possibilité, dans les futurs contrats de concession, de moduler les péages appliqués aux véhicules lourds en fonction du moment de la journée, du type de journée ou encore de la saison. Cette possibilité, déjà mise en oeuvre par quelques contrats en cours, pourrait permettre d'optimiser la demande de transport et l'utilisation des infrastructures, mais aussi de réduire la congestion.
Cet amendement précise également que les modulations applicables aux péages des véhicules lourds, qu'il s'agisse de la modulation en fonction des émissions de CO2 ou de la modulation horaire, sont sans effet sur les recettes de l'exploitant. Cette disposition est déjà prévue dans d'autres articles du code de la voirie routière relatifs aux modulations de péages.
L'amendement COM-25 est adopté.
M. Cyril Pellevat, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-16 laisse la possibilité aux futurs contrats de concession d'exonérer de la redevance pour coûts externes liée à la pollution atmosphérique due au trafic les véhicules relevant de la classe EURO la plus stricte, donc ceux qui émettent le moins de polluants atmosphériques. En application de la directive « Eurovignette », et dans un souci d'efficacité, cette possibilité n'est prévue que pour les quatre années suivant l'entrée en vigueur de la classification EURO. Si la révision des normes EURO a une périodicité très variable, la transition du parc vers la dernière norme est en général rapide d'après les sociétés concessionnaires d'autoroutes.
Dans le contexte de la révision des normes EURO, cet amendement encouragera donc davantage les transporteurs au renouvellement des flottes de véhicules lourds par des véhicules moins émetteurs de polluants atmosphériques.
L'amendement COM-16 est adopté.
M. Cyril Pellevat, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-17 précise que le décret en Conseil d'État pris pour l'application des nouvelles obligations en matière de péages applicables aux poids lourds fait l'objet d'un avis consultatif de l'Autorité de régulation des transports. Pour rappel, l'une des missions de l'ART est de veiller à la bonne application des tarifs de péage autoroutier.
L'amendement COM-17 est adopté.
M. Cyril Pellevat, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-15 reporte à 2026 l'obligation d'une redevance pour coûts externes liés à la pollution atmosphérique pour les véhicules lourds. Cette application à compter de 2026, prévue par la directive « Eurovignette », permettra aux transporteurs d'anticiper l'instauration de cette majoration et de renouveler leur parc de véhicules, une fois que les nouvelles normes EURO entreront en vigueur.
M. Jacques Fernique. - Si je comprends bien, on repousse l'obligation à 2026, mais pour les concessions en cours, cela pourra être plus loin encore, selon leur terme.
M. Ronan Dantec. - L'obligation ne serait donc pas générale à compter de 2026 ?
M. Cyril Pellevat, rapporteur pour avis. - Effectivement, nous repoussons l'obligation à 2026, pour les nouvelles concessions, mais en réalité la plupart des renouvellements de concessions est prévue pour plus tard.
M. Jacques Fernique. - L'amendement s'appliquera-t-il à la CEA ?
M. Cyril Pellevat, rapporteur pour avis. - Non.
L'amendement COM-15 est adopté.
La commission proposera à la commission des affaires sociales d'adopter l'article 26 ainsi modifié.
Article additionnel après l'article 26
M. Cyril Pellevat, rapporteur pour avis. - La transposition proposée par l'article 26 ne s'appliquant qu'aux péages autoroutiers, elle ne concerne pas l'ordonnance relative à l'instauration d'une taxe sur le transport routier de marchandises par la Collectivité européenne d'Alsace (CEA). L'amendement COM-18 répare cet oubli en transposant pour cette taxe les seules dispositions obligatoires de la directive « Eurovignette » ; il prévoit notamment qu'à compter de 2024, la modulation de la taxe repose sur les émissions de CO2 des véhicules, et non plus sur les classes EURO. Nous l'avions d'ailleurs proposé par anticipation dans le débat sur l'ordonnance relative à cette taxe.
Cet amendement pourra être complété au cours de la navette, par d'autres dispositions facultatives prévues par la directive et qui sembleraient opportunes à la CEA.
L'amendement COM-18 est adopté.
La commission proposera à la commission des affaires sociales d'adopter cet article additionnel.
M. Cyril Pellevat, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-19 corrige plusieurs erreurs matérielles introduites par l'ordonnance transposant la directive relative aux installations de réception portuaire pour le dépôt des déchets des navires et propose de ratifier cette ordonnance pour lui donner pleine valeur législative.
L'amendement COM-19 est adopté.
La commission proposera à la commission des affaires sociales d'adopter l'article 27 ainsi modifié.
M. Cyril Pellevat, rapporteur pour avis. - L'article 28 exonère les services ferroviaires urbains et suburbains de l'obligation d'indemnisation, par les entreprises ferroviaires ou les gestionnaires des gares, de la perte ou de l'endommagement des dispositifs d'assistance des personnes handicapées et à mobilité réduite. L'amendement COM-20 impose cette obligation à l'ensemble des services ferroviaires, ceci pour renforcer les droits des personnes handicapées ou à mobilité réduite.
M. Stéphane Demilly. - Qu'est-ce que cela signifie, plus précisément ?
M. Cyril Pellevat, rapporteur pour avis. - Un dédommagement doit être prévu quand, à l'occasion du service du transport, il y a perte ou endommagement des dispositifs d'assistance des personnes handicapées ou à mobilité réduite, par exemple un fauteuil roulant ; cet amendement étend cette obligation aux services ferroviaires urbains et suburbains, absents dans la transposition.
M. Jacques Fernique. - C'est effectivement plus précis.
M. Cyril Pellevat, rapporteur pour avis. - Le Gouvernement y est apparemment favorable, et les opérateurs également.
L'amendement COM-20 est adopté.
L'amendement rédactionnel COM-21 est adopté.
M. Cyril Pellevat, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-23 coordonne l'élaboration obligatoire d'un plan « train-vélo », par les autorités organisatrices de la mobilité (AOM) régionales et Île-de-France Mobilités, avec les autres dispositions relatives à l'accroissement de la part du vélo déjà prévues par le code des transports. Il précise que la délibération de l'AOM définissant le nombre de places minimales réservées aux vélos dans les matériels roulants neufs est prise en cohérence avec ce plan ; il prévoit également la possibilité de consulter le comité des partenaires sur ce plan.
L'amendement COM-23 est adopté.
M. Cyril Pellevat, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-22 rectifié reporte à 2025 l'entrée en vigueur, pour les services ferroviaires régionaux, de certaines dispositions relatives au remboursement, à l'indemnisation et à l'assistance des voyageurs qui disposent d'un billet direct pour effectuer leur voyage.
Dans sa rédaction actuelle, l'article 28 accorderait aux voyageurs d'un même train des droits différents selon qu'ils ont une correspondance avec l'opérateur historique ou pas. Il pourrait également nuire au bon déroulement de l'ouverture à la concurrence, en ce qu'il imposerait à la seule SNCF Voyageurs un certain nombre d'obligations, pour un service que les nouveaux entrants ne seraient pas en mesure d'offrir.
Le report à 2025 de certaines des obligations permettra aux différents opérateurs ferroviaires de définir des conditions financières plus équitables sur l'ensemble du réseau. Cette possibilité de dérogation est permise jusqu'au 7 juin 2028 pour les services ferroviaires régionaux par l'article 2 du règlement. Dans un souci de pragmatisme, je vous propose, pour l'heure, d'y déroger pour deux années seulement.
L'amendement COM-22 rectifié est adopté.
M. Cyril Pellevat, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-24 prévoit d'évaluer la mise en oeuvre des obligations et des dérogations prévues en application du règlement relatif aux droits et obligations des voyageurs ferroviaires, cinq ans après leur mise en oeuvre. Cette évaluation permettra, le cas échéant, d'ajuster le champ des dérogations prévues, afin de renforcer les droits des voyageurs ferroviaires et d'accroître la part modale du train.
L'amendement COM-24 est adopté.
La commission proposera à la commission des affaires sociales d'adopter l'article 28 ainsi modifié.
La commission proposera à la commission des affaires sociales d'adopter l'article 29 sans modification.
M. Jean-François Longeot, président. - Nous en avons terminé avec l'examen des amendements. La commission des affaires sociales se réunira demain matin pour l'examen du rapport au fond et l'élaboration de son texte. Le projet de loi sera examiné en séance publique le 13 décembre prochain.
La commission donne un avis favorable à l'adoption du projet de loi, sous réserve de l'adoption de ses amendements.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
La réunion est close à 17 h 35.
Mercredi 7 décembre 2022
- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -
La réunion est ouverte à 10 h 35.
Gestion de la compétence eau par les collectivités territoriales dans un contexte de changement climatique - Audition de MM. Thierry Burlot, président du Cercle français de l'eau (CFE), Baptiste Julien, responsable du pôle eau, Association Amorce, Bruno Forel, président, et Frédéric Molossi, coprésident de l'Association nationale des élus de bassin (ANEB)
M. Jean-François Longeot, président. - Mes chers collègues, à la demande de plusieurs d'entre vous, notamment d'Hervé Gillé que je salue, nous entamons aujourd'hui un cycle d'auditions consacrées à l'eau, cette ressource si précieuse sans laquelle il n'y a pas de vie.
Pendant longtemps, notre pays s'est bercé de l'illusion que la ressource en eau était illimitée grâce à son climat tempéré, à sa pluviométrie abondante et régulière, ainsi qu'à des aquifères aux effets contracycliques, qui jouent le rôle de masses d'eau de réserve pour répondre aux besoins l'été et se rechargent l'hiver. Ce cycle idéal n'est plus qu'un souvenir. La donne hydrique a changé car l'or bleu est devenu rare. Ce n'est un scoop pour personne : nos concitoyens font l'amère expérience d'épisodes de sécheresse chaque année plus sévères, plus fréquents et plus longs. Plus d'une centaine de communes ont été dans l'incapacité de fournir de l'eau potable à leurs habitants au plus fort de la canicule l'été dernier : c'est une situation inédite qui a marqué les esprits, avec des approvisionnements par camion qui sont le révélateur de la fragilité de nos réseaux et de notre dépendance, souvent oubliée, aux performances des services d'adduction d'eau.
Dans ce contexte, il m'a paru fondamental que la commission s'intéresse à nouveau à ce sujet, à l'aune notamment des évolutions du contexte climatique et hydrologique. La bonne gestion de l'eau est un prérequis essentiel à un contexte social apaisé : la rareté de l'eau peut conduire à des conflits d'usage délicats à résoudre mais, plus grave encore, à des conflits d'usagers, ce qu'il faut à tout prix éviter. Les défis sont devant nous et il est nécessaire de s'y préparer. Nous ne partons naturellement pas d'une feuille blanche, mais il faut que cette feuille, dont les premières lignes ont déjà été tracées, devienne une véritable feuille de route pour assurer la résilience hydrique de la France !
Cette première table ronde est consacrée à la gestion de la compétence dans le domaine de l'eau par les collectivités territoriales dans un contexte de changement climatique. Cela n'étonnera personne, le Sénat étant l'assemblée des territoires.
