- Mercredi 23 novembre 2022
- Projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur - Désignation des candidats pour faire partie de l'éventuelle commission mixte paritaire
- Projet de loi de finances pour 2023 - Mission « Relations avec les collectivités territoriales » - Examen du rapport pour avis
- Projet de loi de finances pour 2023 - Mission « Sécurités » - Examen du rapport pour avis
- Projet de loi de finances pour 2023 - Mission « Sécurités » - Programme « Sécurité civile » - Examen du rapport pour avis
- Projet de loi de finances pour 2023 - Mission « Outre-mer » - Examen du rapport pour avis
Mercredi 23 novembre 2022
- Présidence de M. Christophe-André Frassa, vice-président -
La réunion est ouverte à 8 h 30.
Projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur - Désignation des candidats pour faire partie de l'éventuelle commission mixte paritaire
La commission soumet au Sénat la nomination de M. François-Noël Buffet, M. Marc-Philippe Daubresse, M. Loïc Hervé, M. Henri Leroy, M. Jérôme Durain, M. Jean-Yves Leconte et M. Alain Richard comme membres titulaires, et de Mme Catherine Di Folco, Mme Nadine Bellurot, Mme Agnès Canayer, Mme Dominique Vérien, Mme Marie-Pierre de La Gontrie, Mme Maryse Carrère et Mme Éliane Assassi comme membres suppléants de l'éventuelle commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur.
Projet de loi de finances pour 2023 - Mission « Relations avec les collectivités territoriales » - Examen du rapport pour avis
M. Loïc Hervé, rapporteur pour avis. - Cette année, l'examen des crédits de la mission « Relations avec les collectivités territoriales » (RCT) s'inscrit dans un climat particulièrement anxiogène pour les élus des collectivités territoriales.
Dans un contexte inflationniste et, en particulier, de hausse inédite des dépenses d'approvisionnement en énergie, les incertitudes financières pour l'année 2023 pèsent lourdement sur les perspectives d'investissement des collectivités. En conséquence, les élus locaux espéraient un projet de loi de finances (PLF) pour 2023 à la hauteur de leurs craintes. Las ! ces espoirs seront, cette année encore, largement brisés.
Avant d'en venir à la présentation des crédits de la mission RCT, je souhaite donc attirer votre attention sur le contexte dans lequel ce projet de loi de finances est examiné : celui d'une vive inquiétude entre défiance d'une part et perte de marges de décision d'autre part.
La défiance, en premier lieu, marque la définition du cadre pluriannuel enserrant les relations financières entre l'État et les collectivités territoriales. En effet, faisant suite aux contrats dits « de Cahors », l'article 23 du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027 prévoyait un nouveau dispositif de contractualisation dont le volet correctif s'avérait plus coercitif encore que son prédécesseur, fort peu regretté. Rejeté à l'Assemblée nationale et au Sénat, ce dispositif a - étonnamment ! - été réintroduit par le Gouvernement au sein de l'article 40 quater du PLF. Il me semble que ce choix, faisant litière de la volonté clairement exprimée par la représentation nationale, n'augure en rien de la restauration d'un climat de confiance entre l'État et les collectivités territoriales, ni d'ailleurs entre le Parlement et le Gouvernement. Une telle initiative de ce dernier nous paraît incriminable, et je forme le voeu qu'à l'issue de la discussion parlementaire de ces deux projets de loi cette disposition ne figure dans aucun.
J'évoque maintenant la perte de marges de décision. D'une part, le contexte inflationniste devrait logiquement se traduire, faute de compensations nécessaires, par une diminution en volume des ressources des collectivités. Ainsi, la hausse de la dotation globale de fonctionnement (DGF) à hauteur de 320 millions d'euros est évidemment bienvenue, mais elle ne compensera ni la baisse tendancielle de cette dotation sur la décennie écoulée ni l'inflation prévue pour l'année 2023 : cette hausse ponctuelle se traduira donc par une diminution en volume de l'ordre de 2,9 %. Par ailleurs, chacun a pu le relever lors de l'audition du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, Christophe Béchu, vu la complexité et l'insuffisance des divers dispositifs de compensation des coûts de l'énergie prévus par le Gouvernement, leur articulation gagnerait indéniablement à être précisée.
Par ailleurs, les collectivités perdront en 2023 de nouvelles marges de décision en matière fiscale avec la suppression annoncée de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), que notre assemblée a opportunément rejetée lundi dernier en séance publique. Cette suppression, qui devrait vraisemblablement être rétablie à l'Assemblée nationale par le Gouvernement notamment dans le cas où il ferait de nouveau application de l'alinéa 3 de l'article 49 de la Constitution, est d'autant plus critiquable que les modalités concrètes de territorialisation de la dynamique de la taxe sur la valeur ajoutée, qui viendra compenser cette perte de ressource fiscale, demeurent encore très floues.
Dans ce contexte, source de vives inquiétudes, les crédits inscrits au titre de la mission RCT enregistrent une baisse particulièrement regrettable de 12,84 % en autorisations d'engagement (AE) à l'échelle de la mission.
Le programme 119, qui concentre des dotations de soutien à l'investissement et des compensations financières des charges, connaît une diminution de 13,4 % en AE. Cette diminution résulte de deux facteurs.
D'une part, les crédits des dotations de compensation connaissent une légère diminution de 2,9 % en valeur - soit 58 millions d'euros - par rapport à ceux qui sont inscrits en loi de finances pour 2022. Ce fléchissement s'explique essentiellement par la non-reconduction par l'État de la dotation exceptionnelle versée en 2022 pour la compensation des pertes subies sur le dispositif de compensation péréquée (DCP). À nouveau, dans un contexte inflationniste, la relative stabilité de ces concours masque une nette baisse en volume : en adoptant l'estimation du Gouvernement d'un taux d'inflation de 4,2 %, ces dotations connaîtraient une baisse en volume de 7,3 %, poursuivant l'érosion progressive de ces dotations calculées au « coût historique ».
D'autre part, les crédits ouverts en AE pour le soutien à l'investissement des collectivités connaissent une diminution en valeur de 13,2 %. Cette diminution s'explique par la non-reconduction de dispositifs exceptionnels, en particulier d'un abondement de dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) à hauteur de 303 millions d'euros en 2022. Ce retour au statu quo ante ne saurait pour autant nous satisfaire, car il se traduira par une diminution en volume de 19,9 % de ces dotations entre la loi de finances pour 2022 et ce qui est prévu par le PLF pour 2023.
Le programme 122, qui regroupe des crédits destinés à financer le soutien de l'État à des collectivités territoriales confrontées à des situations exceptionnelles, connaît une légère baisse des AE de l'ordre de 2,93 %, soit 7,6 millions d'euros. Néanmoins, cette diminution est largement périmétrique et n'implique pas un fléchissement du soutien de l'État aux collectivités concernées. Elle s'explique en particulier par la baisse, à hauteur de 17 millions d'euros, des AE allouées au fonds de reconstruction pour les collectivités touchées par la tempête Alex - les travaux nécessitent moins de crédits qu'en 2022 - et l'intégration de la dotation pour frais de garde d'enfants et d'assistance au prélèvement sur recettes de la dotation particulière « élu local » (DPEL).
Le programme n'appelle donc pas de remarque négative quant au montant des crédits inscrits ; il est en revanche problématique pour la sincérité du débat budgétaire que la justification de l'inscription sur la mission des dépenses d'informatique de la direction générale des collectivités locales (DGCL), qui augmentent régulièrement, ne soit pas plus détaillée.
Enfin, comme chaque année, l'examen des articles rattachés offre l'occasion de renforcer les garanties de ressources pour certaines collectivités et d'améliorer la lisibilité des dotations pour les élus.
En premier lieu, je tiens à saluer l'ajout de l'article 45 ter, qui prévoit que le montant de la DPEL perçu par une commune nouvelle serait, à compter du 1er janvier 2023, calculé comme étant la « somme des dotations particulières calculées sur le périmètre de leurs communes déléguées ». La crainte de la perte d'un montant de DPEL peut effectivement freiner la création de communes nouvelles ; j'ai eu l'occasion d'échanger à ce sujet avec Françoise Gatel, qui m'a confirmé l'intérêt d'un tel dispositif pour encourager ou, à tout le moins, ne pas décourager des projets de création de communes nouvelles.
Je relève néanmoins que, en l'état de sa rédaction, cette garantie n'est ouverte qu'aux communes nouvelles dont les communes « historiques » constituent des communes déléguées. Je vous proposerai, en conséquence, d'adopter un amendement tendant à assurer l'éligibilité de cette garantie à l'ensemble des communes nouvelles, y compris celles qui ne disposent pas de communes déléguées.
En second lieu, il me semble nécessaire de renforcer la lisibilité et l'association des élus dans l'attribution par l'État des dotations d'investissement. Je me félicite à cet égard qu'à la suite de la publication du rapport de nos collègues Claude Raynal et Charles Guené à ce sujet, la commission des finances se rallie - au moins partiellement ! - aux positions constamment défendues par notre commission sur ce thème. Je vous proposerai donc d'adopter trois amendements identiques à ceux qui ont été adoptés par la commission des finances : le premier prévoit que les décisions d'attribution de dotation de soutien à l'investissement des départements (DSID) soient prises par le préfet de région après avis des présidents de conseil départemental, rendu dans un délai de quinze jours ; le deuxième tend à améliorer l'information des élus locaux sur les subventions de DSID, en prévoyant que les orientations du préfet de région dans l'attribution de ces subventions et la liste des projets subventionnés seraient communiquées auprès de la commission relative à la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR); et le troisième a pour objet de renforcer l'information des membres de la commission DETR, en prévoyant que soit communiquée à cette commission avant la fin du premier trimestre de chaque année la liste de l'ensemble des demandes éligibles et recevables, et non les seules opérations à subventionner, comme c'est actuellement le cas.
Enfin, je vous proposerai d'adopter un amendement tendant à supprimer l'article 45 bis, aux termes duquel les préfets de département et de région seraient désormais tenus de prendre en compte le « caractère écologique des projets dans la fixation des taux de subvention » pour les attributions de DETR et de DSIL respectivement. Entendons-nous bien : le verdissement des projets d'investissement des collectivités territoriales est une évolution positive et n'est aucunement remis en question dans cet amendement. Néanmoins, le critère proposé étant particulièrement imprécis et pouvant s'avérer inopérant, il n'apporterait que davantage de confusion dans un processus d'attribution déjà illisible pour bien des élus locaux. D'une part, l'article ne précise pas si le caractère écologique d'un investissement devrait être apprécié au niveau de la finalité du projet ou dans ses modalités concrètes de réalisation. D'autre part, à supposer que seule la finalité poursuivie par le projet soit prise en compte, le caractère écologique de celle-ci peut être discuté : par exemple, un investissement favorable à la décarbonation d'une activité, mais nuisant à la biodiversité, doit-il être considéré comme écologique ?
