- Mercredi 19 octobre 2022
- Projet de loi relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables - Audition de Mme Chantal Jouanno, présidente de la Commission nationale du débat public
- Audition de M. Hervé Berville, secrétaire d'État auprès de la Première ministre, chargé de la mer
- Projet de loi relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables - Audition de Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique
Mercredi 19 octobre 2022
- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -
La réunion est ouverte à 8 h 45.
Projet de loi relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables - Audition de Mme Chantal Jouanno, présidente de la Commission nationale du débat public
M. Jean-François Longeot, président. - Madame la Présidente, mes chers collègues, c'est une joie de vous recevoir, Madame Jouanno, ou plus exactement de vous retrouver ici, puisque vous avez siégé au Sénat entre 2011 et 2017 et que vous étiez, avant votre départ, membre de notre commission et présidente de la délégation aux droits des femmes.
Notre commission vous avait reçue en mars 2018, à l'occasion de votre nomination à la tête de la commission nationale du débat public pour un mandat de cinq ans, puis en octobre 2019. Il était donc temps, si j'ose dire, de vous entendre à nouveau !
Je rappelle que la CNDP est une autorité administrative indépendante (AAI) chargée d'organiser les débats publics sur les projets, plans et programmes ayant un impact majeur sur l'environnement. Son rôle est de permettre au public d'être informé le mieux possible et de participer à la prise de décision, en plaçant son action dans le cadre des principes d'indépendance, de transparence et d'égalité de traitement des contributeurs.
Votre parcours et votre expérience sont particulièrement précieux au moment où notre pays fait face à des choix déterminants pour son avenir, avec la pression imposée par le dérèglement climatique et l'érosion de la biodiversité. La concertation avec le public et la participation des citoyens aux décisions ayant des impacts sur l'environnement sont essentielles pour mener à bien les transitions qui sont devant nous car elles constituent la garantie de l'acceptabilité et de l'effectivité de ces transitions.
Aussi, nous souhaitions particulièrement vous entendre dans le cadre de l'examen prochain, par le Sénat, du projet de loi relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables qui a été déposé sur le bureau de notre assemblée le 26 septembre dernier et dont certaines mesures du texte initial concernent directement la CNDP, je pense à l'éolien en mer.
Toutefois, de nombreux autres sujets sur lesquels travaille la CNDP intéressent notre commission : je pense au futur débat sur le nouveau programme nucléaire français, au débat qui s'est achevé il y a peu sur le nouveau plan de gestion de gestion des matières et déchets radioactifs, à celui sur la politique agricole commune (PAC), ou encore à diverses projets et plans structurants pour nos territoires et qui font l'objet d'une intervention de la CNDP.
En outre, le Parlement devra examiner, avant le 1er juillet 2023, une loi de programmation relative à l'énergie et au climat. Dans ce cadre et pour alimenter les travaux de préparation de ce texte important, une concertation nationale sur le système énergétique est en cours, sous l'égide de la CNDP, conformément à la saisine du 23 février 2022 signée par la ministre de la Transition énergétique et le ministre chargé des Relations avec le Parlement et de la participation citoyenne. Le Président de la République a en outre indiqué que cette concertation nationale aurait lieu au second semestre 2022.
On comprend donc déjà, soit dit au passage, que le calendrier fixé par le code de l'énergie, visant une adoption de cette loi de programmation avant le 1er juillet 2023, sera difficilement tenable ; le Gouvernement l'a d'ailleurs lui-même déjà reconnu.
Je rappelle enfin que nous examinons chaque année les crédits budgétaires qui contribuent au fonctionnement de la CNDP, et qui sont inscrits dans le programme 217 de la mission « écologie, développement et mobilités durables ». À cet égard, vous nous direz si les moyens budgétaires, en légère hausse, alloués cette année à la commission que vous présidez et vos effectifs vous semblent à la hauteur des missions qui vous sont assignées.
Avant de vous laisser la parole, je souhaitais vous poser deux questions liminaires.
D'abord, près de cinq ans après votre nomination, quel regard portez-vous sur le fonctionnement de la démocratie environnementale dans notre pays et sur les évolutions législatives et réglementaires intervenues en la matière ces dernières années ? Grâce à votre expérience sur des projets récents, vos interactions avec les ministères et les sujets sur lesquels vous travaillez actuellement, quels obstacles identifiez-vous au renforcement de la culture de la participation et de la concertation dans notre pays ? À l'inverse, quels sont les atouts de notre modèle de démocratie environnementale par rapport à nos voisins européens, selon vous ?
Je serai notamment preneur de votre retour d'expérience sur l'élaboration de la loi « climat et résilience », que notre commission a examiné au fond, et qui était née de l'exercice assez particulier de la « convention citoyenne », dont la méthodologie ne correspondait pas tout à fait à celle que la CNDP a l'habitude de mettre en place.
Ensuite, pouvez-vous nous présenter les grandes lignes de la méthode de concertation en cours sur la future loi de programmation énergie-climat, la gouvernance de la concertation et les étapes du processus ?
Je vous laisse à présent répondre à ces premières questions, Madame la Présidente, puis nous nous concentrerons, si vous le voulez bien, sur le projet de loi relatif à l'accélération de la production des énergies renouvelables et je donnerai la parole à Didier Mandelli, notre rapporteur, qui vous interrogera spécifiquement sur ce texte, ainsi qu'à l'ensemble de nos collègues. Je vous remercie.
Mme Chantal Jouanno, présidente de la commission nationale du débat public (CNDP). - Je suis ravie de vous retrouver, tout particulièrement dans cette salle de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable.
La commission nationale du débat public (CNDP) a été créée il y a vingt-cinq ans et a rapidement été transformée en autorité administrative indépendante (AAI). Son rôle est de garantir le droit à l'information et à la participation du public à l'élaboration des décisions sur les projets ayant un impact sur l'environnement. Il s'agit d'un droit inscrit dans la Constitution, reprenant des enseignements de la convention d'Aarhus.
Le droit à l'information implique de devoir veiller à ce que le public ait accès à une information pluraliste, contradictoire et surtout compréhensible. Nous n'émettons pas cette information mais nous veillons à ce que l'information émanant du maître d'ouvrage et celle émanant des autres acteurs soit la plus accessible possible.
Le droit à la participation n'est pas seulement un droit à être consulté, il s'agit d'un droit à participer à l'élaboration des décisions. Ce droit se traduit de manière concrète par l'obligation pour le maître d'ouvrage, à l'issue d'une concertation, d'indiquer ce qu'il retient du débat public. Il doit motiver ses décisions lorsqu'il ne retient pas les propositions du public.
Le rôle de la CNDP est bien distinct de celui des commissaires enquêteurs, qui interviennent à la fin de l'élaboration du projet, juste avant l'autorisation d'engager les travaux, pour émettre un avis - favorable ou défavorable - sur le projet. La CNDP intervient quant à elle au tout début de l'élaboration du projet, à un moment où l'on peut débattre de son opportunité même, avec une obligation absolue de neutralité. Nous n'émettons jamais d'avis sur le fond du projet mais uniquement sur la qualité de la participation.
Notre activité a fortement augmenté depuis cinq ans puisqu'elle a été multipliée par sept. Nous avons entre 130 et 150 procédures par an de concertation ou de débat public sur des sujets très variés.
La démocratie environnementale est très particulière en France. La loi, sur laquelle elle repose, est très élaborée et conduit à reconnaître la France comme modèle sur le sujet. Nous recevons très souvent des délégations internationales s'inspirant du modèle français. L'Italie vient d'adopter une loi créant l'équivalent de la CNDP. Ce modèle exige de débattre de l'opportunité des grands projets très tôt, avant d'engager des études et des frais importants pour les maîtres d'ouvrage.
Cette démocratie fonctionne bien, comme en atteste la forte augmentation des procédures. Nous sommes énormément sollicités par les collectivités pour des missions de conseil. Présidant chaque année les trophées de la participation, je peux témoigner que les petites communes ont une activité participative extrêmement importante. En 2022, les dossiers les plus nombreux émanent de communes de moins de 10 000 habitants.
Cependant, alors que nous avons toujours connu un mouvement de progression du droit à la participation, nous constatons quelques régressions importantes.
Ainsi, s'agissant des projets n'étant pas obligatoirement soumis à la CNDP, le délai pour le public, les associations ou les collectivités pour saisir la CNDP a été raccourci par la loi d'accélération et de simplification de l'action publique (ASAP), passant de quatre à deux mois.
En outre, à l'issue de cette loi, un décret a été adopté multipliant par deux les seuils au-delà desquels la saisine de la CNDP est obligatoire. Environ 45 % des projets soumis auparavant à l'obligation de participation n'y sont ainsi plus soumis. Ils ne font pas nécessairement l'objet d'une procédure volontaire à l'initiative d'associations ou de citoyens puisque ce délai d'initiative a été divisé par deux. Il est compliqué pour les associations de connaître l'existence d'un projet et de s'organiser dans un délai si restreint.
Par ailleurs, la loi énergie-climat (LEC) a prévu que la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), auparavant potentiellement soumise à débat public, ne le serait plus et ne ferait plus que l'objet d'une concertation dont les conditions restent à définir par un décret.
Ces évolutions législatives et réglementaires ont restreint le champ de la participation dans le cadre de la CNDP.
En parallèle, d'autres initiatives ont été menées, comme la Convention citoyenne sur le climat. Il s'agit d'un exercice que nous appelons de « mini publics » car ceux-ci sont tirés au sort. Ce n'est pas un exercice nouveau ; nous avons utilisé cette modalité pour la première fois en 2004. Une trentaine d'exercices de ce type ont été organisés à ce jour dans le cadre de débats publics. Ainsi, pour la PPE, 400 citoyens avaient été tirés au sort, réunis à l'Assemblée nationale, pour hiérarchiser différentes propositions.
La CNDP croit donc aux conventions citoyennes puisqu'elle y a recours elle-même. Cependant, on ne peut se reposer uniquement sur des conventions citoyennes pour organiser la participation du public. Il est important que toutes les personnes potentiellement concernées par un sujet puissent bénéficier de la même information et puissent participer au débat public.
L'exercice de convention citoyenne doit toujours être complété par un exercice ouvert au grand public, quelle que soit sa modalité. Dans notre jargon, nous disons qu'il faut toujours mélanger « mini public » et « maxi public ».
S'agissant de la participation, celle-ci ne se justifie pas en elle-même ; il faut veiller à ce que le décideur s'engage à mettre en débat le projet et qu'il s'engage à reprendre ou non des propositions formulées dans ce cadre. C'est ce point qui a posé problème s'agissant de la convention citoyenne pour le climat : il n'existait pas de garantie légale sur la manière dont les conclusions de la convention seraient ensuite reprises.
S'agissant de la concertation devant contribuer à l'élaboration de la loi de programmation énergie climat (LPEC), nous travaillons depuis plusieurs mois avec EDF sur la saisine adressée à la CNDP concernant les projets de construction de nouveaux réacteurs de type EPR.
Un débat public sera organisé du 27 octobre au 27 février sur l'ensemble du programme de construction de nouveaux réacteurs, dont les deux réacteurs EPR 2 de Penly. Nous avions signalé au Gouvernement par un avis qu'il aurait été préalablement opportun de pouvoir mettre en débat la place de l'énergie nucléaire dans l'ensemble du mix énergétique. Le Gouvernement a répondu favorablement. La CNDP a mené une mission de conseil pour proposer la méthode de concertation, placée sous l'égide du Gouvernement et non de la CNDP. La méthode a été proposée en avril dernier. Cet exercice, comme le débat public sur les EPR, a vocation à éclairer le Parlement pour ses travaux dans le cadre de la LPEC. Il est donc important que les conclusions de cet exercice interviennent avant les débats parlementaires. Nous aurions également préféré que la concertation nationale intervienne avant le débat sur les EPR.
Mme Ilaria Casillo, vice-présidente de la CNDP. - Comme l'a indiqué la présidente, nous avons proposé au Gouvernement un rapport détaillant la méthode pour mettre en place cette concertation nationale sur le système énergétique de demain. Selon nous, cette concertation devait se rattacher aux débats parlementaires, pour mettre ainsi en dialogue démocratie participative et démocratie représentative. À la CNDP, cette articulation nous paraît essentielle.
Nous avons proposé au Gouvernement trois sujets : la consommation, la production (mix énergétique et électrique), et la gouvernance. Nous avons suggéré deux grands volets : un volet « maxi public », via un tour de France des territoires et un volet « mini public » via un forum de la jeunesse : 100 jeunes âgés de 18 à 25 ans tirés au sort, pour travailler sur des aspects particuliers de la LPEC. Ces discussions doivent servir à nourrir le projet du Gouvernement mais surtout les débats au Parlement. Les parlementaires pourront ainsi être éclairés par l'expertise citoyenne.
La CNDP n'a pas seulement élaboré la méthode de cette concertation, elle a également été missionnée par la Première ministre pour en être le garant. Nous veillerons à sa transparence, à la manière dont les réunions se dérouleront et à la forme que prendra le forum de la jeunesse. Par ailleurs, nous serons chargés de restituer ce qui aura été dit, en assurant un traitement neutre, transparent et exhaustif des paroles recueillies. Nous rédigerons le compte rendu des travaux du tour de France des régions mais aussi celui des discussions du forum de la jeunesse. La lettre de mission de la Première ministre précise également que le rapport de la CNDP devra éclairer les travaux de l'axe transition énergétique du Conseil national de la refondation (CNR).
M. Jean-François Longeot, président. - Je tiens à saluer la présence de notre collègue Patrick Chauvet, qui est le rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques pour les articles que notre commission a délégués au fond sur le projet de loi relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables.
M. Didier Mandelli. - Je souhaite vous interroger sur le texte relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables, que nous examinerons mercredi prochain en commission, mais aussi sur des sujets qui n'y figurent pas alors qu'ils sont essentiels pour garantir l'acceptabilité et la rapidité du développement des énergies renouvelables, dont nous avons besoin à la fois pour garantir la sécurité d'approvisionnement en électricité et en gaz et pour nous adapter au dérèglement climatique et à ses conséquences.
Je commence par une question générale : quels sont, selon vous, les points forts et les points faibles du texte ?
Ensuite, je souhaiterais vous interroger plus précisément sur l'enjeu de la planification, à terre et en mer, et de la concertation avec le public. Pour la planification terrestre du développement des ENR, quelle méthode, nationale et/ou territoriale, recommandez-vous ? À quelle échelle de planification pourrait-on identifier les zones qui pourraient accueillir les projets d'ENR (solaire, éolien, méthanisation, etc.) selon vous ? Sous quelle forme pourrait-on associer le public à la définition de ces zones ? Quelle devrait être la place des élus selon vous dans la prise de décision relative à l'identification de ces zones puis dans l'implantation des projets sur le terrain ?
S'agissant des projets éoliens en mer, la CNDP a été saisie à de multiples reprises afin d'organiser la participation du public sur des projets faisant l'objet d'appels d'offres, dès 2013 avec le parc de Saint-Nazaire et, plus récemment, pour les parcs de Sud Bretagne et de Centre Manche.
Dans la perspective de l'examen du projet de loi, pourriez-vous nous faire part des principaux enseignements à tirer des consultations organisées sur les projets éoliens en mer ? Identifiez-vous des « écueils » à corriger ?
J'aimerais en particulier savoir si vous avez identifié des pistes pour renforcer l'acceptabilité des projets dès le stade de la concertation préalable, par exemple à travers un renforcement de l'information mise à disposition du public sur les enjeux que recouvrent les zones d'implantation envisagées en matière de préservation de la biodiversité et, plus largement, de conciliation des différents usages en mer.
Selon vous, cette information est-elle suffisante aujourd'hui pour que le public se prononce en connaissance de cause sur l'implantation des parcs ?
Enfin, de l'avis de certains acteurs, l'une des clés du succès de nombre de nos voisins en matière d'éolien en mer - je pense notamment à l'Allemagne, à la Belgique et au Danemark - réside dans l'élaboration précoce et précise d'une planification spatiale - voire temporelle - des projets, qui permet de donner de la visibilité aux acteurs et de désamorcer, en amont, les conflits. Identifiez-vous des exemples étrangers dont nous pourrions nous inspirer pour améliorer la situation dans notre pays ? Comment, selon vous, la planification des projets éoliens en mer pourrait-elle s'organiser ?
Mme Chantal Jouanno. - Mon obligation de neutralité conduit à ne me prononcer que sur les aspects concernant l'information et la participation du public. Je ne pourrai donc pas répondre à votre première question sur les points forts et faibles du texte.
S'agissant de la planification terrestre, nous ne sommes saisis que pour très peu de projets d'énergies renouvelables terrestres. Il s'agit bien souvent de petits projets. Or, nous ne sommes obligatoirement saisis que pour les projets au-delà de 300 millions d'euros. Il est rare que ces projets dépassent ce seuil. Nous avons été saisis pour trois projets de parc éolien, dont un en cours, ainsi que sur le projet d'Horizeo de création d'un parc solaire de 1000 hectares en Nouvelle-Aquitaine.
Plusieurs enseignements peuvent être tirés du débat public sur le projet d'Horizeo. Le porteur de projet proposait de défricher 1000 hectares pour y installer des panneaux solaires. Les opposants au projet ont contesté cette nécessité, avançant que le schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET) précisait que la même puissance pouvait être atteinte en posant les panneaux sur des friches. Une expertise a été diligentée, qui a révélé que les chiffres du SRADDET avaient été surestimés, les friches formant plusieurs parcelles difficiles à optimiser.
Cet exemple démontre la nécessité de partir du terrain, d'identifier précisément zone par zone les usages pour réaliser une bonne planification terrestre.
De notre expérience, la planification optimale est celle qui part d'une démarche ascendante plutôt que descendante, en partant de la vision des élus locaux et des intercommunalités sur la réalité des terrains. Par ailleurs, plus on est proches du territoire, plus il est facile d'organiser l'information et la participation du public. Ce dernier a une « expertise d'usage » : il est capable de dire par son expérience ce qui se passe sur le terrain. Le rôle des élus est quant à lui d'arbitrer ces différentes visions et ces conflits d'usage.
L'éolien en mer ne déroge pas à ces nécessités de planification, même si l'échelle de la mer est beaucoup plus large. On imagine encore assez mal l'ampleur de ces projets industriels. Ainsi, pour le projet de parc éolien de centre Manche, qui correspond aux appels d'offres 5 et 8, entre 470 et 480 km2 sont concernés, avec des éoliennes culminant à plus de 300 mètres de haut, séparées entre elles d'un kilomètre pour éviter les effets de perturbations, pour un potentiel du parc de 2,5 gigawatts. Il s'agit d'échelles industrielles monumentales.
Nous avons au total organisé dix-sept débats publics et concertations sur les projets d'éoliens en mer. Plusieurs enseignements peuvent en être tirés.
On constate que les arguments ont beaucoup évolué au fil du temps. Les arguments économiques, qui opposaient la faible rentabilité des projets, tout comme les arguments des climatosceptiques, sont aujourd'hui très rares. En revanche, les arguments sur les conflits d'usage demeurent. La mer n'est pas un espace vide et des conflits d'usage existent déjà, entre la pêche, l'aquaculture, les transports, le tourisme, la défense. Les cartes de zonage de la mer montrent qu'il s'agit d'espaces déjà très denses.
L'organisation de débats publics sur les projets d'éoliens en mer est rendue difficile par le manque d'informations sur les questions environnementales. On connaît très peu les fonds marins tout comme les impacts de ces projets de parcs sur la faune marine. Le président du comité régional des pêches, que j'ai rencontré dans le cadre du débat public pour le projet de parc éolien Sud Bretagne, m'a ainsi assuré, carte faite à la main à l'appui, qu'il connaissait mieux les fonds marins que l'État. Face à cette insuffisance de connaissances de données environnementales, le Gouvernement a lancé le projet Migralion, à hauteur de 3 millions d'euros, mais beaucoup reste à faire.
Un autre élément est à souligner : quand le public est consulté sur un projet de parc d'éolien en mer, il veut savoir quel sera le « coup d'après ». Cela a ainsi été le cas en Normandie en 2019. La question de la planification devient centrale pour le débat public. C'est la raison pour laquelle nous avions préconisé dès 2019 de donner de la visibilité au public sur le nombre de parcs envisagé sur une zone. C'est important pour le public, comme pour le porteur de projet. C'est utile pour connaître les impacts cumulés, s'agissant des impacts environnementaux mais aussi s'agissant des impacts sur le fonctionnement des différents parcs. Nous nous réjouissons que le Gouvernement envisage cette planification.
