- Jeudi 20 octobre 2022
- Justice et affaires intérieures - Extension du contrôle de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) aux actes relatifs à la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) susceptible de découler des négociations d'adhésion de l'Union européenne (UE) à la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH) - Communication de Mme Gisèle Jourda et de M. Dominique de Legge
- Questions sociales, travail, santé - Stratégie pharmaceutique pour l'Europe - Rapport d'information et avis politique de Mmes Pascale Gruny et Laurence Harribey
- Communication
- Désignation de rapporteurs
Jeudi 20 octobre 2022
- Présidence de M. Jean-François Rapin, président -
La réunion est ouverte à 8 h 35.
Justice et affaires intérieures - Extension du contrôle de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) aux actes relatifs à la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) susceptible de découler des négociations d'adhésion de l'Union européenne (UE) à la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH) - Communication de Mme Gisèle Jourda et de M. Dominique de Legge
M. Jean-François Rapin, président. - Pour des considérations d'agenda, je vous propose d'inverser l'ordre d'examen des deux points prévus aujourd'hui à notre réunion. Nous allons donc commencer par un sujet, qui, sous des dehors juridiques pouvant sembler arides, cache des enjeux importants : il s'agit des conséquences que pourrait entraîner pour la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) l'adhésion de l'Union européenne (UE) à la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH).
Le sujet de l'adhésion de l'Union à la CEDH est suivi par nos collègues Philippe Bonnecarrère et Jean-Yves Leconte. Ils y ont consacré un rapport d'information très approfondi il y a deux ans, au moment où étaient relancées les négociations d'adhésion. Je rappelle en effet que la perspective d'une adhésion de l'UE à la CEDH, discutée déjà depuis la fin des années 70, est revenue au premier plan au moment de l'adoption de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne en décembre 2000. Le principe de l'adhésion a même été acté dans le traité de Lisbonne, qui a été signé en décembre 2007 et est entré en vigueur deux ans plus tard : il s'agit pour l'Union européenne de rejoindre la communauté des 46 États européens qui se sont engagés juridiquement à respecter la Convention européenne des droits de l'homme, sous le contrôle de la Cour européenne des droits de l'homme. Ce n'est pas le moment de revenir sur les arguments qui ont motivé cette disposition, mais il est clair que l'adhésion de l'Union européenne, entité non étatique dotée d'un ordre juridique autonome, nécessite des ajustements compliqués puisqu'on en discute depuis plus de dix ans. C'est en effet en 2010 que les États membres ont confié à la Commission européenne un mandat pour négocier en leur nom. Et nous sommes en 2022 ! Il faut rappeler qu'entre-temps, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a rendu un avis très critique sur le premier projet d'accord, en 2014, ce qui a obligé à revoir les directives de négociation, et les discussions n'ont repris qu'en 2019.
Nous n'allons pas revenir aujourd'hui sur les négociations en cours sur l'ensemble de ces questions. Mais nous avons été informés d'une accélération prochaine du calendrier sur un point précis des négociations, qui concerne la politique étrangère et de sécurité commune, et qui soulève des enjeux très spécifiques pour notre pays, particulièrement engagé dans la PESC. C'est pourquoi, lors de sa réunion fin septembre, le bureau de notre commission est convenu de s'appuyer sur les rapporteurs PESC de la commission pour le traiter.
Je vais donc laisser la parole à Dominique de Legge et à Gisèle Jourda, que je remercie de leur travail, d'autant qu'ils ont dû le mener dans des délais très contraints. Nous avions pourtant interrogé le représentant permanent de la France auprès de l'Union européenne à ce sujet lors de son audition par notre commission le 27 septembre, et il nous avait confirmé l'importance des enjeux et l'isolement de la France sur ce dossier, mais aussi indiqué vouloir prendre le temps de chercher des soutiens. Mais, depuis, nous avons appris que le sujet risquait d'avancer beaucoup plus vite que prévu : il pourrait en effet être inscrit à l'ordre du jour de la prochaine réunion du Comité des représentants permanents (Coreper), soit mercredi prochain 26 octobre. Nous ne pouvons donc pas reporter l'examen de cette question plus longtemps si nous voulons intervenir utilement. Je regrette que les rapporteurs Jean-Yves Leconte et Philippe Bonnecarrère aient malheureusement des empêchements aujourd'hui et ne puissent ni l'un ni l'autre participer à notre réunion.
Madame et Monsieur les rapporteurs, vous avez la parole.
Mme Gisèle Jourda, rapporteure. - Il y a deux ans, nos collègues Philippe Bonnecarrère et Jean-Yves Leconte avaient publié un rapport d'ensemble sur la relance des négociations d'adhésion de l'Union européenne à la Convention européenne des droits de l'homme.
Tous les États membres de l'Union européenne sont parties à cette Convention, condition nécessaire pour adhérer au Conseil de l'Europe. Ils se soumettent pour son interprétation à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, dont le siège est à Strasbourg. En revanche, l'Union en tant que telle n'a pas encore adhéré à cette Convention, alors que cette adhésion est expressément prévue par le traité de Lisbonne.
J'ajoute que la position de la France était et demeure favorable, dans son principe, à l'adhésion de l'Union européenne à la Convention européenne des droits de l'homme.
Ce matin, nous évoquerons un aspect, et un seul, de ces négociations d'adhésion qui comprennent au total quatre paniers : celui relatif à la politique étrangère et de sécurité commune, qui avait été abordé par le représentant permanent de la France auprès de l'Union européenne lors de son audition, le 27 septembre dernier.
Je précise que les négociations d'adhésion se déroulent en deux temps.
Premièrement, une phase interne à l'Union européenne, au sein du Conseil, vise à accorder les positions des États membres. Les négociations se sont déroulées pour l'essentiel au sein de la filière justice.
Deuxièmement, un temps de négociation à Strasbourg dans un format dit « 46+1 », qui fait intervenir l'ensemble des États parties à la Convention.
Le calendrier très rapide d'examen de ce dossier s'est imposé à nous, car il devrait effectivement être évoqué lors de la réunion du Coreper qui se tiendra la semaine prochaine, le 26 octobre. Or il apparaît très problématique. Derrière des questions juridiques complexes se cachent en effet des enjeux politiques et démocratiques simples.
Premièrement, est-on prêt à accepter que la Cour de justice de l'Union européenne devienne compétente en matière d'actes de politique étrangère et de sécurité commune, aux fins de contrôler une éventuelle violation des droits fondamentaux, alors que le traité de Lisbonne a expressément affirmé que la CJUE n'est pas compétente en matière de PESC, sauf exceptions limitativement énumérées ?
Deuxièmement, va-t-on vers une révision déguisée des traités, poussée par les services de la Commission européenne et, pour une part, du Conseil ?
Troisièmement, quelles pourraient être les conséquences opérationnelles de ces négociations sur la conduite des opérations relevant de la PESC ?
Pour préparer cette communication, nous avons auditionné plusieurs personnes de la représentation permanente de la France auprès du Conseil de l'Europe, du ministère des armées, du secrétariat général des affaires européennes et du ministère de l'Europe et des affaires étrangères : Marie Fontanel, ambassadrice, représentante permanente de la France auprès du Conseil de l'Europe, ainsi que Gaëlle Taillé, son adjointe sur les questions juridiques ; Camille Faure, directrice adjointe, et Barbara Aventino, adjointe à la sous-directrice du droit international et européen, pour la direction des affaires juridiques du ministère des armées ; Caroline Vinot, secrétaire générale adjointe « protection, frontières et justice » au secrétariat général des affaires européennes, ainsi qu'Antoine Michon, adjoint au chef du bureau « voisinage, élargissement, défense » ; enfin, Tanguy Stehelin, directeur adjoint de la direction des affaires juridiques, et Étienne Ranaivoson, sous-directeur des relations extérieures de l'Union européenne au sein de la direction de l'Union européenne, pour le ministère de l'Europe et des affaires étrangères.
