Jeudi 7 juillet 2022
- Présidence de M. Stéphane Artano, président -
Audition dans le cadre du suivi de l'étude de la délégation sur les risques naturels dans les outre-mer
M. Stéphane Artano, président. - Monsieur le directeur général adjoint, messieurs, chers collègues, dans le cadre de son programme de travail, la délégation sénatoriale aux outre-mer souhaite mettre l'accent sur le suivi des recommandations de ses précédents rapports, parallèlement à la conduite de nouvelles études, afin de renforcer leur mise en oeuvre.
Je vous rappelle qu'en 2018 la délégation a entrepris une vaste étude relative aux risques naturels auxquels sont exposés les outre-mer, à la suite de l'ouragan Irma de septembre 2017 qui avait dévasté Saint-Barthélemy et Saint-Martin et causé un réel traumatisme pour les populations.
Après un premier volet consacré à la prévention des risques et à la gestion de l'urgence en cas de catastrophe naturelle, la délégation s'est intéressée dans un second volet à la reconstruction et la résilience des territoires.
Près de cinq ans après Irma, où en est-on en matière de prévention et de reconstruction post catastrophe naturelle dans les outre-mer ? Sous la coordination de Guillaume Arnell, le précédent sénateur de Saint-Martin qui a remarquablement conduit ce dossier, les deux rapports de nos collègues Victoire Jasmin, Mathieu Darnaud, Abdallah Hassani et Jean-François Rapin constituent un ensemble dense et cohérent ayant abouti à la formulation de cent recommandations destinées à l'ensemble des acteurs de la gestion des risques.
Afin de dresser un premier état des lieux, et ce, un an après l'achèvement de la mission du délégué interministériel Frédéric Mortier qui avait suscité beaucoup d'espoir d'évolutions sur ce dossier, nous accueillons ce matin les services de l'État concernés.
Le ministère des outre-mer est représenté par Frédéric Joram, directeur général adjoint de la direction générale des outre-mer (DGOM), Stanislas Alfonsi, adjoint à la sous-directrice des politiques publiques, Alain Carton, chargé de mission, en charge du Plan sargasses, Jérémy Devaux, chargé de mission au bureau de l'écologie, du logement, du développement et de l'aménagement durable, et Matthieu Danen, chargé de mission en charge de la sécurité civile.
Le ministère de l'intérieur est représenté par Yves Hocdé, sous-directeur de la préparation, anticipation et gestion de crise, et André Dorso, conseiller outre-mer et territorial, qui relèvent de la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC).
Le ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires est représenté par Yoann La Corte, adjoint à la chef de service des risques naturels et hydrologiques, au sein de la direction générale de la prévention des risques (DGPR).
Messieurs, nous vous remercions vivement de votre présence en force qui témoigne de la forte mobilisation de la DGOM, mais sans doute aussi de la complexité des sujets à traiter, notamment dans le cadre interministériel.
Sur le volet prévention, nous aborderons successivement six thèmes : lutte contre les sargasses, obligations des communes face à l'érosion du littoral, reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle et précision des procédures, meilleure utilisation du fonds Barnier, utilisation du fonds exceptionnel d'investissement (FEI), dispositifs d'alerte et d'information des populations.
Sur le volet résilience, quatre grands thèmes ont été retenus : adaptation des règles de construction au risque cyclonique, risque volcanique à Mayotte, situation et la protection des populations dans la zone des 50 pas géométriques, situation de réassurance et de la couverture assurantielle en matière de risques naturels.
Il est important à nos yeux que cette réunion soit interactive de façon à confronter les mesures aux « réalités vécues sur le terrain ».
Tout ce qui ne sera pas développé aujourd'hui pourra faire l'objet d'échanges ultérieurs par écrit avec les rapporteurs.
M. Frédéric Joram, directeur général adjoint de la direction générale des outre-mer (DGOM), ministère de l'intérieur et des outre-mer. - Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, cette délégation est nombreuse, parce que les sujets relatifs aux risques naturels majeurs outre-mer sont protéiformes et appellent la mobilisation de compétences que l'on trouve dans différents ministères. Nous nous répartirons la parole en fonction des sujets abordés.
Je laisse d'emblée la parole à Alain Carton, en charge du Plan sargasses II.
M. Alain Carton, chargé de mission, en charge du Plan sargasses, direction générale des outre-mer (DGOM), ministère de l'intérieur et des outre-mer. - Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis parti des principales recommandations du rapport de la délégation concernant l'émergence d'un risque inédit, celui des échouements de sargasses dans les îles antillaises.
Ce phénomène n'est plus conjoncturel, mais est devenu permanent au regard des conditions climatiques et courantologiques. Voilà deux jours a été réuni le premier comité de pilotage national du Plan sargasses II, décidé par le Premier ministre au mois de janvier dernier. Les préfets de Guadeloupe, de Martinique et des îles du Nord ont fait le constat qu'il n'y avait plus de saisonnalité, mais que ces algues arrivaient de façon régulière sur la côte Atlantique de leurs territoires.
Pour lutter efficacement contre ce phénomène, il s'agit de mettre en place non plus uniquement une réponse de crise comme cela avait été le cas lors du premier plan, mentionné dans votre rapport, mais un continuum allant du ramassage et de la collecte les plus rapides jusqu'au traitement, voire à la valorisation. Cela implique un volet très important consacré à la recherche et un volet de coopération internationale.
Il est nécessaire de disposer d'un financement pérenne, adapté à la nature des enjeux. C'est ce que les pouvoirs publics ont essayé de mettre en place, avec le soutien des collectivités territoriales des îles concernées, dont on connaît les difficultés financières, humaines parfois, ainsi qu'en matière d'ingénierie. Aussi, les préfets sont en train de mettre en place des comités de pilotages locaux qui se concrétiseront au mois de juillet prochain. Un syndicat mixte ouvert sera créé en Guadeloupe. Il faut que les collectivités territoriales soient engagées dans la démarche, notamment en devenant maîtres d'ouvrage des sites de stockage mis en place dans le cadre du plan 2022-2025.
Ce projet est doté d'un budget de 36 millions d'euros, 6 millions d'euros étant consacrés à la recherche fondamentale, ce qui correspond à un financement de l'ordre de 7,6 millions d'euros annuels, hors recherche. Cela concerne toutes les phases, de l'amont à l'aval : prévention, collecte en amont, financement des barrages en mer, collecte en mer jusqu'aux sites de stockage pérennes ou transitoires. Il inclut également un volet recherche, valorisation et coopération internationale.
Il s'agit donc d'un effort substantiel, trois fois plus important que l'effort précédent. Ce plan a vocation à s'établir dans la durée. Il augmente le cofinancement avec les collectivités locales, celui-ci passant de 30 % à 50 %. Il comprend également l'intervention des fonds européens, comme le Fonds européen de développement régional (Feder), qui sont essentiels pour ces collectivités.
Votre rapport mettait également l'accent sur la problématique sanitaire et la recherche dans ce domaine. Un certain nombre d'études et de relevés ont été établis avec les agences régionales de santé (ARS) et les directions du ministère de la transition écologique concernées, en lien avec la recherche internationale. L'échouement et la présence de ces algues sur de longues périodes provoquent des émissions de gaz - soufre, H2S et NH3 - et d'effluents contenant une grande quantité d'ammoniac.
Un effort de recherche sera entrepris avec l'Ineris (Institut national de l'environnement industriel et des risques), l'Ademe (Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie) et les ARS pour caractériser de façon plus précise les nuages de gaz, revoir l'emplacement des capteurs afin d'avoir une photographie plus réaliste du risque sanitaire. C'est un aspect significatif du Plan sargasses II.