Au bénéfice de ces observations et sous réserve de l'adoption de ces quelques ajustements, je vous proposerai d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits de cette mission.
M. Mathieu Darnaud. - Je remercie le rapporteur pour ce rapport très exhaustif. J'observe que l'État ne s'impose pas ce qu'il impose aux collectivités, ce qui devient préjudiciable.
Ma première remarque sera conjoncturelle. L'augmentation de la DGF ne saurait masquer une baisse tendancielle et ne permettra en rien de juguler la hausse de l'inflation, dont les impacts sont lourds. Des maires m'ont fait part hier de leur inquiétude quant aux cantines scolaires et au prix de l'énergie.
Nous sommes plusieurs à avoir interpellé le ministre Christophe Béchu lors de son audition. Les trois dispositifs proposés, à commencer par le fameux filet de sécurité, peinent à nous convaincre tant les critères, y compris ceux de 2023, ne correspondent en rien aux besoins des territoires, et ce pour une raison simple : quels que soient les critères retenus, il y a autant de cas de figure que de communes en France, qu'il s'agisse de la signature des contrats d'énergie, des aides dont ont bénéficié les communes, du potentiel fiscal de la commune. Nos communes vont donc devoir faire face à une situation aussi inédite que douloureuse.
Ma deuxième remarque est structurelle, le lien entre les territoires et nos concitoyens ou nos entreprises est de plus en plus distendu avec la fin de la taxe d'habitation, ou encore la suppression programmée de la CVAE. Or la Cour des comptes préconise notamment le versement de la DGF aux intercommunalités, ce qui n'est pas pour nous rassurer.
Il est légitime d'exprimer ces inquiétudes, d'autant que nos concitoyens aspirent à plus de proximité et à voir le lien entre les collectivités être conforté, afin d'avoir une lisibilité de l'action publique. On fragilise dangereusement la strate communale ; on ne lui apporte pas de réponses conjoncturelles, ni structurelles. La Première ministre a parlé de renforcer le lien entre les présidents d'intercommunalité et les préfets ; est-ce à dire que, progressivement, l'intercommunalité va se substituer à la commune ? C'est une question que l'on peut se poser.
Enfin, la situation actuelle, si douloureuse soit-elle, ne doit pas éclipser le besoin d'une plus grande péréquation, si essentielle pour l'avenir de nos territoires.
M. Didier Marie. - Je remercie le rapporteur pour la qualité, la précision et la sévérité de son rapport, que je partage.
Cette mission est à replacer dans un contexte plus large. Elle ne représente que 4 % environ des transferts financiers de l'État aux collectivités.
Le Gouvernement s'est félicité de la « co-construction » de ce budget, qu'il aurait réalisée avec des associations d'élus. Or ces dernières nous alertent non seulement au sujet du manque de dialogue, mais surtout sur l'insuffisance des propositions au regard des difficultés financières qu'elles rencontrent. Si le Gouvernement se réjouit de l'abondement de la DGF à hauteur de 320 millions d'euros, nous ne pouvons que nous inquiéter : cette augmentation n'est pas du tout de nature à répondre aux problématiques actuelles en ce qu'elle ne représente, sur le volume total, que 1,2 %, un montant très en deçà du niveau de l'inflation. En fait, cet abondement équivaut à une baisse en moyens constants pour les communes, les départements et les intercommunalités.
Une réelle augmentation de la DGF indexée sur l'inflation, comme nous le proposons, permettrait aux collectivités de protéger leurs capacités d'autofinancement. Elle leur donnerait de la visibilité afin de programmer leurs investissements. Malheureusement, le Gouvernement reste sourd à cette revendication.
Le coût de l'énergie est par ailleurs un sujet d'inquiétude. Les communes redoutent de ne pas pouvoir boucler leurs budgets. Les maires nous informent que leur facture d'énergie a doublé, triplé, quadruplé, ce qui aura des conséquences sur leurs dépenses de fonctionnement et leurs capacités d'investissement. À cet égard, le filet de sécurité mis en place par le Gouvernement ne répond pas à cette situation. Il avait été annoncé l'été dernier que 22 000 communes seraient concernées. En réalité, selon les critères précisés début octobre, entre 7 000 et 9 000 communes, tout au plus, pourront en bénéficier. Nous attendons donc la mise en place d'urgence d'un véritable bouclier énergétique pour permettre aux communes de faire face.
Je note que les montants de la DETR et de la DSIL sont gelés, alors que les besoins sont plus importants que jamais. Nous souhaitons que la DETR soit effectivement destinée aux territoires ruraux et qu'elle ne soit pas partagée, comme elle l'est aujourd'hui, et également que la DSIL soit à la main des préfets de département après avis de la commission départementale. Si l'on peut constater que la nouvelle augmentation de la dotation de solidarité rurale (DSR) et de la dotation de solidarité urbaine (DSU) se fait par abondement de l'enveloppe totale de la DGF, comme nous le demandions depuis plusieurs années, il n'en reste pas moins qu'un abondement plus important aurait été bienvenu afin de permettre aux collectivités de répondre à divers enjeux, le réchauffement climatique en particulier.
La création d'un « fonds vert » méritera d'être précisée dans la discussion parlementaire. D'ores et déjà, nous pouvons considérer que son montant est loin du niveau des besoins exprimés.
En ce qui concerne la DPEL, nous regrettons qu'un certain nombre de petites communes en soient exclues du fait de leur potentiel financier.
En conclusion, ce budget ne va pas dans le sens de l'autonomie des collectivités territoriales, loin s'en faut, avec le retour de la contractualisation financière, supprimée par le Sénat, mais réintégrée par le Gouvernement dans ce projet de loi de finances via l'usage de l'alinéa 3 de l'article 49 de la Constitution, ce qui est un pur scandale. La suppression de la CVAE est un mauvais coup porté à nos collectivités, qui sont infantilisées et privées de toute marge de manoeuvre. Il est temps de leur redonner les moyens d'investir et de disposer de moyens de fonctionnement stables et dynamiques.
Pour toutes ces raisons, nous ne voterons pas les crédits de cette mission, qui sont bien loin des souhaits exprimés par les élus.
Mme Nathalie Goulet. - Je constate que les conditions d'éligibilité à la DETR et à la DSIL sont toujours aussi opaques. Nous avons demandé à plusieurs reprises de connaître le motif des refus de DETR, en vain. J'aimerais connaître l'avis du rapporteur sur ce point.
On annonce la création et un abondement important du « fonds vert ». Les modalités d'attribution et de distribution doivent être précisées. Dans certains départements, la dotation serait plus importante que la DETR et la DSIL confondues. J'ai déposé un amendement prévoyant que la « commission DETR » soit informée.
Même si ce sujet ne fait pas techniquement partie de la mission RCT, il s'y rapporte sur le fond.
M. André Reichardt. - Je partage les constats du rapporteur, partagés par Didier Marie et Mathieu Darnaud. Je mesure les difficultés que ce budget va faire peser sur les collectivités locales. Dans ce cas, pourquoi M. le rapporteur propose-t-il un avis favorable aux crédits de la mission ?
M. Jean-Pierre Sueur. - Je partage bien des remarques formulées, notamment celles de Didier Marie. Après la suppression de la taxe professionnelle, puis de la taxe d'habitation, nous risquons d'assister à la disparition de la CVAE. C'est là un véritable changement de régime. La Révolution française avait instauré un système clair en vertu duquel il fallait être élu pour pouvoir prélever l'impôt. Il existait un lien direct entre la décision de la commune et le fait de lever l'impôt. Or la capacité fiscale des collectivités, notamment des communes, devient presque résiduelle. Imaginons un seul instant que des gouvernants, des parlementaires veuillent redonner de la liberté fiscale aux collectivités, il faudrait faire voter de nouveaux impôts, en disant à nos concitoyens que les impôts nationaux baisseraient à due concurrence. Mais qui le croirait ? Aussi, il s'agit d'un changement presque irréversible.
M. André Reichardt. - Absolument.
M. Jean-Pierre Sueur. - Comme le Sénat a supprimé l'article 5 du projet de loi de finances pour 2023, portant suppression de la CVAE, il me paraît important, dans les jours qui viennent, qu'il soit ferme sur ses positions. Si d'aventure une seconde lecture était demandée par le Gouvernement, nous devrions résister collectivement et dire que nous tenons aux marges de liberté des collectivités locales en matière de fiscalité.
Mme Marie Mercier. - Nous avons cru comprendre que le Gouvernement songeait à favoriser le couple préfet-intercommunalité au détriment des communes. Or dans le même temps, la Cour des comptes prône une DGF distribuée aux intercommunalités, mais elle épingle celles-ci quant à leur budget de fonctionnement qui serait en augmentation et peu lisible. Aussi, j'ai du mal à saisir le positionnement du Gouvernement et les avis de la Cour des comptes.
M. Philippe Bas. - L'excellent rapport de Loïc Hervé, l'intervention de Mathieu Darnaud et les interventions des représentants du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain m'ont absolument convaincu de rejeter ce budget.
M. Mathieu Darnaud. - Permettez-moi de compléter mon propos.
Nous ne saurions nous satisfaire d'une augmentation de la DSIL et d'une stabilisation, voire d'une légère augmentation de la DETR. Comment les communes vont-elles pouvoir présenter des projets d'investissement, alors même que leur budget leur permet à peine de fonctionner, certaines d'entre elles étant dans une situation inextricable ? Il est temps que le Gouvernement prenne la mesure de la situation. Il y va de l'avenir de certaines communes.
Je partage l'avis de Nathalie Goulet. Comme pour les commissions DETR, il serait normal que les élus soient associés au « fonds vert », quant aux conditions d'éligibilité et à la répartition des subventions. Il serait préjudiciable que le Gouvernement rejette cette proposition.
Enfin, je reviendrai sur la question de la péréquation, on nous avait promis des mesures concernant le Fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales (FPIC). Or certaines communes sont ponctionnées, alors même qu'elles sont pauvres. Elles subissent une double peine.