Pour explorer ce vaste sujet et les nombreuses questions qu'il soulève, nous avons le plaisir d'accueillir :
- Thierry Burlot, président du Cercle français de l'eau (CFE), une association créée en 1990 par notre ancien collègue Jacques Oudin, sénateur de la Vendée. M. Burlot est par ailleurs président du comité de bassin Loire-Bretagne ;
- Bruno Forel, président, et Frédéric Molossi, coprésident, de l'Association nationale des élus de bassin (ANEB) ;
- Baptiste Julien, en visioconférence, responsable du pôle eau de l'association Amorce, un réseau d'information, de partage d'expériences et d'accompagnement des collectivités en matière de transition énergétique et de gestion durable de l'eau.
Qu'elle repose sur une organisation en régie ou une délégation de service public, l'exercice de la compétence « eau et assainissement » est confrontée à des défis nouveaux : raréfaction de la ressource, rénovation de réseaux vieillissants caractérisés par de forts taux de fuite ou tarification aux usagers, un important levier d'investissement que peu d'élus utilisent.
Il y a une forme d'anachronisme à rester sur l'idée que la modicité du prix de l'eau est un indicateur de bonne gestion de la compétence. Dans un avenir proche, il faudra nécessairement débattre de la facture d'eau, le prix étant un puissant vecteur de sobriété pour mettre fin aux gaspillages, à condition que des actions de sensibilisation du grand public soient menées en parallèle.
La voie est cependant étroite : la fourniture d'une eau de qualité à un coût maîtrisé est un enjeu de premier plan pour les services d'eau et les usagers, même si l'idée d'une tarification de l'eau à l'aune des contraintes pesant sur la ressource fait son chemin. J'aimerais vous entendre sur le sujet. Cette question me paraît essentielle pour le petit cycle de l'eau, alors que de nombreux élus locaux déplorent le désengagement relatif des agences de l'eau pour la rénovation des canalisations et des ouvrages de traitement. À ce propos, j'ai récemment publié une tribune, largement cosignée par les parlementaires, appelant à un plan d'urgence nationale eau qui déclinerait, entre autres mesures, un ambitieux programme de rénovation des réseaux.
Notre pays est un bon élève historique en matière de gestion et de traitement de la ressource hydrique, à tel point qu'on parle souvent d'une « école française de l'eau », mais il ne faut pas baisser la garde ni abandonner le soutien financier aux collectivités gestionnaires. Je rappelle que la Commission européenne a saisi la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) d'un recours en manquement le 9 juin 2021, car les conditions de traitement des eaux urbaines résiduaires de 169 agglomérations d'assainissement de 2 000 habitants et plus sont non conformes à la directive européenne. À ce jour, 92 présentent à nouveau des performances conformes aux exigences de la directive, mais 77 sont toujours en cours de mise en conformité. Il y a là un point d'attention sur lequel la commission souhaiterait recueillir votre avis.
J'aimerais également évoquer les réformes à mener pour lever le tabou de la réutilisation des eaux usées. On arrose aujourd'hui les pelouses avec de l'eau potable, les voitures sont lavées avec la même eau que celle qui sert à la cuisson de nos aliments. Comment mettre fin à cette aberration ? Quels sont les freins à desserrer pour avancer sur ce sujet, sans amoindrir la sécurité sanitaire des populations ?
Ce ne sont là que des premières pistes pour engager le dialogue avec la commission. Je ne doute pas que mes collègues sénateurs auront bien d'autres questions à vous poser.
M. Thierry Burlot, président du Cercle français de l'eau (CFE). - L'été 2022 nous a permis de comprendre que l'eau n'était pas inépuisable. C'est un bien commun, essentiel au développement économique et à l'attractivité de nos territoires. Sans eau, pas de santé publique, d'énergie, d'urbanisme, d'industrie. Ce manque d'eau a profondément marqué nos territoires, particulièrement nos territoires ruraux.
En Bretagne, à Ploeuc-L'Hermitage, terre où l'on cultive la pomme de terre, la production a connu une baisse de 50 % cette année. Il en va de même pour les haricots verts partout en France. L'eau est précieuse et rare, et l'on s'est rendu compte qu'il fallait la considérer avec attention. Le réveil est douloureux, alors que notre pays était plutôt bien organisé autour de la loi de 1964, loi fondatrice qui a créé les périmètres hydrographiques, les agences de l'eau et surtout une certaine forme de démocratie participative autour de la gestion de l'eau.
La loi de 1992 a, quant à elle, instauré les schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) et a opéré une forme plutôt réussie de décentralisation, à tel point que notre pays est une référence internationale en matière de gestion de la ressource. On l'avait presque oublié, et c'est à l'étranger que l'on peut entendre vanter les mérites du modèle français. Comment a-t-on pu en arriver là avec un aussi bon modèle ? Il existe selon moi trois sujets majeurs.
En premier lieu, le petit cycle de l'eau a bien fonctionné : aujourd'hui, l'eau du robinet est acheminée vers l'ensemble des foyers et cela se passe plutôt bien, à quelques exceptions près. On a même mis en place des réseaux d'assainissement.
Vous l'avez dit, monsieur le président : il existe des inégalités tarifaires. Les territoires ruraux payent généralement plus cher que les territoires urbains, mais cela s'explique aussi par la configuration des réseaux et le nombre d'abonnés. On a parfois débattu du mode de gestion mais, aujourd'hui, les choses sont sous maîtrise publique.
Le sujet porte principalement sur ce qu'on appelle le grand cycle de l'eau - même si je n'aime pas faire la distinction entre le grand et le petit cycle, puisqu'il s'agit de la même eau. Certes, il faudra améliorer certaines choses à propos du petit cycle de l'eau : interconnexion des réseaux, sécurisation, rendement - mais ce sont des améliorations que l'on est en mesure d'apporter. Il faudra cependant être solidaire, bien qu'on ne le soit généralement que lorsqu'on a quelque chose à y gagner.
Prenez l'exemple de la Bretagne : les départements les plus sécurisés sont les plus interconnectés. C'est une des leçons de cet été. Certains territoires sont plus fragiles que d'autres, mais je ne suis pas inquiet pour ce qui est du petit cycle de l'eau. Il faudra toutefois travailler sur la rénovation et la jouvence des réseaux. On en reparlera.
Les choses sont plus compliquées en ce qui concerne le grand cycle. Tout d'abord, le périmètre hydrographique ne correspond pas au périmètre de la décision politique. Il y a là un véritable sujet. Qui décide et la cohérence est-elle assurée ? Pour illustrer mon propos, je prendrais l'exemple des SDAGE. Le comité de bassin Loire-Bretagne vient de voter le sien - comme si l'on pouvait faire un document unique sur un périmètre aussi différent - avec un certain nombre de difficultés et de tensions sur le sujet.
Dans l'un de ses avis, l'Autorité environnementale a reproché l'absence de coordination avec les schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET), comme si on pouvait écrire une politique de l'eau indépendamment d'une politique économique et d'aménagement du territoire !
C'est là l'une des premières incohérences en matière de politique de l'eau. Celle-ci s'est enfermée dans la technique, en oubliant l'aménagement du territoire et le développement économique, qui font la qualité de la nappe phréatique et de nos rivières. Si ces politiques ne se croisent pas, la cohérence de l'ensemble est affaiblie.
Au-delà des SDAGE, des schémas d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE) ont vu le jour dans les bassins versants. Or les SAGE ne dialoguent pas forcément avec les intercommunalités. Les intercommunalités élaborent des schémas de cohérence territoriale (SCoT), des plans locaux d'urbanisme intercommunaux (PLUi), etc., sans se soucier de la question de l'eau, de son prélèvement et, surtout, de la capacité épuratoire du milieu aquatique. Si la politique de l'eau ne fait pas l'objet d'une mise en cohérence avec les politiques agricoles, on se prive de la possibilité d'une approche globale.
En deuxième lieu - et le sujet est d'importance -, le financement du petit cycle fonctionne assez bien : plus on consomme, plus on paie. Cela a du sens. Ce n'est pas la même chose pour le grand cycle de l'eau. Le fruit des redevances des agences de l'eau, au niveau national, représente un peu plus de 2 milliards d'euros. Le comité de bassin Loire-Bretagne représente 30 % du territoire national et ne reçoit que 380 millions d'euros, alors que celui de Seine-Normandie - 20 % du territoire - perçoit 900 millions de redevances. Les territoires ruraux les plus vastes ont ainsi une assiette de redevance plus étroite.
Aujourd'hui, les moyens d'action en faveur du grand cycle de l'eau sont limités, compte tenu de la faiblesse des moyens financiers. Je suis convaincu qu'après l'été que nous venons de vivre, tout le monde a compris que les efforts concernant le grand cycle doivent être accentués - être plus sobre, protéger la ressource, etc.
Pour cela, il ne s'agit pas uniquement de créer de nouvelles contraintes pour l'agriculteur, le propriétaire et la commune. Si nous voulons accroître l'ambition de la politique du grand cycle de l'eau, il faut mettre ce patrimoine au service du bien commun et lui donner les moyens d'agir. L'environnement ne doit pas être vu uniquement sous l'angle de la décroissance. Ce doit être aussi une ambition politique à laquelle on donne les moyens pour aider nos agricultures, les communes, etc.
Aujourd'hui, nous sommes face à un paradoxe : plus on urbanise, plus on imperméabilise, plus on se développe, plus on a d'impact sur la ressource en eau et plus on est aidé ! À l'inverse, plus on oeuvre en faveur de la protection et de la préservation du bien commun, du classement des zones humides ou du bocage, plus les contraintes sont fortes pour le propriétaire, l'exploitant et la commune, sans aucune rétrocession. Si on veut changer le modèle, il faut accorder plus de reconnaissance à ceux qui oeuvrent pour le bien commun.
M. Frédéric Molossi, co-président de l'Association nationale des élus de bassin (ANEB). - L'ANEB regroupe des élus locaux qui représentent leur territoire à travers différents outils, qu'il s'agisse des commissions locales de l'eau (CLE), des établissements publics territoriaux de bassin (EPTB) ou des syndicats de rivière à propos de la question du grand cycle de l'eau.
Il existe un certain nombre de points de convergence entre les propos de Thierry Burlot et ceux que Bruno Forel et moi-même allons tenir devant vous.
Nous sommes fondamentalement attachés à deux principes fondamentaux. En premier lieu, l'eau est un bien commun - et ce qui s'est produit l'été dernier sur la ressource hydrique témoigne de la nécessité de rappeler constamment ce point de vue. En second lieu, nous tenons profondément au fait que le bassin versant soit considéré comme la bonne échelle pour aborder la question du grand cycle de l'eau.
Je le dis dans la mesure où nous avons connu ces dernières années plusieurs bouleversements liés à des modifications législatives, comme la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) ou la loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (MAPTAM), qui ont modifié sensiblement le cadre juridique, notamment à l'échelle des collectivités qui étaient les fers de lance de ces sujets, en particulier les conseils départementaux, avec la création de la compétence « gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations » (GEMAPI), exercée par le bloc communal à travers les EPCI à fiscalité propre ou les métropoles. Les choses se mettent en place progressivement, mais elles sont loin d'être abouties à l'échelle nationale. Il existe encore de grandes disparités en la matière.
En ce qui nous concerne, nous ne sommes pas favorables à un grand soir ou à un nouveau bouleversement du cadre juridique, mais plutôt à un certain nombre de propositions visant à clarifier, renforcer et pérenniser les outils qui existent, qui ont parfois du mal à se déployer ou qui ne bénéficient pas d'un poids juridique et politique suffisamment affirmé.
