Mercredi 2 novembre 2022

- Présidence de M. Claude Raynal, président -

La réunion est ouverte à 9 heures.

Projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027 - Examen des amendements de séance

M. Claude Raynal, président. - Nous examinons les amendements de séance sur le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027.

EXAMEN D'UN AMENDEMENT DU RAPPORTEUR

Article 3

M. Jean-François Husson, rapporteur. - L'amendement n°  77 vise à corriger une erreur matérielle.

L'amendement n°  77 est adopté.

EXAMEN DES AMENDEMENTS AU TEXTE DE LA COMMISSION

La commission a donné les avis suivants sur les amendements dont elle est saisie, qui sont retracés dans le tableau ci-après :

TABLEAU DES AVIS

Motion

Auteur

Avis de la commission

M. SAVOLDELLI

60

Défavorable

Article 1er

Auteur

Avis de la commission

M. SAVOLDELLI

26

Défavorable

RAPPORT ANNEXÉ

Auteur

Avis de la commission

M. SAVOLDELLI

41

Défavorable

M. SAVOLDELLI

42

Demande de retrait

Article 2

Auteur

Avis de la commission

M. SAVOLDELLI

27

Défavorable

Le Gouvernement

61

Défavorable

Article 3

Auteur

Avis de la commission

M. SAVOLDELLI

28

Défavorable

Le Gouvernement

62

Défavorable

M. HUSSON

77

Favorable

M. SAVOLDELLI

43

Demande de retrait

Article 4

Auteur

Avis de la commission

M. SAVOLDELLI

29

Demande de retrait

Le Gouvernement

63

Défavorable

Article 6

Auteur

Avis de la commission

M. FÉRAUD

3

Défavorable

M. BREUILLER

15

Défavorable

M. SAVOLDELLI

30

Défavorable

M. FÉRAUD

4

Défavorable

Article 7

Auteur

Avis de la commission

M. SAVOLDELLI

44

Défavorable

Mme PAOLI-GAGIN

52

Demande de retrait

Article additionnel après Article 7

Auteur

Avis de la commission

M. DELAHAYE

51

Demande de retrait

Le Gouvernement

64

Demande de retrait

Article additionnel après Article 8

Auteur

Avis de la commission

Le Gouvernement

65

Demande de retrait

M. BREUILLER

16

Demande de retrait

M. BREUILLER

17

Sagesse

Article 9

Auteur

Avis de la commission

Mme PAOLI-GAGIN

53

Demande de retrait

Le Gouvernement

66

Défavorable

Article 10

Auteur

Avis de la commission

M. FÉRAUD

5

Défavorable

M. SAVOLDELLI

31

Défavorable

M. BREUILLER

18

Demande de retrait

Mme PAOLI-GAGIN

54

Sagesse

Article 11

Auteur

Avis de la commission

M. FÉRAUD

6

Demande de retrait

M. BREUILLER

19

Demande de retrait

M. SAVOLDELLI

32

Demande de retrait

Article 12

Auteur

Avis de la commission

M. FÉRAUD

7

Défavorable

M. BREUILLER

20

Défavorable

M. SAVOLDELLI

33

Défavorable

M. SAVOLDELLI

45

Défavorable

M. SAVOLDELLI

46

Défavorable

M. BREUILLER

21

Demande de retrait

Mme PAOLI-GAGIN

58

Défavorable

Article 13

Auteur

Avis de la commission

M. FÉRAUD

8

Défavorable

M. BREUILLER

22

Défavorable

M. SAVOLDELLI

34

Défavorable

M. SAVOLDELLI

47

Défavorable

Mme PAOLI-GAGIN

55

Défavorable

M. CANÉVET

2 rect. quater

Défavorable

Le Gouvernement

67

Défavorable

Article additionnel après Article 13

Auteur

Avis de la commission

M. SAVOLDELLI

50

Irrecevable

Article 14

Auteur

Avis de la commission

Le Gouvernement

68

Défavorable

Article 15

Auteur

Avis de la commission

Le Gouvernement

69

Défavorable

M. SAVOLDELLI

48

Demande de retrait

M. FÉRAUD

9

Demande de retrait

Mme PAOLI-GAGIN

56

Demande de retrait

M. LONGUET

59

Retiré

Article 16

Auteur

Avis de la commission

M. FÉRAUD

10

Défavorable

M. BREUILLER

23

Défavorable

M. SAVOLDELLI

35

Défavorable

M. FÉRAUD

11

Défavorable

M. CANÉVET

1 rect. quater

Demande de retrait

M. BAZIN

24

Demande de retrait

M. FÉRAUD

39

Demande de retrait

Mme Maryse CARRÈRE

75

Demande de retrait

M. BAZIN

25

Sagesse

M. FÉRAUD

40

Sagesse

Mme Maryse CARRÈRE

76

Sagesse

Article additionnel après Article 16

Auteur

Avis de la commission

Mme PAOLI-GAGIN

57

Demande de retrait

Article 17

Auteur

Avis de la commission

M. FÉRAUD

12

Défavorable

M. SAVOLDELLI

36

Défavorable

Le Gouvernement

70

Défavorable

Article 18

Auteur

Avis de la commission

M. SAVOLDELLI

37

Défavorable

Le Gouvernement

71

Sagesse

Article 19

Auteur

Avis de la commission

M. FÉRAUD

13

Défavorable

M. SAVOLDELLI

38

Défavorable

Le Gouvernement

72

Défavorable

Article 20

Auteur

Avis de la commission

M. FÉRAUD

14

Demande de retrait

Article 21

Auteur

Avis de la commission

M. SAVOLDELLI

49

Défavorable

Le Gouvernement

74

Défavorable

Article 23 (Supprimé)

Auteur

Avis de la commission

Le Gouvernement

73

Défavorable

Projet de loi de finances pour 2023 - Examen des principaux éléments de l'équilibre - Tome I du rapport général

M. Claude Raynal, président. - Nous examinons maintenant, comme chaque année, les grandes lignes du projet de loi de finances (PLF) pour 2023 et son contexte économique et financier.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Après avoir eu l'occasion d'examiner, la semaine dernière, le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027 en commission, et débuté depuis quinze jours l'examen des missions budgétaires, je vous présente ce matin mon analyse concernant les principaux éléments de l'équilibre sur le projet de loi de finances pour 2023.

Un certain nombre des observations que j'avais formulées restent les mêmes en particulier en ce qui concerne le scénario macroéconomique proposé pour l'année 2023. Il apparaît trop optimiste, voire d'ores et déjà dépassé.

Le Gouvernement retient donc la prévision d'une croissance du PIB de 2,7 % en 2022 et de 1 % en 2023. Ces prévisions ont certes été révisées depuis la présentation du programme de stabilité cet été. Le Gouvernement est un peu plus optimiste qu'il ne l'était s'agissant de l'année 2022 et il l'est un peu moins concernant l'année 2023.

Dans le détail, le Gouvernement estime que la croissance sera principalement portée par la consommation des ménages et, dans une moindre mesure, par les dépenses des administrations publiques.

Avant de dire plus précisément ce que je pense de ces prévisions, je veux rappeler qu'en 2022 et - pour ce qu'il nous est permis d'en savoir - en 2023, l'économie française a été et demeurera soumise à de nombreux chocs exogènes.

Le plus important d'entre eux est, bien sûr, la hausse des prix de l'énergie. L'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) nous a indiqué ici même lors d'une table ronde organisée à l'initiative de notre commission que, entre 2021 et 2023, la croissance économique aura été amputée d'environ 2,5 points de PIB sous l'effet de l'augmentation des prix de l'énergie. D'autres chocs doivent être considérés, à commencer, par exemple, par l'effet de la remontée des taux d'intérêt qui, en cumulé, pourrait représenter une perte de croissance de près de 1 point de PIB.

Je considère toujours que la prévision de croissance retenue par le Gouvernement pour l'année 2023 est trop optimiste. Ainsi, elle se situe aujourd'hui près de 0,7 point au-dessus de la moyenne du Consensus Forecasts et dans la fourchette haute des prévisions. Plus encore, cette prévision, qui, je le rappelle, n'a pas été révisée depuis la fin du mois de septembre, apparaît très fragilisée par les récents développements conjoncturels.

Au niveau national, l'Insee vient de faire paraître les comptes nationaux au troisième trimestre de l'année 2022, qui montrent un ralentissement de la croissance du PIB. En outre, dans sa note de conjoncture du début du mois d'octobre, l'Insee considérait que la croissance du PIB serait nulle au quatrième trimestre, ce qui implique que l'acquis de croissance en 2023 serait égal à zéro.

Au niveau international, les prévisions de croissance concernant nos principaux partenaires sont mauvaises. Ainsi, la zone euro, dans son ensemble, devrait connaître une croissance égale à zéro en 2023, tandis que l'Allemagne serait tout bonnement en récession de près de 1 %. Je rappelle que la stagnation pour la zone euro et la récession en Allemagne n'étaient absolument pas anticipées lors de la construction du PLF l'été dernier. Ainsi, le rapport économique, social, et financier (RESF) mentionne l'hypothèse d'une croissance du PIB en zone euro de 1,5 % et de 0,8 % en Allemagne. Il m'apparaît donc très clair que le PLF pour l'année 2023 est construit sur des hypothèses de croissance trop fragiles.

Je souhaite faire un point concernant l'évolution des prix.

Contrairement à la prévision de croissance, il me semble que la prévision d'évolution de l'inflation présente un caractère relativement central en comparaison du consensus économique. En 2023, elle devrait, selon le Gouvernement, atteindre environ 4,3 %, ce qui est significatif. L'inflation en France demeure très majoritairement importée et c'est ce qui justifie, je crois, de continuer à mettre en oeuvre et à améliorer les dispositifs de soutien.

Ainsi, le prix des ressources en comptabilité nationale - il mesure le prix de la valeur ajoutée produite sur le territoire et le prix des importations - a progressé d'un peu plus de 7 % au troisième trimestre 2022 par rapport à l'année dernière. Sur cette forte progression, environ 6,7 points s'expliquent par la seule hausse du prix des importations. Cette hausse s'explique, quant à elle, pour près de 60 %, par l'augmentation des prix de l'énergie et, dans une moindre ampleur, par celle des produits manufacturés. Pour beaucoup, cette hausse des prix à l'importation provient des tensions d'approvisionnement liées à la guerre dans le cas de l'énergie. Toutefois, une autre explication peut être recherchée dans la dépréciation très rapide de l'euro face au dollar et d'autres monnaies qui lui sont liées. En effet, l'euro a perdu en un an près de 20 % de sa valeur face au dollar et près de 15 % face à l'ensemble des monnaies mobilisées pour payer les importations françaises. Pour mémoire, plus du quart des importations françaises et la quasi-totalité des importations d'énergie sont réglées en dollar.

Cette forte hausse du prix des importations et particulièrement de l'énergie entraîne une « dégradation des termes de l'échange », c'est-à-dire qu'à quantité égale nos importations nous coûtent plus cher que ce que nos exportations nous rapportent. D'après l'Insee, en 2022, la hausse des prix de l'énergie devrait ainsi représenter un prélèvement net sur le revenu national d'environ 1,5 point.

Le caractère encore très largement importé de notre inflation justifie, je le disais, que nous continuions à mettre en oeuvre des dispositifs de soutien en faveur des ménages, des entreprises et des collectivités locales. En effet, ces mécanismes ont jusqu'ici montré des résultats probants même si c'est - il faut le dire clairement - au prix fort pour les finances publiques.

Ainsi, les dispositifs mis en oeuvre depuis cette année auraient, d'après le Gouvernement, permis de réduire l'inflation totale en France de 2 à 3 points.

De fait, les prévisionnistes considèrent que l'inflation en France sera en 2022 et 2023 bien plus faible que dans la plupart des économies développées. Cela a un coût : près de 50 milliards d'euros en 2022 et probablement plus de 56 milliards d'euros en 2023. Pour nécessaires qu'elles soient, ces dépenses doivent nous rappeler à observer une grande vigilance puisque, comme vous le savez, les conditions de financement de la France ne sont plus exactement les mêmes que par le passé.

En effet, l'inflation a également contribué à une augmentation rapide des taux nominaux sur le marché des obligations souveraines.

Depuis octobre 2021, c'est-à-dire il y a environ un an, le taux des obligations assimilables du Trésor (OAT) françaises à dix ans a augmenté de 290 points de base. Ce mouvement a été observé dans d'autres pays, à commencer par nos partenaires de la zone euro et au Royaume-Uni.

Pour autant, la perception que les investisseurs ont du risque des obligations françaises s'est détériorée. Ainsi, depuis janvier 2021, l'écart entre le taux des obligations à dix ans françaises et allemandes s'est accentué de 0,4 point de pourcentage. La situation est encore plus préoccupante en Italie, où cet écart s'est accentué de 1,5 point, laissant craindre un risque de fragmentation du marché obligataire en zone euro, qui a contraint la Banque centrale européenne (BCE) à réagir l'été dernier. D'après les prévisions dont nous disposons, et sans doute grâce à l'action de la BCE, les écarts de taux devraient se stabiliser. D'après le Consensus Forecasts, les écarts français et italiens devraient diminuer d'environ 0,1 point d'ici à un an.

J'en viens maintenant à la présentation de la situation des finances publiques.

Je veux alerter sur le fait que les mesures de crise ne peuvent pas expliquer toute la dégradation de nos comptes publics et qu'il est urgent de mettre en oeuvre une stratégie de maîtrise des dépenses ordinaires. En 2023, le déficit du solde public devrait atteindre 5 % du PIB et l'endettement environ 111,2 %.

S'agissant des recettes publiques, j'observe qu'elles progresseront d'environ 137 milliards d'euros entre 2021 et 2023. La majorité de cette hausse s'observera en 2022 avec une progression de 80 milliards d'euros des prélèvements obligatoires, contre « seulement » 43 milliards d'euros en 2023. Cette différence s'explique par un ralentissement des perspectives de croissance, mais aussi par une hypothèse d'élasticité des recettes plus forte en 2022 : 1,5 contre 0,6 en 2023.

Plusieurs mesures nouvelles viendront réduire le rendement fiscal, à commencer par la suppression de la contribution à l'audiovisuel public, la poursuite de la suppression de la taxe d'habitation et, sauf s'il en est décidé autrement, la suppression de la part communale et intercommunale de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE).

Les recettes liées à la crise de l'énergie apporteront une contribution positive à l'évolution des recettes. Cela peut sembler paradoxal à première vue, mais cette situation s'explique par le fait que l'État va bénéficier de versements, pour environ 20 milliards d'euros sur deux ans, de la part des producteurs d'énergie. En temps normal, en effet, l'État verse des subventions à ces producteurs, dont le montant est calculé en fonction de la différence entre un prix de référence et le prix de marché de l'électricité. Actuellement, le prix de marché est au-dessus de ce prix de référence. En conséquence, l'État ne verse plus de subventions et il encaisse des recettes. Ces dernières permettront d'ailleurs de financer les mesures qui, elles, présentent bien un coût pour l'État que ce soit en recettes - comme la baisse de la taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité (TICFE) - ou en dépenses - comme la remise à la pompe.

Les dépenses vont également progresser de 111 milliards d'euros environ entre 2021 et 2023, avec une plus forte contribution de l'année 2022.

En réalité, la hausse des dépenses est beaucoup plus importante, car l'État - je viens d'en donner l'exemple avec le cas des subventions aux producteurs d'énergie - bénéficie de moindres dépenses tout à fait conjoncturelles.

Les dépenses primaires retraitées du coût des mesures de crise progresseront ainsi de 137 milliards d'euros sur les deux années, dont 65 milliards d'euros en 2023. En parallèle, les dépenses de crise diminueront d'environ 27 milliards d'euros sous l'effet, principalement, de l'extinction des mesures liées au covid et au plan de relance. En outre, les administrations bénéficieront d'une moindre dépense de l'ordre de 26 milliards d'euros liée au non-versement des subventions au profit des producteurs d'électricité. Les mesures de revalorisation des pensions et du traitement des fonctionnaires contribueront à augmenter la dépense d'environ 16 milliards d'euros. Enfin, la charge de la dette progresserait d'environ 10 milliards d'euros sous l'effet, pour l'instant, du renchérissement des intérêts versés au titre des obligations indexées sur l'inflation.

Il me semble utile de préciser que la hausse des dépenses primaires hors coût des mesures de crise en 2022 et en 2023 est particulièrement sensible en comparaison historique.

Ainsi, en 2022, les dépenses primaires, hors mesures de crise, augmenteront d'environ 2,6 points de PIB, ce qui n'a pas été constaté depuis 1993 et qui plaide pour engager rapidement une trajectoire de consolidation des comptes publics.

Pour votre information, le solde public restera particulièrement dégradé en raison de la situation financière de l'État.

Les comptes des administrations publiques locales seront à l'équilibre en 2023, et j'observe même que les collectivités locales présenteront un excédent. En effet, le déficit des administrations publiques locales s'explique par la prise en compte de certains organismes comme la Société du Grand Paris (SGP) - largement pilotée par l'État - et qui eux sont en déficit.

Les administrations sociales parviendraient à l'équilibre grâce à l'amélioration du solde du régime général. Pour autant, malgré l'extinction des dépenses liées au covid, la progression des dépenses reste forte en raison, notamment, de la revalorisation des prestations sociales et des retraites.

Ce tableau des années 2022 et 2023 doit être replacé dans la perspective plus longue que trace le projet de loi de programmation des finances publiques. La trajectoire que nous y proposait le Gouvernement n'était pas raisonnable. En effet, elle consistait à laisser filer la dépense de l'État et à n'imposer d'efforts réels qu'aux administrations locales. La semaine dernière, notre commission des finances a donc adopté une trajectoire d'évolution des dépenses plus ambitieuse, qui prévoit que les administrations centrales réaliseront une baisse de dépense primaire hors mesures de crise de l'ordre de 0,5 % en volume chaque année. Cette trajectoire nous permettra de revenir en dessous de 3 % de déficit public dès 2025 ; il me semble que c'est la direction qu'il faut suivre.

Comme je vous l'avais indiqué, cette trajectoire implique la réalisation d'efforts dès le PLF pour 2023. En l'occurrence, une économie de l'ordre de 3 à 4 milliards d'euros doit être recherchée. Je souhaite qu'elle préserve les dépenses sociales, les dépenses de sécurité ainsi que celles qui sont relatives à l'éducation. J'aurai l'occasion, en séance, de vous présenter les mesures d'économies par mission que je propose d'appliquer.

La seconde partie de cette présentation sera centrée sur le budget de l'État, qui fait l'objet de l'autorisation en loi de finances. En un mot, le déficit comme les dépenses restent sur les sommets atteints pendant la crise sanitaire, et le Gouvernement ne semble pas trouver, voire même chercher, les moyens d'en redescendre.

Voyons d'abord où nous en sommes pour l'année en cours. La situation n'a guère évolué par rapport au collectif budgétaire de l'été : le déficit serait un peu moins élevé que prévu grâce à de bonnes rentrées fiscales et en raison d'un prélèvement sur recettes en faveur de l'Union européenne moins important que prévu. Le déficit budgétaire de l'État dépasserait donc les 170 milliards d'euros, comme en 2020 et 2021.

Ces éléments sont toutefois provisoires et ne prennent pas en compte les mouvements de crédits réalisés par le projet de loi de finances rectificative de fin d'année, qui pourrait modifier de manière significative les conditions de l'équilibre budgétaire en 2022.

En 2023, le projet de loi de finances prévoit une nette diminution du déficit budgétaire par rapport à l'exécution 2022 ; il atteindrait 158,5 milliards d'euros. Toutefois c'était déjà le cas les trois années précédentes et des collectifs budgétaires sont venus, à chaque fois, dégrader les perspectives en cours d'année.

La demi-suppression de la CVAE produit des effets contrastés : d'un côté, une nouvelle part de TVA est affectée aux collectivités territoriales ; de l'autre, la CVAE est désormais affectée à l'État en attendant sa suppression complète en 2024.

Le versement européen annuel au titre du plan de relance devrait être supérieur de 5,3 milliards d'euros à son montant de 2022. Enfin, les dépenses liées à la crise sanitaire devraient bien sûr diminuer considérablement. Les autres dépenses du budget général, elles, devraient augmenter de 14,2 milliards d'euros.

Je reviendrai plus en détail dans un instant sur les recettes comme sur les dépenses, mais un point particulier introduit une certaine confusion entre les unes et les autres : c'est le bouclier tarifaire. En effet, comme je l'ai indiqué précédemment, les producteurs d'énergies renouvelables, qui bénéficient des prix très élevés de l'électricité qu'ils vendent sur les marchés, reversent à l'État la différence entre ces prix de marché et les prix figurant sur leurs contrats. Mais au lieu d'isoler cette recette dans le budget, le programme 345 « Service public de l'énergie » opère une sorte de compensation avec les sommes que l'État verse par ailleurs aux opérateurs afin de compenser le coût du gel des tarifs de l'électricité et du gaz, c'est-à-dire le bouclier tarifaire. Suivant les informations que j'ai obtenues, la procédure de rétablissement de crédits a été suivie, mais les documents budgétaires sont muets sur ces procédures et sur leur justification au point de vue du principe d'universalité budgétaire.

Pour la quatrième année consécutive, le déficit budgétaire devrait donc dépasser le niveau, auparavant jamais atteint, de 150 milliards d'euros. Ce budget est celui de tous les records : jamais un projet de loi de finances n'avait été présenté avec un tel niveau de déficit dès le début de la discussion budgétaire ; jamais un budget n'a prévu un tel niveau d'emprunts nouveaux - 270 milliards d'euros en 2023 - ; jamais non plus la France n'a dû rembourser autant d'emprunts arrivés à l'échéance - 156,5 milliards d'euros. La France décaissera plus, en 2023, pour rembourser des emprunts que pour financer, hors pensions, l'éducation nationale, la recherche et les armées réunies.

L'accumulation des déficits, à laquelle le Gouvernement ne prévoit pas réellement de mettre fin dans le projet de loi de programmation des finances publiques, pousse les curseurs de la dette toujours plus haut. Arrivé à de telles altitudes, l'emprunt toujours renouvelé place le pays sous respirateur artificiel, et la facture commence à être présentée : c'est la charge de la dette qui, dès cette année, dépasse les 50 milliards d'euros en comptabilité budgétaire.

Or la dette climatique s'ajoute à la dette budgétaire. Les dépenses défavorables au climat doublent de montant en 2023, à un niveau de 19,6 milliards d'euros ; encore ce montant est-il probablement sous-estimé, car, au lieu de prendre en compte la totalité du bouclier tarifaire de 45 milliards d'euros, le rapport « budget vert » ne considère que le coût net, estimé à 8,9 milliards d'euros de crédits budgétaires.

Face à ces dépenses, la fiscalité énergétique est toujours aussi inégalitaire : elle pèse plus sur les ménages à revenus modestes, ainsi que sur ceux qui vivent dans des communes rurales ou dans de petits pôles urbains.

Il ne faut guère espérer des recettes qu'elles aident l'État à infléchir la trajectoire de la dette en 2023, car elles devraient être de 345,1 milliards d'euros, soit en diminution de 5,8 milliards d'euros en valeur ou de 2,7 % en volume.

Les deux principaux phénomènes affectant l'évolution des recettes fiscales sont la suppression progressive de la CVAE et la poursuite du bouclier tarifaire.

Le coût pour l'État de la première phase de la suppression de la CVAE est estimé à 3,6 milliards d'euros avec, d'une part, l'affectation d'une fraction de TVA aux collectivités et, d'autre part, l'affectation de la CVAE au budget de l'État. La poursuite du bouclier tarifaire annule les recettes de la TICFE, alors que ces recettes étaient en 2021 de 7,4 milliards d'euros.

Le produit de la TVA est ainsi de plus en plus émietté entre des affectataires divers, dont l'audiovisuel public depuis l'été dernier. L'État ne perçoit plus que 45,3 % de la TVA nette totale, ce qui aura nécessairement des implications sur la politique fiscale : toute décision relative à la TVA et à l'application de ses taux réduits devra prendre en compte les conséquences éventuelles sur le financement des autres administrations affectataires.

Le produit de l'impôt sur les sociétés devrait diminuer de 3,7 milliards d'euros en 2023, mais cette évolution doit s'apprécier par rapport au niveau exceptionnel attendu en 2022. Celui de l'impôt sur le revenu restera stable, car l'indexation du barème devra annuler à peu près l'évolution spontanée.

Enfin la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), comme la TVA, subit une affectation supplémentaire de son produit à l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf). Ses recettes diminueront pour l'État de 1,2 milliard d'euros.