L'article 12 du projet de loi relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables prévoit que la procédure de participation du public sur la construction et l'exploitation des parcs éoliens en mer soit menée en commun avec celle effectuée sur les documents stratégiques de façade (DSF). Il n'y aurait ainsi qu'une seule procédure. Sur le papier, cette disposition est intéressante ; en réalité, elle sera très difficile à mettre en oeuvre.
La PPE et les DSF ne sont pas des outils de planification. Ainsi, la PPE adoptée pour 2019-2028 fixe seulement, pour post 2024, un objectif de 1 000 mégawatts par an, posés ou flottants, en mer. Elle n'indique ni le nombre de parcs que cela représenterait, ni leur emplacement.
Les DSF quant à eux doivent élaborer des cartes de vocation, c'est-à-dire identifier en mer les différentes zones où peuvent se développer des activités économiques, d'énergies renouvelables ou de transports. Certaines de ces cartes sont très précises quand d'autres ne le sont pas du tout. Ainsi, la carte de vocation de la façade maritime Manche Est-mer du Nord, reste très large, sans zonage précis, se contentant de mentionner des « zones à fort potentiel de développement éolien ». À l'inverse, le DSF Méditerranée est extrêmement détaillé et les différentes zones sont précisément identifiées sur la carte de vocation, étant ainsi utilisable en cas de débat public. Dès lors, les DSF étant trop inégaux dans leur degré de précision, on ne peut s'appuyer partout sur les cartes de vocation pour identifier les zones où implanter potentiellement les parcs éoliens en mer. Je rappelle par ailleurs que les DSF font déjà l'objet d'une procédure de participation du public, à l'échelle de la façade. Or, nous avons déjà eu du mal à rassembler du public pour ce genre d'exercice. Le grand public sera difficile à mobiliser.
En outre, il a fallu quasiment 3 ans pour élaborer les DSF, suivant une procédure en quatre étapes : l'existant, les objectifs, les modalités d'évaluation et les plans d'action. Les cartes de vocation n'interviennent qu'à l'étape des plans d'action tandis que la participation du public intervient dès la première étape.
Si les procédures de participation du public pour les projets d'éoliens en mer et celles pour les DSF étaient menées en commun, deux possibilités s'offriraient. La première consisterait à partir des cartes de vocation telles qu'elles sont, c'est-à-dire extrêmement vagues pour la plupart, en essayant d'y intégrer des projets de parcs éoliens en mer. Les acteurs de la mer risquent de dénoncer le manque de concertation puisque les conflits d'usage n'auront pas au préalable été réglés. La seconde option viserait à mettre en débat à la fois les cartes de vocation pour régler les conflits d'usage, et les projets de parcs éoliens en mer. Des cartes de vocation seraient alors adoptées pour six ans ou douze ans si le DSF est renouvelé, ouvrant alors la possibilité à des parcs éoliens de sortir de mer. Le risque est, dans ce cas, que le public et les élus locaux dénoncent le manque d'informations et de concertations sur ces projets qu'ils découvriront.
Selon nous, une première étape indispensable doit consister à se mettre d'accord sur les cartes de vocation et sur les conflits d'usage. Un arbitrage politique est alors nécessaire, pour déterminer par exemple avec la le ministère des Armées si l'on peut modifier les zones réservées, comme cela a été fait en Normandie. Dans une deuxième étape, seraient mis en débat les projets de parcs éoliens en mer. Plutôt que de mettre en débat les projets un par un, nous proposons de mettre en débat cinq, six voire dix projets en même temps. Cela aurait pu être fait en Méditerranée, où la carte de vocation est suffisamment précise pour envisager un débat sur l'implantation de parcs. Cette solution donnerait de la visibilité à l'ensemble des acteurs, élus locaux et industriels.
Cependant, cette solution impliquerait que l'État, et tout particulièrement la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC), ait les moyens humains de porter ces projets. Or la DGEC n'est pas assez dotée. Comme nous l'avons souligné en conclusion du dernier débat sur les projets de parc éolien en mer au large d'Oléron, il faut sans doute augmenter les moyens humains de la DGEC.
M. Stéphane Demilly. - Dans le contexte des crises climatiques et énergétiques que nous connaissons, le projet de loi dont nous discutons aujourd'hui a pour ambition de favoriser le développement des énergies renouvelables. Le Conseil d'État a approuvé ce texte, tout en relevant que son étude d'impact était « inégale, insuffisante sur plusieurs articles, voire inexistante sur certaines dispositions pourtant importantes ». Ces manques découleraient notamment des très brefs délais dans lesquels les organismes ont été consultés.
C'est sur cette lacune que je souhaiterais vous interroger car l'impact de ce texte peut être extrêmement important pour nos concitoyens. Le projet de loi prévoit notamment d'alléger les exigences environnementales applicables à l'installation d'éoliennes et de panneaux photovoltaïques en nombre et de dédommager certains riverains s'ils acceptent près de chez eux ces sources d'énergie verte. J'insiste, depuis plusieurs années, à l'Assemblée nationale et au Sénat aujourd'hui, sur les conséquences que peut avoir l'installation de mâts éoliens dans un territoire. Je pense spécifiquement à ma région, les Hauts-de-France, première région en termes de nombre de mâts éoliens avec 30 % de la production installée.
J'en viens à mes deux questions, qui rejoignent celles de notre rapporteur Didier Mandelli. Sur un sujet polémique comme celui des éoliennes, ne pensez-vous pas que l'avis des populations, ou a minima des élus locaux, devrait être mieux pris en compte, jusqu'à leur donner un droit d'opposabilité ? Les délais de consultation vous apparaissent-ils suffisants pour que pédagogie, concertation et le cas échéant acceptation puissent rimer avec sérieux et sérénité ?
M. Jean-Michel Houllegatte. - Je voudrais revenir sur l'éolien en mer pour apporter un complément. Je vous remercie pour votre avis, qui souligne la nécessité de procéder en deux temps.
Dans la première version de l'étude d'impact, son rédacteur mentionnait pour l'article 12 que « le point faible est le risque que le volet éolien en mer prédomine, monopolise le débat public sur le DSF, au détriment des autres volets du DSF ». Cette phrase, probablement gênante, a disparu de la nouvelle version de l'étude d'impact.
J'ai participé au débat public sur l'appel d'offres 8. Converger sur une zone de moindre contrainte me paraît tout à fait prometteur. Tout le monde s'accorde à reconnaître que la meilleure façon d'accélérer les projets est d'engager le plus en amont possible la concertation et que celle-ci puisse s'opérer tout au long du projet. C'est le sens d'ailleurs de l'avis du conseil économique social et environnemental (Cese), qui a publié un rapport sur l'acceptabilité des nouvelles infrastructures de transition énergétique.
Le conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) a également réalisé un travail remarquable il y un an, qui propose une refonte complète des procédures. Il propose notamment de nommer un garant pour chaque projet soumis à concertation et de maintenir la participation continue jusqu'à l'autorisation du projet. Je voudrais avoir votre avis sur ces travaux du CGEDD.
J'ai bien compris que vous ne retenez pas la proposition de fusionner les fonctions de garant et de commissaire enquêteur.
M. Éric Gold. - L'utilité et la pertinence du débat public ne sont plus à prouver. Nombreux sont les projets ayant été modifiés, voire remaniés significativement. La réforme du dialogue environnemental a fait évoluer les procédures de participations du public et élargi considérablement les champs de compétence de la CNDP. Mais les dossiers devant légalement faire l'objet d'une saisine de la CNDP sont retenus sur des critères quantitatifs plus que qualitatifs. En effet, seuls les projets importants en termes de coûts sont soumis à débat. Or, d'un point de vue écosystémique, des projets d'envergure financière plus modeste mais concernant des zones fragiles peuvent aussi engendrer des impacts environnementaux importants et étendus.
De plus, le contexte de réchauffement climatique et de crise énergétique nous pousse collectivement à accélérer le développement des énergies renouvelables. Le projet de loi prévoit l'accélération de certaines procédures. Dans nos circonscriptions, nous constatons une accélération de la prise de conscience de l'urgence climatique mais beaucoup de résistance des habitants et parfois des élus face aux projets d'éoliennes, de photovoltaïque et autres méthaniseurs. Avec votre expérience du débat public, quelles sont les pistes pour favoriser les énergies renouvelables tout en protégeant les zones les plus fragiles et en permettant une meilleure acceptation populaire des outils de la transition, y compris s'agissant des petits projets ?
Mme Nicole Bonnefoy. - J'avais deux questions concernant le projet de loi, ainsi qu'une question subsidiaire.
L'article 2 du projet de loi ajoute aux cas d'exemption de l'enquête publique les projets soumis à permis de démolir ou à déclaration préalable lorsqu'ils relèvent d'une évaluation environnementale après examen au cas par cas. À ce stade, rien n'interdirait de diviser les grands projets en plusieurs petits projets dont la puissance serait inférieure à 1 méga watt, pour ainsi échapper à l'enquête publique. Que pensez-vous de cette possible dérogation à l'information des citoyens ?
Ma deuxième question concerne l'article 3, qui donne clairement la possibilité d'imposer aux élus des modifications profondes de leur projet d'aménagement et de développement durable (PADD). Les élus locaux sont des passeurs d'informations non négligeables. Ils contribuent justement à l'acceptabilité en permettant de mettre en exergue les atouts et les risques de telles infrastructures. Dans votre avis vous indiquiez que la réforme envisagée ne doit pas se traduire par une régression du droit à l'information et à la participation du public, qui est un droit constitutionnel. Que pensez-vous du risque de dématérialisation généralisée des enquêtes publiques, au regard des populations rurales exposées, qui sont souvent vieillissantes et peu enclines à maîtriser l'outil numérique ? N'y a-t-il pas un risque de laisser sur le bord du chemin toute une partie de la population, pourtant bel et bien concernée par ces nouvelles infrastructures ?
Ma question subsidiaire concerne la culture de la sécurité et du risque, sur lequel nous avons beaucoup travaillé dans cette commission. Il s'agit d'un élément indispensable pour améliorer notre résilience face à des événements exceptionnels comme les catastrophes climatiques ou les accidents industriels. Quelle perception avez-vous de cette culture de la sécurité chez nos concitoyens à travers les concertations et les débats que vous avez menés ? Sentez-vous une réelle appétence des citoyens pour ces questions et comment pourrait-on renforcer cette culture ?
Mme Chantal Jouanno. - La loi pour un État au service d'une société de confiance (ESSOC) du 10 août 2018 a modifié la manière dont doivent être menés les débats publics sur les projets de parcs éoliens en mer.
Auparavant, les débats publics intervenaient une fois que le parc avait été attribué au porteur de projet. Cela créait de la crispation de la part du public, qui ne comprenait pas ce qu'il y avait à débattre si tout avait déjà été défini. Cela a ainsi été le cas dans pour le projet de parc éolien en mer Dieppe - Le Tréport, où il aurait fallu modifier la zone pour que le projet soit acceptable, notamment pour les pêcheurs.
La loi ESSOC a été pleinement appliquée en Normandie et en Méditerranée où la CNDP a été sollicitée très en amont pour identifier localement les zones de moindre impact. Cela n'a pas été réellement le cas pour les projets sud-Bretagne et au large d'Oléron, où les zones avaient déjà été prédéfinies localement avec les acteurs locaux. La CNDP a été sollicitée uniquement pour valider cette zone, ce qui a créé des difficultés avec les acteurs locaux qui ne comprenaient pas la nécessité d'organiser une concertation avec le public alors qu'une concertation s'était déjà tenue. De même, le public a déploré que les marges de choix soient faibles. Ces nouvelles modalités introduites en 2018 fonctionnent plutôt bien. Deux zones très importantes ont été attribuées en 2019 en Normandie.
Le principe de la concertation continue implique que celle-ci court du débat public jusqu'à l'enquête publique ou à la participation du public par voie électronique (PPVE). Si cette concertation continue existe bien, le public demande cependant à être associé à l'élaboration du cahier des charges. Or, nous n'avons jamais obtenu gain de cause sur ce sujet. Nous demandons également qu'il y ait une instance de concertation dédiée pour les pêcheurs car des problèmes spécifiques se posent pour la pêche - pourront-ils pêcher au milieu des parcs ? Quel sera le régime de responsabilité en cas de difficulté ? De la même manière, nous n'avons pas eu gain de cause sur ce sujet.
Concernant la fusion commissaire enquêteur et garant, je rappelle que nous n'avons pas les mêmes missions. La CNDP a une obligation absolue de neutralité, qui est une condition de confiance pour garantir la participation du public. Le commissaire enquêteur doit quant à lui émettre un avis motivé. Il faudrait modifier ses missions pour que cette fusion soit possible.
S'agissant des critères pour la saisine obligatoire de la CNDP, l'article R. 121-2 du code de l'environnement ne fixe que des seuils financiers. Ce critère n'est pas toujours pertinent puisque des petits projets peuvent avoir des impacts environnementaux importants. Pour ces petits projets, la CNDP peut néanmoins être saisie de manière volontaire, ce qui est relativement fréquent. L'autre limite de l'article R. 121-2 est que sont exclus de la consultation du public un certain nombre de projets ayant réellement un impact sur l'environnement. C'est ainsi le cas pour les data center, qui pour certains atteignent 130 mégawatts. Cela l'est également pour une extension de capacités d'aéroport. Le terminal 4 de Roissy, qui a tout de même entraîné une augmentation très importante de capacité, était exclu de l'obligation de participation du public. Aéroports de Paris (ADP) a certes sollicité la CNDP, mais le groupe l'a fait de manière volontaire. Il y a donc bien un problème d'adaptation de cette participation du public à la réalité des nouveaux projets.
Pour favoriser le développement d'énergies renouvelables, y compris pour les petits projets, la première chose est de procéder par ordre, en déterminant le potentiel, les zones possibles d'installation, les conflits d'usage. Par ailleurs, la participation, telle que nous la menons, c'est-à-dire très en amont, ne permet pas de mesurer l'acceptabilité. Nous mettons en débat ce projet mais aussi ses alternatives. Nous identifions plutôt les conditions de faisabilité du projet.
La réalité est que le public a souvent l'impression que les projets sont anarchiques.
Le besoin de visibilité et de planification concerne à la fois le maritime et le terrestre.
Par ailleurs, l'exigence de territorialisation des projets se pose à chaque fois. Le public est réticent face à un projet quand il a l'impression qu'il s'agit d'un projet national plaqué sur un territoire. La nécessité de territorialisation s'est ainsi manifestée pour Horizeo ou encore pour le projet de parc éolien du Blayet.
S'agissant de l'article 2 du projet de loi, nous ne sommes pas favorables à ces mesures qui laissent entendre, en outre, que l'enquête publique serait inutile ou constituerait une procédure superfétatoire.
Les procédures de participation par voie électronique (PPVE) se développent de plus en plus. Généralement ces PPVE sont organisées sans garant. Néanmoins, les PPVE sur les projets olympiques ou encore sur les prisons ont été organisées avec garant. Le garant vérifie que la procédure se déroule de manière sincère. Il rédige les conclusions de la procédure, faisant le bilan de ce que le public a dit. Nous demandons au garant de veiller à ce que la procédure ne soit pas seulement numérique car 14 % de la population n'a pas accès au numérique. Ces populations sont de fait exclues dans les cas de PPVE.
Nous avons ainsi alerté sur les risques que représenterait le recours à des PPVE s'agissant des travaux d'infrastructures pour les jeux olympiques en Seine-Saint-Denis. La plupart des habitants ne seraient ni informés de l'existence de ces projets ni ne pourraient participer. Nous avons exigé qu'il y ait aussi des procédures en présentiel. La procédure 100 % numérique conduira de fait à exclure des populations. Or la Constitution et le code de l'environnement prévoient que toute personne doit avoir la possibilité d'être informée et de participer. Nous portons, sur ce sujet, le même discours que la Défenseure des droits. Même pendant la crise du covid, nous n'avons jamais fait de concertation ou de débat public uniquement par voie numérique. Nous avons conservé des moments en présentiel. Il s'agirait sinon d'une participation détournée.
S'agissant de la culture de la sécurité et du risque, nous voyons apparaître cet enjeu plus ou moins selon les sujets mis en débat. Ainsi, sur le nucléaire, lors du débat sur le plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR), cet enjeu a bien évidemment été abordé. Pour le futur débat sur les EPR 2, il devrait également être abordé. L'attente est très forte.
La difficulté que nous rencontrons est que le niveau de débat s'agissant du nucléaire est d'une très grande technicité. Il y a une grande différence parmi les acteurs s'agissant de la culture du risque. La solution passe par le développement de l'information et par la garantie de sa clarté. S'agissant du débat sur les EPR 2, notre principal défi sera d'assurer l'accessibilité et la lisibilité des informations pour qu'elles soient compréhensibles par tous. L'institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) a remis hier à la CNDP deux expertises, l'une sur le bilan des EPR et l'autre sur les alternatives possibles à l'EPR dans le monde, y compris les « petits réacteurs modulaires », les small modular reactors (SMR) en anglais. Il s'agit de sujets passionnants et engageants pour l'avenir. Au-delà de ce document, nous avons demandé à l'IRSN de réaliser des vidéos ou des éléments explicatifs accessibles au grand public.
S'agissant de la concertation avec les élus locaux, la CNDP insiste pour rappeler que, pour avoir du sens, la participation a besoin de temps. Il faut laisser du temps à l'ensemble des acteurs ainsi qu'au public pour s'informer. Il faut ensuite laisser le temps aux arguments de se rencontrer, pour qu'ils puissent être compris des uns et des autres, et pour leur permettre potentiellement d'évoluer.
Le temps de la concertation et de la participation en général n'est pas un temps perdu.
L'argument selon lequel la participation prendrait trop de temps et qu'il serait nécessaire d'accélérer le temps de la concertation n'est attesté par aucun des rapports commandés sur ce sujet. C'est en outre un argument assez dangereux : il laisserait à penser que le temps de la démocratie, qu'elle soit participative ou représentative, est un temps perdu. Or, il s'agit d'un temps où vont être identifiées les conditions de réalisation du projet. Les rapports récents ont démontré que les délais observés sur les grands projets sont généralement liés aux délais d'arbitrages politiques et aux délais de financement. Cette réalité est documentée, y compris dans le rapport « Guillot » dont les travaux ont pourtant été conduits par un industriel.
L'avis des populations et des élus locaux nous paraît absolument nécessaire pour éviter de commettre des erreurs. Depuis vingt-cinq ans, nous avons conduit 105 débats publics, qui concernent les projets plus importants ou les plus conflictuels. Sur cette période, moins de vingt projets sont sortis de terre. Au regard de ces chiffres, il ne me semble pas que la difficulté provienne du temps de la participation. Il est nécessaire de mettre à plat l'ensemble des procédures.
Quant au délai de consultation sur le projet de loi d'accélération de la production d'énergie renouvelable, vous aurez noté les réactions du Conseil national de la transition écologique (CNTE). La CNDP s'est prononcée avec les éléments dont elle disposait mais nous essayons encore d'organiser des réunions avec la Direction générale des affaires maritimes, de la pêche et de l'aquaculture (DGAMPA) ainsi qu'avec la DGEC pour fixer leurs propositions sur l'article 12. Ce texte contient à la fois des mesures permanentes et des mesures temporaires. Peut-être les mesures permanentes auraient-elles pu être discutées dans le cadre de loi programmation énergie-climat, après la concertation nationale qui aurait permis de mettre à plat l'ensemble de ces sujets.
Notre action est d'identifier en amont les conditions de faisabilité du projet, nous n'intervenons pas au stade où le projet est en voie d'être autorisé. Nous ne sommes donc jamais confrontés à la question de l'opposabilité possible des conseils municipaux.
Mme Angèle Préville. - Il se dit que nous aurions la meilleure démocratie environnementale du monde. Vous avez néanmoins mentionné des régressions récentes. Vous semble-t-il que notre démocratie environnementale s'abîme ?
Je voudrais signaler un changement de paradigme sur nos territoires s'agissant des projets d'énergies renouvelables. Dans le département du Lot, beaucoup de petits projets de panneaux photovoltaïques - et non pas un projet global - se montent. Or ces petits projets ne sont pas soumis à l'obligation de consultation du public alors même qu'ils ont un impact environnemental. Ne pourrait-on pas envisager tout de même une obligation de consultation du public, pourquoi pas à l'échelle du département ?