Toutes ces observations n'incitent pas à cautionner les crédits de cette mission, ni les orientations prises par le Gouvernement.
M. Éric Kerrouche. - On ne peut pas se satisfaire du fait que les collectivités locales soient un peu moins maltraitées. Les difficultés de financement sont réelles. Pour rebondir sur les propos de Mathieu Darnaud concernant la DETR, je veux préciser que nous sommes sollicités uniquement sur les projets les plus importants. Avec Agnès Canayer, nous avons demandé que le montant des projets soumis à notre consultation soit abaissé. Une subvention de 50 000 euros peut s'avérer très importante pour certaines communes.
De manière plus systématique, je partage l'avis de Mathieu Darnaud, on maintient les capacités d'investissement au travers de la DETR et de la DSIL, mais quid des autres dépenses ? Les communes sont dans une situation financière telle qu'elles ne pourront pas financer les investissements. C'est une spirale infernale. C'est pourquoi je pense que le budget de cette mission doit être sanctionné par un avis défavorable de notre commission.
M. Loïc Hervé, rapporteur pour avis. - Pour être très clair avec vous, on est dans la technique du pied dans la porte : l'essentiel de nos débats, si intéressant soit-il, ne relève pas de la mission RCT. Le « fonds vert » et la réforme de la CVAE n'en font pas partie. Cette mission nous donne l'occasion d'aborder ces sujets, mais ils n'entrent pas dans le périmètre de la mission RCT de laquelle, seule, nous sommes saisis dans le cadre du PLF.
Concernant mon avis sur les crédits, je souligne que la commission des finances a d'ores et déjà proposé d'adopter les crédits de cette mission. La première année que j'ai été rapporteur pour avis sur cette mission, j'avais proposé un avis défavorable sur ces crédits, mais cette position est difficile à présenter dans l'hémicycle. On pourrait en déduire que le Sénat rejette les financements de l'État aux collectivités locales - d'ailleurs, à l'époque, le Sénat ne m'avait pas suivi. Que l'on ne se méprenne donc pas sur nos intentions ! Outre la divergence de vues avec la commission des finances, j'attire votre attention sur ces conséquences. J'ai pesé le pour et le contre, un avis défavorable pourrait être mal interprété. C'est pourquoi je maintiens mon avis.
Je partage le constat que fait Mathieu Darnaud et sa préoccupation que soit privilégié le couple préfet-président d'intercommunalité. Dans mon département, le préfet s'adresse au président d'intercommunalité comme à un « super maire », y compris pour des compétences qui ne relèvent absolument pas du champ des intercommunalités. Lors de la crise liée à l'épidémie de covid-19 et en matière de politique contractuelle de l'État, il est très pratique d'avoir 21 interlocuteurs au lieu de 279, mais il ne faudrait pas oublier le principe de transfert de compétences des communes vers les intercommunalités : les intercommunalités exercent des compétences communales. Cette dérive est préoccupante.
Je vous rejoins sur le « fonds vert », mais, je le redis, ce sujet est en dehors du périmètre de la mission. Madame Goulet, il est vrai que les sommes distribuées seront très importantes dans certains départements. Nous avons proposé que les élus soient mieux associés. Nous avions proposé il y a quelques années la création d'une commission des investissements locaux, en rapatriant la DSIL régionale vers le département. Globalement, la commission DETR fonctionne bien. On peut encore renforcer sa transparence ainsi que le périmètre des projets sur lesquels elle est amenée à rendre des avis.
Concernant la motivation du refus des décisions, notre amendement répond, d'une certaine manière, à cette question en demandant au préfet de porter à la connaissance des élus les projets qu'il n'a pas retenus. En revanche, si nous demandions une motivation expresse, je crains que nous n'ayons pas de réponse circonstanciée. En droit, la motivation peut être lapidaire.
En conclusion, je crains que si nous rendons un avis défavorable à l'adoption des crédits de cette mission afin de marquer notre mécontentement, cela pourrait être mal interprété et aboutir à l'effet inverse à celui escompté.
Mme Nathalie Goulet. - Le Sénat a déjà voté à trois ou quatre reprises la demande de motivation du refus des projets éligibles à la DETR, mais le Gouvernement nous a, à chaque fois, objecté les éventuels recours. Mais pensons à l'incompréhension de certains élus quand leur demande est refusée, alors que la commune voisine bénéficie de cette dotation pour faire des travaux similaires.
M. Didier Marie. - Jusqu'à présent notre groupe votait les crédits de la mission. Nous ne le ferons pas cette année au regard du contexte exceptionnel. Nous n'avons pas connu de crise comme celle-ci, avec l'explosion de la dépense énergétique et l'inflation. Les crédits de la mission RCT auraient pu être augmentés. Nous allons donc voter contre les crédits de cette mission au motif qu'elle fait partie d'un cadre général inacceptable pour les collectivités, et pour les communes en particulier.
M. André Reichardt. - Je m'inscris en faux contre l'argumentation consistant à dire qu'un avis défavorable sur ces crédits vaudrait rejet de la totalité de ces crédits. Envoyons un signal fort. Personnellement, je ne comprendrai pas que la commission des lois donne un avis favorable. Ce n'est pas parce que la commission des finances a proposé d'adopter ces crédits que nous devons la suivre. J'assume mon avis défavorable.
M. Guy Benarroche. - Alors que l'on met en avant une véritable politique d'autonomie financière des collectivités territoriales, il n'est pas possible pour le groupe Écologiste - Solidarité et Territoires de voter en faveur de ces crédits.
M. Loïc Hervé, rapporteur pour avis. - Nathalie Goulet a raison, nous avons en effet voté, notamment lors de l'examen de la proposition de loi visant à réformer la procédure d'octroi de la dotation d'équipement des territoires ruraux, présentée par notre collègue Hervé Maurey, une disposition visant à demander la motivation des refus d'attribution de DETR. Il pourrait être intéressant de débattre de ce sujet dans l'hémicycle. Mon amendement répond partiellement à cette question en ce qu'il prévoit que l'ensemble des demandes soit porté à la connaissance de la commission DETR.
M. Loïc Hervé, rapporteur pour avis. - L'amendement II-289 tend à supprimer l'article 45 bis, qui prévoit l'ajout d'un nouveau critère fondé sur le caractère écologique des projets proposés. Cette notion est beaucoup trop imprécise. Je ne suis pas contre le verdissement des dotations, mais les critères doivent être techniques et précis.
M. François Bonhomme. - Je rejoins le rapporteur. Sortons du tropisme écologique actuel, sous n'importe quel vocable, dans n'importe quel projet, comme si le critère écologique était le seul sujet. Il faut trouver un point d'équilibre.
M. Mathieu Darnaud. - De manière générale, il faut cesser d'ajouter chaque année des critères en matière d'octroi et d'attribution des aides, d'autant qu'ils sont au final contournés. Laissons un peu de souplesse aux territoires.
M. Guy Benarroche. - Je me réjouis de ce nouveau tropisme écologique. On a gagné une première bataille culturelle. Néanmoins, j'en suis d'accord, une disposition imprécise est de nature à créer de la confusion.
M. Didier Marie. - Nous sommes favorables à ce que l'État accompagne les collectivités, notamment les communes, dans tous les investissements visant à améliorer notre impact environnemental. Toutefois, laissons à la DETR, qui est une dotation d'accompagnement des communes rurales, sa vocation, sans la brider par des critères particuliers. Nous voterons cet amendement.
Mme Cécile Cukierman. - Cessons de donner, année après année, des injonctions à la commission DETR, sauf à considérer qu'elle n'a plus d'utilité. Au contraire, redonnons-lui toute sa force. La multiplication des critères risque de faire en sorte que tout le monde in fine les contourne. N'oublions pas l'objectif initial, l'intérêt de la commune, et laissons un peu de souffle et de liberté à cette commission.
L'amendement II-289 est adopté.
M. Loïc Hervé, rapporteur pour avis. - Identique à un amendement déposé au nom de la commission des finances par les rapporteurs spéciaux Claude Raynal et Charles Guené, l'amendement II-290 tend à mieux garantir l'association des présidents de conseil départemental aux décisions d'attribution de la DSID.
M. François Bonhomme. - La semaine dernière, une décision favorable a été rendue pour que le département recrute un agent chargé du tourisme au prétexte qu'il faisait de l'ingénierie. Cet exemple illustre le risque de dénaturation de l'objet de la dotation. Il faut que les décisions d'attribution de la DSID soient davantage contrôlées et mieux justifiées.
M. Didier Marie. - Je voterai cet amendement, sachant que la DSID est exclusivement déployée par appel à projets en mettant en concurrence les départements d'une même région, alors qu'une part de cette dotation était auparavant ventilée de façon structurée. La multiplication des appels à projets nous interpelle. Le simple fait d'y associer les présidents de département est un premier pas dans la bonne direction.
L'amendement II-290 est adopté.
M. Loïc Hervé, rapporteur pour avis. - Identique à un amendement déposé par les rapporteurs spéciaux Claude Raynal et Charles Guené, l'amendement II-291 tend à favoriser la pleine information des élus locaux sur les attributions de la DSID.
L'amendement II-291 est adopté.
M. Loïc Hervé, rapporteur pour avis. - Toujours identique à un amendement déposé par les rapporteurs spéciaux, l'amendement II-292 prévoit de renforcer l'information des membres de la commission DETR, en leur communiquant la liste de l'ensemble des demandes éligibles et recevables.
L'amendement II-292 est adopté.
M. Loïc Hervé, rapporteur pour avis. - L'amendement II-293 tend à élargir le dispositif de la DPEL, en assurant l'éligibilité à l'ensemble des communes nouvelles, y compris celles dont les anciennes communes ne se sont pas constituées en communes déléguées.
L'amendement II-293 est adopté.
La commission émet un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Relations avec les collectivités territoriales ».
M. Loïc Hervé, rapporteur pour avis. - Je porterai en séance publique le message politique de la commission des lois.
Projet de loi de finances pour 2023 - Mission « Sécurités » - Examen du rapport pour avis
M. Henri Leroy, rapporteur pour avis. - Il me revient de vous présenter les crédits de la mission « Sécurités » qui concernent nos forces de l'ordre.
Ce projet de loi de finances (PLF) fait suite à plusieurs années de concertations sur la place devant être donnée à la sécurité dans notre pays, avec l'élaboration du Livre blanc de la sécurité intérieure et la tenue du Beauvau de la sécurité où le Sénat était représenté par Jérôme Durain et moi-même. Un projet de loi d'orientation et programmation pour le ministère de l'intérieur (LOPMI) a ensuite été élaboré, répondant à l'une de nos anciennes recommandations.