Vous avez proposé de reconnaître les algues sargasses comme un risque naturel, ce qui permettrait de reconnaître l'état de catastrophe naturelle. Pour des raisons liées à la pérennité des échouements, une telle politique ne saurait s'appliquer. Pour autant, c'est l'articulation des différentes actions et leur financement qui répond le mieux à votre proposition, en permettant à la fois de prévenir le risque de santé sur les populations, le risque écologique, le risque économique et le risque social. L'enchaînement des différentes phases prévues par le plan 2022-2025 sera à même de combattre le phénomène des sargasses. Cela prendra du temps et il faudra peut-être plus qu'un deuxième plan. On note déjà des améliorations sur le terrain, grâce à l'installation de barrages en mer ou aux flottilles d'enlèvement en mer, notamment le Sargator. Il faut continuer à développer toutes les parties du plan de la façon la plus cohérente possible.
Mme Victoire Jasmin, rapporteure. - Vos propos nous confortent dans notre analyse. Depuis notre rapport de 2018, la propagation des sargasses a eu des conséquences en termes de santé publique, mais aussi des conséquences économiques et financières. Dans certaines communes, les écoles et les commerces sont contraints de fermer. Par ailleurs, cela a une incidence sur les équipements, industriels ou ménagers, qui subissent une oxydation. Tout cela représente un coût pour les collectivités et pour l'État.
Aujourd'hui, il faut appréhender la situation de façon différente. Ainsi, nous devons exploiter les sargasses comme une ressource ou une matière première - au Mexique par exemple, les sargasses sont utilisées dans la construction pour faire des parpaings. Vous avez évoqué les nuisances liées à l'évaporation des sargasses : plus il fait chaud, plus les émanations de gaz sulfureux - H2S et ammoniac - sont fortes. À l'heure où l'on parle de biocarburants, il faudrait envisager la possibilité d'exploiter et d'extraire l'hydrogène pour en faire une ressource. Ce sont des pistes pour faire des sargasses des ressources pour le territoire, si toutefois les moyens sont engagés à la fois pour la recherche et pour la mise en conformité des stations d'épuration, en particulier en Guadeloupe. On pourrait ainsi remplacer le charbon actif.
À ce stade, nous sommes sur la bonne voie et j'espère que nous allons pouvoir tout mettre en oeuvre pour limiter les conséquences irréversibles de ce phénomène sur la santé humaine, à moyen et à long terme. Voilà quelques années, l'ARS de Guadeloupe a procédé à des tests d'évaluation des taux des émanations de gaz sulfureux ambiant.
M. Dominique Théophile. - Dans le rapport que j'ai rédigé sur la lutte contre les sargasses à l'échelon international, je me demandais si ce phénomène serait régulier. Savoir que la réponse est positive permet de débloquer un certain nombre de choses et de lever un frein pour les industriels.
On constate déjà des avancées en matière de transformation et de valorisation. Ainsi, l'Université Antilles-Guyane et l'Université de Saint-Domingue ont mené une étude sur la fabrication d'un four pyrolyse permettant de produire du charbon actif à partir des sargasses. Dans nos territoires, le charbon actif permet de décontaminer l'eau et d'en extraire le chlordécone pour la rendre potable. À partir de sargasses qui, curieusement, peuvent contenir elles-mêmes du chlordécone, on produit donc du charbon actif pour décontaminer l'eau. Il s'agit donc d'un cercle très vertueux. Puisque l'on sait maintenant que l'apparition des sargasses est un phénomène régulier, les industriels peuvent s'investir sans craindre de se retrouver sans stock. Il faudrait que la DGOM se saisisse de ce sujet.
Si l'on sait désormais valoriser les sargasses, certaines nuisances existent toujours : elles concernent notamment les zones de stockage. Pour juguler le problème, il faut faire un épandage des sargasses de moins de vingt centimètres d'épaisseur ; or cela représenterait presque la moitié du territoire de la Guadeloupe ! Il faut donc trouver une solution.
À Capesterre-de-Marie-Galante, le lixiviat des sargasses pénètre dans la nappe phréatique. Heureusement, ces sargasses ne contiennent pas de chlordécone, sinon, cela aurait été la catastrophe !
Dans certains autres territoires, les sargasses sont contaminées par le chlordécone. Si le stockage est prévu dans une zone non chlordéconée, vous transportez du chlordécone dans une zone non chlordéconée et contaminez l'eau ! Or on sait aujourd'hui que la rémanence de la chlordécone est de plus de 700 ans. C'est donc une situation très inquiétante.
Dans le cadre de la mission qui m'a été confiée, je suis notamment allé à Saint-Domingue. Une expérimentation en autoproduction y est menée, avec des containers déjà usagés appelés « derniers voyages » : on fait passer les sargasses dans des fours alimentés par des panneaux photovoltaïques, ce qui ne coûte pas cher du tout. Les sargasses étant constituées à 85 % ou 90 % d'eau, on récupère ensuite des feuilles qui sont assemblées en ballots et stockées sur des liners.
Il faut aussi se tourner vers le ramassage, puisque le matériel amphibie, qui existe pourtant, tarde à venir pour aller récupérer les sargasses fraîches. Une fois que l'échouement a eu lieu, le travail est multiplié par quatre !
Certaines plages sont dénaturées par le ramassage des sargasses, parce que le matériel n'est pas adéquat : les machines ramassent 90 % de sable et 10 % de sargasses. Il faut du matériel amphibie moderne et arrêter les pelles mécaniques qui ne sont pas dédiées à cela.
Il est question d'un budget de 36 millions d'euros. Peut-être que, d'ici quelques années, on n'aura plus besoin d'une telle somme, mais, aujourd'hui, c'est dérisoire : 6 millions d'euros étant déjà consacrés à la recherche, il reste très peu pour participer au ramassage. D'après mes calculs, ce ne sont pas moins de 350 millions d'euros qu'il faudrait mobiliser pour la seule Guadeloupe !
Il faut aborder cette problématique avec précaution pour prévenir les revendications et éviter que, malgré l'effort de l'État, les résultats ne soient pas visibles. La recherche avance à son rythme : elle nous a appris que le phénomène était récurrent. Les prochaines étapes concernent la télédétection, la météo des sargasses, la prévention et la préparation du ramassage.
Ce phénomène devient pour nous un frein non seulement environnemental, mais aussi en termes de santé. Il bloque l'économie. Dans la commune de Capesterre-de-Marie-Galante, 85 % des restaurants sont fermés, alors même que le tourisme a une place prépondérante.
Le rapport de la délégation est très précieux pour aller plus loin.
Mme Jocelyne Guidez. - Habitant aussi le Diamant, en Martinique, je partage les propos de mes collègues. Le plus gros problème, c'est le ramassage, qui représente un coût pour la collectivité. Dans ma commune, les algues ne sont même plus ramassées : des tas sont amoncelés sur les plages, ce qui provoque des nuisances olfactives importantes et fait fuir les touristes ! Ils rentrent des Antilles en expliquant que se baigner est un problème à cause des algues et des odeurs dégagées par ces amoncellements.
Vous avez parlé des barrages en mer. Cela peut en effet être une bonne solution pour empêcher que les algues n'arrivent sur les plages, mais quid du financement ? Allez-vous les mettre en place ou s'agit-il seulement d'une expérimentation ?
M. Alain Carton. - Nous vous fournirons une synthèse pour répondre à toutes ces questions et vous indiquer l'état d'avancement du plan dans quelques mois, lorsque nous disposerons des premiers résultats.
Vous avez insisté sur la recherche. C'est en effet un élément fondamental. Il faut savoir que les études qui ont été mises en place à la suite de l'appel à projets international de l'Agence nationale de la recherche ont été retardées, parfois de plusieurs mois, parfois de deux ans, pour des raisons liées au covid, aux difficultés à trouver les cofinancements, notamment européens, ainsi qu'à des difficultés entre laboratoires.
Les résultats arriveront dans le courant de l'année 2023. Ils sont nécessaires pour aborder la deuxième phase.