Mettre en place sur l'ensemble du territoire des outils de planification territoriale est pour nous une nécessité absolue, or ce n'est pas le cas aujourd'hui. Les CLE et les SAGE sont des outils qui ne sont pas déployés sur l'ensemble du territoire. Il nous semble que la priorité est de partager des outils de planification avec l'ensemble des acteurs de la question du grand cycle - élus locaux, monde agricole et industriel.
C'est le gage d'une ouverture du dialogue avec l'ensemble des parties prenantes et de l'élaboration d'un document stratégique partagé. On a bien vu, récemment encore du côté de la Charente, apparaître des conflits d'usage qu'il est indispensable d'éviter à tout prix. Selon nous, le meilleur chemin pour apaiser les tensions consiste à partager une vision commune et stratégique à moyen et long termes à propos de la manière dont nous souhaitons aborder les questions relatives à la gestion du grand cycle de l'eau.
Nous sommes également très attachés à la nécessité de renforcer l'ingénierie publique pour appuyer la mise en oeuvre de la stratégie collective préalablement déterminée. Nous pensons en particulier à la tarification et au renforcement des compétences des EPTB, qui ont pour vocation d'oeuvrer à l'échelle des CLE ou des inter-CLE. Ce sont des outils qui doivent garantir la cohérence et l'intervention de la maîtrise d'ouvrage à l'échelle du bassin versant.
La GEMAPI présente des aspects extrêmement positifs, notamment le fait qu'elle ait été fléchée vers le bloc communal, dans la mesure où elle renvoie à la question de l'eau et du grand cycle et à celle de l'aménagement du territoire.
Il nous semble cependant qu'il existe un trou dans la raquette. Dès lors que la GEMAPI s'installe à l'échelle du bloc communal sans outils de gouvernance, de maîtrise d'ouvrage et d'ingénierie à l'échelle du bassin versant, le risque à terme est une sorte de saucissonnage et un repli des EPCI sur leur propre territoire, que l'on peut parfois constater, sans qu'il soit tenu compte de l'absolue nécessité qu'amont et aval bénéficient d'une approche unifiée, tout comme le monde rural et le monde urbain.
Vous l'aurez compris, selon nous, la politique du grand cycle de l'eau doit être une politique de solidarité et de cohérence entre les territoires. Nous pensons absolument nécessaire de déployer non seulement des EPTB, mais également d'en clarifier et d'en renforcer les compétences ce qui, selon nous, n'est pas aujourd'hui suffisamment le cas.
M. Bruno Forel, président de l'Association nationale de bassin (ANEB). - On l'a dit, la ressource en eau soulève aujourd'hui une vraie question.
En réalité, la difficulté se situe entre nos schémas administratifs à l'échelon des territoires, la manière dont on a organisé l'administration du territoire et la réalité du fonctionnement. En effet, nos territoires sont administrés à l'intérieur de limites administratives diverses - régions, départements, intercommunalités, communes - qui ne correspondent pas aux périmètres hydrologiques. Il est donc essentiel de trouver une articulation permettant, face à une ressource dont la pénurie est gravissime, de trouver un moyen de renforcer la cohérence entre la répartition territoriale administrative classique et le mode de gestion et de compréhension du système de l'eau, qui s'établit par bassin versant.
Ce n'est pas une nouveauté, les EPTB permettent de le faire. C'est parfaitement efficace, apprécié et souvent mondialement copié.
Il faut, pour arriver à gérer les choses convenablement, descendre plus bas dans la maille territoriale - et c'est toute la difficulté : l'eau se traite au niveau très local tout en bénéficiant d'une vision et d'une approche globales.
Comment arriver à faire en sorte que l'eau, qui se gère sur un périmètre hydrographique, puisse être appréhendée au sein de périmètres administratifs qui n'épousent pas le périmètre de fonctionnement ? C'est ce que propose de faire l'EPTB, en s'appuyant - et c'est un bon système - sur la maille la plus territoriale qui soit, le bloc communal.
Il est vrai qu'il existe un certain nombre de variantes. Certains EPTB intègrent aujourd'hui des départements et des régions, certains bassins versants pouvant être de grande taille. On peut travailler sur des mailles avec un EPTB global alors que plusieurs autres vont travailler sur des sous-bassins.
Cependant, il faut donner des moyens de fonctionnement à cette échelle. Il nous semble intéressant que la compétence première de l'eau reste au bloc communal et qu'on associe l'échelle départementale et régionale pour une intervention d'ensemblier, dans une coopération au plus près du terrain, à l'échelon communal et intercommunal.
Il est vrai qu'il manque un rapport de prise en compte entre les SDAGE et les SRADDET. Cependant, cela existe avec les SAGE, les SCoT, les PLU ou les PLUi. Ils sont décrits comme tels : il doit y avoir par définition un rapport de compatibilité entre chaque document.
Or force est de constater que ce rapport de compatibilité, qui devrait être à mon sens une des préoccupations premières de l'action de l'État dans les territoires, n'est pas suffisamment mis en oeuvre. Si l'on insistait davantage sur le pouvoir régalien de l'État pour faire exécuter les textes et pour que chaque document régisse les constructions et le développement urbain, on arriverait sans doute à de bien meilleurs résultats.
Il ne faut pas oublier que la pénurie que nous vivons n'est pas due à une mauvaise gestion du petit cycle de l'eau. Les lois qui ont appelé à passer à l'échelle intercommunale et qui ont favorisé la connexion des petits systèmes vers des systèmes de plus grande assiette permettant plus de sécurité d'approvisionnement et de qualité vont dans le bon sens. Ce travail est en cours, et c'est une très bonne chose.
Au-delà, si nous connaissons la pénurie, c'est parce que notre grand cycle de l'eau est en train de subir des modifications importantes.
Nous pouvons améliorer la situation et faire en sorte que ce grand cycle, sans revenir à ce qu'il était, ne nous joue pas de tours. Depuis dix à quinze ans, les sols s'assèchent en permanence. Les scientifiques le démontrent : l'eau est et sera une denrée plus rare qu'autrefois.
L'aménagement du territoire, la gestion de nos paysages et de nos villes, la manière dont on urbanise peuvent conforter notre capacité à continuer de répondre à nos besoins fondamentaux. Sans doute faudra-t-il regarder la manière dont nous utilisons l'eau, faire des choix culturaux et industriels plus économes.
Cependant, c'est bien le grand cycle qu'il faut arriver à mieux maîtriser. Ce rapport qui détermine l'aménagement du territoire économique et industriel est essentiel. Il me semble qu'en donnant aux EPTB une existence juridique qui attire plus l'action politique de terrain vers ce genre d'établissement, en leur conférant une véritable capacité à peser sur les documents d'urbanisme, nous serons capables, si l'État veille à une bonne articulation, de répondre à ce défi.
Ce défi est selon moi perçu par chacun. Après les Assises de l'eau, nous avons eu un Varenne agricole de l'eau et de l'adaptation au changement climatique, et des annonces fortes sont à venir. Le sujet est donc prégnant. Nous serions inquiets que l'on cherche à tout révolutionner, alors que nous avons une bonne base. En revanche, une plus grande rigueur dans l'application des textes et un renforcement de la gestion de l'eau par bassin sur la totalité du territoire nous semble une des réponses les plus adaptées.
M. Baptiste Julien, responsable du pôle eau, Association Amorce. - Amorce constitue un réseau de collectivités qui compte plus de 1 000 adhérents sur l'ensemble du territoire, à différents échelons, de la commune jusqu'à la région. Notre association vise à être le premier réseau français d'information, de partage d'expérience et d'accompagnement des décideurs en matière de transition écologique. Nous travaillons sur les déchets, l'énergie et l'eau, dont je suis le responsable.
Je suis en accord avec les propos de mes collègues au sujet du réveil douloureux que nous avons pu connaître. On parle beaucoup depuis tout à l'heure de questions quantitatives mais il existe, sur la question de l'eau, de nombreux autres enjeux qualitatifs. On parle de pollution émergente, de métabolites, de pesticides qui ont refait surface cet été, ainsi que des impacts du réchauffement climatique que l'on peut observer sur nos territoires. L'eau est au centre de ces effets.
J'aime dire que l'eau est la matrice de la transition écologique de nos territoires. Je voudrais à ce sujet faire un aparté sur le contexte. Vous avez tous en tête la sécheresse de l'été dernier. Mes collègues ont cité les deux grands rassemblements marquants qu'ont été les Assises de l'eau et le Varenne de l'eau, qui ont pu faire naître quelques ambitions nationales. Aujourd'hui, le Gouvernement a engagé le plan « eau » en matière de transition écologique.
Au niveau européen, certaines directives sont en pleine évolution, comme la directive sur l'eau résiduaire urbaine. Elle a revisité l'ancienne directive de 1992, très bénéfique pour le petit cycle de l'eau, qui a permis à la majorité de nos systèmes d'assainissement de se mettre en conformité. Un certain nombre de petits systèmes d'assainissement ne sont pas encore conformes, mais la tendance est à l'amélioration.
La directive relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine est par ailleurs en voie de transposition au niveau national, et nombreux sont les enjeux qui apparaissent en matière de pollution émergente.
On sent donc bien un certain besoin de financement pour pouvoir faire face à tous ces nouveaux défis, mais aussi d'évolutions réglementaires. Selon Amorce, un débat politique et parlementaire autour de la question de l'eau est nécessaire, non pour remettre en cause la gouvernance par bassin versant, qui est exemplaire, mais pour prendre du recul sur l'ensemble de la gouvernance, des moyens de financement et des objectifs.
Les Assises de l'eau visent une diminution des prélèvements de 10 % dans les cinq ans et de 25 % dans les quinze ans. Aucun texte réglementaire ne transcrit toutefois ces objectifs. Pour nous, il s'agit donc de consolider la structuration de gouvernance et de financement de l'eau et d'y ajouter des objectifs chiffrés, comme on peut en trouver en matière de déchets ou d'énergie. Il s'agit de se mettre d'accord sur les objectifs à atteindre dans les cinq, dix ou quinze ans à venir.
Le premier objectif réside dans le partage de la ressource. On a tous en tête ce qu'il s'est passé, et nous souhaitons réfléchir ensemble à la façon de bien répartir la ressource. Je suis totalement d'accord avec mes confrères sur le fait que des structures existent, qu'il s'agisse des SDAGE ou des SAGE. Ce partage des efforts doit toutefois porter sur l'ensemble des usages.
Si on se donne des objectifs de réduction, il faut que tous les usages respectent ces objectifs, le monde agricole comme celui de l'eau potable ou de l'eau industrielle, sans oublier les prélèvements dus à l'énergie nucléaire. On en a peu parlé, mais 50 % des prélèvements sont représentés par le parc nucléaire, dont les perspectives pourraient conduire à un doublement du nombre d'installations.
La tension et la hiérarchisation des usages vont continuer. Il est donc temps de structurer le partage de la ressource. Il nous semble important pour ce faire de généraliser les SAGE.
Aujourd'hui, 54 % seulement du territoire est couvert par un SAGE. Un SAGE dispose d'une commission locale de l'eau, qui constitue un outil de concertation entre l'ensemble des usages, sur un périmètre territorial qui a du sens en termes de gestion de l'eau. Nous proposons donc la rationalisation des SAGE et l'opposabilité des autres outils de planification, comme les SRADDET.