L'article 6, paragraphe 2, du traité sur l'Union européenne dispose, depuis le traité de Lisbonne, que « l'Union adhère à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Cette adhésion ne modifie pas les compétences de l'Union telles qu'elles sont définies dans les traités ».
Le paragraphe 3 précise que « les droits fondamentaux, tels qu'ils sont garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et tels qu'ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres, font partie du droit de l'Union en tant que principes généraux ».
Le protocole n° 8 annexé aux traités fixe des conditions à l'adhésion de l'Union européenne à la Convention. Son article 2 indique notamment que l'accord relatif à l'adhésion « doit garantir que l'adhésion de l'Union n'affecte ni les compétences de l'Union ni les attributions de ses institutions ». De même, la situation particulière des États membres à l'égard de la CEDH doit être prise en compte, par exemple s'ils ont émis des réserves. S'agissant spécifiquement de la politique étrangère et de sécurité commune, il ressort des articles 24 du traité sur l'Union européenne et 275 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne que la CJUE n'est pas compétente en ce qui concerne les dispositions relatives à la politique étrangère et de sécurité commune, ni en ce qui concerne les actes adoptés sur leur base, à deux exceptions près : pour contrôler le respect de l'article 40 du traité sur l'Union européenne et pour examiner les recours concernant les mesures restrictives adoptées par le Conseil à l'encontre de personnes physiques ou morales.
Une première séquence de négociations en vue de l'adhésion avait eu lieu en 2010-2011 et avait débouché, en avril 2013, sur un projet d'accord au Conseil. Néanmoins, la procédure prévoyait que ce projet d'accord devait être soumis pour avis à la Cour de justice de l'Union européenne. Dans son avis 2/13 rendu en assemblée plénière le 18 décembre 2014, celle-ci avait jugé que le projet d'accord d'adhésion n'était pas compatible avec le droit de l'Union européenne.
La CJUE rejetait en particulier la possibilité que la Cour européenne des droits de l'homme puisse connaître des actes relatifs à la politique étrangère et de sécurité commune, alors qu'elle-même ne le pouvait pas en application des traités - il s'agit d'un point délicat à examiner.
Cette décision s'est traduite par un arrêt du processus d'adhésion. Les négociations d'adhésion ont toutefois été relancées à compter du 7 octobre 2019, date à laquelle le Conseil a adopté des directives de négociation en vue de répondre aux différents problèmes recensés par la CJUE. S'agissant de la PESC, ces directives privilégiaient en particulier la définition d'un mécanisme de réattribution de responsabilités. Concrètement, cela signifierait que des tribunaux nationaux, choisis en fonction de critères spécifiques, seraient amenés à se prononcer sur une éventuelle violation des droits de l'homme du fait de la mise en oeuvre d'actes relevant de la PESC. Cette solution devait permettre d'assurer le respect du principe de subsidiarité et l'épuisement de voies de recours internes avant que la Cour européenne des droits de l'homme soit saisie.
Les négociations au Conseil de l'Europe ont repris en juin 2020 et ont notamment avancé sous présidence française du Conseil. Huit réunions du groupe de travail « Droits fondamentaux, droits des citoyens et libre circulation des personnes » (Fremp) ont ainsi été consacrées à ce dossier. Le mécanisme de réattribution de responsabilités a été au coeur des discussions du panier 4 relatif à la PESC, mais des blocages sont apparus, certains États membres faisant notamment valoir des difficultés d'ordre constitutionnel. D'autres mécanismes ont été examinés.
La Commission européenne a alors proposé une alternative : adopter une déclaration intergouvernementale interprétative qui permettrait à la Cour de justice de l'Union européenne d'étendre sa compétence aux actes relevant de la PESC afin de vérifier une éventuelle violation des droits fondamentaux avant que la Cour européenne des droits de l'homme ne se prononce.
M. Dominique de Legge, rapporteur. - Je rappelle que c'est bien la Commission européenne qui a présenté ce travail. La présidence française se devant d'être neutre, la France ne pouvait pas alors faire valoir certaines critiques - c'est possible désormais -, mais elle ne voulait pas non plus donner l'impression de le soutenir.
Le service juridique du Conseil a ensuite diffusé, le 16 juin dernier, un avis soutenant la proposition de la Commission. Selon lui, une déclaration interprétative réconcilierait les dispositions contradictoires des traités en conférant une compétence juridictionnelle à la CJUE en matière de PESC dans les cas limités d'actions introduites pour des violations de droits fondamentaux par l'Union européenne par des requérants ayant qualité à agir devant la Cour européenne des droits de l'Homme.
Cette proposition est désormais soutenue par la quasi-totalité des États membres. La France fait exception mais ne désespère pas, comme l'avait évoqué le représentant permanent, Philippe Léglise-Costa, de faire évoluer certaines positions. En effet, certains États membres n'ont pas le même degré de coordination interministérielle et il semble que, parfois, les ministères en charge de la PESC n'ont pas été aussi associés aux réflexions qu'ils le sont en France.
Nous voyons trois enjeux à ce sujet. Le premier est opérationnel, pour les forces armées intervenant dans le cadre d'opérations relevant de la PESC ou de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC). Aujourd'hui, les forces nationales sont soumises à la jurisprudence de la CEDH, dont l'approche est connue en matière de compétences, de territorialité et d'articulation avec la lex specialis que constituent notamment le droit international humanitaire et les conventions de Genève.
Tel n'est pas le cas pour la CJUE : nous avons ressenti une crainte pour les conditions d'engagement des forces armées dans l'hypothèse où cette cour deviendrait compétente pour apprécier les violations en matière de droits de l'homme en opération. L'actualité nous le rappelle.
Nous percevons aussi une inquiétude vis-à-vis d'une instrumentalisation de la procédure par des ONG ou des États tiers. On ne pourrait dans ce cas exclure un affaiblissement paradoxal des opérations menées au titre de la PESC ou de la PSDC, voire des stratégies de contournement sous la forme d'accords intergouvernementaux ne relevant pas de la PESC.
Le deuxième enjeu est juridique. Il apparaît contestable d'étendre les compétences de la CJUE, à l'encontre des traités, par le biais d'une simple déclaration intergouvernementale interprétative, qui n'était pas prévue par les directives initiales de négociation d'adhésion de l'Union à la Convention européenne des droits de l'homme. Si une souplesse est de mise, une modification de fait du droit primaire de l'Union paraît nécessiter une révision des lignes directrices.
Au-delà, même si les déclarations intergouvernementales interprétatives existent en droit international, la particularité de la construction européenne et la sensibilité des sujets invitent à la prudence. On assisterait à une révision déguisée des traités, peut-être parce qu'une révision en bonne et due forme, pourtant demandée par la Conférence sur l'avenir de l'Europe, serait impossible.
Ce serait créer un précédent dangereux et contraire à l'État de droit, alors que le traité de Lisbonne avait été ratifié par les États membres, donnant lieu dans le cas français à une révision de la Constitution.
Le dernier enjeu est politique et institutionnel. Depuis le traité de Lisbonne, le contexte a radicalement changé. La préoccupation vis-à-vis de l'État de droit et des droits fondamentaux va croissant. La Commission européenne, sur le fondement du marché intérieur, a développé une compétence en matière d'industrie de défense matérialisée par la création d'une nouvelle direction générale et par la mise en place du fonds européen de la défense. Enfin, la guerre en Ukraine est un bouleversement majeur, tant pour l'Union européenne que pour le Conseil de l'Europe, dont la Russie était membre jusqu'au 16 mars dernier.
Aujourd'hui, le Conseil de l'Europe mène une réflexion sur son rôle et vise la tenue d'un quatrième sommet des chefs d'État ou de gouvernement des États membres du Conseil de l'Europe au printemps 2023. Le principal « livrable » espéré serait l'aboutissement des négociations d'adhésion de l'Union, ce qui augmente encore la pression.