Sur la valorisation, nous partageons votre analyse. Il y a aussi la valorisation des sédiments des sites de stockage. Vous avez raison, la sargasse peut être bénéfique comme elle est maléfique. Le point le plus sensible du plan 2022-2025 concerne les conditions de stockage, transitoire et pérenne : c'est en effet ce qui permettra ensuite la valorisation et l'enlèvement définitif. À l'échelon réglementaire, la sargasse n'est pas considérée comme un déchet : les sites de stockage ne sont pas assimilables à des sites d'enfouissement de déchets et ne figurent pas dans la réglementation ICPE (installation classée pour la protection de l'environnement). Il a été autorisé par l'État que les préfets des territoires concernés usent de leur droit de dérogation pour mettre en place une réglementation spécifique, qui se fondera sur les éléments de recherche sur les meilleurs traitements possibles. Certains sites pourront déployer des processus issus des recherches les plus récentes et seront gérés localement.
La maîtrise foncière est une autre condition. À l'heure actuelle, on utilise du foncier transitoire qui est du foncier public, mais il faudra des acquisitions foncières. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle des crédits en vue de l'acquisition de sites de stockage à proprement parler sont prévus dans le plan.
M. Stéphane Artano, président. - Je propose de passer au deuxième thème : les obligations des communes face à l'érosion du littoral.
M. Stanislas Alfonsi, adjoint à la sous-directrice des politiques publiques, direction générale des outre-mer (DGOM), ministère de l'intérieur et des outre-mer. - Les obligations des communes face à l'érosion du littoral constituent une thématique qui devient de plus en plus prégnante dans le rôle joué par les autorités, quel que soit leur niveau, qu'elles relèvent de l'État ou des collectivités territoriales. Chacune de ces autorités a un rôle particulier et les communes sont concernées également.
Je commencerai par rappeler les deux plans principaux qui intéressent cette thématique, à savoir les plans de prévention des risques naturels prévisibles (PPRN) et les plans de prévention des risques littoraux (PPRL), qui sont des PPRN traitant des risques de submersion marine. J'indiquerai ensuite les évolutions législatives et réglementaires actuelles et à venir récentes liées en particulier à l'adoption de la loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite Climat et résilience, et à l'ordonnance prise au mois d'avril 2022.
Un plan de prévention des risques naturels est un document réglementaire établi par l'État, en concertation avec les collectivités territoriales. Il réglemente l'utilisation et l'occupation des sols. C'est le préfet qui conduit cette élaboration, mais il le fait dans un cadre très normé. Son but est de prendre en compte les risques naturels dans l'aménagement du territoire. Les cinq départements et régions d'outre-mer sont soumis à cette obligation d'élaboration et d'application de mise en oeuvre des PPRN, tout comme Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon au titre de l'identité législative.
Un plan de prévention des risques littoraux est un document supplémentaire qui définit les secteurs littoraux sur l'initiative du préfet, en concertation avec les communes. Il s'agit de rendre purement et simplement inconstructibles les secteurs les plus exposés et de faire en sorte de limiter la construction et la constructibilité là où un risque est à venir. On parle bien de prévention : il s'agit non pas d'apporter un remède en fonction de la réalisation du risque, mais plutôt d'empêcher les conséquences liées à ce risque. De ce point de vue, le rôle des collectivités territoriales, notamment des communes, est absolument crucial dans l'application de ces plans produits par l'État, en concertation avec les parties prenantes et qui sont des servitudes opposables.
Ces prescriptions doivent être intégrées dans certains documents d'urbanisme opposables aux tiers, comme les plans locaux d'urbanisme (PLU) ou les plans locaux d'urbanisme intercommunaux (PLUi). Ces plans de prévention doit être considérés par les communes comme des outils permettant de penser l'aménagement au mieux du territoire et des populations et non comme une contrainte.
Le plan de prévention des risques naturels à Saint-Martin, qui a dû être adopté postérieurement à l'ouragan Irma, a nécessité une concertation longue et suscité des oppositions et des incompréhensions. Malgré des faits douloureux - des morts, des destructions massives -, certaines parties prenantes nourrissaient encore une forte réticence vis-à-vis de ce document de prévention.
L'érosion du littoral est un phénomène naturel et continu, qui est actuellement en voie d'accélération. La situation a un peu évolué : aujourd'hui, le recul du trait de côte est en grande partie lié à l'élévation du niveau moyen des mers, phénomène probablement lui-même lié au réchauffement climatique.
Sa cinétique et son ampleur en font un phénomène prévisible. On n'est donc pas face à une situation de crise, comme un ouragan. Par conséquent, au sens du code de l'environnement, l'érosion du littoral n'est plus aujourd'hui forcément à considérer comme un risque naturel au sens d'un aléa totalement imprévisible : c'est une évolution qui devra être prise en compte dans les plans de prévention et dans l'aménagement.
Le Parlement s'est saisi de cette question et a adopté au mois d'août 2021 la loi dite Climat et résilience. Ce texte vise à créer les conditions pour l'adoption d'outils à mettre à disposition des communes pour faire en sorte qu'elles puissent agir face à cette problématique. Elle a été complétée par une ordonnance adoptée au mois d'avril 2022, qui prévoit le droit de préemption spécifique pour l'adaptation des territoires au recul du trait de côte, c'est-à-dire des baux de long terme avec des mécanismes de résiliation et d'échéances qui tiennent compte de l'évolution prévisible du trait de côte. Il existe également le bail réel d'adaptation à la région côtière, qui vise à peu près les mêmes objectifs.
Cette dimension passe également par l'information, notamment des locataires.
Enfin se pose la question de l'indemnisation qui peut être accordée à ceux qui sont directement touchés par ces phénomènes. La loi définit des méthodes d'évaluation des biens en prenant en compte le recul du trait de côte.
Une liste des communes concernées a été dressée : 126 dans l'Hexagone et 25 dans les territoires ultramarins. Elles devront engager une procédure de révision de leurs documents structurants. Il s'agira en particulier d'établir une cartographie de l'évolution du trait de côte, selon des termes définis, celle-ci devant être intégrée dans la prévision constituée par les plans de prévention. Cette cartographie est importante parce que son adoption ou non dans des temps donnés permettra ou non à la commune d'avoir recours aux outils contenus dans la loi.
Il existe des possibilités d'éviction pour certaines communes qui se sentiraient moins concernées à court terme, notamment parce que leur plan de prévention des risques littoraux serait déjà d'un niveau d'exigence élevé. Dans ce cas, les outils liés à cette inscription ne sont pas directement utilisables.
Tels sont les outils que nous construisons ensemble, État, Parlement, collectivités territoriales.
M. Yoann La Corte, adjoint à la chef de service des risques naturels et hydrologiques, direction générale de la prévention des risques (DGPR), ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires. - J'apporterai deux précisions d'ordre général.
En raison du dérèglement climatique, nous sommes confrontés à l'échelle globale à une augmentation du niveau moyen de la mer, ce qui a conduit l'État à mettre en place une série d'outils et une réglementation spécifique de façon à adapter les territoires des communes littorales à ces phénomènes prévisibles, donc distincts de ce que l'on appelle, au sens du code de l'environnement, un risque naturel, qui a une caractéristique aléatoire.
Ce qui explique ces deux politiques distinctes : la première, qui dépend de la direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature, qui concerne le recul du trait de côte et le phénomène d'augmentation du niveau moyen de la mer ; la seconde, qui est relative à la prévention des risques naturels, mais qui exclut dorénavant les risques de submersion marine des risques littoraux.
De ce fait, grâce à ces outils, il n'est plus nécessaire de traiter le recul du trait de côte dans les plans de prévention des risques littoraux. Les PPR sont établis par l'État, en association avec les collectivités territoriales, approuvés par le préfet de département. Ils font l'objet d'une enquête publique, mais pas d'une enquête d'utilité publique.
Mme Victoire Jasmin, rapporteure. - Sur ces questions, je rappelle l'insatisfaction des maires de n'avoir pu être entendus. Ils regrettent que les dispositions s'appliquent sans qu'il y ait eu d'échanges préalables avec les élus concernés.
Les risques naturels majeurs font peser un risque sur les personnes et les biens. Il faut mettre l'accent sur certaines incompréhensions, parce qu'il y a des disparités dans les territoires. Ainsi, en Guadeloupe, neuf communes sont concernées.