Nous voudrions également aller plus loin sur des objectifs chiffrés, par exemple en matière de réutilisation des eaux usées traitées. Comment se donner un objectif de généralisation sur le littoral ? Comment fixer des objectifs de désimperméabilisation des aires urbaines ou d'épandage de produits phytosanitaires autour des alimentations des captages ?
C'est de ce type de sujets dont nous pouvons discuter.
M. Guillaume Chevrollier. - Dans le cadre des auditions budgétaires que je mène chaque année dans le cadre du programme 113, les directeurs des agences de l'eau m'alertent sur le problème de l'insuffisant taux de renouvellement des infrastructures, qui a un impact sur la qualité du service en termes de fuites et de rejets non conformes.
Vous n'avez pas évoqué le plafond mordant, dont nous avons eu l'occasion de discuter lors du débat budgétaire qui vient de se terminer. Nous avons d'ailleurs fait bouger les lignes, puisqu'il faut aussi des moyens financiers pour mettre ces politiques en oeuvre.
Ma première question concerne les propositions sur les évolutions destinées à amener davantage de financement.
En second lieu, même si le ministre n'est pas favorable à une nouvelle grande loi sur l'eau, Amorce en propose une, « clé en main ». J'aimerais que vous en développiez les principales orientations.
Par ailleurs, vous avez insisté sur la nécessité d'une planification territoriale et d'une interconnexion entre les SRADDET, les SDAGE, les CLE, la GEMAPI. Vous n'avez toutefois pas parlé des projets de territoire pour la gestion de l'eau (PTGE), qui sont tout nouveaux, et dont l'approche globale pourrait être intégrée dans une nouvelle loi sur l'eau.
M. Hervé Gillé. - Vous avez mené un cycle de travaux particulièrement intéressants puisque l'ANEB vient de sortir son livre bleu à ce sujet. Le CFE a mené, quant à lui, un cycle de conférences pour savoir si nous devions aller ou non vers des évolutions législatives. Cela constitue une base de travail particulièrement intéressante.
Les EPTB constituent aujourd'hui des structures à la fois politiques et techniques destinées à conduire un ensemble de programmes d'action. Ceux-ci ne constituent pas un label en soi. Ils mobilisent des financements, mais au même titre que d'autres syndicats. Faut-il aller plus loin dans leur reconnaissance ? Quelle vision avez-vous de leur déploiement ? Jusqu'à quel niveau peut-on avoir une différenciation territoriale ? Si l'on veut une vraie planification, ne faut-il pas adopter une vision plus globale du développement des EPTB ?
Vous avez peu évoqué les établissements publics d'aménagement et de gestion de l'eau (EPAGE). Or il existait une forme d'articulation entre les EPTB et les EPAGE. Pouvez-vous revenir sur ce sujet ?
Par ailleurs, vous avez peu parlé de la gestion des nappes de surface et des nappes profondes. C'est un sujet très particulier. Différents SAGE sont mis en oeuvre dans ce cas de figure. Cela nous renvoie à des qualités de politiques d'urbanisme qui ont été abordées dans la liaison entre les SCoT et les PLUi, le but du jeu entre petit cycle et grand cycle consistant à gérer au mieux le fil de l'eau. Un des sujets est de reconstituer des zones humides et de les diversifier. C'est sans doute un des éléments de stockage parallèle que l'on peut constituer aujourd'hui. Pouvez-vous nous fournir des éléments complémentaires sur ce point ?
Enfin, la question des SDAGE et des SRADDET est un vrai sujet en termes de planification, qui nous renvoie aux contrats de plan État-région (CPER) et au contrat de plans interrégionaux (CPIER), qui sont aujourd'hui en attente.
Il faudrait à mon sens instituer des politiques entre l'État, les collectivités territoriales et les opérateurs comme les CPER et travailler des conventions territoriales avec les départements et les autres collectivités. Pouvez-vous nous apporter quelques éléments d'analyse à ce sujet ?
M. Cyril Pellevat. - Le 9 novembre dernier, les sept comités de bassin se sont réunis avec la secrétaire d'État chargée de l'écologie. Cette rencontre constituait le premier point d'étape pour définir la feuille de route gouvernementale pour l'eau, dont la mise en oeuvre devrait débuter au premier trimestre 2023.
Il a été unanimement constaté une nécessité impérieuse d'agir plus rapidement et plus fortement pour mettre en place des solutions structurelles d'adaptation au changement climatique.
Outre la nécessité d'investir davantage, de lever les freins organisationnels et de mobiliser les acteurs locaux, plusieurs pistes d'action ont été soulevées, en particulier accompagner l'agriculture pour la rendre plus sobre en eau, porter l'effort sur l'organisation du partage de l'eau et rendre les espaces urbains plus résilients.
Cependant, les comités se sont accordés sur le fait que ces actions ne seront pas suffisantes sur les territoires et ont reconnu que la mobilisation de nouvelles ressources en eau sera nécessaire, qu'il s'agisse de transferts d'eau, de stockage ou de réutilisation des eaux usées traitées, tout en soulignant que cette mobilisation devra se faire dans le respect des milieux naturels, être adaptée aux spécificités des territoires et passer par un processus de concertation autour du partage de l'eau entre tous les usages.
Or l'acceptabilité des opérations de stockage de l'eau est de plus en plus difficile - je pense en particulier aux retenues collinaires -, malgré la mise en oeuvre de recommandations, l'obtention des autorisations environnementales et le fait que très peu de conflits d'usage soient constatés. Les recours contentieux et les ZAD se multiplient.
De quelle manière rationaliser cette pratique et apaiser le débat ? Des pistes ont-elles été explorées pour que l'opinion publique s'imprègne mieux des enjeux liés au stockage ? Existe-t-il par exemple un guide des bonnes pratiques à destination des collectivités ?
M. Stéphane Demilly. - Je souhaite aborder deux sujets concernant la gestion de l'eau.
Le premier sujet m'amène à poser la question technique de ce qui est potable ou non. En effet, les ARS recherchent régulièrement de nouvelles traces de pesticides lors de contrôles sanitaires, mais la limite de qualité - 0,1 microgramme par litre pour les métabolites - est uniquement une valeur environnementale et non une valeur sanitaire établie au niveau européen.
Une eau contenant des teneurs en pesticides supérieures à 0,1 microgramme par litre est qualifiée de non conforme au regard de cette valeur environnementale, mais elle n'est pas forcément impropre à la consommation.
Ces incohérences de lecture, on les trouve aussi dans les réglementations concernant la valeur sanitaire maximale fixée par l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES). Comment uniformiser ces réglementations et rassurer consommateurs et collectivités sur la qualité de l'eau destinée à la consommation humaine ?
Deuxièmement, concernant le partage de l'eau, on sait que l'usage de la ressource, pour l'agriculture notamment, va s'intensifier, mais des incohérences se font jour. Chez moi, à Senlis-le-Sec, dans la Somme, trois forages agricoles ont été réalisés en 2021, alors que le captage de la commune est particulièrement vulnérable aux variations de la nappe.
La communauté de communes n'a pas été consultée dans la procédure, et la commune concernée en a été informée sans pouvoir de décision.
Selon vous, au-delà du problème de partage de la ressource en eau entre l'agriculture, l'industrie et les particuliers, quels moyens de contrôle complémentaires doivent être mis en place pour donner plus de pouvoirs aux collectivités locales ?
M. Frédéric Molossi. - Thierry Burlot et moi-même avons été sollicités par le Conseil national de l'eau (CNE) et son président pour coprésider un des groupes de travail dans le cadre du plan « eau », qui devrait faire l'objet d'annonces gouvernementales fin janvier.
Nous avons humblement tenté d'ouvrir le dialogue dans le cadre de nos groupes de travail, l'expérience passée nous ayant quelque peu frustrés. La méthode est en effet toujours la même : il faut aller vite, pas plus de deux à trois réunions de groupe de travail, pour ensuite passer éventuellement à des annonces.
Je ne suis pas de ceux qui pensent qu'un grand nombre de réunions est gage de réussite mais, face aux enjeux que l'on évoque ce matin, savoir donner du temps au temps peut parfois s'avérer utile, en matière d'eau notamment.
C'est pourquoi nous insistons beaucoup auprès de vous. Chacun d'entre vous vit cette réalité à l'échelle de son territoire - conflits d'usage, forages agricoles, retenues collinaires. S'il n'existe pas un document partagé à l'échelle des territoires par l'ensemble des acteurs qui établissent les éléments stratégiques et la planification à moyen et long termes, nous allons être conduits à gérer les uns les autres, au coup par coup, souvent dans l'urgence et les tensions, des sujets dont on connaît par ailleurs globalement les tenants et les aboutissants.
Aujourd'hui, force est de constater que l'ensemble du territoire national n'est pas couvert par ces éléments de planification. Pour nous, il est nécessaire qu'il en soit pourvu.
On a beaucoup parlé de la question du bassin versant, et tout le monde considère que c'est un élément fondamental. Nous le constatons parfois sur nos territoires, la GEMAPI - que nous ne remettons pas en cause -, qui renvoie au bloc communal et que nous approuvons par ailleurs, ne fait pas l'objet d'un dispositif de gouvernance à l'échelle du bassin versant. C'est pourquoi, de notre point de vue, EPAGE et EPTB sont nécessaires pour garantir aux élus locaux et à l'ensemble des parties prenantes une intervention cohérente, planifiée, en soutien aux collectivités territoriales, complétant une intervention en amont et une intervention en aval.
La solidarité est pour nous fondamentale. J'ai présidé l'EPTB Seine Grands Lacs, dont la vocation était de protéger la zone dense francilienne. Quand j'ai pris la présidence de cet établissement, le traumatisme était encore énorme, en particulier du côté de la Marne et de la Haute-Marne, où trois villages ont été rayés de la carte.
J'ai tenu à associer l'ensemble des territoires à la gouvernance, alors que ce n'était pas le cas jusque-là. Depuis, tous les territoires à proximité immédiate participent à la gouvernance. Je suis profondément convaincu que c'est à l'échelle des territoires et des bassins versants que les choses doivent se jouer.
Nous pensons donc très clairement qu'il faut renforcer ou favoriser l'obligation de couvrir le territoire de documents de planification et d'outils de gouvernance à l'échelle du bassin versant, afin de garantir à l'ensemble des collectivités la cohérence de l'intervention et les meilleurs résultats possibles concernant la question du grand cycle de l'eau.
Enfin, j'attire votre attention sur les zones de ruissellement. Chacun fait comme il peut, mais personne ne sait qui doit faire quoi, jusqu'où et à quelle échelle. La question orpheline est celle du soutien d'étiage en période de sécheresse. Elle n'est pas prise en charge dans le cadre de la GEMAPI.
Or chacun le sait - et les scientifiques le disent -, on assistera dans le futur à une intensification des épisodes d'inondation, avec des effets bien plus importants que ceux que nous avons pu connaître. Les derniers exemples en Europe centrale en témoignent : on dépasse parfois les crues centennales, dans un contexte d'urbanisation et de technologie qui nous rend paradoxalement plus vulnérables que nous ne l'étions, même à Paris en 1910, avec, à l'inverse, une intensification des épisodes de sécheresse et la nécessité de prévoir un soutien d'étiage. Ces événements constituent des angles morts qui ne font pas partie de la GEMAPI.
M. Thierry Burlot. - Je vous invite à vous rapprocher du CFE si cela vous intéresse, car nous essayons de réfléchir collectivement à toutes ces questions, aussi bien avec l'Association des maires de France (AMF), Régions de France, l'Assemblée des communautés de France (AdCF), les entreprises et EDF afin de faire des propositions.
