- Mercredi 12 octobre 2022
- Audition de M. Marc Mortureux, directeur général de la Plateforme automobile (PFA)
- Projet de loi de finances pour 2023 - Désignation des rapporteurs pour avis
- Proposition de nomination de M. Luc Rémont, candidat proposé par le Président de la République aux fonctions de président-directeur général d'Électricité de France (EDF), en application de l'article 13 de la Constitution - Désignation d'un rapporteur
- Jeudi 13 octobre 2022
Mercredi 12 octobre 2022
- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -
La réunion est ouverte à 9 h 00.
Audition de M. Marc Mortureux, directeur général de la Plateforme automobile (PFA)
Mme Sophie Primas, présidente. - Mes chers collègues, monsieur le directeur général, je vous remercie d'avoir accepté notre invitation pour cette audition relative à la filière automobile.
Nous avions eu l'occasion d'entendre la PFA dans d'autres formats, durant la crise du Covid-19 et, plus récemment, dans le cadre de nos travaux relatifs à la souveraineté économique. Votre témoignage est toujours très éclairant pour les parlementaires que nous sommes, en particulier dans des temps comme ceux que nous traversons. Nous tenions à vous entendre à nouveau pour faire le point sur la situation de la filière automobile.
L'édition 2022 du Mondial de l'automobile a choisi pour titre Revolution is on : La révolution est lancée. Effectivement, c'est bien une révolution à multiples facettes, à l'oeuvre depuis quelques années déjà, qui touche actuellement le secteur automobile. Cette révolution est amplifiée par quatre crises.
Premièrement, la pandémie de Covid-19 en 2020, qui avait mis durant quelques semaines un coup d'arrêt brutal à la production automobile en France.
Deuxièmement, en 2021, les pénuries de matières premières, surtout de semi-conducteurs et de métaux, qui ont empêché une reprise à plein régime du secteur. Stellantis s'est récemment exprimé sur ce sujet, estimant que les difficultés d'approvisionnement persisteront au moins jusqu'au début de l'année 2024. Des constructeurs en France ont encore dû récemment stopper partiellement leurs chaînes de production. Je suis moi-même témoin, dans mon département, d'arrêts de production environ une journée par semaine.
Troisièmement, la crise énergétique bien sûr, qui frappe les industriels aussi durement qu'elle frappe les Français. Une récente étude estimait que la production européenne automobile pourrait décroître de près de 40% cet hiver, et ce jusqu'à la fin 2023, tandis que les coûts de production de certains produits seraient multipliés par dix en raison des hausses du prix de l'énergie.
Enfin, on peut craindre, en cascade, les répercussions de l'inflation, des coûts du carburant et de la crainte d'une récession sur la demande des Français en véhicules neufs au cours des mois, voire des années à venir.
Avec ces quatre crises successives, 50% des chefs d'entreprise du secteur automobile estiment aujourd'hui que leur situation est « mauvaise » ou « très mauvaise » - a contrario, me direz-vous, cela signifie peut-être que la moitié d'entre eux estime que leur situation est « bonne » ou « très bonne »...
Pourtant, dans chaque crise, il y a une opportunité. Je pense qu'il en est de même dans le cas de la filière automobile : elle s'engage ainsi dans de grandes transitions d'avenir, dans la « révolution » dont nous parlions.
Celle vers la mobilité électrique, d'abord. La demande en véhicules électriques n'a jamais été aussi forte, en proportion, en France. Renault a ainsi annoncé investir dans son propre réseau de bornes de recharges électriques, avec 200 stations créées en Europe sous deux ans, dont la moitié en France.
Celle de la réindustrialisation, ensuite. La France et la filière automobile française s'engagent, avec leurs partenaires européens, en faveur d'une réindustrialisation automobile, avec la création de gigafactories dans le Nord, qui devraient être facteur de compétitivité et d'emploi, autant que de souveraineté économique.
Celle de l'économie circulaire, enfin, avec l'enjeu de recyclage des batteries électriques et de la réutilisation des véhicules, comme s'y engage Renault à Flins.
Nous souhaiterions donc vous entendre, monsieur le directeur général, sur la manière dont les constructeurs français abordent ces défis. Comment aider la filière automobile à affronter cette révolution ? Quelles sont ses perspectives ?
M. Marc Mortureux, directeur général de la Plateforme automobile française. - Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de l'attention que vous portez à la filière automobile, constructeurs comme équipementiers et fournisseurs, qui représente un peu plus de 350 000 emplois industriels et environ 450 000 emplois de services. Il s'agit d'une filière particulièrement innovante, surtout en cette période où il nous faut réaliser un grand nombre de transformations. Les dépenses de recherche et développement de l'industrie automobile représentent un peu plus de 7 milliards d'euros - trois des cinq entreprises qui déposent le plus de brevets chaque année viennent en général de ce secteur industriel.
L'automobile est confrontée à la fois à des crises conjoncturelles, que vous avez évoquées, madame la présidente, et à une mutation structurelle sans précédent.
En 2021, et alors que nous espérions que les chiffres remonteraient après la crise Covid-19, près de 11 millions de véhicules n'ont pu être produits en raison du manque de semi-conducteurs. Cette année, ce seront encore 4,5 millions de véhicules qui ne seront pas construits. Face à cette crise de l'offre, le marché automobile a chuté de façon spectaculaire : de 2,2 millions de véhicules vendus en 2019, nous sommes tombés à 1,6 million en 2020 et en 2021, soit un niveau historiquement bas depuis quarante ans - et 2022 sera encore pire avec les hausses des cours des matières premières et de l'énergie, conséquences de la guerre en Ukraine.
Aujourd'hui, les constructeurs ont le choix entre signer des contrats de fourniture d'électricité à des prix qui ne sont pas viables économiquement, ou prendre le risque de ne pas être approvisionnés. La situation est compliquée : nous attendons les mesures annoncées au niveau européen, mais le temps passe très vite, et il faut signer les contrats avant la fin du mois d'octobre en raison de l'allocation des volumes d'Arenh (accès régulé à l'électricité nucléaire historique).
La chute de la production automobile est tout aussi spectaculaire que celle des ventes. Nous sommes ainsi passés de 2,2 millions de véhicules - particuliers et utilitaires légers - produits en 2019 à 1,35 million en 2020. Cette chute est certes en partie liée à la délocalisation de la production de la Clio et de la 208, mais les chiffres ne remontent pas. Mutatis mutandis, la situation est la même partout en Europe : la production allemande, par exemple, a chuté de manière extrêmement spectaculaire.
Concernant la mutation structurelle, rappelons que dès 2018, nous nous sommes engagés dans un contrat stratégique de filière 2018-2022, pour nous positionner comme des acteurs de la transition environnementale, digitale et sociétale : basculement du thermique vers l'électrique, production de véhicules toujours plus connectés, fournitures de davantage de services... Cette transformation est compliquée et douloureuse, mais je reste persuadé que l'« automobilité » a beaucoup d'avenir. L'enjeu est de savoir quelle part de marché nos acteurs traditionnels seront capables de capter de ces nouvelles valeurs ajoutées, car il y aura aussi des nouveaux acteurs.
La réussite d'un point de vue environnemental ne consiste pas simplement à passer du thermique à l'électrique, ce qui n'est d'ailleurs pas forcément la solution universelle, mais aussi, par exemple, à produire moins de véhicules mais avec des durées de vie beaucoup plus longues, à développer l'intermodalité... L'automobilité sera centrale pour beaucoup de Français.
Nous nous sommes notamment engagés, dans ce contrat de filière, à multiplier par cinq les ventes de véhicules électriques entre 2018 et 2022 : cet objectif a été atteint en septembre dernier, avec 1 million de véhicules, soit 100% électriques, soit hybrides rechargeables, en circulation. Les parts de marché des véhicules 100% électriques sont aujourd'hui de 12%, et cette part monte à 20 % si l'on y ajoute les hybrides rechargeables.
De toute évidence, le véhicule électrique est une bonne solution pour un certain nombre d'usages. Depuis 2018, cette transition connaît une incroyable accélération. Pour autant, le projet de règlement Fit for 55 a surpris la filière en ce qu'il prévoit le bannissement de la production de tout véhicule hybride ou thermique en Europe d'ici à 2035. Nous avons pris de fortes positions à ce sujet à l'été dernier : nous sommes engagés massivement vers l'électrique, mais en faire la solution unique dans un délai aussi rapide nous semble considérablement risqué, car nous devons d'abord remplir un certains nombre de conditions. Je pense notamment à trois grands enjeux.
Tout d'abord, l'enjeu de souveraineté, question sur laquelle vous avez beaucoup travaillé. On risque ainsi de sortir d'une dépendance à l'énergie fossile, pour entrer dans une nouvelle dépendance aux métaux stratégiques. L'Europe n'est pas encore prête. Philippe Varin a d'ailleurs remis au Gouvernement un rapport sur la sécurisation de l'approvisionnement en matières premières minérales. La guerre en Ukraine a entraîné des hausses considérables du prix des matières premières. Or, le surcoût induit est deux fois plus important pour un véhicule électrique que pour un véhicule thermique. Alors que l'on pensait parvenir à une forme de convergence des coûts de production de ces deux types de véhicules, on s'en éloigne en réalité de plus en plus. L'Europe n'a aujourd'hui aucune maîtrise sur ces coûts, car ces productions ne sont pas européennes. L'Agence internationale de l'énergie (AIE) estime, par exemple, que les besoins en lithium vont être 42 fois supérieurs à ceux que nous connaissons jusqu'à présent, et nous aurons aussi besoin de cuivre, de nickel... On aura beau ouvrir des mines à travers le monde, le rythme de croissance de la demande à laquelle il va falloir répondre paraît assez vertigineux.
J'en viens aux enjeux sociaux.
Au XXe siècle, l'objectif premier a été d'offrir au plus grand nombre la possibilité de se déplacer facilement. À cet égard, et compte tenu de l'augmentation considérable du prix des véhicules, la période actuelle marque un infléchissement qui doit nous interpeller. À considérer les usages, on se retrouve devant un paradoxe. Certes, recharger son véhicule à domicile au tarif régulé, est intéressant ; mais vu l'augmentation des tarifs de marché qui, eux, ne sont pas protégés, le faire sur une borne de recharge rapide, sur l'autoroute par exemple, revient presque plus cher que de faire le plein de carburant. Encore n'ai-je pas parlé de fiscalité ! Cela dit, cette situation est en partie conjoncturelle - nous l'espérons, du moins...
Un mot, enfin, des territoires : nous avons cherché à mesurer l'impact concret de Fit for 55 sur les entreprises de la filière. Je vous livre l'une des conclusions intéressantes de l'étude : plus la transition va vite, plus elle est douloureuse, par manque de temps pour s'adapter. Parmi les nombreux scénarios que nous avons envisagés, c'est l'un des « pires » qui est en train de se réaliser. L'élasticité-prix est en cause : plus le prix des véhicules est élevé, plus la demande se réduit. Nous anticipons d'ailleurs un rebond, car une demande de véhicules existe bel et bien, comme on le voit en constatant les pénuries de voitures de location ou de véhicules d'occasion récents. Nous pensons cependant que, quoi qu'il en soit, le volume du marché ne devrait pas retrouver durablement les niveaux d'avant-crise.
Quant aux pertes d'effectifs, elles devraient être de 15 % à 30 % d'ici à 2030, soit 50 000 à 100 000 emplois. Certains secteurs sont très lourdement affectés : la forge, la fonderie, le décolletage - secteurs de surcroît particulièrement frappés par la crise de l'énergie. Notons que cette crise de l'énergie touche surtout l'Union européenne...
Cela dit, notre état d'esprit est aujourd'hui le suivant : les choses sont lancées, il faut réussir, nous n'avons pas le choix. Les risques sont légion, certes, mais il existe aussi des opportunités. Les constructeurs, les équipementiers et les sous-traitants ont d'ailleurs déjà engagé des investissements absolument massifs : on y est, c'est irréversible !
L'enjeu est pour nous de réussir à attirer les investissements dans les nouvelles chaînes de valeur. Et, sous réserve de régler les problèmes conjoncturels que nous rencontrons à l'heure actuelle, nous ne sommes pas sans atouts : en particulier, la France dispose d'électricité décarbonée. Je rappelle que la transition du thermique vers l'électrique voit croître l'empreinte carbone de la fabrication d'un véhicule : à cause de la batterie, l'empreinte d'un véhicule électrique est deux fois supérieure à celle d'un véhicule thermique. Or, de ce point de vue, la France est bien placée, ce qui accentue l'intérêt d'y localiser les activités consommatrices d'énergie.
Ces trois dernières années, nous avons réussi à faire émerger de très grands projets sur le territoire national. Je pense aux trois gigafactories de batteries qui s'implantent dans le nord de la France, mais aussi à l'électronique de puissance - comme le partenariat noué autour des moteurs électriques entre Renault et Valeo, visant à créer des moteurs sans terres rares.