Pour être retournée à Saint-Martin, j'ai constaté que des disparités d'approche demeuraient entre les devoirs des communes et certains services de l'État, lesquels sont vécus de façon très douloureuse par les populations. Il est vrai que c'était avant l'adoption de la loi Climat et résilience. Après l'ouragan Irma, certaines personnes qui détenaient des maisons depuis plusieurs générations ont eu des difficultés avec leurs assurances.
On constate une bétonisation des espaces littoraux, en particulier en Guadeloupe, sans toujours une autorisation explicite : certains utilisent le littoral comme ils veulent, sans être inquiétés et, quand certains maires cherchent à intervenir, parce qu'ils sont responsables de la sécurité sur leur commune, on note également des disparités, pour le dire ainsi.
Il serait temps d'uniformiser les pratiques, qui plus est en tenant compte de la question des 50 pas géométriques. On fait porter aux maires de nombreuses responsabilités ; certes, ils doivent informer la population, mettre à jour les documents de prévention, mais il faudrait de la cohérence dans la réponse apportée à la fois par les maires et par les services de l'État. Ce n'est pas toujours le cas. C'est pour moi l'occasion de dire qu'il faut changer les pratiques afin qu'on soit tout le temps en conformité par rapport au droit en vigueur.
Sur nos territoires, les risques de tsunamis et d'ouragans sont sérieux, avec des conséquences assurancielles. On constate de plus en plus que les assureurs refusent d'assumer ces risques. L'État ne joue pas pleinement son rôle : j'aurais souhaité qu'il écoute et accompagne les maires et contribue à la prévention. Pour éviter les disparités, il faut des comportements conformes sur tout le territoire.
M. Yoann La Corte. - Je vous remercie d'avoir souligné la complexité de la question de la prévention des risques sur l'ensemble du territoire national, mais singulièrement en outre-mer. Vous avez évoqué les risques liés à la densification du bâti sur le littoral.
Nous disposons d'outils : d'une part, le plan de prévention des risques naturels, qui est ancien, qui peut être, comme on le dit dans notre jargon technique, multi-aléa, c'est-à-dire qu'il peut prendre en compte diverses natures de risques - mouvements de terrain, inondations... Tous les départements et régions d'outre-mer (DROM), à l'exception de Mayotte, sont couverts par un tel plan, qui a vocation à limiter l'utilisation des sols en fonction de la connaissance du risque, sans pour autant avoir pour objet de maîtriser l'urbanisation, puisque ce ne sont pas des documents d'aménagement ou d'urbanisme, de type PLU. En ce sens, il n'autorise pas les constructions, mais il s'y oppose ou les accompagne de prescriptions.
Bien qu'ancien, cet outil est éprouvé et doit continuer à produire ses effets sur l'ensemble du territoire. À cet égard, l'action des maires est essentielle, puisque ceux-ci doivent, au travers du plan communal de sauvegarde et du dossier communal d'information sur les risques majeurs, tenir compte de ce qu'indique le PPR en termes de risques et adapter toute l'information des populations sur cette base.
Comme vous l'avez indiqué, sur les 50 pas géométriques et le retrait du trait de côte, la complexité est réelle, y compris du point de vue du réglementaire.
Sur les tsunamis et le risque cyclonique, le gouvernement a souhaité mettre en place, notamment à la suite de l'ouragan Irma, une réglementation relative à la construction paracyclonique, laquelle est sur le point d'aboutir et tient compte des spécificités de chacun des territoires ultramarins. Elle ne sera donc pas uniforme.
Enfin, vous avez mentionné le retrait de certains assureurs de certains territoires. Là aussi, ce constat n'est malheureusement pas spécifique aux outre-mer. Cette problématique relève du ministère de l'économie et des finances et fait l'objet d'attention de la part des services de l'État.
M. Stanislas Alfonsi. - Si les disparités que vous évoquez existent, il faut les porter à la connaissance des services de l'État, en particulier des préfets, de façon à pouvoir y remédier.
On le voit, les réglementations évoluent : il n'est qu'à citer la loi Climat et résilience et l'ordonnance d'avril 2022. Nous sommes donc peut-être dans une période un peu frictionnelle durant laquelle chacun doit trouver ses marques et la bonne manière de s'articuler avec les autres acteurs.
M. Stéphane Artano, président. - Venons-en maintenant au troisième thème, la reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle et une précision sur les procédures.
M. Yves Hocdé, sous-directeur de la préparation, l'anticipation et de la gestion des crises, direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC), ministère de l'intérieur et des outre-mer. - Mesdames, messieurs les sénateurs, dans votre rapport, vous avez proposé la consolidation de la place des outre-mer au sein du régime des risques naturels.
Je rappelle que l'ensemble de la procédure de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle est défini à l'article L. 121-5 du code des assurances. Cette procédure passe après déclaration auprès des assureurs par le biais de la demande des maires auprès des préfets et différents hauts-commissaires sur les territoires ultramarins, remonte jusqu'au ministère de l'intérieur pour instruction, puis passe en commission interministérielle. Cette dernière émet un avis simple qui fait ensuite l'objet d'un arrêté ministériel conjoint de tous les ministères concernés.
La place des outre-mer est bien consolidée, la direction générale des outre-mer siège au sein de cette commission interministérielle en tant que de besoin et le ministre des outre-mer est également signataire de l'arrêté ministériel.
Depuis 2018, aucun département et collectivité d'outre-mer n'a été frappé par une catastrophe naturelle au sens de phénomène exceptionnel, alors que l'année 2017 avait été très marquée par les cyclones Irma et Maria aux Antilles. En revanche, de nombreux événements significatifs, qui ne sont pas pour autant des phénomènes exceptionnels, ont été reconnus : les tempêtes tropicales Berguitta et Fakir à La Réunion, les essaims sismiques à Mayotte, les ondes tropicales en Martinique et en Guadeloupe, le cyclone Batsirai à La Réunion.
Depuis 2018, 139 communes ont été reconnues comme étant victimes de catastrophes naturelles : inondations, mouvements de terrain, submersions marines, séismes, les vents cycloniques n'ayant pas été reconnus au cours de cette période.
Il n'y a donc pas de discrimination ultramarine en matière de reconnaissance d'état de catastrophe naturelle : dès lors que le phénomène le justifie, la demande est instruite et il lui est donné une suite favorable, autant que possible.
Mme Victoire Jasmin, rapporteure. - Récemment, des phénomènes orageux ont touché une partie du territoire de la Guadeloupe. Certes, l'état de catastrophe naturelle a été reconnu, mais on peut tout de même regretter les délais de publication des décrets d'application. Peut-être était-ce dû à la période électorale...
M. Stéphane Artano, président. - Nous passons maintenant au point relatif à la meilleure utilisation du fonds Barnier.
M. Yoann La Corte. - Votre rapport contient un certain nombre de recommandations concernant le fonds Barnier et prône un assouplissement de ses conditions d'emploi.
Depuis le 1er janvier 2021, l'ancien fonds Barnier est intégré au budget général de l'État. Il s'agit donc non plus d'un fonds, mais d'un dispositif géré comme tous les crédits du budget de l'État, c'est-à-dire voté par le Parlement en loi de finances. Il est ensuite géré par la direction générale de la prévention des risques, au sein du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, dans un cadre fixé par le code de l'environnement.
Grâce à cette budgétisation, les moyens de ce fonds ont considérablement augmenté : la loi de finances de 2022 a prévu un montant de 235 millions d'euros, ce qui est tout à fait considérable. Cela permet de répondre aux besoins de tout l'Hexagone, mais également de tous les DROM ; qui plus est, il permet d'intervenir à Saint-Pierre-et-Miquelon, Saint-Martin, Saint-Barthélemy.
Le plan Séisme Antilles a vu sa période de validité étendue jusqu'au 31 décembre 2027, ce qui permet d'étendre les moyens de financement dans le temps. On a également étendu le soutien permis aux travaux, études et travaux de réduction de la vulnérabilité des établissements scolaires aux établissements privés, ce qui répond à vos recommandations.