Comme vous l'avez rappelé, il n'y a pas eu de consultation du public lors de l'installation des premières centrales nucléaires. Une consultation est lancée mais ne faudrait-il pas prévoir une interrogation plus globale vers les Français sur leurs choix en matière de mix énergétique ?
Mme Martine Filleul. - Madame la présidente, je partage votre inquiétude ainsi que celle de notre collègue Nicole Bonnefoy s'agissant du développement des consultations dématérialisées. De fait, 14 % de la population en sont exclus, sans oublier que 50 % de la population se sent mal à l'aise face au numérique. Ce mode de consultation électronique est dissuasif et contre-productif au regard de l'objectif d'une plus grande participation du public.
Je voulais également aborder la remise en cause du rôle social du commissaire enquêteur, prévue à l'article 2 du projet de loi. Le commissaire enquêteur aide à la compréhension de chacun des projets, parfois très complexes. Il aide également les citoyens à formuler des avis. Son rôle est donc majeur. Que pensez-vous de cette remise en question ? Plus généralement, je constate que nous voulons aller vite, sans garantie pour autant d'aller dans le bon sens.
Mme Denise Saint-Pé. - Je voudrais vous interroger sur l'article 12 du projet de loi, qui prévoit la possibilité de mutualiser les débats pour l'éolien en mer. Y voyez-vous une manière d'enrichir le débat public ou au contraire une menace ?
M. Pascal Martin. - La CNDP a récemment été mobilisée pour la concertation autour du nouveau plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR) et le sera pour le débat sur le nouveau programme nucléaire français. La presse a publié l'avant-projet de loi du Gouvernement sur le nouveau nucléaire. Pouvez-vous nous en dire plus sur la méthode, les modalités et le calendrier de ce débat structurant et déterminant pour notre politique énergétique ? Quels sont les principes qui doivent selon vous guider cette concertation ? Quels seront les lieux de débat et de concertation ?
M. Guillaume Chevrollier. - La complémentarité entre le débat participatif et la démocratie représentative est une réalité de chaque jour dans nos collectivités. Les élus locaux organisent des concertations pour mener à bien des projets, ce qui prend du temps. Comme vous l'avez souligné, il faut également prendre le temps de la discussion. Or, nous examinons un projet de loi d'accélération de développement des énergies renouvelables. Il faut donc trouver une ligne de crête pour concilier ces contradictions.
Êtes-vous confronté à des attaques cyber ? Viennent-elles de France ou de l'étranger ? Les énergies renouvelables étant un enjeu stratégique pour le pays, des actions de déstabilisation par des puissances étrangères sont possibles. Quel est le niveau de protection pour mener à bien le débat public ?
Dans le projet de loi, il est fait état de l'acceptabilité et du partage de la valeur locale. Dans les consultations que vous menez, le partage de la valeur locale est-il un point déterminant qui prime sur les autres considérations, notamment sur les considérations environnementales ? Plus globalement, avez-vous hiérarchisé les considérations récurrentes qui paraissent importantes à la population pour l'acceptabilité d'un projet ?
M. Ronan Dantec. - Les projets dont on parle sont des projets pour plusieurs décennies. Or, dans plusieurs décennies, le temps aura considérablement changé. Il serait donc nécessaire d'ajouter à ces projets un volet lié à l'adaptation au changement climatique. La CNDP a-t-elle la capacité d'intégrer l'enjeu de l'adaptation et de l'évolution du climat dans les concertations ?
Mme Chantal Jouanno. - Notre modèle de démocratie environnementale est très abouti grâce au code de l'environnement. Il y a eu des régressions, dont la principale porte sur le droit d'initiative. Pour autant, la CNDP est de plus en plus sollicitée, y compris pour des concertations sur le numérique responsable, la 5G. Ces concertations se développent tout particulièrement dans les petites communes. Ce n'est pas habituel puisque cela nécessite d'importants moyens. Cette réalité tord le cou à l'idée d'une dissociation entre démocratie représentative et démocratie participative. Ces deux formes de démocratie s'alimentent.
S'il est possible de saisir la CNDP de manière volontaire, l'incitation à la faire est d'autant moins importante aujourd'hui que le droit d'initiative est presque impossible à exercer. Le délai pour les acteurs pour saisir la CNDP est en effet passé à deux mois. Ce délai est très court pour permettre une participation du public.
Nous avons organisé 11 débats sur des projets nucléaires, le premier en 2004 sur le projet d'une usine d'enrichissement d'uranium.
En revanche, la place du nucléaire dans le mix énergétique n'a pas été mise en débat. Lors du débat sur la PPE en 2018, le Gouvernement a refusé d'inscrire ce sujet dans le débat. Quoi qu'il en soit cette question arrivera dans le débat public ou parlementaire puisqu'un plafond en termes de gigawatts a été fixé dans la loi s'agissant de la puissance nucléaire. Si de nouveaux réacteurs sont construits, il faudra faire évoluer ce plafond.
S'agissant du numérique, je rappelle que tout ne peut pas se faire de manière dématérialisée.
Nous travaillons beaucoup avec les commissaires enquêteurs, qui peuvent d'ailleurs également être garants de la CNDP. Selon nous, il faut un continuum. Il serait nécessaire de prévoir une réunion pour permettre sur un projet le passage de relais entre le garant et le commissaire enquêteur. Cela permet de faire le point et de partager les méthodes. Nous travaillons très bien ensemble et nous veillons à cette continuité allant du débat sur l'opportunité jusqu'au débat sur l'autorisation de lancer les travaux.
S'agissant de l'accélération des procédures, la question est de savoir si nous voulons aller vite ou si nous voulons aller loin. En karaté, on dit souvent qu'il ne faut pas confondre vitesse et précipitation.
Concernant la mutualisation des débats sur les projets de parcs éoliens en mer et les DSF, comme je l'ai dit, nous sommes favorables à ce que le DSF présente aussi une vision claire de ce que l'on souhaite faire en matière de développement des énergies renouvelables. Le temps de six ans des DSF est un peu trop court et correspond à une obligation européenne. Pourquoi ne pas mettre en place des DSF de douze ans, avec une clause de revoyure au bout de six ans, pour donner davantage de visibilité aux industriels ?
Nous sommes favorables à cette mutualisation mais je répète qu'il nous paraît nécessaire de distinguer deux temps : un temps pour régler les conflits d'usage et ensuite un temps pour débattre de l'emplacement et de l'échéance du développement des parcs éoliens en mer.
Le débat sur les nouveaux réacteurs nucléaires et le projet Penly s'ouvre le 27 octobre prochain à Dieppe et à Paris et durera jusqu'au 27 février. La première question sera celle de l'utilité de ce débat. En effet, le Président de la République ayant fait des annonces sur le sujet lors de son discours de Belfort et un projet de loi d'accélération du nucléaire étant prévu, les citoyens peuvent avoir le sentiment que tout est déjà décidé.
Ce débat servira à informer la population et à alimenter le débat parlementaire. Le Parlement est le réel décideur sur ce sujet, la LPEC étant une échéance très importante. Je doute que cette loi soit votée en juillet 2023.
Le débat public a été séquencé en dix questions et aura lieu sur l'ensemble du territoire national. Il y aura évidemment davantage de réunions en Normandie puisqu'il s'agit du premier territoire concerné mais des réunions sont également prévues à Saclay, à Lille, à Lyon, à Tours. Nous ne mettrons pas seulement en débat la construction de nouveaux réacteurs. Nous débattrons également de toutes les implications qui s'y rattachent. S'agissant des implications en amont, faut-il de nouvelles usines d'enrichissement d'uranium ? En aval, faut-il une nouvelle piscine à la Hague ? Les capacités de Cigeo sont-elles adaptées ?
Les moyens de participer sont extrêmement variés : réunions publiques, ateliers spécifiques, plateforme participative, possibilité de réunions locales pour démultiplier le débat sur l'ensemble du territoire... Nous identifierons les points qui font désaccord et nous demanderons aux experts d'expliquer les raisons de chaque position. Cela permet de rendre compréhensibles les arguments pour pouvoir les confronter. Nous appelons cela la « clarification des controverses ». Les écoles et les universités sont également mobilisées pour que les jeunes se saisissent de ce débat.
Le président du débat est Michel Badré, qui a été le premier président de l'Autorité environnementale. Il est reconnu pour ses qualités par les deux parties.
Le mur de 2050 constitue un enjeu majeur dont on mesure encore mal l'importance : électrification des usages, fin de vie de la plupart des réacteurs nucléaires...
L'accélération du développement des énergies décarbonnées est donc une évidence technique. Dans ce texte de loi se trouvent à la fois des mesures temporaires d'accélération et des mesures de plus long terme. Pourquoi ces mesures de plus long terme ne sont-elles pas intégrées dans la future LPEC ? C'est une question davantage politique, sur laquelle la CNDP ne peut pas se prononcer.
Nous avons une plateforme participative dont une des missions principales est de permettre à chacun de poser des questions et d'obliger le maître d'ouvrage à y répondre dans les quinze jours ainsi qu'à pouvoir déposer des contributions et des éléments d'information. Nous avons maintenu la règle de la modération a priori. Ne peuvent être postés sur cette plateforme et sur notre site que des éléments qui ont été validés préalablement pour éviter les attaques personnelles, les dérapages ou encore la mise en ligne de documents classés « secret défense ». Dès lors, nous n'avons pas été confrontés à ces difficultés cyber.
Mme Ilaria Casillo. - Le partage de la valeur locale est une question cruciale, récurrente dans nos débats. Deux enjeux s'y rattachent : celui de donner de la valeur au local et celui de partager la valeur. Donner de la valeur implique de reconnaître la particularité des lieux dans leur géographie physique, dans leur aspect patrimonial ou encore paysager. Partager la valeur consiste à déterminer qui bénéficiera des profits et des retombées au-delà des avantages fiscaux. La question de l'emploi local revient également systématiquement.
Il est nécessaire non seulement de permettre au local de s'exprimer mais également de l'écouter et de l'intégrer concrètement par la suite. L'intégration des pêcheurs s'agissant des projets d'éoliens off shore est ainsi cruciale. Nombre de nos débats mettent en exergue le fait que les pêcheurs demandent des instances spécifiques.
Mme Chantal Jouanno. - S'agissant de l'intégration de l'adaptation au changement climatique dans nos débats, nous manquons de données. Météo France et le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) ont réalisé des cartographies. Ce sujet sera cependant abordé lors du prochain débat public sur l'eau en Ile-de-France, avec le Syndicat des eaux d'Ile-de-France (Sedif).
Enfin s'agissant des moyens, la CNDP est une toute petite structure, rassemblant treize personnes dans l'équipe centrale. Elle repose sur un réseau de deux-cent vingt-cinq à deux-cent trente collaborateurs occasionnels du service public, répartis sur tout le territoire national et indemnisés à la mission. Au regard des 105 débats publics, cette équipe est très restreinte. Un poste a d'ailleurs été supprimé il y a deux ans, sans concertation et sans nous en donner les raisons. Deux ou trois postes supplémentaires au sein de l'équipe centrale paraissent aujourd'hui nécessaires.
M. Jean-François Longeot. - Madame la Présidente, je vous remercie de l'ensemble des informations que vous avez apportées à notre commission. S'agissant des moyens de la CNDP, je vous invite à vous rapprocher de notre rapporteur budgétaire pour avis, et, dans toute la mesure du possible, nous nous efforcerons d'appuyer vos demandes, tout en sachant que l'article 40 bride nos initiatives dans ce sens.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition de M. Hervé Berville, secrétaire d'État auprès de la Première ministre, chargé de la mer
M. Jean-François Longeot, président. - C'est avec plaisir que nous recevons Hervé Berville, nommé Secrétaire d'État chargé de la Mer placé auprès de la Première ministre.
Nous souhaitions vous entendre dans le cadre de l'examen prochain, par le Sénat, du projet de loi relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables, qui a été déposé sur le bureau de notre assemblée le 26 septembre dernier. En application du décret d'attribution publié en juillet dernier, votre secrétariat d'État est associé aux politiques publiques en matière de protection du littoral et d'énergies marines renouvelables, en lien avec le ministère de la transition énergétique d'Agnès Pannier-Runacher qui a en charge le développement des énergies renouvelables.
Cette rencontre est aussi l'occasion d'aborder votre feuille de route pour 2023, s'agissant des affaires maritimes.
Sans plus tarder, entrons dans le vif du sujet avec le projet de loi relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables qui comporte un titre dédié à l'éolien en mer. Je souhaiterais en particulier aborder trois points.
En matière d'éolien en mer, il semble exister un véritable paradoxe français. La France dispose du deuxième gisement de vent marin d'Europe, derrière le Royaume-Uni, mais nous sommes très en retard par rapport à nombre de nos voisins pour déployer cette énergie : alors que le Royaume-Uni possède déjà plus de 10 gigawatts (GW) de puissance installée et l'Allemagne plus de 7 GW, nous en sommes tout juste à mettre en fonction notre premier parc éolien offshore à Saint-Nazaire, qui disposera d'une capacité de 480 mégawatts (MW).
Le retard s'accumule et l'objectif fixé par la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) d'une capacité de 6 GW en 2020, a déjà été reporté à 2028. Récemment, le Président de la République a annoncé un relèvement des objectifs à 18 GW pour 2035 et 40 GW pour 2050 : c'est louable, mais très difficile à concrétiser sans une véritable accélération du processus. En moyenne, il nous faut dix ans pour mettre en exploitation un parc éolien en mer, contre cinq ans en moyenne dans l'Union européenne. Or, de l'avis de nombreux acteurs, les dispositions du projet de loi sur l'éolien en mer permettraient tout au plus de gagner quelques mois sur l'ensemble du processus...
Quel regard portez-vous sur les raisons de ce retard français ? Votre ministère identifie-t-il des pistes complémentaires pour aller plus vite ?
Les autres énergies marines renouvelables ne sont pas traitées par le projet de loi. Je pense en particulier aux énergies houlomotrice, marémotrice et à l'énergie thermique des mers. Le Gouvernement identifie-t-il des mesures pour favoriser les investissements publics et privés dans ces énergies marines émergentes ?
Enfin, je souhaite vous entendre sur la place des ports dans le déploiement des énergies marines renouvelables. Situés à l'interface entre le domaine terrestre et maritime, les ports accueilleront de nombreuses activités nouvelles pour accompagner la transition énergétique : outre les activités industrielles -- telles que celles nécessaires à la fabrication et à l'assemblage des composants des éoliennes -- pensons à la logistique nécessaire à la construction et à l'exploitation des sites de production d'énergie en mer, mais aussi aux activités de maintenance. L'aménagement d'espaces adaptés à ces activités va nécessiter d'importants investissements dans les années à venir. Comment le Gouvernement a-t-il prévu d'accompagner les ports dans cette transition sur le plan financier ?
M. Hervé Berville, secrétaire d'État auprès de la Première ministre, chargé de la mer. - La politique maritime est une priorité du Gouvernement. La France dispose du deuxième espace maritime du monde et la mer, est un lieu de conflictualité renforcée - voyez notamment ce qui se passe dans la région indopacifique -, qui concentre des enjeux centraux pour l'humanité tout entière. Il y a l'enjeu du dérèglement climatique, qu'on ne pourra pas traiter sans aborder la question de la protection des océans, et l'enjeu de souveraineté économique, avec la pêche, la transition énergétique et, plus largement, l'économie maritime.
La feuille de route que m'a adressée la Première ministre s'articule autour de trois priorités.
La première, c'est la protection des océans et de la biodiversité marine, car sans ressource, il n'y a pas de pêche et nous ne pouvons pas faire face au dérèglement climatique ; l'accélération du dérèglement climatique nous oblige à travailler davantage, avec tous les acteurs, en particulier sur le trait de côte. La deuxième, c'est le développement de l'économie maritime, nous avons à défendre notre modèle de pêche, qui est diversifié, avec en particulier des actions aidant l'installation des pêcheurs et la décarbonation des navires, en articulant ces actions avec les politiques publiques conduites sur le littoral. La troisième, enfin, c'est la planification et la coordination des politiques publiques qui concernent la mer, car ses usages se diversifient - tourisme, pêche, énergies renouvelables -, il faut donc davantage d'organisation, en lien bien sûr avec les territoires concernés. Les objectifs peuvent être contradictoires, nous devons nous concerter davantage.
Notre méthode, c'est d'abord de partir du terrain : je me déplace autant que faire se peut sur tout le territoire, je suis allé à Boulogne-sur-Mer, en Corse, en Bretagne, en Gironde, au Pays basque - nous cherchons toujours à adapter notre stratégie au territoire.
Ensuite, nous voulons renforcer la présence de la France dans les institutions européennes : trop souvent, la politique de la pêche a été une variable d'ajustement des politiques publiques, nous devons rappeler à nos partenaires européens la priorité de l'enjeu maritime, nous devons défendre nos pêcheurs, nous voulons aussi encourager le déploiement des énergies renouvelables maritimes et il nous faut également protéger les outre-mer contre la pêche illicite et les atteintes de plus en plus nombreuses à la biodiversité.
Enfin, nous voulons fonder davantage l'action sur la science et l'innovation. Nous disposons d'équipes de premier plan au sein de l'Institut de recherche pour le développement (IRD), de l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer), du CNRS, les connaissances scientifiques sont très utiles au consensus, il faut les diffuser - et encourager la science, c'est pourquoi nous consacrerons quelque 350 millions à l'exploration des fonds marins.
Sur l'éolien en mer, nous donnons la priorité à la planification - car c'est elle qui explique la différence entre un parc éolien en mer qui est bien accepté et un autre qui est mal reçu. Il faut concerter les projets avec tous les usagers de l'espace maritime, comme nous le faisons sur la terre ferme et comme le font nos voisins européens, nous devons prendre en compte les attentes des pêcheurs aussi bien que des acteurs locaux, et d'abord des élus. La planification, c'est aussi l'articulation des projets avec la stratégie nationale pour la mer et le littoral, qui est en passe d'être redéfinie au sein du Conseil national de la mer et des littoraux et qui sera déclinée par façades maritimes. Je crois à l'intelligence collective, la concertation est un atout, je le dis comme élu de Saint-Brieuc où le premier parc éolien maritime français a été installé.
Nous travaillons aussi sur les autres énergies marines renouvelables, avec des tests pilotes, en Normandie, dans le Morbihan, nous le faisons en lien avec les collectivités territoriales, pour trouver les solutions alternatives aux énergies fossiles les mieux adaptées au territoire, chaque fois en lien avec l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe).
Les ports représentent un enjeu essentiel : il n'y aura pas de déploiement des énergies renouvelables maritimes sans eux. Avec Clément Beaune, nous réunissons la semaine prochaine les gestionnaires des grands ports maritimes (GPM) pour définir une stratégie nationale en la matière. Nous avons besoin d'associer les ports, ce qui suppose des adaptations législatives, en particulier pour libérer du foncier, pour installer des centres de maintenance, pour décarboner les ports - ils veulent aller de l'avant et nous devons les y aider, en lien avec la stratégie nationale pour la mer et le littoral, pour orienter les investissements à venir.
La stratégie nationale, de même, ne pourra pas se faire sans perspectives d'avenir pour les pêcheurs. Je n'ignore pas la crise que traversent les pêcheurs, liée au Brexit, à la guerre en Ukraine et à la crise énergétique - et c'est pourquoi le Gouvernement, c'est unique en Europe, a étendu aux pêcheurs l'aide aux carburants, avec une enveloppe de 28 millions d'euros, nous entendons continuer en portant le plafond à 120 000 voire 130 000 euros. Notre modèle est fondé sur la pêche artisanale, d'autres pays européens n'ont pas fait ce choix, nous avons davantage d'emplois directs et indirects liés à la pêche, nous aidons nos pêcheurs pour leur carburant - mais aussi à décarboner leurs navires, nous avons lancé un fonds d'amorçage de 6 millions d'euros dans cet objectif.
Enfin, nous voulons soutenir davantage la formation aux métiers de la mer, par des investissements dans les lycées maritimes : c'est le sens des augmentations de crédits que vous constaterez dans le projet de budget pour 2023 en particulier pour l'École nationale supérieure maritime (ENSM). Le pavillon français participe de notre souveraineté, les métiers de la mer sont de haute valeur ajoutée, ils sont territorialisés, il faut les promouvoir - ce sera aussi l'objet du stand de mon ministère au départ, le 6 novembre, de la route du rhum.