Depuis quelques mois, nous travaillons sur le fait de savoir s'il faut une nouvelle loi sur l'eau. À l'inverse d'Amorce, nous pensons que ce n'est pas souhaitable. Le problème n'est pas de renforcer la réglementation là où le système est plutôt solide, mais de savoir où cela ne va pas et ce que l'on peut améliorer collectivement. Nous ne croyons pas au grand soir.
Je pense qu'une des difficultés vient du fait que l'on ne se comprend pas. Le monde de l'eau ne sait plus parler aux autres politiques. On complexifie les choses. Vous avez parlé de SAGE, de SDAGE, de PTGE, d'EPTB, d'EPAGE. Les gens ne savent pas ce que c'est ! Peut-on parler français ?
Je viens de voter un SDAGE qui fait 10 kilos : personne ne va le lire, et j'ai dit en plaisantant au directeur de l'agence de l'eau qu'il faudrait que nous écrivions un « SDAGE pour les nuls » ! Revenons à des choses simples !
J'ouvre ici une parenthèse : heureusement que nous avions des retenues cet été, alors qu'on disait qu'il n'en fallait surtout pas. Je vais même aller plus loin : attention à EDF et à l'hydroélectricité. C'est un vrai sujet. La mise en concurrence peut détruire un système qui fonctionne aujourd'hui très bien.
Nous avons eu hier une présentation de ce qui s'est passé sur la Durance grâce au soutien d'étiage réalisé par EDF et ses barrages hydroélectriques. Imaginez une mise en concurrence qui viendrait ruiner tous ces efforts...
À Sainte-Soline, le comité de bassin que je préside - 180 personnes - n'a même pas été sollicité. Il faut le faire ! On a mis à feu et à sang un territoire, et le comité de bassin, qui est censé appliquer le SDAGE, n'a même pas été consulté. Il y a quelque chose qui ne fonctionne pas.
Pourquoi ? Chacun travaille dans son coin. Ce qui se passe à Sainte-Soline n'est que le résultat d'un non-dialogue entre territoires. Je suis surpris de voir des gens modérés avoir des positions très fortes sur ce sujet, sans même connaître le fonctionnement d'une retenue. On n'arrive même pas à expliquer ce que l'on va faire.
Sainte-Soline, pas plus que les autres, ne pourra se faire sans un État et des territoires forts. Avez-vous entendu beaucoup d'élus soutenir Sainte-Soline ? Personne n'ose s'impliquer pour la défense de sujets si compliqués.
Par ailleurs, il faut que le projet soit sous contrôle public, faute de quoi il s'agirait d'une forme d'accaparation d'un bien commun. Pour vous dire mon sentiment, je pense que le stockage ne peut passer que par une gestion publique, collective et multiusage.
Le comité de bassin a récemment adopté une motion, que l'État n'a d'ailleurs pas votée, condamnant les violences, appelant au dialogue et disant qu'il fallait travailler ensemble. C'est le b.a.-ba. L'État, membre du comité de bassin, s'est abstenu. C'est incroyable !
Encore une fois, je pense qu'il va falloir partager. Tout le monde va devoir faire des efforts, y compris le consommateur et l'industriel. Il faut des lieux de concertation et des projets collectifs. Cela ne peut se faire qu'avec un État fort, mais aussi des territoires qui se mobilisent.
L'une des dernières conférences du CFE portait sur la question de savoir si les acteurs de l'eau auraient le courage politique de mener à bien les réformes pour garantir le partage de la ressource, éviter les conflits d'usage et assurer la sécurité hydrique des territoires. La question est là. Derrière les questions de quantité, il y a les questions de qualité. Moins on a d'eau, plus elle est dégradée.
J'ai fait le calcul : en Bretagne, on consomme aujourd'hui 240 millions de m3 d'eau. On annonce 4 millions d'habitants en Bretagne. Il nous manque entre 50 et 60 millions de m3 d'eau. C'est la consommation totale du département des Côtes-d'Armor. Or il n'y a pas d'eau souterraine dans le Massif armoricain. Au bout du compte, il faudra stocker de l'eau. Sans eau, on amoindrit le développement économique, la capacité de construire ou de développer les cités, d'épurer, de produire de l'énergie, car la centrale nucléaire, si elle capte l'eau, la rejette aussi. Même si j'ai une différence d'approche avec Amorce, la réponse ne peut être que collective.
Normalement, la règle veut qu'il existe des périmètres de protection de captage autour des forages et que les prélèvements soient sous contrôle, mais cela démontre la faiblesse des dispositifs réglementaires face à l'enjeu.
Quant aux pesticides, je suis d'accord avec vous, mais nous avons en France un système sanitaire qui ne fonctionne pas trop mal. L'eau du robinet est aujourd'hui de très bonne qualité. On finit par l'oublier. Je pense que le débat sur les métabolites a fait très mal à tout le monde.
Cela montre les difficultés que nous pouvons rencontrer entre l'application de la directive-cadre sur l'eau (DCE), les ARS, l'ANSES, les nouvelles normes. On sort des seuils sur lesquels on revient ensuite parce qu'on se rend compte de la difficulté de les mettre en oeuvre mais, entre-temps, on a effrayé le consommateur.
Il faut le dire : l'eau du robinet est une eau de qualité. Les collectivités et les entreprises savent la traiter, et le prix de l'eau est somme toute acceptable.
Chaque foyer fait entrer chaque année chez lui 70 tonnes de ressources naturelles sous forme d'eau. Vous rendez-vous compte de l'énergie que cela représente, tout cela pour 3 ou 4 euros le m3 ? Je crois qu'il ne faut pas oublier ces éléments.
M. Joël Bigot. - Je suis élu d'un département traversé par la Loire. Comme bon nombre de départements dans cette salle, nous avons connu une sécheresse extrême cet été. L'étiage de la Loire est bas, beaucoup de cours d'eau sont à sec, une majorité de stations hydrométriques présentent des débits inférieurs de 75 % par rapport à la normale.
Ces évolutions sont malheureusement conformes aux prévisions des experts du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), qui estiment que le débit des cours d'eau devrait diminuer de 10 à 40 % d'ici 2070. L'eau, qui constitue un marqueur incontournable du dérèglement climatique, mérite toute notre attention.
Nous avons bien entendu vos explications mais, aujourd'hui, l'heure est aux propositions. Avez-vous travaillé à la création d'outils communs de prospective permettant d'anticiper les futurs manques d'eau à court et moyen termes ?
Lors du dernier congrès d'Amorce, Bérangère Couillard, secrétaire d'État à l'écologie, a annoncé une feuille de route, à paraître en janvier prochain, qui s'inspirera des travaux des Assises de l'eau. Quelles sont les propositions qui seront formulées ? En connaissez-vous les grandes orientations ? Avez-vous été consultés par le ministère ? Ce sont des approches que les acteurs locaux attendent avec impatience.
Par ailleurs, quelle est votre vision d'une gestion sobre de l'eau ? L'eau devient de plus en plus rare. Vous avez parlé du petit cycle et du grand cycle. Concernant le petit cycle, on propose un accompagnement spécifique aux particuliers souhaitant réutiliser leurs eaux usées, récupérer l'eau de pluie ou réduire l'imperméabilisation. Des plaquettes pédagogiques sont-elles en cours de réalisation ?
S'agissant du grand cycle de l'eau, on ne pourra pas évacuer la question des modèles économiques. Vous avez parlé d'un bien commun à propos de l'eau. Des sujets comme la question agricole sont-ils abordés dans vos organismes pour gérer au mieux la ressource en eau dans les années qui viennent ?
M. Éric Gold. - Dans un contexte où le législateur a fixé un rythme d'artificialisation des sols divisé par deux en 2030, deux visions de l'aménagement ont cours avec, d'un côté, des collectivités plutôt rurales qui s'emploient à contourner l'obligation faite par la loi « Climat et résilience » pour continuer à bénéficier d'un certain nombre de permis de construire et accueillir de nouveaux ménages, synonymes de maintien ou de développement de population et, de l'autre, des collectivités plus urbaines qui en profitent pour reprendre la main sur la maîtrise de leur foncier, avec des aménagements plus sobres et une politique de logement intégrant une stratégie de sol vivant, ainsi qu'une réelle réflexion sur l'eau et la biodiversité.
La gestion de la compétence de l'eau est très liée à ces stratégies d'aménagement. Les dernières élections municipales ont été l'occasion de mettre à jour de nouvelles initiatives et de nouveaux projets de territoire. Parmi eux, existe-t-il de nouvelles pratiques associant davantage les acteurs de l'eau, accompagnés par des architectes, des paysagistes, des urbanistes qui envisagent la gestion de l'eau de manière globale, avec des aménagements qui prennent en compte la protection de la ressource, en passant par la distribution et la prévention des inondations, voire la gestion des eaux pluviales ? En un mot, que signifie aujourd'hui pour vous un aménagement réussi ?
M. Rémy Pointereau. - J'ai apprécié le pragmatisme de Thierry Burlot concernant les problèmes liés à l'eau.
S'agissant de la continuité écologique de nos rivières, notre collègue Guillaume Chevrollier avait déposé un amendement au sujet de la protection des moulins à eau. De ce fait, les agences de l'eau refusent d'aider à leur mise aux normes, notamment pour ce qui est des passes à poissons.
Par ailleurs, on l'a dit, la gouvernance est un vrai sujet. La gestion de l'eau est d'une grande complexité entre les CLE, les SAGE, les EPAGE, les PTGE. Il est d'autre part très chronophage de s'occuper des problèmes de l'eau, qui sont à l'origine d'une multitude de réunions.
Je note qu'il existe aujourd'hui - et c'est le point de vue d'un certain nombre d'élus - une surreprésentation des organismes et associations environnementales financés par les collectivités. Elles ont à la fois des moyens, mais aussi du temps par rapport aux élus pour se consacrer au domaine de l'eau. Ses représentants sont très présents. Je pense qu'il faudrait revoir la représentation s'agissant de la gouvernance des agences de l'eau.
Par ailleurs, le périmètre géographique ne correspond pas au périmètre politique. Je rejoins les propos de Thierry Burlot à ce sujet. On ne peut continuer à avoir des bassins qui, comme l'agence de Loire-Bretagne, représentent 30 % du territoire, avec un budget de 380 millions d'euros et des bassins beaucoup plus petits qui bénéficient d'un financement double ou triple. Il va falloir que l'on étudie la possibilité d'une solidarité nationale de l'eau, voire une péréquation.
S'agissant du grand cycle, il est évident qu'il faut travailler la sobriété, mais je rappelle qu'un milliard de mètres cubes d'eau sont aujourd'hui perdus dans les canalisations d'eau potable. Cela représente 2 000 retenues du type de celle de Sainte-Soline.
Il faut relativiser les choses, et je pense qu'on a intérêt à revoir le problème des retenues, qui ont été abandonnées. Je pense aux grands barrages. Ne va-t-il pas falloir reconduire une politique dans ce domaine ? On a abandonné Chambonchard, sur le Cher. Or les problèmes hydriques rencontrés cette année dans notre territoire n'auraient pas eu lieu si on avait pu disposer de ces masses d'eau.