Parmi les recettes non fiscales, l'élément le plus notable ces dernières années est le cofinancement, par l'Union européenne, du plan de relance au titre de la facilité pour la reprise et la résilience. Un versement de 12,7 milliards d'euros est attendu en 2023, après 7,4 milliards d'euros en 2022 et 5,1 milliards d'euros en 2021. Toutefois, alors qu'il était prévu au départ un financement total, sur l'ensemble de la période, de 39,4 milliards d'euros, ce montant a été révisé par la Commission européenne à 37,5 milliards d'euros : en effet, il était en partie indexé sur la reprise de l'activité, qui au cours de l'année 2021 a été plus rapide que prévu.

Enfin, le prélèvement sur recettes à destination de l'Union européenne serait de 24,6 milliards d'euros, en baisse de 0,4 milliard d'euros, mais cette prévision est toujours un peu incertaine, car elle dépend des budgets rectificatifs adoptés au niveau européen. Les prélèvements sur recettes à destination des collectivités territoriales, eux, devraient être à peu près stables à 43,7 milliards d'euros.

Face à la réduction des recettes, le réflexe budgétaire devrait être d'agir sur les dépenses ; c'est bien pour cela que la loi de finances comprend deux parties, et que le vote des recettes précède l'examen des crédits. On en est loin : le Gouvernement choisit les dépenses qui doivent augmenter, mais pas les économies qui devraient les compenser. Il prépare donc la poursuite de la dégradation des finances publiques.

La mission « Engagements financiers de l'État » redevient la deuxième mission du budget général devant la mission « Défense ». C'est la conséquence de la reprise de la charge de la dette, mais aussi, il faut le dire, de l'ouverture de 6,6 milliards d'euros de crédits « virtuels » sur le programme d'amortissement de la dette covid. Je rappelle que ce programme est un pur artifice budgétaire, car la dette qu'il annule est celle qu'il a lui-même créée par cette ouverture de crédits.

Les hausses de crédits entre 2022 et 2023 reflètent l'application des lois de programmation en cours et les priorités données à certaines politiques, notamment l'enseignement scolaire, la défense et la justice.

L'analyse est différente selon qu'on prend comme référence la loi de finances initiale pour 2022 ou les crédits totaux ouverts en cours d'année. Par exemple, la mission « Écologie, développement et mobilité durables » a été fortement renforcée par le décret d'avance du 7 avril et par la loi de finances rectificative du 16 août : par rapport à ce sommet, les crédits diminuent de 3,2 milliards d'euros en 2023, alors qu'ils augmentent de 6,1 milliards d'euros par rapport à la loi de finances initiale pour 2022.

Dans une vision pluriannuelle, qui est d'ailleurs renforcée dans les documents budgétaires en application de la révision de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf) du 28 décembre dernier, les perspectives ne sont guère rassurantes.

Le niveau des restes à payer, c'est-à-dire des dépenses qu'il faudra bien assurer pour couvrir les engagements déjà pris, a augmenté de plus de 50 % depuis 2017. Ils portent principalement sur un petit nombre de missions, qui engagent par nature des dépenses portant sur plusieurs années.

Enfin la trajectoire des dépenses, telle qu'elle résulte du projet de loi de programmation des finances publiques, prévoit ici encore le maintien sur un palier élevé en volume : il semble impossible, malgré la sortie de la crise sanitaire, de revenir au niveau de dépenses antérieur.

Il ne faut pas attendre une économie sur les dépenses de personnel. Si le projet de loi de programmation des finances publiques prévoit une stabilité des schémas d'emploi, il prend prudemment comme référence l'année 2023, c'est-à-dire après l'augmentation de 10 000 emplois prévue par le présent projet de loi de finances. Cette augmentation porte principalement sur les ministères régaliens, ainsi que sur l'éducation nationale.

L'augmentation des emplois, mais aussi et surtout celle des rémunérations, avec l'effet en année pleine de la hausse du point d'indice, et la revalorisation des rémunérations des enseignants, conduisent, pour la deuxième année consécutive, à une forte hausse de la masse salariale de 9,1 % en deux ans, ce qui constitue un record supplémentaire.

On le constate, sur les dépenses de personnel comme sur l'ensemble des crédits des politiques publiques, le Gouvernement ne fait pas de choix : il favorise certaines politiques, qui en ont certainement besoin, mais n'affiche aucune volonté de décider celles qui devraient au contraire voir leurs moyens réduits. Dès le début du quinquennat, l'heure des choix est renvoyée au prochain quinquennat.

M. Vincent Delahaye. - Je remercie notre rapporteur général pour cette analyse du déséquilibre - et non de l'équilibre ! - de nos finances publiques, qu'il a chiffré en valeur absolue, et non seulement en points de pourcentage du PIB : c'est plus clair ! Si l'on regarde bien, le déficit est bien plus important encore. On continue à emprunter non pas pour investir, mais pour financer des dépenses courantes.

Le solde des administrations locales est à l'équilibre, mais les collectivités territoriales présentent un excédent. Cela signifie-t-il que les autres administrations locales sont en déficit ?

M. Vincent Capo-Canellas. - Je souscris à l'analyse de notre rapporteur général. Les dépenses courantes sont trop élevées. Le Gouvernement annonce une baisse des dépenses, mais c'est trompeur, car il prend pour base de comparaison le niveau du budget atteint pour faire face au covid : en définitive, le déficit reste plus élevé qu'avant la crise !

Comme il semble difficile de baisser les dépenses courantes, une solution pourrait être, selon les économistes et le Gouvernement, de « travailler plus » ; c'est le sens de la réforme des retraites, qui vise à augmenter le taux d'emploi des seniors. Pensez-vous que cette réforme dégagerait suffisamment de gains budgétaires ? Mais il convient aussi de trouver le bon réglage budgétaire dans la conjoncture économique actuelle pour éviter la récession. Quelle est la part des dépenses publiques « positives » qui ont permis de réduire l'inflation et eu sur l'économie un effet bénéfique ? Quelle est la rentabilité budgétaire du bouclier tarifaire et des mesures similaires ?

Nul ne sait où se situe le point de bascule en ce qui concerne le déficit. On ne le connaît en général que lorsqu'il est trop tard, comme le montrent le revirement britannique ou la position du nouveau gouvernement italien en faveur de l'orthodoxie budgétaire. Ces expériences doivent nous inciter à la prudence. Les Allemands considèrent qu'il y a un découplage entre leur pays et la France, ils considèrent que la France fait cavalier seul en Europe sur le plan budgétaire et qu'elle dépense trop.

M. Marc Laménie. - Quelles sont les perspectives d'évolution du déficit budgétaire à court terme ? La mission « Engagements financiers de l'État » est la seconde mission du budget général : quelles sont là encore les perspectives d'évolution ? Quel sera l'impact de la politique budgétaire pour les collectivités territoriales ?

M. Vincent Segouin. - S'agissant du budget, les années se suivent et se ressemblent, et la situation s'aggrave. La suppression de la CVAE s'inscrit dans une tendance de diminution des prélèvements directs des collectivités. Pourtant celles-ci sont à l'équilibre. À l'inverse, les dépenses de l'État progressent, mais celui-ci est un mauvais gestionnaire. On invoque souvent la décentralisation, mais en matière fiscale, celle-ci n'existe pas !

Le projet de loi de finances repose sur une prévision de croissance de 1 %. Mais les banques centrales remontent leurs taux d'intérêt : quelles seront les conséquences sur la croissance et nos finances publiques ?

M. Pascal Savoldelli. - Connaît-on l'identité de ceux auprès de qui la France emprunte ? Les taux d'intérêt ont longtemps été négatifs. Cela ne constitue-t-il pas un petit matelas financier pour l'État ?

Ensuite, êtes-vous favorable à une hausse des recettes de l'État ? Quelles sont vos préconisations ?

M. Roger Karoutchi. - Je partage l'analyse de notre rapporteur général. Le déséquilibre entre l'État et les collectivités territoriales s'accroît, mais le Gouvernement s'en moque. Cela finira mal, car quand les collectivités territoriales ne pourront plus investir, on en verra les conséquences sur l'économie réelle.

Le projet de loi de finances repose sur une prévision de croissance de 1 %. Je ne comprends pas pourquoi l'exécutif ne parvient pas à mieux tenir compte des réalités. Il avait déjà, en dépit de nos mises en garde, sous-estimé l'ampleur et le coût de la crise du covid. Au printemps, j'ai alerté le Gouvernement sur le coût de la guerre en Ukraine. Une crise avec la Corée du Nord est possible ; un conflit entre l'Arabie saoudite et l'Iran semble imminent, qui aura des conséquences sur le prix du pétrole, notamment. Mais on a l'impression que le Gouvernement vit dans une bulle, ignorant la situation internationale : il veut être optimiste comme le dit M. Le Maire, pour ne pas inquiéter les Français, mais, en fait, il ne tient pas compte des réalités.

Mme Vanina Paoli-Gagin. - Les prévisions de croissance de la zone euro tiennent-elles compte du plan de relance de 200 milliards d'euros annoncé par l'Allemagne et des délocalisations industrielles, notamment dans l'automobile, vers l'Asie ?

Mme Christine Lavarde. - Quelle est l'évolution du ratio entre les mesures fiscales favorables et les mesures fiscales défavorables au climat ? D'après la trajectoire pluriannuelle des finances publiques, ce ratio devrait augmenter, mais la baisse de la TICFE ne va pas dans le bon sens à cet égard.

M. Christian Bilhac. - Autant je suis critique sur le projet de loi de programmation des finances publiques, autant je serai plus indulgent sur le projet de loi de finances. On ne peut pas tout changer du jour au lendemain. La politique du rabot n'est pas une bonne solution, même si je suis conscient de la nécessité de faire baisser les dépenses de l'État. Pour faire des choix, il faut s'inscrire dans la durée. Les collectivités territoriales seront les premières victimes. Or elles sont déjà étranglées financièrement, et ce n'est pas en éteignant les lumières la nuit qu'elles pourront compenser le surcoût de la facture énergétique ni la hausse du point d'indice des fonctionnaires. Mais dans quelles missions faut-il faire des économies ? Les besoins sont énormes. Seule une nouvelle phase de décentralisation permettrait de faire des économies, et non une politique de rabot.

Mme Sylvie Vermeillet. - Quels seront les effets de la hausse de l'inflation sur l'épargne des ménages ? Comment s'explique la forte hausse de la charge de la dette ? Pourriez-vous aussi nous donner plus de précisions sur la création de 208 équivalents temps plein (ETP) dans les services de la Première ministre ?

M. Stéphane Sautarel. - Les crédits de la mission « Engagements financiers de l'État » s'élèvent à 60 milliards d'euros : cela suffira-t-il à faire face au renchérissement de notre dette en raison de la hausse des taux d'intérêt ?

L'impact de la fiscalité énergétique est inégal selon les territoires. Les aides de l'État, comme la remise à la pompe ou le bouclier tarifaire, ne dureront pas éternellement. Comment le Gouvernement entend-il aider les ménages ?

M. Jean-Claude Requier. - Le constat de notre rapporteur général est froid et réaliste. L'évolution de la TVA m'inquiète : celle-ci était un impôt d'État, mais plus de la moitié de son produit est désormais préaffecté. On se souvient que la baisse de la TVA dans la restauration a profité aux restaurateurs, et peu aux clients !

L'État fonctionne grâce à la dette. Mais comment maîtriser la dépense publique ? Quelles dépenses réduire ? En France, dès qu'un problème surgit, on demande à l'État d'agir. La décentralisation constitue une piste ; je rappelle toutefois que lorsque les collectivités ont reçu la charge des lycées, elles ont dû les rénover et mettre à contribution les contribuables locaux. Aujourd'hui les intercommunalités se développent, embauchent et les impôts augmentent. En conclusion, pour prolonger les propos de M. Karoutchi, je rappellerai qu'en 1939, alors que la guerre menaçait, la chanson à la mode était Tout va très bien, Madame la marquise...

M. Arnaud Bazin. - Le déficit de notre balance commerciale atteint des sommets, ou des abysses... Pourtant la France a un différentiel d'inflation plutôt favorable par rapport à ses voisins. Quel est l'effet de ce déficit sur nos finances publiques ?

M. Michel Canévet. - J'étais heureux en apprenant que le Gouvernement prévoyait plus de 4 milliards d'euros de recettes supplémentaires dans le projet de loi de finances rectificative, mais la présentation de notre rapporteur général sur le projet de loi de finances me sape le moral ! On peut se demander si nous sommes capables de maîtriser les dépenses ! Serons-nous en mesure de sortir du bouclier tarifaire sur l'énergie ? Nos entreprises sont fragilisées par la hausse considérable des prix de l'énergie.

Les dépenses de personnel augmentent. Quelles sont vos pistes d'économies ? Enfin, les prévisions de recettes non fiscales ne sont-elles pas sous-estimées ? Les entreprises se portent bien ; les recettes liées aux dividendes devraient être meilleures.

M. Daniel Breuiller. - Le constat de notre rapporteur général est inquiétant. Je ne comprends pas comment le Gouvernement peut choisir de poursuivre les baisses d'impôt : suppressions de la CVAE, de la redevance audiovisuelle, de la taxe d'habitation, etc. Les boucliers tarifaires bénéficient aussi à celles et ceux qui appartiennent aux déciles les plus élevés. Les baisses d'impôt ne sont pas ciblées. Notre rapporteur général fait la description d'une économie malade, mais les entreprises ont versé 60 milliards d'euros de dividendes... La répartition des richesses est en fait de plus en plus inégalitaire.

La dette climatique est inquiétante. Il importe désormais d'en chiffrer le coût, car les conséquences du réchauffement s'amplifient année après année. On subventionne massivement le pétrole à cause de la crise, mais cela ne fait qu'accroître notre dette climatique.

L'an dernier, la baisse du taux de l'impôt sur les sociétés s'est accompagnée d'une forte hausse de son produit. Si les recettes baissent, faut-il alors augmenter les taux d'imposition ? Certaines entreprises ont des marges élevées.

Je remercie notre rapporteur général pour son analyse du poids de la fiscalité énergétique en proportion du revenu des ménages en fonction des territoires. J'aimerais avoir la même analyse en fonction des déciles de revenu. On pourrait mieux cibler nos décisions budgétaires en fonction des situations sociales et géographiques des ménages.

M. Rémi Féraud. - Les éléments fournis par notre rapporteur général n'incitent pas à l'optimisme. Comme chaque année... Mais le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027 repose sur des hypothèses optimistes et semble ignorer les risques de crise à cause de la situation internationale.

Nous ne sommes pas d'accord sur les dépenses. Alors que la dette climatique s'accroît, les crédits de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » diminuent de 3,2 milliards d'euros en 2023. Notre rapporteur soutient plutôt la politique de l'offre du Gouvernement. Toutefois, nous partageons une même préoccupation quant à la dette et au déficit, notamment à un moment où les taux d'intérêt se tendent. N'est-il pas urgent, dès lors, d'arrêter la baisse des impôts ? La suppression de la CVAE, par exemple, entraîne une hausse des dépenses de l'État, car il faut la compenser.

M. Bernard Delcros. - M. Savoldelli a posé une question sur les recettes. Symétriquement, il convient de réduire les dépenses. Quelles dépenses proposez-vous de baisser ? Pour quel montant ?

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Monsieur Delahaye, les collectivités locales sont en excédent, en effet, mais les autres administrations locales, comme la Société du Grand Paris, sont en déficit.

Monsieur Laménie, le projet de loi de programmation fixe des objectifs de croissance, modérée certes, des crédits de presque toutes les missions, mais il ne prévoit que très peu de baisses. C'est pourtant le rôle de l'exécutif de définir des orientations et de faire des choix. Bruno Le Maire a dit qu'il attendait du Parlement des propositions de réduction des dépenses. J'en ferai. Il faut non seulement examiner les crédits de chaque mission budgétaire, mais il faut aussi s'interroger sur la pertinence de poursuivre des politiques engagées dans le passé, qui ne sont peut-être plus justifiées en raison de l'évolution du contexte.

Les crises s'accumulent : covid, guerre en Ukraine, crise énergétique, désorganisation des circuits d'approvisionnement, tension sur les matières premières, etc. Cette situation pèse sur tous les pays. Nous devons donc coordonner nos actions. Le choix de l'Allemagne de lancer un plan de soutien massif constitue à cet égard un coin dans la construction européenne. On accuse souvent l'Europe de tous les maux, mais celle-ci nous protège aussi, pourvu que l'on parvienne à s'accorder sur des choix convergents.

Si la poursuite de la trajectoire de la programmation militaire me semble justifiée, il faudrait sans doute revoir d'autres programmations ou certaines dépenses fiscales. Il faut analyser les choses avec lucidité. Songez à l'éducation nationale par exemple : le nombre des élèves baisse, le nombre d'enseignants augmente, ainsi que leur rémunération ; pourtant nos résultats dans les tests internationaux mesurant les acquis de connaissances et le niveau scolaire général ne nous placent pas en tête... Il est donc légitime de s'interroger sur ce qui dysfonctionne. Il en va de même dans la santé : les plans se succèdent, mais leurs effets tardent à se faire sentir et certains personnels ont été oubliés. La situation des urgences pédiatriques est préoccupante. Il importe d'identifier nos faiblesses pour essayer de les corriger, mais cela ne signifie pas qu'il faille conserver les acquis dans tous les secteurs ; sinon rien ne bougera et les déficits continueront à se creuser, alors même que les recettes fiscales baissent et que le coût de la dette augmente. La parité entre l'euro et le dollar ne nous est pas favorable non plus. Un mouvement de délocalisation est déjà perceptible, pas seulement vers l'Asie d'ailleurs, mais aussi vers les États-Unis.

Monsieur Capo-Canellas, nous devons réduire nos dépenses, pour sortir de l'effet ciseaux entre un PIB qui augmente peu et des dépenses qui progressent. La remise à la pompe et le bouclier tarifaire ont contribué à contenir l'inflation en France d'environ deux à trois points d'après le Gouvernement.

Monsieur Karoutchi, les règles européennes imposent que les prévisions macroéconomiques soient réalisées par un organisme indépendant : en France, c'est la direction du Trésor...

M. Roger Karoutchi. - On est rassuré !

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Madame Lavarde, le ratio entre les dépenses favorables au climat et les dépenses défavorables se dégrade fortement en 2023, notamment en raison de la mise en oeuvre du bouclier tarifaire : nous l'avions d'ailleurs voté, il est vrai, car il fallait répondre à l'urgence, mais il a pour conséquence de soutenir la consommation des énergies fossiles, ce qui n'est pas très vertueux en effet.

Monsieur Breuiller, il est important, lorsque l'on parle d'écologie ou de transition énergétique, d'en évaluer les enjeux territoriaux et sociaux, de s'interroger, comme le Sénat le fait, sur le coût relatif des énergies fossiles et renouvelables : il convient de clarifier ces points si l'on veut identifier les leviers d'action. Il ne faut pas demander aux collectivités de faire l'effort à la place de l'État. Celui-ci a délégué aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) le soin d'élaborer les plans de protection de l'atmosphère (PPA) ou les plans climat-air-énergie territoriaux (PCAET), mais sans leur octroyer de financements... Le Gouvernement ne doit pas se contenter de distribuer les bons et les mauvais points lorsque la mise en oeuvre ne va pas assez vite. L'instauration du mécanisme des zones à faibles émissions (ZFE) a été très rapide, pour ne pas dire brutale. L'État doit accompagner les collectivités.

En ce qui concerne les données sociales, je ne connais pas la répartition du poids relatif de la fiscalité en fonction des déciles de revenu. Il serait utile de disposer de ces éléments, en effet. En tout cas, selon une étude de l'Insee, une hausse de 3 points de la TVA entraîne une baisse de 2 % du niveau de vie pour les personnes du premier décile et une baisse de 0,6 % pour les personnes du décile 9 ce qui confirme ce que nous savions déjà : la TVA pèse davantage sur les personnes aux revenus les moins élevés.

Monsieur Bazin, le projet de loi de finances tient compte du déficit du commerce extérieur à travers ses effets sur la croissance. Nous avons un problème de compétitivité, car nous sommes les champions d'Europe des prélèvements obligatoires. Ces derniers constituent une contrainte pour notre économie. Une part importante - environ 40 % - de notre déficit commercial est due au coût de l'énergie. De plus, comme la parité de l'euro vis-à-vis du dollar se dégrade et que les achats de pétrole sont effectués en dollars, le déséquilibre de notre balance extérieure s'accroît encore davantage.

Monsieur Canévet, les recettes non fiscales sont difficiles à prévoir. En ce qui concerne les dividendes, je vous renvoie au rapport de notre collègue Victorin Lurel sur le compte d'affectation spéciale relatif aux participations financières de l'État.

La hausse des taux d'intérêt aux États-Unis aurait un effet négatif sur la croissance si la BCE augmentait également ses taux. Si elle ne le faisait pas, toutefois, le risque est que le dollar reste élevé, renchérissant nos importations énergétiques. Le point d'équilibre est difficile à trouver.

Madame Paoli-Gagin, les prévisions de croissance pour l'Allemagne sont celles du Consensus Forecasts. Elles agrègent les prévisions d'une quinzaine d'instituts économiques qui prennent en compte le plan de relance annoncé.

Monsieur Savoldelli, selon l'Agence France Trésor, 49 % de la dette française négociable est détenue par des non-résidents.

Monsieur Delcros, j'ai évoqué des pistes pour réduire les dépenses. La réforme des retraites a été mentionnée. Il est évident que plus le nombre d'actifs sera élevé, plus la production de richesses sera importante et plus l'équilibre des comptes sociaux sera aisé à trouver. Mécaniquement les déficits publics baisseront. Mais la réforme des retraites doit surtout avoir pour premier objectif de garantir un bon niveau des pensions, cohérent avec le niveau des revenus d'activité.

Nous devrons apporter collectivement des réponses pour réduire le déficit lorsque nous examinerons les missions budgétaires. Je ne suis pas un adepte de la politique du rabot, mais il est temps d'amorcer un mouvement de réduction des dépenses publiques et de ne plus laisser nos déficits dériver.

Madame Vermeillet, les personnes aux revenus modestes doivent puiser dans leur épargne pour faire face à la hausse du coût de la vie. Inversement, les ménages les plus aisés ont tendance à augmenter leur épargne de précaution. Nous devons réfléchir aux moyens de mobiliser cette épargne.

En ce qui concerne les créations de postes dans les services de la Première ministre, le plafond d'emplois augmente bien de 199 équivalents temps plein travaillés, dont 98 pour le programme « Coordination du travail gouvernemental ».

Monsieur Sautarel, je ne saurais dire si le niveau des crédits de la mission « Engagements financiers de l'État » destinés à financer la dette est sous-estimé. Il est difficile de faire des prévisions dans le contexte actuel ; les économistes reconnaissent eux-mêmes qu'ils n'avaient pas anticipé le retour de l'inflation.

La dimension territoriale des mesures budgétaires représente un vrai enjeu. Nous voulons un traitement équitable des territoires et en même temps on réclame davantage de décentralisation, voire un pouvoir de différenciation. Un pilotage fin s'impose en fonction des lieux et des populations, car la situation est différente dans les territoires d'industrie et en région parisienne, par exemple, où les salaires sont plus élevés, mais où la vie est aussi plus chère.

M. Claude Raynal, président. - La période est d'une rare complexité. Les inconnues sont nombreuses. Il est bien difficile d'élaborer un budget dans ces conditions.

Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 - Examen du rapport pour avis

M. Claude Raynal, président. - Nous en venons à l'examen du rapport pour avis de notre commission sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2023.

M. Christian Klinger, rapporteur pour avis. - Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023, considéré comme adopté par l'Assemblée nationale en application de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution, a été transmis lundi soir au Sénat.

La part de ce texte dans les prélèvements obligatoires et dans les dépenses publiques - 600 milliards d'euros en 2023 -, et par conséquent son impact macro-économique, justifie la saisine pour avis, comme chaque année, de la commission des finances.

La crise sanitaire a provoqué en 2020 un déficit record de la sécurité sociale de l'ordre de 40 milliards d'euros, alors qu'elle finissait à peine d'absorber les conséquences du choc de la crise financière de 2008-2009.

Les années 2021 et 2022 représentent à elles deux 42 milliards d'euros de déficit supplémentaire. C'est 13 milliards de moins qu'on ne le prévoyait il y a un an, mais cela demeure considérable.

Cette situation moins dégradée qu'attendu tient au dynamisme des recettes, lié à une forte progression de l'emploi et de la masse salariale. Les dépenses ont également davantage augmenté que prévu, mais moins vite que les recettes.

Premièrement, l'effet des surcoûts imputables à la crise sanitaire représente encore 30 milliards d'euros sur les années 2021 et 2022. C'est 9 milliards de plus qu'envisagé il y a un an, avant la reprise des contaminations dues au variant omicron.

Deuxièmement, face au changement de contexte économique, marqué par une montée de l'inflation, les prestations sociales et les rémunérations de la fonction publique hospitalière ont été revalorisées cet été. C'est une dépense supplémentaire de plus de 8 milliards d'euros par rapport à la loi de financement initiale.