Nous avons examiné ce projet de LOPMI le mois dernier, et il a été discuté par l'Assemblée nationale la semaine dernière. Il porte des ambitions programmatiques fortes pour le budget du ministère de l'intérieur. Ses crédits passeraient de 20,78 milliards d'euros en crédits de paiement (CP) en 2022 à 25,29 milliards d'euros en 2027, soit une hausse de 21,7 %. Au total, 15 milliards d'euros supplémentaires seraient budgétés sur cinq ans par rapport aux crédits affectés au ministère de l'intérieur en 2022.
Ces crédits serviront à financer trois priorités, sur lesquelles je ne reviendrai pas en détail, car elles ont été explicitées lors de la discussion du projet de LOPMI. Il s'agit de la proximité entre les forces de sécurité intérieure et la population, de la lutte contre la délinquance, et de l'amélioration des conditions de vie des policiers et des gendarmes.
L'année 2023 constitue la première année de mise en oeuvre de la programmation envisagée dans la LOPMI. Pour l'ensemble de la mission « Sécurités », les crédits demandés pour 2023 seraient plus élevés de 1,55 milliard d'euros en autorisations d'engagement (AE), soit une augmentation de 6,8 %, pour atteindre 24,22 milliards d'euros et plus élevés de 1,43 milliard d'euros en CP (+ 6,7 %), pour atteindre 23 milliards d'euros.
Concernant d'abord la police nationale, les crédits alloués au programme 176 augmenteraient de 5,86 % en AE et de 6,38 % en CP. Dans la gendarmerie nationale, les crédits alloués augmenteraient également, de 4,29 % en AE et 6,39 % en CP. On observe ainsi un rattrapage de l'augmentation des crédits accordés à la gendarmerie nationale puisque les hausses étaient moins importantes les années précédentes.
S'agissant en premier lieu des dépenses de personnels, le PLF pour 2023 prévoit une augmentation des crédits de masse salariale de 4,97 % dans la police nationale et de 6,91 % dans la gendarmerie nationale, soit une hausse plus importante que les années précédentes. Cette augmentation s'explique par le nouveau renforcement des effectifs, mais aussi, et surtout, par la mise en oeuvre de mesures catégorielles particulièrement importantes à la suite des négociations ayant suivi le Beauvau de la sécurité.
En ce qui concerne les effectifs, le PLF prévoit la création de 1 907 emplois dans la police nationale et de 950 emplois dans la gendarmerie nationale. Ces créations permettront un renforcement du maillage territorial avec la création, sur cinq ans, de 200 nouvelles brigades de gendarmerie, ainsi qu'une amélioration des capacités d'intervention et de maintien de l'ordre en vue des jeux Olympiques. Onze nouvelles unités de force mobile devraient être créées, parmi lesquelles 7 escadrons de gendarmerie mobile - 4 en 2023 et 3 en 2024 - et 4 compagnies de CRS sur le modèle de la CRS 8, dont 3 en 2023 à Nantes, Chassieu et Marseille et une en 2024 à Montauban. Les pelotons de surveillance et d'intervention de la gendarmerie (PSIG) devraient également être densifiés.
En parallèle, le PLF pour 2023 prévoit d'augmenter les crédits alloués aux réserves opérationnelles de la police à hauteur de 8,4 millions d'euros et ceux de la gendarmerie à hauteur de 14 millions d'euros, ce qui donne enfin une traduction concrète aux promesses de montée en puissance de ces réserves.
Venons-en maintenant aux mesures catégorielles, qui sont substantielles cette année. Elles résultent principalement de deux protocoles, un pour chacune des forces, signés en mars 2022. Dans la police nationale, le coût de ces mesures catégorielles s'élèverait à 84,70 millions d'euros en 2023, soit une augmentation de 125,7 % en un an. Dans la gendarmerie nationale, ce coût serait de 71,80 millions d'euros, soit une augmentation de 120 %.
Ces dépenses sont attendues par les personnels. Elles permettront une modernisation de la gestion des ressources humaines et une revalorisation de certaines primes, comme la prime d'officier de police judiciaire (OPJ), ce qui constitue un début de réponse à certaines problématiques d'ampleur, telles que la désaffection de la police judiciaire. Ces dépenses soulèvent toutefois des difficultés, puisqu'elles ont un coût annuel élevé et sont mal maîtrisées, car difficilement anticipables.
S'agissant maintenant des dépenses de fonctionnement et d'investissement, elles augmentent significativement dans la police nationale, mais diminuent dans la gendarmerie nationale.
Une telle situation n'est pas satisfaisante : la dynamique des dépenses de fonctionnement et d'investissement, même si elle est globalement positive, n'est pas à la hauteur de celle des dépenses de personnels : l'embauche de nouveaux personnels crée des besoins supplémentaires tant en équipements qu'en matière d'immobilier, alors même que les besoins initiaux n'étaient pas entièrement satisfaits.
La baisse des budgets affectés à la gendarmerie nationale en termes de fonctionnement et d'investissement est également préoccupante. Le PLF pour 2023 prévoit certes un rééquilibrage à moyen terme, puisque les dépenses d'investissement dans la gendarmerie nationale devraient augmenter fortement à compter de 2025. Je vous propose d'être particulièrement attentifs à l'effectivité de cette augmentation, mais il convient surtout que la part des dépenses de personnels dans les dépenses totales diminue de manière nette afin de rétablir puis de maintenir la capacité opérationnelle des forces de sécurité intérieure. En 2023, ce pourcentage représentera 83,17 % du budget global en AE.
Les dépenses de fonctionnement et d'investissement permettront de financer des actions visant à réaliser les priorités définies dans le projet de LOPMI. Je pense, par exemple, au doublement de la présence des forces de sécurité intérieure sur la voie publique, grâce à un recours au numérique accru avec la continuation du déploiement des capacités numériques comme les terminaux NÉO et les ordinateurs portables Ubiquity, mais aussi au déploiement de nouveaux services et du développement d'applications pour accroître le nombre d'actes de procédures que peuvent réaliser les policiers et les gendarmes en mobilité. Le développement de ces applications est nécessaire pour améliorer les conditions de travail des policiers et des gendarmes et favoriser la proximité avec la population. Il faudra cependant que le ministère de l'intérieur soit très attentif au suivi du développement de ces outils, afin de ne pas répéter le fiasco du logiciel Scribe.
Afin de mieux lutter contre la délinquance et de se préparer aux grands événements sportifs des prochaines années, le PLF pour 2023 prévoit - c'est une demande forte du Sénat - le renouvellement des véhicules de maintien de l'ordre ainsi que l'acquisition d'équipements et de moyens technologiques nécessaires à la protection des grands événements.
Le Sénat avait émis 31 recommandations dans le rapport de la commission d'enquête sur l'état des forces de sécurité intérieure de 2018. Celles-ci figurent aujourd'hui dans leur grande majorité dans le projet de LOPMI, même si elles sont diluées. En témoigne la création de 11 unités de force mobile.
En conclusion, je vous proposerai d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Sécurité », hors programme « Sécurité civile », que notre collègue Françoise Dumont présentera ultérieurement.
Cependant, permettez-moi d'attirer votre attention sur trois points.
J'aborderai tout d'abord, dans le cadre de l'exécution du budget 2023, la question de l'inflation. La LOPMI a été élaborée avant la reprise de l'inflation, les budgets n'ont donc pas été revalorisés. La police et la gendarmerie nationales vont donc devoir participer à l'effort national de rationalisation des dépenses, mais cela ne devrait pas porter préjudice à la capacité des forces à faire face aux échéances de 2023 et de 2024.
Ensuite, le doublement des effectifs sur la voie publique, annoncé à Roubaix par le Président de la République devant toutes les forces de sécurité et les représentants des élus locaux et nationaux, n'aura de sens que si les effectifs des services judiciaires qui traitent les enquêtes et ceux des juridictions sont augmentés de manière proportionnelle. Sans cela, c'est toute la chaîne pénale qui sera engorgée, sans amélioration aucune de la réponse pénale.
Enfin, il est nécessaire de diminuer la part des dépenses de personnels dans les dépenses totales de ces deux programmes, un sujet que nous évoquons régulièrement et ce depuis plusieurs années.
M. Marc-Philippe Daubresse. - Je soutiens les analyses et les conclusions de notre rapporteur, pour avoir été avec Loïc Hervé rapporteur du projet de LOPMI, que le rapport budgétaire traduit pour la première année. En général, la première année se passe très bien, mais le détricotage commence l'année n+2. Les crédits devront être augmentés en 2024 avec l'organisation des jeux Olympiques, sachant que nous sommes toujours aussi démunis pour assurer leur sécurité et que le risque de terrorisme n'a jamais été aussi élevé. Nous l'avons dit au ministre de l'intérieur, devra être examiné soit un projet de loi du Gouvernement, soit une proposition de loi du Sénat sur ces sujets.
À l'initiative du Sénat, l'implantation des nouvelles brigades de gendarmerie fait l'objet d'une concertation préalable avec les élus locaux. Cette concertation se déroule dans de bonnes conditions. Concernant l'implantation d'une brigade de gendarmerie, ce n'est pas seulement la question des effectifs qui se pose, c'est surtout celui de la caserne et du logement des gendarmes. Or, au cours des années précédentes, dans un cas sur deux, ces implantations se sont mal passées. Il nous faut réfléchir à l'ingénierie financière ; on ne peut pas tout laisser à la charge des communes. Se pose aussi la question des logements des gendarmes à l'heure où le Gouvernement demande aux communes de les construire et, dans le même temps, interdit l'artificialisation des sols.
En outre, la part des dépenses de fonctionnement dans le budget global doit à terme diminuer - c'est une demande récurrente du Sénat. La question de l'investissement va se poser sur le programme « Sécurité civile ». Malgré les fortes augmentations de crédits, de nombreuses questions restent donc en suspens.
Nous attendons avec impatience un projet de loi d'orientation et de programmation pour la justice, car toutes les mesures que nous votons n'auront aucun impact sur l'objectif de diminution des violences si la justice ne suit pas. Or, aujourd'hui, la justice est défaillante sur tous ces segments.
M. Jérôme Durain. - Vous le savez, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain est toujours constructif dès qu'il s'agit d'améliorer la sécurité de nos concitoyens. Nous examinons ces crédits avec responsabilité, exigence et vigilance. Nous avions essayé de contribuer à la bonne élaboration de la LOPMI en présentant des amendements visant à sécuriser l'effectivité des crédits promis.