Parallèlement, on peut s'interroger sur la manière dont la Commission européenne pousse son initiative en faveur d'une déclaration interprétative. En effet, en novembre dernier, dans le cadre de la mission EULEX Kosovo, le tribunal de l'Union européenne s'est déclaré incompétent en se fondant sur les traités. Or la Commission s'est jointe à l'appel formé devant la CJUE par les requérants. Cela signifie donc qu'elle considère que la CJUE devrait se déclarer compétente dans cette affaire portant sur une mission relevant de la PESC.
Le fait de proposer une déclaration intergouvernementale interprétative en cours de procédure laisse penser à une tentative d'instrumentalisation du Conseil dans l'espoir d'un revirement de jurisprudence. La prudence voudrait pourtant qu'on s'abstienne tant que la CJUE ne s'est pas prononcée.
À ce stade, comme nous l'avait indiqué Philippe Léglise-Costa, la France s'oppose à la solution proposée par la Commission européenne. Jusqu'à quand ? Résistera-t-elle aux pressions, alors même qu'une proposition alternative semble difficile à imaginer ?
On voit que le sujet n'est pas que juridique et technique, mais aussi éminemment politique. Il est important d'avoir à ce propos un débat démocratique, car les réunions de négociation vont continuer.
Ainsi, la déclaration interprétative a pour objet de réconcilier les articles 6 et 24, contradictoires, en une forme de précédent juridique. Cela s'articule avec le fait que la France a une sensibilité particulière sur ce sujet, car, au sein de l'Union, nous sommes le seul État à avoir une armée de projection. Enfin, le contexte du traité de Lisbonne, en 2007, est bien différent de celui de 2022, et un objectif qui aurait pu faire consensus il y a quinze ans ne peut aujourd'hui que nous inspirer la plus grande prudence.
Mme Gisèle Jourda, rapporteure. - En effet, agir vite n'est pas agir bien. Je le redis : la France est favorable à l'adhésion de l'UE à la CEDH. En revanche, le mécanisme de réattribution de responsabilités, qui a achoppé alors qu'il me paraît être le seul à même de résoudre les difficultés juridiques, a été écarté au profit de la déclaration interprétative, qui nuit à la force des traités en les contournant. La France n'est pas frileuse sur ce sujet, mais mieux vaut aborder la difficulté sur le fond plutôt que de la contourner au forceps.
M. Jean-François Rapin, président. - Nous devions aborder ici ce sujet, aride et complexe, mais d'une importance fondamentale, avant le Coreper. Les Parlements nationaux n'ont pas à en être écartés.
Des conséquences opérationnelles sur le choix des États membres de participer à certaines opérations ne sont pas à exclure : je pense à l'opération « Irini », qui démantèle des trafics de migrants et de traite humaine, notamment depuis la Libye, mais aussi à la mission en cours en Géorgie.
Le dossier a une dimension politique et institutionnelle, ce que votre analyse démontre. Lors du prochain Coreper, notre représentant permanent auprès de l'UE devra garder la ligne qu'il nous a annoncée le 27 septembre. La France est isolée, mais ne doit pas lâcher le combat.
Une déclaration interprétative reviendrait à une révision déguisée des traités, qui n'apparaît pas acceptable alors que, politiquement, l'UE est plus que jamais fragilisée. Tout comme la Constitution, on ne saurait les modifier que d'une main tremblante...
En outre, la temporalité de cette proposition interroge, compte tenu de l'affaire pendante devant la Cour de justice de l'Union européenne.
Au regard de ces enjeux, je vous propose de me rapprocher de la secrétaire d'État aux affaires européennes en amont du Coreper, pour que la voix de la France soit soutenue par le Sénat. Je suggère aussi d'évoquer ce dossier avec les présidents des commissions des lois et des affaires étrangères, François-Noël Buffet et Christian Cambon, ainsi qu'avec le cabinet du président Larcher.
M. André Gattolin. - Rappelons qu'il y a un conflit de prééminence entre la Cour européenne des droits de l'homme et la CJUE. Ces deux instances ont des fonctions bien distinctes. Ainsi, la seconde s'est longtemps attachée au maintien des règles de concurrence et du marché unique, avec pour instrument principal l'amende. La Cour européenne des droits de l'homme prononce pour sa part une condamnation qui implique la correction d'un acte ou d'une législation contraire à la Convention. Une indemnisation du requérant peut également être requise. Il revient alors aux États d'exécuter l'arrêt, sous le contrôle du Comité des Ministres du Conseil de l'Europe. L'Union européenne prétend avoir une politique des droits de l'homme, mais celle-ci n'est que balbutiante. Pour mettre en cause la Pologne et la Hongrie, elle n'a donc d'autre choix que de s'appuyer sur des mécanismes budgétaires. Ainsi, la CJUE cherche à préserver sa compétence.
Il arrive régulièrement que l'action extérieure de certains États soit mise en cause au titre du respect des droits de l'homme. À Bounti, au Mali, la France a été accusée de bombarder des familles alors que nous y avions identifié des groupes islamistes. Le comité des droits de l'homme de la mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma) - je vous invite à consulter la liste des États qui le composent - a dressé un rapport honteux contre la France, qui ne tient pas debout et est dépourvu de méthodologie d'enquête. Il y a donc un risque de règlements de compte, y compris sur le plan intracommunautaire.
Ce processus est dangereux et il faut rester ferme. On parle de subsidiarité alors que certains États, faute de capacités administratives et juridiques, renvoient des décisions à la CJUE : ce n'est pas acceptable, pour des raisons de souveraineté nationale. Je rappelle qu'un ancien président luxembourgeois de la Commission avait passé des arrangements avec des « petits États » pour renforcer les pouvoirs de celle-ci... Attention à la dérive, ne négligeons pas les enjeux de pouvoir !
Philippe Léglise-Costa a rappelé que la présidence française avait permis d'avancer dans les négociations. Un passage en Coreper peut être bienvenu. Cependant, à un moment, il faut trancher. Un représentant plénipotentiaire n'y suffit pas, la discussion doit remonter au niveau des chefs d'État ou de Gouvernement.
La Secrétaire d'Etat Laurence Boone nous a rappelé la semaine dernière les révolutions récentes de la PESC, avec par exemple le nouveau statut de rival systémique de la Chine. À cet égard, j'ai des doutes sur la compétence des juges de la CJUE en matière de diplomatie, de politique étrangère et de droits de l'homme.
M. Jean-Michel Houllegatte. - Monsieur de Legge, vous nous avez indiqué que vous donneriez des exemples d'opérations menées dans le cadre de la PESC.
M. Dominique de Legge, rapporteur. - Le Président Rapin a évoqué l'exmeple de l'opération Irini.
M. André Gattolin. - Il y a un vrai risque que certains pays de l'Union européenne saisissent la Cour de justice de l'Union européenne pour faire condamner la France, l'Allemagne ou le Danemark.
Mme Gisèle Jourda, rapporteure. - Chaque État membre de l'UE a déjà adhéré à la Convention européenne des droits de l'homme. Cela n'exclut donc pas qu'un de ces pays soit mis en cause par un justiciable ou par une organisation. Il manque à l'Union européenne la dimension politique et juridique d'un État fédéral.
La France se trouve dans une position particulière car, depuis le départ du Royaume-Uni, nous sommes au sein de l'Union européenne les seuls à disposer d'une force armée capable de projection.
M. Dominique de Legge, rapporteur. - La Cour européenne des droits de l'homme peut déjà connaître des actions conduites par les États membres en matière de sécurité et de défense. Nous discutons ici d'actions qui seraient conduites par l'Union européenne et qui, par définition, engagent les États membres parties prenantes. On ne passe pas de la pénombre à la lumière, il s'agit simplement d'une précision relative aux rôles de la Cour européenne des droits de l'homme et de la CJUE et vis-à-vis des actions menées dans le cadre de la PESC.
M. André Reichardt. - Au fond, il est urgent d'attendre, mais quoi ? La situation semble inextricable sur le plan juridique, et la conjoncture internationale ne milite pas pour une simplification de la problématique. Que nous proposent les rapporteurs pour l'avenir ?