S'agissant de la réduction de la vulnérabilité individuelle, spécifiquement pour l'aléa sismique qui pourrait avoir des conséquences dramatiques sur les Antilles, le plan Séisme Antilles a permis d'étendre le taux de subvention à 80 % pour les biens à usage d'habitation, ce qui n'était pas le cas auparavant, puisque cela concernait uniquement le risque inondation. La spécificité de ce risque pour les Antilles a été prise en compte.
Enfin, s'agissant de la mesure dite Letchimy portant sur l'habitat informel, on a prorogé sans limitation dans le temps la possibilité de faire des acquisitions à l'amiable de biens d'habitat informel et de biens sans titre, dans la limite d'un montant de 40 000 euros. L'État et le gouvernement ont su entendre vos recommandations.
J'en viens aux bâtiments de l'État nécessaires à la gestion de crise sur lesquels vous aviez également porté vos analyses. L'État contribue via le fonds Barnier à la réduction de la vulnérabilité de ces bâtiments, dans la limite de 50 %. Les budgets de l'État sont appelés à apporter le complément selon leurs compétences.
J'ajoute que le plan de relance a apporté 50 millions d'euros en complément. Par ailleurs, le fonds permet également de soutenir des mesures d'information préventive. La Journée nationale de la résilience, qui dépend conjointement des trois ministères, permettra là aussi d'acculturer le plus grand nombre de nos concitoyens à ces enjeux.
Mme Victoire Jasmin, rapporteure. - Il est vrai qu'il y a eu des avancées, mais les critères d'accès nous inquiètent. En effet, les collectivités sont pour la plupart en grande difficulté et les fonds propres ne sont pas forcément disponibles. Nous avons donc souhaité dans ce rapport une autre approche, car les critères d'accès sont à revoir. L'extension du plan jusqu'à 2027 permet aux collectivités de pouvoir s'en emparer, d'autant que beaucoup d'établissements scolaires n'étaient pas forcément en conformité par rapport aux différents risques. Maintenant que les risques sont accrus du fait des problématiques relatives au climat, il faut vraiment aider ces communes.
De nombreux services de l'État aussi sont menacés, les écoles, qu'elles soient publiques ou privées, devraient, dans la mesure où elles sont reconnues d'utilité publique, en bénéficier. C'est une avancée, mais il faut aider les collectivités.
M. Yoann La Corte. - Sur la période 2007-2019, plus d'un milliard d'euros ont été investis dans des travaux de réduction de la vulnérabilité via le plan Séisme Antilles. Au total, la participation de l'État s'élève à 450 millions d'euros. Que nous ayons pu non seulement obtenir les autorisations d'engagement de crédit, mais également déployer des crédits de paiement indique que les projets se concrétisent sur le terrain.
S'agissant des conditions précises de financement, nous n'avions pas décelé, de notre côté, de difficultés particulières. En revanche, il nous semble, du point de vue de l'administration centrale, que le rythme d'avancement des travaux dépend notamment de la capacité technique des collectivités territoriales intéressées à mobiliser des personnes et à dégager le temps nécessaire. Peut-être serait-il opportun de réfléchir, en concertation avec les services déconcentrés de l'État, à l'amélioration de l'appui technique aux collectivités, en mettant à leur disposition des compétences d'ingénierie ou en suivant des logiques de guichet unique pour les demandes de subventions.
Globalement, le plan Séisme Antilles nous semble un succès collectif de la puissance publique. Pour la période 2020-2027, un milliard d'euros supplémentaires d'engagements sont prévus, dont 50 % proviennent du fonds Barnier. Cela montre combien l'État croit dans la capacité collective des acteurs à faire aboutir les réalisations sur le terrain.
Mme Victoire Jasmin, rapporteure. - Le président Stéphane Artano me faisait remarquer qu'il est possible de demander un appui technique à l'Agence française de développement (AFD)...
M. Stéphane Artano, président. - En effet. Il reste néanmoins à clarifier qui doit venir en soutien des collectivités : l'Agence nationale de cohésion des territoires ou l'AFD, en tant que guichet unique.
M. Yoann La Corte. - S'agissant de l'AFD, la recommandation que vous avez formulée, madame la sénatrice, nécessite bien une mesure législative. Nous sommes disposés à l'étudier et l'envisagerions favorablement le cas échéant.
M. Stéphane Artano, président. - Nous passons à présent à l'utilisation du fonds exceptionnel d'investissement (FEI).
M. Frédéric Joram, directeur général adjoint au sein de la Direction générale des outre-mer (DGOM), ministère de l'intérieur et des outre-mer. - Créé par la loi en 2009, le fonds exceptionnel d'investissement (FEI) - dont l'enveloppe inscrite au budget de l'État s'élève à 110 millions d'euros par an - a pour vocation de financer, sur décision du ministre des outre-mer, des projets prioritaires portés par les collectivités territoriales dans les différents territoires d'outre-mer.
Vous recommandez dans votre rapport, madame la sénatrice, de dédier une partie prédéfinie du FEI à la prévention des risques. Permettez-moi d'abord de rappeler les termes du décret encadrant l'utilisation du FEI : les projets d'investissement doivent porter sur « la réalisation ou la modernisation d'infrastructures ou d'équipements publics à usage collectif participant de façon déterminante, de manière directe ou indirecte, au développement économique, social, environnemental et énergétique des collectivités concernées ».
Si la prévention des risques ne figure pas, de fait, parmi les priorités du FEI, rien n'empêche de recourir à ce dernier pour financer des projets contribuant à cet objectif. Ainsi, entre 2019 et 2022, vingt-neuf projets liés à la prévention des risques naturels et à l'adaptation des territoires aux aléas ont été financés grâce au FEI pour un montant d'environ 29 millions d'euros. Citons par exemple le confortement parasismique d'un groupe scolaire en Guadeloupe en 2019, l'abri anticyclonique au sein d'un collège à Saint-Martin en 2020, des travaux de protection contre les inondations en Martinique en 2020 également ou encore la réhabilitation d'une médiathèque en abri anticyclonique en 2021 à Saint-Martin.
En revanche, l'idée consistant à flécher l'enveloppe du FEI sur des thématiques précises est assez contraire au principe même du FEI. J'observe qu'un récent rapport du Sénat critique précisément le fait que le FEI prévoie des enveloppes pré-identifiées pour des constructions scolaires à Mayotte et pour des projets sportifs. Selon nous, le FEI doit rester un outil général répondant à des priorités fixées par le ministre des outre-mer.
Rappelons enfin que d'autres sources de financement peuvent être mobilisées, à des échelles plus importantes, pour des projets contribuant à la prévention des risques naturels. C'est le cas de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) ou de tous les projets que les collectivités et l'État peuvent inscrire dans le cadre des contrats pluriannuels de convergence et de transformation.
Mme Victoire Jasmin, rapporteure. - Une plus grande cohérence, une plus grande complémentarité, voire des synergies entre les différents services sont nécessaires. L'utilisation des fonds manque parfois de transparence.
Vous avez apporté un certain nombre de réponses au sujet du fonds Barnier. Nous devons par ailleurs poursuivre la dotation des collectivités en sirènes d'alarme, mais aussi acculturer les populations. Sur l'initiative des préfets et des maires, des exercices sont organisés dans certains territoires et je m'en réjouis, mais ne pourrait-on pas trouver les voies et les moyens de sensibiliser plus largement la population au quotidien, au-delà des établissements scolaires et des collectivités territoriales ?
Les entreprises sont également concernées. Le FEI pourrait-il soutenir une démarche volontariste envers les chefs d'entreprise ? Dans les plans de prévention, il y a en effet l'avant, le pendant et l'après. Et dans l'après, nous avons besoin des entreprises. Pourrions-nous impulser une véritable dynamique favorable à la continuité des activités ?
M. Frédéric Joram. - Le FEI est un outil dédié au financement de projets portés par les collectivités. Il ne peut financer des projets relevant du secteur privé.