Si nous sommes d'accord sur les grandes lignes exposées par le rapporteur pour avis, nous restons exigeants sur plusieurs points précis. Le sujet de la police judiciaire mérite toute notre attention, et la commission des lois a créé une mission d'information sur l'organisation de la police judiciaire, dont Nadine Bellurot et moi-même sommes rapporteurs. Dans un contexte de hausse des crédits du programme 176 « Police nationale », on note une baisse de 13 % des crédits affectés aux missions de la police judiciaire, ce qui est de nature à renforcer nos inquiétudes.
Les dépenses de fonctionnement sont en forte hausse, avec une attention particulière accordée au numérique, mais nous vérifierons que les choix technologiques ne nous conduisent pas dans la même impasse que celle que nous avons connue avec le logiciel Scribe.
S'agissant du programme 152 « Gendarmerie nationale », les crédits sont en hausse, ce qui est conforme aux engagements du projet de LOPMI. Toutefois, la création de brigades et de nouveaux escadrons de gendarmerie mobile pose la question de l'immobilier. Le diable se logeant dans les détails, les conditions de financement et de montage des programmes immobiliers sont cruciales.
Nous sommes favorables à l'augmentation des crédits du programme 207 « Sécurité et éducation routières » à hauteur de 24,2 millions d'euros, liée pour partie à l'augmentation des moyens de l'Agence nationale des titres sécurisés (ANTS) en vue de la généralisation des amendes forfaitaires délictuelles (AFD). Si nous avons accepté le principe pour une partie d'entre elles, nous restons cependant prudents quant aux éventuels risques qu'elles soulèvent.
Dans un souci de cohérence avec notre vote sur le projet de LOPMI, notre vote en séance publique dépendra du sort qui sera réservé aux amendements que nous déposerons notamment sur la question des gendarmeries.
M. Guy Benarroche. - Pour être cohérents avec notre position sur le projet de LOPMI, nous ne voterons pas ces crédits, car nous ne partageons absolument pas l'orientation qui nous est présentée.
M. Henri Leroy, rapporteur pour avis. - Monsieur Daubresse, le Sénat a grandement participé à l'élaboration du projet de LOPMI. Les recommandations formulées par la commission d'enquête sur l'état des forces de sécurité intérieure en 2018, présidée par Michel Boutant, issu du groupe socialiste et républicain, et rapportée par François Grosdidier, membre du groupe Les Républicains, ont toutes été adoptées, à la quasi-unanimité. Le projet de LOPMI est le fruit de tous nos investissements.
La concertation sur les implantations de brigades avec les maires et les élus, que le Sénat avait demandée, a commencé sous l'égide des préfets. Certes, 200 brigades seront construites, mais on dénombre 2 000 demandes ! Ce ne sont pas les effectifs qui posent problème à la gendarmerie, c'est l'immobilier. Il est envisagé de créer des brigades mobiles, qui auront une capacité d'intervention beaucoup plus efficace sur le terrain.
Le ministre est très optimiste en parlant de la création de 30 à 60 brigades, mais seules 30 ou 40 brigades de gendarmerie, je le redis, seront créées en 2023. La direction générale de la gendarmerie nationale a été on ne peut plus claire sur ce point. J'espère que le mouvement se poursuivra après 2024.
Monsieur Durain, il est vrai que l'on note une désaffection totale de la police judiciaire (PJ). Personne ne veut plus être officier de police judiciaire, un métier fait de contraintes sans aucune compensation. On devrait plutôt parler de la réforme de la police nationale sur le plan départemental. Le service de la PJ conservera-t-il l'ensemble de ses missions et de ses prérogatives ? Oui, si l'on renforce les moyens. Je crois pouvoir dire que la seule difficulté tiendra à la décision, avec un seul chef dans chaque département, contre six actuellement.
Monsieur Benarroche, le projet de LOPMI résulte d'une très longue concertation avec l'ensemble des groupes politiques du Sénat. Elle répond à une grande partie de nos exigences.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Sécurités ».
Projet de loi de finances pour 2023 - Mission « Sécurités » - Programme « Sécurité civile » - Examen du rapport pour avis
Mme Françoise Dumont, rapporteure pour avis. - Il me revient de vous présenter les crédits du programme 161 relatif à la sécurité civile, qui est une composante de la mission « Sécurités ».
Le programme « Sécurité civile » finance les moyens nationaux alloués à la sécurité civile qui sont, cette année, en forte hausse. Ces moyens nationaux recouvrent principalement, bien que non exclusivement, les dépenses nécessaires à l'entretien, au pilotage et au renouvellement de la flotte aérienne de la sécurité civile.
Les moyens humains, comme le traitement des 43 000 sapeurs-pompiers professionnels, et les moyens matériels terrestres relèvent, quant à eux, des services départementaux d'incendie et de secours (Sdis), dont le budget de 5,1 milliards d'euros représente plus de 80 % des moyens financiers totaux dédiés à la sécurité civile. Or, les Sdis sont financés majoritairement par les départements, qui ne reçoivent à cet effet que 1,2 milliard d'euros issus de la taxe spéciale sur les conventions d'assurances (TSCA). J'en conclus - et je l'ai signalé à plusieurs reprises au ministre Gérald Darmanin ainsi qu'à la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) - que toute réflexion générale sur les moyens de la sécurité civile, rendue nécessaire cette année, doit impérativement associer les collectivités territoriales et se pencher sur l'enjeu du financement des Sdis, mis en difficulté par l'ampleur de la dernière saison des feux et ne disposant pas des mêmes leviers financiers que l'État pour y répondre.
Cette année, le budget alloué au programme 161 est exceptionnel, pour deux principales raisons. En premier lieu, il fait l'objet d'une augmentation significative résultant du renouvellement tant attendu de la flotte aérienne de la sécurité civile, que nous appelions déjà de nos voeux l'année dernière. En second lieu, il est présenté dans le contexte d'une saison des feux particulièrement éprouvante, qui a remis en question de nombreuses certitudes quant à la résilience du modèle français de lutte contre les incendies.
En effet, la dernière saison des feux a mis à rude épreuve tous les acteurs de la sécurité civile, lesquels, il faut le rappeler, ont dû poursuivre leur mission quotidienne et continue de secours à la personne en parallèle de la lutte contre les feux.
Or, l'année 2022 a marqué une nette rupture pour la sécurité civile. Elle a mis fin à une période bidécennale de modération des feux, avec une moyenne d'environ 10 000 hectares brûlés chaque année depuis un pic en 2003. Cette année a représenté indubitablement la fin de cette tendance modérée, avec 72 000 hectares partis en fumée, soit sept fois plus que la moyenne bidécennale. Fait nouveau, les départements du nord de la Loire, moins préparés pour faire face à ces événements, ont été atteints dans des proportions inédites. Je pense, par exemple, aux incendies ayant touché les monts d'Arrée en Bretagne ou encore le massif du Jura, simultanément à la Gironde.
Si nous avons évité de peu la rupture capacitaire - et encore, au prix de la réquisition en urgence de huit hélicoptères et du recours, pour la première fois depuis son instauration en 2001, au mécanisme européen de protection civile (MEPC) -, c'est uniquement parce que l'arc méditerranéen a été heureusement relativement épargné et qu'en conséquence de nombreux moyens ont pu être déployés sur la zone atlantique.
L'ensemble des acteurs de la sécurité civile s'accorde à considérer que ces niveaux, pour l'instant exceptionnels, deviendront malheureusement la norme, compte tenu de ce que le Président de la République a lui-même nommé « la transformation des risques » liée au réchauffement climatique. Au cours des prochaines années, et probablement dès 2023 vu le fort déficit pluviométrique constaté dès à présent, les feux risquent d'être plus intenses et de s'étendre aussi bien géographiquement que temporellement, mobilisant d'autant plus nos forces de sécurité civile. Il est indispensable de prendre en compte cette transformation des risques et la sollicitation maximale de nos forces de sécurité civile pour apprécier le budget alloué à la sécurité civile pour l'année 2023.
À ce titre, c'est avec satisfaction que je constate que celui-ci est en forte hausse, passant, pour la première fois, le seuil du milliard d'euros d'autorisations d'engagement (AE). Il semblerait que le Gouvernement ait enfin pris conscience de l'urgence à agir pour doter la sécurité civile des moyens nécessaires afin de répondre aux enjeux que je viens d'évoquer. Le Président de la République a d'ailleurs reconnu à deux reprises que les moyens actuels étaient « insuffisants ».
Dans le détail, les AE passeront de 678 millions d'euros en 2022 à 1,22 milliard d'euros en 2023, soit une hausse de 80 %. Cette augmentation inédite s'explique par l'effet de deux mesures, qui représentent à elles seules 51 % des AE du programme 161 : un plan de renouvellement de la flotte des hélicoptères de la sécurité civile, à hauteur de 471 millions d'euros, et la relance des « pactes capacitaires », qui visent à aider les Sdis à moderniser et mutualiser leurs moyens, à hauteur de 158 millions d'euros.
Les crédits de paiement (CP) s'élèvent, quant à eux, à 678,1 millions d'euros, soit une hausse de 19 % par rapport à 2022. Cette hausse n'est portée par aucune mesure emblématique. Elle résulte de l'augmentation modérée, mais généralisée, de la plupart des dépenses, dans un contexte de forte inflation qui affecte, par exemple, l'approvisionnement des aéronefs en carburant.
Les sommes importantes qui sont ainsi engagées ont majoritairement pour objet de renforcer la flotte aérienne de la sécurité civile, dont le vieillissement et le sous-dimensionnement sont unanimement reconnus. À titre d'exemple, la durée moyenne d'exploitation de nos Canadair est de vingt-cinq ans et celle de nos avions de liaison, les Beechcraft, est de trente-huit ans. Il faut avoir à l'esprit que si leur renouvellement est indéniablement coûteux, l'entretien des appareils vieillissants l'est aussi : en 2023, 88,5 millions d'euros seront consacrés au maintien en condition opérationnelle de nos aéronefs.
De nombreuses annonces ont été faites sur ce sujet lors des derniers mois. Contrairement aux années précédentes, au cours desquelles les remplacements d'appareils ont été ponctuels, principalement pour faire suite à des incidents techniques ou à des accidents, une remise à niveau de l'ensemble de la flotte d'hélicoptères et des avions amphibies bombardiers d'eau, c'est-à-dire les Canadair, a été évoquée à plusieurs reprises cette année.