M. Didier Mandelli, rapporteur du projet de loi relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables. - La France va devoir résoudre une équation délicate pour atteindre les objectifs fixés par le Pacte éolien en mer signé en mars dernier par le Président de la République : accélérer le déploiement des projets éoliens offshore, en atteignant un rythme minimal d'attribution d'appels d'offres de l'ordre de 2 GW par an, tout en renforçant la concertation pour assurer l'acceptabilité sociale des projets qui a parfois fait défaut - je pense notamment au parc éolien de Saint-Brieuc, qui a suscité une vive contestation locale.
La solution dépendra de notre capacité à atteindre ces objectifs de déploiement, tout en associant étroitement toutes les parties prenantes. De nombreux acteurs - industriels, élus locaux, associations ou riverains - expriment une forme de lassitude vis-à-vis de la méthode suivie par le Gouvernement, qui donne l'impression de traiter les appels d'offres les uns après les autres par « à coups », sans donner une vision globale des projets envisagés à l'échelle des différentes façades.
L'article 12 du projet de loi va dans le bon sens, avec un document stratégique de façade (DSF) pour définir des zones d'implantation de futurs appels d'offres, mais les acteurs que j'ai auditionnés s'interrogent. En effet, cette planification des projets par le DSF ne serait que facultative, elle ne concernerait pas tous les appels d'offres et viserait seulement des « zones potentielles d'implantation ». De plus, en attendant la révision des DSF qui ne devrait pas intervenir avant 2024, nous pourrions perdre du temps pour le lancement des appels d'offres, sachant que l'élaboration du premier cycle des DSF a nécessité près de six ans de travail. En outre, le DSF vise à planifier l'ensemble des activités liées au littoral et à la mer : il y a donc un risque que l'éolien en mer « phagocyte » les autres usages dans les débats publics, ou bien qu'il se perde parmi tous les enjeux abordés.
Or, pour atteindre l'objectif de 18 GW de puissance installée en 2035 - qui sera sans doute traduit dans la prochaine loi de programmation sur l'énergie et le climat - nous aurions intérêt à planifier sans attendre, de manière claire et précise, les futurs projets éoliens offshores. Il nous faudra associer étroitement les usagers de la mer, le public et les élus locaux, mais aussi disposer d'une approche globale si on veut être en capacité de répartir les objectifs de développement sur les quatre façades maritimes.
Que répondez-vous aux acteurs qui expriment une méfiance vis-à-vis de la capacité pour les DSF à intégrer une planification de l'éolien en mer avec suffisamment de précision et de célérité ?
Avez-vous réfléchi à une méthode nationale pour identifier des zones précises d'implantation des projets éoliens en mer, avec un calendrier prévisionnel des appels d'offres à horizon de cinq et dix ans ?
Nous avons besoin de bâtir une méthode de planification robuste avant l'arrivée de la prochaine PPE, et je crains que le dispositif proposé ne laisse un peu certains acteurs « au milieu du gué »...
Estimez-vous, enfin, que les technologies utilisées permettent de bâtir les parcs éoliens suffisamment loin de la côte, de façon à éviter les problèmes posés par leur visibilité depuis le rivage ?
M. Philippe Tabarot, rapporteur pour avis des crédits de la mission "Transports ferroviaires, fluviaux et maritimes". - Votre arrivée au secrétariat d'État à la mer coïncide avec la refonte administrative et budgétaire des « affaires maritimes », qui intègrent désormais le secteur de la pêche et de l'aquaculture. Quelles sont les grandes lignes du budget des affaires maritimes pour 2023 - en dehors du secteur de la pêche et de l'aquaculture qui ne relève pas du champ de compétences de notre commission ?
Je souhaiterais aborder plus précisément deux points relatifs au verdissement du transport maritime.
La flotte de commerce sous pavillon français se compose d'environ 200 navires de transport et on estime à 380 millions d'euros le coût nécessaire à son renouvellement - selon Armateurs de France - dont 60 millions d'euros nécessaires pour le seul verdissement. Or, les armateurs disposent de peu de soutien public pour absorber le surcoût lié au verdissement des navires... Le Plan de relance ne comportait aucun crédit pour l'armement maritime. Quant au plan d'investissement « France 2030 » et aux 4 milliards d'euros annoncés pour les « véhicules du futur », ils ne semblent pas intégrer le transport maritime.
Comptez-vous remédier à ce manque et mobiliser des investissements publics pour aider les armateurs à concourir à l'objectif fixé par l'Organisation maritime internationale de réduire de 50 % d'ici 2050 les émissions de CO2 liées au transport maritime ? Comment se passe la mise en oeuvre du « suramortissement vert » dont nous avons assoupli les conditions l'année dernière ? Ce mécanisme a-t-il aidé les acquisitions d'équipements verts pour les navires ?
Enfin, les documents budgétaires manquent de précision quant à la ventilation des 175 millions d'euros que le Plan de relance a consacrés au verdissement des ports. Avez-vous des exemples à nous donner d'opérations conduites cette année, notamment en matière de soutien au report modal ?
La pandémie mondiale suivie de l'invasion russe en Ukraine a rappelé l'agilité que la Nation exige de ses ports pour assurer l'approvisionnement de la chaîne logistique. Or, les infrastructures d'accès à nos grands ports maritimes ont souffert d'une longue période de sous-investissement. Notre commission n'a de cesse d'interpeller le Gouvernement à ce sujet, mais à quand un véritable plan d'investissement en faveur du développement des infrastructures de report modal dans nos grands ports maritimes ?
Enfin, vous n'êtes pas sans savoir que la commune de Vallauris, dans les Alpes-Maritimes, s'est opposée au mois de juin à un projet d'implantation d'une ferme aquacole de 24 000 mètres carrés, soit la surface de trois terrains de football. La motion adoptée par le conseil municipal de cette commune s'inquiète des conséquences sur l'environnement, qui seraient désastreuses et contreviendraient aux impératifs de protection découlant du classement de la baie de Golfe-Juan en zone Natura 2000. Quel est votre avis sur ce projet ?
M. Hervé Berville, secrétaire d'État. - Je réponds d'autant plus volontiers à votre invitation à définir la planification en matière maritime, que c'est l'une des priorités de ma feuille de route. Le texte de loi permet de mutualiser le débat sur le DSF avec celui sur les projets éoliens en mer, et vous soulignez à raison deux risques : celui qu'on ne parle que d'éolien en mer au cours des débats sur le DSF et celui qu'on banalise ce sujet, sans en parler suffisamment. Il faut placer le sujet à son niveau pertinent : pour certains territoires, l'éolien maritime est prioritaire, pour d'autres ce n'est pas le sujet principal ; il faut donc éviter de travailler par « à coup » et mieux se relier à un ensemble, c'est la planification, au service d'une stratégie nationale pour la mer et le littoral. Cette stratégie est en passe d'être redéfinie par le Conseil national de la mer et des littoraux, qui s'est fixé jusqu'au mois de juin prochain pour y parvenir, cette stratégie intégrera tous les enjeux ; ce travail de définition est lancé, j'ai récemment envoyé les courriers pour l'installation des instances concernées. Ensuite, la PPE définira l'enveloppe globale que nous aurons à répartir, avec les élus, pour un déploiement par façade. Il est bien entendu trop tôt pour répartir les objectifs, y compris entre technologies - nous soutenons les innovations justement pour ne nous fermer aucune porte -, la ventilation pourra débuter par façade à compter de la mi-2023, après concertation avec les élus, puis avec les autres acteurs, en particulier les pêcheurs. La communication n'est pas la concertation, nos concitoyens pensent parfois trop vite qu'une fois le projet communiqué, il est fait - mais il faut compter avec la concertation, qui prend du temps et peut infléchir les projets. Nous avons aussi un enjeu de cahier des charges, avec des éléments très concrets comme l'alignement des éoliennes, qui a une incidence forte sur l'acceptation sociale - il faut donc regarder et discuter les choses au plus près du terrain.
Mon enveloppe budgétaire atteint 240 millions d'euros pour 2023 - après une augmentation de 23 millions d'euros l'an passé -, dont 77 millions pour la présence et l'intervention de l'État en mer à travers le fonds d'intervention maritime, 35 millions pour les gens de mer, 86 millions pour la flotte de commerce - cela couvre le netwage aussi bien que le soutien au verdissement de la flotte -, et 50 millions d'euros pour la pêche.
Nous avons des retours positifs sur le suramortissement. Nous avons la chance d'avoir des entreprises à la pointe en matière de flotte de commerce maritime, c'est aussi un élément de notre souveraineté, il faut accompagner ces entreprises sans renoncer à être exigeants.
Sur les ports, nous accompagnons bien des projets de décarbonation, je pense en particulier à des solutions de captage de gaz carbonique à Dunkerque, financées par France relance.
Vous constatez avec raison que la dimension maritime est absente du plan France 2030. Nous tâchons d'y remédier, avec des projets de navires à zéro émission et un comité de pilotage de France 2030 va se tenir prochainement pour examiner la possibilité d'intégrer des projets maritimes. Je porterai également cette ambition lors des Assises de la mer à Lille début novembre, nous avons un grand chantier en particulier sur les transports maritimes.
Enfin, je vous répondrai plus précisément par écrit sur le projet de ferme aquacole dans le golfe de Juan.
M. Stéphane Demilly. - Le Gouvernement évoque l'ouverture d'une cinquantaine de parcs d'éoliennes maritimes d'ici 2050, et, quand on voit celui qui a été inauguré le 22 septembre à Saint-Nazaire, avec des éoliennes aux pales de 80 mètres, on comprend que la concertation est à tout le moins indispensable. Quand vous n'étiez pas encore ministre, vous avez déclaré que le parc d'éoliennes dans la baie de Saint-Brieuc n'était « ni fait, ni à faire », c'est une belle prise de position ! Le 20 octobre 2021, l'océanographe François Sarano nous a dit, devant cette commission, que l'ancrage des éoliennes en mer détruisait le milieu marin, parce que les nuages de sédiments ferment l'accès aux ressources de ce milieu. Depuis votre prise de fonctions, avez-vous pu vous faire une opinion sur ce sujet essentiel pour l'acceptabilité des éoliennes en mer ? Quelle est la résilience des milieux marins autour des parcs d'éoliennes ?
M. Jean-Michel Houllegatte. - Une question sur le partage de la valeur en zone économique exclusive (ZEE) : la convention de Montego Bay dispose que la répartition est à la discrétion de l'État côtier, mais elle ne prévoit de transfert que pour les droits souverains, ce qui paraît exclure les collectivités territoriales. Dans ces conditions, quelle analyse faites-vous de l'affectation des recettes liées aux parcs éoliens ? Quelles seront les retombées sur les collectivités territoriales ?
M. Guillaume Chevrollier. - Quelle est la feuille de route de votre ministère en matière de biodiversité ? Nous connaissons encore mal les conséquences environnementales des éoliennes maritimes, elles suscitent des inquiétudes : envisagez-vous d'exclure certaines zones considérées comme plus sensibles ? Comment mieux informer le public ?
Enfin, la pêche à la senne danoise, qui est une pêche démersale, mécontente les pêcheurs artisanaux, car elle détruit la ressource, avec des filets de plusieurs kilomètres qui ne laissent rien derrière eux. Les pêcheurs français ne comprennent pas la position de l'État, qui paraît s'accommoder de cette pêche industrielle pratiquée près de nos côtes sous pavillon européen : que leur répondez-vous ?
Mme Nicole Bonnefoy. - Dans les enceintes européennes, le Gouvernement s'accommode effectivement de la pêche démersale : pourquoi accepter une telle pêche industrielle climaticide, qui prive nos pêcheurs de leur moyen d'existence ?
Ensuite, des ONG s'inquiètent d'un projet de l'entreprise Total d'exploitation de gaz au large de l'Afrique du Sud : l'État français peut-il laisser faire un tel écocide, alors que l'Agence internationale de l'énergie s'est prononcée en 2021 contre tout nouvel investissement dans les énergies fossiles afin d'atteindre la neutralité carbone d'ici à 2050 ?
Mme Angèle Préville. - Il nous faut résoudre une équation difficile, entre les usages nombreux de la mer et l'obligation de préserver le vivant dans les océans, car on sait désormais que le rôle décisif de l'océan dans l'absorption du carbone est conditionné à la présence du vivant dans les océans. Comment pensez-vous prioriser les différents usages des mers ?
Comment, ensuite, envisagez-vous l'énergie mécanique des océans, c'est-à-dire l'utilisation des marées pour produire de l'énergie : l'usine marémotrice de la Rance date des années 1960, bien des projets ont été développés depuis dans d'autres pays, par exemple en Écosse - comment regardez-vous cette source d'énergie ?
M. Hervé Berville, secrétaire d'État. - La biodiversité reste l'un des piliers de notre action et rien, dans le projet de loi, ne remet en cause notre volonté d'agir pour la protéger - c'est l'une des raisons pour lesquelles des règles strictes s'imposent pour tout projet d'éolien en mer. Quand j'ai dit que le parc de la baie de Saint-Brieuc était « ni fait, ni à refaire », je me référais à cette expression de mon grand-père et qu'il employait pour dire qu'une chose n'avait pas été faite dans les règles de l'art, qu'elle aurait pu être mieux faite - et donc qu'il y avait des leçons à tirer de l'expérience, c'est ce que nous faisons.
S'agissant de l'impact des parcs éoliens, rien ne permet de dire aujourd'hui qu'on devrait ne pas les développer, ils répondent aux exigences de la transition énergétique, tout en préservant la biodiversité, il y a même des exemples où la biodiversité s'est trouvée accrue aux abords des éoliennes. Cependant, chaque situation est différente, et il faut donc regarder les effets à long terme, c'est pourquoi nous prévoyons 50 millions d'euros pour l'Observatoire de l'éolien en mer, et l'Office français de la biodiversité devra donner son avis sur tout projet.
Sur la taxation dans les ZEE, vous avez raison, les textes prévoient qu'elles vont à l'État, mais je rappelle que ce n'est pas contradictoire avec l'intérêt des territoires, qui bénéficient des politiques publiques conduites par l'État, avec en plus la possibilité d'une péréquation. Je prends bonne note des demandes des présidents de région pour l'affectation des ressources, mais les opérations en ZEE ont des coûts spécifiques qu'on doit examiner avant de trancher toute répartition.
Cette année est très riche en événements nationaux et internationaux pour la protection de la biodiversité, il y a eu le One Ocean Summit à Brest en février, où le président de la République a dit la priorité de cette protection pour la France, il y a eu la Conférence des Nations unies sur les océans à Lisbonne au mois de juin, il y aura la COP 27 sur le changement climatique à Charm el-Cheikh le mois prochain, puis la COP 15 sur la biodiversité à Montréal, en décembre. La France défend en particulier l'objectif de 30 % d'aires marines protégées, avec 10 % en zones de protection forte et 5 % de protection forte en Méditerranée. Notre modèle de protection de la biodiversité n'empêche pas la pêche ni d'autres activités, une cohabitation est possible, nous le démontrons sur la côte d'Iroise aussi bien que dans le golfe du Lion.
La France a aussi l'ambition de parvenir à un traité de protection de la biodiversité en haute mer, laquelle représente les deux tiers des océans. Ce traité créerait des aires marines protégées en haute mer, avec un contrôle effectif de la conservation des espèces ; il prévoirait le partage des ressources génétiques dans cet espace, pour que toute molécule découverte en haute mer ne puisse être l'objet d'une appropriation, mais considérée comme un bien commun de l'humanité ; et ce traité mettrait en place un mécanisme d'étude environnementale pour toute activité en haute mer - autant de sujets où il est difficile d'aboutir, parce qu'il n'y a rien aujourd'hui de cet ordre en haute mer.
Sur la pêche démersale, à la senne danoise, la France n'est certainement pas une facilitatrice. Ce qui s'est passé, c'est que, dans le trilogue européen, un amendement du Parlement européen entendait interdire cette pêche pour les navires hollandais et belges, remettant frontalement en cause le libre accès aux ports européens et les principes fondamentaux des pêches communes. Un accord a donc été trouvé, au nom de ces principes. La France demande depuis plus de dix ans une régulation, comme celle que nous avons mise en place dans le cadre des comités régionaux de pêche en Bretagne et en Nouvelle-Aquitaine ; j'ai renouvelé notre demande pour des actions concrètes, nous devons avancer dans le bon cadre. Sans l'accord intervenu cette année, il y aurait eu une libéralisation totale des eaux l'an prochain, ce qu'aucun pays ne souhaitait. De notre côté, nous allons continuer à soutenir la pêche artisanale, avec en particulier des aides aux carburants, une gestion pluriannuelle des quotas, et notre stratégie est définie en lien avec les territoires.
L'usine marémotrice de la Rance fait l'objet d'investissements, nous allons continuer à financer tous les projets innovants pour réduire notre dépendance aux énergies fossiles, c'est une raison pour accélérer les éoliennes en mer, nous le faisons en lien avec l'Ademe - mais cela prend du temps.
Le projet en Afrique du Sud que vous citez est porté par une entreprise privée qui contracte avec un pays souverain, la France n'y a pas sa part - et les projets que nous soutenons, notamment via l'Agence française du développement (AFD), répondent tous à nos objectifs : la France ne soutient pas des projets qui mettent à mal la biodiversité marine.
M. Hervé Gillé. - Quelle sera la position du Conseil national de la mer et des littoraux sur la stratégie nationale ? Ce Conseil contribuant à élaborer cette stratégie, n'y a-t-il pas un risque de confusion des rôles quand on lui demandera de donner son avis sur cette stratégie ?
Sophie Panonacle, la présidente de ce Conseil, a suggéré un amendement au projet de loi de finances, pour créer un fonds consacré à l'érosion côtière : qu'en pensez-vous ?
Enfin, nous avons du mal à percevoir, dans la stratégie des ports, le développement de l'intermodalité : quels sont les efforts sur ce sujet essentiel ?
M. Joël Bigot. - Personne ne conteste la nécessité du mix énergétique, donc l'utilité de développer l'éolien en mer. Vous nous dites que l'activité est maintenue, mais les producteurs se posent des questions - les producteurs de coquilles Saint-Jacques, en particulier, s'inquiètent pour la ressource : que leur répondez-vous ? Vous dites vouloir travailler en amont avec les populations locales, il y a de quoi, en effet, lorsqu'on voit les oppositions qui se sont manifestées en particulier à Saint-Nazaire.
Enfin, quelle est la capacité de production de l'usine marémotrice de la Rance ? Elle a été installée en 1966, mais ce prototype n'a pas été dupliqué parce qu'il n'est pas rentable : qu'en est-il précisément ?
M. Frédéric Marchand. - Le potentiel économique de la pêche ultramarine est certain, mais du retard, trop de retard a été pris ; des projets de développement sont identifiés : quelles suites pensez-vous pouvoir leur donner ?
M. Fabien Genet. - Alors que nos fonds marins représentent 17 fois la superficie terrestre de notre pays, le sujet des grands fonds marins apparaît désormais comme un enjeu essentiel : comment l'abordez-vous ? Quelle est la position française sur l'exploration et l'exploitation des grands fonds marins ? Le Sénat vient de consacrer à ce thème un débat en séance plénière, suite à la publication du rapport de notre mission d'information « L'exploration, la protection et l'exploitation des fonds marins : quelle stratégie pour la France ? » : quels partenariats, en particulier, vous paraissent-ils envisageables ?
M. Gérard Lahellec. - Dans la présentation de vos priorités, vous venez d'énoncer la production d'énergie en troisième position, après la protection de la biodiversité marine et la pêche ; si tel est bien le cas, il faut se garder de confondre vitesse et précipitation dans le déploiement d'éoliennes en mer...
Une question sur les délaissés portuaires : peuvent-ils être utilisés pour produire de l'énergie - sans porter atteinte à la loi « littoral » ?
Une remarque, ensuite : il n'y a pas que les grands ports maritimes (GPM) dans notre pays - en Bretagne, avec 2 700 kilomètres de côtes, nous n'en avons pas un seul, depuis qu'en 2004 ils ont été transférés à la région, avec désormais la simple compensation de 1,5 million d'euros de dotation annuelle pour les gérer... Ces ports décentralisés ont pourtant des questions très importantes à régler, comme la desserte des îles, avec un sujet bien identifié de la décarbonation des navires : comment les prenez-vous en compte ?