Je dis quelques mots, également, sur l'hydrogène : nous n'opposons pas l'électrique à batterie et l'hydrogène. L'électrique à batterie est très intéressant du point de vue de la performance énergétique, mais la disponibilité des matériaux stratégiques pose problème. L'hydrogène dépend moins de tels matériaux, il nécessite beaucoup d'énergie, il s'agit de transformer de l'eau en hydrogène. Cette énergie doit être décarbonée. Puis, l'hydrogène doit être converti en électricité via la pile à combustible, et les rendements ne sont pas très bons.
De toute façon, nous aurons besoin des deux ; l'électrique à batterie ne saurait être une solution unique. Pour certains types d'usages - je pense aux véhicules lourds -, cette option est même absurde : on en vient à transporter avant tout du poids de batterie. Je note qu'en matière de mobilité hydrogène certaines entreprises prennent des risques considérables, à la pointe de la technologie : Michelin, Faurecia, Symbio, Plastic Omnium.
Quant au sujet de l'économie circulaire, il mérite également toute notre attention.
Il faut absolument nous aider à ce que tous ces grands projets se concrétisent : il y va de notre compétitivité, dans un contexte où la crise de l'énergie amplifie la concurrence intraeuropéenne et extraeuropéenne. Nous avions plaidé pour que, dans cette période très particulière où des investissements massifs doivent être réalisés, soient créées des zones dites Green Deal où seraient instaurées des conditions de compétitivité favorables afin d'attirer les investissements. Pour ce genre de décisions, l'unanimité est requise au niveau européen, ce qui ne facilite pas les choses, mais il y a là, pour nous, un enjeu majeur.
Il nous faut aussi un peu de stabilité sur le plan réglementaire et sur le plan fiscal. L'Assemblée nationale a remis sur la table le débat sur l'addition du malus au poids et du malus CO2. En permanence, les règles du jeu changent... Prenez le projet de norme antipollution Euro 7 : d'un côté, l'Europe condamne le thermique ; de l'autre, elle envisage de prendre une nouvelle réglementation, obligeant les constructeurs qui voudraient continuer à faire encore un peu de thermique d'ici à 2035 à entreprendre des réinvestissements importants. Le risque est d'accélérer encore le désengagement...
M. Daniel Gremillet. - Merci, monsieur le directeur général, pour la qualité de votre intervention.
Une remarque, pour commencer : tout le monde dit que le thermique, c'est fini. Mais que fait-on lorsque survient un coup dur, une coupure électrique, en quelque domaine que ce soit ? Prenons garde !
Je prends l'exemple de la défense et des forces armées : en matière de transition vers l'électrique, on est loin du compte.
Je voudrais vous entendre davantage sur l'hydrogène. La dépendance terrible dans laquelle nous étions pour nos approvisionnements en pétrole vaut aujourd'hui pour les batteries. L'hydrogène pose certes quelques questions, mais songez à ce qui s'est passé pour les véhicules électriques : tant que les premières flottes n'avaient pas été lancées, la perspective d'une industrialisation paraissait lointaine ; désormais, c'est fait, et des collectivités se mettent à acheter des flottes électriques. Qu'en est-il de l'hydrogène pour les véhicules légers ?
Le Sénat a beaucoup travaillé sur la réforme du code minier. Sommes-nous capables de produire en France ce qui est nécessaire pour que ces nouveaux types de mobilité aillent de pair avec notre souveraineté ?
Enfin, les courbes vont se croiser : plus les véhicules électriques seront nombreux, moins il y aura de stations d'approvisionnement en carburant dans nos territoires. Certaines communautés de communes doivent d'ores et déjà financer elles-mêmes l'implantation d'une station, sans quoi on n'en trouverait aucune à 20 ou 30 kilomètres à la ronde... À mesure que l'intérêt économique va décroître, ce problème va devenir plus saillant.
Mme Anne-Catherine Loisier. - Merci, monsieur le directeur général, pour ces éclairages à propos d'une filière qui est frappée de plein fouet par la crise actuelle.
Vous n'avez pas évoqué la pénétration du marché par les véhicules asiatiques. Quelles perspectives pouvez-vous tracer à cet égard ?
Vous n'avez pas non plus parlé du recyclage des métaux. Quid du taux de réemploi ?
Ne pourrions-nous pas par ailleurs mener une réflexion sur l'idée d'une prise unique pour les véhicules électriques, sur le modèle du travail effectué à propos des chargeurs de téléphones portables ?
Mme Françoise Férat. - Ma question rejoint celle de mon collègue Daniel Gremillet sur l'hydrogène : je conçois qu'il s'agisse d'un sujet complexe, mais je ne résiste pas à partager avec vous l'histoire de ce professeur de mécanique à l'université d'Angers qui, au sortir du choc pétrolier de 1979, avait converti le moteur d'une vieille Simca 1000 à essence en moteur à hydrogène, énergie qu'il produisait dans son jardin à partir de panneaux solaires et d'un électrolyseur.
Nos amis japonais sont justement en train de travailler sur une méthode similaire, permettant de changer de carburant sans changer de moteur ni même de véhicule. Ainsi toutes les optimisations obtenues au fil des décennies sur les moteurs à combustion n'auraient-elles pas été vaines... Que pensez-vous de ces projets ?
M. Daniel Salmon. - Comment passer du 100 % thermique au 100 % électrique ? Toute la question est là. Travaillez-vous à la sobriété du dimensionnement des véhicules électriques, dont on sait qu'ils sont plus lourds et que leurs pneus sont plus larges ? Des études sont-elles menées aussi sur l'aérodynamisme, qui n'a pas beaucoup évolué depuis plusieurs décennies ?
J'aimerais vous entendre également sur la possibilité de mutualiser les usages et les flottes.
On sait que la construction d'un véhicule électrique émet deux fois plus de CO2 que celle d'un véhicule thermique. Combien faut-il parcourir de kilomètres avec sa voiture pour que ce différentiel se trouve compensé ? Les chiffres disponibles varient de 17 000 à 70 000 kilomètres. Qu'en dites-vous ? L'empreinte carbone d'un véhicule électrique étant imputable avant tout à sa construction, que pensez-vous du rétrofit ?
M. Henri Cabanel. - La décision politique qui a été prise d'arrêter la production de véhicules thermiques en 2035 s'est-elle assortie des études d'impact nécessaires ?
Tous les constructeurs produisent désormais des modèles électriques ou hybrides. Investissent-ils suffisamment dans les bornes de recharge ? Tesla l'a fait ; quid des autres marques ?
Environ 80 % des recharges se font à domicile, mais à l'extérieur - je pense aux longs trajets - l'équation est autrement plus complexe à résoudre, comme j'en fais fréquemment l'expérience en tant qu'usager d'un véhicule hybride. Les opérateurs de bornes diffèrent en fonction des régions. Il faudrait donc que l'usager ait autant d'abonnements qu'il y a d'opérateurs sur le territoire... Une harmonisation est-elle à l'étude ?
M. Laurent Duplomb. - Poussée par les injonctions contradictoires du dogme écolo, la politique française n'est-elle pas en train de sombrer dans une forme de sadomasochisme ?
Après avoir décidé de fermer toutes les centrales thermiques - les seules, avec les barrages hydroélectriques, à pouvoir délivrer l'énergie de pointe -, nous devons aujourd'hui rouvrir l'une d'entre elles, alors que le mégawattheure coûte entre 1 000 et 1 500 euros aux moments les plus critiques.
On nous a vanté les mérites du poêle à granulés, mais le prix de ces derniers est passé de 200 à plus de 700 euros la tonne !
Les collectivités ne dégagent plus d'excédents de fonctionnement leur permettant d'investir, mais elles sont invitées à casser les routes et à renouveler les réseaux pour installer partout des bornes de recharge pour voitures électriques.
N'aurait-il pas fallu, d'abord, procéder à une analyse détaillée de la qualité des nouveaux moteurs thermiques et à une évaluation précise du rapport bénéfices-risques ? N'oublions pas que le moteur électrique pollue aussi à travers sa construction, les sources d'électricité qu'il consomme et son démantèlement. Sommes-nous capables d'adopter une vision plus apaisée et objective ?
M. Fabien Gay. - Dans le classement des dix véhicules les plus vendus en 2021, la première voiture produite en France ne figure qu'à la septième place : il s'agit de la Peugeot 3008.
La vocation d'un groupement industriel comme le vôtre devrait être avant tout de promouvoir la production en France des véhicules que nous utilisons. Le problème énergétique est réel, mais nous continuons à délocaliser en Slovaquie, en Turquie ou en Espagne, et nous avons préféré nous séparer des Fonderies du Poitou.
Il n'y a pas de fatalité à cela. Il faut une volonté politique et économique, mais elle ne ressortait pas franchement de votre discours.
Le Gouvernement nous explique que tout va mieux depuis trois ans, que l'on recrée de l'emploi industriel en France. Pourtant, sur le terrain, nous constatons le contraire. La filière automobile continue à dégraisser, à sous-traiter et à fermer des entreprises.
Quelle est la stratégie du groupement industriel que vous représentez pour produire davantage de véhicules en France ?
Mme Évelyne Renaud-Garabedian. - Un véhicule neuf sur cinq vendu aujourd'hui est électrique ou hybride rechargeable.
La Chine bannit aujourd'hui de ses villes les deux roues à moteur thermique, et 77 % des deux roues vendus dans ce pays sont électriques, contre seulement 2,28 % en France.
Pourquoi n'avons-nous pas le même succès avec les deux roues électriques qu'avec les automobiles, en dépit des aides gouvernementales qui les visent ?
Mme Sylviane Noël. - Élue d'un département où la sous-traitance industrielle de rang 2 et 3 en automobile est bien implantée à travers le décolletage et la mécatronique, je souhaite relayer les nombreuses inquiétudes de cette industrie composée essentiellement de PME et d'ETI dans le contexte de fortes tensions que nous connaissons actuellement.
Quelles actions la PFA entreprend-elle pour sécuriser le tissu de la sous-traitance, maillon essentiel de notre souveraineté industrielle ? Comment responsabiliser les donneurs d'ordre, équipementiers et constructeurs, pour qu'ils absorbent une partie de la hausse du coût de l'énergie ? Quelle fiabilité ces industriels peuvent-ils accorder aux prévisions de commandes pour 2023 ?
Mme Daphné Ract-Madoux. - Les pointes d'encombrement du réseau se situent généralement vers vingt heures et au moment du déjeuner. Dans cette optique, il serait intéressant de multiplier les prises à double sens, qui permettent à la fois de recharger les véhicules et de réinjecter de l'électricité dans le réseau. Où en est leur développement ?
De même, le déploiement des prises universelles et l'équipement des copropriétés, qui pose problème en zones denses, me semblent constituer deux autres sujets essentiels.
M. Michel Bonnus. - Je vous fais part d'une expérience personnelle : cet été, le garage chargé de la révision de ma voiture m'a proposé un véhicule électrique de remplacement, doté d'une autonomie de 484 kilomètres. J'avais 280 kilomètres à faire, entre Toulon et Béziers. Je suis parti serein, mais à Montpellier, il ne me restait plus que 23 kilomètres d'autonomie. J'ai dû sortir à Lunel et, faute de bornes disponibles, dormir à l'hôtel... J'ai mis 23 heures pour relier Béziers, et autant au retour !
Dans le département du Var, qui a accueilli cet été 40 millions de nuitées, nous avons impérativement besoin de programmer le déploiement des bornes dans les communes. Comment orienter et programmer les investissements ?
M. Franck Montaugé. - Je m'interroge sur l'empreinte environnementale du véhicule électrique par rapport au véhicule thermique.
Il ne m'a pas semblé que vous raisonniez en tenant compte du cycle de vie complet du véhicule, de sa construction jusqu'à son démantèlement. Un tel raisonnement ne change-t-il pas fondamentalement les données du problème ?
Avez-vous un plan de déploiement d'un réseau de bornes de recharge ? Entreprenez-vous des démarches auprès des pouvoirs publics nationaux et locaux ? A-t-on un espoir d'avancer sur ce sujet essentiel ? Enfin, quel modèle économique vous semble-t-il le plus approprié et le plus durable pour le déploiement et l'exploitation de ces bornes ?
M. Bernard Buis. - Des chercheurs d'un laboratoire de Lyon travaillent actuellement sur un moteur thermique convertible à l'hydrogène. L'électrification complète du parc automobile étant longue à accomplir, cette solution permettrait-elle d'accélérer la transition écologique du parc automobile ? Au contraire, pensez-vous que l'hydrogène restera cantonné aux transports collectifs, notamment de marchandises ?
La plateforme automobile française regroupe 4 000 entreprises. Combien souhaitent-elles réellement investir dans l'hydrogène ?
M. Marc Mortureux. - Il faut en effet distinguer les véhicules qui utilisent l'hydrogène avec une pile à combustible, c'est-à-dire un moteur électrique, de ceux qui injectent de l'hydrogène dans un moteur thermique.