Il s'agit tout d'abord de remplacer l'intégralité de la flotte d'hélicoptères, qui était arrivée à un seuil critique de 33 appareils à la suite de cinq accidents mortels au cours des dernières années. Quatre appareils ont récemment été commandés, dont les deux derniers seront livrés en 2023. La DGSCGC visant un effectif cible de 40 appareils, une enveloppe de 471 millions d'euros est prévue pour l'achat de 36 nouveaux appareils, soit un coût unitaire de 13 millions d'euros.
Je vous propose de donner un avis favorable à ce vaste plan de renouvellement et d'accroissement de la flotte d'hélicoptères, qui correspond par ailleurs aux recommandations que nous avions formulées l'année dernière et qui fait l'objet d'un financement rapide, contrairement au renouvellement des Canadair.
Le deuxième volet de ce renouvellement d'ampleur concerne donc les Canadair. Nous disposons actuellement de 12 appareils, d'une durée moyenne d'utilisation, comme je l'ai dit précédemment, de vingt-cinq ans. Le Gouvernement souhaite renouveler l'ensemble de cette flotte et la renforcer pour atteindre un total de 16 appareils. Ce plan reste néanmoins encore à concrétiser : aucun financement dédié n'est prévu dans le cadre du projet de loi de finances pour 2023. Le coût approximatif avancé par la DGSCGC est de 840 millions d'euros pour 14 appareils, soit un coût unitaire de 60 millions d'euros, les 2 appareils restants devant être financés à 90 % par l'Union européenne.
Si ces annonces sont bienvenues tant l'été 2022 a démontré l'insuffisance de nos moyens face à l'accroissement des risques, il convient cependant de les nuancer. J'ai pu constater lors des auditions que la tentation de recourir aux effets d'annonce était grande de la part du Gouvernement. En outre, le calendrier de ce plan de renouvellement d'ensemble est non seulement imprécis, mais - et cela est plus problématique - il fait l'objet d'annonces contradictoires entre le Président de la République et le ministre de l'intérieur. J'en veux pour preuve le plan de renouvellement de nos Canadair.
En effet, j'ai été surprise d'entendre le Président de la République et, par la suite, la presse, présenter le 28 octobre dernier comme une grande nouveauté le renouvellement de nos Canadair, alors que celui-ci avait déjà été largement commenté par le ministre Gérald Darmanin lors de la présentation de la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi) plusieurs mois auparavant. En outre, l'achat de deux Canadair par l'Union européenne est mis en avant dans tous les discours du Gouvernement relatifs à la sécurité civile : pourtant, il s'agit du troisième avis budgétaire de notre commission qui évoque cet achat promis de façon récurrente. Or, la construction de ces Canadair n'est toujours pas engagée, le Gouvernement arguant des difficultés de nature industrielle de la part du constructeur.
Outre que ces difficultés nous alertent quant aux enjeux de souveraineté industrielle qu'elles soulèvent, je note que le lancement de la chaîne de production a été annoncé le 31 mars 2022. Par conséquent, ces difficultés ne peuvent être qu'une justification de court terme aux blocages constatés.
Ce contretemps contraste fortement avec l'optimisme dont a fait preuve le Président de la République lors de son discours du 28 octobre dernier. En effet, il a déclaré que la France allait « investir pour que d'ici la fin du quinquennat, [les] douze [Canadair] soient remplacés et que leur nombre soit porté jusqu'à 16. »
Ce calendrier particulièrement ambitieux apparaît irréaliste et démontre une certaine confusion dans la communication du Gouvernement. À deux reprises, Gérald Darmanin a déclaré devant notre commission qu'il y avait de fortes tensions sur la chaîne de production des Canadair et que ceux-ci devront se faire attendre. Par conséquent, la DGSCGC estime, selon « les prévisions les plus optimistes » que seuls les deux Canadair commandés dans le cadre du programme RescEU pourraient être livrés d'ici à la fin du quinquennat. Sous réserve que leur financement soit confirmé, les 14 autres Canadair ne devraient suivre qu'au cours de la décennie 2030, après plus de trente ans d'exploitation.
Malgré ces vives réserves sur le respect du calendrier annoncé, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 161.
M. François Bonhomme. - Je salue le travail minutieux de notre rapporteure. Depuis plusieurs années, nous avons la confirmation du sous-dimensionnement de notre flotte. On voit se dessiner les limites de ce projet de budget dans la mesure où notre flotte continue de vieillir. Or, l'été dernier, à cause du dérèglement climatique, des zones de plus en plus larges ont été touchées par des incendies.
Le ministre de l'intérieur pratique ce que l'on appelle « l'énoncé performatif » : dire, c'est faire. Sous couvert de l'émotion, il fait des communiqués rassurants, annonce des mesures, mais celles-ci ne sont pas traduites dans les faits.
Mme Laurence Harribey. - Je remercie notre rapporteure pour ce rapport précis et pertinent. Nous souscrivons à ses remarques. Je souligne que ce programme ne représente qu'une petite proportion des crédits affectés à la sécurité civile.
L'augmentation des crédits s'inscrit dans l'objectif de la Lopmi, mais c'est sans tenir compte de l'inflation : elle sera non pas de 13 %, mais de 8 %.
L'été dernier a montré que nous nous trouvons dans une période charnière. Or je déplore l'absence d'une stratégie globale. Dans son référé du 3 octobre dernier à propos de la flotte aérienne de la sécurité civile, la Cour des comptes note l'absence de vision stratégique, ce qui limite la capacité de la DGSCGC à affronter les défis majeurs que sont l'aggravation du risque de feux de forêt et le renouvellement de la flotte d'aéronefs. Elle ajoute que l'organisation et la politique des ressources humaines sont aussi à revoir en profondeur. La dissémination des mesures concourt peut-être aux annonces contradictoires entre le Président de la République et le ministre de l'intérieur, comme l'a souligné la rapporteure.
J'observe que le Sénat a permis un certain nombre d'avancées, notamment au travers d'amendements concernant les moyens des Sdis.
Enfin, la question du maillage territorial et celle de la politique d'implantation devraient être prises en compte pour apporter des réponses plus probantes. On ne peut pas se déporter sur l'Europe pour avoir une vision stratégique. Sans vision stratégique au niveau national, nous ne pouvons pas être pertinents au niveau européen.
Nous suivrons l'avis de la rapporteure.
M. Alain Marc. - Je souligne également la qualité du rapport de Françoise Dumont. Les médias ont mis en exergue les gigantesques incendies qui ont sévi l'été dernier. Le sous-dimensionnement de notre flotte aérienne a été évoqué, mais on a oublié de dire l'essentiel : les Sdis sont financés, pour moitié, par les départements, et pour autre moitié par les communes et les communautés de communes. Ce n'est certes pas l'objet de cette mission, mais on ne saurait évoquer la sécurité civile sans souligner l'effort considérable consenti par nos concitoyens au travers de leurs impôts locaux.
M. Marc-Philippe Daubresse. - Tous les élus départementaux affirment que nous sommes à la veille d'une crise très grave des finances des Sdis. On est dans une impasse financière. Il est plus qu'urgent d'engager une réflexion sur cette question, peut-être en coordination avec la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation.
Avec l'inflation et l'augmentation du prix des carburants, les crédits sont obérés. L'essentiel des dépenses d'investissement porte sur les hélicoptères, un effort demandé par le Sénat depuis des années. En revanche, pour ce qui concerne les Canadair, nous sommes dans une impasse. Le ministre l'a dit explicitement, la chaîne de production des Canadair a été arrêtée ; et tous les composants ne sont pas disponibles. Seul le programme européen, avec la commande de 22 Canadairs, dont 2 pour la France, est porté à notre connaissance. Or les premiers avions ne pourront sortir d'usine qu'en 2027 au mieux, selon la société De Havilland. Nous allons donc nous trouver dans de graves difficultés en période estivale. Et ce ne sont pas les effets d'annonce qui y changeront quelque chose. C'est vrai pour le nucléaire, et la situation le prouve une fois encore, lorsque l'on abandonne des chaînes de production essentielles à la logistique de notre pays, on finit toujours par le payer très cher dans les années qui suivent !
M. Mathieu Darnaud. - Je félicite la rapporteure pour la pertinence de ses remarques et l'exhaustivité de son rapport. Le département de l'Ardèche est d'ores et déjà confronté à de douloureux problèmes de financement. Avec l'aval du préfet, nous en sommes à solliciter l'enveloppe DETR pour financer les casernes.
L'été aurait pu être plus tragique encore s'il n'y avait pas eu une conjonction d'éléments et une temporalité favorables, comme l'a souligné la rapporteure. Quoi qu'il en soit, le manque de moyens, notamment de Canadair, est criant. La pire des choses est de laisser à penser que la situation pourrait s'améliorer ipso facto. Nous avons une certitude, les épisodes de sécheresse et donc de feux de forêt que nous avons connus se multiplieront à l'avenir.
Comme l'a évoqué Laurence Harribey, l'augmentation des crédits ne doit pas être en trompe-l'oeil. Nous devons impérativement avoir une vision stratégique de la sécurité civile. Au-delà des problématiques structurelles et des moyens qui font défaut, il est absolument nécessaire d'examiner la question du financement des Sdis. Ce rapport ne doit pas faire oublier les moyens financiers qu'il sera nécessaire de prendre ; je pense notamment au reversement de la TSCA.
M. Hussein Bourgi. - Je remercie la rapporteure pour le rapport chirurgical qu'elle vient de nous présenter. Je vous ferai part de deux constats et de deux regrets.
Concernant le matériel, nous avons tous entendu les annonces du Président de la République le 28 octobre dernier, pour répondre au manque de vision stratégique de l'État en matière de sécurité civile mis en avant dans le rapport de la Cour des comptes. Mais, dans le même temps, le ministre de l'intérieur indique que les chaînes de production des Canadair sont arrêtées et qu'il faudrait éventuellement envisager une commande groupée à l'échelle européenne, ajoutant que l'on pourrait peut-être trouver une alternative aux Canadair. Toutes ces hypothèses m'inquiètent beaucoup. Cette question pourrait peut-être faire l'objet d'une mission d'information.