Mme Gisèle Jourda, rapporteure. - Il est toujours difficile de parler de révision des traités, mais il va falloir clarifier les antagonismes entre certains textes. Nous devrons en passer par certaines modifications. Néanmoins, malgré tous nos efforts, je constate que ce n'est pas possible à ce stade du fait d'un jeu d'opposition entre groupes.
M. Jean-François Rapin, président. - Je vous rendrai compte des échanges que j'aurai cet après-midi avec le cabinet du président Larcher et la secrétaire d'État chargée de l'Europe. Nous pourrons alors décider de la meilleure suite à donner à votre communication.
Questions sociales, travail, santé - Stratégie pharmaceutique pour l'Europe - Rapport d'information et avis politique de Mmes Pascale Gruny et Laurence Harribey
M. Jean-François Rapin, président. - Je vous propose de passer au second point de notre ordre du jour, qui concerne la stratégie pharmaceutique pour l'Europe.
Cette stratégie a été présentée il y a deux ans par la Commission, alors que l'Union européenne était submergée par la pandémie de covid-19. L'objectif était à la fois de répondre à court terme aux failles qui étaient alors apparues au grand jour - je pense aux pénuries de médicaments et aux dépendances constatées envers les pays fournisseurs -, et à des enjeux de plus long terme : garantir l'accès aux médicaments à un prix abordable, couvrir les besoins médicaux non satisfaits et assurer l'autonomie stratégique ouverte et la durabilité de nos systèmes de santé.
Cette stratégie annonçait une révision des actes législatifs de base relatifs aux médicaments pour la fin de l'année 2022. C'est pourquoi il est important que notre commission se penche maintenant sur le sujet. Je remercie Pascale Gruny et Laurence Harribey qui y travaillent depuis plusieurs mois.
Rappelons que l'industrie pharmaceutique revêt une importance capitale pour l'économie de l'Union européenne puisque plus de 37 milliards d'euros ont été investis en recherche et développement à ce titre, et que ce secteur engendre 800 000 emplois directs et un excédent commercial avoisinant les 110 milliards d'euros en 2019.
Par ailleurs, l'Union européenne est le deuxième marché mondial des produits pharmaceutiques : elle en a acheté pour 190 milliards d'euros en 2018.
Au-delà de l'enjeu économique, c'est un sujet prioritaire dans la mesure où c'est la santé des citoyens qui est en cause. Ce sujet a d'ailleurs été largement abordé dans le cadre de la Conférence sur l'avenir de l'Europe.
Mme Pascale Gruny, rapporteur. - En novembre 2020, la Commission européenne a présenté sa stratégie pharmaceutique pour l'Europe. Cette présentation a été suivie d'une large consultation visant à permettre une réforme de la législation pharmaceutique. La Commission doit effectivement présenter ses propositions à la fin de cette année. Il nous a donc paru opportun de proposer que notre commission des affaires européennes se positionne sur ce sujet stratégique en amont de cette prochaine étape.
Les innovations majeures en cours, le nombre croissant de ruptures d'approvisionnement, la nécessité d'assurer la souveraineté sanitaire de l'Union et les prix de plus en plus élevés des thérapies innovantes sont autant de faits qui nous invitent aujourd'hui à réfléchir aux moyens de rendre plus résolue l'action européenne sur le marché du médicament, dans l'intérêt des patients.
Dans cette optique, nous avons analysé la stratégie pharmaceutique proposée par la Commission et vous soumettons aujourd'hui un certain nombre de propositions.
Nous avons organisé notre analyse et nos propositions autour de trois thèmes : la recherche, sans laquelle les médicaments n'existeraient pas ; la production industrielle, qui doit assurer des quantités suffisantes ; et enfin le prix du médicament, qui doit être abordable pour que tous les Européens puissent y accéder.
Je commencerai par évoquer la recherche et la nécessité de favoriser le développement des médicaments de demain.
Il faut tout d'abord se rappeler qu'en matière de recherche, l'Union européenne dispose de compétences propres qui ont permis le développement du programme Horizon Europe, doté d'un budget de 95,5 milliards d'euros pour la période 2021-2027. La Commission prévoit de consacrer 8,2 milliards à la recherche médicale, dont 2 milliards pour la recherche contre le cancer.
Sur ce point, il paraît essentiel d'orienter la recherche vers les besoins médicaux non satisfaits, le préalable étant que la Commission définisse cette notion. Selon nous, les fonds doivent être prioritairement orientés vers des domaines où les options de traitement sont restreintes, où le taux de survie des patients est faible et où l'intérêt commercial est limité pour les entreprises.
Dans notre rapport, nous citons notamment la situation en matière de lutte contre le cancer où le financement de certaines recherches n'est pas pris en charge par le secteur privé, telles que les recherches portant sur la désescalade thérapeutique ou l'association de traitements produits par des laboratoires concurrents, la résistance aux antimicrobiens, en articulant la nécessité de protéger à la fois la santé humaine et la santé animale, et le traitement des maladies rares et des maladies pédiatriques.
Aujourd'hui, la recherche s'appuie sur les technologies du numérique. C'est l'un des objets du programme « L'Union pour la santé » de la Commission européenne : doté d'un budget de 5,1 milliards d'euros pour la période 2021-2027, soit dix fois plus que pour la période 2014-2020, il doit permettre de financer la création de bases de données telles que « 1+million de génomes ». Il doit également permettre de financer le déploiement de nouvelles technologies telles que l'intelligence artificielle et le calcul à haute performance pour soutenir la recherche.
Une difficulté en matière de recherche pharmaceutique tient au manque d'harmonisation des processus de soumission, d'évaluation et de surveillance des essais cliniques menés au sein de l'Union européenne. Le règlement (UE) n° 536/2014 est entré en vigueur le 31 janvier 2022 afin d'harmoniser ces processus.
Il prévoit que les demandes d'autorisation d'essais cliniques soient évaluées en deux temps. L'évaluation médicale des bénéfices et des risques de l'essai incombe à l'État membre rapporteur désigné par le promoteur, puis il revient à chaque État membre concerné par la demande d'autorisation d'évaluer les enjeux éthiques de l'essai. Un avis défavorable lors de l'évaluation éthique permet à un État membre de refuser la demande d'autorisation sur son territoire.
S'il est trop tôt pour mesurer l'impact de ce règlement, il ne résout pas l'ensemble des difficultés auxquelles se heurtent les promoteurs de programmes de recherche développés dans plusieurs États membres. Dans notre rapport, nous citons de nombreux exemples, notamment l'absence de cadre commun régissant les recherches non interventionnelles pour lesquelles une certaine harmonisation paraît nécessaire.
La recherche médicale n'a d'intérêt que si elle profite au patient. Pour cela, il est également nécessaire d'accélérer la procédure de délivrance des autorisations de mise sur le marché pour les médicaments visant à traiter des besoins médicaux non satisfaits.
Nous préconisons dans ce cadre d'institutionnaliser les programmes en faveur des médicaments prioritaires qui sont aujourd'hui développés par l'Agence européenne des médicaments. Ces programmes permettent en effet au développeur de bénéficier de conseils scientifiques en amont puis d'une procédure d'évaluation accélérée.
De même, la révision en continu des données scientifiques, qui a été mise en oeuvre pour accélérer l'évaluation des vaccins contre la covid-19, mériterait d'être étendue à d'autres traitements.
De telles mesures destinées à accélérer la délivrance des autorisations de mise sur le marché doivent concerner les traitements potentiels visant des besoins médicaux non satisfaits et pouvant apporter un bénéfice substantiel au patient.
En parallèle, il faut également permettre d'accélérer la mise sur le marché effective du médicament. En effet, une fois l'autorisation de mise sur le marché obtenue, les États membres doivent encore évaluer l'efficacité relative de ce médicament, puis en fixer le prix et les conditions de remboursement. Cela engendre des délais supplémentaires qu'il convient de raccourcir.
Il importe donc que la Commission organise un dialogue entre les différentes parties prenantes - les autorités compétentes chargées de délivrer l'autorisation de mise sur le marché, les organismes d'évaluation des technologies de la santé et les organismes payeurs - afin de déterminer le plus en amont possible les études qui seront demandées au développeur du médicament et les possibilités d'harmoniser ces demandes.