Quant aux conflits d'usage, sur lesquels on communique beaucoup, le problème vient du fait qu'il s'agit parfois d'un dialogue de sourds. Les zadistes et les écologistes radicaux ne changeront de toute façon jamais d'avis au sujet de l'eau. On n'arrivera pas à les convaincre. Que faire ? Je suis assez dubitatif sur ce sujet. Il faut certes parvenir à partager l'eau, mais il faut aussi qu'on soit entendu par les uns et les autres !
On a évoqué la GEMAPI. Je rappelle qu'au Sénat, nous avons réussi à voter un amendement avec la ministre Gourault pour faire en sorte qu'il existe une solidarité par bassin versant. On a proposé une expérimentation avec les établissements publics, notamment l'Établissement public Loire (EPL), qui la refuse aujourd'hui.
Il va falloir les y obliger. On ne peut continuer à travailler de cette façon sur des bassins versants où les EPCI qui en ont les moyens feront des digues et les autres non. C'est incohérent, et on ne pourra pas travailler sur la protection des berges de nos bassins versants.
Pour moi, l'eau doit payer l'eau. C'est un principe de base. On l'a démontré en essayant d'augmenter le plafond mordant. D'après ce que je sais, cette proposition a été rejetée avec l'utilisation de la procédure prévue au troisième alinéa de l'article 49 de la Constitution. Il faut que les agences de l'eau puissent bénéficier d'un plafond mordant plus élevé. L'office français de la biodiversité (OFB) est en effet financé par les agences de l'eau à hauteur de près 400 millions de l'eau.
Mme Nicole Bonnefoy. - L'association Amorce a formulé plusieurs propositions intéressantes lors de son dernier congrès, comme la mise en place d'une filière « REP-eau » à responsabilité élargie des producteurs, afin de faire face aux traitements des pesticides agricoles.
Ce sujet m'intéresse particulièrement au vu des travaux que j'ai déjà pu mener dans le cadre d'une mission d'information sur le sujet, qui plaidait pour un encadrement plus strict de l'utilisation des produits phytosanitaires.
J'ai d'ailleurs défendu, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2023, l'idée d'une redevance pour pollution diffuse afin de soutenir le service public de la gestion de l'eau. Pour le moment, le Gouvernement semble dépassé par le sujet, alors qu'abondent les études alarmantes sur la qualité de l'eau, qui présente des résidus de pesticides parfois interdits depuis plus de vingt ans, comme l'atrazine, en terre vinicole en particulier. C'est le cas dans mon département.
N'y a-t-il pas un travail à faire sur la question des seuils acceptables ? Aujourd'hui, si un métabolite dépasse la limite de qualité, l'eau est jugée non conforme, sans être interdite à la consommation, ce qui pose de nombreuses questions aux usagers de l'eau.
Par ailleurs, avez-vous travaillé sur les particules présentes dans l'eau ? L'Institut national de l'environnement industriel et des risques (INERIS) estime que plus d'une vingtaine de pesticides ou métabolites ne possèdent pas de valeur sanitaire, ce qui pose évidemment question. Comment émettre des seuils pour des produits dont on ne connaît pas la dangerosité pour la santé humaine et environnementale ?
Enfin, quels sont vos liens avec l'ANSES ? Réfléchissez-vous à un nouveau partenariat ?
Mme Angèle Préville. - Je représente le Sénat au comité de bassin Adour-Garonne, auquel je participerai demain matin. Ce que vous avez mentionné est particulièrement prégnant en Occitanie, la pluviométrie étant déjà en baisse de 20 %. Les températures des eaux de la Garonne flirtent avec les 30 degrés tous les étés, ce qui rend très difficile le fonctionnement de la centrale de Golfech. Or si la température de l'eau prélevée est trop élevée, on ne peut refroidir correctement la centrale.
Concernant la qualité, on ne risque pas de trouver les micropolluants qu'on ne cherche pas. La chimie s'est énormément développée ces dernières années. Les mises sur le marché de nouvelles molécules chimiques connaissent une croissance exponentielle. Nous avons réalisé avec le comité de bassin un colloque sur les micropolluants de l'eau le 11 juillet dernier à Bordeaux. Les professeurs de chimie nous ont informés de ce sujet, qui est jusqu'à présent impensé et qui émerge. Il faut absolument s'en préoccuper.
Certes, la qualité de l'eau est bonne, mais certains éléments ne sont pas recherchés, notamment les microplastiques. Il faudra trouver des moyens pour faire en sorte que cette pollution n'arrive pas chez les consommateurs et certainement intervenir sur le plan législatif pour la limiter.
Par ailleurs, je reviens d'un déplacement sénatorial au Maroc, où nous avons rencontré le ministre de l'équipement et de l'eau. Le Maroc a mis en place une politique nationale de l'eau qui correspond au grand cycle de l'eau. Peut-être pourrions-nous envisager à l'avenir une sorte de « politique chapeau » de l'eau. Comment la mettre en oeuvre ? Certaines communes et certains territoires vont subir de grandes sécheresses. Il va également falloir se pencher sur la question des soutiens d'étiage.
Ne conviendrait-il pas également de mettre en avant le fait que l'eau est vitale pour l'agriculture et les industriels et qu'il s'agit d'une priorité absolue ? Nous avons vécu cet été une alerte, mais peut-être allons-nous devoir changer beaucoup de choses au sujet de notre politique de l'eau pour faire face à la réalité qui est devant nous.
Mme Nadège Havet. - Nous allons avoir des objectifs en matière de transition écologique. Pour atteindre des baisses de prélèvement, il va falloir un consensus autour de l'eau, qui représente un enjeu national et territorial.
Ceci va passer par un effort de démocratisation, d'éducation et de communication ciblée et continu sur les usages et les priorités. Vous avez parlé d'un « SDAGE pour les nuls » : selon vous, comment rend-on plus compréhensible et lisible une politique publique aussi essentielle que celle-ci ? Comment associe-t-on au mieux l'ensemble d'une population à la gestion durable de l'eau ? Avez-vous pu identifier des pratiques vertueuses en la matière au niveau des bassins de vie et des collectivités ?
M. Fabien Genet. - Nous sommes tous conscients de ces enjeux et de ces inquiétudes. Nous avons heureusement entendu des paroles pleines d'espoir. Lorsqu'on observe sur le terrain les évolutions du traitement de l'eau au cours de ces 25 dernières années, on peut constater un certain nombre de progrès. Des investissements ont été engagés et les élus ont pris conscience des rendements.
Pouvez-vous nous apporter des précisions sur la gouvernance et le financement ? L'idée d'une gestion par spécialisation thématique n'est-elle pas contradictoire avec le fait que les différentes gouvernances ne se parlent pas ? Ne serait-il pas plus intéressant que le département, qui a prouvé sa proximité, sa capacité d'intervention et sa légitimité sur beaucoup de sujets, porte la politique de l'eau et amène le débat pour susciter le dialogue ? Le département a énormément de compétences, y compris sociales et économiques. N'est-ce pas une piste de réflexion ?
Deuxièmement, concernant le financement, l'élu du Charolais que je suis fait appel au bon sens. Pourriez-vous nous dire, depuis dix ans, le nombre de kilomètres de réseau d'eau subventionnés par les agences de bassin ? Quelle amélioration du rendement a-t-on réalisée ?
On entend souvent parler d'un désengagement des agences dans des domaines qui étaient autrefois subventionnés et qui le sont plus aujourd'hui. Ne faudrait-il pas investir dans l'amélioration des réseaux pour économiser et être sobre ?
Enfin, avez-vous une opinion concernant le débat sur la compétence eau-assainissement entre les communes et l'intercommunalité ?
Mme Martine Filleul. - 20 % de milliards de m3 d'eau sont perdus chaque année, soit la consommation annuelle de 18,5 millions d'habitants. La priorité me semble donc être la rénovation et l'entretien des réseaux d'eau. Ce sujet ne doit-il pas être davantage mis en avant dans toutes nos communications ?
S'agissant des événements extrêmes, nous n'avons pas évoqué les communes confrontées à l'augmentation du niveau de la mer et qui tentent, souvent avec l'aide des départements et des régions, de trouver des moyens de résilience naturels. Ne devrait-on pas avoir un grand projet national pour résoudre ces problèmes ? Nos voisins du Nord sont très en avance sur ces questions par rapport à nous.
M. Baptiste Julien. - Nous sommes tous en alerte sur le niveau des ressources et les évaluations prospectives.
M. Bigot demande s'il existe des outils de prospective. Oui, les études Hydrologie Milieux Usage Climat (HMUC) évaluent les ressources hydriques en fonction de l'évolution du climat.
Notre proposition est de les généraliser au niveau des SAGE, qui pourraient présenter une vision prospective sur la trajectoire des ressources pour fixer un partage des usages sur le périmètre de chaque SAGE.
Il nous semble important que les autres outils de planification d'aménagement - SRADDET, SCoT - prennent en compte l'évolution des ressources d'ici 20 à 50 ans. On ne peut plus voir se développer des zones économiques, des zones d'aménagement ou des zones agricoles gourmandes en eau sur des territoires déjà critiques.
Concernant l'exemple des nouveaux captages à propos desquels le maire n'a pas été sollicité, notre objectif est de réaliser l'évaluation des zones de répartition des eaux de manière plus fréquente. Ce sont ces zones qui définissent les seuils d'autorisation et de déclaration des prélèvements.
On sent bien qu'il existe un problème de remontée d'informations relatives aux prélèvements. Nous insistons donc sur le fait qu'il faut des remontées systématiques, que ce soit sur des forages agricoles ou concernant des fuites après compteur chez les particuliers, le télérelevé permettant de suivre ces dernières. Si l'on a beaucoup parlé des fuites du réseau, que l'on arrive à mesurer, les fuites après compteur sont toujours plus compliquées à évaluer.
S'agissant des dépollutions diffuses, nous sommes totalement impliqués dans ces questions. Amorce n'a pas de partenariat avec l'ANSES. Sans remettre en cause la qualité de ses analyses, nous observons que les molécules concernées fluctuent dans le temps et que des produits interdits depuis plusieurs dizaines d'années émergent dans les sols. Il existe donc un cycle long.
Nous proposons de limiter largement les intrants sur les aires d'alimentation des captages. Par ailleurs, notre association a tendance à conseiller des actions préventives concernant les micropolluants. Toutes les collectivités dont l'eau potable est non conforme sont confrontées à des problèmes curatifs. Il faut financer les étapes du traitement s'agissant de phénomènes à long terme.
Enfin, nous proposons d'élargir les redevances. Le financement ne peut plus reposer à 80 % sur la facture de l'usager domestique. Il faudrait réévaluer les redevances des agences de l'eau et que l'eau et la biodiversité paient l'eau et la biodiversité.
On a aujourd'hui un déséquilibre des recettes, des redevances et des aides. Si on demande à chacun de limiter son usage, il faut envisager une révision du partage du financement et intégrer une nouvelle redevance reposant sur les micropolluants.
Nous incitons à la création d'une REP, à l'instar des produits phytosanitaires. On pourrait avoir une nouvelle redevance sur les micropolluants pour financer une partie du grand cycle de l'eau.
Nous ne proposons pas le grand soir, mais des mesures pragmatiques, avec des objectifs chiffrés. C'est ce qui nous permettra d'avancer dans le partage des ressources, qui sont aujourd'hui critiques.
M. Bruno Forel. - On se rend compte, à travers vos questions, de l'ampleur des sujets. Quand on est face à un tel défi, la première chose à faire est de savoir le rôle que peut jouer chacun et à quel endroit.