Par ailleurs, je m'inquiète de l'état des finances des Sdis. Le département de l'Hérault a été obligé de voter ce mois-ci une rallonge de 1,7 million d'euros pour permettre au Sdis de boucler son budget pour la fin de l'année. Nombre de départements connaissent cette situation. Les présidents de département soumettent régulièrement trois demandes au Gouvernement : l'augmentation du montant du taux de reversement de la TSCA, l'exonération du malus écologique et l'exonération du paiement de la taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP) pour les véhicules des Sdis, en vain. La situation est particulièrement difficile pour nos Sdis, pour nos départements et pour la sécurité civile au niveau national.
C'est la raison pour laquelle nous ne devons pas nous limiter à ce rapport budgétaire. Le Sénat doit prendre des initiatives sur ces questions.
M. Jean-Pierre Sueur. - La survenue d'un événement déclenche une sorte d'obligation implicite de faire des annonces, de les réitérer, voire de faire des annonces contradictoires. Or la politique de l'effet de l'annonce finit par nuire à la crédibilité de l'État. Il est consternant d'entendre que la France n'est pas en situation de produire des Canadair. Que l'on nous dise la vérité ! Et que l'on se donne les moyens de mettre en oeuvre les mesures annoncées, sinon les annonces n'ont aucune raison d'être.
Mme Françoise Dumont, rapporteure pour avis. - Monsieur Daubresse, vous avez raison, De Havilland ne pourra pas livrer de Canadair avant 2027 ou 2028 au mieux. De plus, nous ne sommes pas le seul pays de l'Union européenne à passer commande - l'Espagne et la Grèce notamment sont sur les rangs. Cette situation a la vertu de relancer la chaîne de production, mais présente l'inconvénient que nous ne serons peut-être pas prioritaires. De plus, se pose la problématique des normes. Ces avions datent de vingt-cinq ans, avec les normes de protection et de sécurisation d'alors. Il faudra donc adapter les aéronefs aux normes actuelles.
On ne peut pas aborder la question de l'adaptation de notre modèle de sécurité civile et celle du fonctionnement de nos Sdis sans engager une réforme sur le financement de nos Sdis. Le Sdis du Var consomme chaque année 1 million de litres de gazole. Imaginez le budget avec l'augmentation du prix du gazole. Sa facture d'électricité s'élevait à 480 000 euros en 2021 ; elle serait portée à 3 millions en 2023. Ce n'est pas envisageable !
Sur ce sujet, nous attendons le rapport sur le financement des Sdis prévu dans le cadre de la loi Matras que nous avons votée l'année dernière. Je vous informe en outre que les 158 millions d'euros octroyés dans le cadre des pactes capacitaires ne sont pas des crédits supplémentaires, mais sont en réalité une fraction de la compensation de la CVAE qui sera fléchée vers les Sdis, ainsi que l'a précisé le rapporteur spécial de la commission des finances, Jean Pierre Vogel.
M. Marc-Philippe Daubresse. - L'un des sujets majeurs est effectivement la fiscalité sur les carburants. Il est paradoxal de constater que le Gouvernement refuse une fiscalité « préférentielle » pour les Sdis, et ce dans l'intérêt général. La rapidité d'intervention des services de secours permet de sauver des hectares de forêt, laquelle contribue fortement à sauver la planète. Dans la Lopmi, des dispositions ont été insérées dans le rapport annexé afin que les ministères concernés se rapprochent pour envisager d'exonérer de malus écologique les véhicules des Sdis. Elles devraient être conservées dans le cadre de la commission mixte paritaire sur ce texte. Ayons un peu de bon sens ! On n'a pas encore de Tesla pour éteindre les feux de forêt !
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « Sécurité civile » de la mission « Sécurités ».
- Présidence de M. François-Noël Buffet, président -
Projet de loi de finances pour 2023 - Mission « Outre-mer » - Examen du rapport pour avis
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur pour avis. - Il me revient de vous présenter les crédits de la mission « Outre-mer » dans le cadre du projet de loi de finances (PLF) pour 2023, dont notre commission s'est saisie pour avis.
Le contexte dans lequel s'inscrit ce projet de loi de finances est marqué par la persistance de la crise énergétique résultant de la guerre russo-ukrainienne et de tensions inflationnistes exacerbant la problématique de la vie chère spécifique aux territoires ultramarins. En effet, si les écarts du niveau d'inflation entre les territoires ultramarins et l'Hexagone ne sont pas significatifs, ces tensions inflationnistes s'additionnent à un coût de la vie supérieur outre-mer s'inscrivant au surplus dans un contexte social particulièrement dégradé.
Si des mesures nationales ont été déployées dès juillet 2022 à destination des collectivités territoriales avec le « filet de sécurité » et le bouclier énergétique pour les entreprises fortement consommatrices d'électricité, force a été de constater le défaut d'adaptation des mesures nationales aux spécificités des collectivités et des entreprises ultramarines.
Les chiffres sont édifiants.
En premier lieu, seules six communes ultramarines ont bénéficié d'acomptes versés en application du filet de sécurité. Autre chiffre encore plus édifiant : seuls 2 % des moyens alloués à ce dispositif ont bénéficié aux outre-mer.
En second lieu, en dépit des demandes répétées des acteurs économiques locaux relayées par les parlementaires, le bouclier énergétique pour les entreprises n'a toujours pas fait l'objet d'adaptations pourtant indispensables à son application à la situation préoccupante des entreprises ultramarines.
J'aimerais insister sur un dernier exemple révélateur du manque de prise en compte des spécificités ultramarines dans le dimensionnement des aides face à la crise énergétique : les collectivités ultramarines bénéficiant du dispositif COROM - les contrats de redressement outre-mer - s'engagent, en échange de subventions, à assainir leur situation financière, en particulier en augmentant le montant de leur épargne brute, ce qui risquerait de les exclure de facto des dispositifs précités. En réponse aux inquiétudes exprimées par mon collègue Dominique Théophile, le ministre Christophe Béchu, lors de son audition en commission, a « confirmé que les communes relevant du COROM peuvent bénéficier du filet de sécurité », sans plus de précision.
Le Gouvernement a annoncé reconduire et améliorer ces dispositifs en 2023 : j'appelle donc à une meilleure prise en compte des spécificités des territoires ultramarins dans les dispositifs proposés pour compenser la hausse des prix de l'énergie pour les collectivités territoriales comme pour les ménages et les entreprises dans le PLF pour 2023.
Au surplus, si la création d'un fonds vert pour financer les projets écologiques des collectivités territoriales abondé à hauteur de 3,5 milliards d'euros ne peut qu'être saluée, nous devons être attentifs à la répartition territoriale des projets soutenus ainsi qu'à la décentralisation effective de la gestion de ces crédits, en particulier outre-mer.
Je tiens enfin à souligner que ces dispositifs, reposant majoritairement sur des mesures d'appel à projets ou nécessitant d'importants moyens en ingénierie en raison de leur complexité administrative, rendent encore plus indispensable tant le renforcement de la coopération entre les services déconcentrés de l'État et les acteurs locaux que l'accompagnement en ingénierie des collectivités ultramarines par l'État.
La principale problématique à laquelle est confrontée la mission « Outre-mer » est celle de la sous-exécution chronique des crédits votés. Chaque année, les crédits consommés sont largement inférieurs aux crédits attribués en loi de finances initiale (LFI).
À titre d'exemple, les nombreux mouvements de crédits réalisés en 2021 témoignent d'une gestion encore trop complexe des crédits de la mission « Outre-mer » qui semble aujourd'hui encore difficile à justifier par des considérations opérationnelles. Il n'est pas acceptable que nous votions des crédits en loi de finances qui soient ensuite annulés ou non consommés à hauteur de près de 10 % du montant total des crédits votés, comme le montre l'exercice 2021.
Je le constate toutefois avec satisfaction, des efforts de pilotage de l'exécution de la mission ont été menés avec succès, qui doivent être poursuivis. La direction générale des outre-mer (DGOM) s'est ainsi pleinement engagée dans une démarche active d'évolution de ses modalités de pilotage, ce qui a eu pour conséquence principale une consommation des crédits davantage lissée sur l'année, favorisant un décaissement progressif, qui est davantage conforme aux besoins des territoires ultramarins.
Cet effort est positif, mais ne saurait être suffisant. Je vous invite à être vigilants afin que, faute de consommation effective des crédits alloués, cela ne conduise à terme à une ambition moindre pour nos territoires ultramarins.
Ce n'est pas le cas dans le projet de budget qui nous est présenté aujourd'hui : les crédits alloués à la mission « Outre-mer » augmentent légèrement par rapport à 2022. Ainsi, à la suite de l'engagement de la responsabilité du Gouvernement sur le PLF 2023, la mission « Outre-mer » est dotée pour 2023 de 2,75 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE), soit une augmentation de 1,75 % par rapport à 2022, et de 2,58 milliards d'euros en crédits de paiement (CP), soit une légère hausse de 1,4 %.
La programmation des crédits est en effet marquée par un engagement renouvelé de l'État pour les territoires ultramarins, qui se traduit par des mesures nouvelles et un effort significatif en matière de soutien à l'emploi et à la formation ciblé sur les jeunes ultramarins, d'amélioration du parc de logements ultramarins et d'accompagnement des collectivités territoriales.
En matière de soutien à l'insertion et à la formation des jeunes ultramarins, ces crédits connaissent une hausse de près de 10 % en AE et de 13 % en CP, illustrant la volonté gouvernementale de recentrer son action sur cette priorité.
Je souhaite revenir sur la mesure relative au service militaire adapté (SMA). Celui-ci a de nouveau montré toute sa pertinence malgré la crise économique actuelle. Le niveau d'insertion a atteint sa cible en 2022 : 81 % des jeunes ayant participé à ce programme ont trouvé à l'issue un emploi stable. Ces bons résultats justifient que l'expérimentation du programme SMA 2025+, visant à élargir le public cible et à enrichir le contenu du programme engagé à Mayotte en 2022, soit étendue à toutes les unités sur l'ensemble des territoires ultramarins en 2023. Ainsi, le SMA sera ouvert aux mères célibataires, aux apprentis et aux mineurs décrocheurs dans tous les outre-mer. En outre, le programme va désormais accueillir des formateurs issus de grandes écoles et permettre aux jeunes de bénéficier de formations au numérique. Ainsi, près de 310 millions d'euros et 91 équivalents temps plein (ETP) supplémentaires seront affectés à ces mesures auxquelles je souscris pleinement.