Enfin, le médicament de demain devra être plus respectueux de l'environnement. Dans ce but, la Commission devra renforcer l'investissement dans la recherche pour développer des médicaments moins nocifs pour l'environnement. Des exigences réglementaires nouvelles en matière d'évaluation des risques pour l'environnement devront être introduites dans la législation.
Mme Laurence Harribey, rapporteure. - La pénurie de médicaments est un défi auquel sont confrontés tous les États membres de l'Union. Pour 87 % d'entre eux, la situation s'est même aggravée entre 2018 et 2019. Ces pénuries affectent principalement les médicaments anciens et ont de lourdes conséquences sur la santé des patients. Elles ont de multiples causes, ce qui complique l'action publique destinée à les éviter.
Un rapport de l'inspection générale des affaires sociales (IGAS) et du Conseil général de l'économie (CGE) sur les vulnérabilités d'approvisionnement en produits de santé, qui a été remis au Commissariat général au plan, distingue trois principales sources d'insuffisance dans la fourniture de médicaments.
La première est le défaut qualité : la production n'atteint pas les objectifs en termes de conformité technique ou de délais prévus, ce qui peut résulter de causes internes telles qu'un défaut de l'appareil de production, une erreur humaine ou de causes externes comme la défaillance d'un fournisseur.
La deuxième source d'insuffisance de médicaments consiste en des arrêts de fabrication pour cause de rentabilité insuffisante.
Enfin, la troisième cause peut tenir à une erreur de prévision de la demande ou à une restriction d'accès au marché pour des raisons réglementaires.
Cette analyse confirme qu'il faut agir dans plusieurs directions pour limiter les pénuries.
D'abord, la Commission doit en donner une définition. Il en existe une depuis cette année, dans la législation européenne, mais uniquement dans un cadre d'urgence de santé publique : c'est une situation dans laquelle l'offre d'un médicament qui est autorisé et mis sur le marché dans un État membre ne répond pas à la demande de ce médicament au niveau national, quelle qu'en soit la cause. La législation française, quant à elle, définit la rupture d'approvisionnement, cette fois dans un cadre général, comme l'incapacité pour une pharmacie de dispenser un médicament à un patient dans un délai de soixante-douze heures, après avoir effectué une demande d'approvisionnement auprès de deux entreprises exerçant une activité de distribution de médicaments. Les États membres de l'Union devront donc s'accorder sur une définition commune.
Deuxième piste : définir la notion de médicament critique. Dans leur rapport, l'IGAS et le CGE proposent une méthodologie intéressante, dont la Commission européenne pourrait s'inspirer, consistant à croiser deux catégories de données. Dans un premier temps, il s'agit d'identifier avec des cliniciens l'intérêt thérapeutique majeur et le caractère irremplaçable de certains médicaments, ce qui permet d'évaluer leur criticité sur le plan clinique. Dans un second temps, les données ainsi obtenues devraient être croisées avec les caractéristiques de vulnérabilité des chaînes de production de ces produits, en prenant en compte le nombre d'exploitants, de fournisseurs et de sites de production, ainsi que la localisation de la fabrication des principes actifs et des produits finis, analyse qui permettrait d'évaluer la criticité sur le plan industriel. Cette méthode semble correspondre à la vision de l'Agence européenne des médicaments qui, lors de son audition, a mentionné plusieurs critères à prendre en compte pour établir une liste de médicaments critiques : l'intérêt thérapeutique, les alternatives en Europe et la vulnérabilité de la chaîne d'approvisionnement. Cette liste de médicaments critiques devrait être établie sous l'autorité de l'Agence européenne des médicaments, et validée par la Commission et les États membres par le biais d'un acte d'exécution.
Troisième piste, la mise en place d'un système d'information permettant aux autorités compétentes des États membres et aux entreprises de l'industrie pharmaceutique de signaler les ruptures potentielles ou effectives. Les États membres pourront alors mettre en place les mesures nécessaires pour gérer ou anticiper les pénuries de médicaments critiques. La plateforme en cours de développement pour gérer les pénuries en cas d'urgence de santé publique trouverait ainsi une utilité dans un cadre plus général.
D'autres mesures permettraient d'anticiper et de gérer au mieux les pénuries. D'un point de vue réglementaire, il est nécessaire de simplifier les modifications d'autorisation de mise sur le marché (AMM) lorsque celles-ci concernent une question liée au processus de fabrication. Par ailleurs, en cas de rupture d'approvisionnement pour les médicaments critiques, des notices numériques pourraient être utilement établies pour ces médicaments et délivrées aux patients pour faciliter la circulation des médicaments entre États membres de l'Union européenne.
De plus, les obligations des titulaires d'AMM doivent être renforcées. Il leur appartient tout d'abord d'identifier les risques de qualité liés à leur production : d'une part, des risques de qualité internes qui concernent le processus de fabrication et les outils de production ; d'autre part les risques de qualité externes relatifs aux fournisseurs.
Face à ces risques, il incombe aux titulaires d'AMM d'élaborer des plans de continuité d'activité. La maintenance de l'outil de production et, dans la mesure du possible, la diversification des approvisionnements sont autant de moyens de limiter les risques. En parallèle, les titulaires d'autorisation de mise sur le marché devront élaborer des plans de gestion des pénuries pour les médicaments critiques.
Nous suggérons aussi une obligation de stocks à l'échelle de l'Union européenne, accompagnée d'un soutien financier aux entreprises pharmaceutiques.
Enfin, la pandémie a mis en avant les difficultés de l'Union européenne à répondre aux besoins des patients de manière autonome. L'Agence européenne des médicaments évalue à 40 % la part des médicaments finis commercialisés dans l'Union européenne provenant de pays tiers. Par ailleurs, 80 % des fabricants de substances pharmaceutiques actives utilisées pour des médicaments disponibles en Europe sont établis en dehors de l'Union, contre 20 % il y a trente ans.
Cette perte d'indépendance risque de se matérialiser par une pénurie en cas de crise internationale. On observe une demande de médicaments de plus en plus forte en Asie du Sud-Est, alors que le prix relativement bas des médicaments dans certains États membres de l'Union, dont la France, rend ces marchés moins attractifs. En cas de pénurie conjoncturelle mondiale liée, par exemple, au défaut d'un fournisseur ou à une hausse de la demande, la logique patriotique des États producteurs de médicaments fait que l'Union ne serait pas prioritaire pour recevoir les médicaments nécessaires, surtout si les prix y sont inférieurs. Ainsi, si l'éloignement de la production du territoire de l'Union n'est pas la cause première de la pénurie, il place l'Union européenne dans une situation de dépendance vis-à-vis d'États tiers.
Différents interlocuteurs des rapporteurs ont confirmé qu'il n'est pas envisageable de produire toute la pharmacopée dans l'Union. Cependant, il demeure indispensable de sécuriser l'approvisionnement des médicaments critiques, d'où l'importance de les définir. Pour assurer l'autonomie stratégique ouverte de l'Union européenne, il faut des mesures d'incitation financière et fiscale pour le maintien ou la relocalisation des sites de production en Europe. Cela passe par la conduite d'une vraie politique industrielle, comme l'Union européenne est en train de le faire pour les semi-conducteurs. Les aides ne doivent cependant pas se concentrer sur la production de médicaments innovants : elles doivent également faciliter la relocalisation de tous médicaments exposés à des ruptures d'approvisionnement.
Toute aide publique devrait donc avoir pour objectif principal de répondre aux besoins des patients et être conditionnée à des obligations d'approvisionnement. En outre, il faudrait envisager des partenariats public-privé pour la production de médicaments critiques, dans le respect du droit des brevets. En France, c'est un partenariat de ce type qui a permis la production de curare pendant la pandémie ; aux États-Unis, le projet Civica consiste à faire produire par neuf cents hôpitaux sur l'ensemble du territoire les médicaments régulièrement exposés à des tensions d'approvisionnement.