M. Yves Hocdé. - L'acculturation des populations est un enjeu très important. Les préfets planifient des actions locales en la matière et la loi du 25 novembre 2021 prévoit, dans le cadre des plans communaux de sauvegarde, que les maires organisent régulièrement des exercices faisant intervenir la population. Notre feuille de route gouvernementale « tous résilients face aux risques » vise par ailleurs à l'acculturation des populations de l'ensemble des territoires, métropolitains et ultramarins. C'est dans ce cadre que le 13 octobre prochain, les ministères en charge de l'environnement, du travail, de l'éducation nationale et des outre-mer participeront à une Journée nationale de la résilience. Grâce notamment à des formations, des exercices ou des démonstrations, cette journée doit informer les populations et les sensibiliser à la prévention des risques.
Il est en effet capital que les populations adoptent les bons réflexes dès lors que l'événement survient, quelle que soit sa nature. En complément des plans communaux de sauvegarde et du plan Orsec, la journée du 13 octobre constitue un point d'orgue, mais c'est tout au long de l'année que le couple préfet-maire doit, en la matière, mettre en place des actions en lien avec l'ensemble des acteurs locaux, associatifs ou privés.
Enfin, la loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale, dite 3DS, prévoit, particulièrement dans les territoires ultramarins, que les employeurs privés comme publics mettent en place des formations ou des actions de sensibilisation à destination de leurs salariés et employés dans le but de diffuser cette culture du risque. Tous ces instruments vont dans le sens d'une meilleure réponse organisée de la population en cas d'événement.
M. Dominique Théophile. - La circulaire FEI 2022 a été envoyée en début d'année. Avez-vous reçu depuis, sur la plateforme Subventia, des demandes de financement portant sur des projets liés à la prévention des risques ?
M. Frédéric Joram. - Je me réjouis que vous connaissiez l'application Subventia, qui est proposée par le ministère des outre-mer afin de faciliter le dépôt des dossiers par les collectivités, mais aussi, dans d'autres domaines, par les particuliers.
Parmi les propositions 2022 figurent en effet des projets ayant pour vocation de contribuer à la prévention des risques. Je ne saurais vous en dire plus à ce stade, mais nous vous en communiquerons le détail ultérieurement.
Mme Victoire Jasmin, rapporteure. - Puisque le FEI ne leur est pas accessible, quelles sont les possibilités que la loi 3DS offre aux entreprises ? Certaines d'entre elles sont proactives en matière de prévention des risques, d'autres plus à la traîne. Or, devant les risques auxquels nous sommes confrontés, nous devons impliquer l'ensemble des acteurs sociaux et économiques. Les conséquences d'un événement peuvent être en effet aggravées du fait d'une mauvaise préparation. Nous l'avons constaté à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy, à la suite des ouragans Irma et Maria, où le degré de préparation divers aux événements a entraîné des conséquences différenciées sur le moyen et le long terme.
Il est important que les entreprises soient beaucoup mieux préparées. Je note que peu de temps après l'ouragan était organisée, à Saint-Barthélemy, l'arrivée de la Transat AG2R La Mondiale. Lorsque je me suis rendue sur place, j'ai constaté que tout était prêt. Sans faire de comparaisons inutiles, il m'a semblé que les entreprises étaient beaucoup mieux préparées qu'à Saint-Martin.
Si cette approche préparatoire est déjà à l'oeuvre dans certains établissements publics, il en est autrement dans les entreprises. Comment peut-on évaluer les dispositifs prévus par la loi 3DS et comment peut-on accompagner les entreprises qui souhaiteraient mettre en place des actions de prévention et qui n'en auraient pas les moyens ?
M. Yves Hocdé. - Nous avons bien identifié cet enjeu autour du monde professionnel privé. Outre les dispositions relatives au plan communal de sauvegarde, d'autres seront soumises prochainement au Parlement dans le cadre du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi) : elles viseraient à faire en sorte que tout employeur privé dispose d'un salarié compétent, qui serait chargé de sensibiliser les salariés à la prévention des risques au sein de l'entreprise. La formation de ces salariés serait rendue obligatoire et prise en charge par les organismes paritaires collecteurs agréés. Cela permettrait de diffuser la culture du risque au sein des entreprises.
M. Yoann La Corte. - Je rappelle que les plans de prévention des risques naturels permettent de financer des mesures de réduction de la vulnérabilité des entreprises grâce à des subventions du fonds Barnier.
Par ailleurs, la Journée de la résilience est importante pour l'ensemble des services de l'État, précisément parce qu'elle vise l'ensemble des composantes de la société. L'objectif est que chacun soit acteur de la prévention et de la sécurité collective. À cet égard, nous nous inscrivons dans des logiques d'exercice, y compris dans les entreprises. Le ministère de la transition écologique a déjà sollicité l'ensemble de ses opérateurs, l'Autorité de sûreté nucléaire, les acteurs des transports et d'autres services de l'État afin que la culture du risque diffuse également dans la sphère économique et professionnelle.
M. Gérard Poadja. - Je constate que les enveloppes de financement sont nombreuses. Ma préoccupation première est toutefois la suivante : on ne peut passer notre temps à expliquer la prévention aux collectivités pour, au bout du compte, éprouver des difficultés à leur indiquer où sont logés les financements après une catastrophe.
En Nouvelle-Calédonie, nous avons les mêmes difficultés qu'ailleurs. Je souhaite que la coordination soit meilleure entre les services de l'État et les collectivités pour que tout le monde ait le même son de cloche. Nous sommes en effet confrontés à différents intervenants. Au départ, il y a l'État, mais ensuite ? À quelle collectivité s'adresse-t-on ? Quand on se rend à la mairie, on s'entend dire que les crédits sont en attente. Mais de qui les attend-on ?
Nous aimerions pouvoir donner des réponses précises, en particulier à nos populations sinistrées. Si d'un côté elles ne peuvent être indemnisées par leur assurance et si dans le même temps les fonds publics n'arrivent pas, cela devient catastrophique.
M. Frédéric Joram. - J'entends, monsieur le sénateur, votre appel à une plus grande clarté de l'information. Je comprends qu'à la suite d'un sinistre notamment une forme de scepticisme puisse s'exprimer devant la complexité apparente des dispositifs qui se mettent en oeuvre. Aux dispositifs d'État évoqués peuvent en effet s'ajouter ceux qui sont portés par des collectivités - gouvernement en Nouvelle-Calédonie, collectivité unique en Martinique ou en Guyane, etc. Au fond, le fait que les collectivités locales se mobilisent en complément de l'État pour porter secours aux sinistrés est plutôt positif. En ce qui concerne l'État, il revient au haut-commissaire ou au préfet d'apporter très vite, dans les premières heures, les premières réponses sur les procédures et les dommages susceptibles d'être indemnisés après un sinistre.
Mme Victoire Jasmin, rapporteure. - Les procédures doivent être simplifiées. On a vu à Saint-Martin combien il a fallu réagir vite. Parfois, les élus prennent des initiatives au pied levé, sans même avoir le temps de passer par des procédures de marchés publics. Or cela peut être répréhensible.
Nous devons travailler en amont à la mise en place de leviers permettant aux élus et aux entreprises de bien se préparer et de faire face aux différents risques, y compris de santé publique. Les procédures avec les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), notamment, pourraient être anticipées, par exemple grâce à des enveloppes préparées au préalable. Les élus ne pourraient, alors, être mis en cause a posteriori dans le cadre du contrôle de la légalité.
Enfin, au sujet de la journée du 13 octobre prochain, je souhaiterais que l'on travaille sur la question des établissements classés Seveso.
M. Yves Hocdé. - Vous avez entièrement raison. La journée du 13 octobre prochain couvre bien l'ensemble des risques, naturels, industriels et technologiques. Les salariés qui travaillent au sein des entreprises classées Seveso sont concernés au premier chef.