Cette première technologie concernera-t-elle aussi les véhicules légers, ou seulement les véhicules lourds ? Je ne le sais pas à l'heure actuelle.
La distribution de l'hydrogène sous pression sur l'ensemble du territoire pose aussi des difficultés, notamment en termes de sécurité. Pour les flottes de véhicules, cette technologie fait sens ; elle sera en revanche plus complexe à généraliser pour le marché des véhicules légers de particuliers.
Quoi qu'il en soit, notre message reste celui de la neutralité technologique. Il nous apparaît primordial de laisser ouvertes toutes les options technologiques.
Pour l'instant, l'hydrogène reste très coûteux, mais des progrès sont très certainement à attendre au regard des niveaux d'investissement actuels.
Quant à l'hydrogène que l'on injecte à la place du carburant dans un moteur thermique, c'est une piste de réflexion, même si cette technologie présente aussi des inconvénients en termes de rendement et d'émissions, car elle ne permet pas d'atteindre le zéro émission à l'échappement.
L'automobile est un marché de masse qui nécessite des investissements très lourds ; il est donc difficile de retenir des options qui ne concerneraient que des volumes très limités.
Par ailleurs, encore faut-il disposer, en amont, d'infrastructures de production d'hydrogène décarboné, ce qui n'est pas le cas pour le moment. Si c'est pour utiliser de l'hydrogène « gris », cela n'a aucun sens.
L'installation de bornes de recharge, c'est notre sujet numéro un, et nous n'avons de cesse d'en discuter avec les pouvoirs publics. Certains constructeurs comme Tesla ont, dès le départ, opté pour une stratégie d'intégration complète allant jusqu'aux bornes de recharge. C'est un beau succès, mais on parle là de véhicules dont le coût est au minimum de 60 000 euros, ce qui offre des possibilités financières importantes. Stellantis et Renault, de leur côté, doivent déjà tellement investir dans leur coeur de métier qu'il leur est difficile d'être présents partout à la fois. Ils essayent surtout d'investir dans la production des batteries afin de retrouver un peu d'indépendance et de limiter la complexité des chaînes d'approvisionnement, a fortiori avec la crise des semi-conducteurs.
Mais ils commencent aussi à s'impliquer dans le déploiement des bornes de recharge, aux côtés d'autres acteurs privés, qui investissent de plus en plus. Dans le contrat de filière, les pouvoirs publics s'engageaient sur la création de 100 000 points de recharge accessibles au public fin 2022. Nous en sommes à 72 000, c'est donc insuffisant.
Un plan a été échafaudé pour les autoroutes, mais les bornes ne sont pas encore très nombreuses, et il faut aussi penser aux autres lieux.
Les bornes rapides ont été installées là où la puissance électrique nécessaire était disponible. Mais là où elle ne l'est pas, il faut commencer par deux à trois ans de travaux très lourds pour y apporter la puissance, ce qui nécessite des investissements considérables. Nous continuons à pousser très fort ce sujet, mais nous sommes inquiets. On ne peut pas demander aux acteurs de l'automobile de faire tous les investissements en même temps, même s'ils doivent bien entendu s'impliquer.
Les copropriétés restent aussi un enjeu considérable, moins de 1% d'entre elles étant équipées pour le moment.
Vous avez raison également sur les bornes de recharge bidirectionnelles, surtout dans le contexte de tensions que nous connaissons actuellement sur le marché de l'électricité. Dès 2030, nous devrions disposer dans les batteries de voiture d'une quantité d'électricité disponible assez significative, et cela peut faire sens d'en utiliser une partie, ne serait-ce que 5%, hors utilisation. Comment favoriser l'installation de ces bornes intelligentes, qui coûtent plus cher ? Elles seraient surtout utiles à domicile et dans les copropriétés, mais je ne suis pas sûr qu'elles émergent sans aides ciblées.
Le nombre de véhicules électriques est 2,5 fois plus important en Chine qu'en Europe, et ce pays dispose également de 8 à 10 fois plus de bornes de charge rapides, grâce à une logique de planification.
Nous avons un problème de poule et d'oeuf. Aujourd'hui, les bornes de recharge ne sont pas encore très rentables, mais il faut impérativement les développer si nous voulons aller au-delà d'un usage de la voiture électrique limité à la deuxième voiture dans certains foyers.
Un réseau dense de bornes de recharge permettra aussi d'éviter la course à l'échalote sur les batteries de grande capacité, qui ne sont pas bonnes pour l'environnement.
Il faut absolument accélérer le déploiement des bornes si nous voulons réussir, et nous avons besoin de votre aide au niveau des territoires.
On a imposé une trajectoire aux constructeurs ; ils accélèrent, sachant que le moteur thermique est condamné, mais ils craignent vraiment une inadéquation de l'infrastructure.
Sur l'empreinte carbone du véhicule électrique, il faut en effet raisonner en analyse de cycle de vie. Si j'ai évoqué l'empreinte carbone de la production, c'est pour montrer à quel point produire en France fait sens en la matière. Nous avons d'ailleurs beaucoup regretté que la réglementation ne se fonde pas sur une analyse complète du cycle de vie, et certains pays comme l'Allemagne, n'ont pas réellement intérêt à cela, car ils sont moins performants en la matière...
S'il y a bien un pays où le développement du véhicule électrique est pertinent, c'est la France : son usage devient en effet rapidement très intéressant en raison du faible contenu carbone de notre électricité - même si celui-ci tend à augmenter actuellement.
En revanche, dans un pays comme la Pologne, on peut très franchement se poser la question. L'infrastructure est inexistante, et ce pays a tellement d'autres combats à mener. L'objectif est un peu déconnecté de la réalité.
La trajectoire retenue me semble très risquée - en février dernier, les énergéticiens assuraient qu'il n'y avait aucun problème d'électricité disponible pour assurer la montée en puissance des véhicules électriques ; aujourd'hui, on craint de manquer d'électricité...
Mais évitons toute ambigüité : pour les constructeurs, le débat est clos. Il faut donc réussir ! Si nous devions faire machine arrière, ce serait trop tard, nos industries auraient désarmé et il faudrait importer des véhicules thermiques.
Par ailleurs, il n'y a pas de temps à perdre, car la part de marché des véhicules chinois ou coréens dans l'électrique est beaucoup plus importante que dans le thermique. Pourquoi ? Parce que le verrou technologique du thermique a été levé.
Le rétrofit est une solution coûteuse, mais qui peut s'avérer pertinente dans certains cas, à condition que le véhicule ait encore une valeur résiduelle importante. On ne va pas engager des dépenses de 8 000 euros sur un véhicule qui ne vaut plus que 3 000 euros... Pour les utilitaires, cela peut avoir beaucoup de sens. D'ailleurs, les zones à faibles émissions (ZFE) constituent un défi considérable. Un grand nombre de personnes risquent de se retrouver du jour au lendemain dans l'impossibilité d'utiliser leurs véhicules.
La vocation de la PFA est évidemment de défendre l'industrie et les emplois en France. Nous sommes très contents d'avoir Toyota en France, et nous devons maintenant les convaincre d'investir dans notre pays pour les véhicules 100 % électriques.
N'oublions pas que l'industrie automobile est un secteur extrêmement compétitif, avec un tissu de fournisseurs très performants partout dans le monde, certains étant implantés au Maroc ou en Turquie, des pays proches de l'Europe et qui ne sont pas concernés par la crise de l'énergie.
C'est bien de dire qu'il faut produire en France de petits véhicules, mais encore faut-il créer les conditions pour le faire. C'est pourquoi j'évoquais tout à l'heure les zones Green Deal. Selon moi, nous sommes dans une situation véritablement exceptionnelle. Si nous laissons filer l'industrie automobile, des pans entiers de notre industrie risquent de péricliter, car une partie de leur activité dépend aussi de l'automobile.
Nous devons défendre notre industrie, mais ce n'est pas facile dans ce contexte de basculement très rapide vers l'électrique, alors que nous avions un savoir-faire très fort sur le moteur thermique.
Les dernières normes sur les émissions des moteurs thermiques sont d'ailleurs très strictes et les tests effectués récemment montrent que les constructeurs respectent aujourd'hui les exigences. Nous sommes loin du dieselgate, qui avait entraîné des réactions extrêmement fortes.
Je le redis toutefois : en termes de stratégie industrielle, le sujet est largement derrière nous. Les investissements sont déjà très importants, les projets identifiés. Nous devons réussir !
S'agissant des batteries, il faut tout d'abord du lithium. Nous en avons en France, mais acceptera-t-on de l'extraire ? Ensuite, il y a tout le processus de raffinage, effectué à plus de 60% en Chine, qu'il faut impérativement développer en Europe. Nous avons besoin de développer ces capacités en Europe, de monter une chaîne de valeur dans son ensemble, si l'on veut produire en France puis procéder au recyclage des batteries. Il y a un projet de plateforme à Dunkerque, mais acceptera-t-on de développer ce genre d'activités sur notre sol ? Pour l'instant, les gigafactories qui assemblent les cellules et les modules des batteries s'approvisionnent surtout en Chine. De même, les bornes de recharge sont très rarement fabriquées en France.
Quant à l'allègement des voitures, on peut difficilement être contre. Les véhicules électriques sont néanmoins assez lourds, par définition, et la forme SUV leur convient plutôt bien, car elle permet d'avoir un espace suffisant pour loger les batteries, sans parler de l'amélioration de la sécurité passive que le poids des véhicules procure. En outre, par rapport à l'Allemagne et au Royaume-Uni - sans parler bien évidemment des États-Unis -, le marché français se distingue déjà par des voitures plutôt petites. L'allègement est donc un axe indispensable de réflexion pour optimiser la consommation d'énergie, de même que l'aérodynamisme, mais le problème n'est pas simple. Les matériaux plus légers coûtent souvent plus cher, et ils peuvent aussi poser des problèmes de recyclage.
Si vous venez faire un tour au Mondial de l'automobile, vous verrez toutefois de nombreuses micro-citadines.
Mme Martine Berthet. - Les bornes de recharge en hydrogène installées par l'entreprise Atawey dans la Manche et en Savoie ne me paraissent pas très volumineuses. Nous avons des entreprises qui vont de l'avant. Il me semble que nous devons trouver un équilibre et éviter le tout électrique.
Nous avons en effet très peu de fournisseurs de batteries électriques en France. L'un d'entre eux, MSSA métaux spéciaux, implanté dans la vallée de la Tarentaise, est un hyper-électro-intensif en proie aujourd'hui à de très grandes difficultés. Si nous n'accompagnons pas nos fournisseurs hexagonaux, nous serons obligés d'importer.
Mme Micheline Jacques. - Dans les territoires ultramarins, où l'énergie solaire est prédominante, le véhicule électrique pourrait être une alternative à la production d'énergies carbonées, avec le développement des smart grids.
Comment les intégrer dans votre stratégie pour en faire des territoires d'innovation ?
M. Henri Cabanel. - Serait-il envisageable, comme pour les téléphones portables, d'avoir un seul chargeur pour tous les véhicules ?
Mme Sophie Primas, présidente. - Vous n'avez pas répondu non plus à la question sur les sous-traitants posée par notre collègue Sylviane Noël.
M. Marc Mortureux. - Accompagner les sous-traitants, c'est notre métier de base, notre principale valeur ajoutée. Nous essayons de leur donner un maximum de visibilité. Ils ont compris qu'on basculait vers l'électrique, mais comme ils entendent tous les jours qu'on manque d'électricité, ils n'y croient pas vraiment.
Le marché des PME très directement impliquées dans les chaînes de valeur du moteur thermique va inévitablement se rétrécir, même pour les meilleures d'entre elles. Il est donc impératif qu'elles se diversifient.
Les sous-traitants subissent aussi depuis plus d'un an de nombreux stop and go en raison des difficultés d'approvisionnement sur les composants électroniques. Nous essayons de les aider à planifier leur production.
Les relations entre les clients et les fournisseurs sont actuellement très dures dans l'industrie automobile. Les donneurs d'ordre sont eux-mêmes très fortement bousculés, avec des investissements considérables à réaliser. Dans un contexte d'inflation du prix des matières premières, ils mettent la pression sur les sous-traitants. De plus, dans le cadre de leur transformation vers l'électrique, les constructeurs révisent leur panel de fournisseurs, avec très certainement un resserrement à la clef.
Dans ce contexte, on propose aux entreprises des dispositifs d'accompagnement individuel, avec l'aide de l'État, pour trouver notamment des sources de diversification, en particulier le vélo ou l'aéronautique. Mais il sera sans doute difficile d'apporter des solutions à tout le monde.
Le Fonds avenir automobile permet de procéder à des consolidations et des restructurations, mais il y a aujourd'hui une réelle méfiance du secteur bancaire à l'égard du secteur automobile.
France 2030 permet aussi d'accompagner des projets de reconversion personnelle pour les salariés. Nous aurons besoin dans le Nord d'énormément de compétences nouvelles dans le domaine des batteries, de l'hydrogène, de l'électronique de puissance. Le site de Flins héberge désormais un campus des métiers et des compétences de l'économie circulaire.