Mme Pascale Gruny, rapporteur. - Je prends le relais pour aborder la question du prix. Le prix des médicaments diminue pour les médicaments anciens et augmente pour les médicaments les plus innovants. Dans les deux cas, une régulation est nécessaire.
Le prix des médicaments innovants les plus récents ne peut s'apprécier sans prendre en compte les coûts élevés liés à la recherche. Le développement d'un nouveau médicament est un processus à la fois long, coûteux et risqué. C'est la raison pour laquelle le droit de la propriété intellectuelle garantit aux laboratoires que leur invention sera protégée durant un certain temps, leur permettant ainsi de rentabiliser leurs investissements. Ainsi, le brevet confère à son titulaire un monopole d'exploitation pour vingt ans à compter de la date de dépôt de la demande de brevet ; le certificat complémentaire de protection permet de le prolonger à proportion de la période écoulée entre la date du dépôt de la demande de brevet et la date de première autorisation de mise sur le marché.
Concernant la propriété intellectuelle, nous faisons trois propositions principales.
La première concerne les certificats complémentaires de protection. Le régime de ces certificats est pertinent ; c'est sa mise en oeuvre par les États membres qui se traduit par un manque de transparence et de prévisibilité freinant aussi bien les innovateurs que les fabricants de génériques. Il convient donc d'engager une réflexion pour harmoniser les systèmes de délivrance des certificats complémentaires de protection au sein de l'Union européenne, et ainsi apporter une protection juridique efficace sur l'ensemble du territoire de l'Union.
De plus, face à la hausse croissante du prix des médicaments innovants, la Commission européenne s'est engagée à présenter des dispositions afin d'accroître la transparence sur les coûts de la recherche. Nous souhaiterions aller plus loin : la Commission devrait présenter des lignes directrices à l'attention des autorités compétentes des États membres et des laboratoires pharmaceutiques afin de leur permettre de déterminer un prix juste et équitable pour les médicaments innovants.
Ce prix devra prendre en compte les coûts de recherche et de production, mais aussi les avantages qu'apporte ce médicament en termes d'économies pour le système de santé et de gain pour le patient en nombre d'années de vie en bonne santé. Le prix doit aussi tenir compte du produit intérieur brut (PIB) rapporté au nombre d'habitants de l'État membre concerné et de la capacité du traitement à répondre à un besoin médical non satisfait.
En absence d'accord sur le prix, l'autorité compétente de l'État membre concerné ou le laboratoire pourront solliciter la Commission pour la conduite d'un audit, avec l'accord des deux parties, prenant en compte la situation financière de l'entreprise et les résultats du médicament en question.
Si le désaccord persiste pour la détermination du prix et que le médicament est destiné à traiter un besoin médical non satisfait, nous proposons que les entreprises produisant le médicament en question soient tenues d'accorder à un organisme public ou à un fabricant de génériques le droit de le commercialiser et de le vendre, dans des conditions de licence équitables et raisonnables. Cette disposition serait mise en oeuvre en dernier recours.
Enfin, pour les médicaments orphelins, le déposant d'un brevet bénéficie d'une exclusivité commerciale pendant dix ans, les États membres et la Commission s'engageant à ne pas délivrer d'autorisation de mise sur le marché pour un médicament similaire avec la même indication thérapeutique durant cette période.
Pour encourager le développement de médicaments pédiatriques, le certificat complémentaire de protection est prorogé de six mois lorsque le titulaire du brevet a effectué les recherches prévues dans le cadre d'un plan d'investigation pédiatrique déposé en même temps que la demande d'autorisation de mise sur le marché. Il est nécessaire de revoir la législation régissant la mise sur le marché des médicaments pédiatriques et des médicaments orphelins pour renforcer les incitations des entreprises à investir dans ce domaine. La période d'exclusivité accordée au titulaire du brevet, pour les médicaments orphelins, devrait être modulée et éventuellement portée au-delà de dix ans lorsque la commercialisation risque de ne pas engendrer un bénéfice équitable, notamment dans le cas où le médicament est uniquement destiné au traitement d'une maladie rare. De même, il est nécessaire de renforcer particulièrement les incitations au développement de traitements contre les maladies pédiatriques lorsque ces traitements sont exclusivement réservés aux enfants.
Je rends la parole à ma co-rapporteure pour vous présenter d'autres mesures visant à rendre les médicaments plus abordables.
Mme Laurence Harribey, rapporteure. - Contrairement à ce que l'on pourrait penser, continuer à faire baisser les prix des médicaments anciens n'est pas de nature à en favoriser l'accès. La logique des États membres qui souhaitent diminuer le coût des médicaments pour limiter la dépense publique se comprend, mais la politique de recherche permanente du prix le plus bas fragilise le tissu industriel européen.
Ainsi, les marchés publics pour l'achat de gros volumes contribuent à raréfier l'offre de médicaments. En effet, le recours à des marchés publics pour l'approvisionnement en médicaments dont le brevet est tombé dans le domaine public ne favorise pas le maintien en activité des sites des producteurs concurrents qui n'obtiennent pas le marché. Le système des marchés publics génère, selon que le producteur devient titulaire du marché ou non, une hausse ou une chute brutale de sa production nécessitant une redéfinition des moyens industriels, ce qui n'est pas compatible avec un approvisionnement fluide et anticipé. En outre, les critères liés aux appels d'offres devraient désormais intégrer la sécurité des approvisionnements et de nouvelles normes écologiques, qui se traduiront nécessairement par une augmentation du prix.
Il existe d'autres moyens de diminuer le prix des médicaments. Ainsi la Commission européenne souhaite renforcer la coopération entre États membres pour la négociation du prix des médicaments. BeNeLuxA est une initiative conjointe associant la Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg, l'Autriche et l'Irlande dans le but de conduire des évaluations communes des technologies de la santé et de négocier en commun le prix de certains médicaments, notamment les plus innovants. Ces initiatives, quand elles sont volontaires, doivent être soutenues.
La deuxième piste consiste à poser les bases d'une solidarité européenne dans le domaine de la santé. La Commission devra réfléchir à un mécanisme de solidarité permettant la mise sur le marché de médicaments destinés à des besoins médicaux non satisfaits lorsque, malgré un prix juste et équitable proposé par le laboratoire, les ressources de l'État membre, évaluées notamment au regard de son PIB par habitant, paraissent insuffisantes pour en permettre l'achat. À cette fin, un fonds de solidarité européen pourrait être activé sous le contrôle de la Commission et des États membres pour financer une quote-part à déterminer du prix. Pour éviter tout effet d'aubaine, cette mesure devra naturellement s'accompagner d'un renforcement de l'encadrement des exportations parallèles.
Enfin, les médicaments génériques et biosimilaires jouent un rôle essentiel pour favoriser l'accès aux médicaments. Aujourd'hui, 40 % des médicaments consommés en France sont des génériques. Or les fabricants ont mentionné, lors de leur audition, des pratiques déloyales mises en oeuvre par les fabricants de princeps pour retarder l'accès aux marchés des médicaments génériques. Il appartient donc à la Commission de garantir une concurrence équitable sur le marché.
Voilà nos remarques et propositions à la suite de la publication par la Commission européenne de sa stratégie pharmaceutique pour l'Europe. Pascale Gruny le disait, notre objectif est de mettre le patient au coeur de cette stratégie pour permettre l'accès au médicament, sans parti pris dogmatique et sans prisme uniquement économique.
M. Jean-François Rapin, président. - Merci pour cet excellent travail, entamé en mai dernier. Ce que j'avais dit dans le cadre de la Conférence sur l'avenir de l'Europe en mars et en avril derniers cadrait parfaitement avec vos préconisations qui sont bien plus précises.
Pour ce qui concerne la production, je vous suis entièrement : nous devons tâcher de produire à nouveau des substances actives en Europe, mais le plus important réside dans la reconstitution de nos stocks stratégiques. Ne nous leurrons pas, nous n'arriverons pas à re-produire rapidement des médicaments sur notre sol. Recréer un stock stratégique doit donc être la priorité, comme nous l'avons vu avec les masques.