Dans le cadre de vos propositions, vous avez émis l'idée d'engager un plan sirènes outre-mer aux Antilles. Cela n'était pas possible, en 2012, lorsque l'État a lancé son système d'alerte et d'information aux populations (SAIP). En effet, les territoires ultramarins ne disposaient pas, comme c'était le cas en métropole, d'un réseau national d'alerte hérité de la guerre 1939-1945. Nous ne disposions pas non plus du système de radio du ministère de l'intérieur reposant sur les infrastructures nationales de partage et de transmission (INPT).
L'évolution de la technologie nous a permis, depuis, d'envisager différemment les choses pour ces territoires. Le cyclone Irma, en 2018, a précipité la réflexion et en 2021 a été prise la décision d'installer douze sirènes aux Antilles. Ces sirènes ont été installées en mai 2022 et sont aujourd'hui en état de fonctionnement.
De la même manière, en juillet 2021, le territoire de Mayotte a été équipé de vingt-trois sirènes, afin notamment de couvrir le risque récemment découvert que représente le volcan sous-marin proche de Petite-Terre. Ces actions ont été prises en charge par l'État, pour un coût total de plus de 2 millions d'euros. Dans le cas particulier de Mayotte, l'État a même pris en charge l'ensemble des coûts préparatoires qu'auraient dû assumer les collectivités locales, qui ne disposaient pas des ressources suffisantes.
Par ailleurs, vous avez émis le besoin, madame la sénatrice, d'étudier la pertinence des conditions de déploiement de la division cellulaire ultramarine. Le dispositif FR-Alert, qui permet d'alerter les populations sur des téléphones mobiles, sera déployé dans les prochaines semaines sur le territoire métropolitain. Il ne le sera dans les territoires ultramarins qu'à la fin 2022, début 2023.
Ce décalage s'explique par l'existence d'une convention-cadre, qui lie l'État et les opérateurs. Cette convention prévoit d'une part que les coûts d'investissement relatifs à l'infrastructure du réseau mis en place par les opérateurs - près de 50 millions d'euros sur l'ensemble du programme - soient remboursés par l'État, d'autre part qu'un protocole permette que le message envoyé soit gratuit pour l'État et à la charge des exploitants. Or dans les territoires ultramarins, les quatre fournisseurs que sont Orange, Free, Bouygues Telecom et SFR ne sont pas les seuls sur le marché. Il existe aussi plusieurs petits opérateurs, qui devront être conventionnés. Au plus tard au premier trimestre 2023, les territoires ultramarins seront néanmoins couverts par FR-Alert, soit au travers de la diffusion cellulaire de quatrième et cinquième générations, soit au travers de SMS géolocalisés (LB-SMS).
M. Michel Dennemont. - Victoire Jasmin a évoqué la responsabilité des maires en cas d'événement imprévu. Je parle d'expérience - j'ai été responsable des marchés publics d'un conseil général pendant plus de vingt ans - : il existe une solution, celle des marchés à bon de commande sans minimum. Par l'utilisation d'un bordereau de prix unique (BPU), cette échappatoire permet, si les règles n'ont pas changé, de rester dans un cadre légal.
M. Stéphane Artano, président. - Je vous propose de passer au volet sur la résilience. Le premier sujet porte sur l'adaptation des règles de construction au risque cyclonique.
M. Yoann La Corte. - Si la qualité de la construction relève stricto sensu de la direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature au ministère de la transition écologique, le champ de la réglementation parasismique est partagé avec la direction générale de la prévention des risques. Je peux donc vous en parler.
À la suite du passage de l'ouragan Irma en 2017, le Gouvernement a souhaité examiner l'opportunité d'une nouvelle réglementation paracyclonique visant à prévenir les effets des vents et améliorer la résistance des territoires exposés. Les enjeux sont assez proches de ceux du risque sismique, dans la mesure où les effets peuvent produire des dommages importants et où le stock de bâtiments n'est pas conçu pour résister. Si nous voulions agir sur la réduction de la vulnérabilité du stock existant, les moyens financiers à mobiliser seraient en effet hors de portée. Aussi l'État a-t-il retenu une logique de flux, en décidant d'agir sur les constructions neuves.
La nouvelle réglementation paracyclonique a vocation à traiter de manière différenciée les territoires concernés d'outre-mer, mais aussi les bâtiments, selon le rôle qu'ils seront amenés à jouer lors du passage du cyclone et dans la gestion de crise consécutive. Techniquement, la réglementation est prête. Elle permettra d'adapter, selon les territoires, la vitesse de référence à laquelle les constructions neuves doivent résister. Elle prévoit également de moduler ces paramètres techniques en fonction des sites et du relief. Il s'agit d'une avancée par rapport à la réglementation européenne existante élaborée dans les années 1980, qui a peu évolué et ne permet pas de tenir compte de tous ces phénomènes. La concertation est en cours avec l'ensemble des acteurs territoriaux concernés. Nous souhaitons qu'elle aboutisse à la mise en oeuvre de la réglementation.
Mme Victoire Jasmin, rapporteure. - En 2021, Guillaume Gontard, Victorin Lurel et Micheline Jacques, ici présente, ont remis au nom de notre délégation un rapport sur la politique du logement dans les outre-mer. Au cours des auditions se sont exprimées des inquiétudes, notamment de la part du Conseil de l'Ordre des architectes, au sujet des normes, qui ne s'appliquent pas toutes aux territoires d'outre-mer. Lorsque certains architectes sensibilisés aux habitats de nos territoires envisagent des solutions adaptées, leurs dossiers sont récusés, faute d'entrer dans les critères. De plus, certains matériaux voient leurs prix flamber. Il serait souhaitable de mettre en place des normes spécifiques à nos territoires.
Mme Micheline Jacques. - À la suite de l'ouragan Irma, les compagnies d'assurances ont mené une enquête sur les habitations de Saint-Barthélemy, afin d'analyser leurs points forts et leurs points faibles en termes de résistance. Elles ont pu, sur cette base, mettre en place des grilles de critères d'assurabilité.
Lorsque vous avez mené vos études sur les normes, avez-vous associé les professionnels du terrain ? Ayant vécu le sinistre, ces derniers savent ce qu'il est possible de faire afin de mieux protéger les populations.
M. Yoann La Corte. - Le ministère de la transition écologique a bien sûr établi son projet de réglementation en étroite concertation avec les professionnels locaux. Nous nous sommes également appuyés sur l'expertise du Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) et nous avons tenu compte des anticipations disponibles sur l'évolution du risque cyclonique à l'horizon 2050. Dans cette perspective, nous avons confié une étude spécifique à Météo-France, à la Caisse centrale de réassurance et à un bureau d'études techniques spécialisé. Il en est ressorti une aggravation du risque cyclonique sur l'océan Indien, qui n'allait pas complètement de soi avant la réalisation de l'étude. Tous ces éléments ont été intégrés au projet de réglementation et, in fine, dans les vitesses de référence auxquelles on demandera aux constructions neuves de résister structurellement, en fonction des territoires.
Naturellement, l'augmentation du niveau de protection offert, y compris pour les bâtiments à usage d'habitation, entraîne une augmentation des coûts, de l'ordre de 0,2 % à 1,8 % pour les bâtiments résidentiels et de 1,3 % à 3,6 % pour le non-résidentiel. Ces augmentations sont significatives, nous en sommes conscients, d'autant que les estimations ont été réalisées avant la crise liée à la guerre en Ukraine et ses incidences sur le coût des matériaux.
Néanmoins, ces études ont montré que, malgré l'augmentation des coûts, le bilan socio-économique pour la collectivité était positif, du moins avant la guerre en Ukraine. Sur la période 2022-2072, cette réglementation paracyclonique permet ainsi d'éviter 2,7 milliards d'euros de dommages. Certains points demandent encore à être approfondis avec la profession, notamment à La Réunion, mais il nous semble opportun, pour l'ensemble des parties prenantes, que cette réglementation puisse aboutir dans les meilleurs délais.
Mme Victoire Jasmin, rapporteure. - Les surcoûts n'ont pas pour seule explication la guerre en Ukraine : le cabotage maritime augmente et des surcoûts considérables sont observés sur les matières premières arrivant par bateau. S'ils devaient se poursuivre, ces derniers auront des conséquences irréversibles sur certaines entreprises. Il convient d'interroger les transporteurs maritimes sur les raisons des augmentations de coût. Elles sont antérieures à la guerre en Ukraine et elles nous inquiètent.