Concernant les stations à hydrogène, il faut aller plus vite, sinon la technologie ne décollera pas. La station qui se trouve porte de Saint-Cloud fabrique l'hydrogène sur place avec un électrolyseur, puis le distribue, ce qui n'est pas le cas de toutes les stations. Mais nous sommes d'accord, il faut développer à la fois les batteries et l'hydrogène.
De fait, la disponibilité de l'énergie est un sujet absolument majeur, au vu des délais importants de déploiement des énergies renouvelables notamment. En 2035, échéance de conversion au tout électrique, en dehors peut-être de l'EPR, il est peu probable que l'une des nouvelles centrales nucléaires programmées ait encore vu le jour...
Pour l'outre-mer, nous n'avons pas à ce jour de plan spécifique. Le marché de l'électrique est naissant, mais il me semble pertinent de le développer dans des territoires où l'énergie solaire est abondante. Il y aura nécessairement un problème de coût, car on ne pourra jamais fabriquer sur place, mais il est possible de travailler sur des plans spécifiques, comme pour le recyclage.
Enfin, le processus de standardisation des prises est engagé, même s'il y a encore une grande variété de gammes et besoins. On a par exemple prévu la possibilité de facturer à la puissance, et non au temps, pour tenir compte de cette diversité. Mais comme je l'ai dit, le développement des infrastructures ne suit pas le rythme de conversion et de développement de l'industrie automobile. Pour vous donner un ordre de grandeur, entre aujourd'hui et 2030, il faudrait multiplier par quatre le rythme hebdomadaire de déploiement des bornes électriques. Ce sont des investissements considérables.
Mme Sophie Primas, présidente. - Je vous remercie pour vos réponses, monsieur le directeur général, et pour les efforts de la PFA en direction de l'industrie automobile. Les défis sont nombreux !
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 10 h55.
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Projet de loi de finances pour 2023 - Désignation des rapporteurs pour avis
Mme Sophie Primas, présidente. - Dans la perspective de l'examen du projet de loi de finances pour 2023, nous devons désigner nos rapporteurs pour avis budgétaires sur les différentes missions qui relèvent de notre champ de compétences.
Je vous propose de désigner rapporteurs pour avis M. Laurent Duplomb, Mme Françoise Férat et M. Jean-Claude Tissot sur la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » ; M. Daniel Gremillet sur la mission « Écologie, développement et mobilité durables » ; M. Serge Babary, Mme Anne-Catherine Loisier et M. Franck Montaugé sur la mission « Économie » ; Mme Micheline Jacques sur la mission « Outre-mer » ; M. Jean-Pierre Moga sur la mission « Recherche et enseignement supérieur » ; Mme Dominique Estrosi Sassone sur la mission « Cohésion des territoires » (volet Logement) ; Mme Viviane Artigalas sur la mission « Cohésion des territoires » (volet Politique de la ville) ; Mme Martine Berthet sur le compte d'affection spéciale « Participations financières de l'État » et Mme Anne Chain-Larché sur la mission « Plan de relance ».
Il en est ainsi décidé
Proposition de nomination de M. Luc Rémont, candidat proposé par le Président de la République aux fonctions de président-directeur général d'Électricité de France (EDF), en application de l'article 13 de la Constitution - Désignation d'un rapporteur
Je vous propose de désigner M. Daniel Gremillet rapporteur sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Luc Rémont, candidat proposé par le Président de la République aux fonctions de président-directeur général d'Électricité de France (EDF), en application de l'article 13 de la Constitution.
Il en est ainsi décidé
La réunion est close à 10 h 35.
Jeudi 13 octobre 2022
- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques, et de M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes -
La réunion est ouverte à 9 h 00.
L'énergie : des enjeux stratégiques pour l'Union européenne - Audition de MM. Marc-Antoine Eyl-Mazzega, directeur du Centre énergie et climat de l'Institut français des relations internationales (Ifri), Thomas Pellerin-Carlin, directeur du programme Europe de l'Institut de l'économie pour le climat (I4CE), Mmes María Eugenia Sanin, maître de conférences en sciences économiques à Université d'Évry-Val d'Essonne, et Tatiana Marquez Uriarte, membre du cabinet de la commissaire européenne à l'énergie
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. - Nous nous retrouvons aujourd'hui pour cette table ronde sur le thème de l'énergie et de l'Union européenne (UE). C'est toujours un plaisir que de travailler avec la commission des affaires européennes, dont je salue et remercie son président, M. Jean-François Rapin. C'est en effet la troisième fois que nous nous retrouvons pour aborder les questions énergétiques, après nos travaux sur la taxonomie verte européenne et le paquet « Ajustement à l'objectif 55 » (Fit for 55).
La commission des affaires économiques est très engagée en faveur de la décarbonation de l'énergie, à l'échelon national, mais aussi européen. Je rappelle que l'UE est face à un double défi d'ici à 2030 : réduire de 55 % ses émissions de gaz à effet de serre, conformément au paquet « Ajustement à l'objectif 55 », et sortir de sa dépendance aux hydrocarbures russes, en application du plan REPowerEU. Bien consciente de la nécessité, mais aussi de la difficulté de cet exercice, notre commission a fait adopter une résolution forte sur ce sujet, appuyée par les parlementaires des vingt-sept États membres, le 14 mars 2022, dans le cadre de la conférence interparlementaire de la présidence française du Conseil de l'Union européenne (PFUE).
Dans ce contexte, très délicat, je souhaiterais recueillir l'opinion de nos intervenants sur trois points.
Le premier est l'énergie nucléaire. La moitié des États membres dispose d'un parc de deuxième génération et un quart est engagé dans la construction de réacteurs de troisième génération. De plus, la Belgique et, dans une moindre mesure, l'Allemagne ont suspendu leur trajectoire de sortie du nucléaire. Or, la taxonomie est défavorable à l'énergie nucléaire, qui y est assimilée, ce que nous regrettons, à une activité de transition, comme le gaz, et non à une activité durable, comme les autres énergies décarbonées. Par ailleurs, les délais et les conditions posées sont impraticables pour accompagner la relance du nucléaire en France, sans même mentionner le contentieux annoncé par l'Autriche et le Luxembourg... Quel est votre point de vue ? Ne faudrait-il pas corriger le tir, pour mobiliser tous les moyens de décarbonation au sein de l'Union, et respecter le droit souverain des États membres de définir leur mix énergétique ?
Le deuxième point est celui des métaux stratégiques. Nous le savons, nos pales d'éoliennes, nos batteries électriques, nos électrolyseurs d'hydrogène sont de grands consommateurs de tels métaux. Or, nous ne devons pas troquer notre dépendance actuelle aux énergies fossiles pour une dépendance future aux métaux stratégiques. C'est pourquoi nous plaidons pour que la taxonomie intègre le concept de « mine durable », et que le paquet « Ajustement à l'objectif 55 » soit complété par une stratégie européenne de sécurisation des métaux. Si la Russie fournit 45 % du charbon et du gaz et 25 % du pétrole de l'Union, elle est aussi un grand exportateur de métaux, avec 30 % de l'aluminium, du nickel ou du cuivre. Quelle est votre appréciation ? Ne faudrait-il pas réduire cette dépendance minière pour extraire en Europe, mais aussi développer des substituts et renforcer le recyclage ?
Le troisième point est le stockage de l'énergie. Les énergies renouvelables pèchent toujours par leur intermittence. Pour y remédier, nous pouvons développer leur stockage : l'hydraulique, les batteries électriques, les électrolyseurs d'hydrogène. C'est une possibilité, et même une obligation. Nous souhaitons donc consolider les projets importants d'intérêt européen commun (Piiec), qui existent pour les batteries et l'hydrogène. Il est crucial de combler leur financement, à hauteur de 1,6 milliard d'euros en France. De plus, il faut garantir une neutralité technologique entre tous les modes de stockage : en effet, le paquet « Ajustement à l'objectif 55 » se focalise sur l'hydrogène renouvelable, au mépris de l'hydrogène nucléaire, alors qu'il est au fondement de la stratégie nationale pour le développement de l'hydrogène décarboné en France. Quelle est votre position ? Ne faudrait-il pas constituer des chaînes de valeur européennes en matière de stockage, pour accompagner l'essor des énergies renouvelables et préférer une production locale à des importations lointaines ?
Je vous remercie de votre éclairage sur ces questions cruciales. En réfléchissant aux impensés du Pacte vert pour l'Europe (EU Green Deal), que sont l'énergie nucléaire, les métaux stratégiques et le stockage de l'énergie, je crois que nous pouvons progresser dans le sens d'une économie européenne moins émissive et moins dépendante. La transition et la souveraineté énergétiques doivent progresser de concert.
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - « La crise énergétique n'a pas encore commencé », titrait la chronique des Échos du mardi 11 octobre 2022. Au-delà de la flambée des prix des énergies à laquelle l'Europe doit faire face, qui - je le rappelle - a débuté dès la fin de l'été 2021, avant l'agression russe en Ukraine, ce titre illustre que se profile un choc d'activité majeur et durable pour l'économie européenne dans son ensemble, avec un risque de désindustrialisation. Il est évident qu'il n'y aura pas de retour au niveau de prix d'avant la crise que nous traversons actuellement.
Ce moment critique met brutalement au jour la dépendance de l'Union européenne à l'égard des énergies fossiles, sa dépendance envers un petit nombre de fournisseurs, et aussi ses divisions profondes en matière de politique énergétique. Pourtant, les questions d'énergie ont joué un rôle déterminant dans sa naissance, puisque la première institution commune des six pays fondateurs de l'Union européenne fut, après la signature en 1951 du traité de Paris, la Communauté européenne du charbon et de l'acier (Ceca), suivie de la Communauté européenne de l'énergie atomique. Les pères fondateurs de l'Europe moderne avaient bien saisi le caractère stratégique du sujet.
Après avoir largement libéralisé les marchés de l'énergie, l'Union européenne se trouve désormais face un double enjeu : il s'agit à la fois d'assurer sa souveraineté énergétique et d'accélérer la transition énergétique.
Ce double objectif n'est pas simple à atteindre : ainsi le charbon contribue-t-il à la sécurité des approvisionnements, mais nuit à la performance environnementale. Les énergies renouvelables aideraient à réaliser cette dernière, même si elles se heurtent à la problématique du stockage de l'électricité, mais elles coûtent encore trop cher, ou se déploient au prix de nouvelles dépendances avec des fournisseurs. Le gaz est finalement apparu comme le combustible de choix des investisseurs dans le marché libéralisé de l'électricité, mais son utilisation a augmenté les importations. L'énergie nucléaire, dont certains mettent en cause le bilan environnemental malgré son caractère décarboné, cristallise encore des oppositions fortes en Europe.
Un des enjeux clés dans cette équation complexe est le prix de l'énergie. Le niveau actuel de ce prix oblige l'Union à résoudre cette quadrature du cercle, et ramène la question énergétique au centre du projet européen, à la fois dans sa dimension économique et dans sa dimension géopolitique. Les réunions du Conseil européen et du Conseil de l'Union européenne ainsi que les réunions informelles consacrées à l'énergie se succèdent ces derniers mois à un rythme soutenu. La Commission a ainsi été invitée par les États membres à travailler sur le sujet, et doit poursuivre sa réflexion sur des mécanismes de réduction des prix des énergies à court et moyen terme. Elle devrait présenter une nouvelle proposition législative sur le plafonnement des prix du gaz tout prochainement.
C'est ce contexte sensible qui a conduit les commissions des affaires européennes et des affaires économiques à organiser cette table ronde sur les enjeux stratégiques de l'énergie pour l'Union européenne, suivant le débat au titre de l'article 50-1 tenu hier soir en séance sur la politique énergétique de la France. Je remercie les intervenants qui ont bien voulu se rendre disponibles pour y participer.
Selon vous, comment la crise de l'énergie met-elle à l'épreuve l'Union européenne ? Quelles sont les causes de la crise et les voies de sortie à court et moyen termes ?
M. Thomas Pellerin-Carlin, directeur du programme Europe de l'Institut économique pour le climat (I4CE). - La crise actuelle des énergies fossiles, tant du côté des prix que de la quantité, n'est pas inédite. La première crise à avoir frappé la France et l'ouest de l'UE a été le choc pétrolier, à la suite de la guerre du Kippour, en 1973. Le parallèle historique est évident : une petite nation démocratique, Israël, a été attaquée, par surprise, par deux de ses voisins ; ces derniers ont réussi dans un premier temps à obtenir des gains militaires, puis, face à une situation difficile, en sont venus à utiliser l'arme de l'énergie fossile pour sanctionner leur cible et ses alliés. Ce premier choc pétrolier a provoqué dans l'économie française de l'inflation et a marqué la fin des Trente Glorieuses. Les premières crises gazières, quant à elles, ont émergé dans les années 2000, à la suite de la première révolution ukrainienne, en 2006, et de la tentative par la Russie de l'étouffer en utilisant l'arme énergétique.