Enfin, merci de préciser votre position sur le parc éolien de la baie de Saint-Brieuc, il faut lever les ambiguïtés...
Mme Nadège Havet. - La compagnie maritime Brittany Ferries vient d'appeler à sortir du moins-disant social, après que sa concurrente Irish ferries vient d'ouvrir ses lignes à des ferries battant pavillon chypriote : qu'en pensez-vous ?
M. Hervé Berville, secrétaire d'État. - Doit-on craindre une confusion des rôles pour le Conseil national de la mer et du littoral, dans l'élaboration et l'avis sur la stratégie nationale pour la mer et les littoraux ? Je ne le crois pas, elle sera le forum de la stratégie nationale, il n'y a pas de doublon, et, plutôt que d'ajouter un outil pour redéfinir la stratégie nationale d'ici la mi-2023, j'utilise ce qui fonctionne bien aujourd'hui.
La création d'un fonds d'érosion côtier est-elle souhaitable ? Il y a déjà une ligne budgétaire dédiée, le fonds vert annoncé par la Première ministre sera mobilisable - et si je suis favorable à des moyens supplémentaires, je crois qu'il ne faut pas multiplier les outils, nous pourrons débattre de la meilleure méthode mais je veux pour aujourd'hui retenir notre intention de nous en occuper et de déployer des projets face à l'érosion côtière.
L'intermodalité avance, je pense à des projets de connexion ferroviaire à Fos, à la construction d'une chatière au Havre, nous avons aussi à voir le prix de la manutention avec les armateurs, c'est un levier pour inciter à la multimodalité.
Le parc éolien menace-t-il la ressource en coquilles Saint-Jacques ? Elles n'ont jamais été aussi abondantes que cette année, mais corrélation n'est pas causalité ; nous regarderons dans la durée, nous sommes très attentifs à la ressource halieutique, elle a été préservée depuis des décennies par les pêcheurs, il faut continuer à le faire.
Un projet d'usine marémotrice avait été fait pour la baie du mont Saint-Michel, il n'a pas abouti, nous investissons pour que l'usine de la Rance continue de tourner. Elle n'est pas à l'équilibre, c'est un prototype avec des coûts de maintenance importants, nous continuerons à la soutenir et EDF la gère avec soin avec la volonté d'en faire une vitrine.
Le développement dans les outremers ne peut se passer d'une ambition forte pour les flottes de pêches ultramarines. Il y a un enjeu d'investissement dans les ports, qui concerne du reste tous les ports, au-delà des GPM. Il y a aussi un enjeu de modernisation de la flotte, des bateaux trop anciens créent de l'incompréhension chez nos compatriotes ultramarins, le changement passe par les règles européennes, nous nous y attelons et nous mettons déjà en place un fonds d'amorçage de 6 millions d'euros pour aider la décarbonation des navires de pêche. Il faut aussi développer les métiers de la mer, en adaptant les formations aux spécificités ultramarines.
Sur l'exploration des fonds marins, comme je l'ai dit dans le débat en séance plénière, nous sommes focalisés sur la connaissance et la recherche, c'est la priorité, du fait des risques de l'exploitation des fonds marins. L'exploration, oui, l'exploitation, non : c'est ce qu'a dit le président de la République à Lisbonne, nous avons adapté notre code minier dans ce sens, et nous mobilisons 350 millions d'euros sur le sujet.
Les énergies marines renouvelables ne viennent-elles qu'en troisième position parmi mes priorités ? En réalité, mes priorités sont articulées : la préservation des océans, par exemple, implique qu'on développe les énergies maritimes renouvelables, ceci pour moins polluer les océans...c'est cohérent, pas antinomique.
Les ports décentralisés sont intégrés à notre stratégie nationale, elle ne concerne pas seulement les GPM, mais tous les ports.
Sur le parc éolien de la baie de Saint-Brieuc, certains feignent de découvrir ma position, mais j'ai toujours dit que ce parc ne devait pas se faire n'importe comment ni à n'importe quel prix. Le président de la République est venu dès 2018 au cap Fréhel pour rediscuter de ce projet, le préfet a remis tout le monde autour de la table en 2019, ma position est la concertation et la planification, je l'ai dit aux pêcheurs lors de mon premier déplacement comme ministre - comme vous, nous sommes cohérents, nous avons rectifié une trajectoire qui était partie dans le mauvais sens.
Le dumping social est déloyal, il met à mal le pacte social européen, nous nous battons pour que les entreprises aient le plus haut standard, nous travaillons avec le gouvernement britannique sur les liaisons transmanches. Le président de la République est engagé contre le dumping, nous ne lâcherons rien, comme nous l'avons fait pour les travailleurs détachés en 2017. Mon ministère travaille sur le sujet, en particulier sur les moyens de coercition si des bateaux ne respectaient pas nos règles.
M. Jean-François Longeot, président. - Merci pour la clarté de vos propos et votre énergie, nous sommes mobilisés pour faire avancer l'ensemble de ces sujets.
La réunion est close à 12 h 5.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
- Présidence de M. Jean-François Longeot, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable et de Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques -
La réunion est ouverte à 16 h 35.
Projet de loi relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables - Audition de Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique
M. Jean-François Longeot, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. - Madame la ministre, nous nous retrouvons aujourd'hui pour échanger sur le projet de loi relatif à l'accélération de la production des énergies renouvelables, présenté en conseil des ministres et déposé sur le bureau du Sénat le lundi 26 septembre dernier, qui sera examiné en commission le 26 octobre prochain et en séance publique dès le 3 novembre.
L'équilibre général du texte a justifié un renvoi du projet de loi à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. La commission des affaires économiques est également largement concernée par le texte : 7 des 20 articles du projet de loi lui ont d'ailleurs été délégués au fond par notre commission. Cet examen conjoint justifie cette audition, elle aussi commune, de la ministre chargée de porter ce texte, Mme Agnès Pannier-Runacher, que je remercie de sa présence.
En guise d'introduction, avant de laisser la parole à ma collègue présidente, Sophie Primas, j'aimerais rappeler que ce projet de loi s'inscrit dans un contexte énergétique particulièrement difficile, qui doit nous pousser à trouver des solutions pour assurer la sécurité d'approvisionnement de notre pays. Cela implique une relocalisation de notre production d'énergie, en substituant les sources fossiles par des sources décarbonées. Souveraineté énergétique et ambition climatique se rejoignent donc plus que jamais.
Je rappelle que pour atteindre notre objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre, la France devra substituer rapidement sa consommation d'énergies fossiles par de l'électricité, du gaz ou de la chaleur décarbonés, tout en réduisant très largement sa consommation énergétique.
Dans ce contexte, selon Réseau de transport d'électricité (RTE), un fort développement de l'ensemble des énergies renouvelables électriques sera indispensable, quel que soit le scénario retenu, même dans le scénario de neutralité carbone le plus ambitieux en matière de nucléaire. Le développement du gaz et de la chaleur renouvelables devra également être accéléré pour répondre aux besoins des secteurs qui ne pourront pas bénéficier de l'électrification des usages.
Malheureusement, la France fait aujourd'hui figure de mauvaise élève dans le déploiement des énergies renouvelables. Ce retard, dans un contexte où le parc nucléaire historique se trouve en souffrance, nous est préjudiciable : il met en danger notre sécurité d'approvisionnement et nous pousse à rouvrir des centrales à charbon.
Au regard de ces éléments, le projet de loi qui nous est proposé est-il à la hauteur de l'enjeu ? On peut sérieusement en douter.
À la lecture du texte, on peine tout d'abord à percevoir les gains de temps réellement permis dans l'instruction des dossiers et le développement des projets. De plus, même en simplifiant les procédures et en supposant que les porteurs de projet disposent des capacités industrielles pour développer rapidement les installations, les effectifs des services déconcentrés de l'État devront nécessairement être renforcés pour traiter tous les dossiers. Peut-être, madame la ministre, pourrez-vous nous aider à lever nos doutes sur ces sujets ?
Par ailleurs, l'épineuse problématique de l'appropriation locale des énergies renouvelables est survolée par le projet de loi. La proposition formulée par l'article 18 du texte - un rabais sur la facture d'électricité des riverains - semble un peu courte pour répondre à un problème qui s'avère profond. Acceptabilité et accélération doivent aller de pair, car sans acceptabilité locale, les contentieux continueront de fleurir et les projets peineront à sortir de terre. Madame la ministre, nous attendons là aussi des réponses de votre part.
Avant de vous entendre, je laisse la parole à Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques.
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. - Je remercie Mme la ministre de sa présence parmi nous, pour nous éclairer sur le projet de loi relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables.
Ce texte fait l'objet d'un examen partagé entre nos deux commissions, avec un avis demandé auprès de la commission de la culture.
Notre rapporteur pour la commission des affaires économiques, M. Patrick Chauvet, est en charge de l'examen de sept articles sur les procédures d'urbanisme, les réseaux d'énergie ou les soutiens budgétaires.
Nous traversons une crise énergétique sans précédent, en France comme dans le monde, qui met sous tension notre approvisionnement énergétique, notre compétitivité économique - nous ne sommes pas au bout de l'histoire - mais aussi, on le voit bien, notre cohésion sociale, en particulier au travers des collectivités territoriales. Ce texte doit répondre en conséquence à de nombreuses attentes.
Madame la ministre, c'est la seconde fois que nous vous recevons en quelques mois. La dernière fois, en juillet, vous aviez été interrogée par notre collègue M. Daniel Gremillet, président du groupe d'études « Énergie », alors rapporteur pour notre commission sur le projet de loi portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat.
On nous annonce, par ailleurs, un projet de loi sur le nucléaire et un autre sur la programmation énergétique. Aussi ma première question est-elle simple : ne légifère-t-on pas trop, trop vite, et dans le désordre ? Vous comprendrez qu'avant d'avoir le chemin, on aimerait disposer de la voiture...
Pouvez-vous d'ailleurs nous préciser où en est la préparation de ces prochains textes sur le nucléaire et sur la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) ? Nous sommes impatients de pouvoir nous en saisir.
Notre commission a adopté, à ce propos, à l'unanimité un rapport très complet sur le nucléaire et l'hydrogène en juillet dernier. Notre commission a fait adopter en 2019, avec la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale, le principe de la future loi quinquennale sur l'énergie. Ces sujets nous tiennent donc particulièrement à coeur.
Quant à ce texte, j'en partage pleinement l'objectif de développement des énergies renouvelables, évidemment, mais nous avons des questions sur la méthode.
D'ailleurs, l'étude d'impact nous semble lacunaire sur un certain nombre de sujets. Or il nous faut légiférer en connaissance de cause, c'est-à-dire informés de toutes les conséquences des dispositions que vous proposez.
L'article 18, par exemple, dont le président Longeot vient de parler, propose ni plus ni moins que d'utiliser la facture d'électricité des Français comme levier d'acceptation des projets d'énergies renouvelables. Mais on ne connaît ni le périmètre concerné, ni le coût global de cette mesure, ni la façon dont elle sera financée.
S'agissant de la concertation, les collectivités, les professionnels, les associations ont également regretté son caractère lacunaire, alors que l'article 3 refond profondément les documents d'urbanisme et que l'article 6 modifie les raccordements aux réseaux.
Voilà pour la méthode. Quant au fond, je partage l'objectif, mais je m'interroge sur le calendrier, sur la temporalité et sur le calibrage. Au fond, une question m'interpelle : les mesures proposées, utiles et nécessaires, ne sont-elles pas en deçà des besoins face à la crise énergétique ?
Le texte présente plusieurs angles morts : rien n'est dit, ou si peu, sur l'hydroélectricité, le biogaz, les biocarburants, le bois-énergie ou encore l'hydrogène. Certes, le caractère renouvelable de ces énergies ou technologies est souvent débattu à l'échelon européen, mais pour autant ne doit-on pas en parler, alors que ces énergies sont très utiles, en particulier dans nos territoires ruraux ?
Et que dire de l'agrivoltaïsme, pourtant identifié comme une priorité par le Président de la République dans son discours de Saint-Nazaire du 22 septembre dernier ?
En quinze jours, le Gouvernement aurait pu ajouter ce sujet au texte, alors que le Sénat examinera demain sa propre proposition de loi, adoptée à l'unanimité par notre commission la semaine passée, donnant ainsi une suite législative concrète à une résolution du président Longeot et de notre collègue M. Jean-Pierre Moga. Ma question est donc directe : reprendrez-vous les travaux du Sénat sur ce sujet ?
Madame la ministre, vous savez l'intérêt que nous portons à l'énergie, qui est la colonne vertébrale de notre économie et constitue un des trois piliers de notre souveraineté. La question est cruciale tant pour les ménages que pour la compétitivité de nos entreprises. Nous sommes impatients de vous entendre.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique. - Madame la présidente, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, après des mois de concertation et d'échanges nourris avec l'ensemble des acteurs associatifs et économiques, voici venu le temps du Parlement. Ce dernier va se prononcer sur le premier texte de ce quinquennat apportant sa pierre à l'objectif ambitieux fixé par le Président de la République de faire de la France le plus grand pays industriel à sortir de sa dépendance aux énergies fossiles.
Ce texte répond à une double urgence. La première est celle du dérèglement climatique, qui exige une action radicale de notre part. Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) ne nous donne en effet que trois ans, à l'échelle de la planète, pour commencer à baisser les émissions de gaz à effet de serre. La France fait partie des quelques pays de la planète ayant commencé cette baisse, mais nous devons aller plus loin et doubler son rythme.
La deuxième urgence est d'éviter une rupture d'approvisionnement dans les mois et les années qui viennent. La faible disponibilité tant de notre parc nucléaire que de notre parc hydraulique, pour des raisons de sécheresse, conjuguée à la crise ukrainienne, fragilise notre système énergétique.
Eu égard à la durée de fonctionnement de nos réacteurs, c'est l'avenir de notre parc nucléaire qui est concerné : beaucoup atteindront soixante ans dans les années 2035-2040, alors qu'initialement ils ont été conçus pour durer quarante ans. Cela implique de prendre des décisions au plus tôt.
Aujourd'hui, les deux tiers de notre consommation d'énergie sont d'origine fossile ou importée. Dissipons un mythe : depuis la Seconde Guerre mondiale, jamais nous n'avons été autonomes et indépendants énergétiquement. Nous avons toujours dépendu d'énergies venues pour l'essentiel de l'étranger. La situation avec la Russie nous rappelle que nous pouvons dépendre de pays qui ne sont pas nos alliés, qui ne partagent pas nos valeurs, et qui utilisent ce levier pour nous atteindre économiquement ou politiquement.
Notre programme électronucléaire a permis de réduire une partie de cette dépendance pour l'électricité, mais nous restons très dépendants en matière de transport et de chaleur. Pour atteindre la neutralité carbone, l'enjeu est donc de réduire ces deux tiers d'énergies fossiles que nous ne produisons pas nous-mêmes et qui contribuent à la fois à notre dépendance et au réchauffement climatique.
Je serai donc très claire sur le combat que nous voulons mener : nous ne voulons pas opposer le nucléaire au renouvelable ou la biodiversité au climat. Notre combat, c'est celui des énergies bas-carbone contre les énergies fossiles, car ces dernières sont à l'origine du réchauffement climatique et des principales atteintes à la biodiversité. L'étude « Futurs énergétiques 2050 » des experts de RTE rappelle que nous disposons de trois leviers pour sortir des énergies fossiles.
Le premier est constitué par les économies d'énergie réalisées au travers de l'efficacité et de la sobriété énergétique. RTE fixe un objectif de réduction de 40 % de notre consommation d'énergie d'ici à 2050. Le 6 octobre dernier, j'ai présenté aux côtés de la Première ministre un plan sobriété pour atteindre une première marche de 10 %. La réduction de 40 % de notre consommation d'énergie est un défi sans pareil.
Il suppose de travailler sur la sobriété, de changer nos usages, nos manières de nous transporter, d'utiliser les bâtiments, d'organiser la ville. Il concerne tant l'État que les collectivités locales et les grandes entreprises, c'est-à-dire ceux qui sont capables d'organiser de nombreux déplacements et usages. Mais il demande également de travailler sur l'efficacité énergétique, la rénovation thermique des bâtiments, l'électrification de l'industrie ou des transports, le développement d'autres technologies bas-carbone.
Le deuxième levier est le développement massif d'énergies renouvelables ; le troisième, la relance d'un grand programme nucléaire. Comme vous l'avez indiqué, un projet de loi sur l'accélération des procédures administratives en matière de nouveaux projets nucléaires vous sera présenté dans quelques semaines - au conseil des ministres début novembre.
Insistons sur la conclusion centrale de l'étude de RTE : atteindre la neutralité carbone est impossible sans un accroissement massif des énergies renouvelables, même dans un scénario de relance du nucléaire.
Le texte que vous examinerez dans les prochains jours répond à cette nécessité. Il constitue le volet législatif d'un « plan énergies renouvelables » que je déploie depuis le mois de juin sur le volet réglementaire, au moyen de décrets pris cet été, ainsi que sur le volet organisationnel, avec une circulaire à destination des préfets pour faire de cet objectif une priorité de leur action, et un renforcement des effectifs des services de l'État qui instruisent les procédures d'autorisation dans le budget en cours d'examen à l'Assemblée nationale. Vous avez raison : il faut renforcer les effectifs, et nous le ferons à hauteur d'une dizaine d'équivalents temps plein (ETP), ce qui est énorme à l'échelle du nombre de personnes instruisant aujourd'hui ces dossiers.
Ces mesures ont permis de débloquer 10 gigawatts d'énergies solaire et éolienne, et 1 térawatt de gaz renouvelable dans les deux prochaines années.
Ce plan énergies renouvelables concerne toutes les filières, qu'il s'agisse de la géothermie, sur laquelle j'annoncerai prochainement un plan spécifique, du biogaz, de l'hydraulique, de la biomasse ou du photovoltaïque thermique. Je vous transmettrai la liste de toutes les énergies renouvelables à notre disposition.
Certains éléments sont d'ordre réglementaire, d'autres sont d'ordre législatif. Dans le projet de loi, nous avons retenu les éléments essentiels que les filières ont remontés. Je suis évidemment favorable à ouvrir le texte à d'autres formes d'énergies renouvelables, si tant est qu'il existe des obstacles législatifs à leur développement.
Les objectifs que nous allons nous donner seront ajustés et votés dans le cadre de la loi de programmation sur l'énergie et le climat, que Mme la présidente Primas a mentionnée, qui devra être adoptée par le Parlement en 2023 à l'issue d'une grande concertation nationale que je lancerai en fin de semaine. Les choses sont organisées : le débat public sur la programmation pluriannuelle de l'énergie va démarrer d'ici la fin de la semaine, et se déroulera jusqu'en janvier ; puis il fera l'objet de travaux afin de définir les objectifs de la programmation pluriannuelle de l'énergie ; une loi vous sera enfin soumise, probablement à la fin du premier semestre 2023.
Nous travaillons à des projets de lois nécessaires pour accélérer les procédures. Nous aurons besoin de tous les leviers pour accélérer l'implantation des énergies bas-carbone, alors que ces procédures sont sur le chemin critique de ces productions d'énergies bas-carbone.
Avant de rentrer dans le détail du texte, je vous remercie collectivement pour les nombreux échanges que nous avons eus depuis la rentrée, et pour le travail préparatoire qui sera précieux pour la suite de nos débats. Je remercie particulièrement les deux rapporteurs, Didier Mandelli et Patrick Chauvet, qui ont mené de nombreuses auditions pour enrichir le texte, ainsi que les présidents des deux commissions, dont je sais l'engagement sur ces questions.
À court terme, ce texte vise à lever des verrous administratifs et de procédures pour diviser par deux les délais de déploiement des projets de production d'énergie bas-carbone. La France est le seul pays de l'Union européenne à ne pas avoir atteint son objectif national de développement des énergies renouvelables, ce qui nous coûtera 500 millions d'euros cette année - une raison supplémentaire d'agir. À l'heure actuelle, il nous faut en moyenne deux fois plus de temps pour installer un parc solaire ou un parc éolien en mer que nos principaux voisins européens, pour des raisons de procédures et de contentieux.
Nous proposons donc d'agir sur quatre leviers.