Mme Laurence Harribey, rapporteure. - Il y a des aberrations, telles que l'abandon de l'instauration d'un soutien à la production des entreprises dès que les besoins ont été satisfaits. Nous étudions la question du soutien à la production industrielle dans notre rapport.
M. Jean-François Rapin, président. - C'est vrai pour l'industrie dans son ensemble. Il faut être réaliste : notre outil industriel doit satisfaire, autant que possible, nos besoins, mais nous devrons aussi créer des stocks stratégiques.
M. André Reichardt. - J'aurai deux observations.
Premièrement, cette thématique est essentielle pour la population européenne ; nous avons tous rencontré des personnes recherchant, sans succès, tel ou tel médicament. Ce n'est pas le premier rapport du Sénat sur le sujet, mais les choses ne semblent pas s'améliorer. Or le fait de résoudre les problèmes de pénurie et d'accès au médicament renforcerait la crédibilité des institutions européennes auprès des citoyens. L'Union européenne apporterait une véritable plus-value sur cette question.
Deuxièmement, nous ne regagnerons probablement pas immédiatement notre souveraineté en matière de production de médicaments en Europe, mais je crains que la solution intermédiaire des stocks ne constitue qu'un cataplasme sur une jambe de bois. La seule solution pérenne consiste à retrouver une souveraineté aussi rapidement que possible en Europe. C'est un travail de long terme, mais cette action doit être prioritaire parmi celles menées par l'Union européenne.
M. Jean-François Rapin, président. - En ce qui concerne les thérapeutiques innovantes, comme les médicaments biosimilaires ou les immunothérapies, l'Europe a une carte à jouer pour produire sur son territoire des médicaments issus, pour partie, de sa propre recherche. En effet, ce sont de nouvelles chaînes à créer, non des productions à relocaliser. Or l'avenir est là. Par exemple, les laboratoires n'investissent plus dans les médicaments antihypertenseurs - on a fait le tour de la question -, mais ils investissent dans des recherches sur un traitement amont, afin d'empêcher l'apparition de ces maladies.
Mme Amel Gacquerre. - Ce rapport peut être relié à celui portant sur la souveraineté économique publié en juillet dernier au Sénat, qui a mis en lumière les pénuries de médicaments. Le phénomène est ancien puisque dès 2019, 530 médicaments « essentiels » manquaient déjà. Ce rapport soulignait également notre grande dépendance vis-à-vis de la Chine et de l'Inde. À courte échéance, il faut recréer des stocks, mais également diversifier nos sources d'approvisionnement, notamment de principes actifs. À terme, il conviendra de relocaliser leur production.
Autre sujet important, celui des compétences. Nous avions évoqué dans un autre rapport la question des besoins d'emplois industriels à horizon 2030, notamment dans l'industrie pharmaceutique. Nous avions souligné une particularité française : l'image dégradée de l'emploi pharmaceutique par rapport à l'emploi dans le secteur numérique. Or cette question est clef.
Mme Patricia Schillinger. - La commission des affaires sociales alerte depuis des années sur les risques de pénurie et les enjeux d'approvisionnement, y compris en vaccins.
Je veux évoquer la question des médicaments expérimentaux, qui ne sont pas encore sur le marché, comme pour le traitement du cancer des enfants. Nous n'arrivons pas, en Europe, à y accéder, parce que les grands groupes mènent plutôt leurs expérimentations aux États-Unis. Serait-il possible et pertinent de créer un fonds pour accéder à certains de ces médicaments, quitte à se faire traiter chez nos voisins ? J'ai tenté plusieurs fois d'intervenir en faveur d'enfants malades, mais sans succès.
M. Jean-Michel Houllegatte. - L'industrie du médicament générique est en grande difficulté du fait de la crise énergétique. Un appel au secours a été lancé pour rendre les industriels éligibles au fonds de soutien mis en place par le Gouvernement, car le gaz reste indispensable pour la fabrication de médicaments. On évoque même un risque de pénurie de médicaments dès cet hiver.
M. Jean-François Rapin, président. - Effectivement, madame Schillinger, c'est une question à laquelle nous sommes fréquemment confrontés. Je le constate en tant que médecin, notamment lorsqu'il existe, aux États-Unis ou en Suisse, un médicament expérimental permettant de soigner telle ou telle maladie rare. Dès lors que l'autorisation de mise sur le marché n'a pas été délivrée en France, les gens se trouvent démunis. On organise alors des levées de fonds, mais, une fois la somme réunie, il est parfois trop tard.
Il convient donc de mener une réflexion à l'échelle européenne sur le sujet, via un fonds ou au travers d'une mise en commun des moyens, sans pour autant abandonner notre prédominance intellectuelle sur le sujet et sans renoncer à n'accorder une AMM qu'aux médicaments apportant un réel bénéfice thérapeutique. Cela prend du temps en France, mais les erreurs y sont rarissimes.
Mme Pascale Gruny, rapporteur. - Merci de votre intérêt pour ce rapport.
Nous sommes tous concernés par la question. Ce que nous avons constaté, pendant la crise sanitaire, c'est que les Français et nombre d'Européens demandaient plus d'Europe, d'autant que les frontaliers savent souvent comment les choses se passent dans les pays voisins et ne comprennent pas toujours pourquoi c'est différent en France. Je le rappelle, la santé n'est pas une compétence exclusive de l'Union européenne, c'est une compétence partagée.
Oui, monsieur Reichardt, ce sujet, c'est l'Europe concrète, par opposition aux sujets très complexes, y compris pour des sachants, que l'on aborde souvent quand il s'agit d'Union européenne.
L'enjeu de souveraineté est effectivement premier. Chacun a pu mesurer l'ampleur de notre perte de souveraineté. La recherche permettra de reconstruire celle-ci au sein de l'Union européenne, mais cela coûte cher, cela dure longtemps et il arrive que des projets lancés n'aient plus de financements après une certaine durée. Donc, un effort important doit être engagé en faveur de la recherche avec davantage de coopération entre les États membres.
Je souscris aux propos sur les pénuries, mais également sur les médicaments innovants et les besoins médicaux non satisfaits en cas de maladie rare.
Oui, nous devons reconstituer nos stocks stratégiques, mais les entreprises ne sont pas des organismes à but non lucratif. Or les stocks coûtent cher. Nous avons donc proposé un accompagnement financier ou fiscal des entreprises.
Pour ce qui concerne l'emploi, la question de la formation est abordée dans le rapport et dans l'avis politique (point 116). Le problème relatif à l'attrait du numérique est général, il ne concerne pas que la pharmacopée. Nous souffrons d'une concurrence très forte, non seulement au sein de l'Union européenne - on retrouve beaucoup de Français au Danemark, par exemple -, mais également avec les États-Unis, où les salaires de nos jeunes sont colossaux.
Mme Laurence Harribey, rapporteure. - Nous avons les compétences, mais, étant donné que le secteur est extrêmement mondialisé, elles ne se trouvent pas sur des sites français. Nous sommes à la croisée des chemins : il existe une crise du recrutement, car la génération qui arrive cherche du sens. Les industries pharmaceutiques le ressentent, je vous renvoie à un article récent du journal Le Monde à ce sujet.
Le problème de l'Europe dans le domaine de la santé est que ses compétences sont limitées. Elles se sont développées dans deux domaines : le marché unique, ce qui explique le prisme dominant de la libre circulation des médicaments, et la recherche, financée sans continuité du fait du système des appels d'offres et à projets. La crise l'a montré, il va falloir faire évoluer ces compétences ; le domaine de la sécurité sociale est, pour lors, du ressort des États membres, et dépend de ce fait de systèmes complexes.
Mme Patricia Schillinger. - L'absence d'accords bilatéraux dans le domaine de la santé est inquiétante pour les transfrontaliers.
La commission autorise la publication du rapport d'information et adopte, à l'unanimité, l'avis politique disponible en ligne sur le site du Sénat qui sera adressé à la Commission européenne.