Au total, le déficit, concentré sur la branche maladie ces trois dernières années, se réduit lentement. Il atteindrait environ 18 milliards d'euros en fin d'année 2022.

Je précise que les résultats des exercices 2021 et 2022 sont retracés dans la première et la deuxième partie du projet de loi. Elles ont été amendées puis supprimées par les députés, et n'ont pas été incluses dans l'engagement de responsabilité du Gouvernement. Le texte qui vient au Sénat est donc privé de ces deux premières parties et ne comporte que les parties recettes et dépenses de l'exercice 2023.

S'agissant de 2023, le projet de loi prévoit très peu de mesures nouvelles. L'évolution des recettes et des dépenses est quasi exclusivement déterminée par les hypothèses macro-économiques pour 2023 et par des paramètres inchangés par rapport à cette année.

En ce qui concerne les recettes, la seule mesure nouvelle significative concerne le relèvement d'environ 5 % des prix du tabac le 1er mars prochain. C'est une recette de 400 millions d'euros en 2023 et de 500 millions d'euros en année pleine.

L'évolution des recettes découle donc surtout de la hausse de la masse salariale que le Gouvernement établit à un peu moins de 5 %. Le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) juge cette hypothèse « plausible », mais nous savons qu'il existe un aléa sur la prévision de croissance et que des signes de ralentissement apparaissent.

L'objectif de dépenses pour 2023 se caractérise, quant à lui, par une évolution particulièrement modérée, surtout dans un contexte d'inflation. Les dépenses augmenteraient de 2 % seulement, deux fois moins vite que les recettes.

Comme l'a souligné le HCFP, ce ralentissement des dépenses repose sur une estimation optimiste de l'évolution de la situation sanitaire, puisque le Gouvernement propose d'abaisser la provision à moins de 1 milliard d'euros l'an prochain, alors que les surcoûts sont encore de 11,5 milliards en 2022.

Hors effet crise sanitaire, les dépenses progressent de 4 %, à peu près comme les recettes. De manière plus précise, ce sont les dépenses des branches vieillesse et famille qui progressent davantage que la moyenne, malgré des hypothèses de revalorisation des prestations pour l'an prochain sensiblement inférieures à l'inflation. Pour les retraites, c'est l'effet démographique de l'augmentation du nombre de pensionnés. Pour la branche famille, cela résulte de la majoration de 50 %, à compter de ce 1er novembre, de l'allocation de soutien familial attribuée à 800 000 familles monoparentales.

En outre, un transfert de charges de 2 milliards d'euros est opéré vers la branche famille par l'article 10 du projet de loi. Il correspond aux dépenses d'indemnité journalière de maternité pour la période postérieure à la naissance, soit une période de 10 semaines sur les 16 semaines du congé maternité.

Il s'agit évidemment d'alléger artificiellement les dépenses de la branche maladie, qui couvrait depuis l'origine les frais liés à la maternité, en utilisant les excédents de la branche famille.

En effet, l'une des caractéristiques de ce projet de loi est que les dépenses d'assurance maladie seraient en baisse de 3,5 milliards en 2023, le déficit de la branche passant de 20 à moins de 7 milliards.

Le Gouvernement table sur une baisse de 10,5 milliards des dépenses sur les mesures dérogatoires liées au covid. Il allège la charge de la branche maladie de 2,1 milliards d'euros : 2 milliards sont reportés sur la branche famille et 100 millions sont transférés à la branche accidents du travail. Telles sont les uniques raisons de la diminution du déficit de l'assurance maladie en 2023.

Différents facteurs contribuent à alourdir les dépenses d'assurance maladie en 2023, notamment pour les hôpitaux : les revalorisations générales ou spécifiques des rémunérations, l'inflation et l'accroissement tendanciel des dépenses de soin pour des pathologies liées au vieillissement ou associées à des traitements coûteux.

S'agissant de la maîtrise des dépenses, le Gouvernement fait principalement porter l'effort sur le médicament et les produits de santé, à travers une baisse des prix et une clause de sauvegarde plafonnant la progression du chiffre d'affaires des laboratoires pharmaceutiques, qui entraînent des économies d'un montant de 1,1 milliard d'euros. L'article 27 prévoit également la possibilité d'abaisser les tarifs des actes de biologie médicale si les partenaires ne trouvent pas d'accord avec l'assurance maladie, ce qui permettrait d'économiser au moins 250 millions d'euros, ces dépenses ayant fortement augmenté avec les dépistages du covid.

D'autres économies attendues sont peu documentées, comme celles qui concernent les actions relatives à la pertinence des actes et des prescriptions.

Par ailleurs, plusieurs dispositions du texte, dont certaines ont été ajoutées par l'Assemblée nationale, visent à renforcer la lutte contre les abus et les fraudes : une possibilité limitée de prescription des arrêts de travail par téléconsultation ; des pouvoirs de sanction renforcés pour les directeurs de caisses primaires ; une procédure de déconventionnement d'urgence étendue aux pharmacies et aux entreprises de transport sanitaire ; des pénalités majorées incluant le coût de gestion de la fraude ; et le versement de certaines prestations sur des comptes obligatoirement situés en France ou en Europe. Toutefois, il reste difficile d'évaluer le rendement de ces différentes mesures.

Au total, le déficit de 17 milliards d'euros pour 2022 serait réduit à 7 milliards en 2023, cette baisse correspondant à une diminution annoncée des surcoûts liés à la crise sanitaire. Hors crise, le déficit resterait identique à celui de 2022, sous réserve de la réalisation des hypothèses de progression de l'emploi et de la masse salariale.

Selon la trajectoire associée au projet de loi, le déficit de la sécurité sociale se creuserait de nouveau à partir de 2024, pour se situer entre 12 et 13 milliards d'euros à partir de 2026.

Ces prévisions me paraissent inquiétantes à plusieurs titres. D'abord, le déficit persiste et s'accentue alors que les hypothèses de croissance, d'emploi et de recettes sont optimistes, comme l'a démontré le rapporteur général au sujet de la loi de programmation des finances publiques.

Ensuite, les prévisions relatives aux dépenses d'assurance maladie sont elles aussi optimistes, leur augmentation annuelle s'établissant entre 2,6 à 2,7 %, ce qui demeure inférieur à la croissance majorée de l'inflation. Ce résultat supposerait une maîtrise des dépenses particulièrement efficace, mais les instruments choisis pour y parvenir ne sont pas détaillés.

Enfin, la trajectoire des dépenses de retraites, qui connaitra une nette dégradation dès 2024, est d'autant plus préoccupante que le Gouvernement indique avoir en partie pris en compte - à un niveau qu'il ne souhaite pas révéler - les effets d'une nouvelle réforme.

Le Président de la République juge désormais indispensable de relever l'âge de départ à la retraite alors qu'il en écartait l'idée en 2017. Je rappelle que le Sénat a été constant sur ce point puisque, depuis 2014, il inscrit dans chaque PLFSS des mesures allant dans ce sens. Constamment repoussée, cette réforme sera en tout état de cause engagée trop tardivement pour avoir un effet sensible sur le rythme de progression des dépenses liées aux retraites d'ici à 2027.

Le projet et les projections pluriannuelles présentés se placent donc dans une perspective de comptes sociaux dégradés durant plusieurs années. Le schéma de financement des déficits, arrêté en 2020, assure leur reprise par la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) jusqu'à l'exercice 2023 inclus, avec une échéance d'amortissement fixée en 2033. Des déficits persisteront au-delà, et ils seront sans doute supérieurs aux 11 à 12 milliards d'euros annuels figurant dans les prévisions du Gouvernement. La question de leur financement se posera donc inévitablement dès 2024.

En résumé, le PLFSS pour 2023 comporte peu de mesures visant à rééquilibrer les comptes sociaux. De plus, l'amélioration annoncée pour l'an prochain n'est due qu'à une quasi-disparition escomptée des mesures spécifiques à la gestion du covid. Enfin, les déterminants des déficits persistent et sont sans doute sous-évalués.

Ainsi, le texte ne paraît pas acceptable en l'état. Il comporte des dispositions très contestables, comme la ponction sur la branche famille quand le fléchissement de la natalité exigerait une politique familiale plus ambitieuse. La commission des affaires sociales, saisie au fond, proposera donc la suppression de cette disposition. Elle souhaite également que les organismes complémentaires contribuent à la maîtrise des dépenses d'assurance maladie.

Enfin, le rapporteur pour la branche vieillesse, René-Paul Savary, réaffirmera la position claire adoptée par le Sénat ces dernières années quant à la nécessaire modification des paramètres du départ en retraite.

C'est sous réserve de ces principales modifications proposées par la commission des affaires sociales que nous pourrions émettre un avis favorable sur le projet de loi.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - D'abord, en étudiant le graphique sur les déficits, j'observe que la branche autonomie pourrait être contributrice à partir de 2024 ; comment est-ce possible alors que cette branche est déficitaire et que les dépenses liées au vieillissement vont s'alourdir ?

Ensuite, sur la question des retraites, une nette dégradation des comptes est à prévoir à partir de 2024. Si les effets d'une éventuelle réforme ont été intégrés, vous précisez n'avoir pas eu accès à des explications quant aux causes de la dégradation. Quel est votre sentiment à ce sujet ? Qu'est-ce que cela pourrait cacher ?

M. Hervé Maurey. - Je pose cette question régulièrement et depuis longtemps, notamment aux ministres qui se succèdent : savez-vous combien coûte la politique d'incitation à l'installation des médecins ? Selon la Cour des comptes, elle serait très onéreuse, mais le Gouvernement ne donne jamais d'évaluation.

M. Marc Laménie. - Merci à Christian Klinger pour le travail d'investigation qu'il a mené sur un budget de plus de 600 milliards d'euros. La dette sociale atteindrait 160 milliards d'euros fin 2022, contre 115 milliards fin 2019 ; quelles sont les perspectives d'évolution à ce titre ? Par ailleurs, on évoque les quatre branches ; qu'en est-il de la cinquième ?

M. Vincent Delahaye. - J'avais la même remarque que le rapporteur général sur la branche autonomie qui se mettrait à rapporter... Ce n'est pas fréquent et si cela devait arriver, il faudrait la développer !

En ce qui concerne les recettes, vous évoquez des hypothèses très optimistes ; avez-vous procédé au calcul de l'évolution du déficit en partant d'hypothèses réalistes ?

Enfin, je suis très surpris - et ce n'est pas la première fois - d'entendre que la réforme des retraites est ici en partie prise en compte par le Gouvernement sans que l'on sache à quel niveau. Ce manque de transparence me semble invraisemblable.

Mme Sylvie Vermeillet. - Je souhaiterais que vous m'éclairiez quant à la trajectoire de la branche autonomie, dont les recettes progressent davantage que les dépenses. Par ailleurs, ces dernières ne semblent pas encore bien identifiées, même si vous évoquez la création de 3 700 emplois dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) ainsi que des dépenses supplémentaires de services de soins infirmiers.

En outre, je partage les propos du rapporteur général sur la réforme des retraites. La question du pouvoir d'achat et du niveau de vie des retraités sera centrale. Ainsi, je trouverais dommage que l'on aborde la question des retraites sans prendre en compte celle du financement de l'autonomie.

M. Christian Bilhac. - La création de 3 700 emplois dans les Ehpad sera-t-elle suffisante ? En effet, ces établissements, surtout lorsqu'ils sont publics, connaissent une situation catastrophique. Ils rencontrent beaucoup de difficultés à équilibrer leurs comptes et à assurer leur mission auprès de leurs pensionnaires.

M. Claude Raynal, président. - D'abord, je salue la manière dont le document préparé présente en quelques pages une vision claire de l'usage de 600 milliards d'euros. Cependant, la tonalité du rapport me semble poser problème. En effet, que sont 12,5 milliards de déficit sur 600 milliards d'euros, quand le rapport de M. Husson mentionnait plus de 150 milliards d'euros de déficit budgétaire de l'État pour 500 milliards d'euros de dépenses ? Dans ce dernier cas, 30 % des dépenses sont couvertes par l'emprunt, alors qu'ici il ne s'agit que de 2 %. Certes, nous préférerions que ce chiffre soit nul, mais cela mérite-t-il une tonalité aussi négative ?

Il serait intéressant de savoir quelles décisions ne sont pas couvertes par un financement d'État à travers la TVA. Nous verrions peut-être que les 12,5 milliards d'euros correspondent à des décisions prises par l'État de manière unilatérale, sans l'accord des partenaires sociaux. À titre d'exemple, les charges sociales supprimées pour un certain nombre de contrats de travail représentent un montant considérable ; est-il couvert par une compensation du budget de l'État ?

Pour conclure, j'ai du mal à m'inquiéter de ce déficit par rapport à celui de l'État, pour lequel on ne voit pas comment réaliser des économies alors qu'on refuse d'augmenter les recettes. Dans le cas présent, le problème semble plus simple à résoudre - et plus encore si l'on se souvient de certaines époques. Les impacts de crise sont rapides et les remontées peuvent être assez significatives. Il s'agit donc de ne pas s'affoler et considérer ce problème avec sérénité.

M. Christian Klinger, rapporteur pour avis. - Certes, le pourcentage représenté par le déficit paraît peu élevé. Cependant, il s'agit de dépenses courantes, qui devraient être alimentées par des recettes courantes. Trouver un équilibre me semble donc sain, notamment pour éviter de creuser encore le déficit public. Des mesures pourraient notamment être prises pour atténuer le déficit de la branche maladie qui, sans le covid, aurait été quasiment étale à partir de 2020 ou 2021.

En ce qui concerne la branche autonomie, un transfert de recettes est prévu à partir de 2024, une partie de la contribution sociale généralisée (CSG) affectée à la Cades devant lui revenir, ce qui explique son solde positif. Son niveau de ressources passera en effet de 35 milliards d'euros en 2022 à 40 milliards d'euros en 2024.

J'en viens à la dégradation de la branche vieillesse, qui apparaît de façon très nette à échéance de deux ou trois ans. Celle-ci s'explique essentiellement par une augmentation du nombre de bénéficiaires puisque les baby-boomers prennent leur retraite. À cela s'ajoute l'élévation régulière du niveau des pensions. Ces facteurs provoquent une forte dégradation à partir de 2024.

Monsieur Maurey, le PLFSS et ses annexes ne comportent pas de bilan retraçant le coût de l'ensemble des politiques incitatives à l'installation des médecins.

La dette sociale cumule celles de la Cades qui reprend une grande partie des déficits des branches maladie et vieillesse, et celle l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss) contractée pour financer son déficit de trésorerie. Pour la Cades, l'échéance de remboursement est prévu en 2033, mais uniquement pour les déficits prévus jusqu'en 2023. Au regard des déficits persistants, il faudra reconsidérer le sujet bien avant. Par ailleurs, on ne peut mesurer l'impact de la hausse des taux sur les remboursements par la Cades dans les prochaines années.

Monsieur Delahaye, l'impact d'un point de croissance est supérieur à 2 milliards d'euros pour le régime général.

Quant aux 3 700 embauches prévues dans les Ehpad en 2023, elles peuvent paraître limitées, mais l'objectif est de 50 000 à l'horizon de 2030. On peut donc aussi s'attendre à un alourdissement des dépenses à ce titre.

Pour finir de répondre au président Raynal, les exonérations de cotisation sociale sont pratiquement compensées à ce jour par une affectation de TVA et des crédits budgétaires.

M. Claude Raynal, président. - Tout est dans le « pratiquement » !

M. Christian Klinger, rapporteur pour avis. - Enfin, si la réforme des retraites a bien été intégrée dans la trajectoire de dépenses prévue par le PLFSS, c'est pour un montant « conventionnel » qui est évoqué, sans être chiffré.

La commission émet un avis favorable sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023, sous réserve de l'adoption des amendements de la commission des affaires sociales.

Communication

M. Claude Raynal, président. - J'attire votre attention sur un changement de jurisprudence en matière de recevabilité financière des amendements. En effet, le Conseil constitutionnel a rendu une décision le 16 décembre dernier, visant la LFSS 2022, sur trois articles issus d'amendements adoptés à l'Assemblée nationale, qui autorisaient, à titre expérimental, les masseurs-kinésithérapeutes et les orthophonistes à exercer leur art sans prescription médicale pour une durée de trois ans et dans six départements, et les infirmiers en pratique avancée à réaliser certaines prescriptions médicales.

Le Conseil constitutionnel a confirmé leur place en LFSS « au regard de leur incidence sur les dépenses d'assurance maladie ». Il ressort de cette décision que l'élargissement des droits de prescription doit désormais être considéré comme susceptible d'aggraver une charge pour les organismes de sécurité sociale.

Dans ces conditions, je serai désormais amené à déclarer irrecevable au titre de l'article 40 de la Constitution tout amendement élargissant les droits de prescription.

Projet de loi de finances pour 2023 - Mission « Santé » - Examen du rapport spécial

M. Christian Klinger, rapporteur spécial de la mission « Santé ». - Chaque année, nous émettons des doutes quant à la pertinence de cette mission « Santé », qui se trouve déséquilibrée entre l'aide médicale d'État (AME) - dont la maîtrise budgétaire n'est toujours pas assurée - et un programme « Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins » peu à peu vidé de toute substance, qui se résume à des actions de santé publique hétérogènes et résiduelles. Cependant, un élément nouveau intervient cette année puisqu'un troisième programme apparaît, doté de près de 2 milliards d'euros. Ainsi, les crédits proposés pour la mission sont deux fois et demie supérieurs à ceux votés en 2022.

Le nouveau programme 379, placé sous la responsabilité du directeur de la sécurité sociale, recueille les crédits européens de la Facilité pour la relance et la résilience destinés à la France, qui soutiennent le volet investissement du Ségur de la santé.

Selon mes informations, la création de ce programme doit intervenir dès 2022 et figurera dans le projet de loi de finances rectificative (LFR) examiné ce matin en conseil des ministres.

Le volet investissement du Ségur de la santé représente un montant total de 19 milliards d'euros, dont 6 milliards proviennent de cette facilité de relance européenne, dont les versements doivent s'échelonner entre 2021 et 2026. Une première tranche de près de 800 millions d'euros a ainsi été versée à la France en 2021. L'État l'a attribuée à l'assurance maladie au moyen d'une majoration d'affectation de la TVA, inscrite dans la LFR de fin de gestion 2021.

La création d'un programme budgétaire spécifique pour recevoir les cinq autres tranches, dont 1,1 milliard d'euros dans le prochain projet de loi de finances rectificative (PLFR) et 1,9 milliard d'euros dans le PLF pour 2023, semble favorable pour assurer la traçabilité de ces fonds.

Ce programme sert toutefois de simple canal de transmission à l'assurance maladie et ne redonne aucune substance particulière à la mission « Santé » en termes de politique publique.

Par ailleurs, s'agissant de la nomenclature budgétaire, je rappelle que, à l'initiative du Sénat, un programme relatif à la carte vitale biométrique a été créé dans le cadre de la mission « Santé » et qu'il s'est vu doter de 20 millions d'euros par la LFR d'août 2022.

Toutefois, nous ne retrouvons pas ce programme dans le PLF 2023. J'ai appris que des actions concourant à l'utilisation de la biométrie pour la bonne identification des assurés sociaux devaient être financées par ces crédits d'ici la fin de l'année. D'autres développements pourraient intervenir, en fonction des conclusions de la mission confiée à l'inspection générale des affaires sociales (Igas) sur ce sujet. Mais le Gouvernement considère que cette réforme devrait être financée par les régimes d'assurance maladie, puisqu'ils gèrent la carte vitale à travers le programme SESAM-Vitale.

J'en viens au programme 204 « Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins ». De nombreuses actions financées par ce programme ont été transférées à l'assurance maladie au fil des années. La part restante forme un ensemble hétérogène : dépenses de contentieux, prise en charge du système de santé à Wallis-et-Futuna, subventions pour l'Institut national du cancer (INCa) et l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), qui en reçoivent aussi d'autres missions.

Néanmoins, au cours des trois dernières années, l'État a rapatrié sur ce programme, pour les besoins de la gestion de la crise sanitaire, des crédits provenant de l'assurance maladie, en créant un fonds de concours alimenté par Santé publique France. Plus de 800 millions d'euros ont ainsi été consommés en 2020 et 2021. En outre, 160 millions d'euros ont encore été inscrits sur le fonds de concours en 2022. Le rapport comporte des détails sur les opérations et dispositifs ainsi financés, comme l'achat de matériel, les évacuations sanitaires, les systèmes d'information ou les numéros verts.

Ce fonds de concours doit être mis en extinction. De plus, la répartition des missions entre l'État et Santé publique France en matière de veille sanitaire et de préparation aux crises doit être clarifiée et stabilisée.

L'inscription pour 2023 d'un crédit supplémentaire de 2 millions d'euros constituant une provision pour des évacuations sanitaires, comme celles qui ont été effectuées depuis les Antilles vers l'Hexagone au second semestre 2021, constitue de ce point de vue un timide début de rebudgétisation.

De même, dans un objectif de veille sanitaire, les dotations destinées aux systèmes d'information sont renforcées pour développer une base de données provenant des résultats d'analyses biologiques, qui doit succéder au système d'information national de dépistage (SI-DEP) financé par le fonds de concours.

Globalement, le programme 204 est doté de 216 millions d'euros, ce qui représente une légère augmentation de 1,6 %. En outre, si j'ai mentionné deux mesures nouvelles, les principaux postes de dépenses connaissent une grande stabilité.

Toutefois, je relève une diminution importante de la dotation versée à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (Oniam), puisque celle-ci passe de 43 à 32 millions d'euros. Il s'agit de tenir compte de la sous-consommation significative des crédits pour le dispositif d'indemnisation des victimes de la Dépakine.

À la fin du mois de septembre, j'ai présenté à la commission les résultats d'un contrôle effectué à ce sujet cette année. Un nouvel ajustement de la dotation - d'autres ayant eu lieu depuis 2019 - paraît cohérent avec les prévisions de consommation. Mais il n'a pas vocation à être pérennisé au-delà de 2023. Le Gouvernement entend revenir dès 2024 au niveau de crédits de cette année, dans l'hypothèse d'un recours plus important au dispositif d'indemnisation.

Comme les années précédentes, le programme 204 finance aussi un grand nombre d'actions extrêmement dispersées, pour des montants généralement faibles. Elles paraissent loin de disposer d'une masse critique suffisante pour prétendre produire un réel impact quant aux objectifs de santé publique poursuivis.

Le nouveau programme recueillant les crédits européens mis à part, l'AME demeure l'élément principal de la mission « Santé ». Au cours de la période 2020-2022, deux facteurs ont joué sur le recours à ce dispositif.

En premier lieu, la crise sanitaire a entraîné une baisse des entrées sur le territoire, mais aussi une diminution du nombre de sorties et des prolongations exceptionnelles de droits. Nous avons observé une moindre consommation de soins pendant le confinement. Cependant, un financement a été garanti aux hôpitaux au niveau des ressources reçues de l'AME en 2019, même en cas de moindre activité.

En second lieu, des modifications législatives et réglementaires ont été adoptées. D'une part, elles restreignent le bénéfice de l'assurance maladie pour les étrangers qui ne sont plus en situation régulière, prévoyant une réduction de 12 à 6 mois du maintien des droits après l'expiration des titres de séjour, avec un effet de report sur l'AME. D'autre part, elles imposent des conditions supplémentaires pour l'accès à l'AME : condition de durée minimale de séjour irrégulier de trois mois et délai d'ancienneté de neuf mois pour l'accès à des soins programmés, sauf accord du contrôle médical. J'ai constaté que l'effet de ces différentes mesures n'a pas été évalué a priori, ni mesuré a posteriori.

En outre, le nombre de bénéficiaires continue d'augmenter, passant de 335 000 début 2020 à près de 400 000 fin juin 2022. Ainsi, la dépense a baissé de 5 % en 2020 en raison du confinement, mais elle a augmenté de près de 10 % en 2021.

En 2023, le Gouvernement propose une majoration de 133 millions d'euros des crédits d'AME, qui portera exclusivement sur l'AME de droit commun, c'est-à-dire hors soins d'urgence délivrés aux non-bénéficiaires. Le montant total de l'AME dépasse ainsi 1,2 milliard d'euros, dont 1,14 milliard est consacré à l'AME de droit commun, ce qui représente une hausse de 13,2 % par rapport au montant inscrit en loi de finances initiale pour 2022.

Cette programmation se fonde sur une prolongation de l'évolution tendancielle du nombre d'étrangers en situation irrégulière, observée avant la crise sanitaire, et l'on peut s'en étonner à plusieurs titres. D'abord, le Gouvernement veut renforcer l'exécution des mesures d'éloignement et annonce un projet de loi pour 2023.

De plus, des mesures de contrôle et de lutte contre la fraude ont été mises en place en 2020 et 2021. Il n'est pas envisagé de les renforcer.