L'histoire longue nous rappelle, depuis un demi-siècle, l'évidence du coût économique et géopolitique de notre dépendance aux énergies fossiles. La grande spécificité énergétique du continent européen est d'être pauvre en énergies fossiles ; le paradoxe est que, pendant des décennies, nous avons construit notre dépendance à ces sources d'énergie que nous ne possédons pas, du moins que nous ne possédons plus depuis la décolonisation, laquelle aurait dû nous amener à interroger nos choix énergétiques.
En matière de consommation d'énergie finale, c'est-à-dire l'énergie réellement utile pour les activités humaines, la situation actuelle du mix énergétique français est telle que le nucléaire représente seulement 17 % de la consommation. La France est un pays extrêmement dépendant des combustibles fossiles : la première source d'énergie consommée en 2019 est le pétrole, qui représente quasi la moitié du total... La deuxième source d'énergie est le gaz fossile, pour près d'un quart ; la troisième est, depuis 2020, l'énergie renouvelable - à hauteur de 16 %-, le nucléaire n'étant plus que la quatrième, malgré son importance dans le domaine de l'électricité. Au sein des énergies renouvelables, la plus consommée en France est la biomasse : elle ne pose aucun problème en matière d'intermittence... L'éolien et le solaire représentent une part particulièrement faible de la consommation énergétique nationale.
De fait, la République française a choisi de ne pas vraiment soutenir les renouvelables. L'UE a fixé un objectif de déploiement des énergies renouvelables à chacun des vingt-sept États qui la composent : la France est le seul pays qui ne l'a pas atteint. Nous avons fait moins d'efforts que la Pologne alors que, nouveau paradoxe, notre pays est riche en énergies renouvelables : bois, régimes de vent différents, soleil... Le solaire thermique même est moins développé dans notre pays qu'en Autriche, pourtant moins ensoleillée.
La consommation d'énergie finale en Europe partage de grandes similarités avec la situation française. Le défi de la dépendance aux énergies fossiles, en particulier au gaz, est donc le même.
Analysons la situation actuelle. Les prix du pétrole sont normaux, et même bas ; les prix mondiaux sont inférieurs à ceux de 2012, 2013 et du début de l'année 2014, sans même prendre en compte l'inflation. Ce qui est anormal, tant au regard de l'histoire que des prix actuels qui sont dans la norme, c'est la politique française de subvention de la consommation des carburants.
Au niveau de la quantité, il n'existe pas de risques structurels de pénurie de pétrole, les grèves se limitant à un enjeu conjoncturel.
La situation est très différente en ce qui concerne le gaz. Les prix sont historiquement élevés : 1 000 % d'augmentation par rapport à la normale de la décennie 2010 ! Ces prix, quand bien même ils baisseraient, devraient demeurer importants dans la durée, probablement pour l'ensemble de la mandature actuelle. À l'image du premier choc pétrolier et de ses conséquences, la situation actuelle marque l'entrée, déjà réelle, dans une nouvelle ère, celle d'un gaz structurellement très cher. En effet, les Européens sont devenus dépendants au gaz naturel liquéfié, qui est, structurellement, deux à quatre fois plus cher que le gaz importé de Russie par des gazoducs. Nous allons devoir vivre avec des prix du gaz japonais... La transformation est particulièrement importante pour notre industrie : il faudra trouver un modèle économique viable dans un monde où les prix européens du gaz sont aussi élevés qu'au Japon, contrairement à ce qui était le cas durant les quarante dernières années.
Des pénuries de gaz sont à craindre à partir de février 2023, et, surtout, courant 2024. L'hiver qui s'annonce sera compliqué : le suivant sera plus dur encore, car il faudra réalimenter nos stocks sans gaz russe. Nous n'affrontons pas une « crise », au sens où il s'agirait d'un problème temporaire : nous entrons dans un nouveau monde.
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - Vous parlez de « pénurie » dès février 2023. Le Gouvernement appelle pourtant à ne pas avoir peur, assurant que les stocks dépassent les 110 % de capacité ; s'agit-il par conséquent d'une pénurie d'approvisionnement, ou d'une pénurie chez les industriels et les particuliers ?
M. Thomas Pellerin-Carlin. - Les stocks de gaz ne sont pas dimensionnés de façon à passer l'hiver entier en s'appuyant seulement sur leurs capacités, qui s'élèvent en Europe à 80 milliards de mètres cubes : cela représente ce que nous consommons, en hiver, en deux mois.
M. Jean-Michel Houllegatte. - Nos installations de stockage sont en effet remplies, mais nos réserves ne couvrent pas nos besoins.
M. Thomas Pellerin-Carlin. - Les prix de l'électricité sont anormalement élevés du fait, principalement, de la hausse des prix du gaz : les prix sont corrélés dès que le gaz est nécessaire pour la production électrique. La demande d'électricité demeure très forte. Il n'y pas eu de mobilisation européenne pour baisser les prix de l'électricité, à l'image de celle du Japon de l'après-Fukushima, où ils ont été immédiatement abaissés de 15 %. Les risques de pénurie concernent surtout le mois de décembre 2022, et dépendront du redémarrage de réacteurs nucléaires. Quoi qu'il en soit, les prix de l'électricité demeureront élevés sur deux à quatre ans.
Nous payons le prix de notre procrastination et de notre sous-investissement dans l'efficacité énergétique et dans les énergies renouvelables. Concernant la rénovation des bâtiments, si la France avait mis en oeuvre le plan adopté en 2008 lors du Grenelle de l'environnement, elle serait indépendante du gaz russe ! La production d'énergie renouvelable est insuffisante dans le secteur électrique : avec davantage d'éolien et de solaire, les prix de l'électricité seraient plus bas.
La première leçon à tirer de la crise actuelle - la septième ou huitième depuis le premier choc pétrolier - est que nous ne pouvons pas nous payer le luxe de rester dépendants aux énergies fossiles. Ne serait-ce que d'un point de vue strictement économique, le coût réel est non pas celui de la transition, mais celui de la non-transition. Une telle dépendance aux importations d'énergie fossile coûte extrêmement cher ; nous sommes victimes d'un choc inflationniste. Cela crée des dépendances géopolitiques importantes : Russie, États-Unis... D'autres coûts proviennent du dérèglement du climat : il est probable que 50 000 Européens sont morts cet été du fait des vagues de chaleur, les forêts brûlent, la sécheresse perturbe les chaînes de valeur industrielle et agricole... La crise actuelle peut tout à faire durer cinq ou dix ans, voire plus.
Le premier ministre belge, Alexander De Croo, a indiqué qu'il fallait se préparer à cinq à dix hivers difficiles. La réponse politique des élus de la nation, que vous êtes, doit partir de ce diagnostic raisonnable. Nous sommes dans une crise de moyen terme. La réponse nécessite des investissements massifs tant dans la sobriété énergétique, notamment de la part des collectivités territoriales, que dans l'efficacité énergétique, et dans toutes les énergies renouvelables sans exception. Il faut les planifier, en articulant le niveau européen, national et les collectivités territoriales, en lien avec les entreprises. Pour sortir de cette crise, il faut sortir des énergies fossiles.
M. Marc-Antoine Eyl-Mazzega, directeur du centre énergie-climat de l'Institut français des relations internationales. - Mon sentiment, c'est que Vladimir Poutine a déclaré la guerre à l'Europe, non pas depuis le 24 février 2022, mais en fait depuis 2014, voire bien avant. Les pays baltes et la Pologne s'en sont rendu compte les premiers.
Dans cette histoire, l'arme gazière a été fondamentale depuis le début. Les 5 années de prix bas, grosso modo de 2015 à 2020, nous ont totalement anesthésiés et nous ont conduits à renforcer notre dépendance aux combustibles fossiles, et au gaz russe en particulier. L'UE s'est doté d'objectifs de décarbonation particulièrement ambitieux dans un moment où il n'y avait pas de risques dans l'approvisionnement. Conséquence : nous n'avons pas pris la mesure du sous-investissement généralisé dans les énergies renouvelables (EnR) et l'efficacité énergétique, mais également dans les mines, les infrastructures de gaz et d'électricité, le nucléaire...
On en paie le prix actuellement. On est en pleine crise, et elle n'est pas près de se terminer.
On sort aussi d'une période où on s'est payé le luxe d'avoir des débats idéologiques sur le nucléaire, l'éolien, etc. On en est encore là ! Pour prendre une métaphore guerrière, nous sommes en situation de guerre, mais nous sommes nous-mêmes dans une posture de Drôle de guerre. Cela concerne aussi les mesures d'efficacité énergétique. Nous ne sommes qu'au début de la crise. Notre principal instrument, ce sont les mesures d'économies. Mais il faut faire des économies ultra-efficaces et ultra-intelligentes. Réduire de 37 centimes le prix de l'essence à la pompe pour tous est absolument inefficace, de même que n'augmenter que de 4 % le prix de l'électricité cette année et de 15 % l'an prochain. À cet égard, le bouclier tarifaire est inefficace car il annule tout signal-prix ; cela ne signifie pas qu'il ne faut pas redistribuer, mais il faut cibler les plus vulnérables.
Après l'Ukraine, l'Europe est l'immense perdante de la situation actuelle. Pour le dire de façon imagée, c'est un comme peu comme si 500 missiles russes s'étaient abattus pour détruire 10 % de notre industrie énergo-intensive. Chaque mois qui passe augmente d'un point ce pourcentage de destruction. Je n'ai pas l'impression que l'Europe soit vraiment en situation de mobilisation. Or il importe d'éviter de fermer définitivement un certain nombre d'industries. Mais il faut aussi être conscient qu'une partie de ce capital industriel disparaîtra. Par exemple, l'industrie ammoniaque en Europe ne pourra jamais repartir, ce qui n'est pas sans conséquence sur notre production d'hydrogène.
Quelles sont les solutions ? Vous évoquiez l'énergie nucléaire. Nous ne pouvons pas compter dessus pour sortir de la crise. Au contraire, les problèmes sur le parc nucléaire français ont aggravé notre situation énérgétique. Le nucléaire peut être une solution pour le long terme, mais non pour les trois à quatre prochaines années. De ce point de vue, l'opposition de l'Autriche et du Luxembourg notamment a contribué à saborder notre effort général et complique la sortie de crise, et surtout l'atteinte des objectifs climatiques pour 2030 et 2050.
Nous traversons une crise structurelle. Les infrastructures énergétiques, notamment le parc nucléaire français actuel, devront être renouvelées d'ici 2050. C'est le cas dans la quasi totalité des pays européens. C'est considérable. Il est nécessaire de prévoir un stockage de long terme, ce qui implique de disposer de nouvelles capacités flexibles qui devront être thermiques. Il n'y a pas d'autres solutions. Nos surcapacités sont en cours d'effacement alors que l'électrification progresse.
Concernant le fonctionnement des marchés, il existe un problème manifeste concernant le prix de l'électricité mais il n'est pas possible d'attendre trois ans. La Commission européenne a enfin pris en compte le sujet du market design. L'urgence est là.
La bonne nouvelle, c'est que l'euro se déprécie très fortement. Cela renforce, certes, le coût de l'énergie à l'importation, mais cela peut constituer une bonne opportunité pour attirer les investisseurs étrangers. Néanmoins, ils ont besoin de visibilité à moyen terme sur le prix de l'électricité, sinon ils préféreront investir aux États-Unis.
Les États-Unis entreprennent de soutenir à hauteur de 300 milliards de dollars les technologies bas carbone. C'est une déclaration de guerre économique de leur part. Leur objectif est surtout de créer de l'emploi et des chaînes de valeur résilientes aux États-Unis. Pendant ce temps, nous en sommes à disserter sur des objectifs de neutralité carbone complètement irréalistes. La logique est totalement différente.
S'agissant des métaux, nous ne serons jamais autonomes. Les mines en Europe, c'est une illusion car elles sont trop petites et leur exploitation insuffisamment rentable. Il faut donc renforcer notre présence à l'étranger par une action diplomatique et politique volontaire, mais aussi par des alliances industrielles. C'est en cours de constitution à Bruxelles. Malheureusement, en la matière, nous avons dix ans de retard sur le Japon et cinq sur les Américains.
Je reviens sur le problème des infrastructures. On ne peut pas faire de l'hydrogène bas carbone avec le système électrique que l'on a actuellement, et surtout si on se focalise sur l'hydrogène vert. Dans ce cas, soit l'Europe se tourne vers l'étranger, soit il faut attendre la décarbonation du système électrique. Je pense qu'il ne faut pas écarter la position des Allemands sur les importations.
Le risque majeur est bien la survie de nos industries électro-intensives, avec des millions d'emplois à la clé. Comment faire pour sauver ce secteur ? Pour l'instant, les Allemands ont mis 100 milliards d'euros sur la table, mais tout le monde doit mettre la main à la poche, sinon l'Europe va se fragmenter.