Le premier, c'est l'accélération des procédures, en prévoyant par exemple un raccordement au réseau sans attendre l'achèvement du projet, ce qui peut nous faire gagner une à plusieurs années.
Le deuxième levier, c'est la libération du foncier, en mobilisant les terrains déjà artificialisés ou dégradés : parkings, friches, anciennes décharges, bordures d'autoroute, etc. Nous voulons doubler notre puissance solaire actuelle, en ayant le moins d'impact possible sur la biodiversité. Je souhaite que nous allions plus loin dans ce texte, et je sais que vous travaillez à des propositions en ce sens.
Le troisième levier, c'est l'amélioration de la concertation en permettant, notamment pour l'éolien en mer, que l'allocation des territoires soit décidée, sur chaque façade maritime, avec les territoires et leurs habitants, en tenant compte des différents usages. La concertation est un levier puissant d'acceptabilité des projets : elle a sa place dans la loi énergie-climat, car elle est liée à la programmation pluriannuelle de l'énergie. J'entends les velléités de votre assemblée de prendre les devants sur cette question.
Le quatrième et dernier levier est l'acceptabilité des projets d'énergie renouvelable. Reprendre en main notre destin énergétique implique d'avoir des infrastructures de production près de chez soi, alors que nous avions pris l'habitude de faire porter l'essentiel de nos besoins énergétiques par des pays lointains.
Les territoires doivent bénéficier de la valeur créée par les projets d'énergie renouvelable qu'ils accueillent. Nous faisons preuve d'humilité sur ce sujet : nous sommes à l'écoute des idées que vous pourriez avoir, en tant qu'assemblée des territoires, pour améliorer notre dispositif.
J'entends prendre en compte deux impératifs essentiels : la préservation de la biodiversité et l'association des territoires pour réarmer énergétiquement notre pays. Nous posons les fondations d'un pacte territorial énergétique, et ce n'est pas un hasard si le Gouvernement a fait le choix de faire discuter le texte d'abord par le Sénat : la planification énergétique, qui ne doit pas être descendante, remettra les collectivités locales et les territoires au centre, en responsabilité. Cette mobilisation est indispensable, car la mutation est tellement vaste et touche tellement de sujets qu'elle ne peut se faire par des initiatives individuelles non coordonnées.
Concrétisons ensemble le travail entrepris depuis plusieurs semaines. Vos différentes propositions permettront d'enrichir le texte, mais le Gouvernement a une ligne rouge : il ne veut ni complexifier ni allonger les procédures, car cela irait à contresens de l'urgence à laquelle nous faisons collectivement face.
Notre pays doit affirmer sa volonté de s'engager dans le développement massif et industriel des énergies décarbonées et de bâtir les fondations de notre future indépendance énergétique. Je suis confiante sur le fait que nous trouverons le chemin du consensus avec tous ceux qui défendent la souveraineté énergétique et politique de notre pays et qui veulent lutter contre le dérèglement climatique, car tel est bien l'objet de ce texte.
M. Didier Mandelli, rapporteur de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. - Je regrette que nous soyons saisis de ce projet de loi avant le texte sur le nucléaire et la PPE, et qu'il ne porte pas, a priori, sur les autres énergies renouvelables.
L'acceptabilité est souvent la conséquence heureuse d'une large concertation, menée le plus en amont possible. Nous avons travaillé à cette problématique et ferons des propositions très concrètes que je ne développerai pas ici.
Dans le cadre de la planification, en particulier pour l'éolien en mer qui représente une partie importante du texte, il faudrait que, durant les semaines qui nous séparent de l'examen de la PPE, nous définissions une ligne commune prenant en compte les évolutions technologiques attendues. Car acceptabilité rime souvent avec visibilité.
M. Patrick Chauvet, rapporteur de la commission des affaires économiques. - Je partage l'observation faite par notre présidente sur l'inflation normative dans le secteur de l'énergie. Les textes s'enchaînent et se juxtaposent sans qu'un cap clair soit fixé. Nous attendons beaucoup de la loi quinquennale sur l'énergie. Lors de mes travaux préparatoires, j'ai entendu 45 organismes et 100 personnalités, et reçu 75 contributions. Leurs constats sont convergents : l'objectif du texte est largement partagé, mais la méthode est critiquée, notamment par les élus locaux qui déplorent le non-respect de certaines compétences locales. De nombreux professionnels, dont ceux du gaz et de la chaleur, critiquent un texte « tout électrique » : il faudrait davantage de neutralité sur le plan des technologies.
Que dire des angles morts évoqués par notre présidente ? J'ai rapporté trois textes sur l'hydroélectricité au Sénat et j'ai toujours été stupéfait de la frilosité du Gouvernement sur ce sujet. Y aura-t-il un projet de loi spécifique sur nos concessions hydroélectriques ?
Entraîner les collectivités et développer toutes les sources d'énergie renouvelable, voilà deux de nos préoccupations. L'objectif de notre commission est de contribuer positivement à l'examen du texte en l'expurgeant de dispositions inopérantes juridiquement ou peu acceptables économiquement ou socialement.
Je souhaiterais vous poser des questions plus précises sur le projet de loi.
Sur l'article 3, la possibilité donnée à l'État de modifier unilatéralement les documents d'urbanisme est très mal vécue par les élus locaux. On comprend la nécessité d'accélérer, mais ne pourrait-on pas faire davantage confiance aux collectivités territoriales ?
En ce qui concerne l'article 6, la faculté pour le Gouvernement de légiférer par voie d'ordonnance est très large. Pouvez-vous nous rassurer sur son intention ? Entendez-vous conserver les réductions tarifaires qui bénéficient à nos producteurs renouvelables et à nos consommateurs électro-intensifs ? Pourquoi ne pas procéder à des modifications législatives directement dans le texte ?
S'agissant de l'article 16, la possibilité pour le Gouvernement d'implanter des ouvrages de raccordement en zone littorale doit s'accompagner des garde-fous nécessaires. Les communes ne devraient-elles pas être associées et ne faudrait-il pas exonérer des ouvrages du décompte de l'objectif zéro artificialisation nette (ZAN) ?
Sur l'article 17, les contrats d'achat de long terme sont très utiles pour promouvoir les énergies renouvelables tout en réduisant leurs coûts, mais pourquoi s'arrêter à l'électricité ? Peut-on étendre le dispositif au biogaz ?
Je ne dispose pas d'éléments chiffrés sur le dispositif de l'article 18, relatif aux rabais tarifaires proposés aux consommateurs situés à proximité d'installations renouvelables. Or ce dispositif sera pris en charge par les fournisseurs puis par les contribuables via les charges de gestion du service public de l'énergie. Concernera-t-il toutes les énergies renouvelables, y compris gazières ? S'appliquera-t-il aux installations existantes ?
Enfin, sur l'article 19, le contrat d'expérimentation doit permettre de soutenir le gaz bas-carbone, mais exclut les autres gaz renouvelables que le biogaz. C'est dommage, d'autant que la crise gazière nous oblige à sortir de notre dépendance au gaz russe. Ne devrait-on pas compléter le dispositif ?
Pour conclure, notre travail se veut concret, rationnel, pragmatique. La voix du Sénat est claire et unitaire sur ce texte. Pour ma part, je souhaite consolider ce qui peut l'être et corriger ce qui doit l'être en gardant toujours à l'esprit deux impératifs : la simplification des normes, cruciale pour les producteurs d'énergies décarbonées, et la territorialisation des projets, nécessaire à leur insertion locale et donc à leur acceptation sociale.
C'est ainsi que nous pourrons progresser dans la réalisation concrète de nos objectifs énergétiques nationaux et de nos engagements climatiques internationaux.
M. Daniel Gremillet, président du groupe d'études "Énergie". - Le secteur de l'énergie connaît une période très perturbée, qui nous préoccupe tous.
Ma première question porte sur notre sécurité d'approvisionnement. Le plan de sobriété énergétique que vous avez présenté fin septembre est-il suffisant pour passer l'hiver ou envisagez-vous de prendre de nouvelles mesures législatives ou réglementaires ?
Ma deuxième question concerne l'hydrogène. La stratégie française se fonde sur une production nationale d'hydrogène décarboné grâce à nos réacteurs. C'est une bonne chose et, dans notre rapport sur le sujet, nous avons plaidé pour renforcer le couplage entre le nucléaire et l'hydrogène, et appelé à la levée rapide des verrous existants. En effet, en matière d'hydrogène, la stratégie est perfectible, la législation parcellaire et les financements insuffisants. Pourquoi prendre si peu en compte ce vecteur énergétique d'avenir dans le projet de loi ?
Ma troisième et dernière question a trait à l'hydroélectricité, sur laquelle nous avons fait adopter une proposition de loi en 2021, reprise dans la loi « Climat et résilience » quelques mois plus tard. Nous avons obtenu de belles avancées avec la mise en place d'un médiateur de l'hydroélectricité et d'un portail national de l'hydroélectricité. Ces dispositifs sont opérationnels depuis juin dernier, et je suis très surpris qu'ils ne figurent pas dans le projet de loi.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - L'éolien en mer est un enjeu sur lequel nous voulons avancer. L'objectif que nous avons fixé, mais qui sera précisé dans la programmation pluriannuelle de l'énergie, c'est 40 gigawatts. Tous les projets ayant fait l'objet d'un appel à projets se situent à moins de 40 kilomètres des côtes, et sont tous de l'éolien « posé », car nous ne savons pas installer de l'éolien « flottant ». En effet, au niveau international, aucune installation flottante ne fonctionne de manière industrielle : il existe seulement des projets expérimentaux, l'un en Atlantique, l'un en Méditerranée, et quelques autres chez nos voisins - en Norvège ou en Écosse, me semble-t-il.
On peut faire l'hypothèse que l'éolien flottant ne sera pas opérant avant 2030-2035. Il faut donc agir avec l'éolien posé. Nous n'avons pas la chance, comme les pays bordant la Manche et la mer Baltique, de pouvoir installer de l'éolien posé où l'on veut : nous rencontrons assez vite les fonds marins et, en Méditerranée, il y a des canyons. À Saint-Nazaire, j'ai entendu les élus me dire que la réalité ne correspondait pas vraiment à ce qui leur avait été « vendu ». Il faut dire la vérité et mesurer l'impact réel des projets dans ce domaine, mais il faut être aussi conscient que ceux-ci sont, en taille, les plus importants dont nous disposons, et les plus efficaces. Où se situe notre seuil d'acceptabilité ? Car, si nous voulons atteindre l'indépendance énergétique, il va falloir trouver 40 gigawatts. Peut-être est-ce 35 ou 50, mais ce n'est en tout cas pas 3 gigawatts, ce qui signifie qu'il faut plusieurs dizaines de projets.
Ensuite, il faut prévoir la programmation dans le temps sans la repousser à 2035, ce qui reviendrait à faire peser une lourde responsabilité sur nos successeurs. Nous devons agir maintenant ! Certains projets doivent être mis en oeuvre, de la manière la plus concertée possible, en prenant en compte les conflits d'usage. Éloigner ces installations pose aussi des problèmes en matière de voies maritimes et de pêche, sans oublier les enjeux de défense. J'insiste, repousser les décisions risque de nous mettre dans une situation de plus grande dépendance.
La question de la planification est parfaitement légitime. Il faut trouver un point d'équilibre : la PPE nous permettra de fixer la maille que l'on veut atteindre, en prenant en compte les projets déjà lancés, en fixant la part des installations situées à proximité des côtes et de celles qui seront plus loin. Les chiffres seront têtus !
Monsieur Chauvet, les énergies renouvelables sont bien toutes couvertes par le titre Ier. Si des mesures sont prises concernant l'éolien marin, c'est pour améliorer la concertation et la planification et pour empêcher que les projets ne soient ficelés d'avance.
Pour ce qui est du biogaz, je n'ai reçu aucune demande de mesure législative de la part de la filière, si l'on excepte la question du gaz bas-carbone, traitée à l'article 19, et celle des PPA (purchase power agreements).
Un mot des compétences locales : sur ce sujet, il est possible de trouver une sortie par le haut. Les maires souhaitent ne pas avoir à modifier tous les documents d'urbanisme lorsqu'ils sont prêts à accueillir des projets d'énergies renouvelables sur leur territoire. Peut-être est-il possible de déroger aux documents d'urbanisme dès lors que l'assemblée qui les a votés est d'accord pour gagner du temps...
À l'article 6, une rédaction « en dur » vous sera proposée. À l'article 18, la redistribution envisagée s'applique bien à toutes les énergies renouvelables, et nous restons très ouverts à la discussion, concernant y compris les installations existantes.
L'article 19 vise à couvrir ce qui ne l'est pas aujourd'hui dans les appels à projets concernant le biogaz ; nous y travaillons par ailleurs avec la Commission de régulation de l'énergie (CRE).
Monsieur Gremillet, nous menons un combat au niveau européen pour obtenir la reconnaissance d'un hydrogène bas-carbone, et pas seulement fondé sur des énergies renouvelables. Parmi les 41 projets importants d'intérêt européen commun (PIIEC) sélectionnés, la France en a notifié 15 - personne ne fait mieux -, qui vont donner lieu à autant d'usines nouvelles sur tous les maillons de la chaîne, électrolyseurs, piles à combustible, etc. Dans le plan France 2030, 10 milliards d'euros sont consacrés à l'hydrogène et à la décarbonation, s'ajoutant aux enveloppes déjà importantes prévues dans le cadre du programme d'investissements d'avenir. À ma connaissance, nous n'avons pas besoin de mesures législatives en matière d'hydrogène.
Un mot sur l'hydroélectrique : vous savez qu'une opération de montée à 100 % du capital d'EDF est en cours, visant notamment à sécuriser les concessions hydroélectriques dans la durée. Par ailleurs, le Gouvernement ne compte pas se priver de ce que peut nous offrir la petite hydroélectricité pour atteindre nos objectifs d'augmentation de notre production décarbonée. Cette technologie est promue dans le cadre de la PPE ; des appels d'offres dédiés sont prévus. La CRE a délibéré, le 12 mai 2022, sur la quatrième période de l'appel d'offres portant sur la réalisation et l'exploitation d'installations hydroélectriques, pour l'attribution de 2,3 mégawatts. On est loin des 35 mégawatts attendus, mais un nouvel appel d'offres sera lancé en 2023.
J'ajoute que le Gouvernement a pris, le 28 juin 2022, un décret fixant les modalités d'application de l'expérimentation relative à l'institution du médiateur de l'hydroélectricité en Occitanie. Nous expérimentons...
La Première ministre a été claire devant vous la semaine dernière : un nouveau cadre législatif sera proposé afin de relancer rapidement les investissements dans nos barrages sans passer par une remise en concurrence - il y a 6 milliards d'euros à investir.
M. Éric Gold. - Le projet de loi Énergies renouvelables vise à accélérer la réalisation des projets nécessaires à la transition écologique. Si le solaire terrestre et l'éolien en mer trouvent une place importante dans le texte initial, on constate que la petite hydroélectricité n'est pas envisagée comme un outil de décarbonation de notre production d'électricité.
Pourtant, la loi Énergie et climat de 2019 permettait de mobiliser cet instrument face à l'urgence écologique et climatique, puis la loi « Climat et résilience » a fortement limité les destructions d'ouvrages hydrauliques, permettant que des retenues d'eau anciennes soient conservées sur nos rivières. Alors que les projets de parcs éoliens et solaires sont systématiquement contestés, le petit hydraulique, dont le potentiel de production est certes limité, est toujours mieux accepté, notamment dans les zones peu denses.
Quels arguments l'administration utilise-t-elle pour justifier que l'on se prive d'équipements patrimoniaux existants dans l'éventail des outils de décarbonation ?
M. Franck Menonville. - La proposition de loi en faveur du développement de l'agrivoltaïsme, dont je suis le rapporteur, vise à donner une orientation stratégique, un cadre légal et un soutien budgétaire à cette technologie prometteuse. L'enjeu est de promouvoir des projets porteurs d'externalités positives pour nos agriculteurs, mais aussi de contrôler et de réguler l'essor de projets « alibis ».
Vingt-cinq organismes et cinquante personnalités ont été auditionnés ; notre travail s'est appuyé sur la proposition de résolution de Jean-François Longeot et Jean-Pierre Moga. Êtes-vous prête, madame la ministre, à reprendre ce travail ? La définition que nous proposons, issue du travail de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie - Agence de la transition écologique (Ademe - ATE), peut servir de cadre de référence. La procédure urbanistique, les garanties financières et les soutiens budgétaires envisagés n'attendent que d'être appliqués.
M. Jean Bacci. - Cette loi relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables est attendue par de nombreux élus. Elle permettra, je l'espère, de lever certains blocages locaux.
Dans le titre II, il est question de zones anthropisées, notion retenue dans les schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (Sraddet) : toitures, friches industrielles. Quid des zones urbanisées ? Vous ouvrez la porte aux zones maritimes, en évoquant les salines abandonnées, ainsi qu'aux zones de montagne, mais nulle part il n'est question des zones rurales. C'est pourtant ce milieu, et en particulier les zones naturelles, qui nous apportera les surfaces nécessaires à la réalisation de nos ambitions...
De tels projets doivent être abordés sous deux aspects : la production d'énergies renouvelables, bien sûr, mais aussi la valeur économique et le partage de cette valeur. Pour que ce partage soit effectif, il faut des critères de sélection.
Je vous donne l'exemple des critères qui s'appliquent dans le parc naturel régional du Verdon, repris par l'union régionale des communes forestières de Provence-Alpes-Côte d'Azur : peu d'impact sur la biodiversité, peu d'impact visuel, peu d'impact sur la forêt, mais surtout, quatrième critère, des terrains communaux, pour que le partage de la valeur soit effectif. Ainsi les communes rurales peuvent-elles développer une politique de maîtrise de l'énergie - je vous rappelle que le kilowatt qui coûte le moins cher et qui pollue le moins, c'est celui qu'on n'a pas besoin de produire... -, mieux protéger leur forêt et engager des politiques de sylviculture pérennes.
Il nous reste à faire accepter de tels projets ; les projets participatifs sont facteurs d'acceptabilité sociale et gages d'un meilleur partage de la valeur. Je vous parle d'expérience : j'inaugure demain, à Moissac-Bellevue, un parc photovoltaïque qui va produire 30 mégawatts. Ce projet a mis cinq ans à se concrétiser, dont trois et demi de discussions avec la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal).
Corollaire : la difficulté que pose le classement de ces zones dans le cadre du « zéro artificialisation nette » (ZAN)...
M. Pierre Cuypers. - Premièrement, dans quel cadre la concertation nationale sur le mix énergétique français va-t-elle se dérouler ? Projet de loi sur les énergies renouvelables, projet de loi à venir sur le nucléaire, loi quinquennale sur l'énergie : la filière méthanisation ne voit pas clair dans les différentes concertations et craint que ne soient repoussées les futures lois quinquennales sur l'énergie et PPE, alors que nous avons besoin de lisibilité et d'objectifs forts.
Deuxièmement, plusieurs préconisations que nous avions faites dans le cadre de la mission d'information sur la méthanisation ont abouti dans le cadre de la loi de protection du pouvoir d'achat promulguée en août dernier ; il en va ainsi de l'information préalable des élus, de l'expérimentation d'un guichet unique, de la consolidation de la planification nationale et locale. Pour autant, nous devons aller plus loin : il est impératif de relever l'objectif national de 10 % à 20 % de biogaz dans le cadre du prochain exercice de programmation. Vous y engagez-vous, madame la ministre ?
M. Guillaume Chevrollier. - Pour répondre aux enjeux de souveraineté énergétique et de décarbonation de notre économie, particuliers et entreprises veulent installer des panneaux photovoltaïques. Nous sommes en retard sur les objectifs de la PPE. Se pose un problème crucial, celui des délais de raccordement : il faut améliorer les procédures. Il est indispensable également de régler les problèmes d'assurance qui se posent en matière de toitures. Quelles sont les pistes de réflexion à cet égard ?
Concernant la pyrogazéification, techniquement et économiquement, plusieurs projets sont prêts, mais leurs initiateurs attendent le déploiement des contrats d'expérimentation. À ce jour, aucun cahier des charges n'est connu. Qu'en est-il ?
Pour ce qui est des certificats de production de biométhane, mesure que j'avais défendue dans le cadre de l'examen du projet de loi « Climat et résilience », nous attendons la publication des décrets d'application, qui subissent un blocage regrettable.