Enfin, la dotation de l'AME de droit commun pour 2023 dépasse de près de 200 millions d'euros la prévision d'exécution pour 2022, alors même que l'État dispose désormais d'une créance sur l'assurance maladie au titre de l'AME, qui pourrait atteindre 45 millions d'euros fin 2022.

Par ailleurs, il faut bien reconnaître que les modifications législatives et réglementaires apportées il y a deux ans n'ont pas produit d'impact significatif et paraissent insuffisantes pour maîtriser la charge budgétaire de l'AME.

Ces éléments conduisent à reposer la question, plusieurs fois abordée dans notre assemblée, de l'étendue des soins pris en charge par l'AME. À ce titre, je rappelle que dans la plupart des pays européens, seuls les soins urgents, les soins liés à la maternité, les soins aux mineurs et les dispositifs de soins préventifs dans le cadre de programmes sanitaires publics sont pris en charge gratuitement pour les étrangers en situation irrégulière. Par l'éventail des soins couverts, l'AME constitue une exception par rapport aux pays voisins. Celle-ci semble difficile à justifier dans un contexte d'augmentation continue et non maîtrisée de la charge budgétaire qu'elle constitue.

En conclusion, les fortes réserves exprimées ces dernières années sur la cohérence et le pilotage de cette mission « Santé » restent valables.

La création d'un programme budgétaire pour diriger vers l'assurance maladie les fonds européens de soutien à l'investissement en santé paraît plutôt opportune.

La forte majoration des crédits d'AME semble difficilement justifiable. Je vous proposerai donc deux amendements. L'un vise à réduire ces crédits de 350 millions d'euros pour les ajuster à une évolution maîtrisée du nombre de bénéficiaires, l'autre à redéfinir le périmètre de la prise en charge par l'État des soins délivrés aux étrangers en situation irrégulière en modifiant le code de l'action sociale et des familles pour transformer l'aide médicale d'État en aide médicale de santé publique.

Je propose donc l'adoption des crédits de la mission, assortis de ces modifications.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je souscris à la remarque du rapporteur spécial sur le fonds de concours Santé publique France, qui a vu ses montants augmenter sans aucune intervention du Parlement, ainsi qu'à la proposition qui est faite de le mettre en extinction et de clarifier les responsabilités et les prises en charge budgétaires en matière de veille sanitaire et de préparation aux situations de crise.

Par ailleurs, les crédits d'AME progressent sur le rythme d'augmentation tendancielle de ces dernières années, rien n'étant fait face à cette charge budgétaire non maîtrisée. Pour chaque mission budgétaire, il faut pourtant tenter d'atteindre le niveau de dépense pertinent.

Mme Christine Lavarde. - Je voudrais revenir sur l'abandon de la réforme de la carte vitale biométrique. En effet, seuls 20 millions d'euros sont inscrits dans la première LFR de 2022, qui ne seront pas suffisants pour mener ce chantier à terme. Vous avez expliqué que de petites mesures seraient mises en place. Or j'avais compris que cette somme serait utilisée en 2022 pour définir un cahier des charges permettant ensuite la bascule vers un nouveau système. Si ce n'est pas le cas, ces 20 millions d'euros sont dépensés de façon inutile.

M. Claude Raynal, président. - Ont-ils seulement été dépensés ?

Mme Isabelle Briquet. - L'augmentation significative de l'AME correspond à une situation de fait : le nombre de personnes concernées augmentant, il est normal que cette aide connaisse une hausse. De plus, nous observons un effet rattrapage, que les documents budgétaires montrent bien, à cause de la crise du covid. Je ne vois pas matière à s'alarmer. Au contraire, on pourrait s'enorgueillir du fait que notre pays prenne en charge la santé des personnes vivant en situation irrégulière sur notre sol.

Quant à votre appréciation personnelle de la question, vous semblez vous tromper de sujet. Quand nous sommes un certain nombre à parler de santé, vous parlez d'immigration, ce qui n'est pas le but de cette mission budgétaire. Nous ne sommes pas en accord avec vos conclusions et ne soutiendrons pas les amendements que vous présentez.

M. Jean-Marie Mizzon. - J'aimerais soulever une question qui ne se trouve pas dans le rapport. Je sais que celui-ci n'entre pas dans le concret des mesures de santé, mais il me semblait que la prévention représentait une source d'économies pour le budget de la santé. Les crédits qui lui sont réservés sont-ils majorés dans une perspective de meilleure gestion ?

M. Roger Karoutchi. - Il y a quatre ou cinq ans, un ministre nous assurait ici même que jamais l'AME n'atteindrait 1 milliard d'euros. Pourtant, nous y sommes. Et à ceux qui pensent que ce dispositif représente une solution miracle, je voudrais dire qu'il sert avant tout d'argument majeur aux passeurs. En effet, il représente une différence cruciale par rapport aux pays tels que l'Espagne, le Royaume-Uni ou l'Allemagne, qui ont tous revu leur système pour réduire leur offre. Si nous n'en faisons pas de même comme le propose le rapporteur spécial, nous continuerons de faire figure de puissance attractive, et nous ne parviendrons pas à réguler l'immigration. En 2020, nous avons retiré des amendements sur l'AME au prétexte que le Gouvernement allait prendre des mesures pour assurer plus de contrôles, ce qui ne s'est pas fait. Il nous faut prendre des décisions et nous verrons si le Gouvernement en tiendra compte, lorsque le projet de loi reprenant ces thèmes sera débattu début 2023.

M. Christian Klinger, rapporteur spécial. - En ce qui concerne la carte vitale biométrique, la direction de la sécurité sociale reste évasive. Une mission de l'IGAS a été lancée. En tout état de cause, tout développement à venir serait du ressort de l'assurance maladie.

Monsieur Mizzon, la prévention relève pour l'essentiel de l'assurance maladie. La mission « Santé » finance très peu d'actions de prévention.

Vous ne faites pas le lien entre santé et immigration, madame Briquet, mais s'il n'y avait pas d'étrangers en situation irrégulière, il n'y aurait pas d'AME. C'est mathématique et, chaque année, nous observons une augmentation du nombre d'étrangers en situation irrégulière entraînant celle des dépenses d'AME. Nous pouvons continuer à nous voiler la face, ou nous pouvons faire ce que font les autres pays européens : circonscrire le panier de soins. Une personne se présentant à l'hôpital avec un bras cassé sera toujours soignée, mais il faut faire passer le message qu'en France, le tourisme médical n'est plus possible.

Article 27

L'amendement n° 1 est adopté.

La commission décide de proposer au Sénat d'adopter les crédits de la mission « Santé », sous réserve de l'adoption de son amendement.

EXAMEN DE L'ARTICLE ADDITIONNEL RATTACHÉ

Article additionnel après l'article 46

L'amendement n° 2 est adopté.

La commission décide de proposer au Sénat l'adoption de cet article additionnel.

Projet de loi de finances pour 2023 - Mission « Régimes sociaux et de retraite » et compte d'affectation spéciale « Pensions » - Examen du rapport spécial

Mme Sylvie Vermeillet, rapporteure spéciale de la mission « Régimes sociaux et de retraite » et du compte d'affectation spéciale (CAS) « Pensions ». - La France dédie 13,6 % de son PIB au financement des retraites, ce qui représentait 345 milliards d'euros en 2021. C'est moins que l'Italie, qui y consacre 15,6 % de son PIB, mais plus que la plupart des pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), dont l'Allemagne, la Belgique ou l'Espagne, pour lesquelles cette part est inférieure à 11 %.

L'équilibre actuel de notre système de retraites devrait se dégrader dès 2023 et jusqu'au milieu des années 2050, dans le meilleur des cas. Au regard de cette dégradation des comptes et si l'on s'accorde sur l'objectif d'éviter une baisse du niveau des pensions comme une hausse des prélèvements, la réforme semble indispensable. Celle-ci devrait se limiter à redéfinir les paramètres en jouant principalement sur deux critères, qui peuvent être combinés. En premier lieu, l'âge d'ouverture des droits pourrait passer de 62 à 65 ans d'ici à 2031, en suivant une progression de quatre mois par an. En second lieu, la majoration de la durée de cotisation inscrite par la réforme Touraine prévoit que, pour les personnes nées en 1973 ou après, la durée d'assurance requise pour obtenir une retraite sans décote augmente progressivement d'un trimestre tous les trois ans entre 2020 et 2035, pour atteindre 43 ans soit 172 trimestres.

Cependant, il convient de s'entendre au préalable sur la convention d'équilibre choisie. D'une part, il pourrait s'agir d'un effort de l'État constant en pourcentage du PIB, quel que soit le besoin du CAS « Pensions » et des régimes spéciaux déficitaires. D'autre part, un équilibre permanent des régimes permettrait à l'État de combler les besoins chaque année ; la convention actuellement retenue correspond à ce dispositif, dictant un âge moyen de départ à 64 ans dès 2030, porté à 66,5 ans d'ici à 2060, pour atteindre le retour à l'équilibre du système de retraite.

Néanmoins, l'augmentation de l'âge de départ en retraite pose question au regard d'une possible baisse de la durée de retraite, les gains d'espérance de vie n'étant plus systématiques. En outre, une attention particulière doit être portée à la pénibilité des métiers, aux dispositifs carrières longues, à la prévention de l'usure au travail, mais aussi à l'aptitude des entreprises à employer des seniors.

Le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique a indiqué que la réforme des retraites pourrait induire « 8 à 9 milliards d'euros d'économies au bout du quinquennat » ; j'aimerais beaucoup disposer des éléments de calcul ayant conduit à cette estimation, que je suis aujourd'hui incapable de décrypter. À ce titre, je rappelle que la fermeture du régime des retraites de la SNCF a induit la dépense de 4,1 milliards d'euros pour financer des mesures d'accompagnement entre 2011 et 2020 ; je me demande parfois pourquoi les syndicats redoutent tant les réformes !

En outre, le gouvernement table sur une entrée en vigueur de la réforme en juillet 2023, mais les documents transmis pour le PLF ne la mentionnent pas. À l'évidence, la réalisation budgétaire pourrait être bien différente de ce qui est prévu.

Nous allons néanmoins examiner le détail de cette mission en vous rappelant qu'elle comprend les régimes de retraite des mines, de la Seita, des régimes ferroviaires d'outre-mer (39 pensionnés) et de l'ORTF (34 pensionnés) au programme 195 ; les régimes de retraite et de sécurité sociale des marins (25 328 cotisants pour 102 914 pensionnés) au programme 197 ; ainsi que les régimes sociaux et de retraite des transports terrestres au programme 198, principalement les régimes de la SNCF (114 840 cotisants pour 233 354 pensionnés) et de la RATP (42 444 cotisants pour 52 257 pensionnés), mais aussi le réseau franco-éthiopien (3 pensionnés).

De nouveau, je déplore que la mission « Régimes sociaux et de retraite » ne couvre pas l'ensemble des régimes spéciaux de retraite pour lesquels l'État verse une subvention d'équilibre ou qui sont financés au moyen de taxes. Ainsi, il manque toujours les régimes de l'Opéra de Paris, de la Comédie française, des Industries électriques et gazières de France, des non-salariés agricoles, des avocats, des clercs et employés de notaires. Près de 5,4 milliards d'euros de contributions échappent ainsi à la mission, ce qui nuit considérablement à la lisibilité du système et à celle de sa réforme.

La dotation 2023 de l'État pour les régimes de la mission devrait s'élever à 6,14 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) et en crédits de paiement (CP), dont 3,5 milliards pour la SNCF et 0,8 milliard pour la RATP, sommes qui ne tiennent que partiellement compte de l'inflation. La contribution de l'État finance le déséquilibre démographique des régimes, mais également leurs avantages spécifiques (départs précoces, bonifications de durée, avantages familiaux, minima de pensions), pour lesquels la nécessité de solidarité nationale interroge.

Si le régime de retraite SNCF est fermé depuis le 1er janvier 2020, celui de la RATP en prend le chemin avec l'incontournable ouverture à la concurrence pour les bus dès 2025. Néanmoins, les sociétés qui remporteront les appels d'offres hériteront aussi du « sac à dos social », qui maintiendra l'affiliation des agents transférés à leurs nouveaux employeurs au régime des retraites de la RATP.

Concernant le régime des marins, l'État fournit 81 % des ressources, soit 802 millions d'euros. La pénibilité de ces métiers et la compétitivité à laquelle ils sont confrontés dissuadent de toute fermeture du régime, sauf à perdre notre souveraineté nationale dans le domaine. Néanmoins, rien n'interdit de réviser les grilles de métiers ou de mieux prendre en compte le temps passé en mer. De plus, les carrières courtes, inférieures à quinze ans, pourraient être redirigées vers le régime général.

J'en viens au CAS « Pensions », qui comprend le programme 741 « Pensions civiles et militaires de retraite et allocations temporaires d'invalidité » ; le programme 742 « Ouvriers des établissements industriels de l'État » ; et le programme 743 « Pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre et autres pensions ».

Estimées à 64,36 milliards d'euros pour 2023 en AE et en CP - dont 94 % pour les seules pensions civiles et militaires -, les dépenses connaissent une progression de 5,33 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2022, intégrant notamment la revalorisation des prestations de 4 % au 1er juillet dernier.

Si la majoration de 3,5 % du point d'indice de la fonction publique génère des cotisations supplémentaires, celles-ci ne parviennent pas à équilibrer cette hausse des pensions. Ainsi le PLF pour 2023 prévoit-il un solde négatif du CAS « Pensions » de 789,4 millions d'euros.

La baisse des effectifs cotisants et le niveau croissant des pensions ne peuvent que renforcer ce déficit. Les contractuels représentent désormais 21 % de la seule fonction publique d'État, or ceux-ci sont affiliés à la Caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav) ainsi qu'à l'institution de retraite complémentaire des agents non titulaires de l'État et des collectivités publiques (Ircantec) pour les agents contractuels de droit public, et à l'Agirc-Arrco pour ceux relevant du droit privé. Les dépenses du CAS ont augmenté de 38,5 % depuis 2007.

Les taux de contribution employeur, qui assurent l'équilibre du CAS « Pensions » à chaque instant, ont toujours permis, depuis sa création en 2006, de dégager des soldes excédentaires, qui atteignent 9,5 milliards d'euros en 2021.

Cependant, ces taux n'ont pas été révisés depuis 2014. L'exercice 2022 inverse la tendance et devrait pour la première fois se clôturer par un déficit de l'ordre de 224 millions d'euros. Par conséquent, sans révision à la hausse des taux de contribution employeur, le solde excédentaire sera consommé d'ici à 2025.

La direction du budget ne prévoit pas de modifier les taux avant l'apurement total de l'excédent, qui n'a pourtant aucune réalité matérielle. Ainsi, les soldes annuels négatifs du CAS dégraderont directement celui de l'État.

La réévaluation des taux de contribution employeur et l'amélioration du solde du CAS étant indispensables, je souhaite que les futurs excédents débouchent sur la création de véritables réserves gérées par le Fonds de réserve pour les retraites (FRR). Celui-ci, dont l'actif net était évalué à 26 milliards d'euros fin 2021, affiche une performance record de 4,7 % depuis 2010. Il serait judicieux que les réserves du régime de la fonction publique nouvellement créées puissent bénéficier de ces excellents résultats.

J'émets un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Comme la rapporteure spéciale, je continue de penser que cette réforme des retraites est nécessaire et qu'elle devient urgente. Je m'interroge quant aux difficultés mentionnées par Sylvie Vermeillet dans son rapport, pour avoir accès aux éléments qui pourraient la composer. Dans un temps où le Gouvernement fait des prévisions très optimistes, dont celle du plein emploi à l'horizon de 2027, ne pas engager une réforme qui nous permettrait de franchir un pas décisif représenterait non seulement une difficulté, mais aussi une faute.

Au-delà des observations liées à la mission, je voudrais revenir sur ce raccourci que nous entendons dans le débat public, et qui consiste à présenter la réforme des retraites comme nécessaire pour rétablir les comptes. Je tiens à rappeler que le premier objectif de cette réforme est d'honorer l'engagement pris à l'égard des cotisants. Rappelons cependant qu'il s'agit d'abord d'un système par répartition, ce que nombre de nos concitoyens semblent oublier une fois arrivés à l'âge de la retraite, considérant alors qu'il devrait s'agir d'un système par capitalisation.

M. Michel Canévet. - Je voudrais d'abord féliciter la rapporteure pour la qualité de ses analyses et des propositions qu'elle formule.

Dans la partie du rapport intitulée Une dépendance marquée au financement public, je lis que les besoins des quatre principaux régimes spéciaux subventionnés s'élèveraient à plus de 185 milliards d'euros à l'horizon de 2050. S'agit-il du cumul de ce dont nous aurons besoin d'ici à 2050 ? Ou s'agit-il de la somme qui sera nécessaire alors, sachant qu'aujourd'hui elle est de l'ordre de 9 milliards d'euros ?

Par ailleurs, le régime spécifique des marins tient compte de la concurrence internationale, qui justifie le soutien public apporté. Je souscris totalement à l'idée qu'il faut maintenir ce régime, mais des aménagements peuvent être apportés pour le rendre plus efficient, et pour que rentrent dans le régime de droit commun ceux qui ne remplissent pas l'ensemble des conditions.

Enfin, en ce qui concerne le CAS « Pensions », j'identifie deux options : soit on augmente les taux de cotisations, soit on augmente la durée de cotisation et on diminue la durée des bénéfices. Relever l'âge du départ en retraite pourrait-il suffire à équilibrer les comptes ?

M. Jean-Marie Mizzon. - Ma question n'est pas directement liée aux éléments comptables, mais touche à un sujet récurrent. Le temps pendant lequel nous n'avons pas mis en place la réforme a-t-il été mis à profit pour trouver un début de solution sur la pénibilité du travail ? Il s'agit d'un sujet complexe et s'il est facile de mesurer la pénibilité des métiers physiques, l'exercice est plus délicat quand elle affecte la dimension psychologique du salarié.

M. Claude Raynal, président. - Je lis ceci dans le dernier paragraphe du document résumant votre rapport : « la réévaluation inévitable des taux et l'amélioration attendue à cette occasion du solde du CAS doivent déboucher sur la création de véritables réserves. ». Cela suppose que la réévaluation des taux soit supérieure à celle qui est nécessaire à l'obtention d'un strict équilibre. Est-ce bien là votre idée : prendre un peu de marge pour créer de la réserve ?

Mme Sylvie Vermeillet, rapporteure spéciale. - Oui, ce taux de contribution employeur, de l'ordre de 74 % pour les fonctionnaires et de 126 % pour les militaires, permet d'équilibrer à chaque instant le CAS « Pensions ». Cependant, n'ayant pas été révisé depuis 2010, il se montre aujourd'hui insuffisant face à la progression des dépenses.

Nous avons ainsi observé un premier déficit en 2022, qui se confirmera en 2023 et continuera ensuite de se creuser. Depuis la création du CAS, nous avons accumulé un excédent de 9,5 milliards d'euros, qui n'a jamais été matérialisé. Pourtant, la direction du budget affirme aujourd'hui que tant que cette somme n'aura pas été utilisée, les taux de contributions employeurs ne seront pas révisés. Or cette somme n'a pas de réalité et si l'on commence à générer des déficits dès 2022, cela dégradera le solde de l'État. La loi organique oblige cependant à garantir l'équilibre du compte. Ce qui implique de réviser ces taux pour permettre un retour a minima à l'équilibre voire à l'excédent.

À cette occasion, il serait opportun que de véritables réserves soient créées, comme cela a été fait en 2001 lors de la création du FRR, qui était destiné à faire face au papy-boom. Ce fonds était alimenté par des excédents de la Cnav et des produits de privatisations, à l'image du Crédit lyonnais et des Autoroutes du sud de la France. Il a été alimenté jusqu'en 2010 et on a alors décidé que, chaque année, ce fonds verserait 2,1 milliards d'euros à la Cades, ce qui arrange tout le monde aujourd'hui. Ce fonds est très bien géré et il a connu des performances impressionnantes, de plus de 10 %. Il touche ainsi chaque année plus d'intérêts que les 2,1 milliards versés et compte aujourd'hui 26 milliards d'euros, ce qui reste peu par rapport au passé. Certains ont pensé qu'il pourrait servir à pallier le déficit du solde des retraites, mais 26 milliards d'euros ne suffiront pas à y répondre longtemps, compte tenu des déficits qui se profilent. Mais si le CAS « Pensions » se remettait à générer des excédents avec des taux employeur révisés, il faudrait les matérialiser afin de répondre au défi générationnel, à la hausse démographique et à celle du niveau des pensions, afin que l'on puisse constituer des réserves pour ne pas avoir à affronter dans l'urgence des réformes inévitables. Il s'agit donc bien de proposer une matérialisation de l'excédent en même temps qu'une hausse des taux de contribution employeur.

J'en viens aux remarques du rapporteur général. La juste connaissance des éléments qui constituent la réforme des retraites nous aiderait effectivement beaucoup. Il s'agit d'enjeux lourds et de montants énormes, les retraites représentant 345 milliards d'euros en 2021. L'État a décidé de revaloriser les salaires de certaines catégories, notamment des enseignants, ce qui peut apparaître comme une bonne mesure, mais nous n'avons pas accès à l'évaluation de son impact. De la même manière, aucune évaluation n'est disponible sur les avantages spécifiques de certains régimes spéciaux, notamment pour la RATP. Quelles que soient nos opinions, nous devrions avoir accès à ces éléments pour décider en connaissance de cause.

Notre système de retraite prévoit une solidarité intergénérationnelle. Cependant, la classe active d'aujourd'hui cotise beaucoup et longtemps, tout en ayant une espérance de vie en progression moindre. On leur demande un effort maximal au nom d'une génération surnuméraire, mais il n'est pas certain que les mêmes efforts seront fournis dans sa direction. D'après les projections du Conseil d'orientation des retraites (COR), le niveau des pensions va s'amenuiser par rapport au niveau de vie des actifs. Ainsi, le niveau de vie des pensionnés correspondrait à 70 % de celui des actifs d'ici à 2070, alors que ce chiffre est de 101 % aujourd'hui. Si l'on ne réindexe pas les pensions à hauteur de la croissance, un appauvrissement des pensionnés en résultera. Cependant, au regard du financement des dépenses de dépendance, l'appauvrissement des pensionnés n'est pas une option. Cette équation est centrale et nous en parlons peu.

En réponse à Michel Canévet, les engagements de 185,74 milliards d'euros représentent bien la somme de tous les engagements prévisionnels.

En ce qui concerne l'avenir du régime des marins, si nous souhaitons maintenir une souveraineté nationale dans le domaine, il faudra prendre en charge l'ensemble de leur protection sociale.

J'en viens au report de l'âge de départ en retraite pour les fonctionnaires. Aujourd'hui, ce départ s'opère, pour les fonctionnaires sédentaires, à l'âge moyen de 63 ans et 4 mois. Un départ à 64 ans ne suffira donc pas. Néanmoins, il n'est pas prévu d'augmenter le taux de cotisation salariale, mais plutôt d'adapter et de prolonger sa durée afin de bénéficier d'une retraite à taux plein.

Monsieur Mizzon, je ne peux vous dire si le temps de pause sur la réforme des retraites a été mis à profit pour avancer sur le sujet de la pénibilité. Nous avons posé des questions à chacun des organismes que nous avons auditionnés. Des avancées intéressantes ont été observées en ce qui concerne le compte individuel, mais pas particulièrement sur la pénibilité. J'insiste aussi sur l'employabilité des seniors. En effet, s'il faut repousser l'âge de départ en retraite, il faudra aussi qu'une certaine culture d'entreprise évolue afin d'employer davantage de seniors.

La commission décide de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, les crédits de la mission « Régimes sociaux et de retraite » et du compte d'affectation spéciale « Pensions ».

La réunion est close à 12 h 05.

- Présidence de M. Jean-Claude Requier, vice-président -

La réunion est ouverte à 14 heures.

Projet de loi de finances pour 2023 - Mission « Participation de la France au budget de l'Union européenne » (article 25) - Examen du rapport spécial

M. Jean-Claude Requier, président. - Nous commençons notre réunion de cet après-midi par l'examen du rapport spécial relatif à la participation de la France au budget de l'Union européenne (article 25).

Je donne la parole à M. Jean-Marie Mizzon, rapporteur spécial à 24,5 milliards d'euros !

M. Jean-Marie Mizzon, rapporteur spécial. - Comme chaque année, le projet de loi de finances fournit une évaluation du prélèvement sur recettes du budget de l'État qui est versé au profit de l'Union européenne. Plus largement, l'examen de l'article fixant le montant de ce prélèvement est l'occasion de faire le point sur les relations financières de la France avec l'Union européenne.

Avant de vous présenter mon rapport, je voudrais insister sur les limites méthodologiques de cet exercice.