Les normes sanitaires relèvent pleinement d'un travail de l'État et de ses agences. Il convient d'établir la règle du maintien de la fourniture de l'eau, de dire quel est le bon seuil et à partir de quel moment il est possible de la distribuer au citoyen. Il doit s'agir d'un label sur l'ensemble du territoire national. Les EPTB ne peuvent réaliser ce genre de choses. C'est un travail normatif, propre à l'État. Nous appelons, comme vous, à une action en ce sens afin d'éclaircir le sujet.
La question environnementale est devenue de plus en plus prégnante, sans parler des questions transfrontalières, comme sur mon territoire, où on a des échanges d'eau avec la Suisse, qui n'a pas le même type de réglementation, notamment s'agissant du perchlorate. Il faut que chacun fasse ce qu'il a à faire. Le domaine normatif relève de l'État et du législateur.
En revanche, nous défendons avec force le fait que l'eau est une question qui se traite au plus près du territoire, et nous demandons que la création d'établissements publics de bassin, qui s'occupent du grand cycle et de sa coordination, soit laissée aux mains des élus de proximité qui, à travers un document renforcé avec le SAGE, associé à une CLE, décident de ce qui se passe sur le territoire. Si nous y parvenons, nous résoudrons beaucoup de problèmes.
Il existe entre les territoires des différences en matière de pollution et de pratiques. Les problèmes ne sont pas les mêmes sur les territoires littoraux et sur les territoires de montagne. Certains barrages ont du mal à se remplir, et c'est là que le lien entre petit cycle et grand cycle est important à comprendre. Toutes ces particularités ne peuvent être abordées qu'à travers une présence locale forte.
Je rappelle qu'une CLE est un outil efficace pour régler les conflits. J'ai signé un SAGE, que le représentant de France Nature Environnement (FNE) a ratifié également, avec les maires et les présidents de communautés de communes.
Nous avons mis longtemps à le mettre au point mais, dans mon territoire, il était difficile que la FNE conteste un dossier accepté dans une commission où elle siégeait. Nous sommes donc capables, dans ces endroits-là, de résoudre et de désamorcer un certain nombre de conflits.
La Clusaz, près de chez moi, ne comporte pas ce genre d'établissement. Je vous appelle donc à renforcer cet EPTB, qui porte la démocratie locale, et à l'appuyer principalement sur le bloc local.
Quant aux compétences eau et assainissement, les effets d'échelle sont essentiels pour la sécurité des approvisionnements et la capacité à mobiliser de l'ingénierie. Très vite, beaucoup de territoires ont transféré ces compétences à l'intercommunalité, mais l'important est de se situer à des échelles qui permettent de répondre aux défis qui sont devant nous en termes de quantité, aussi bien en ingénierie qu'en diversification de la ressource. Cela fonctionne, mais le lien avec le grand cycle est essentiel.
Des questions ont été posées à propos de l'aménagement. Il existe parmi les nouveaux élus des personnes qui proposent des approches intéressantes. Les EPTB travaillent sur ces sujets, apportent des solutions, aident les collectivités à mettre en place des schémas de cohérence de traitement de l'eau pluviale, soutiennent des opérations permettant de désimperméabiliser les sols et de favoriser les infiltrations d'eau.
Pouvoir compter sur nos collègues qui siègent dans les collectivités territoriales, disposer d'une ingénierie, d'un soutien, d'un partage dans leurs différentes actions d'aménagement du territoire, à travers un établissement qui leur apporte l'expertise nécessaire pour pouvoir mener leurs aménagements, est un atout réel.
Toutefois, les EPTB ne vont pas perdre leur temps à rédiger un document compliqué si celui-ci n'a pas une efficacité forte sur le terrain. C'est pourquoi il est nécessaire, du point de vue institutionnel, qu'ils adoptent un statut qui leur confère de l'importance dans le dialogue des acteurs de la politique de l'eau, de manière à ce que nos territoires et nos élus locaux puissent peser politiquement.
L'accompagnement du département et des régions est fondamental au sein de l'EPTB. Dans les années 1960, le choix de travailler sur les grands bassins versants était fondamental et tout à fait pertinent. Il est aujourd'hui nécessaire, devant l'urgence, de reconduire cette démarche à une échelle inférieure. Or les départements ne recouvrent pas nécessairement les bassins versants.
Il faut cependant que départements et régions s'associent à l'action des EPTB, qui ont des compétences en matière d'environnement. Ils peuvent donc accompagner tout le travail sur le grand cycle de l'eau. L'étanchéité dans le transport est essentielle, mais nous ne pourrons remplir nos tuyaux si le grand cycle de l'eau est trop perturbé.
Il est donc nécessaire de travailler sur les deux fronts. Les départements et les régions sont les bienvenues, mais nous pensons que la bonne échelle de compétence doit s'appuyer sur un bassin hydrographique et des EPTB.
M. Thierry Burlot. - La Bretagne est la première région d'Europe à être entrée dans les contentieux sur les nitrates. Aujourd'hui, cette même région est la première d'Europe à en être sortie. Quand on veut, on peut ! Même en Bretagne, on a réussi à relever le défi !
S'agissant du rendement des réseaux, plus ceux-ci sont longs, notamment à la campagne, moins il y a de tirage, et plus c'est compliqué. On a aujourd'hui des moyens techniques de diagnostic dont on ne disposait pas il y a dix ou quinze ans. On sait repérer les fuites. Il y aura donc un travail à faire, mais il s'agit de renouvellement de canalisations, de patrimoine commun, tâche qui n'a pas été effectuée depuis l'après-guerre.
Les élus et les acteurs locaux ont désormais l'impression que les agences de l'eau financent moins que par le passé. Vous rendez-vous compte du gouffre financier que cela représente ? Le plafond mordant ne suffira pas ! Intègre-t-on dans le prix de l'eau le renouvellement du patrimoine ? Non, évidemment ! À l'époque, lorsqu'on signait des délégations de service public, le renouvellement des canalisations incombait souvent au délégataire, qui s'en exonérait. Cela coûtait trop cher.
On s'est tous voilé la face et on est, aujourd'hui, dans une situation dont il va falloir tenir compte pour déterminer le prix de l'eau. Il faut étudier cela de très près. Il existe en effet des endroits où l'eau était très abondante. On ne s'occupait pas du rendement. En Vendée, par exemple, où le sujet existe depuis des années, les choses sont à présent sérieusement prises en main.
S'agissant du grand cycle et de son financement, je pense qu'il faut qu'on fasse le bilan de tous les dispositifs actuels. Le premier, c'est la GEMAPI. Un territoire comme celui qui a subi la tempête Xynthia doit entretenir 62 kilomètres de digues. Il n'y arrivera pas, alors qu'il existe des territoires très peuplés avec des taxes ridicules ! Il faut donc dresser un bilan de la GEMAPI. Son rendement national est d'environ 280 millions d'euros.
Le deuxième dispositif, c'est le fonds Barnier, qui est en train de disparaître progressivement dans le budget général. C'est un fonds utile, dont il faudrait dresser le bilan. Nous allons avoir de plus en plus d'épisodes extrêmes. Jusqu'à quel montant les assurances vont-elles payer ? La facture de Xynthia a représenté 600 millions d'euros pour l'État. L'État a acheté 626 maisons. À la Roya, la facture s'est élevée à 1 milliard d'euros ! Comment va-t-on financer cela demain ?
Je n'exclus pas des solutions comme celle des REP s'agissant des produits toxiques, mais le grand cycle de l'eau repose sur des solutions fondées sur la nature, la reconstitution des zones humides, le paiement de services environnementaux, toute une gamme d'actions à mettre en oeuvre - et les budgets actuels des agences de l'eau n'y suffiront pas.
Si on veut donner du sens à tout cela, il faut réfléchir au financement plus large du grand cycle de l'eau. Poser uniquement la question des REP, ce serait aborder le sujet d'une mauvaise façon.
Vous avez cependant raison concernant une « loi chapeau ». On ne va pas demander à chaque EPTB et à chaque agence de l'eau d'avoir une fiscalité propre, surtout avec les inégalités territoriales qu'on connaît. Il faut étudier le problème par le haut. C'est dans cet état d'esprit que nous travaillons sur les propositions que le CNE pourrait faire à la ministre en début d'année prochaine. Nous reviendrons d'ailleurs vous voir : le sujet est si central qu'il le mérite bien. Je pense qu'il faut étudier les choses globalement s'agissant de la fiscalité.
La bataille de l'eau peut avoir lieu. Elle a même lieu dans certains endroits. En Loire-Bretagne, c'est la centrale hydroélectrique de Montpezat qui produit de l'eau issue du bassin de la Loire, et qui rejette ces 300 millions de m3 dans le Rhône, via l'Ardèche, pour qui c'est vital.
On nous annonce une baisse de 30 % d'eau d'ici 2050 dans la Loire. Il ne neige plus, et on n'a plus de soutien d'étiage. Valéry Giscard d'Estaing disait que le Massif central était le château d'eau de la France. Ce ne sera bientôt plus le cas.
En Limagne, les agriculteurs et les coopératives agricoles sont très inquiets. C'est leur modèle économique qui est fragilisé à travers tout cela. On a donc intérêt à collectivement porter ces messages, et la collectivité publique dans son ensemble, territoires et État, a intérêt à trouver des consensus. On ne pourra pas faire autrement !
M. Frédéric Molossi. - On a envoyé à l'ensemble des parlementaires le livre bleu de l'ANEB. Je vous invite à en prendre connaissance. Il entre dans les détails plus que nous ne sommes capables de le faire au cours d'une audition parlementaire, même si nous avons beaucoup apprécié de pouvoir nous exprimer devant vous.
Je lance à mon tour un appel. Sachez que l'ANEB serait très heureuse d'accueillir d'autres parlementaires que ceux avec lesquels nous avons le plaisir de travailler, toutes sensibilités politiques confondues, car si vous ne relayez pas un certain nombre de propositions, celles-ci risquent de ne pas avancer au rythme où il serait utile qu'elles progressent.
M. Jean-François Longeot, président. - Merci à vous d'avoir répondu à notre invitation. Nous voyons bien tout le travail qui reste à accomplir et l'action de sensibilisation que nous devons mener. L'eau est un produit rare. Il faudra se donner les moyens de le préserver.
Dans mon département, il y a quatre ans, l'étiage était très bas entre Maisons-du-Bois-Lièvremont et Pontarlier. Je m'étais rendu sur place. Depuis, l'étiage est encore plus bas, plus précoce, mais on en a pris habitude. On s'est en quelque sorte résolu à ce phénomène, ce qui est très grave.
Il nous faut donc être convaincants, sans être alarmistes.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 12 heures 35.
Questions diverses
M. Jean-François Longeot, président. - Dès la reprise des travaux parlementaires en séance publique, à la mi-janvier 2023, le Sénat devrait examiner le projet de loi relatif à l'accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes, déposé sur son Bureau le 3 novembre dernier, et pour lequel la procédure accélérée a été déclarée.
Comme vous le savez, ce texte a été envoyé pour examen au fond à la commission des affaires économiques. Pour autant, plusieurs de ses dispositions entrent dans le champ de compétence de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, ce que je n'avais d'ailleurs pas manqué d'indiquer lors de la désignation de notre rapporteur pour avis, Pascal Martin, en réunion plénière le 16 novembre dernier.