Communication
M. Jean-François Rapin, président. - André Reichardt m'a représenté à l'occasion de la rencontre entre M. Gérard Larcher et la Présidente du Sénat de Roumanie, le 18 octobre 2022. Je lui cède la parole pour nous en dire quelques mots.
M. André Reichardt. - Quand bien même la rencontre était essentiellement protocolaire, la Roumanie, à l'heure actuelle, est au coeur du cyclone de l'actualité internationale, du fait de l'agression russe en Ukraine. La présidente du Sénat de Roumanie nous a rappelé l'importance de sa frontière commune avec, d'une part, l'Ukraine, et, d'autre part, la Moldavie. Le flux de réfugiés ukrainiens a été considérable.
Le sujet des accords Schengen a été abordé, la Roumanie regrettant la lenteur du processus devant conduire à son adhésion. L'encouragement formel du président du Sénat, Gérard Larcher, à cet égard, a été recherché. Nous sommes convenus de continuer à travailler ensemble sur ce point.
Une autre thématique abordée a été celle de la coopération décentralisée. De fait, la Roumanie est le deuxième pays disposant du plus grand nombre d'accords avec la France. Malgré les bombardements en Ukraine, tout proches, elle souhaite continuer à développer de tels accords de coopération. Le président du groupe France-Roumanie, notre collègue Bernard Fournier, souligne lui-même une culture francophile très développée sur place, qu'il convient d'encourager.
Mme Pascale Gruny. - Quand j'étais au Parlement européen, j'ai pu constater qu'une partie des anciennes générations parle le français, mais pas les nouvelles. Cela est d'autant plus marquant en Roumanie, car les liens qui nous unissent ont toujours été forts.
M. Jean-François Rapin, président. - Nous étions sur place en septembre 2021 avec une délégation de notre commission. L'invitation à Sulina, la ville la plus à l'Est de l'Union européenne, visait à nous sensibiliser aux enjeux de cette zeon, au plan stratégique mais aussi au niveau environnemental ; à ce titre, avant sa venue au Sénat le lendemain, j'accompagnerai ce lundi 24 octobre une délégation de collègues de la commission homologue de la nôtre au Sénat roumain sur la Côte d'Opale et la Côte picarde. L'ancienne présidente du Sénat roumain, Anca Dragu, qui nous avait alors reçus à Bucarest, sera du voyage.
Désignation de rapporteurs
M. Jean-François Rapin, président. - Je vous soumets les propositions du bureau concernant la liste des rapporteurs, à la suite du décès de notre regrettée Catherine Fournier, du départ de la commission de nos collègues Pierre Médevielle et Richard Yung, ainsi que, tout récemment, d'Henri Cabanel et de Jérémy Bacchi, auxquels ont succédé Patricia Schillinger et Pierre Ouzoulias. Nous devons également compléter cette liste de rapporteurs pour traiter de nouvelles initiatives européennes.
Je vous soumets donc les propositions du bureau :
- ajouter Patricia Schillinger au groupe de travail sur « Strasbourg, capitale européenne », coprésidé par Didier Marie et moi-même et réunissant par ailleurs Jacques Fernique, Pascale Gruny, Ludovic Haye, Claude Kern, André Reichardt et Elsa Schalck, et lui confier les dossiers Santé publique et environnementale, en complément du binôme Pascale Gruny et Laurence Harribey. J'en profite pour indiquer que nous proposerons sans doute début 2023 un évènement à Strasbourg ;
- nommer Amel Gacquerre dans le groupe de suivi des négociations commerciales, commun avec la commission des affaires économiques et la commission des affaires étrangères, qui réunit déjà pour notre commission Pascal Allizard, Christine Lavarde, Didier Marie et Franck Menonville ; lui confier également, ainsi qu'à Pierre Ouzoulias, les dossiers relatifs à la propriété intellectuelle ; et enfin l'adjoindre à Christine Lavarde et Didier Marie pour suivre les questions de marché intérieur, politique de concurrence et stratégie industrielle ;
- nommer Patrice Joly dans le groupe de suivi « PAC » commun avec la commission des affaires économiques, qui comprend, pour notre commission, Jean-Michel Arnaud, Louis-Jean de Nicolaÿ, Pascale Gruny, Daniel Gremillet, Ludovic Haye, Gisèle Jourda, Pierre Louault et moi-même ; et lui confier, à ce titre, le soin de travailler avec Daniel Gremillet sur le sujet des nouvelles techniques de sélection végétale (New Breeding Techniques) ;
- nommer Chrisitine Lavarde et Pierre Laurent rapporteurs sur l'union des marchés de capitaux et l'union bancaire, en remplacement de Victorin Lurel et moi-même ;
- nommer Florence Blatrix Contat, André Gattolin, et Catherine Morin-Desailly rapporteurs sur le prochain texte relatif à la liberté des médias, qui traite principalement des enjeux de concentration des médias ;
- confier à Ludovic Haye, Catherine Morin Desailly et André Reichardt le soin de rapporter sur le sujet de la lutte contre les contenus pédopornographiques en ligne ;
- et à André Gattolin et Elsa Schalck le soin de rapporter sur le prochain texte relatif aux procédures bâillons, ces actions en justice qui visent à intimider et faire taire les journalistes et lanceurs d'alerte ;
- inclure Cyril Pellevat dans l'équipe des rapporteurs en charge de l'environnement, qui aura fort à faire ces prochains mois et qui est aujourd'hui constituée de François Calvet, Jacques Fernique et Jean-Michel Houllegatte ;
- revoir la composition du groupe de travail animé par André Gattolin qui traitera de l'acte sur les données, groupe que quitteraient Cyril Pellevat et Elsa Schalck et qu'intégrerait Florence Blatrix Contat, par cohérence avec les sujets numériques dont elle s'occupe déjà avec Catherine Morin-Desailly, qui, elle, resterait naturellement membre de ce groupe.
Pour ma part, je me propose de rapporter en binôme avec François-Noël Buffet, le président de la commission des lois, sur le sujet de Frontex, agence européenne chargée du contrôle des frontières extérieures de l'Union, qui traverse une crise profonde et dont le mandat doit être prochainement révisé.
Mme Florence Blatrix Contat. - La Commission européenne présentera prochainement une recommandation sur l'économie sociale et solidaire (ESS), sujet auquel la commission des affaires économiques consacre un groupe d'études dont je suis présidente. Ne faudrait-il pas prévoir la nomination de rapporteurs spécifiquement dédiés à l'ESS ?
M. Jean-François Rapin, président. - Nous allons examiner cette possibilité, car le sujet pourrait en effet connaître prochainement des développements européens.
M. André Reichardt. - Concernant Frontex, il existe un risque d'interférences quant au travail entrepris avec le Président de la commission des lois, dans la mesure où Jean-Yves Leconte et moi-même travaillons sur le pacte sur la migration et l'asile, en lien avec cet organisme.
M. Jean-François Rapin, président. - Nous éviterons, avec la commission des lois, les interférences sur le sujet. Nous ne nous interdirons pas une conjonction des travaux, du fait de l'importance politique du sujet.
Mme Patricia Schillinger. - Une réflexion a-t-elle été engagée sur le télétravail des frontaliers et leur libre circulation ? Des accords bilatéraux ont-ils été signés ?
M. Jean-François Rapin, président. - Un travail a été mené par Cyril Pellevat, sur son initiative. Il a abouti à l'adoption d'une résolution par le Sénat en juillet 2021.
Mme Pascale Gruny. - Pour ma part, je me suis rendue l'an dernier au Luxembourg mais il est vrai que la problématique est particulière, le Luxembourg étant membre de l'Union européenne.
Mme Patricia Schillinger. - Les accords bilatéraux avec la Suisse relatifs à l'imposition du télétravail pour les frontaliers cesseront d'être en vigueur au 31 octobre ce qui soulève de très gros problèmes.
Mme Pascale Gruny, rapporteur. - Nous y avons travaillé, mais cela relève effectivement des conventions bilatérales de la France.
M. Jean-François Rapin, président. - Merci à tous.
La réunion est close à 10 h 30.