Tout d'abord, comme chaque année, le calendrier budgétaire qui s'applique concomitamment en France et à l'échelle européenne fait que le montant sur lequel nous sommes appelés à nous prononcer constitue, si j'ose dire, « une évaluation de l'évaluation ». Dès lors, avant même son examen, l'article 25 du projet de loi de finances était dépassé, puisque quelques jours seulement après la parution des documents budgétaires, la Commission européenne a présenté un budget rectificatif supplémentaire pour 2022. Elle a également modifié son projet de budget pour 2023 par lettre rectificative, alors que ce projet initial était soumis au trilogue entre Commission, Conseil et Parlement européen. Une telle procédure est traditionnelle, mais la lettre rectificative revêt cette année une ampleur particulière. En effet, au printemps, le choix avait été fait de reporter à l'automne la traduction sur le budget de l'Union des conséquences de l'agression russe de l'Ukraine et de la crise énergétique qui en a résulté, source principale d'une inflation d'un niveau que nous avions oublié, à savoir 10 % dans l'ensemble de l'Union en septembre.

Au total, ce n'est que le 11 novembre, au mieux, que nous connaîtrons le montant exact du budget de l'Union européenne pour 2023. Le Gouvernement tirera les conséquences sur le montant du prélèvement sur recettes au cours de la suite de la discussion budgétaire, comme il l'avait fait l'année dernière en nouvelle lecture, mais sans doute pour un montant nettement supérieur.

Ma seconde limite méthodologique porte sur ce qui est communément appelé les « retours » dont bénéficie la France au titre des politiques européennes. Lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2022, j'avais souligné que la France restait l'un des principaux bénéficiaires en volume des dépenses de l'Union européenne, en deuxième place derrière la Pologne. Malheureusement, je ne suis pas en mesure de vous présenter des chiffres plus récents, car, comme l'indique le jaune annexé au projet de loi de finances de cette année, « En l'absence de données actualisées par la Commission à temps pour la publication de ce jaune au titre de l'année 2021, [...] les données 2021 seront retracées dans le jaune annexé au projet de loi de finances 2024 ».

J'en viens maintenant au coeur de mon rapport.

Je rappelle rapidement que le montant du prélèvement sur recettes constitue l'élément essentiel de la participation de la France au budget européen, auquel il faut ajouter les droits de douane nets pour obtenir le montant total de notre contribution. La France prend toute sa place au sein d'autres mécanismes - extrabudgétaires - européens, qui dépendent d'autres missions budgétaires. Comment ne pas penser, cette année, à la Facilité européenne pour la paix (FEP), particulièrement sollicitée depuis le déclenchement de l'agression russe en Ukraine ? Les crédits qui concernent la FEP sont inscrits aux budgets dédiés à l'action extérieure de l'État et à la défense.

J'en reviens au prélèvement sur recettes proprement dit, dont la part assise sur le revenu national brut, qui constitue en quelque sorte la variable d'ajustement, représente désormais entre les deux tiers et les trois quarts du total.

L'année dernière, nous avions évoqué les perspectives budgétaires de l'Union européenne pour les années à venir, en soulignant la croissance prévisible du prélèvement sur recettes du cadre financier pluriannuel (CFP) 2014-2020 à celui des années 2021-2027. Cette augmentation a été évaluée à 7 milliards d'euros par an environ.

Néanmoins, l'exécution budgétaire 2022 montre, à ce jour, une diminution de plus de 1,4 milliard d'euros. Cette diminution est le signe d'une conjoncture plus favorable, dont les effets bénéfiques en termes de recettes sont supérieurs aux dépenses supplémentaires notamment liées à la crise ukrainienne. Au demeurant, les effets du retour d'une inflation forte ne sont pas forcément ceux que l'on attend : elle se traduit parfois par une diminution des crédits de paiement, car elle conduit au report ou à l'annulation de certains programmes.

Pour 2023, l'évaluation du montant du prélèvement laisse apparaître une légère diminution par rapport à la prévision actualisée pour 2022, soit 24,586 milliards d'euros au lieu de 24,942 milliards d'euros. Ce chiffre ne tient pas compte de la lettre rectificative du 5 octobre, qui prévoit une augmentation du budget de l'Union de 758 millions d'euros en crédits d'engagement et de 2,39 milliards d'euros en crédits de paiement.

Vous trouverez dans la note de présentation une analyse détaillée de l'évolution des restes à liquider, dont l'accroissement, année après année, souligne la difficulté persistante à engager rapidement les crédits, le retard au démarrage se répercutant sur l'ensemble du cadre financier pluriannuel. De manière générale, et cela est vrai également pour la politique de cohésion et des fonds structurels, la mobilisation des crédits alloués à la France n'est pas encore suffisamment forte. Des montants importants de crédits du CFP 2014-2020 sont encore non consommés alors qu'ils doivent l'être d'ici fin 2023.

Je voudrais profiter de l'examen du montant du prélèvement sur recettes pour faire le point sur l'instrument NextGenerationEU, dont le principal support est la Facilité pour la reprise et la résilience (FRR).

Comme vous le savez, NextGenerationEU est principalement financé par les deux volets de la facilité pour la reprise et la résilience - subventions pour 390 milliards d'euros en valeur 2018 et prêts pour 360 milliards d'euros -, auxquels il convient d'ajouter des financements supplémentaires des programmes de l'Union, à hauteur de 83,1 milliards d'euros. La France, comme d'autres pays qui bénéficiaient de conditions de financement sur les marchés plus favorables que celles de l'Union, a fait le choix de ne pas recourir au volet prêts de la FRR. L'enveloppe de subventions pré-allouée à chaque État membre a été établie sur la base d'une clé d'allocation prenant en compte à la fois des critères structurels reflétant la fragilité relative des économies - taux de chômage, évolution du revenu national brut... - et des critères dynamiques reflétant l'impact conjoncturel de la crise sanitaire. Ce dernier critère sert à calculer la part variable des allocations nationales, qui représente 30 % du total.

C'est en application de ces règles que les enveloppes nationales de subventions ont été modifiées par la Commission le 30 juin dernier. La France ayant enregistré une croissance plus forte que prévu au cours de la période 2020-2021, son enveloppe a été revue à la baisse de 1,9 milliard d'euros, soit un peu plus de 4 % du total de ce dont elle devait bénéficier au titre de la FRR. Pour les mêmes raisons, la Belgique et les Pays-Bas ont vu leur enveloppe diminuer d'un montant voisin, ce qui représente respectivement une baisse de 25 % et 20 % du montant initial. À l'inverse, l'Espagne et l'Allemagne vont bénéficier d'une augmentation de 10 % de leur enveloppe, ce qui représente un surcroît de subventions égal respectivement à 7,7 et 2 milliards d'euros.

Selon les informations que j'ai pu recueillir, cette diminution ne devrait pas entraîner d'abandon d'opérations prévues dans le cadre du plan national de relance et de résilience (PNRR). Il nous faudra néanmoins rester vigilants sur ce point, car la Commission européenne n'a pas encore indiqué comment se fera cet ajustement.

Vous trouverez dans la note de présentation le calendrier prévisionnel des demandes de versement ainsi qu'un tableau présentant des exemples de cibles et jalons atteints par la France à l'appui de sa demande de premier versement. On peut dire que la France s'est pleinement approprié le processus de validation. Elle a été, peu de temps après l'Espagne, le deuxième pays à avoir présenté un PNRR et à avoir obtenu un préfinancement et une première tranche de subventions.

Pour en terminer avec la FRR, je vous rappelle que la Commission a présenté un nouveau plan, nommé RePowerEU (« redonner de la puissance à l'Union européenne »), afin d'assurer son indépendance vis-à-vis des énergies fossiles russes d'ici 2027 et, avant cela, de réduire de deux tiers les importations de gaz russe dès cette année. Pour atteindre ces objectifs, les États membres auront la possibilité de modifier leur PNRR ou d'y consacrer une part des dotations de la politique de cohésion ou des fonds de la politique agricole commune (PAC). La Commission a également proposé qu'un surcroît de subventions, à hauteur de 20 milliards d'euros, soit financé par la mise aux enchères, dans le cadre du système d'échange de quotas d'émission (SEQE), des quotas actuellement détenus dans la réserve de stabilité du marché.

Cette proposition me permet d'évoquer un second point de vigilance pour les années à venir, c'est-à-dire la question toujours non résolue des nouvelles ressources propres. La Commission devait présenter, au cours du premier semestre 2021, des propositions en ce sens. Jusqu'à présent, ce dossier a simplement fait l'objet d'un rapport d'étape ainsi que d'une première délibération lors du Conseil Ecofin du 17 juin 2022. En tout état de cause, il est exclu que ces nouvelles ressources puissent être mises en oeuvre d'ici début 2023.

En outre, l'introduction de ces nouvelles ressources propres permettrait de dégager jusqu'à 17 milliards d'euros de recettes annuelles au cours de la période 2026-2028 ; mais cette recette demeurerait inférieure aux besoins de financement liés, d'une part, au remboursement du plan de relance européen, pour 15 milliards d'euros annuels, et, d'autre part, à la mise en place du Fonds social pour le Climat, pour 9,7 milliards d'euros en moyenne chaque année, sans oublier la nouvelle ambition affichée en matière énergétique à travers RePowerEU.

Au troisième trimestre 2023, la Commission européenne devrait formuler de nouvelles propositions. Celles-ci devraient inclure une nouvelle proposition d'assiette harmonisée pour l'impôt sur les sociétés (« BEFIT »), projet évoqué, sous une autre forme, dès le début des années 2000. Il s'agissait alors de parvenir à une assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés (Accis) au sein de l'Union.

Quoi qu'il en soit, gardons en mémoire qu'en l'absence de ressources propres solides, la France serait appelée en remboursement de la part subventions de la FRR, à hauteur d'environ 2,4 milliards d'euros par an.

Mes chers collègues, concernant le prélèvement sur recettes, en l'état actuel des données disponibles, je recommande à la commission l'adoption sans modification de l'article 25 du projet de loi de finances pour 2023. Cet article n'a pas été modifié par le texte sur lequel le Gouvernement a engagé sa responsabilité en application de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je remercie le rapporteur spécial. Je salue la présence de Jean-François Rapin, membre de notre commission mais également président de la commission des affaires européennes.

On parle beaucoup de ce sujet, qui ne fait pas forcément consensus dans l'opinion.

Sur la question des ressources propres, on a l'impression qu'il y a une difficulté à trouver les dispositifs adéquats dans des temps raisonnables. Certes, les crises obligent à mettre entre parenthèses la recherche de solutions, mais n'est-ce pas le moment de s'interroger sur les moyens à mettre en oeuvre pour que l'Europe donne aux différents peuples européens le sentiment d'être davantage à leurs côtés pour faire face à leurs besoins concrets ?

Quelles sont les chances d'aboutir, sous quels délais et à hauteur de quels moyens ?

M. Jean-François Rapin. - Merci au rapporteur spécial pour sa présentation.

Le rapport sur la participation de la France au budget de l'Union européenne est, finalement, un exercice convenu. La question des ressources propres est fréquemment évoquée à Bruxelles, où l'on sent très nettement une complexification des enjeux européens et des sujets d'affrontement.

La présidente du Parlement européen, Mme  Roberta Metsola, a déclaré récemment qu'il fallait revoir les éléments du cadre financier pluriannuel. Elle l'a dit dans des termes assez pragmatiques, appelant non pas forcément à une contribution complémentaire, mais à un rééquilibrage entre postes budgétaires. Pour ma part, je considère qu'un rééquilibrage entre postes impliquera nécessairement, à terme, une contribution plus importante.

En effet, le CFP, défini de manière convenue en pleine pandémie, sur la base de quatre ou cinq projets, devra, à un moment, prendre en considération la guerre en Ukraine et les autres lourdes problématiques d'aujourd'hui, au-delà de la seule facilité pour la reprise et la résilience.

La France contribue au financement des programmes spatiaux européens de l'Agence spatiale européenne sur un poste spécifique de la mission recherche et enseignement supérieur - c'est d'ailleurs, aujourd'hui, la seule contribution pour l'espace de cette mission, puisqu'une grande partie de cette contribution relève désormais du ministère des armées. Mais comment va-t-on intégrer dans le futur la fin de la contribution russe ? Je pense que personne n'a la réponse pour le moment...

Ce matin, le président de la commission a affirmé que nous étions dans une grande incertitude conjoncturelle qui ne nous permet pas de disposer d'une vision budgétaire correcte. Je pense que l'on peut avoir les mêmes déconvenues s'agissant du prélèvement sur les recettes au profit de l'Union européenne, même si l'on est dans un cadre convenu. Nous devons être attentifs.

Ce qui m'a surtout marqué, c'est la déclaration pugnace de Roberta Metsola sur la nécessité de revoir les grandes lignes du CFP à contribution égale, ce dont je doute, je le répète.

M. Michel Canévet. - Je félicite le rapporteur spécial pour la qualité de ses analyses.

Monsieur le rapporteur, vous avez annoncé que le montant du prélèvement sur recettes versé par la France devrait sans doute être révisé prochainement. Avez-vous une idée du montant supplémentaire qui pourrait être sollicité ?

J'ai noté qu'il faudra avoir consommé la totalité des crédits qui ont été alloués au titre du CFP 2014-2020, soit 27,5 milliards d'euros, pour la fin 2023. A-t-on une idée des montants non consommés que l'on devrait rendre à Bruxelles ?

Une partie des ressources propres, pour lesquelles le rapporteur évoque le chiffre d'environ 17 milliards d'euros par an, reviennent-elles aux États-membres ou la totalité est-elle conservée par la Commission pour les actions propres de l'Union européenne ?

M. Marc Laménie. - Merci au rapporteur spécial pour la qualité de son travail.

Mon interrogation porte sur les perspectives : les choses fluctuent d'une année sur l'autre, avec un certain nombre d'incertitudes.

Se pose la question de la participation de la France par rapport aux autres États-membres et du retour sur cette participation.

Je veux également évoquer la complexité de la gestion des fonds européens. De nombreuses collectivités territoriales mettent parfois des années à percevoir certaines aides européennes.

M. Vincent Capo-Canellas. - Merci à notre rapporteur spécial.

Je vais moi aussi évoquer les ressources propres, pour lesquelles on est en train de décaler sensiblement le calendrier. Les décisions prises entreront-elles dans le cadre financier pluriannuel 2021-2027 ou dispose-t-on pour après ?

Comment cela s'articule-t-il avec tous les plans de transition écologique ? Où en est-on de l'extension à l'aviation et au transport maritime des échanges de quotas d'émissions ? Le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières est-il cadré par rapport à toutes les annonces effectuées en matière de transition écologique - Fit for 55, etc. ?

Y voit-on déjà clair sur la manière dont tout cela peut être accepté par le reste du monde sans sanctions ou mesures en rétorsion ?

M. Patrice Joly. - Merci au rapporteur spécial pour ses éclairages. Le sujet est plutôt complexe, et les articulations entre instruments ne sont pas toujours évidentes à saisir.

Le rapporteur spécial a rappelé que la France était le deuxième bénéficiaire des crédits européens, en particulier au travers de la PAC, mais également de NextGenerationEU, pour lequel elle a renoncé à utiliser les facilités offertes par les prêts européens au regard de sa capacité à se financer dans de meilleures conditions sur le marché.

L'ensemble des restes à liquider correspondent pratiquement à deux années de budget européen. Les ordres de grandeur disent tout de même quelque chose sur la capacité à activer ces financements spécifiques, avec un retard qui n'arrive pas à être résorbé d'année en année. Pour suivre ce dossier depuis maintenant quatre ou cinq ans, je m'aperçois que les niveaux restent les mêmes : autour de 300 milliards d'euros, ce qui n'est pas rien. Ce décalage n'est pas sans conséquence sur les dynamiques économiques.

Le cadre financier pluriannuel 2021-2027 a été établi dans un contexte qui n'est plus celui que nous connaissons aujourd'hui : en seulement quelques années, la situation a évolué dans de nombreux domaines : pandémie, guerre en Ukraine, inflation et perspectives de coopération européenne qui en découlent, problématiques environnementales et transitions dans lesquelles nous allons devoir nous engager à un rythme accéléré.

S'agissant de la FRR, notre pays a utilisé la facilité relative aux subventions, mais n'a pas saisi les possibilités offertes par l'emprunt européen, puisque les conditions n'étaient pas suffisamment favorables. Néanmoins, pour l'ensemble de ce plan de relance, la question du remboursement des dettes contractées par l'Europe va se poser. Si l'on n'avance pas plus rapidement sur la mise en oeuvre des ressources propres, il en résultera des charges complémentaires pour les États membres et pour notre pays en particulier.

Il est urgent d'avancer sur le marché carbone et le mécanisme d'ajustement carbone, mais aussi sur la taxe sur les transactions financières, l'homogénéisation de l'assiette de l'impôt sur les sociétés, la taxation du numérique et, peut-être, sur les crypto-actifs, ainsi que sur la taxation temporaire des surprofits, même si l'on voit bien les difficultés à trouver un accord malgré les orientations qui ont été définies.

Il est vraiment nécessaire de s'atteler à cette question des ressources propres, qui, on le mesure bien, ne peut trouver de solution qu'à l'échelle européenne.

En conclusion, en l'état actuel des informations dont nous disposons, qui devront être précisées dans les semaines qui viennent, et au regard des engagements de la France, l'évaluation qui nous est présentée apparaît acceptable. Nous sommes donc favorables à l'article 25.

M. Christian Bilhac. - Félicitations à notre rapporteur spécial pour son rapport.

Dans un langage tout sénatorial, le rapport évoque une utilisation des crédits « perfectible ». Pourriez-vous préciser ce point ?

Alors que Margaret Thatcher tapait sur la table pour réclamer son chèque, il semblerait que la France ait son chèque, mais oublie de le porter à la banque !

Quel est le volume des crédits qui nous sont alloués mais que nous ne consommons pas ? Avez-vous une idée de ce que l'on pourrait faire pour parvenir à consommer ces crédits européens ?

Mme Christine Lavarde. - L'utilisation des crédits est perfectible, mais est-elle d'ores et déjà en voie d'amélioration ? C'est un problème récurrent, que nous évoquons quasiment chaque année...

Quelles sont les mesures mises en place au niveau de l'État, par exemple au niveau du secrétariat général des affaires européennes (SGAE), pour améliorer la consommation de ces crédits ?

M. Emmanuel Capus. - Quel montant ces crédits représentent-ils ?

Mme Christine Lavarde. - 3,9 milliards d'euros.

M. Jean-Marie Mizzon, rapporteur spécial. - M. le rapporteur général a évoqué les difficultés à trouver des dispositifs en matière de ressources propres. À ce jour, trois ressources se dessinent, qui pourraient connaître une traduction concrète dès 2023 : celle concernant le marché européen carbone, avec un SEQE en train de faire consensus ; celle du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, qui fait également consensus ; celle qui concerne la fiscalité internationale sur les bénéfices de certaines entreprises, qui est désormais évoquée au sein de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et du G20, mais apparait pour l'instant bloquée notamment du fait des élections de mi-mandat aux États-Unis.

Ces trois ressources devraient normalement connaître une issue positive, mais, telles qu'elles sont calibrées, elles ne suffiront pas à assumer le financement du plan de relance et du fonds social pour le climat. Il faudra donc en trouver d'autres. La Commission s'est engagée à en proposer d'ici au troisième trimestre de l'année prochaine.

Il n'y a donc pas lieu de s'affoler en l'état, même si l'ardoise pour la France pourrait être de 2,4 milliards d'euros par an à partir de 2028.

Je suis totalement d'accord avec les commentaires de Jean-François Rapin : il est vrai que, lorsque le cadre financier pluriannuel a été construit, on n'avait anticipé ni la guerre en Ukraine ni l'inflation. Sans doute y aura-t-il des modifications - on nous en annonce déjà une très prochainement.

Monsieur Canévet, madame Lavarde, l'exercice n'est pas terminé puisque le solde de la programmation 2014-2020 sera établi en 2023. Il est donc difficile de savoir combien de crédits seront rendus, mais la trajectoire est moins mauvaise que la précédente. Elle n'est pas pour autant satisfaisante.

Monsieur Laménie, il y a eu des progrès, puisque le nombre de programmes opérationnels qui ont été mis en oeuvre en France pour dépenser ces crédits, notamment les fonds structurels, a diminué. Désormais, ce sont les nouvelles grandes régions qui ont la main sur ces programmes opérationnels. Avec les années, elles se sont formées, elles ont appris, mais il est toujours difficile de solder une ancienne programmation pour s'en approprier une nouvelle. C'est un travail énorme pour les porteurs de projet et plus encore pour les autorités de gestion.

Monsieur Canévet, les 17 milliards d'euros ne suffiront pas : il en faudra 24 pour financer la FRR et le fonds social pour le climat. Cela fait partie des propositions que fera la Commission européenne au troisième trimestre de l'année prochaine. Tant que l'on reste dans les généralités, tout le monde est d'accord, mais quand on entre dans le détail des mesures proposées, les choses se compliquent.

Monsieur Vincent Capo-Canellas, l'aviation sera-t-elle touchée par les quotas carbone comme peuvent l'être, aujourd'hui, le ciment, la construction ou le transport routier ? Le sujet est sur la table, mais rien n'est décidé. L'Allemagne, par exemple, n'est pas très favorable à une taxation trop forte car elle est un pays très exportateur et craint, demain, un retour de balancier, par exemple de la Chine. Il n'y a pas d'accord à ce jour.

Je partage les analyses de M. Joly.

Monsieur Bilhac, oui, l'utilisation des crédits est perfectible. Certains responsables français voulaient transformer la règle du dégagement d'office de N+3 à N+2 pour obliger les porteurs de projet et les autorités de gestion à consommer plus vite, mais les porteurs de projet n'y sont pas du tout favorables. Cette solution calendaire satisfait la question sur le plan intellectuel, mais pas forcément sur le plan opérationnel. Ce sont les porteurs de projet qui ont la main. Dans mon département, j'observe que le préfet et le président de conseil départemental se plaignent d'avoir des millions de crédits de subventions non consommés car ils restent en l'attente des factures. Le retard pris pour l'exécution des opérations n'est pas un problème proprement européen : il concerne également l'État et des départements.

Madame Lavarde, nous sommes dans une chaîne, où chacun a son rôle à jouer. Ce n'est pas parce que l'on préside une autorité de gestion que l'on peut, d'un coup de baguette magique, obtenir des résultats des porteurs de projet.

La commission décide de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, l'article 25 du projet de loi de finances pour 2023.

- Présidence de M. Claude Raynal, président -

Conférence interparlementaire prévue à l'article 13 du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) au sein de l'Union économique et monétaire, des 10 et 11 octobre 2022 à Prague -Compte rendu

M. Claude Raynal, président. - Mes chers collègues, les 10 et 11 octobre derniers, une délégation de la commission des finances du Sénat s'est rendue à Prague pour assister à la conférence interparlementaire semestrielle dite « article 13 ». Pour mémoire, l'article 13 du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) prévoit, en effet, le principe d'une conférence réunissant « les représentants des commissions concernées du Parlement européen et les représentants des commissions concernées des parlements nationaux afin de débattre des politiques budgétaires et d'autres questions » régies par ce traité.

Ce rendez-vous semestriel nous donne donc l'occasion d'échanger sur les enjeux budgétaires, économiques et financiers de l'Union. La commission des finances y représente donc le Sénat. Notre délégation était composée de moi-même, de Jean-Marie Mizzon, rapporteur spécial en charge du suivi de notre contribution au budget de l'Union européenne, et de Stéphane Sautarel. Le rapporteur général et notre collègue Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes, étaient excusés, ainsi que nos homologues de l'Assemblée nationale, en raison d'un agenda particulièrement chargé.

Les thèmes des échanges avaient été déterminés conjointement entre le Parlement européen et les deux chambres du Parlement de la République tchèque, qui exerce jusqu'à la fin de l'année la présidence du Conseil de l'Union européenne. Trois sessions de débats ont ainsi été organisées, autour des thèmes suivants : la mise en oeuvre de la « facilité pour la reprise et la résilience », c'est-à-dire le principal dispositif du plan de relance européen ; les coûts de l'indépendance énergétique ; le renforcement de la résilience économique de l'Europe.

Le débat sur le plan de relance européen a été l'occasion pour de nombreux parlementaires d'exprimer une certaine inquiétude quant au faible rythme de décaissement des fonds européens dans le cadre du dispositif de relance et de résilience. Si la France a déjà reçu près d'un tiers des montants prévus et se place en deuxième position derrière l'Espagne, certains États n'ont au contraire, à ce stade, reçu aucun des financements prévus de la part de l'Union européenne, dont le montant représente parfois jusqu'à 5 % de leur PIB. La plupart du temps, ce retard est lié à la complexité de la procédure de validation de ces fonds et de leur utilisation - à l'exception notable de la Hongrie, dont les fonds sont bloqués en raison de tensions liées au respect de l'État de droit dans le pays. J'ai pour ma part appelé l'attention de nos homologues et de la Commission européenne sur la question du remboursement de ce plan de relance, à compter de 2028 - autrement dit demain. Dans cette perspective, les États membres s'étaient entendus en juillet 2020 sur la nécessité d'introduire de nouvelles ressources propres pour l'Union européenne, dont les recettes devront être consacrées à ce remboursement. La Commission européenne a présenté, fin décembre 2021, plusieurs propositions en ce sens, qui n'ont malheureusement toujours pas abouti. La réponse de la Commission européenne a simplement consisté à rappeler que les réflexions étaient en cours à ce sujet et que, à défaut de nouvelles ressources propres, les contributions nationales seraient augmentées au prorata de la part de chaque État membre dans le revenu de l'Union européenne, ce que nous savons tous.