La crise est terrible et, de toute façon, il va falloir se résoudre à accepter l'idée qu'une partie de l'industrie européenne n'y survivra pas.
J'insiste, l'urgence, c'est quand même de dégager des volumes de gaz suffisants pour sauver ce qui peut l'être.
En Autriche, en Espagne et en France, de grands projets hydro-EnR sont prêts, mais les procédures administratives traînent en longueur, parce qu'il manque je ne sais quelle signature, alors que, je le répète, l'urgence est là. C'est une mobilisation pour une économie de guerre.
Mme María Eugenia Sanin, maître de conférences à l'université Paris-Saclay. - Mesdames, messieurs les sénateurs, à mon tour de vous remercier de nous avoir invités à débattre de la politique énergétique de l'Union européenne. Je suis totalement d'accord avec ce que viennent de dire les deux orateurs précédents. J'ajouterai deux choses.
D'abord, il faut savoir que les fossiles ont été les énergies les plus subventionnées de la planète dans l'Histoire, et notamment en Europe. Nous avons donc construit notre dépendance avec de l'argent public.
Ensuite, c'est vrai, il faut sauver le secteur industriel avec du thermique, mais il faut aussi massivement investir dans les EnR pour laisser le thermique aux secteurs où il n'est pas possible de décarboner, comme la défense.
Quels sont les principaux volets du plan REPowerUE ?
Nous avons le mécanisme de back stop ou de solidarité intra-européenne, mais, à terme, il y a des risques de fragmentation. Il n'est qu'à voir la réaction de l'Espagne en juillet quand une baisse de consommation du gaz de 10 % a été envisagée par la Commission européenne. Les choix de construction du mix énergétique ont été différents d'un pays à l'autre, avec des coûts et des risques différents, mais tout le monde fait face à la même problématique. Ce mécanisme me paraît difficile à utiliser à moyen et long termes.
Il reste trois leviers.
Tout d'abord l'efficacité énergétique. Dans le court terme, l'offre énergétique est donnée, donc il faut diminuer la demande. L'exhortation aux bonnes pratiques, comme en France, est une fausse bonne idée. Des analyses réalisées par des experts montrent que des mesures incitatives reposant sur un faible différentiel de prix ne permettent pas de réaliser des économies au-delà de 4 à 5 % pour les ménages et de 15 % pour certains secteurs industriels. Cela ne représente pas grand-chose. Il faut un État stratège qui ait une politique claire en matière d'efficacité énergétique, de rénovation énergétique des bâtiments publics, de planification des transports, etc.
On ne peut pas faire de l'efficacité énergétique avec un bouclier tarifaire sur l'électricité et des remises à la pompe sur le carburant. Il faut laisser les prix à leur niveau et protéger les plus vulnérables par la redistribution ainsi que les secteurs industriels les plus énergivores. Laissons les prix évoluer pour les autres, notamment les plus riches. C'est ce que l'on appelle le signal prix. Une étude réalisée par une de mes étudiantes montre ainsi que la remise à la pompe bénéficie trois fois plus aux automobilistes les plus riches qu'aux plus pauvres. Nous sommes dans un moment très difficile. La politique doit être à la hauteur de cet enjeu.
Ensuite, il y a la diversification des sources. La diversification des partenaires commerciaux sur les énergies fossiles peut être envisagée à court terme, mais cela ne peut constituer notre stratégie sur le long terme.
Il faut surtout diversifier nos partenariats commerciaux pour les métaux stratégiques. C'est compliqué pour le cobalt ou le graphite, qui sont des métaux rares. Néanmoins, ce n'est pas le cas du lithium, qui est produit en grande quantité en Australie. Nous devons pouvoir construire notre propre filière européenne de batteries au lithium concurrente de celle de la Chine.
De ce point de vue, mesdames, messieurs les sénateurs, votre rôle est très important. Le prix des énergies fossiles, notamment du gaz, étant appelé à rester durablement élevé, il importe de favoriser l'hydrogène vert.
Pour résumer, il faut diversifier les sources, et non pas les partenaires. En revanche, il faut diversifier les partenaires pour les autres métaux et matériaux importants. On a les moyens pour avancer et il nous faut rattraper le retard sur les autres pays occidentaux, la Chine ayant pour sa part plus de vingt ans d'avance dans ce domaine.
J'en viens à l'importance stratégique du stockage. On note un déploiement de plus en plus important du stockage électrique à grande échelle, dont l'efficacité est prouvée quand il est couplé avec un investissement en réseau. Le réseau électrique est en effet le grand oublié de cette crise. On pourrait améliorer les interconnexions, y compris en France. L'interconnexion améliore l'efficacité et la distribution des énergies renouvelables.
Le principal obstacle pour l'installation massive des énergies renouvelables, ce n'est pas le financement - l'attractivité pour la finance verte augmente -, c'est d'abord la bureaucratie, à savoir les délais de délivrance des permis pour les implanter ; il faut donc les écourter. Ce sont aussi les contraintes environnementales liées au déploiement de ces énergies. Pour y remédier, il faut entamer le dialogue et insister sur les bénéfices à l'échelon local, par exemple en termes de professionnalisation de la main-d'oeuvre.
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - Du point de vue macro-économique, la remise à la pompe bénéficie principalement à ceux qui ont le plus de moyens, mais, sur le terrain, dans les milieux ruraux, l'impact sur le porte-monnaie de cette mesure est très important pour les personnes modestes qui utilisent leur véhicule pour aller travailler.
Mme María Eugenia Sanin. - L'étude différencie les populations selon leur lieu de résidence. C'est pourquoi nous proposons des « boucliers ciblés », c'est-à-dire une progression des aides. Les ressources ainsi dégagées permettent de proposer des mesures incitatives pour provoquer des changements de mode de transport, notamment l'utilisation des transports en commun.
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - Il n'y en a pas toujours ! L'impact d'une réduction du prix à la pompe est important pour les plus modestes.
M. Thomas Pellerin-Carlin. - En économie, on appelle cela le coût d'opportunité. Le bouclier tarifaire coûterait l'année prochaine environ 45 milliards d'euros. En le ciblant sur les 10 millions de Français les plus pauvres, cela correspond à 4 000 euros par personne et par an. Il s'agit donc de définir quelle est la meilleure manière d'utiliser l'argent public. Ceux qui consomment le plus sont ceux qui possèdent les voitures les plus lourdes - et ce sont aussi les plus riches !
Mme María Eugenia Sanin. - Il est facile de cibler, pour améliorer l'impact de cette mesure, en s'appuyant sur les déclarations d'impôts. On sait en effet où les gens habitent et quelle est leur activité professionnelle.
On pourrait d'ailleurs aider les personnes les plus aisées à transformer leur façon d'utiliser leur moyen de transport.
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - Votre étude nous intéresse !
Mme Tatiana Marquez Uriarte, membre du cabinet de la commissaire européenne à l'énergie Mme Kadri Simson. - Au sein du cabinet de la commissaire européenne à l'énergie, je m'occupe surtout du gaz et de l'hydrogène, mais, depuis un an, je me consacre exclusivement à la sécurité d'approvisionnement et aux prix de l'énergie.
Mon propos s'articulera autour de trois points : premièrement, ce qui a changé dans le système énergétique européen ces dernières années ; deuxièmement, les mesures que l'Union européenne a déjà prises pour répondre à la crise énergétique, crise d'approvisionnement et crise des prix ; et enfin, les perspectives, car il reste beaucoup à faire pour sortir de cette crise !
Premièrement, beaucoup de choses ont changé. Sur le volet gaz, nos partenaires commerciaux ont changé. Jusqu'à l'année dernière, notre principal fournisseur était la Russie (à hauteur de 40 %) ; aujourd'hui, c'est la Norvège. Nous sommes désormais dépendants seulement à hauteur de 7,5 % du gaz russe importé par gazoduc et de 14 % en y incorporant le GNL.
La direction des flux a également changé. Traditionnellement, on transportait le gaz de l'est vers l'ouest par gazoducs. Aujourd'hui, c'est l'inverse, alors même que les infrastructures gazières n'étaient pas préparées à cela : on recourt au gaz liquéfié en utilisant les terminaux gaziers de l'ouest et du sud de l'Europe.
Notre fournisseur de gaz liquéfié était traditionnellement les États-Unis ; c'est encore le cas, mais avec des volumes qui ont battu des records. Aujourd'hui, nous sommes complètement dépendants du gaz liquéfié américain. Heureusement, les États-Unis ont augmenté leur volume d'exportation.
Je ne reviens pas sur les prix du gaz, dont il a déjà été question. Nous avons la même analyse des causes de leur augmentation : d'abord, la sortie du covid au deuxième semestre de l'année 2021 a entraîné une très grande augmentation de la demande globale de gaz ; ensuite, les tensions avec la Russie ont aggravé la situation et les prix ont flambé depuis l'invasion de l'Ukraine.
Les prix de l'électricité sont entraînés par les prix du gaz, pour les raisons qui ont été rappelées. De nombreux pays européens ont décidé de produire de l'électricité à partir d'autres combustibles fossiles, notamment le charbon, qui est beaucoup plus polluant que le gaz.
L'évolution pour les cinq prochaines années n'est pas positive : tant que la guerre continuera, le prix du gaz sera très haut, car la Russie continuera à manipuler les prix, elle a également coupé le robinet à beaucoup d'États et de compagnies - et que dire du sabotage du Nordstream ? Il est à craindre que la tension reste permanente dans les prochaines années.
Deuxièmement, pour répondre à cette crise, l'Union européenne a décidé de changer de cap et de ne plus être dépendante du gaz russe. Elle veut l'arrêt total de l'importation des combustibles fossiles russes aussi vite que possible.
Cela passe par trois volets : d'abord, la diversification, ensuite, la promotion des énergies renouvelables, enfin, l'augmentation de nos objectifs en matière d'efficacité énergétique.
Par ailleurs, l'Union européenne se prépare au pire, non seulement l'arrêt total des flux du gaz russe, mais aussi des problèmes d'approvisionnement, par exemple une panne dans un terminal gazier aux États-Unis, comme cela s'est produit cet été.
Pour ce faire, l'Union européenne a d'abord établi des obligations de stockage du gaz - il faut se préparer autant que possible avant le début de chaque hiver, mais il est à craindre que l'hiver prochain sera encore plus difficile. Par ailleurs, elle a fixé des objectifs de réduction de la consommation de gaz en Europe, d'abord de façon volontaire - un plan de réduction de 15 % a été décidé cet été -, puis de façon obligatoire en cas de grave pénurie de gaz ; la Commission a la possibilité de déclarer l'état d'alerte pour rendre cet objectif impératif. Nous enregistrons aujourd'hui une baisse de 7 % de la consommation. Enfin, l'Union a amélioré la coordination entre les États membres en matière de sécurité d'approvisionnement. Une sorte de cabinet de crise a été créé, qui réunit les représentants des États membres presque toutes les semaines. Il s'agit à la fois d'échanger et de s'entraider.
Troisièmement, l'Union européenne est également en train d'agir sur les prix, et d'abord sur ceux de l'électricité, en adoptant des mesures d'urgence pour diminuer le prix de l'électricité des Européens. Ce paquet comporte quatre mesures principales.
En premier lieu, il s'agit d'établir des objectifs de réduction de la consommation d'électricité, surtout dans les moments de pointe. Cela doit permettre de ne pas avoir recours à la production d'électricité à base de gaz, la plus coûteuse.
En deuxième lieu, il convient de limiter les revenus des producteurs d'électricité dont les coûts marginaux sont les moins coûteux. Comme le prix du marché est établi à partir des technologies les plus chères - les centrales électriques au gaz -, les infrastructures dont les coûts sont moindres dégagent d'importants revenus cette année. Il a donc été décidé de fixer un plafond de recettes pour les producteurs inframarginaux. Les États membres peuvent utiliser cette mesure pour financer leurs mesures de soutien aux consommateurs.
En troisième lieu, nous avons ouvert juridiquement la possibilité de fixer des prix régulés, non seulement pour les foyers et les microentreprises, mais aussi pour les PME. Enfin, en quatrième lieu, nous avons établi une contribution de solidarité à la charge des entreprises des secteurs des combustibles fossiles et du raffinage afin qu'elles aussi contribuent à aider les plus vulnérables à faire face au coût élevé de l'électricité.
Que nous reste-t-il à faire pour sortir de cette crise ? Le chantier est vaste. Jusqu'ici, nous nous sommes surtout attaqués au prix de l'électricité. Dans les prochains jours, la Commission pourrait adopter une proposition d'urgence visant à diminuer non seulement les prix du gaz, mais aussi la volatilité du marché du gaz.