En matière de construction et de rénovation des infrastructures, l'année 2023 constituera la dernière année de mise en oeuvre du plan Logement outre-mer 2, initialement prévu pour 2022 et prolongé d'une année par le ministre Jean-François Carenco. Le PLF pour 2023 prévoit une hausse de 10 millions d'euros des crédits mobilisables en AE dans la ligne budgétaire unique (LBU) pour de nouveaux projets. Cela permettra de poursuivre la mise en oeuvre du plan et d'accompagner les stratégies territoriales des établissements publics fonciers et d'aménagement de Guyane et de Mayotte créés l'année passée.
Si je ne peux que me féliciter de cette augmentation indispensable des crédits alloués à la LBU, je ne peux que constater que le dispositif proposé n'est pas à la hauteur des enjeux en la matière, et ce d'autant que la situation spécifique de l'habitat insalubre et informel dans les territoires ultramarins impose une politique particulièrement volontariste.
En effet, selon les estimations de la DGOM, la proportion de logements indignes et insalubres dans les territoires ultramarins oscille entre 19,4 % et 27 %, contre moins de 1,2 % dans l'Hexagone. Cette situation appelle à réunir de toute urgence les moyens nécessaires à la résorption de ce type d'habitat. C'est pourquoi je vous proposerai, en accord avec les rapporteurs spéciaux Georges Patient et Teva Rohfritsch, un amendement visant à majorer de 4 millions d'euros en AE et CP les crédits destinés à la résorption de l'habitat insalubre.
En ce qui concerne l'accompagnement des collectivités ultramarines, troisième priorité du budget outre-mer pour 2023, des efforts sont prévus en matière d'aide à l'équipement des territoires. Cela passe par les contrats de convergence et de transformation, qui visent à réduire significativement et durablement les écarts de développement en matière économique, sociale et environnementale. Initialement conclus pour une période s'établissant de 2019 à 2022, ils ont été prolongés par avenant d'une année afin de permettre la conclusion de nouveaux contrats en 2023.
En 2023, 211,52 millions d'euros sont prévus en AE et 156,26 millions d'euros en CP au titre de ces contrats. C'est conforme aux engagements pris par le Gouvernement. Toutefois, je constate à regret que les outils de contractualisation ne permettent pas de pallier les difficultés tenant à la sous-consommation des crédits budgétaires. La faiblesse des montants consommés par rapport aux montants contractualisés est particulièrement alarmante et fait craindre une sous-consommation importante des crédits pour l'ensemble des collectivités : les dernières prévisions disponibles font état d'un taux de consommation des crédits qui s'établirait à 41 % seulement fin 2022. J'appelle par conséquent l'État à renforcer l'accompagnement des collectivités concernées par ce dispositif afin de consommer l'ensemble des crédits ainsi contractualisés.
De surcroît, l'année 2023 sera celle de nouvelles négociations pour conclure les contrats pour la période 2024-207. Il est nécessaire que le Gouvernement améliore ce dispositif et prenne en compte les pistes d'évolution remontées du terrain, tant par les représentants de l'État sur les territoires que des élus locaux eux-mêmes. Je pense notamment au manque de fongibilité des crédits au sein des contrats et à la nécessité d'élargir ces contrats à de nouvelles thématiques comme la santé.
Des actions fortes devraient enfin être menées afin d'accompagner les collectivités ultramarines dans le redressement de leur situation financière et budgétaire : 60 millions d'euros supplémentaires devraient y être dédiés. Cela traduit l'engagement de l'État à accompagner la collectivité territoriale de Guyane à rétablir sa capacité d'autofinancement ; le syndicat mixte de gestion de l'eau et de l'assainissement de Guadeloupe (SMGEAG) à réaliser les investissements nécessaires à la distribution d'eau potable en Guadeloupe, mais également à financer le dispositif COROM.
Ce soutien renforcé de l'État est d'autant plus nécessaire que la situation financière et budgétaire fortement dégradée de certaines collectivités ultramarines est particulièrement préoccupante. Les risques pesant sur leur santé financière se sont accentués du fait des tensions inflationnistes et du renchérissement du coût de l'énergie et posent avec une acuité nouvelle la problématique du retard de paiement aux conséquences pourtant désastreuses pour le tissu économique local.
C'est pourquoi je vous proposerai - c'est une initiative commune avec les rapporteurs spéciaux qui a été annoncée par le président Gérard Larcher au congrès des maires ultramarins hier - de renforcer ce dispositif d'accompagnement et de soutien au redressement des collectivités territoriales à hauteur de 20 millions d'euros, tant pour augmenter le nombre de ses bénéficiaires que pour renforcer les montants du soutien ainsi exceptionnellement accordés aux collectivités ultramarines.
Pour conclure, je souhaite vous rappeler que les crédits portés par la mission « Outre-mer » ne constituent qu'un dixième environ de l'effort total de l'État en faveur des territoires ultramarins. Il s'agit des actions spécifiques de l'État dans les outre-mer, chaque ministère étant par ailleurs chargé de la mise en oeuvre de ses politiques sur l'ensemble du territoire français, outre-mer compris. Ainsi, l'effort global de l'État en faveur des territoires ultramarins en 2023 représenterait 20,1 milliards d'euros en AE et 21,7 milliards d'euros en CP. Ces crédits en provenance d'autres missions budgétaires permettent, entre autres, de financer les plans thématiques outre-mer notamment le plan Eau DOM, le plan Sargasses 2 et le plan Chlordécone, qui répondent à des préoccupations fortes des élus locaux et aux besoins quotidiens des habitants. J'y suis particulièrement favorable, mais je souhaite toutefois souligner que ces dispositifs appellent un accompagnement et un suivi attentif de l'État afin que les acteurs locaux puissent pleinement s'en saisir.
L'ensemble de ces éléments me conduisent à vous proposer de donner un avis favorable à l'adoption de ces crédits, sous réserve de l'adoption des deux amendements que je vous soumets.
M. Mathieu Darnaud. - Je salue le travail exhaustif du rapporteur. J'observe que ce qui ne fonctionne pas dans l'hexagone ne fonctionne pas non plus outre-mer. Le filet de sécurité est, dans sa mouture 2022, un échec généralisé.
Je déplore la sous-consommation des crédits outre-mer. Comment peut-il en être ainsi quand on connaît les besoins criants s'agissant des questions du logement, de l'emploi, de l'insertion sur ces territoires ? Seul le SMA est un véritable point de satisfaction. Il importe de prendre la juste mesure de cette sous-consommation. L'augmentation des crédits peut n'être qu'un trompe-l'oeil si ceux-ci sont, au final, sous-consommés. Il convient de régler avec volontarisme les problématiques majeures, parfois douloureuses, que rencontrent les territoires ultramarins. Je pense en particulier à la situation à Mayotte et en Guyane.
Je tire la sonnette d'alarme. Il est urgent d'alerter l'État, ainsi que l'État territorial, sur l'incapacité chronique à consommer les enveloppes budgétaires et donc à répondre aux différentes problématiques rencontrées par les territoires ultramarins. Les collectivités sont dans l'incapacité d'accéder aux dispositifs proposés. Comme en métropole, il faut laisser plus de souplesse aux territoires pour qu'ils puissent s'adapter.
Mme Lana Tetuanui. - Par amitié, je pourrais voter les crédits de cette mission, mais je serai pragmatique : l'emballage est beau, mais le contenu laisse un goût amer. On nous octroie des crédits, mais on nous met des bâtons dans les roues à chaque étape pour accéder aux dispositifs proposés, avec, pour résultat final, une sous-consommation des crédits. Nous, parlementaires, passons notre temps ici à dénoncer tous les retards et les besoins de rattrapages que nous rencontrons dans nos collectivités. Les outre-mer sont-ils un fardeau pour l'État ? Je finis par me poser la question. Or ils sont une véritable chance pour la France.
Monsieur le rapporteur, je reste très dubitative. Le président Larcher a reçu les élus ultramarins il y a deux jours. Mais j'ai halluciné en entendant les élus de divers territoires. Nous sommes les oubliés de la République. Pis, avez-vous vu les résultats des dernières élections législatives dans les collectivités ultramarines ? Cela fait peur !
M. Jérôme Durain. - Je remercie le rapporteur pour la qualité de ses travaux. Je relève l'extrême sensibilité de cette mission eu égard au triptyque inflation, crise énergétique et détresse due à la vie chère ainsi qu'au cri d'alarme lancé lors des dernières élections.
Je le remercie d'avoir souligné la question centrale de la sous-exécution chronique des crédits. Je veux relativiser l'augmentation des crédits pour ce qui concerne le budget 2023, une part de cette hausse reposant sur une estimation prévisionnelle et mécanique des compensations d'exonération de cotisations sociales.
On ne peut pas aborder cette mission de manière uniforme. L'action n° 1, Soutien aux entreprises, dans le programme 138 voit ses crédits baisser, tandis que les crédits de l'action n° 2, Aide à l'insertion et à la qualification professionnelle, ont un niveau plutôt satisfaisant. Il en est de même pour le programme 123 : si certaines évolutions dynamiques sont à souligner, elles ne peuvent à elles seules compenser les retards de ces territoires en termes d'équipements publics.
Parce qu'un certain nombre d'amendements adoptés par l'Assemblée nationale n'ont pas été conservés par le Gouvernement, après le recours à l'article 49-3 de la Constitution, et parce que cette mission manque d'une hauteur de vue, notre groupe s'abstiendra.
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur pour avis. - Vous êtes revenus sur la question épineuse de la sous-consommation des crédits. La situation s'est légèrement améliorée, mais on ne saurait s'en contenter. Cette situation est d'autant plus dommageable que les collectivités rencontrent de graves difficultés. Le président Larcher est revenu sur ce point avant-hier lorsqu'il a reçu les élus d'outre-mer. Des solutions ont été envisagées. Je vais déposer une proposition de loi visant à remédier à la problématique de l'ingénierie, mais cette question est délicate. Lorsque l'on parle d'ingénierie dans les territoires, les collectivités s'offusquent à raison, au motif que l'ingénierie vaut d'abord pour les services de l'État. Toutefois, si nous légiférons sur ce sujet, cela permettra peut-être de conduire à des changements notables et d'apporter de nouvelles solutions aux collectivités. Je ne manquerai pas de vous tenir au courant de nos réflexions.
M. François-Noël Buffet, président. - Les amendements II-336 et II-337 ont été présentés par le rapporteur pour avis au cours de son intervention liminaire.
Les amendements II-336 et II-337 sont adoptés.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Outre-mer », sous réserve de l'adoption de ses amendements.
La réunion est close à 11 h 00.