D'autres participants, à commencer par l'Allemagne, se sont interrogés sur le devenir des fonds non utilisés dans le cadre du plan de relance, qui devraient in fine représenter plusieurs centaines de milliards d'euros. Une partie de ces fonds devrait être réutilisée pour le financement du nouveau plan européen pour l'indépendance énergétique de l'Europe, baptisé « REPowerEU » et présenté par la Commission européenne en mai dernier. D'autres sources de financement pour REPowerEU sont en cours d'étude par la Commission européenne au travers des outils existants, tels que le fonds de la politique de cohésion, le fonds européen agricole pour le développement rural, le fonds pour l'innovation ou bien encore la Banque européenne d'investissement, mais nous n'en savons pas plus à ce stade. Quelques jours avant notre conférence, la possibilité d'un nouvel emprunt commun pour financer le plan REPowerEU avait été évoquée dans les médias par deux commissaires européens, MM. Paolo Gentiloni et Thierry Breton, respectivement commissaire à l'économie et commissaire au marché intérieur. Cette idée a semble-t-il depuis été enterrée, notamment en raison de l'opposition de l'Allemagne, qui a décidé de faire cavalier seul en annonçant son propre plan de résilience énergétique à 200 milliards d'euros...

S'agissant de l'indépendance énergétique, notre collègue Stéphane Sautarel est intervenu pour rappeler la nécessité de réviser les conditions de fixation du prix européen de l'énergie et de mettre en place un plafonnement du prix du gaz au niveau européen, en particulier du gaz utilisé pour la production d'électricité, à l'instar des mesures déjà mises en place au niveau national par l'Espagne et par le Portugal. Il s'agit d'une proposition poussée par le Gouvernement français et appuyée par tous les acteurs français du secteur, en particulier par EDF et par la Commission de régulation de l'énergie. Malheureusement, certains pays comme l'Allemagne et les Pays-Bas y étant opposés, le texte approuvé lors du dernier Conseil européen n'évoque pas l'engagement de mettre une telle mesure en place, même s'il y est mentionné la volonté que la Commission européenne présente des propositions sur ce sujet.

Cette conférence a enfin été l'occasion d'évoquer plus largement le renforcement de la résilience économique de l'Europe et la préparation aux crises futures. La Commission européenne a rappelé que l'objectif de 2 % d'inflation demeurait d'actualité. Des réflexions sont actuellement en cours afin de déterminer les outils de politique budgétaire qui pourraient être mis en oeuvre au niveau européen pour lutter contre l'inflation, même si les marges de manoeuvre dans ce domaine demeurent limitées et si le principal outil européen en la matière demeure bien entendu la politique monétaire. La Commission nous a également indiqué que le projet de réforme du TSCG devrait être présenté très prochainement, dans le courant du mois de novembre.

Au final, qu'il s'agisse du plan de relance européen, de l'indépendance énergétique ou de la lutte contre l'inflation, ces échanges ont témoigné du moment charnière - un de plus... - dans lequel se situe l'Union européenne. L'ordre du jour de cette conférence a permis de mettre en exergue les principaux défis économiques et budgétaires que devra affronter l'Union dans les prochaines années, même si la portée politique de cette conférence demeure réduite dès lors que l'on n'y adopte pas de conclusions.

Cela dit, pour avoir participé à quelques conférences « article 13 », je dois dire qu'elle n'a été ni la plus mauvaise ni la plus inutile.

Il était intéressant d'écouter les collègues de pays beaucoup plus en difficulté que nous sur les sujets de l'énergie ou de l'inflation - ces questions sont parfois vécues très douloureusement. Nous avons pu noter une inquiétude assez profonde et des demandes réitérées d'une plus grande solidarité européenne.

Cette réunion a été magnifiquement organisée par les autorités tchèques : le déroulé était vif, le programme riche, et les tables rondes intéressantes. Par rapport à d'autres conférences « article 13 », beaucoup plus formelles, auxquelles nous avons pu participer par le passé, celle-ci donnait envie de continuer à poursuivre le suivi de ces conférences, même si les avancées qui peuvent en découler ne sont jamais définitives, puisque leur rôle n'est pas législatif.

La réunion est close à 14 h 50.

Jeudi 3 novembre 2022

- Présidence de M. Claude Raynal, président -

La réunion est ouverte à 10 heures.

Projet de loi de finances rectificative pour 2022 - Audition de M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique chargé des comptes publics

M. Claude Raynal, président. - Nous recevons ce matin Gabriel Attal, ministre délégué chargé des comptes publics, sur le projet de loi de finances rectificative (PLFR) pour 2022, qui a été présenté hier en conseil des ministres.

Ce PLFR ne remet pas en cause le cadrage macroéconomique retenu en septembre dernier, puisque les prévisions de croissance à 2,7 % pour 2022 et d'inflation, à 5,3 %, sont inchangées. Le déficit public serait très légèrement revu à la baisse, à 4,9 % du PIB au lieu de 5 %, et la dette resterait estimée à 111,5 % du PIB en fin d'année. Pour autant, ce PLFR comporte des mesures nouvelles en dépenses, notamment pour faire face à la hausse des prix de l'énergie, financées par des recettes plus élevées qu'attendu, et des annulations de crédits.

Je cède sans plus attendre la parole au ministre pour qu'il nous expose le détail de ces mouvements en recettes et en dépenses.

M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. - Après vous avoir quitté nuitamment sur la loi de programmation des finances publiques (LPF), je vous retrouve ce matin pour le PLFR 2. Nous retournons dans le présent immédiat, pour un texte classique de fin de gestion pour l'année 2022. Au-delà de sa dimension technique, ce PLFR s'inscrit dans une logique de complément, de rallonge par rapport au PLFR présenté cet été et largement enrichi par le travail parlementaire. Ce premier PLFR a constitué un effort de soutien majeur de 44 milliards d'euros de crédits supplémentaires, dont 20 milliards d'euros qui ont été consacrés à la protection du pouvoir d'achat.

Le texte que je vous présente aujourd'hui est, certes, plus modeste, mais il comporte des mesures de protection et d'ajustement.

Comme le PLFR 1, il traduit d'abord une volonté de soutenir et de protéger dans un contexte de forte inflation. Une large majorité peut être rassemblée derrière cet objectif. Notre principal défi est d'aider l'économie française à résister face à la flambée des prix de l'énergie. Comme l'a rappelé Mme la Première ministre, les prix du gaz et de l'électricité seront l'an prochain plus de 10 fois supérieurs à ceux de 2020. Pour faire face à ce choc, des dispositions supplémentaires ont été ajoutées par l'Assemblée nationale au nouveau bouclier tarifaire pour 2023. Il s'agit de soutenir aussi bien les ménages, comme nous nous y employons depuis l'automne 2021, que les entreprises : il faut les encourager à produire, à investir et à embaucher. Les mesures mises en place sont coûteuses, mais de nature à consolider l'objectif de croissance fixé à 1 % pour l'an prochain. On peut débattre indéfiniment de la pertinence d'une prévision, mais la croissance dépendra surtout de la confiance et des réformes que nous pourrons insuffler au service de l'activité économique. Le présent texte contribue à créer de la confiance, car il montre que l'État continue à lutter sans relâche contre l'inflation et ses effets.

Pour renforcer le soutien aux ménages, ce PLFR met en oeuvre l'annonce de la Première ministre, le 16 septembre dernier, concernant le versement d'un chèque énergie exceptionnel à 12 millions de ménages. Pour faire face à l'augmentation de 15 % des prix de l'électricité et du gaz en début d'année, les bénéficiaires du chèque énergie classique recevront 200 euros, tandis que les ménages des troisième et quatrième déciles percevront 100 euros. En outre, la LFR 1 a prévu un budget de 230 millions d'euros pour les ménages se chauffant au fioul. Cette aide se traduit par l'attribution, à partir du 8 novembre, d'un chèque spécifique : 200 euros pour les bénéficiaires du chèque énergie ; 100 euros pour les ménages des troisième à cinquième déciles.

Par ailleurs, la Première ministre a annoncé une prolongation jusqu'à la mi-novembre de la ristourne de 30 centimes par litre de carburant pour tenir compte du blocage des raffineries et des difficultés d'approvisionnement. Cela représente un coût de 440 millions d'euros. Entre le 15 novembre et 31 décembre, la ristourne sera réduite à 10 centimes par litres. Pour autant, l'année 2023 ne sera pas synonyme de l'arrêt brutal du soutien apporté à nos automobilistes. Les « gros rouleurs », qui ont besoin de leur voiture pour aller travailler, seront favorisés : nous mettrons en place un dispositif ciblé - il sera assez proche de l'indemnité carburant travailleurs -, dont les modalités seront définies précisément au cours des prochaines semaines. Il s'agit de concentrer l'argent public sur celles et ceux qui en ont le plus besoin. Le « combien ça coûte » n'a jamais voulu dire que nous laisserions les Français à la merci de l'inflation. Seulement, dans un contexte où les taux de nos emprunts avoisinent les 2,5 % à 3 %, il serait déraisonnable de verser l'argent public sans distinction. À cet égard, le Parlement a adopté cet été un doublement du plafond du chèque carburant défiscalisé. Nous souhaitons que les entreprises se saisissent de cette possibilité à compter de 2023.

Ce PLFR soutient aussi les universités, les établissements de recherche et les centres régionaux des oeuvres universitaires et scolaires (Crous). Un crédit de 275 millions d'euros sera immédiatement débloqué pour les opérateurs du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche. Avec Sylvie Retailleau, nous savons que certaines universités sont tentées par l'enseignement à distance cet hiver. Nous préférons des amphis remplis et éclairés, même si cela doit mobiliser de l'argent public. Dans la même logique, une enveloppe de 200 millions d'euros est prévue pour les frais de carburant exceptionnels du ministère des armées, en vue de ses opérations extérieures (Opex). Ce sont donc 2,5 milliards qui sont destinés à l'aide aux Français et opérateurs de l'État.

Le texte procède aussi à des ajustements de fin de gestion dans le souci permanent de tenir les comptes publics. Les ouvertures de crédits pour assurer de nouvelles dépenses s'élèvent à près de 5 milliards d'euros, compensées par des annulations de crédits d'un montant identique. C'est donc un texte d'équilibre budgétaire hors dépenses exceptionnelles liées à la crise de l'énergie.

La principale ouverture de crédit, de 2 milliards d'euros, tend à soutenir France compétences, dont la situation résulte de l'envol du nombre des contrats d'apprentissage, ce qui est une bonne nouvelle pour les jeunes et les entreprises. La LFR 1 avait déjà ouvert 1,8 milliard d'euros de crédits pour cette institution, et près de 750 millions d'euros pour les primes d'apprentissage. Nous devons évidemment continuer à rechercher des économies structurelles chez France compétences. Nous aurons ce débat important lors du projet de loi de finances (PLF), puisque des amendements ont été retenus par le Gouvernement, après le déclenchement de l'article 49, alinéa 3, pour réaliser des économies supplémentaires.

Autre ouverture significative : 1,1 milliard d'euros en faveur de la mission « Défense » financeront notre soutien militaire à l'Ukraine. Nous ouvrons également 450 millions d'euros de crédits pour le prolongement de l'indemnisation des crises agricoles survenues cette année. En contrepartie, nous procédons à des annulations de crédits équivalentes.

Notre second objectif prioritaire est de tenir nos comptes conformément à nos engagements européens et nationaux. Hors dépenses exceptionnelles liées à la crise de l'énergie, les 5 milliards d'euros sont gagés.

Preuve de cette ambition, le solde budgétaire est en très légère amélioration et le déficit public devrait s'établir à 4,9 % du PIB en 2022, soit 0,1 point de mieux que la prévision réalisée pour la dernière LFR. Cela est dû à une réévaluation des recettes - notamment de l'impôt sur le revenu (IR) et de l'impôt sur les sociétés (IS) - plus élevée que les dépenses nouvelles. C'est aussi le signe que notre économie résiste ; celle-ci enregistre tout de même une croissance à 2,5 % - cet objectif était remis en doute par certains prévisionnistes il y a peu. Certaines de nos entreprises continuent à investir, comme en témoignent les chiffres de l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee).

Il ne convient pas de s'adresser des satisfecit, mais il faut reconnaître cette trajectoire de sérieux qui n'a rien à voir avec l'austérité. Nous la tiendrons en 2023 et pour les années suivantes afin d'assurer la stabilisation de la dette et le retour du déficit sous les 3 % du PIB avant la fin du quinquennat. Nous pouvons nous rassembler derrière ce double objectif : la protection de nos compatriotes et la tenue de nos comptes.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. -Votre prévision de croissance du PIB de 2,7 % reste inchangée. Le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) la juge crédible au regard des informations dont il dispose. Depuis, l'Insee note un ralentissement de l'activité. Il estime en outre que l'activité ne devrait pas progresser au quatrième trimestre. La croissance du PIB en 2022 serait donc de 2,5 % et non de 2,7 %. Quelles sont vos observations sur ce point ? Quelles conséquences concrètes en tirez-vous sur le budget ?

Le PLFR accroît le plafond des autorisations d'emplois de plus de 1 100 équivalents temps plein travaillés (ETPT) pour l'État et ses opérateurs au titre de 2022. Allez-vous déposer un amendement sur le PLF pour accroître les plafonds d'emploi de 2023 ? Cette augmentation est-elle seulement une anticipation des augmentations déjà prévues pour 2023 ?

Le fameux sujet de France compétences est un puits sans fond où l'on injecte régulièrement des sommes importantes, déraisonnables eu égard à une imprévision de la part du Gouvernement. Le texte prévoit une nouvelle ouverture de crédits de 2 milliards d'euros, outre les 2 milliards d'euros prévus cet été. Espérons qu'un nouveau PLFR n'intervienne pas d'ici à la fin de l'année... Comment expliquez-vous ces besoins ? Pourquoi les prévisions n'ont-elles pas été meilleures ? Jusqu'où irons-nous dans cette réforme qui souffre d'une impréparation chronique ?

Dans le PLFR 1, nous vous avions mis en garde et nous avions formulé des propositions pour resserrer la maille des économies possibles. Mais vous aviez balayé un certain nombre d'amendements par des objections étayées. Puis, vous annulez près de 2 milliards d'euros sur les crédits ouverts pour les appels en garantie, de l'ordre de un milliard d'euros sur la mission « Plan d'urgence », et 500 millions d'euros sur la dotation pour dépenses accidentelles et imprévisibles. Finalement, vous proposez aujourd'hui les amendements que vous aviez refusés au Sénat. J'y vois un acte de contrition. Mais il est dommage de ne pas avoir réalisé ce travail plus tôt, qui aurait permis de se rapprocher de la réalité. Pourriez-vous identifier, dans ce PLFR, des annulations de crédits qui correspondraient à un effort d'économie ?

M. Claude Raynal, président. - M. le rapporteur général a dit tout ce que le Sénat avait pensé et soutenu à l'époque sur les annulations de crédits. La problématique n'est-elle pas identique pour les estimations de recettes ? Le rôle des maires revient souvent à constater la « poche de précaution » réalisée par le directeur général des services. Ces recettes supplémentaires sont découvertes au bon moment sans avoir été clairement affirmées auparavant. Merci de confirmer ou d'infirmer mon impression.

M. Gabriel Attal, ministre délégué. - Ma réponse ne vous surprendra pas...

La prévision de croissance à 2,7 % a effectivement été jugée crédible par le HCFP. Dans la foulée, les données de l'Insee pouvaient laisser penser que l'objectif serait plus difficile à atteindre que prévu. Je rappelle qu'en juillet, le HCFP avait jugé un peu élevée la prévision de croissance qui était alors de 2,5 %, que l'Insee avait au contraire confirmée le lendemain. Pourquoi maintenons-nous nos prévisions ? Parce que l'activité continue de progresser, avec une augmentation de 2,8 % au dernier trimestre. Tout n'est pas florissant, j'en conviens, mais cela témoigne d'une économie résiliente. Les chiffres de la croissance sont même en hausse de 0,5 % - au deuxième trimestre - et de 0,2 % - au troisième trimestre -, et ce malgré la guerre en Ukraine. La production manufacturière progresse de 0,6 %. De plus, les premières enquêtes que nous avons réalisées auprès des entreprises sur le quatrième trimestre sont toutes favorables. En octobre, le climat des affaires de l'Insee est fixé à 102, ce qui suggère une croissance toujours dynamique. Par ailleurs, nos stocks de gaz sont remplis à plein pour l'hiver, éloignant le risque de rupture d'approvisionnement. Notre prévision de croissance pour 2022 est proche des dernières prévisions, à 2,6 % selon l'Insee, la Banque de France et l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), et à 2,5 % d'après le Fonds monétaire international (FMI).

Sur les autorisations d'emploi, le relèvement du plafond de plusieurs ministères à hauteur de 907 ETPT s'explique par la hausse du plafond pour le ministère de la justice - 691 ETPT -, dont nous voulons augmenter le réarmement, après une hausse de son budget de 40 % entre 2017 et 2023. Nous voulons aussi prévoir 8 500 postes supplémentaires de personnels de justice. L'augmentation du plafond des ETPT tire la conséquence du renforcement de la lutte contre les violences intrafamiliales, y compris au profit de la justice de proximité. Cette correction donnera effectivement lieu à un amendement de coordination dans le PLF pour 2023.

Le débat sur France compétences est légitime et important. Nous en avons déjà parlé lors du PLFR 1 ; la situation n'est pas satisfaisante et nous devons apporter des économies structurelles à cette institution.

D'abord, le succès de l'apprentissage conduit à une envolée des coûts-contrats des centres de formation des apprentis (CFA) de plus de 10 milliards d'euros. Selon la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), la hausse était, en août 2022, de 13 % par rapport à 2021. Ensuite, le compte personnel de formation (CPF) est désormais également financé par France compétences pour 3 milliards d'euros. Enfin, des recettes affectées au titre de la contribution unique à la formation professionnelle et à l'alternance (CUFPA) s'élèvent à 10 milliards d'euros, ce qui est insuffisant pour couvrir les besoins de financement.

Face à ce déséquilibre défavorable entre les recettes et les dépenses, l'opérateur a recouru à des emprunts de court terme onéreux. Les subventions de 2,8 milliards d'euros en 2021, de 4 milliards en 2022, et de 1,7 milliard d'euros prévus dans le PLF pour 2023 visent à éviter une rupture de trésorerie. Pour autant, même si nous nous réjouissons que le nombre d'apprentis soit passé de 300 000 en 2017 à plus de 700 00 aujourd'hui, nous avons décidé de déployer depuis la rentrée plusieurs mesures d'économie.

Nous ajustons les coûts-contrats aux coûts réels supportés par les CFA, conformément à la proposition n° 19 du rapport sénatorial sur France compétences de Mmes Frédérique Puissat, Corinne Féret et de M. Martin Lévrier, publié le 29 juin 2022. Entre 2022 et 2023, nous visons une baisse de 10 % des coûts-contrats dans les CFA, soit une économie de 800 millions d'euros. Ensuite, nous voulons mieux réguler le compte personnel de formation, en limitant la fraude et en éliminant du répertoire des formations qui n'ont pas vocation à être financées par le CPF. Nous avons retenu à l'Assemblée nationale, dans le cadre de l'article 49-3, un amendement permettant l'instauration d'une participation financière des bénéficiaires du CPF, telle que l'avaient proposé la Cour des comptes et la proposition n° 11 du rapport sénatorial précité. Nous allons négocier le montant de cette participation avec les partenaires sociaux, ce qui garantira de vraies formations.

D'autres mesures viseront à compléter ce plan de redressement. Nous serons très attentifs à vos propositions en la matière.

S'agissant des annulations de crédits, nous faisons plutôt des économies de constatation. Je vous rejoins, monsieur le rapporteur général, une partie d'entre elles avaient été identifiées cet été. Pour la mission « Plan d'urgence », nous annulons 500 millions d'euros sur 1 milliard d'euros. De même, l'annulation des 2 milliards d'euros sur les crédits ouverts pour les appels en garantie est un bon signe.

Enfin, monsieur le président, nous ne sous-évaluons pas les recettes, nous essayons de viser au plus juste. La prévision est toujours très difficile du fait des aléas, de la guerre, de l'inflation ; cela incite à une forme de prudence.

M. Didier Rambaud. - Vous venez de décliner ce PLFR, qui contient un mécanisme de soutien pour les universités, les opérateurs de recherche et les Crous, à hauteur de 275 millions d'euros. À Grenoble sont implantés des centres de recherche très importants. Comment cette aide sera-t-elle répartie entre eux ? Pouvez-vous nous en préciser le fonctionnement et les conditions d'attribution ?

M. Vincent Delahaye. - Je reviens sur les recettes, car j'avais déjà avancé l'argument d'une sous-évaluation en vue de l'élection présidentielle de 2022. La documentation concernant les hypothèses retenues est toujours trop peu fournie. Pour 2023, nous sommes plutôt face à une surévaluation, et le 1 % de croissance sera difficile à atteindre. Je me réjouis de l'augmentation des investissements de 2,8 %. Mais le plus inquiétant, c'est que les investissements productifs aient tendance à baisser.

Je m'inquiète aussi des dépenses de France compétences et de celles de guichet, à l'instar de l'aide médicale d'État (AME) dont j'ai dénoncé la situation. En outre, l'apprentissage ne cible pas toujours les personnes les plus éloignées de l'emploi. Cela m'interpelle, car j'ai tendance à ne pas dépenser plus que ce que je gagne. Fixons juste un montant annuel à ne pas dépasser.

Pour ce qui est des collectivités territoriales, un bouclier a été voté à l'été. Il ne touchera pas autant de communes que prévu. Dépensera-t-on réellement les 1,5 milliard d'euros ? Sur quels critères sera arrêté le soutien supplémentaire d'un milliard d'euros ?

Mme Christine Lavarde. - Ma première question est liée au bouclier tarifaire pour les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). J'ai cru comprendre que le Gouvernement avait pris des engagements, mais qu'en est-il pour 2022 ? Je ne vois rien dans le présent texte. Comment comptez-vous aider ce secteur ?

Ma seconde question porte sur l'article 2, qui modifie des versements à l'intérieur du compte d'affectation spéciale « Contrôle de la circulation et du stationnement routiers » ou « CAS Radars ». Son étude d'impact ne mentionne pas les effets pour les collectivités. Plus les prélèvements au titre de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) sont importants, moins la somme reversée diminue. Or les communes de plus de 10 000 habitants de l'Île-de-France sont obligées de reverser un montant fixe. Pouvez-vous nous donner des explications à ce sujet ?

Enfin, à l'Assemblée nationale, un amendement de suppression du CAS n'a pas été retenu. Pourtant, cette solution bienvenue avait été préconisée par l'exécutif. L'arbitrage aurait-il été en votre défaveur ?

Mme Vanina Paoli-Gagin. - Merci de cette présentation. Je partage tout à fait vos propos sur l'impératif de confiance. C'est pourquoi je voudrais mieux comprendre la portée des Fonds de compensation et de crédits frais pour les universités et les organismes de recherche.

Il me semble que le Fonds de compensation des coûts de l'énergie doit s'appliquer en 2023. Alors pourquoi ces crédits sont-ils ouverts en PLFR pour 2022, et non pas en PLF pour 2023 ? Le Fonds doté de 275 millions d'euros serait-il abondé par 150 millions d'euros de crédits frais ouverts dans le présent PLFR ? Les 125 millions d'euros complémentaires seraient-ils prélevés, d'une part, sur la réserve de précaution des opérateurs de recherche, et, d'autre part, sur les crédits dégagés par l'abaissement du nombre de boursiers ? Pourriez-vous nous apporter des éclairages à ce sujet ?

M. Christian Bilhac. - On se croirait au conseil municipal quand les trésors cachés apparaissent. À tout prendre, comme je suis plus pessimiste pour 2023, je préfère une surestimation des dépenses et une sous-estimation des recettes que l'inverse !

Sur la mission « Plan de relance », nous avons trouvé un équilibre avec 298 millions d'euros de moins sur l'écologie et 298 millions d'euros de plus sur la compétitivité. Hier, monsieur le ministre, vous avez évoqué les accompagnateurs de MaPrimeRénov' mais combien d'artisans abandonnent la certification RGE du fait de la complexité du montage du dossier à réaliser. Le mien a duré dix-sept mois ! Cela pourrait expliquer les crédits non consommés.