Après analyse du texte, l'article 9 concernant la procédure de réexamen des réacteurs électronucléaires après trente-cinq ans de fonctionnement, l'article 10 relatif à la procédure de mise à l'arrêt définitif d'une installation nucléaire lorsque celle-ci a cessé de fonctionner pendant une durée continue supérieure à deux ans, et l'article 11 prévoyant la ratification de l'ordonnance du 10 février 2016 portant diverses dispositions en matière de nucléaire sont apparus comme relevant de nos compétences, au titre de la prévention des risques et de la démocratie environnementale, s'agissant notamment de l'information et de la participation du public.
Ces éléments m'ont conduit, par courrier du 29 novembre dernier, à solliciter de la présidente de la commission des affaires économiques une délégation au fond pour l'examen de ces trois articles. Par courrier en date du 5 décembre, la présidente Sophie Primas a indiqué vouloir conserver l'examen au fond des articles 9 et 10 du texte, considérant que les dispositions que ces articles tendent à modifier avaient été traitées par la commission des affaires économiques lors de l'examen de la loi de transition énergétique pour la croissance verte en 2015.
Dès lors, la présidente Primas a opposé une fin de non-recevoir à notre demande de délégation au fond de ces deux articles, au motif que la commission des affaires économiques ne pouvait se dessaisir de sa compétence. Nous connaissons bien cette problématique, dans la mesure où nous avons récemment accordé, dans l'esprit de coopération et d'ouverture cher au Président du Sénat, des délégations sur des articles du projet de loi relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables, pour lesquels nous aurions été parfaitement fondés à conserver l'examen au fond.
En revanche, la présidente de la commission des affaires économiques a proposé de déléguer au fond à notre commission l'article 11 relatif à la procédure de ratification de l'ordonnance du 10 février 2016 portant diverses dispositions en matière nucléaire, prise sur le fondement, notamment, des articles 123 et 129 de la loi de transition énergétique pour la croissance verte qui nous avaient été délégués au fond en 2015, dont le projet de loi de ratification déposé en 2016 avait cependant été envoyé à la commission des affaires économiques.
Une question se pose donc : faudrait-il, dès lors qu'elle ne portera en définitive que sur un article périphérique par rapport au coeur du texte et étroitement lié aux articles 9 et 10, renoncer à cette délégation au fond ? C'est en effet une approche d'ensemble qui a fondé notre demande de délégation des articles 9 à 11 du projet de loi, d'autant que les dispositions de l'ordonnance de 2016 doivent s'apprécier et être examinées en lien avec celles des articles 9 et 10, car elles concernent entre autres les missions de l'Autorité de sûreté nucléaire.
Sur le plan de la cohérence et pour la lisibilité des travaux du Sénat, il me semble peu opportun de dissocier l'examen au fond de la ratification de cette ordonnance de celui des articles 9 et 10 du texte, ne serait-ce que pour éviter d'éventuelles complexités inutiles de coordination en cas d'amendements sur ces sujets.
Je tiens toutefois à préciser que le renoncement à la délégation sur l'article 11 ne saurait en aucun cas s'interpréter comme une modification ou une évolution du partage des compétences entre notre commission et la commission des affaires économiques, notamment à l'occasion d'arbitrages ultérieurs pour l'attribution de propositions ou de projets de loi, et encore moins comme un renoncement aux compétences qui ont été reconnues à notre commission lors de l'examen de la loi de transition énergétique pour la croissance verte.
En tout état de cause, je souhaite que l'examen de ce texte se déroule le mieux possible, car nous sommes amenés à travailler dans un temps parlementaire particulièrement contraint. C'est pourquoi je vous propose de ne pas retenir la proposition qui nous est faite d'une délégation au fond de l'article 11.
En revanche, je souhaite que nous puissions donner à notre rapporteur Pascal Martin toute latitude pour se saisir pour avis des articles du texte dont l'examen lui paraîtra nécessaire à l'exercice de sa mission, dans le cadre des compétences de notre commission.
M. Didier Mandelli. - Je souscris à ce que vient de dire le président. L'acte de partage défini il y a dix ans s'avère fragile et poreux ; au fil des textes, les appréciations de compétence pour l'examen des textes et de leurs dispositions sont systématiquement divergentes. Cette situation n'est pas satisfaisante, ni pour nos deux commissions, ni pour le Sénat dans son ensemble. En cas de conflit de compétences, l'arbitrage du Président du Sénat est le seul recours possible pour s'épargner des négociations déplaisantes et chronophages. Ce problème de fond ne présage rien de bon pour nos travaux à venir, car notre commission est amenée à traiter de plus en plus de textes, notamment comprenant des volets énergétiques. J'appelle de mes voeux une clef de répartition apaisée, correspondant aux compétences fondamentales de chacune des commissions.
M. Jean-François Longeot, président. - Ce sujet me paraît en effet fondamental, c'est pourquoi je solliciterai un entretien avec le président du Sénat pour trouver des voies de compromis. N'oublions pas que l'institution sénatoriale est à la fois plurielle et unique : quand il s'agit de mettre les compétences législatives de nos commissions au service de la clarté, de l'intelligibilité et de la nécessité de la loi, ces conflits n'ont pas de sens. Les bonnes relations entre nos commissions sont d'intérêt général !
M. Pascal Martin. - Je partage les appréciations du Président et de Didier Mandelli. Je rappelle le contexte de notre demande de délégation au fond sur ce projet de loi nucléaire : en raison de la grande technicité des dispositions à examiner, nous avons sollicité une délégation au fond de trois articles sur onze, au titre de la prévention des risques et de la démocratie environnementale, compétences qui concernent le coeur des attributions de notre commission. Après échange de courriers, la commission des affaires économiques refuse cette demande, qui formait pourtant un tout cohérent, pour ne nous accorder qu'une délégation au fond sur l'article 11. Mais nous ne faisons pas l'aumône. Je tiens cependant à souligner l'esprit constructif et de collaboration du rapporteur de la commission des affaires économiques, Daniel Gremillet, avec qui j'entretiens d'excellentes relations.
La contrainte calendaire est assez forte car nous devons examiner en commission, dès la deuxième semaine de janvier, d'éventuels amendements en commission, avant son examen dans l'hémicycle la semaine suivante. Il nous reste donc seulement quatre semaines de travail, dont trois semaines de suspension des travaux en séance publique. Je me prononcerai donc sur les articles qui me paraîtront pertinents dans le cadre de mon examen pour avis.
M. Hervé Gillé. - Je partage vos avis respectifs sur nos domaines de compétence. Je déplore l'absence de ligne de partage claire des textes entre les commissions. Ceci s'explique à mon avis par la transversalité des thèmes que nous abordons au sein de notre commission : sur un grand nombre de sujets, l'approche en termes d'aménagement du territoire ou de développement durable fait sens et se révèle même nécessaire. Pour ne prendre qu'un exemple, quand on aborde les politiques agricoles, force est de constater que beaucoup de sujets nous concernent également. La difficulté consiste à incarner la transversalité dans nos modes de fonctionnement au Sénat. Dans cette optique, l'arbitrage du président du Sénat me paraît une solution satisfaisante.
M. Bruno Belin. - Je soutiens les points de vue exprimés par le président et Didier Mandelli. Il me semble opportun de procéder à un nouvel examen de l'acte de partage de 2012 car cette situation est déplaisante pour tout le monde. Ne pourrait-on pas charger une instance ad hoc, composée de sénateurs de tous les groupes politiques, de définir les champs de compétence de chaque commission ? L'acte de partage de 2012 évoque par exemple la lutte contre la désertification médicale comme relevant de notre compétence, ce que la commission des affaires sociales trouve contestable.
M. Jean-François Longeot. - Je partage le point de vue de Bruno Belin. L'acte de partage date de mars 2012, c'est-à-dire il y a plus de dix ans. Dans le même temps, les politiques environnementales ont totalement changé de nature et d'ampleur. L'actualisation des thèmes et des compétences m'apparaît comme une démarche de bon sens, afin de tenir compte des évolutions majeures qui sont intervenues dans la manière d'appréhender ces politiques publiques.
M. Fabien Genet. - Les points de vue qui viennent d'être présentés me paraissent pertinents. Au-delà du partage des compétences entre les commissions, il y a un vrai sujet politique, au sens le plus noble du terme. Nous faisons face à une crise énergétique d'ampleur inédite, face à laquelle nos concitoyens attendent des réponses : le Sénat ne s'honorerait-il pas du fait de conférer la compétence énergétique de manière transversale à une seule commission ?
M. Joël Bigot. - Ce qui est particulièrement irritant, c'est la récurrence avec laquelle ces frictions interviennent à chaque fois qu'un texte est à la frontière de nos compétences respectives. Le temps a passé depuis l'élaboration de l'acte de partage fondateur et il faut sans doute revoir les contours des compétences des deux commissions pour tenir compte des évolutions. Je note que les thèmes et les sujets dont traite notre commission montent en puissance ; il faut donc rationnellement et objectivement mieux délimiter les prérogatives de nos deux commissions. Ce pourrait par exemple être la tâche d'une commission composée de parlementaires de chaque commission et groupe politique que d'élaborer une méthodologie de partage consensuelle. Ces solutions feraient économiser du temps à tout le monde.
M. Jean-François Longeot, président. - Vous avez parfaitement raison : la résolution de ces conflits exige une énergie considérable, qui pourrait être bien mieux employée.
Mme Angèle Préville. - Beaucoup de textes échappent à l'examen de notre commission, y compris des propositions de loi qui entrent dans le champ de nos compétences. En 2017, je me souviens que nous avions entendu en audition la ministre Agnès Buzyn sur les déserts médicaux, dans le cadre de notre expertise en matière d'aménagement du territoire. Il est dès lors essentiel de bien définir le périmètre de nos compétences.
Mme Marta de Cidrac. - Je souscris aux questions et aux observations de nos collègues. Dès lors que nous remettons à plat notre périmètre de compétences et les lignes de démarcation des sujets entre les différentes commissions, les questions de la démarche à retenir, de la méthode à adopter et du calendrier sont centrales. N'oublions pas que le fait d'ouvrir une négociation, même si son objet est la protection de notre périmètre, peut conduire à un rétrécissement de notre champ de compétences.
M. Jean-François Longeot, président. - Dans un premier temps, nous pourrions commencer à réfléchir à ces questions dans le cadre de notre commission.
M. Didier Mandelli. - Les bureaux des commissions pourraient être, dans un second temps, les instances légitimes, dans la mesure où les équilibres politiques de notre assemblée y sont respectés.
Mme Martine Filleul. - Je souscris à cette méthode et me demande s'il ne faut pas inscrire ce sujet lors d'une prochaine conférence des présidents.
M. Jean-François Longeot. - La conférence des présidents n'est sans doute pas l'instance la plus adéquate pour de nombreuses raisons. Je vous propose de poursuivre ce débat lors de notre prochaine réunion de Bureau.
La réunion est close à 12 h 58.
Proposition de nomination de M. Boris Ravignon, candidat proposé par le Président de la République aux fonctions de président du conseil d'administration de l'Agence de la transition écologique (Ademe) - Désignation d'un rapporteur
La commission désigne Mme Marta de Cidrac rapporteure sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Boris Ravignon aux fonctions de président du conseil d'administration de l'Agence de la transition écologique (Ademe), en application de l'article 13 de la Constitution.
La réunion est close à 12 h 35.