Enfin, le prix du bioGNV a doublé depuis un an, dépassant de 30 % le prix du gasoil ; cette situation pénalise fortement les entreprises et les collectivités locales qui se sont engagées dans la conversion de leur flotte de véhicules. Quels sont les mécanismes envisagés par le Gouvernement pour maintenir à flot la compétitivité de ce secteur ? Quid de l'autoconsommation de biométhane ?
Mme Anne Chain-Larché. - Ma question concerne l'« esprit » des textes relatifs à l'énergie et leurs conséquences pour les élus locaux, au premier rang desquels les maires.
Certaines dispositions du texte portent particulièrement atteinte au pouvoir des maires et des intercommunalités en matière d'urbanisme ; sur le terrain, les inquiétudes sont nombreuses. Non seulement leur avis n'est pas pris en considération, mais le projet de loi prévoit la remise en cause des plans locaux d'urbanisme (PLU) et des schémas de cohérence territoriale (SCoT).
Pour valser, madame la ministre, il faut être deux. Nous avons besoin de connaître très clairement vos intentions.
M. Frédéric Marchand. - Dans le domaine des concessions hydroélectriques, le développement de projets d'ampleur est entravé par le différend qui oppose la France et la Commission européenne au sujet de la mise en concurrence. Certaines mesures permettraient cependant d'accroître les capacités hydroélectriques à court terme des installations existantes, en cas de tension forte sur le système électrique : introduction de la possibilité pour l'autorité administrative d'autoriser temporairement des augmentations de puissance ; possibilité de limiter temporairement les débits réservés restitués aux cours d'eau si l'autorité administrative estime qu'il n'y a pas d'effets notables sur l'environnement. Quel est votre avis sur ces suggestions ?
M. Franck Montaugé. - À l'article 16, il est question des zones en « bande littorale » : intégrerez-vous dans les relevés d'artificialisation des sols la construction, nécessaire, de lignes électriques, ou des postes de transformation ? Ne pourriez-vous pas envisager que l'objectif ZAN dépende d'un décompte au niveau national ?
Concernant le partage de la valeur, les rétrocessions aux consommateurs seront-elles comptabilisées au titre de la contribution au service public de l'électricité (CSPE) ? Cela créerait un précédent qui reviendrait sur le principe de la péréquation tarifaire, auquel le Sénat est très attaché...
Vous avez dit vouloir partir du terrain ; comment entendez-vous décliner les objectifs nationaux au niveau des territoires, et organiser cette planification ?
Mme Marie-Claude Varaillas. - Les énergies renouvelables sont passées d'une part de 9 % de la consommation finale brute d'énergie en 2005 à 19 % en 2020. Malgré vos efforts dans la concertation, au prétexte que le cadre juridique actuel est un frein pour rattraper le retard, le choix a été fait de simplifier les procédures, au risque de réduire l'intervention des élus et la consultation des citoyens. Pourtant, ces acteurs peuvent influer favorablement sur l'orientation des projets. Les élus sont inquiets de l'entrisme d'opérateurs qui démarchent des propriétaires fonciers, élaborant des projets sans toujours en informer le maire avant le stade de l'étude de faisabilité. Ne craignez-vous donc pas que cette procédure d'accélération intensive ne s'avère contreproductive en radicalisant les oppositions ?
Le conseil national de la transition écologique (CNTE) relève, certes, la complexité de certaines procédures administratives, mais il souligne également l'absence de planification et l'insuffisance des moyens humains et financiers, au niveau de l'État et des collectivités, pour instruire les projets. Quelles mesures concrètes comptez-vous prendre pour y remédier ?
M. Serge Babary. - L'une des causes du retard dans le développement des EnR est à rechercher dans les insuffisances des bureaux d'études se prêtant à des évaluations environnementales. Une réforme ambitieuse est préconisée par le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) depuis octobre 2021. Pourquoi ce projet de loi ne contient-il aucune disposition en lien avec les bureaux d'études, et en particulier au sujet de leur indépendance à l'égard des maîtres d'ouvrage ?
Quelle est actuellement la part des éoliennes et panneaux photovoltaïques produits en France ? Dans l'Union européenne (UE) ? Hors UE ? Que prévoyez-vous pour accroître la part de production française ? Qu'en est-il des aides à la rénovation, et du recyclage de telles installations ?
Mme Martine Filleul. - La planification territoriale est le premier pilier de l'appropriation des projets par les citoyens. Le second pilier serait le partage de la valeur ; or, nous nous contentons de faire des « ristournes » aux riverains, à l'image des tarifs préférentiels proposés à ceux vivant à proximité du parc éolien de Bonneval, en Eure-et-Loir. Ce dispositif, qui me laisse perplexe tant il revient à acheter l'acceptation tacite des populations, n'est-il pas une manière de contourner le débat public, et, ainsi, de rater l'objectif d'une meilleure acceptabilité des projets ?
M. Daniel Laurent. - Pouvez-vous nous en dire davantage quant à votre souhait de favoriser l'implantation d'éoliennes autour de sites nucléaires ?
Malgré les promesses et revirements ministériels, le Sénat soutient depuis des années l'installation de centrales photovoltaïques au sol dans les sites dégradés des zones littorales. L'article 9 de votre projet de loi précise que la notion de « friche » renvoie à l'article L. 111-26 du code de l'urbanisme ; leur liste sera « fixée par décret ». Pouvez-vous nous assurer que les sites dégradés comme les anciennes carrières ou décharges seront bien concernés ?
Entendez-vous revenir sur le dispositif prévu en matière de pouvoir d'urbanisme ? L'association des maires nous a fait part de sa totale opposition à toute atteinte à ce pouvoir, notamment dans les dispositions qui permettraient à l'État d'imposer que le projet d'aménagement et de développement durables (PADD) soit rendu compatible avec ses projets.
Qui sera concerné par le fonds vert de 1,5 milliards d'euros visant à accompagner la transition énergétique des collectivités ? Sera-t-il cumulable avec d'autres aides, telle la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) ?
Mme Kristina Pluchet. - Ce projet de loi ne contenant à mes yeux aucune amélioration, quelles mesures concrètes envisagez-vous pour redonner enfin la voix aux élus locaux, ignorés depuis 2018 ?
Étant donné qu'un parc éolien nuit à l'attractivité d'un territoire, le partage de la valeur annoncé sera-t-il à la hauteur des préjudices ?
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Monsieur Gold, j'ai mentionné, au sujet de l'hydraulique, le nouveau cadre législatif que souhaite mettre en place la Première ministre, et des décisions récentes comme l'appel d'offres de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) lancé en 2022.
Monsieur Menonville, si la proposition de loi en faveur du développement de l'agrivoltaïsme est adoptée, elle pourra être reprise dans ce projet de loi.
Sur les questions relatives au ZAN, ni le photovoltaïque ni l'éolien ne compteront dans les quotas, s'ils respectent les conditions prévues dans la loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite loi « Climat et résilience ».
Monsieur Cuypers, dans le cadre de l'élaboration de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), un débat public, sous l'égide de la Commission nationale du débat public (CNDP), s'ouvre à la fin de la semaine et s'achèvera début janvier ; des travaux techniques s'ensuivront, avant la loi relative à l'énergie et au climat qui vous sera présentée au plus tard au début du deuxième semestre 2023, et pour réviser la stratégie nationale bas-carbone (SNBC) ainsi que le plan national d'adaptation au changement climatique. Je souhaite une articulation avec les territoires, notamment en matière de programmation concrète. L'autonomie en matière énergétique est un élément d'attractivité. Cette démarche permettra de réfléchir aux objectifs locaux et d'éviter autant que possible les écarts entre la programmation nationale et sa déclinaison locale. Nucléaire mis à part, pouvoir couvrir sa consommation d'énergie peut être un objectif de territoire.
La PPE pose trois enjeux : d'abord, l'adaptation de notre consommation pour atteindre l'objectif de neutralité carbone ; ensuite, la satisfaction de nos besoins en énergie, et pas seulement électrique, tout en assurant la sortie de notre dépendance aux fossiles ; enfin, la planification de la transition énergétique.
La PPE n'est pas repoussée en ce qui concerne la filière méthanisation. L'enjeu est l'indépendance énergétique : nous sommes dépendants aux deux tiers aux énergies fossiles, aussi tous les leviers à activer le seront pour en sortir, d'autant plus en cinq ans.
Monsieur Chevrollier, les assurances posent un problème. L'intégration des panneaux photovoltaïques peut conduire à des problèmes d'étanchéité. La qualité des travaux est cruciale ; il faut monter en compétence sur la filière.
Sur la pyrogazéification, des études sont en cours pour envisager un premier appel à projets qui devra être validé par l'UE. Elles s'inscrivent dans les travaux de révision de la stratégie française énergie-climat. Nous revendons trois fois notre biomasse ; la disponibilité pour fournir de l'énergie n'est pas inextinguible . Je suis favorable, dans la lignée de France 2030, au soutien des filières industrielles, y compris à la recherche et développement, vu la rapidité de l'évolution des technologies.
Sur les certificats de production de biométhane, nous travaillons sur le décret d'application. Des paramètres restent à définir ; un premier projet a été transmis pour validation.
Madame Chain-Larché, le troisième alinéa de l'article 3 fait débat. Ma suggestion est de rendre le pouvoir à l'autorité qui est en charge du document d'urbanisme, pour lui permettre de déroger, par vote, à ce document. Cette demande provient des élus locaux, car les documents d'urbanisme n'ont pas toujours été mis à jour : cela évitera dix-huit mois de refonte complète quand l'incompatibilité n'est que marginale. Les collectivités pourront ainsi agir avant l'aboutissement de la révision.
Monsieur Marchand, le contrat du barrage de Saint-Chamond permet d'accroître la production. Il faut être vigilant sur la salinité. Une expertise est menée sur l'augmentation de la puissance du barrage de Kembs. Un amendement au projet de loi de finances 2023 revient sur le cadre des redevances, qui bride les augmentations de puissance d'installations déjà existantes.
Monsieur Montaugé, je n'ai pas la réponse sur les raccordements dans le cadre des ZAN. La péréquation tarifaire, quant à elle, ne change pas : une réduction forfaitaire, et non au prorata de la consommation, est prévue. La déclinaison relèvera ensuite du domaine du règlement.
La déclinaison territoriale des objectifs est prévue par la PPE. La logique est que la somme des plans climat-air-énergie territoriaux (PCAET), ou des schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires, forme un jeu à somme nulle avec la PPE, quand bien même des ajustements devront être faits entre une planification en jardin à la française et la réalité du terrain ; c'est pourquoi je souhaite travailler avec les collectivités.
Madame Varaillas, la consultation numérique revient seulement à se mettre en adéquation avec ce qu'il se pratique pour des projets de plus grande taille, à la suite de la loi du 7 décembre 2020 d'accélération et de simplification de l'action publique.
Face à l'entrisme des porteurs de projet, le fait de disposer d'une programmation et de PCAET délimitant des zones favorables à l'accueil d'énergies renouvelables permet d'orienter les porteurs vers des sites clé en main. Cela évite les inégalités territoriales où les territoires au foncier le moins cher - les plus pauvres - sont démarchés. Accueillir des énergies renouvelables n'est pas un poids, mais un atout pour les territoires, à condition de veiller à un bon équilibre.
Les bureaux d'études doivent déjà être indépendants, conformément à la réglementation. Les organismes doivent être certifiés pour les missions qui relèvent d'une obligation réglementaire ; si des cas de manquement d'indépendance sont identifiés, la certification peut être retirée. Il faut appliquer la loi actuelle.
Monsieur Babary, une industrie solide de production de panneaux photovoltaïques n'existe pas en France ; 80 % viennent de l'étranger, surtout de Chine. L'Europe travaille à intégrer des notions de contenu carbone pour inciter à produire ces panneaux sur notre continent. Les enjeux relèvent également de la compétitivité de la filière. On peut avancer en utilisant dans les cahiers des charges des clauses sociales et environnementales. Le développement de filières d'énergies renouvelables est un travail mené par Bruno Le Maire et Roland Lescure : cela est une réalité pour l'éolien marin ; pour l'éolien terrestre, l'empreinte est plus resserrée ; la géothermie manque encore d'unité. Des crédits sont prévus à cet effet dans le plan France 2030. L'aide à la rénovation et le recyclage des installations doivent faire partie du cahier des charges.
Madame Filleul, une discussion peut avoir lieu sur l'intégration des populations au capital, sur le modèle allemand ou danois. Une installation d'énergies renouvelables est un élément d'attractivité pour les territoires.
Monsieur Laurent, je n'ai pas particulièrement le projet d'installer des éoliennes à proximité de sites nucléaires. Les anciennes carrières et les décharges sont bien intégrées dans l'article 9.
Pour le fonds vert, je vous renvoie aux discussions à venir sur le PLF.
M. Henri Cabanel. - L'agrivoltaïsme permet de produire une énergie renouvelable tout en garantissant le maintien de l'agriculture ; je vous remercie de votre proposition de l'inclure dans ce projet de loi. Sans cadre plus strict, des dérives auront lieu. Il n'est pas souhaitable que des porteurs de projet profitent seuls d'un foncier à bas coût. Comment envisager le partage de la valeur avec les propriétaires fonciers et les agriculteurs, sachant que le coût d'une installation - un million d'euros par mégawatt - est important ?
J'ai rencontré un porteur de projet qui a décidé de payer un loyer de 2 000 euros par an au propriétaire foncier, et de 500 euros à l'agriculteur, sur des terres à faible potentiel agronomique (5 000 euros). Comment éviter la spéculation sur le prix du foncier ?
M. Daniel Gueret. - Encouragé par votre prédécesseure, le préfet d'Eure-et-Loir s'est porté volontaire pour un travail de concertation relatif à l'implantation des sites d'énergies renouvelables. Cela a abouti à un schéma d'implantation pour l'éolien. La démarche a été saluée comme apaisante. Depuis un an, un comité départemental des énergies se réunit pour émettre des avis sur les projets instruits, avec les porteurs de projets, les représentants de toutes les collectivités et les associations. Avez-vous l'intention de conforter cette méthode expérimentale ? Quelle est votre position concernant l'aspect consultatif des avis que nous rendons au sein de ce comité ?
Mme Sylviane Noël. - L'ouverture à la concurrence des concessions hydroélectriques, poussée par l'UE, va affaiblir le secteur, conduisant à une multiplication d'acteurs tournés vers la seule recherche de rentabilité, mettant ainsi en danger notre potentiel de production. La France s'opposera-t-elle à cette ouverture à la concurrence, à l'image de nombre de ses voisins européens ?
De vives inquiétudes sont suscitées par l'adoption du décret du 30 mars 2022 relatif à l'interdiction de l'utilisation sur le domaine public en extérieur de systèmes de chauffage ou de climatisation. À l'approche de l'hiver, cette mesure suscite l'inquiétude et l'incompréhension de nombreux commerçants non sédentaires. Envisagez-vous de revenir sur ce décret pour le moins déconnecté de la réalité des territoires ?
Mme Angèle Préville. - Le développement des énergies renouvelables devrait être un service public ; or, le portage qui se met en place est en grande partie privé. L'entrisme des porteurs de projet est une réalité dans le Lot. Il est promis aux agriculteurs, de manière alléchante, 1 500 € à l'hectare. Cela va entraîner un développement désordonné, et, les élus même n'étant pas informés, de l'inacceptabilité de la part des riverains. Quelle place pourrait être donnée aux projets vertueux, participatifs, associant les collectivités territoriales et les riverains ? Faut-il instaurer des obligations ?
Le développement de chauffe-eau solaires est singulièrement absent des réflexions sur les économies d'électricité. Ne faudrait-il pas, pour les futures constructions, prévoir l'obligation de disposer d'un tel excellent outil ?
Mme Martine Berthet. - Des entreprises m'ont interpellée : leur contrat avec Électricité de France (EDF) se termine au 30 novembre 2022. Elles sont dans l'obligation d'en signer un nouveau, rapidement ; le coût proposé, à savoir 730 euros le mégawattheure, représente pour 2023 une charge passant de 2,5 millions d'euros à... 17 millions ! À quand la décorrélation en France du prix de l'électricité par rapport à celui du gaz ?
La Savoie est l'un des départements les plus concernés par les usages électro-intensifs, les entreprises s'y trouvant à proximité d'une hydroélectricité peu chère. Leurs contrats de long terme arrivent à terme dès janvier 2023. Les possibilités de nouveaux contrats de long terme, qui figurent dans le projet de loi, seront-elles déjà en place ? Quelles solutions, sinon, sont-elles à mettre en place de manière transitoire ?
Le rapport de M. Philippe Darmayan soumet des propositions ; pourquoi n'a-t-il pas été publié ? Va-t-il l'être ? Il est important de former nos artisans aux nouvelles technologies, sur le modèle de l'institut national de l'énergie solaire (Ines).
M. Jean-Michel Houllegatte. - Le Conseil général de l'environnement et du développement durable a rédigé un rapport sur la modernisation de la participation du public et des procédures environnementales ; le Conseil économique, social et environnemental (Cese) a produit un avis intitulé « Acceptabilité des nouvelles infrastructures de transition énergétique : transition subie, transition choisie ? » . L'appropriation des projets passe selon eux par une concertation systématique et continue, sous l'égide de garants. Je ne vois pourtant pas dans ce projet de loi d'extension, le plus en amont possible, de la concertation. Êtes-vous prête à intégrer ces recommandations ?
Le bon déroulement d'une procédure étant lié aux moyens alloués, ceux de l'État sont-ils adaptés aux enjeux de la transition écologique ?
Dans l'article 11, pourquoi avoir introduit l'obligation de végétalisation des parcs de stationnement, permettant la perméabilité et l'infiltration des eaux pluviales ?
M. Rémi Cardon. - J'ai déposé récemment une proposition de loi visant à favoriser l'éolien terrestre dans le respect des territoires et des habitants, qui contient une modification de la répartition de l'imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux (Ifer), le partage de la valeur étant actuellement perçu peu favorable à l'égard des communes les plus pénalisées par les projets éoliens. Quelle est votre position à ce sujet ?
M. Hervé Gillé. - L'avis du Conseil d'État est assez critique, notamment au sujet de la mobilisation des moyens humains pour améliorer les procédures. Allez-vous intervenir au niveau du PLF pour renforcer les moyens de l'administration ? Afin d'accélérer les procédures, envisagez-vous de faire bénéficier les porteurs de projet d'une ingénierie d'accompagnement ?
Les raisons impératives d'intérêt public majeur inquiètent quant à la nature des projets qui entreront dans leur champ : les conditions seront définies par décret. Pouvez-vous nous en définir le périmètre ?
M. Fabien Gay. - Il est complexe pour un parlementaire de disposer d'une vision globale quand les textes sont saucissonnés : un sur l'hydroélectrique, un dans le cadre de l'étatisation d'EDF... Au sujet du partage de la valeur, la question de la péréquation tarifaire se pose, créant une inégalité entre territoires.
Grâce à l'article 18 de votre projet de loi, des entreprises vont pouvoir nouer un contrat à long terme avec des énergéticiens, libéralisant davantage encore le secteur. Des grandes entreprises vont sortir complètement du marché et du système centré autour d'EDF, et nouer des partenariats subventionnés par l'État... Notre groupe s'opposera à cet article.
Mme Nadège Havet. - Pouvez-vous nous préciser les dispositions relatives au déploiement des énergies renouvelables sur les zones non interconnectées, comme les îles du Ponant, la Corse ou les outre-mer, zones qui sont en retard sur les objectifs d'autonomie à horizon 2030 ?
Mme Amel Gacquerre. - L'un des obstacles à la mise en oeuvre de la transition énergétique est celui des moyens alloués aux services de l'État en charge de l'instruction des projets. Quels moyens humains supplémentaires envisagez-vous tant pour l'État que pour les collectivités, pour raccourcir les délais ?
Mme Denise Saint-Pé. - Quels sont aussi les moyens humains que vous pourrez obtenir pour la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) ?
M. Ronan Dantec. - Présentés comme étant au coeur du texte et justifiant l'examen initial par le Sénat, les territoires sont finalement assez peu présents dans ce projet de loi. Les contrats à long terme sont centrés sur les entreprises, malgré la forte demande de les ouvrir plus clairement aux collectivités territoriales. L'article sera-t-il réécrit à cette fin ?
Le Sénat demande de manière unanime, tous les ans, à l'occasion des lois de finances, l'accroissement du financement en fonctionnement, et pas seulement en investissement, afin que les collectivités développent les EnR et l'efficacité énergétique. Pouvez-vous faire passer ce message ?