L'imprévisible ne peut être prévu, mais là, vous annulez 500 millions d'euros sur la dotation pour dépenses accidentelles et imprévisibles. Dispose-t-on d'un filet de sécurité ?

Enfin, le concours financier aux collectivités locales est amputé de 80 millions d'euros. De nombreux maires s'en plaignent. J'appelle à un peu plus de réactivité et de compréhension du terrain.

M. Vincent Segouin. - Vous avez dit que le chèque carburant irait dorénavant aux travailleurs. Comment réglerez-vous la question, sachant que le taux de chômage est très élevé et que les Français roulent surtout le week-end ?

Pouvez-vous nous rappeler quel est l'objectif du CPF ? Le sujet fait l'objet de nombreuses controverses. Existe-t-il un indice de résultat à ce sujet ?

À vous entendre, le prêt garanti par l'État (PGE) serait satisfaisant en raison du faible taux de contentieux. Envisagez-vous d'autres critères comme le nombre de radiations de sociétés - en hausse vertigineuse - et les fortes difficultés de trésorerie ?

M. Vincent Capo-Canellas. - Merci de votre présentation. Lors de chaque PLF et PLFR, il faut à la fois prendre en compte la situation économique et les crises pour s'adapter et ne pas casser la croissance. Sans compter les réponses à donner à nos compatriotes. Même si le solde s'améliore légèrement, nous restons dans une logique quelque peu dépensière. Face à cela, avec l'inflation, nous constatons une remontée des taux. Peut-on conserver encore longtemps une politique monétaire restrictive et une politique budgétaire accommodante ?

M. Daniel Breuiller. - Je me félicite à mon tour des crédits annoncés pour les universités, qui avec les hôpitaux disposent souvent de locaux vétustes. J'attends moi aussi des mesures concrètes après les annonces généreuses de bouclier tarifaire pour les collectivités territoriales.

Rapporteur spécial avec Emmanuel Capus des crédits de la mission « Travail et emploi », je vois plusieurs améliorations à apporter. Ainsi, que l'apprentissage soit sur des crédits ouverts ne me choque pas, car cette politique est un succès. En revanche, il faut en revoir les modalités : on ne traite pas de la même façon des bacheliers et des détenteurs d'un bac+3.

Vous annoncez la prolongation des boucliers carburant et tarifaire. Écologiquement et en termes d'équité, ils sont impossibles à soutenir dans la durée. Comment passer de réponses ponctuelles à des réponses de résilience quand la crise dure ? Ainsi, mieux vaut rénover un logement que financer son chauffage. Si l'on ne peut pas immédiatement investir 10 milliards d'euros dans la rénovation, il faut changer d'ordre de grandeur si l'on veut se sortir de la dépendance aux énergies fossiles. Vous m'avez d'ailleurs attristé avec la caricature que vous faites du vote Nupes.

Par ailleurs, peut-être ces mesures de résilience peuvent-elles offrir une protection plus importante pour les premiers mètres cubes et kilowattheures, avec un retour à des prix plus élevés pour les consommations supplémentaires.

M. Stéphane Sautarel. - La première loi de finances rectificative a compris certes des crédits pour les collectivités. Cependant, au regard du nombre de bénéficiaires, en deçà des attentes, et des conditions d'éligibilité et de mise en oeuvre sur le terrain, on pourrait presque s'attendre à des annulations de crédits non consommés... on se heurte à de grandes difficultés dans la réalité. L'objectif de soutien aux collectivités va-t-il se traduire concrètement sur le terrain ?

Ensuite, vous avez fait part du maintien des 30 centimes jusqu'à la mi-novembre, puis des 10 centimes jusqu'à la fin 2022 pour les carburants. J'insiste sur la dimension territoriale de ces besoins : la charge énergétique pour les ménages marque un écart entre ruraux et urbains, encore amplifié pour le carburant. Comment ceux qui ne peuvent s'en passer seront-ils accompagnés au-delà du 1er janvier 2023 ?

Mme Isabelle Briquet. - Nous examinons un second PLFR et commençons à peine le PLF, mais aucun projet de loi de règlement ne nous a été soumis depuis le rejet de cet été. En aurons-nous un à examiner pour 2021 avant de commencer l'exercice 2023 ?

M. Christian Klinger. - Vous avez mentionné dans le cadre du PLFR 2 milliards d'euros d'ouvertures de crédits pour les rémunérations publiques, avec 907 ETP créés pour l'État dont 691 au ministère de la justice - ce point ne fait gère l'objet de débats. En revanche, 174 ETP sont créés pour les opérateurs de l'État, parmi lesquels 80 pour les agences régionales de santé (ARS). Certes, celles-ci se voient confier de nouvelles missions pour le contrôle des Ehpad, mais n'aurait-on pas pu réaffecter le personnel existant, dont l'effectif a augmenté avec la pandémie ?

53 ETP sont en outre créés pour les services du Premier ministre : en matière de sobriété, on aurait pu faire mieux... De façon plus générale, ne pourrait-on pas gérer les effectifs de manière plus serrée et plus sérieuse pour le non-régalien ?

M. Michel Canévet. - Réjouissons-nous que le solde public s'améliore dans le PLFR, mais le groupe UC reste inquiet. Ainsi, l'aide au carburant, plutôt que d'être une demande de guichet, devrait davantage cibler les personnes qui en ont besoin pour se rendre à leur travail. La sortie du dispositif sera difficile : lundi, je constatais que le litre de carburant était à 1,90 euro, soit 2,20 euros une fois les aides expirées. La situation sera épineuse pour les campagnes. Je vous rappelle que, lors de la crise des gilets jaunes, le carburant n'était qu'à 1,50 euro... Il en va de même pour le secteur de la pêche, car il n'y a pas d'autre recours que le carburant pour les navires, dont certains risquent de rester à quai à cause d'un fioul dépassant un euro le litre.

Hier, nous évoquions la loi de programmation des finances publiques en faisant part de nos inquiétudes sur les créations de postes en dépit de la stabilité mentionnée par ce projet de loi. On dépasse les 10 000 créations dans le PLF pour 2023 et 907 au titre de ce PLFR. Dans ces conditions, la stabilité des effectifs sera difficile à tenir. On ajoute encore des postes aux ARS après une première augmentation liée à la crise covid : ces dépenses récurrentes vont peser sur nos comptes.

L'exemple doit venir d'en haut : la création de 50 postes supplémentaires en cabinets ministériels n'est pas un bon signal.

Je reviens à la taxe sur les superprofits. Nous apprécions la présence de l'État auprès de ceux qui sont en difficulté, mais gardons le souci des comptes publics ! Certes, le produit de l'impôt sur les sociétés augmente, mais à situation exceptionnelle, recettes exceptionnelles. Notre budget souffre d'un déficit de 160 milliards d'euros : à un moment, nous n'arriverons plus à nous financer. Gare au défaut de paiement.

M. Gabriel Attal, ministre délégué. - Monsieur Didier Rambaud et madame Vanina Paoli-Gagin, sur le fonds d'aide aux universités, 150 millions d'euros de crédits sont bien prévus, auxquels s'ajoute l'effort de marge existante sur les programmes, qui aurait pu être annulé. Distinguer comme vous le faites des crédits « frais » n'a donc pas forcément de sens. Dans le détail, 275 millions d'euros sont abondés pour 2022, pour passer l'hiver. Le programme 150, pour les universités, fait l'objet d'une ouverture de 144 millions d'euros au lieu d'annulations de 55 millions d'euros. Le programme 172, pour les opérateurs de recherche, comporte lui une annulation de 60 millions d'euros au lieu des 115 millions d'euros initialement prévus, soit un gain de 55 millions d'euros. Enfin, le programme 231, sur la vie étudiante, fait l'objet d'une annulation de 68 millions d'euros au lieu de 88 millions d'euros - un gain de 20 millions d'euros. 5 millions d'euros s'y ajoutent pour répondre aux autres besoins des Crous.

Pour la sollicitation des crédits par les universités, je vous renvoie aux travaux en cours et aux précisions que vous communiquera Sylvie Retailleau, qui y travaille avec les opérateurs des universités et de la recherche. Nous avons déjà arbitré un versement en deux temps, homogène tout d'abord à la fin 2022 puis tenant compte de la situation des établissements. La partie non versée en 2022 sera reportée sur 2023.

Monsieur Vincent Delahaye, certes, le projet de loi de finances détaille les recettes, mais pas toujours ce qui sous-tend les prévisions. Si nous n'atteignions pas 1 % de croissance, cela se ressentirait bien sûr sur les recettes. Pour la sécurité sociale, nous prenons l'hypothèse d'une hausse de 5 % de la masse salariale en 2023 après 8,6 % en 2022, soit une hausse de 22,7 milliards d'euros des cotisations en 2023 après celle de 26,8 milliards d'euros en 2022.

Vous avez mentionné France compétences et les primes à l'embauche pour l'apprentissage. Elles sont financées sur le budget de l'État, pas par France compétences, ce qui n'empêche pas de faire des économies, que je promeus. Les crédits alloués au ministère du travail à ces fins ne couvrent pas tous les besoins : le ministère devra donc travailler à un nouveau barème des primes, que présentera Olivier Dussopt. Un soutien différencié, plus important par exemple en dessous du bac, peut être envisagé. Le décollage de l'apprentissage a commencé, de peu, avant les primes, dès l'aide unique à l'apprentissage. Cette simplification a permis une hausse, c'est pourquoi une révision du barème ne devrait pas faire s'effondrer l'apprentissage. Oui, il y a des économies à faire sur France compétences et sur le CPF. Celui-ci doit-il vraiment financer certaines formations - par exemple, 8 millions d'euros pour les massages bien-être et 11 millions d'euros pour la sophrologie ? Par ailleurs, 500 millions d'euros financent les tests de langue. Si ces derniers sont utiles, ils relèvent de la certification et non de la formation.

Messieurs Vincent Delahaye et Stéphane Sautarel, le filet de sécurité que vous aviez voté pour 2022 s'élevait à 430 millions d'euros, il sera de 1,5 milliard d'euros pour 2023. Après le vote de cette mouture 2022, issue d'une initiative socialiste et adoptée à l'unanimité par l'Assemblée nationale puis modifiée par le Sénat, les services de l'État ont proactivement contacté 8 500 collectivités pour les en informer. Ainsi, 1 500 demandes d'acompte ont été reçues et 750 sont déjà acceptées. Chaque semaine, mon cabinet contactera par courriel les sénateurs et les députés pour leur communiquer les acomptes reçus par les communes de leur département.

Le filet de sécurité 2023 est modifié par un amendement parlementaire maintenu dans le cadre du 49.3. Je m'en remets à la sagesse sénatoriale sur ce sujet. Le montant est plus que triplé : notre objectif est qu'il soit bien employé.

Christine Lavarde, pour chaque exercice, un PLFSS rectificatif est intégré au PLFSS de l'année suivante - la deuxième partie. Nous y prévoyons une enveloppe de 800 millions d'euros pour faire face aux surcoûts de l'inflation dans le secteur hospitalier et médico-social, montant travaillé avec les fédérations. Le besoin exprimé était de 1,1 milliard d'euros. Il est satisfait en prenant en compte les 300 millions d'euros initialement provisionnés Je remercie la rapporteure générale de la commission des affaires sociales du Sénat d'avoir rétabli cet élément supprimé par une coalition des oppositions à l'Assemblée nationale.

Nous étudions la rebudgétisation du compte d'affectation spéciale (CAS) « Contrôle de la circulation et du stationnement routiers », dit « Radars », notamment au regard de la révision de la LOLF intervenue en 2021 qui appelle à une rationalisation des dispositifs extra-budgétaires. Toutefois cela nécessite une concertation avec le ministre de l'intérieur, les collectivités locales et l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf). J'y suis pour ma part favorable.

Monsieur Bilhac, oui, l'objectif est de simplifier les choses pour les collectivités et pour les particuliers. Mes collègues Olivier Klein et Christophe Béchu vous répondront de façon plus précise sur ce sujet.

La dotation pour les dépenses accidentelles et imprévisibles diminue de 1 milliard d'euros à 500 millions d'euros.

Monsieur Vincent Segouin, sur le chèque carburant travailleur, nous serons sans doute proches de l'indemnité carburant travailleur que nous avions proposée au Parlement cet été afin de sortir de la ristourne au profit d'un dispositif plus ciblé. Toutefois nos discussions avec le groupe Les Républicains de l'Assemblée nationale, nécessaires pour avoir une majorité sur ce texte, nous ont conduits à cette ristourne augmentée.

M. Michel Canévet. - Ce n'était pas le meilleur choix...

M. Gabriel Attal, ministre délégué. - Je propose que la DGFiP vous présente le nouveau dispositif : celui-ci est simple et son premier critère est d'avoir des revenus d'activité. Cela exclut certes des personnes, dont les retraités, mais, il faut bien cibler. Vos numéros de télédéclarant et de carte grise suffisent pour obtenir un versement sous 3 à 5 jours. Le dispositif tel qu'il a été présenté cet été devait bénéficier à 12 millions de personnes. Je précise, monsieur Stéphane Sautarel, qu'il comprend une bonification en fonction de la longueur du trajet déclarée. Cette partie déclarative pourra d'ailleurs s'assortir de contrôles aléatoires.

Monsieur Vincent Segouin, la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel avait pour objectif de démocratiser l'accès à la formation professionnelle avec le CPF à raison de 500 euros par an, plafonnés à 8 000 euros. Ce système en euros est nettement plus simple que le précédent, qui s'entendait en volume horaire. Cela étant, la dépense augmente, avec un prix moyen de 1 420 euros pour une formation en 2022, soit 14 % de plus qu'en 2019. En outre, certaines prestations sont déconnectées de l'objectif de montée en compétences.

Je suis d'accord avec vous, la sinistralité des PGE doit être examinée avec plus de précision. Il y a bien une remontée des défaillances d'entreprises, avec 37 000 défaillances d'octobre 2021 à septembre 2022, mais cela reste 28 % de moins qu'en 2019, avant la crise sanitaire. Nous sortons du « quoi qu'il en coûte », donc la sinistralité augmente, mais reste basse. Sur la chute de trésorerie, nous constatons que les marges restent importantes en moyenne, mais cela cache des disparités : de fait, les marges baissent nettement dès qu'on retire le secteur de l'énergie.

Monsieur Vincent Capo-Canellas, Bruno Le Maire a porté le même message que vous hier à l'occasion de l'examen de la loi de programmation pour les finances publiques. Nous sommes sortis de la parenthèse de l'argent gratuit, c'est pourquoi il faut passer du « quoi qu'il en coûte » au « combien ça coûte ». La charge de la dette rend sensibles les évolutions de taux, ce qui exige du sérieux budgétaire, d'où le retour sous les 3 % du PIB en termes de déficit public en 2027. Un ajustement plus rapide risquerait cependant d'abîmer notre dynamique de croissance, au détriment de notre solde budgétaire. Je salue d'ailleurs l'adoption par le Sénat de la loi de programmation des finances publiques.

Monsieur Daniel Breuiller, nous préférerions tous mettre de l'argent dans la rénovation plutôt que dans le chauffage. Cependant, de façon pragmatique, les factures augmenteront de 120 % en un an si on ne fait rien, et la filière BTP ne pourrait pas absorber immédiatement tous les efforts de rénovation nécessaires. Il faut soutenir les Français, particulièrement ceux qui en ont le plus besoin, et investir à long terme dans la rénovation énergétique et la reconversion du parc automobile.

Madame Isabelle Briquet, l'examen du PLF 2023 est conditionné non pas à l'adoption, mais à la mise au vote du projet de loi de règlement. Sa constitutionnalité n'est donc pas remise en cause. Nous continuons cependant à échanger sur les conséquences du rejet inédit depuis bien longtemps d'un projet de loi règlement. Si ce rejet est sans impact sur les comptes, il n'est pas certain qu'il faille déposer un nouveau texte qui sera de toute façon rejeté par l'Assemblée nationale.

Monsieur Christian Klinger, vous l'avez dit, les ETP supplémentaires pour les ARS ont pour objet de contrôler les Ehpad à la suite de l'affaire Orpea. Nous pourrons sans doute dégager des marges pour la suite.

Monsieur Michel Canévet, le mouvement des gilets jaunes a suivi une décision du Gouvernement d'augmenter les prix du carburant. Tel n'est pas le cas dans la situation actuelle, car nous faisons face à un renchérissement global des prix. Cela peut être désagréable à entendre, mais nous ne pouvons pas payer une ristourne à vie. Sa prolongation de 15 jours, annoncée par la Première ministre, représente un coût de 440 millions d'euros. En outre, la ristourne finance le plein des frontaliers et les départs en week-end. Il faut cibler l'accompagnement.

Nous sommes vigilants sur la pêche, avec un financement complémentaire - un top up - prolongé de 2 mois avec une remise de 35 centimes. Hervé Berville veille à protéger nos pêcheurs. Enfin, la Première ministre m'a donné mandat pour une stabilité des effectifs d'ici à la fin du quinquennat. Des créations de postes - 8 500 pour la police, justice, 3 000 pour les armées - sont déjà prévues. Il faudra redéployer des effectifs. Ceux de Bercy seront mis à contribution, mais la ressource n'est pas illimitée.

Alors que nous avions été accusés cet été de manoeuvres dilatoires en remontant la question au niveau européen, il y a désormais une taxation européenne des superprofits qui se traduit dans le PLF, pour 7 milliards d'euros de recettes supplémentaires. Était initialement proposée une taxation de tous les secteurs : nous ne sommes pas d'accord, car tous ne profitent pas de l'inflation. Si la France est redevenue, selon le cabinet EY, le pays le plus attractif d'Europe pour les investissements et retrouve des créations nettes d'emplois dans l'industrie et d'usines après des années d'hémorragie, c'est grâce à la stabilité fiscale. C'est pourquoi nous limitons la taxation exceptionnelle aux profits indus. Nous en débattrons dans l'hémicycle.

M. Claude Raynal, président. - Je vous remercie.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Projet de loi de finances pour 2023 - Mission « Enseignement scolaire » - Examen du rapport spécial

M. Gérard Longuet, rapporteur spécial de la mission « Enseignement scolaire ». - Je présente pour la dernière fois aujourd'hui mon rapport sur un budget dont je suis rapporteur spécial depuis longtemps. En considérant ce projet de loi de finances pour 2023, j'éprouve une petite satisfaction. En effet, depuis près d'une dizaine d'années, nous considérons qu'en matière d'enseignement scolaire nous devons nous intéresser au qualitatif plus qu'au quantitatif. Cela nous a notamment opposés à la politique menée pendant le quinquennat du président Hollande, qui jouait la quantité.

Jean-Michel Blanquer, quant à lui, a essayé de prendre en compte deux idées émises par le Sénat, la première consistant donc à ne pas sacrifier le qualitatif. La seconde, à laquelle nous pouvons tous souscrire, quelles que soient nos options politiques, et que le Sénat a soutenue de façon systématique, vise à mettre l'accent sur l'école primaire. En effet, la réussite scolaire se joue dès le premier degré, qui a toujours été un peu sacrifié rue de Grenelle tant il est vrai que, dans ce beau ministère, il vaut mieux être agrégé qu'instituteur.

Pour que ces deux visions s'imposent, les comparaisons avec les pays européens et ceux de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ont joué un rôle important. Ainsi, les débats franco-français sur le sujet ont fini par être tranchés depuis l'extérieur. Le travail des ministres successifs a été considérablement facilité dès lors qu'ils acceptaient de ne plus considérer la France comme le centre de tout, se mettant alors à comparer le pays aux autres en termes de coûts et de résultats. Notre école est la meilleure du monde et nous commémorons religieusement les hussards noirs de la République ! Mais les temps ont changé et le Programme international pour le suivi des acquis des élèves (Pisa) fixe la norme plus sûrement que Le Grand Meaulnes, pour lequel nous continuons de nourrir le plus profond respect. Finalement, ce classement Pisa nous a aidés à débattre de façon apaisée des meilleures manières de faire fonctionner notre enseignement scolaire.

J'éprouve une autre petite satisfaction, que vous devez partager en tant que membres de la commission des finances. En effet, nos rapports sur le recrutement des enseignants de mathématiques et sur les rémunérations des enseignants en Europe ont autorisé certains à considérer la revalorisation des salaires du corps enseignant non plus comme un acte d'allégeance à un syndicalisme conservateur, mais comme une mesure de bon sens, qui permettrait à nos jeunes de se retrouver face à des enseignants meilleurs et plus motivés .

Je ne suis pas un soutien fanatique du Gouvernement - je ne suis pas non plus d'ailleurs un opposant fanatique. Cependant, j'ai de la considération pour la contribution de Jean-Michel Blanquer au Grenelle de l'éducation.

Par ailleurs, le despotisme éclairé qui imprègne tant notre République a permis au président Macron, en vacances à Marseille, de découvrir que l'école française n'allait pas très bien et de prendre des dispositions. Il a ainsi lancé une opération d'innovation reposant notamment sur l'idée - notre commission l'a toujours défendue - de l'autonomie des établissements et de la responsabilité affirmée de leurs chefs. Cette idée est encore très expérimentale et on en mesure mal les contours, comme souvent lorsqu'elles font l'objet de déclarations ayant pour vocation de passionner l'opinion le temps d'un journal télévisé. Il est difficile d'identifier ensuite leur cheminement. En effet, je rappelle que l'éducation nationale compte plus d'1,2 million de personnes rémunérées et que 860 000 enseignants font face à leurs élèves, qu'ils soient du secteur public ou du secteur privé sous contrat. Ainsi, chaque idée géniale émise au sommet traverse un temps d'hystérésis avant de parvenir à la base et d'obtenir des résultats effectifs. Cependant, mieux vaut que ces orientations soient bonnes que mauvaises et ces idées d'autonomie, de responsabilité et de liberté pour les établissements créent un climat intéressant.

Revenant au budget, je ferai deux premières remarques.

D'abord, en ce qui concerne les effectifs, si l'on écarte le problème des accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH) sur lequel je reviendrai, nous observons une sorte de stabilité puisque le schéma d'emploi connait une très légère baisse de 1 600 postes pour un effectif de 860 000.

Néanmoins, en ce qui concerne le qualitatif, je note une forte croissance des dépenses salariales puisqu'elles augmentent de 3,6 milliards d'euros, s'élevant à près de 59 milliards d'euros. Un tiers de cette hausse, soit 1,2 milliard d'euros, correspond à la revalorisation de 3,5 % du point d'indice, qui pèse sur les budgets et bénéficie à tous les fonctionnaires de l'État et des collectivités locales.

Ensuite, des mesures catégorielles de hausse des rémunérations traduisent la volonté de soutenir particulièrement la situation matérielle des enseignants. Elles correspondent à la mise en oeuvre des mesures du Grenelle, à une revalorisation « socle » des rémunérations et à une revalorisation conditionnelle. Ces mesures représentent 1,1 milliard d'euros, ce montant étant significatif. Enfin, une dernière enveloppe de 770 000 millions d'euros sera consacrée au glissement vieillesse technicité (GVT).

J'en viens à présent à des problèmes qui ont déjà été évoqués, n'ont pas été réglés et continueront, j'en suis sûr, de préoccuper mes successeurs. Il s'agit d'abord de la difficulté de recrutement. Ainsi, en 2018, 135 000 candidats se présentaient encore aux concours de la fonction publique de l'éducation nationale. Aujourd'hui, ils ne sont plus que 90 000, soit 50 % de moins. Plus grave encore, les postes ont été pourvus en 2018 à hauteur de 95 % par les candidats ayant été admis, mais ils ne sont plus couverts qu'à 83 % en 2022. En outre, la durée des études supérieures ne cesse d'être allongée et il faut désormais avoir obtenu un master 2 pour se présenter à ces concours, ce qui contribue à compliquer le recrutement des enseignants. Il existe des solutions qui ne sont pas faciles à mettre en oeuvre, certains problèmes relevant de questions de société.

À ce titre, je voudrais évoquer deux sujets pour poser le débat. D'abord, il existe des différences de recrutement entre les matières. En effet, certaines formations comme les mathématiques, la chimie ou les sciences physiques, ouvrent de nombreux débouchés dans le secteur privé, plus attractif en termes de salaires, poussant ainsi les étudiants à se détourner de la fonction publique. Certes, ce problème touche moins les étudiants de latin et grec...

Ensuite, le coût et l'agrément de la vie ne sont pas les mêmes partout en France et, si l'Île-de-France peut faire figure de meilleur territoire pour conduire une brillante carrière, il reste l'un des plus chers et l'un des plus difficiles pour tous les métiers du service public.

Le recrutement régional et le recrutement par matières posent donc la question de la différenciation des revenus. Certains pays européens l'acceptent par matières et d'autres, comme l'Allemagne, le pratiquent par territoires. De notre côté, nous appliquons l'unité et cela aboutit parfois à des situations assez cocasses. Ainsi, quand seuls les enseignants les mieux payés peuvent se permettre d'accepter des postes dans des régions comme l'Île-de-France, c'est là que l'on trouve le plus de jeunes, ces postes étant les plus difficiles et les moins choisis par les enseignants expérimentés.