Parmi les mesures envisagées, figure la création d'un index alternatif au TTF, qui sert aujourd'hui de référence pour établir les prix dans les contrats de vente de gaz. Or cet index est essentiellement basé sur le prix du gaz sur le marché hollandais qui, malheureusement, connaît en ce moment des difficultés d'approvisionnement. Tous les fournisseurs dont les contrats sont indexés sur le TTF sont donc très défavorisés par rapport à nos concurrents asiatiques et autres. Le nouvel index alternatif reflétera davantage le prix du gaz liquéfié en Europe, qui est en réalité beaucoup plus faible qu'il ne l'est sur le marché hollandais.
L'établissement de cet index demande toutefois un certain temps et les acteurs économiques passant des contrats de fourniture de gaz ne pourront pas l'utiliser avant l'année prochaine. C'est pourquoi nous prévoyons, à court terme, un système de plafonnement des prix du gaz applicable à l'ensemble des importations de gaz de l'Union européenne. Dans l'immédiat, nous allons engager des négociations avec nos partenaires commerciaux hors Russie, en vue de leur acheter leur gaz à moindre coût qu'aujourd'hui. Ces négociations seront difficiles. En cas d'échec, nous aurons toujours la possibilité d'établir un plafonnement des prix. Cette démarche est naturellement risquée. Elle pourrait se traduire en effet par un approvisionnement en gaz insuffisant dans certaines parties de l'Europe. C'est pourquoi nous réfléchissons également à des mesures plus contraignantes en matière de réduction de la consommation de gaz, auxquelles nous pourrions recourir le cas échéant.
Nous voulons par ailleurs prendre des mesures de solidarité renforcée entre les États membres. En effet, si les problèmes de fourniture de gaz devenaient critiques, il faudrait s'entraider davantage. Les États membres qui disposent de stocks suffisants devraient pouvoir fournir du gaz à leurs voisins qui seraient par exemple trop dépendants du gaz russe ou qui ne parviendraient pas à répondre aux besoins de leurs consommateurs protégés - foyers, industries critiques -, même si cela peut signifier, pour le pays fournisseur, de réduire la consommation de ses consommateurs non protégés. Jusqu'à présent, la solidarité entre États membres dépendait uniquement des rares accords bilatéraux. Nous sommes en train de réfléchir à un mécanisme comportant une forme d'automatisme.
Enfin, les dernières mesures envisagées portent sur les achats conjoints de gaz. L'une des manières de diminuer les prix du gaz peut être, en effet, de faire en sorte que les États membres et les compagnies européennes cessent de se concurrencer. Nous avons vu au mois d'août, lorsque les États membres cherchaient tous à remplir leurs stocks au plus vite auprès du même fournisseur, comment la concurrence avait entraîné une flambée des prix. Il est donc nécessaire d'améliorer notre coordination et cela passe probablement par des achats conjoints. C'est pourquoi nous allons créer le cadre juridique pour que les compagnies qui souhaitent acheter ensemble puissent le faire.
Voilà pour les mesures immédiates. Nous voulons prendre également des mesures pour améliorer la liquidité des entreprises énergétiques. Parfois - cela a été le cas en Suède, mais également ailleurs - ces dernières ne parviennent pas, faute de liquidités et de garanties suffisantes, à participer à certains marchés. En effet, les prix ayant fortement augmenté, le montant des garanties exigées a augmenté d'autant également. C'est pourquoi nous étudions la possibilité d'élargir le type de garanties nécessaires, par exemple aux actions ou à des garanties publiques. Nous proposerons des mesures pour s'assurer que les États membres puissent faire bénéficier ces entreprises de garanties publiques.
Une autre piste à l'étude est la mise en place de circuit breakers, qui permettraient de mettre un frein à l'augmentation soudaine des prix sur un marché, celui de l'électricité par exemple. Au-delà d'une certaine limite, il s'agirait d'arrêter la cotation, pour que les autorités régulatrices décèlent d'éventuels mouvements spéculatifs ou manipulations des prix. Les marchés rouvriraient seulement une fois que les conditions permettant un échange raisonnable entre l'offre et la demande seraient rétablies.
Enfin, nous pensons réviser, l'année prochaine, les règles du marché de l'électricité. Pendant longtemps, le système a permis de bénéficier de prix de l'électricité très bas. Nous devons nous assurer que cela sera encore possible avec un parc électrique très dépendant des énergies renouvelables. Il nous faut donc trouver le point d'équilibre qui permette de conserver des prix bas sans décourager les investissements dans les énergies renouvelables.
En conclusion, nous avons compris, à la Commission européenne, que les temps exceptionnels que nous vivons exigeaient des mesures exceptionnelles. Nous avons adopté des mesures d'urgence pour l'électricité. Nous allons adopter des mesures d'urgence pour le gaz. Toutefois, à moyen et long terme, notre cap est inchangé : au-delà des mesures provisoires nécessaires que nous avons prises, pour des raisons d'approvisionnement et de prix, sur la consommation de combustibles fossiles, notre objectif demeure la décarbonation du système. C'est la seule manière de réunir nos exigences de sécurité d'approvisionnement, de compétitivité des prix de l'énergie et de lutte contre le changement climatique.
Enfin, soyons conscients que nous devrons faire, dans les prochaines années, des sacrifices : il s'agira, premièrement, de réduire notre consommation énergétique, ce qui signifie faire des choix ; deuxièmement, d'afficher une véritable solidarité entre États membres, faute de quoi les pressions externes visant à nous désunir seront trop fortes.
M. Daniel Gremillet. - J'ai travaillé, avec ma collègue Dominique Estrosi Sassone et d'autres collègues à la rédaction d'un rapport complet sur le volet énergie du paquet « Ajustement à l'objectif 55 » et j'en ai retiré trois enseignements.
Le premier est le besoin d'accorder une plus grande attention à la question du coût de l'énergie. Le citoyen et l'entreprise sont insuffisamment pris en compte en termes de soutenabilité.
Le deuxième enseignement est l'impératif de respecter les compétences des États membres. Certains objectifs, comme celui d'atteindre 45 % d'énergies renouvelables d'ici à 2030 ou d'installer des panneaux photovoltaïques sur tous les bâtiments commerciaux et résidentiels neufs, sont clairement inatteignables.
Enfin, le dernier enseignement est la nécessité de garantir une plus grande neutralité technologique. Ce paquet laisse en effet de côté l'énergie et l'hydrogène d'origine nucléaire bien sûr, mais encore l'hydroélectricité ou les bioénergies. Le règlement sur les carburants alternatifs ou les initiatives sur l'aérien et le maritime sont par ailleurs focalisés sur l'électromobilité, sans se soucier du biogaz ou des biocarburants. C'est un tort, car ce paquet suppose, si l'on veut atteindre ses objectifs, de doubler notre production d'électricité. Ne mettons pas tous nos oeufs dans le même panier !
Aussi nous pensons que ces questions de soutenabilité, de subsidiarité et de neutralité devraient être davantage prises en compte.
M. Pierre Laurent. - Vous avez parlé d'État stratège et d'investissements massifs nécessaires. Quelles que soient les options retenues dans le mix énergétique, nous faisons face en effet à un mur d'investissement. Or nous vivons encore sous le régime de toute une série de politiques européennes qui ont conduit à la déréglementation et à la concurrence, et qui ont affaibli nos moyens stratèges.
En France par exemple, nos grands opérateurs industriels sont soit hors des politiques stratégiques et publiques qu'il faudrait construire, soit très affaiblis par toutes ces politiques européennes. Veut-on vraiment privilégier des politiques de planification stratégique et y mettre les moyens ? Ou veut-on continuer à bricoler perpétuellement des sortes d'usines à gaz, pour faire avec ce qu'on a fait depuis vingt ans ? Nous sommes pourtant confrontés à des problèmes stratégiques d'une tout autre ampleur.
Sur le plan international, nous allons effectivement devoir travailler tout à fait différemment. Même en ayant l'ambition d'une souveraineté européenne, il nous faudra changer les modes de rapports internationaux en matière énergétique. Les pays auxquels nous allons nous adresser ont, eux aussi, des enjeux de développement considérables. Ils sont même plus confrontés que nous aux enjeux climatiques et énergétiques. Nous devons leur proposer des rapports internationaux qui leur permettent, à eux aussi, de résoudre leurs problèmes.
Jusqu'ici nous avons vécu sur des rapports de domination, de prédation ou de dépendance. Nos rapports avec les pays du Golfe sont aujourd'hui d'une grande aberration du point de vue énergétique, alors qu'ils sont censés être nos alliés stratégiques. Prenons la question des transferts de technologie. Qu'offrons-nous à ces pays comme modèle de développement de nature à résoudre leurs problèmes ? Sur le plan climatique, d'ailleurs, leurs problèmes sont aussi, en vérité, les nôtres. Je songe au Pakistan, un pays noyé sous les eaux et qui n'est pourtant pas le plus pauvre du monde. Les questions que vous posez nous obligent à nous interroger sur nos modèles de coopération internationaux.
Enfin, plusieurs d'entre vous ont évoqué la protection des « vulnérables ». J'aimerais que nous soyons plus précis sur ces questions. Les vulnérables sont très nombreux. Ils représentent même probablement l'immense majorité des pays et l'immense majorité de nos sociétés. Si nous voulons mettre en oeuvre des politiques mieux ciblées face aux enjeux énergétiques, nous devons être plus précis.
Mme Anne-Catherine Loisier. - Madame Marquez Uriarte, nous pratiquons la solidarité, puisque, depuis aujourd'hui, la France livre du gaz à l'Allemagne dans le cadre d'une convention bilatérale. L'Europe doit-elle favoriser cette solidarité ? Il ne faut pas en tout cas qu'elle aille trop loin en ce sens, pour ne pas donner aux États membres l'impression d'une mise sous tutelle.
Par ailleurs, beaucoup de nos concitoyens les plus vulnérables se chauffent au bois. Or personne n'a parlé de ce type d'énergie, première source de chaleur en France. Comment appréhendez-vous la dernière révision de la directive RED conduisant à exclure la biomasse ligneuse et donc les bûches et les plaquettes du champ de la directive ?
Ne devrions-nous pas optimiser les ressources dont nous disposons plutôt que de faire exploser la fiscalité les concernant ?
M. Jean-Yves Leconte. - Ayant travaillé sur la baisse de nos émissions carbone, je trouve le constat dressé important, bien qu'inquiétant.
Alors que l'Europe ne représente que 9 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES), nous ne pouvons que montrer l'exemple, ce que nous ne faisons pas dans nos réponses à la crise énergétique actuelle.
Les raisons pour lesquelles les États-Unis sont parvenus à sortir de leur dépendance énergétique en 15 ans n'ont pas été abordées. Doit-on les prendre pour modèle ?
Peut-on sortir de notre dépendance à la Russie compte tenu de ce que fait la Commission européenne avec l'Azerbaïdjan ?
La construction de l'Union européenne s'est fondée sur la concurrence : le gaz russe s'achète ainsi à des prix différents selon les acheteurs. Une politique commune et égalitaire n'est-elle pas nécessaire pour des achats stratégiques conjoints en matière énergétique ?
Enfin, je trouve que les réseaux de transports demeurent un impensé des débats sur l'énergie. Ne gagnerions-nous pas à investir sur la supraconductivité ou sur de nouveaux vecteurs énergétiques comme l'hydrogène ?
Je ne comprends pas cette lubie française consistant à vouloir produire de l'hydrogène nucléaire alors que nous ne sommes même pas capables de produire suffisamment d'électricité nucléaire et que c'est source de frictions avec l'Allemagne.
Nous devons par ailleurs travailler davantage avec les pays du sud de la Méditerranée en matière d'importation, dont le potentiel solaire est supérieur au nôtre.
M. Jean-Claude Tissot. - Je partage le constat dressé, même si certaines des réponses que vous apportez sont quelque peu difficiles à entendre.
Ma question porte sur le sort fait à la petite hydroélectricité dans la directive sur les énergies renouvelables, encore en négociation à l'échelle européenne. Un amendement adopté instaure un seuil de 10 mégawatts de capacité de production aux installations hydroélectriques pour rester dans le champ des énergies renouvelables, sacrifiant de fait les petites installations. La petite hydroélectricité n'est donc plus considérée comme une énergie renouvelable. Au regard des enjeux climatiques et énergétiques, il me semble incohérent de se priver d'un levier de décarbonation.
Disposez-vous d'éléments à nous apporter sur le traitement de l'hydroélectricité à l'échelle européenne, et plus particulièrement pour la petite hydroélectricité ?
Mme Tatiana Marquez Uriarte. - Plusieurs d'entre vous ont parlé de nos relations avec les pays tiers, dont nous sommes très dépendants du point de vue énergétique, mais qui ont également des intérêts propres.
Nous avons adopté une communication au mois de mai sur nos relations internationales énergétiques dans laquelle la Commission européenne propose un système innovant. Jusqu'à maintenant, nous nous sommes bien souvent bornés à des relations de simple vente-achat avec les États producteurs de pétrole.
Nous avons longtemps acheté du gaz peu cher, par exemple à l'Algérie, où des mouvements se sont formés pour défendre les ressources naturelles et augmenter les prix. Certains pays ont en effet pu se sentir utilisés.