Face aux difficultés d'acceptabilité, ne pourrait-on pas passer par des appels à manifestation d'intérêt (AMI) à l'intention des collectivités qui veulent développer l'éolien et le photovoltaïque, leur permettant d'avoir le dernier mot sur le projet le plus adapté au territoire ?
Mme Anne-Catherine Loisier. - Vous dites qu'il faut pallier la faible disponibilité du parc nucléaire, et sécuriser les approvisionnements ; pourtant, ce sont les EnR non pilotables et soumises à des aléas qui sont privilégiées. Comment comptez-vous soutenir le développement des EnR pilotables ? La biomasse ligneuse risque de sortir des EnR au niveau européen...
Le fonds chaleur est-il à la hauteur de vos ambitions ?
Faut-il légiférer pour faciliter le développement de certains procédés d'hydrogène, les projets innovants étant jusqu'à présent bloqués par des régimes d'autorisation ?
Mme Marta de Cidrac. - Face à la vulnérabilité des futures éoliennes, quelles mesures avez-vous envisagées pour les protéger des risques climatiques et des autres menaces relatives à la sécurité ?
Envisagez-vous à l'avenir de mettre en place une filière de démantèlement des éoliennes ?
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Concernant les moyens, combien faut-il de fonctionnaires, et dans quels types de postes, pour lever les blocages de terrain ?
Vous semblez résignée quant au sort de la filière de la production de panneaux photovoltaïques. Les Français accepteront mieux les efforts si les EnR contribuent au développement économique et industriel. La France ne doit-elle pas demander à l'UE une dérogation pour des aides d'État concernant le soutien à cette filière ?
Avez-vous lancé un plan de recherche et développement sur les nouvelles méthodes de production des EnR ? Comment contraindre la commande publique à privilégier le made in France ?
M. Jean-François Longeot, président. - Je m'exprime au nom de M. Jean-Pierre Moga qui n'a pu se joindre à nous pour vous demande si le Gouvernement envisage d'intégrer dans ce projet de loi la proposition de loi en faveur du développement de l'agrivoltaïsme ? Je porte également à votre attention à cet égard la nécessité d'appréhender la question du fermage qui n'est pas réglée par la proposition de loi.
Mme Dominique Estrosi Sassone. - Dans la continuité des questions posées par mes collègues, je voudrais revenir sur nos craintes quant à la volonté assumée par l'État de passer en force, sans faire grand cas ni de l'avis des élus locaux ni de celui de la population. Pour preuve une instruction que vous avez signée avec vos collègues, ministre de l'intérieur et ministre de l'industrie, le 16 septembre dernier à destination des préfets, instruction qui traite à la fois des perspectives de délestage l'hiver prochain et de l'implantation des installations d'énergies renouvelables.
Concernant l'accélération du développement des projets d'énergie renouvelable, il est exigé des préfets qu'ils fassent en sorte qu'aucune instruction n'excède vingt-quatre mois. Il leur est demandé de créer une adhésion locale autour des projets, notamment des collectivités locales. Cela pose question, car l'adhésion locale ne se décrète pas.
Toujours dans cette même instruction, il est clairement demandé aux préfets de serrer la vis aux maires ayant prononcé dans leur PLU des interdictions générales et absolues d'implantation de projets renouvelables, notamment de parcs éoliens. Ces documents d'urbanisme devront faire l'objet d'un contrôle de légalité attentif, ce qui signifie, pour parler clairement, que les préfets sont appelés à chercher à tout prix la faille qui pourrait permettre de casser ces documents.
Je comprends que vous vouliez faire preuve de volontarisme sur ces sujets, mais je suis inquiète : pourquoi avoir pris une telle instruction avant même le débat sur le projet de loi relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables ?
M. Pierre Louault. - Ma question concerne les projets de petite hydroélectricité. Dans mon département, l'Indre-et-Loire, tous les projets sont mis en échec systématiquement par les services de l'État et l'Agence de l'eau, qui utilisent l'arme de destruction massive et systématique de tous les anciens équipements hydrauliques des anciens moulins. La réglementation pourrait-elle évoluer à ce sujet pour permettre enfin aux propriétaires de produire de l'hydroélectricité ?
Deuxième point, pensez-vous possible de faire évoluer le management des fonctionnaires, qui cherchent d'abord les arguments pour freiner tous les projets ? J'ai en tête l'exemple d'un projet photovoltaïque sur une friche militaire de 6 hectares datant de la guerre 39-45 où il y a seulement des ronces et des épines et pour lequel on nous répond de faire d'abord une demande de déforestation du terrain. Voilà l'état d'esprit : au lieu d'examiner notre projet, on nous demande une autorisation de destruction pour une forêt qui n'existe pas. C'est un état d'esprit qu'il convient de faire évoluer rapidement si la production d'électricité devient une priorité nationale.
M. Yves Bouloux. - L'article 18 du projet de loi vise à instituer un rabais sur les factures d'énergie au profit des communes et ménages établis dans les environs des installations EnR. Le montant de ce rabais sera déterminé en tenant compte de la nature et des caractéristiques de ces installations. Quels sont les critères envisagés ?
Mme Évelyne Renaud-Garabedian. - Je voudrais revenir sur la filière de la géothermie dont le potentiel est considérable, mais qui est sous-développée. Or il est possible de l'utiliser sur près de 90 % du territoire, les infrastructures peuvent fonctionner toute la journée, indépendamment des conditions climatiques, elles ne détruisent pas le paysage et elles pourraient répondre à 70 % des besoins énergétiques des bâtiments. J'aimerais avoir la confirmation que vous envisagez bien de développer cette filière.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - M. le sénateur Cabanel m'a questionnée sur l'agrivoltaïque. Notre ligne de conduite est que l'activité agricole doit rester significative. C'est un garde-fou important. Nous abordons aujourd'hui les questions de souveraineté énergétique, mais mon collègue Marc Fesneau doit aussi défendre la souveraineté alimentaire. Il est clair que l'on ne peut pas sacrifier un objectif pour un autre. Il est donc essentiel de s'assurer d'un juste partage de la valeur.
Nous sommes pour un avis systématique de la commission de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF), mais pas nécessairement conforme.
En ce qui concerne la spéculation sur le prix du foncier, l'enjeu est de parvenir à un ensemble cohérent, avec un revenu agricole et des aides de la politique agricole commune (PAC) qui soient compatibles avec les installations photovoltaïques.
Monsieur Gueret, je suis complètement en phase avec vous sur la méthode expérimentale. C'est d'ailleurs tout l'objet de la circulaire. J'ai bien entendu l'inquiétude exprimée par Mme Estrosi Sassone, mais quand on demande à des services instructeurs de tenir les délais et de considérer qu'il s'agit d'une priorité de travail, c'est une injonction qui va dans le sens des collectivités locales. Idem lorsqu'on demande de travailler à l'adhésion locale, etc.
Vous êtes plusieurs à avoir posé la question des effectifs des services instructeurs : oui nous allons avoir au total 37 équivalents temps plein supplémentaires répartis entre la Direction générale de l'énergie et du climat et les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement. Cela figurera dans le prochain projet de loi de finances. Il s'agit d'une augmentation significative. Est-ce que ce sera suffisant ? Je propose de commencer par recruter les bonnes personnes et de faire l'analyse ensuite.
Plusieurs d'entre vous m'ont interrogée sur l'accompagnement en ingénierie. Pour avoir été ministre déléguée chargée de l'industrie, je considère qu'investir un euro dans l'ingénierie pour en gagner dix, c'est un bon investissement. Nous avons débloqué des crédits en faveur de l'ingénierie, notamment pour l'éolien marin, même si je n'ai pas encore l'intention de recruter des fonctionnaires. Quoi qu'il en soit, l'État est conscient de cette problématique ; il s'agit d'éclaircir les dossiers des futurs porteurs de projet, de garantir l'indépendance des données et d'accompagner les collectivités locales, via le soutien de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT). Mettre à disposition ce type d'ingénierie, quitte à partager les coûts, est loin d'être idiot. Par ailleurs, se pose effectivement la question des dépenses d'exploitation (OPEX), mais nous y travaillons avec les contrats par différence.
Sylviane Noël m'a interrogée sur l'ouverture à la concurrence hydraulique. C'est une question à laquelle j'ai répondu à deux reprises. L'interdiction des systèmes de chauffage sur les terrasses a été votée dans la loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets. C'est une proposition issue de la Convention citoyenne pour le climat. La mesure répond, à mon sens, à une certaine attente sociétale. J'entends bien les difficultés, mais il est important de prendre en compte l'enjeu du réchauffement climatique. J'étais il y a deux semaines à Kinshasa pour préparer la COP27. Nous sommes aujourd'hui sur un scénario à + 3 degrés. Je vous invite à regarder ce que cela signifie : les meilleures dystopies de films tels que Mad Max sont très loin de ce qui nous attend !
Certes, l'empreinte carbone de la France est modérée au regard d'autres pays. Néanmoins, nous avons bel et bien une empreinte carbone, notamment pour la production de chaleur et faire fonctionner les transports. Nous avons contribué depuis notre entrée dans la révolution industrielle à une partie non négligeable et certainement supérieure à ce que pèse notre population par rapport à la population mondiale au réchauffement climatique. Il y a là un enjeu de responsabilité sur lequel nous interpellent les jeunes générations.
Mme Préville a évoqué les projets participatifs. Pourquoi ne pas ouvrir ces projets aux habitants et aux collectivités locales ? Il s'agit d'une piste de travail à condition de ne pas aller trop loin. Ça existe au Danemark, ça existe en Allemagne, pourquoi pas chez nous ? Comment accompagner financièrement les projets ? Il existe aujourd'hui des porteurs de projets qui sont prêts à accompagner des collectivités locales. J'invite chacun à travailler sur le sérieux des différents projets. Les préfets peuvent également avoir un rôle à jouer, tout comme la planification au niveau régional et local. M. Dantec a suggéré l'idée d'un appel à manifestation d'intérêt. Rien ne l'interdit dans la loi, c'est un point qui mérite d'être examiné, car il s'agit d'une très bonne idée.
J'ai dit un mot du photovoltaïque thermique, vous parlez du chauffe-eau solaire, mais c'est la même chose. Je ne crois pas qu'il faille une obligation : les situations sont très différentes selon qu'il s'agisse de la construction ou de la rénovation. La directive efficacité énergétique des bâtiments arrive en discussion au sein des instances européennes. Elle traitera de toutes ces questions.
Mme Berthet a évoqué le cas des entreprises. La mise en relation a été faite avec mes équipes et un rendez-vous a eu lieu début août. J'ai envie de vous renvoyer la balle : plus vite on votera la loi, plus vite il sera possible de souscrire des contrats à long terme grâce au Power Purchase Agreement (PPA). M. Gay a cité le cas particulier de Total en Nouvelle-Calédonie où l'État n'est pas compétent, je le rappelle. Le conseiller technique qui a beaucoup travaillé sur le texte qui nous occupe arrive justement de Nouvelle-Calédonie. Il pourra vous livrer le détail de ces enjeux. L'essentiel du contrat que vous évoquez ne sera pas en PPA, mais bien avec Enercal, la société néo-calédonienne d'énergie. Un accord-cadre a d'ailleurs été signé pour décarboner le mix.
En tout état de cause, les PPA sont une bonne piste. Ils permettent de définanciariser la question des contrats d'électricité. Avoir des contrats fondés sur la réalité de la production et des coûts de revient sur le long terme afin de financer les installations a une valeur à la fois pour les entreprises, mais aussi pour les collectivités locales. La comptabilisation en norme de dépenses pour les collectivités locales est d'ailleurs un point de vigilance de Bercy, il s'agit d'éviter de transférer des dettes. C'est un point sur lequel nous devons travailler. Nous sommes néanmoins prêts à étudier l'ouverture de ces dispositifs aux collectivités locales, ce qui n'est pour l'instant pas le cas. Je suis d'accord avec ce qui a été dit sur la formation des artisans.
M. Cardon a évoqué l'imposition forfaitaire des entreprises de réseaux (IFER). C'est un enjeu de PLF, mais qui est mieux placé que le Sénat, qui représente les collectivités locales, pour réfléchir à la répartition d'un impôt qui concerne les collectivités locales ? Soit on augmente la part globale, ce qui réduira mathématiquement le nombre de projets, soit on revoit la répartition entre les différents niveaux, c'est un point qui mérite un travail de fond de votre part.
En ce qui concerne les raisons impératives d'intérêt public majeur pour les énergies renouvelables, c'est un point sur lequel nous pouvons tous nous accorder, a fortiori dans la lutte contre le réchauffement climatique. Il s'agit aussi de défendre notre indépendance énergétique et de préserver le pouvoir d'achat des Français. Je rappelle qu'aujourd'hui le prix de sortie des énergies renouvelables - photovoltaïque, éolien terrestre - est très compétitif par rapport au prix du marché global, y compris par rapport au nouveau nucléaire. En tout état de cause, on ne revient à aucun moment sur les obligations de protection stricte des espèces protégées.
Madame Havet, le déploiement dans les zones non interconnectées (ZNI) est une très bonne question. Une nouvelle période d'appel d'offres s'est ouverte en septembre pour soutenir une nouvelle vague de projets. Nous avons saisi la CRE pour modifier l'arrêté tarifaire photovoltaïque, avec des seuils de guichet tarifaire qui passent de 100 à 50 kWc et des primes d'investissement sur l'autoconsommation payées en une fois et non en cinq, ce qui est de nature à aider le financement dans les zones non interconnectées. Nous avons procédé à une modification des cahiers des charges pour les appels d'offres afin de prendre en compte l'inflation. C'est valable pour la métropole et les zones non interconnectées. Par ailleurs, il faudra prévoir une programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) spécifique pour les zones non interconnectées. Ce travail a abouti en Corse, mais l'exercice est compliqué. On s'inquiète à juste titre en métropole des risques de délestage ou de black-out. Je rappelle que la Guyane s'est retrouvée cet été avec un tiers de son territoire en black-out. Les outre-mer sont souvent les parents pauvres de notre politique énergétique. Il importe de trouver des solutions à la hauteur des enjeux. Le Parlement pourrait lancer des groupes de travail sur ces problématiques. Il importe d'impliquer les élus territoriaux.
Mme Loisier m'a interrogée sur les EnR non pilotables. Vous savez qu'une grande partie de l'hydroélectricité n'est pas stockable. La production se fait au fil de l'eau. La capacité de développement est limitée aujourd'hui. Des investissements sont envisagés, notamment avec la Compagnie nationale du Rhône (CNR) et les concessions hydroélectriques d'EDF. Par ailleurs, nous sommes confrontés à la problématique du réchauffement climatique, avec une baisse des capacités de production sur le nucléaire et l'hydroélectrique en raison des épisodes de sécheresse. L'éolien n'est pas nécessairement concerné, il faudra voir avec le régime de vents.
Mme Anne-Catherine Loisier. - La production a baissé en Allemagne !
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Je précise, par ailleurs, qu'il n'est jamais spécifiquement question, dans ce texte, de l'éolien terrestre. Je le souligne en réponse à certains commentateurs qui nous reprochaient d'en faire un projet de loi sur l'éolien terrestre. Il s'agit clairement d'un texte sur les énergies renouvelables. Je reviens un instant sur la question du pilotage. Le stockage est un vrai sujet, il sera traité dans les PPE. Le couplage est également une piste à creuser, notamment entre le solaire et l'éolien. De très grosses installations nucléaires peuvent également poser des difficultés de pilotage. Tout cela sera traité par les PPE, la question étant de savoir comment ne pas mettre tous nos oeufs dans le même panier.
Je vous rejoins sur les enjeux de géothermie, madame la sénatrice Renaud-Garabedian. C'est une filière sur laquelle nous souhaitons mettre l'accent. Elle est insuffisamment développée aujourd'hui alors que son potentiel est important, notamment en Île-de-France, qui est la zone la plus dépendante d'un point de vue énergétique. Nous préparons actuellement un plan de développement avec le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) et l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) afin de structurer la filière de forage. Pour le coup, il s'agit d'une énergie pilotable, qui permet de réduire fortement notre consommation, aussi bien pour le chauffage que la climatisation et le refroidissement. Ce sont donc des solutions qui font sens dans la perspective d'une adaptation au changement climatique.
J'ai évoqué le démantèlement des installations nucléaires qui ont quarante ans d'âge moyen. Pour les éoliennes, il y a une obligation de démantèlement pour le porteur. La recyclabilité est aujourd'hui supérieure à 90 %. Nous travaillons sur des innovations allant jusqu'à 100 %.
Mme Lienemann m'a interrogée sur le nombre de fonctionnaires. C'est une question à laquelle j'ai répondu en annonçant que nous allons commencer par 37 ETP.
En ce qui concerne la filière photovoltaïque, je suis volontariste. J'avoue être quelque peu frustrée d'avoir travaillé cinq ans sur un sujet qui vient de m'échapper à cause de l'Inflation Reduction Act de M. Biden. Thierry Breton a annoncé une alliance industrielle pour l'énergie solaire, avec la perspective de déployer 30 gigawatts de capacité annuelle d'ici à 2025 et une présence sur toute la chaîne de valeur. Il estime que l'industrie solaire dans l'Union européenne pourrait permettre la création de 357 000 emplois. Le plan France 2030 prévoit 1 milliard d'euros avec des appels à projets ouverts en 2022 sur les différentes filières d'énergies renouvelables. Nous ne comptons pas lâcher l'affaire.
En ce qui concerne la commande publique, il y a aujourd'hui dans les cahiers des clauses administratives générales (CCA) une clause environnementale obligatoire. Je suis bien placée pour le savoir parce que c'est moi qui l'ai introduite lorsque j'avais le portefeuille de l'industrie. Il s'agit d'un premier élément pour faciliter les productions responsables d'un point de vue environnemental, donc les productions françaises et européennes. Le code français de la commande publique comporte aussi beaucoup d'éléments pouvant aider à structurer des solutions industrielles innovantes françaises et européennes. Il faut savoir utiliser tous ces éléments. Nous avons aussi travaillé avec la direction des affaires juridiques (DAJ) de Bercy pour aider les acheteurs, notamment les collectivités locales. La DAJ de Bercy se tient ainsi à la disposition de chacun pour expliquer comment construire des cahiers des charges solides juridiquement et permettant de choisir le mieux-disant.
Monsieur le sénateur Louault, j'ai répondu à votre question sur la petite hydroélectricité. Je le redis, la circulaire adressée aux préfets va dans le sens que vous indiquez, l'essentiel étant de trouver des solutions, d'où l'idée de travailler sur l'acceptabilité sociale des projets et d'aller vers les élus locaux, notamment au travers des différentes cartographies. C'est dans cet esprit de co-construction que nous souhaitons avancer.
Monsieur le sénateur Yves Bouloux m'a interrogée sur les critères du rabais. Ces derniers seront définis par décret. Cela fait partie des sujets sur lesquels nous sommes à votre écoute.
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. - Je vous remercie, madame la ministre. Vous l'avez bien compris, ce projet de loi nous interpelle sur beaucoup de sujets territoriaux.
M. Jean-François Longeot, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. - Je vous remercie également pour le temps que vous nous avez consacré. Ce projet soulève effectivement de nombreuses questions, car il est important d'agir dans le contexte actuel. Je salue le travail exceptionnel des deux rapporteurs, qui ont organisé beaucoup d'auditions et qui nous présenteront l'issue de leurs travaux la semaine prochaine.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Vous l'avez compris, nous sommes animés d'un esprit de co-construction. C'est un sujet qui oblige à conjuguer pragmatisme et écoute du terrain. Les curseurs ne sont pas faciles à trouver, notamment en ce qui concerne l'acceptabilité sociale. Il est impératif de développer l'éolien marin pour bien préparer la future programmation pluriannuelle de l'énergie. Nous devons dès à présent associer à notre réflexion les élus locaux pour planifier les projets par façades maritimes. Nous sommes également très ouverts en ce qui concerne les autres énergies renouvelables. Ces travaux seront utiles à l'avenir. C'est un premier cycle de rodage pour dépasser un certain nombre de présupposés. Il s'agit de peaufiner les procédures administratives pour libérer les énergies sur le territoire, mais ce n'est pas en une année que nous atteindrons les objectifs fixés pour 2050 !
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 19 h 30.