Par ailleurs, si l'on compare les salaires de nos enseignants à ceux des autres pays européens, seuls les professeurs français du secondaire, quand ils sont en deuxième, voire en troisième partie de carrière - en classe exceptionnelle - reçoivent des salaires comparables aux moyennes européennes. Les autres sont en dessous, voire nettement en dessous quand il s'agit des enseignants du primaire. Ainsi, en 1990, un professeur des écoles débutant touchait 1,8 fois le SMIC, contre 1,5 fois aujourd'hui. En fin de carrière, un agrégé de classe exceptionnelle touchait alors 4,6 fois le SMIC, contre 3,3 fois aujourd'hui. Quand la mécanique vous rapproche du salaire minimum, il devient difficile de se sentir motivé et heureux ; c'est une affaire de statut.

Pour faire face à ces difficultés, nous avons recours aux primes et nous sommes le pays d'Europe qui en compte le plus, quatorze étant identifiées. Elles représentent entre 9 % et 15 % du salaire, ce qui est très inférieur à ce qu'elles peuvent représenter au ministère de l'intérieur par exemple. Les enseignants, cadres A du ministère de l'éducation nationale, ont donc des revenus comparables à des cadres B du ministère de l'intérieur. Là encore, ces différences n'incitent pas vraiment à se présenter aux différents concours.

Par ailleurs, les heures supplémentaires offrent aussi une solution. Elles ont un impact significatif, mais profitent plutôt à ceux qui sont déjà les mieux payés. Ainsi, un enseignant en classe préparatoire aux grandes écoles (CPGE) touche en moyenne trois heures et demie supplémentaires, alors que dans les collèges la moyenne est d'une heure et quart pour chaque enseignant. La formule des heures supplémentaires est bonne puisqu'elle permet d'apporter un peu de souplesse. En effet, elles permettent d'avaler des bosses et des difficultés liées à l'évolution démographique et à la résistance opiniâtre que mènent les élus locaux comme nous, puisque nous faisons tout pour maintenir nos collèges ouverts quels que soient les effectifs. Ce faisant, nous ne tenons pas compte d'une réalité : les jeunes ne sont plus forcément présents là où nous sommes élus. Ainsi, le Sud-Ouest, l'Occitanie ou la Bretagne ont des besoins grandissants, mais ce n'est pas le cas du Grand Est, que je représente, où la population évolue de façon négative. Comme nous n'augmentons pas le nombre global des enseignants, pour des raisons légitimes, il faut trouver des solutions partielles et les heures supplémentaires en apportent une. Il faudrait néanmoins élargir la marge de manoeuvre en la matière.

J'en viens aux effets bénéfiques du Grenelle. L'équipement en matériel informatique a été bien accueilli, la prime d'attractivité a eu le mérite de viser les jeunes enseignants débutants, en particulier dans les réseaux d'éducation prioritaire (REP), et la prime de soutien aux chefs d'établissements était bienvenue.

En ce qui concerne les orientations affichées par le Président de la République cet été, une formule assez spectaculaire a été retenue : pas moins de 2 000 euros net par mois pour tous les enseignants. Il s'agit d'une belle opération de communication, mais l'augmentation de 10 % va coûter 1,9 milliard d'euros en année pleine. En outre, j'aimerais connaitre la répartition du socle dans le détail, pour savoir si l'on s'attaque enfin au retard que connaissent les enseignants en début de carrière en termes de salaires, ce retard représentant la faiblesse principale de notre système de rémunération.

Par ailleurs, le « pacte » représenterait jusqu'à 10 % des revenus supplémentaires de l'enseignant, en contrepartie d'engagements pour les enseignants volontaires. Cette enveloppe s'élèverait à 900 millions d'euros en année pleine, en fonction du nombre d'enseignants qui y participeraient.

On ne connait ni la répartition du socle ni les contreparties du pacte et, si je suis plutôt favorable à ces deux mesures, j'aimerais que le ministre s'explique.

En ce qui concerne la question des salaires, je rappelle que l'Allemagne paye ses enseignants en moyenne 50 % de plus que la France. Cependant, elle leur demande 35 heures de présence effective dans les établissements. Avec des durées de cours comparables à celles de notre pays, il s'agit donc pour eux d'assurer des missions d'encadrement des élèves afin d'atteindre ces 35 heures hebdomadaires, sachant que le nombre de semaines travaillées par an est à peu près similaire au nôtre.

Je tiens aussi à évoquer la préprofessionnalisation. Je regrettais plus tôt dans mon propos que l'on mette cinq ans pour accéder aux concours de l'éducation nationale. Cette mesure permet à des étudiants stagiaires d'être déjà présents dans l'enseignement ; elle me semble bonne et commence à être significative.

J'en arrive au problème des AESH, qui tient en particulier à l'absence de lien entre la décision prise par les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) et l'éducation nationale - élèves, enseignants et établissements. Or nous faisons face à une inflation spectaculaire, puisque le nombre de bénéficiaires a pratiquement doublé en dix ans, pour atteindre 400 000 élèves aujourd'hui. Parmi les 333 000 employés de l'éducation nationale qui ne sont pas enseignants, on compte 123 000 AESH, qui ne travaillent pas à temps plein. Leur statut a été amélioré, mais un problème de cohérence demeure entre la politique des MDPH et les capacités de l'éducation nationale à accueillir et à gérer financièrement ce dispositif. L'école inclusive représente un budget de 4 milliards d'euros pour environ 400 000 élèves, qui méritent d'être soutenus, mais qui devraient l'être dans le cadre d'une meilleure coopération entre ceux qui prescrivent et ceux qui organisent.

Sur un tout autre sujet, je prends note d'un motif de fierté. En effet, l'éducation nationale a accueilli 20 000 élèves ukrainiens, essentiellement en Île-de-France, en Auvergne-Rhône-Alpes et dans le Midi. Cet accueil a entrainé un recrutement de contractuels ukrainiens - ils sont à mes yeux essentiels -, afin que ces élèves conservent un lien avec leur monde culturel d'origine, puisqu'ils ont vocation à revenir en Ukraine, selon le souhait exprimé par les familles.

Enfin, nous l'avons évoqué tout à l'heure avec Gabriel Attal, nous observons un début d'évolution quant à la réforme des lycées professionnels. Je signale qu'une concurrence assez sévère ne devrait pas manquer de s'établir entre le statut de l'apprenti, qui est un salarié, et celui du stagiaire, qui travaille en alternance et reçoit des gratifications qui ne sont pas nécessairement compétitives. J'ignore quelle est la stratégie à suivre, mais nous avons la chance d'accueillir le rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, qui pourra donner son avis.

Après avoir bien réfléchi, je vous propose d'adopter ces crédits. Cependant, il faudra poser en séance publique des questions auxquelles le ministre doit répondre. D'abord, il faudra poser une première question visant à obtenir des explications sur deux sujets : la répartition du socle et les contreparties du pacte, notamment pour savoir si, comme l'a évoqué le président Macron, on s'apprête à proposer aux chefs d'établissements des enseignants plus disponibles pour des tâches différentes.

La seconde question que je voudrais poser au ministre concerne l'élitisme républicain. J'en suis issu, j'ai passé les concours administratifs : sans ces lycées ou établissements sous contrat, mon parcours aurait sans doute été différent. Je souhaite que le ministre conserve ces établissements qui tirent notre système vers le haut. Il ne faut pas les supprimer au prétexte qu'ils concentreraient les meilleurs élèves. Ce n'est pas ainsi qu'on aidera les autres. Lorsque je dirigeais la région Lorraine, j'ai ouvert, en lien avec le directeur de Science Po-Paris, les premières filières en province d'accès direct à Science Po dans les lycées professionnels. Cela a fonctionné. Mais lorsque l'on a la chance de disposer de professeurs de classes préparatoires de grand talent, d'élèves motivés et de familles prêtes à les soutenir, il ne faut pas se priver d'un tel système. Ce n'est pas en sacrifiant la rive gauche que l'on aidera la Seine-Saint-Denis ! Je serai donc attentif aux propos de notre ministre. Mon expérience me montre que le diable se cache dans les détails, mais on ne le découvre souvent que lorsque l'on n'est plus ministre...

M. Jacques Grosperrin, rapporteur pour avis de la commission de la culture sur la mission « Enseignement scolaire ». - Je remercie le rapporteur spécial pour son analyse précieuse. Je n'évoquerai pas la préparation de la rentrée scolaire. La chute du nombre de candidats dans les concours de recrutement est préoccupante. Les conséquences s'en feront sentir à long terme.

Ce projet de loi de finances traduit des efforts significatifs pour améliorer la rémunération des enseignants. Le retard accumulé était considérable. Il est essentiel que ce choc d'attractivité se poursuive, mais cela reste incertain. J'espère que le ministre nous rassurera. La revalorisation engagée depuis le Grenelle de l'éducation de 2021 a rencontré des difficultés. Le ministre a raison de refuser que des enseignants puissent gagner moins de 2 000 euros par mois. En 2020, un professeur des écoles gagnait 1 961 euros net en début de carrière, un professeur certifié, 2 056 euros, un professeur de lycée professionnel, 2 130 euros, et un professeur agrégé, 2 400 euros. C'est trop peu. Au-delà de l'aspect financier, il y va aussi de la considération sociale.

Il convient aussi d'améliorer les conditions d'exercice du métier. Mais il est à craindre que ces mesures ne suffisent pas, tant le problème est profond. Le rapporteur spécial a évoqué le schéma d'emplois. On aurait pu imaginer qu'au lieu de supprimer 2 000 postes d'enseignants on réduise le nombre d'élèves par classe.

M. Gérard Longuet, rapporteur spécial. - En une dizaine d'années, le nombre de naissances par an en France est passé de 840 000 à 760 000. C'est une tragédie pour notre pays, et cela signifie que les effectifs d'une classe d'âge baisseront de 10 %.

M. Jacques Grosperrin, rapporteur pour avis. - En effet, la baisse du nombre d'élèves est considérable. Nous pourrions peut-être toutefois profiter de cette situation pour renforcer l'encadrement éducatif.

Je suis inquiet lorsque je constate que 30 % des démissions sont le fait de nouveaux professeurs. Cela reflète les difficultés ou le malaise des enseignants stagiaires. De plus, ces démissions ont souvent lieu en début d'année scolaire. Je ne parlerai pas de la formation express de quatre jours des enseignants contractuels...

J'espère donc que les revalorisations renforceront l'attractivité de ce beau et noble métier d'enseignant. Au-delà des chiffres, nous attendons aussi du ministre qu'il nous livre sa vision de l'éducation nationale. Nous l'avons peu entendu à ce propos.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je remercie notre rapporteur spécial pour son analyse étayée par l'expérience. Il a évoqué les difficultés de recrutement, mais de plus en plus d'enseignants abandonnent en cours de carrière. Peut-on chiffrer et comment expliquer cette évaporation des effectifs ? Celle-ci complique la tâche de l'éducation nationale pour piloter la ressource humaine.

En ce qui concerne les AESH, notre rapporteur spécial plaide pour une meilleure articulation entre l'éducation nationale et les MDPH, qui relèvent des conseils départementaux. Je plaide plus généralement pour une meilleure articulation avec les collectivités territoriales. L'État et les collectivités signent des conventions pour organiser la coordination des activités scolaires et périscolaires dans les écoles, mais le recrutement des AESH dépend uniquement de l'État. De plus, il s'agit souvent de contrats à temps partiel, non à temps complet, et les rémunérations ne sont pas très élevées. Il conviendrait donc que l'État et les collectivités se coordonnent davantage pour renforcer l'attractivité de ces métiers. J'espère que la création de 4 000 postes d'AESH prévue dans ce projet de loi de finances ne sera pas qu'un effet d'affichage !

M. Michel Canévet. - Je remercie le rapporteur spécial pour sa présentation, son expertise et son franc-parler. Je ne savais pas que l'on comptait 123 000 AESH. Dans la mesure où les MDPH dépendent des départements, ne serait-il pas logique de leur confier totalement la gestion des AESH en décentralisant ? Cela serait source d'économies.

Les enseignants choisissent de partir en retraite tôt, car ils n'en peuvent plus. Ne pourrait-on trouver une formule pour que les enseignants en fin de carrière accompagnent les jeunes professeurs ?

Je me fais le porte-parole de Vincent Delahaye, qui voulait poser deux questions. Il constate que le nombre d'élèves a diminué de 2,7 % en deux ans alors que le nombre de professeurs a baissé de 0,2 %. Il voudrait savoir si le nombre de professeurs par élève en France n'est pas supérieur à la moyenne européenne ? En outre, sur 1,2 million de personnels du ministère, 860 000 sont enseignants. Que font les 340 000 autres ? Ne pourrait-on réaliser des économies ?

M. Éric Jeansannetas. - Je remercie notre rapporteur spécial ainsi que le rapporteur pour avis. Nous partageons globalement les inquiétudes et les points de vigilance qui ont été évoqués.

La « revalorisation socle » peut poser des difficultés de motivation du corps enseignant en général.

Les besoins en effectifs enseignants étaient réels. En dépit des appréciations portées sur le quinquennat du président Hollande, le quantitatif a permis que nous entrions, aujourd'hui, dans la phase qualitative. La crise du recrutement que nous connaissons aujourd'hui - 83 % des postes pourvus, appel massif au recrutement de contractuels - peut remettre le qualitatif en question. Nous devons être vigilants.

Vous avez mentionné les « préprofesseurs ». Je pense que les « prévocations », qui peuvent amener les meilleurs élèves à vouloir embrasser la carrière d'enseignant, peuvent être une piste. C'est tout simplement l'avenir de notre pays qui est en jeu.

Nous constatons que le budget permet d'envisager des améliorations tangibles, mais nous attendons du ministre des explications plus précises sur la répartition du socle et du pacte, qui nous semble quelque peu complexe à mettre en place parce que beaucoup de tâches sont aujourd'hui effectuées par les enseignants. S'agit-il de valoriser ce que font de fait aujourd'hui la plupart des enseignants dans les établissements scolaires ?

Nous nous abstiendrons du fait des points de vigilance et des inquiétudes qui ne sont pas levés, notamment s'agissant de la crise du recrutement. Que l'on ait perdu autant de candidats en quatre ans pose véritablement question. La rémunération est une explication, mais il y en a sans doute d'autres.

M. Didier Rambaud. - Étant fils d'un professeur agrégé de mathématiques, lui-même fils d'un petit boulanger de montagne, j'ai été ému par ce qu'a dit notre rapporteur spécial sur l'élitisme républicain.

J'insiste sur la baisse des effectifs. Hier soir, vous avez évoqué, en séance, 500 000 élèves en moins. Cette diminution ne sera pas sans conséquence sur les futurs budgets de l'éducation nationale. Qu'en fera-t-on ? Choisira-t-on de travailler davantage sur le qualitatif ou de donner un coup de rabot budgétaire ?

Il faut mieux cerner cette baisse des effectifs. Va-t-elle impacter l'enseignement primaire davantage que l'enseignement secondaire ? Impactera-t-elle de manière homogène tous les territoires ? Une fermeture de classe est moins anodine dans un secteur rural de montagne que dans un groupe scolaire d'une grande ville...

M. Vincent Segouin. - Ma question n'est pas de nature budgétaire : elle porte sur le qualitatif. L'autorité des professeurs va-t-elle revenir au goût du jour ? Le redoublement sera-t-il dorénavant perçu comme un outil qui permet aux enfants d'atteindre un niveau compte tenu de leur maturité ? Je m'interroge sur les erreurs du passé.

M. Antoine Lefèvre. - Je veux interroger notre rapporteur spécial sur le dispositif des territoires éducatifs ruraux. L'académie d'Amiens expérimente ce dispositif, qui connaît, dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2023, une augmentation de 9 millions d'euros. Cette hausse est bienvenue, parce que le bilan demeurait en demi-teinte depuis son lancement en janvier 2021, avec une gouvernance éclatée entre les services de l'État, la direction académique et les élus locaux, le ministère de l'éducation demeurant en filigrane le pilote de chacun des projets. Il y a, en outre, une forme d'inégalité avec le programme des cités éducatives, qui bénéficie, pour sa part, de plus de 100 millions d'euros versés par le ministère de la ville sur la période pluriannuelle 2020-2022.

Ma question est simple : l'accompagnement de l'État sur le projet des territoires éducatifs ruraux est-il véritablement à la hauteur de l'enjeu, qui est d'assurer une continuité pédagogique entre les territoires ?

M. Gérard Longuet, rapporteur spécial. - Notre collègue rapporteur pour avis a dit l'essentiel : l'argent est important, mais il ne fait pas tout. L'éducation ne peut fonctionner sans valeurs partagées entre jeunes, enseignants et parents. C'est le bon fonctionnement de cette trinité qui peut améliorer la situation.

Cela dit, il faut bien reconnaître que, dans la société d'aujourd'hui, le métier d'enseignant continue d'avoir une productivité faible : former un jeune prend toujours autant de temps et coûte toujours autant d'argent. Cependant, l'intelligence artificielle, l'informatique, le numérique sont utiles, mais ne remplacent pas l'implication personnelle de l'enseignant envers ses élèves et l'écoute de l'enseignant par les élèves. C'est une singularité dont il faut tenir compte.

Nous souhaitons tous connaître l'avis de M. le ministre. Ce n'est pas un homme politique : c'est un « rechercheur », un homme cultivé, et une démonstration vivante de la dimension internationale de notre culture. Il y a chez cet homme des promesses, dont on aimerait qu'elles se transforment en engagements et en convictions personnelles affichés publiquement. C'est la raison pour laquelle j'attends le débat en séance avec beaucoup d'impatience. Le parcours de Jean-Michel Blanquer, qui avait été enseignant, chef d'établissement, recteur, directeur au ministère, était beaucoup plus balisé.

Monsieur le rapporteur général, s'il y a plus de sorties en cours de carrière, il n'y en a pas beaucoup. En revanche, phénomène assez sympathique, il y a des entrées en cours de carrière, notamment parmi les contractuels - des hommes et femmes cadres qui, à un certain âge, décident de se reconvertir dans l'enseignement. Pourquoi la sortie en cours de carrière est-elle rare ? C'est la contrepartie positive d'un système de rémunération qui favorise largement l'ancienneté. Avec le temps, non seulement les enseignants sont mieux payés, mais ils ont plus de chances de travailler près du soleil, de la mer ou d'une ville universitaire - leurs destinations préférées. Le risque n'est donc pas excessif.

S'agissant du rôle des collectivités locales à l'égard des AESH, il est évident que nous avons le devoir absolu d'assurer une coordination entre les conseils départementaux, responsables des MDPH, et l'éducation nationale au sens large : le recteur, qui a une vision globale, les directeurs départementaux et les chefs d'établissement. Nous avons les mêmes difficultés de recrutement dans le secteur social dans nos départements.

D'ailleurs, le Gouvernement a intégré, dans son recours à l'article 49 alinéa 3 de la Constitution sur la seconde partie du projet de loi de finances, un amendement portant revalorisation de 10 % des revenus des AESH, pour un coût total de 80 millions d'euros. Il convient de saluer l'effort, mais, si c'est pour priver l'aide sociale à l'enfance (ASE) de jeunes dont elle a besoin, le match sera vraiment « nul », au sens propre du terme ! Il faut vraiment une coordination entre l'Assemblée des départements de France (ADF) et le ministère sur la question des AESH. Sans cet accord, on risque de voir des compétitions stupides... Cela rejoint la préoccupation de Michel Canévet, qui souhaiterait une décentralisation plus large. Je suis complètement d'accord avec cette idée.

Le tutorat commence à exister pour la formation des enseignants, notamment grâce à la préprofessionnalisation, mais on pourrait imaginer qu'il soit beaucoup plus systématique et qu'il y ait en quelque sorte une formation des enseignants par apprentissage, ce qui est un peu la tendance. Cela mériterait une réflexion plus approfondie.

Pour répondre à M. Delahaye, les taux d'encadrement sont plutôt faibles par rapport aux moyennes européennes. C'est vrai dans le primaire comme dans le secondaire. Dans le premier degré, nous avons un professeur pour 19 élèves, contre une dizaine en Italie ou en Belgique. Dans le second degré, nous avons 24 élèves par classe, ce qui nous place parmi les mauvais élèves de l'Europe, aux côtés du Royaume-Uni notamment.

Les baisses d'effectifs que nous allons connaître pourront entraîner une baisse du nombre d'enseignants, mais certainement pas de façon parfaitement homothétique et strictement proportionnelle - il existe, d'ailleurs, des problèmes géographiques. Je confirme à Didier Rambaud que les effectifs diminueront de 50 000 par an lors des huit à dix prochaines années.

M. Jeansannetas me rappelle que le quantitatif d'hier permet le qualitatif d'aujourd'hui. Je lui donne acte de son optimisme et de sa confiance. Il faut d'ailleurs reconnaître que ce n'est pas complètement faux...

Les contractuels sont non pas un risque, mais une chance : l'introduction, à l'école, d'hommes et de femmes qui ont une autre expérience permet à la communauté éducative une ouverture sur d'autres formations, d'autres parcours. Le taux de contractuels est de 8 %. C'est significatif, mais ce n'est pas une tragédie. Compte tenu des évolutions à venir, c'est même, pour la commission des finances, la certitude de pouvoir réadapter progressivement les effectifs aux besoins réels.

Vous avez mille fois raison sur l'affectation du socle et la contrepartie du pacte. Nous sommes tous d'accord sur ce sujet.

M. Segouin a posé une question majeure : celle de l'autorité du professeur. Il faut installer l'établissement comme un lieu disposant d'une véritable identité dans le territoire où il sert. Le fait d'être un établissement public n'interdit nullement cette identité. Il faut sans doute évoluer sur les responsabilités du chef d'établissement. Je rappelle toujours l'exemple des lycées agricoles : ces établissements publics ont un directeur qui a de l'autorité, un conseil d'administration qui a une certaine liberté et un président de conseil d'administration qui a la faculté d'aider l'établissement. Cela change complètement les relations entre les dirigeants, les enseignants et leurs élèves. Le climat est fondamentalement différent quand les parents et les élèves savent que leurs enseignants sont écoutés par un directeur qui dispose d'une autorité et de moyens d'intervention. Pour rétablir le respect, il faut que toute la hiérarchie des adultes soit solidaire et puisse répondre de manière homogène. Quand l'éducation nationale exige, au nom de l'obligation scolaire, que le chef d'établissement recase dans un autre établissement l'élève dont il ne veut pas, il se prive de la possibilité d'écarter un élève. Or il suffit d'un enquiquineur pour perturber toute une classe...

Il faut une solidarité entre adultes : parents, enseignants, membres du conseil d'administration, mais aussi élus, doivent intégrer l'établissement comme étant le leur, et non comme une enclave de la rue de Grenelle sur leur territoire. Il faut rechercher tout ce qui peut renforcer les liens entre l'établissement et le tissu des élus et des professionnels d'un secteur. Je cite toujours l'exemple des lycées agricoles. Je pense que donner au proviseur la faculté de soutenir ses enseignants face aux élèves changerait pas mal de choses. Ce serait encore mieux si les parents cessaient d'avoir peur de leurs enfants...

Pour que les professeurs soient heureux, il faut qu'ils aient la certitude d'être soutenus. Or ils ont la certitude de ne pas l'être. Les remontées du terrain montrent que le « pas de vague » ruine la qualité de l'enseignement.

M. Lefèvre nous dit que les villes sont mieux traitées que les territoires éducatifs ruraux. Il a sans doute raison, mais j'apporterai une nuance : les territoires ruraux bénéficient le plus souvent de taux d'encadrement très supérieurs au milieu urbain. En territoire rural, on a moins d'argent, mais la relation humaine est plus solide. On respecte encore les enseignants. Les parents connaissent les enseignants, ceux-ci se connaissent entre eux et connaissent les parents. À cet égard, maintenir des collèges qui n'accueillent guère plus de 100 élèves est un non-sens pédagogique, mais c'est un confort sur le plan humain. Le milieu urbain est tout de même beaucoup plus difficile du fait de l'hétérogénéité des populations et de comportements qui ne sont pas spontanément favorables au respect de l'enseignant.

Concernant les territoires éducatifs ruraux, pour l'instant, le PLF pour 2023 prévoit une hausse de 2 millions d'euros pour l'expérimentation lancée en 2021 dans 23 territoires. Le coût total en 2023 sera d'environ 4 millions. C'est bien, mais ce n'est pas cela qui fera la différence. Je pense que notre monde rural est privilégié en termes de qualité d'enseignement, dès lors que l'on a des enseignants stables.

La commission décide de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, les crédits de la mission « Enseignement scolaire ».

La réunion est close à 12 h 45.