Nous proposons donc de diversifier nos approvisionnements. Étant entendu que nous ne disposons pas d'assez d'EnR ou de nucléaire pour remplacer le gaz que nous consommons, nous allons devoir remplacer le gaz russe par du gaz provenant d'autres pays.
Pour autant, le gaz ne figure pas dans nos objectifs de long terme et doit être une énergie de transition pour nous aider à équilibrer notre consommation. Au bout du compte, nous devons produire un maximum d'énergies renouvelables - et, pour les pays qui le souhaitent, de nucléaire - et développer l'hydrogène pour les installations qui ne peuvent pas être électrifiées - manufactures industrielles, certains types de transport...
Depuis six mois, nos relations avec les pays tiers dont nous achetons le gaz ont évolué et le discours qu'on leur tient est plus nuancé : si nous voulons actuellement leur acheter plus de gaz qu'auparavant, nous souhaitons aussi, à l'avenir, leur acheter de l'électricité et de l'hydrogène renouvelable qu'ils produiront grâce à nos technologies et à l'aide de nos entreprises sur place. Nous leur proposons des partenariats de très long terme et pas seulement le temps de décarboner notre production.
Nous avons commencé à signer des memoranda incluant des chapitres sur les EnR et l'hydrogène avec des pays tiers : Égypte, Israël, Azerbaïdjan... Nous sommes bien sûr conscients que nous ne devons pas substituer à nos dépendances actuelles des dépendances futures, par exemple à l'hydrogène. Nous devons commencer par développer la production d'hydrogène domestique. Mais, même en le faisant sur de très gros volumes - nous avons un objectif immense de 10 millions de tonnes produites en Europe -, ce ne sera pas suffisant pour les besoins futurs : nous aurons besoin d'au moins la même quantité venant de l'extérieur.
Il est donc nécessaire d'établir des partenariats stratégiques pour assurer la décarbonation de nos industries.
Sur la question de l'échelle de temps, je suis d'accord que nous avons trop tendance à mettre des petits patchs pour que notre production continue de fonctionner en évitant de prendre des décisions stratégiques qui peuvent être dures. La Commission européenne se veut un peu la conscience derrière les États membres pour les pousser à prendre des choix stratégiques, développer les EnR, aller vers l'efficacité énergétique, afin de devenir plus indépendants.
La mise en pratique de ces choix est difficile et demande de gros investissements, pas seulement publics, mais aussi privés. Le programme Next Generation EU constitue un gros levier de financement public pour les États membres. Les fonds alloués sont destinés à la transition énergétique ou à la lutte contre le changement climatique : production d'hydrogène ou d'EnR, rénovation des bâtiments... Mais il faudra nécessairement se tourner également vers des financements privés.
Par ailleurs, les personnes vulnérables le sont de plus en plus et doivent être aidées par les pouvoirs publics. Les prix actuels du gaz et de l'électricité tendent à étendre cette vulnérabilité aux populations moyennes. Nous avons changé le cadre législatif pour permettre temporairement à certains membres d'aider tous les foyers, mais aussi les petites et moyennes entreprises. Pour les grands consommateurs industriels, nous prenons des mesures pour plafonner le prix du gaz et tenter de limiter les revenus des producteurs inframarginaux d'électricité.
Je tiens également à rappeler que nous devons tous défendre les règles de la concurrence : tous les États n'ont pas la même capacité financière à aider leurs entreprises et ces règles doivent nous permettre de nous assurer que les effets sur la concurrence à l'intérieur de l'UE ne sont pas excessivement faussés par des aides publiques.
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. - Vous allez donc empêcher l'Allemagne de distribuer les 200 milliards d'euros qu'elle a prévus ?
Mme Tatiana Marquez Uriarte. - S'ils ne sont pas distribués à des entreprises, il n'y a pas de problème. Dans le cas contraire, l'Allemagne devra obtenir des autorisations auprès de la direction générale de la concurrence.
Monsieur Tissot, sur la question de la révision de la directive sur les énergies renouvelables, je ne connais pas les détails des négociations concernant l'hydroélectricité. La position de départ de la Commission est très favorable sur l'hydroélectricité.
M. Jean-Claude Tissot. - Quid de la petite hydroélectricité ?
Mme Tatiana Marquez Uriarte. - Dans la proposition de la Commission européenne, toute la production hydroélectrique compte en tant que renouvelable. Pour ce qui est des négociations, ce n'est pas de mon ressort.
La biomasse est effectivement une ressource très importante - c'est la plus importante en Europe aujourd'hui parmi les énergies renouvelables - et je peux vous dire que la commissaire Simson est très attachée à cette question, d'autant que l'Estonie, son pays, comme les autres pays baltes et nordiques, a beaucoup de forêts sur son territoire. Certains considèrent cependant que l'utilisation de cette ressource pose des questions de durabilité. La Commission européenne a fait des propositions ; il revient maintenant au jeu politique d'arbitrer.
Mme María Eugenia Sanin. - Quand on fait un choix technologique dans le domaine énergétique, on fait nécessairement un choix sur la compétitivité. Or la France et l'Allemagne n'ont pas la même compétitivité de ce point de vue, puisque la première s'est plutôt appuyée sur le nucléaire et la seconde sur le gaz.
Un tel choix est également un choix d'indépendance. L'électricité est peu transportable, en particulier sur de longues distances, sauf avec des interconnexions très coûteuses. Plus on investit dans des énergies renouvelables, y compris la biomasse, plus on sera indépendant, parce que ce sont des ressources que nous n'avons pas besoin d'importer.
Mais il faut accepter le fait que nous ne serons jamais totalement indépendants, ne serait-ce que parce que nous aurons besoin de matériaux et de métaux pour développer l'électrification. Une grande partie de l'industrie française est électro-intensive : la consommation d'électricité représente une charge très importante pour ces entreprises.
La Chine a beaucoup d'expérience en la matière. Par exemple, elle a mis en place en Amérique du Sud d'importantes joint-ventures avec des entreprises minières, ce qui peut contribuer au développement du pays en question, tout en assurant à la Chine l'accès à des ressources essentielles.
En ce qui concerne les personnes vulnérables, je vous rappelle que le rapport du GIEC met en avant le fait que les 10 % les plus riches sont responsables de 40 % des émissions de gaz à effet de serre, c'est-à-dire qu'ils consomment 40 % des énergies fossiles. Je ne veux pas faire de raccourci, mais dire simplement qu'il faut faire payer à ces personnes le vrai prix des choses, en laissant le marché agir normalement pour elles, c'est-à-dire sans leur faire bénéficier de subventions sous une forme ou sous une autre.
M. Marc-Antoine Eyl-Mazzega. - En France, nous avons passé dix ans à ne pas savoir sur quel pied danser : on ne voulait plus vraiment relancer le nucléaire et on ne voulait pas non plus avancer clairement vers les énergies renouvelables. Cet état d'esprit se répercutait dans les instances communautaires. Certains pays, notamment l'Allemagne ou l'Autriche, avaient une vision très claire, ce qui leur a permis de se faire entendre : du gaz russe pas cher en complément des énergies renouvelables avec un basculement à terme vers l'hydrogène. Une partie du cabinet de la présidente de la Commission européenne reflète encore cela.
Désormais, la France, ainsi que d'autres pays européens, ont une vision plus claire : il nous faut du nucléaire pour sortir du charbon. Cette nouvelle approche doit être prise en compte à Bruxelles, mais il reste du chemin à parcourir...
En ce qui concerne la relation bilatérale entre la France et l'Allemagne, chacun doit reconnaître que l'Allemagne s'est trompée, mais que cela a un impact sur nous et que notre sécurité d'approvisionnement électrique dépend très largement d'elle depuis quelques mois, donc de la relance du charbon et du gaz.
Nous sommes aussi plus dépendants de l'Espagne. Je souligne d'ailleurs que l'Allemagne et l'Espagne produisent en 2022 beaucoup plus d'électricité à partir de gaz que les années précédentes, en particulier du fait des difficultés françaises.
Nous devons aussi dire aux Allemands que le nucléaire français n'est plus surpuissant et que nous devons investir fortement ensemble dans les énergies renouvelables, en particulier dans les projets d'éolien en mer. Dans le même temps, ils doivent comprendre que nous attendons d'eux des positions plus neutres sur des dossiers essentiels pour nous.
La position française de rejet du projet de gazoduc MidCat nous isole complètement de nos partenaires espagnols et allemands. Du coup, l'Italie, pragmatique, sort du bois et fait valoir la capacité de ses infrastructures, actuelles ou à venir, à faire face aux besoins. Il y a donc une question de posture et, actuellement, nous sommes très isolés en Europe. Nous devons comprendre les dynamiques qui sont à l'oeuvre. Les Allemands estiment qu'une partie des émissions de cette année sont destinées à servir la France en électricité.
Par ailleurs, je suis d'accord avec le constat selon lequel nous ne sommes plus un modèle pour le reste du monde et je trouve cela extrêmement préoccupant. Les Européens étaient perçus comme très ambitieux sur ces sujets, en particulier en ce qui concerne la fin des énergies fossiles, mais ils subissent aujourd'hui un choc économique majeur. En fait, nous sommes vulnérables à la fois sur les énergies renouvelables, qui n'ont pas été suffisamment développées, et sur les énergies fossiles.
Pour autant, nous disposons d'atouts. Nous pouvons montrer aux autres pays une vision de long terme et intégrée, mais nous devons encore la consolider. Il est envisagé d'aider à fermer les centrales à charbon avant la fin de leur durée de vie technique : c'est une grande opportunité pour nos entreprises. Garder un mix avec du charbon ne pourra que diminuer la compétitivité des pays concernés, tout en ne résolvant pas la question de la pollution. Notre force, pour demain, est de réussir à montrer que nous sommes capables de réaliser l'intégration des marchés : la plupart des pays du monde ne sont pas intégrés avec leurs voisins d'un point de vue des réseaux électriques. À ce titre, l'UE est un modèle à leur proposer. Qui plus est, nous sommes parmi les seuls à pouvoir mobiliser des capitaux moins chers que le marché, ce qui est intéressant dans un contexte de remontée des taux d'intérêt.
La stratégie extérieure du Green Deal reste à construire concrètement. L'Europe a de véritables opportunités, mais nous devons être conscients que certains de nos grands partenaires traditionnels parmi les pays émergents restent attirés par des promesses russes de livraisons d'armes ou de céréales, ce qui est tout de même préoccupant.
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. - Je vous remercie pour vos interventions. Je crois que nous avons bien entendu vos inquiétudes quant aux tergiversations et aux retards de notre pays et de l'Europe. Nous devons réussir à rapprocher des modèles économiques qui ont trop longtemps divergé, ce qui n'est guère facile.
Je suis très préoccupée par la question de la temporalité : tous les jours, j'entends des chefs d'entreprise me dire que le problème, ce n'est pas demain, ce n'est même pas 2023, c'est aujourd'hui ! Nous devons donc aller vite et accepter de prendre des mesures qui peuvent paraître en contradiction avec nos objectifs stratégiques. Les mesures que nous prenons pour protéger les ménages et entreprises européens sont nécessaires, mais elles ne permettent pas de préparer l'avenir, alors même que les investissements nécessaires sont particulièrement élevés pour construire une stratégie européenne de l'énergie. Il y a donc une véritable difficulté de calendrier.
Je conclus en disant qu'aujourd'hui les collectivités territoriales n'ont plus du tout les capacités financières pour faire face. Elles savent à peine comment finir l'année 2022 et s'inquiètent énormément pour 2023.
Mme María Eugenia Sanin. - J'ajoute que les marchés réagissent aux politiques publiques : s'ils voient que les financements publics s'orientent vers les énergies fossiles pour « passer le cap », nous disposerons d'encore moins de ressources pour le développement des énergies renouvelables.
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - Vous nous avez dit que nous étions dans un modèle martial, c'est-à-dire dans une forme d'économie de guerre, mais sans que nous l'assumions ni l'acceptions. Les populations et les institutions doivent gérer ce paradoxe. Je crois que beaucoup de gens n'ont pas encore vraiment compris qu'il y avait un conflit à 3 000 kilomètres de chez eux. Cela explique peut-être les difficultés que nous avons à faire passer les messages à nos concitoyens sur la sobriété, l'inflation ou l'augmentation des coûts de l'énergie.
Nous devons tous contribuer à mieux expliquer les choses, y compris la Commission européenne qui doit apparaître comme positionnée en soutien de la population et des États membres.
La configuration que nous connaissons est assez dramatique : effondrement de plusieurs monnaies, inflation considérable, problèmes d'économies d'énergie, nombre de gens vulnérables, que ce soit pour se chauffer, se loger ou se nourrir, etc.
Je n'ai pas un tempérament pessimiste, mais je suis inquiet. Nous ne voulons évidemment pas de la guerre, mais nous devons nous y préparer !
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 11 h 10.