M. Stanislas Alfonsi. - La question de l'augmentation du coût des matériaux se pose de manière insistante depuis plus d'un an. Les travaux publics, la construction constituent une part importante de l'économie des territoires ultramarins. Le ministère des outre-mer a été interpellé à plusieurs reprises par des élus locaux, par des socioprofessionnels, par des entreprises, par des organismes de logement social (OLS).
Nous avons cherché à objectiver les éléments constitutifs de cette augmentation, avant la crise ukrainienne. Nous nous sommes rendu compte que tous n'étaient pas liés à l'augmentation objective du coût des matériaux. Le plan de relance, en apportant une manne considérable d'argent public dans les territoires, a aussi entraîné une surchauffe économique : les prix ont augmenté parce que la demande de travail était largement supérieure à l'offre de travail. Dans ces conditions, l'entrepreneur choisit le client qui paie le plus, souvent au détriment de la commande publique. Nous avons pris le parti de ne pas alimenter cette inflation artificielle.
Nous avons demandé à l'Institut d'émission des départements d'outre-mer (Iedom) d'analyser l'évolution des prix des principaux intrants dans la construction. Il s'est avéré que les variations des coûts des matériaux sur l'année concernée n'avaient rien d'exceptionnel par rapport aux variations rencontrées avant la crise sanitaire. Les données objectives montrent clairement que l'explosion des coûts intervient après la livraison dans les ports...
Mme Victoire Jasmin, rapporteure. - Le rapport que j'évoquais est bien antérieur à la crise ukrainienne.
Mme Micheline Jacques. - Le surcoût a été en partie expliqué par l'estampillage « norme européenne » : certains bois du Brésil, par exemple, doivent être estampillés dans l'Hexagone avant de revenir en Guyane...
Le responsable de l'Iedom de Guadeloupe m'a indiqué que l'Insee n'avait envoyé aucun agent à Saint-Barthélemy depuis 2014. Peut-être gagnerions-nous à ce que l'Insee vienne étudier l'augmentation des prix sur place ?
M. Stanislas Alfonsi. - Nous relaierons cette demande auprès de l'Insee. Je ne peux bien évidemment pas répondre au nom de l'Institut.
Nous avons cherché, dans le cadre du plan Logement outre-mer (PLOM), à répondre à la question de l'estampillage, ainsi qu'à d'autres anomalies. Nous allons prolonger le PLOM d'une année, jusqu'en 2023, pour mener à bien les actions en cours et en dresser le bilan avant de lancer les travaux d'un PLOM de troisième génération. J'ai passé deux ans et demi en Guyane et je ne peux évoquer certaines absurdités sans un certain émoi...
Mme Victoire Jasmin, rapporteure. - Lors de nos auditions, nous avons rencontré des dirigeants de la Croix-Rouge. Lorsqu'ils se rendent outre-mer pour aider les populations en cas de crise, les produits de survie et de première nécessité qu'ils transportent avec eux sont assujettis à l'octroi de mer. Nous avions demandé que ces produits soient exonérés de cette taxe. Qu'en est-il ? La sécurité civile pourrait-elle dresser une liste de ces produits essentiels ?
M. Stanislas Alfonsi. - La question de l'octroi de mer est particulièrement sensible. Il s'agit d'une importante source de revenus pour les collectivités, lesquelles sont à la manoeuvre pour l'établissement des taux et des produits concernés.
À titre personnel, vos demandes me semblent particulièrement fondées. Durant la crise sanitaire, le ministère des outre-mer s'est d'ailleurs interrogé sur la nécessité d'acquitter un octroi de mer sur les vaccins...
Nous partageons vos préoccupations et vos orientations. Tout ce qui pourra permettre de corriger ce type d'anomalies est bienvenu.
M. Dominique Théophile. - Il s'agit d'un vaste débat, que l'on ne peut aborder sans inclure les collectivités locales, notamment les régions. Lorsque je présidais la fédération hospitalière des hôpitaux de Guadeloupe, j'avais bataillé ferme pour exonérer d'octroi de mer les investissements réalisés sur les plateaux techniques. L'État m'avait alors invité à m'adresser à la région.
L'octroi de mer représente certes 40 % des recettes des collectivités, mais n'est-il pas l'une des causes de la vie chère ? Nous n'avons pas encore la réponse à cette question. Pour autant, si nous abandonnons un pan de l'octroi de mer, cette perte devra être compensée par ailleurs.
Mme Victoire Jasmin, rapporteure. - Il est ici question des risques naturels, de prévention et de résilience des populations. Il me semble tout à fait essentiel d'aborder ces questions en lien avec l'octroi de mer. J'aimerais que la sécurité civile dresse une liste exhaustive des matériels et produits concernés. Les collectivités auront ainsi une vision beaucoup plus précise pour conduire leur réflexion. Des actions ponctuelles et concertées ont déjà été menées à Saint-Martin et en Guadeloupe, par exemple, notamment grâce au service militaire adapté (SMA), que je salue. Nous avons été surpris d'apprendre que les matériels nécessaires à la survie des populations qui se retrouvent sans toit ou sans eau courante étaient soumis à l'octroi de mer.
M. Stéphane Artano, président. - Nous en arrivons au risque volcanique à Mayotte. Nous disposons déjà de nombreuses informations de Frédéric Mortier.
M. Yoann La Corte. - J'insisterai sur la surveillance réalisée par le Revosima (Réseau de surveillance volcanologique et sismologique de Mayotte). Son montant est stabilisé : l'État apporte 3 millions d'euros par an pour financer son fonctionnement, dont 1,6 million d'euros par le ministère de la transition écologique en 2022. Il s'agit de mieux comprendre les phénomènes, afin de s'engager dans des actions de prévention des risques.
De façon plus générale, nous travaillons avec l'Institut de physique du globe de Paris (IPGP), un certain nombre de laboratoires de recherche et le CNRS, de façon à ce que la connaissance scientifique dont on dispose aujourd'hui, notamment grâce aux moyens de modélisation désormais assez riches, puisse être transformée en politique de prévention déclinée dans chaque territoire - Martinique, Guadeloupe et Mayotte. Nous ne pouvons pas pour autant vous présenter de calendrier précis à ce stade.
M. Yves Hocdé. - Un mot sur la planification.
Sur la base des éléments de connaissance scientifique sur la situation volcanique à Mayotte, le préfet de Mayotte a engagé l'élaboration d'un plan d'adaptation des populations, c'est-à-dire un plan Orsec spécifique. La direction générale de la sécurité civile s'engage à ses côtés pour faire en sorte que la méthodologie soit mise en place. Dans le cadre de ce travail, les plans communaux de sauvegarde des communes du territoire de Mayotte devront également adaptés au risque sismique pour prendre en compte l'ensemble des dispositions de ce nouveau plan Orsec.
Mme Victoire Jasmin, rapporteure. - C'est très important.
J'en profite pour rebondir sur les moyens de prévention. En 2018, dans le cadre des différentes auditions que nous avions menées, nous avions constaté que certains services de l'État avaient des équipements très limités et que les moyens de prévention pour anticiper les risques n'étaient pas forcément à la hauteur de nos ambitions. On avait par exemple pointé l'absence de marégraphe ou d'houlographe pour anticiper les alertes. Dans certains territoires, on se basait notamment sur le National Hurricane Center, ou NHC, faute de moyens.
À mon grand étonnement, lors de l'examen du budget de la mission « Outre-mer » pour 2020, certains amendements visant à augmenter les moyens de ces services ont reçu un avis défavorable du ministère des outre-mer, alors que, sur toutes les travées du Sénat, à la lumière du rapport que nous avions remis, on s'accordait sur ces dispositions. J'ignore si la situation a évolué depuis et si certaines mesures ont été prises pour permettre à ces services d'anticiper et d'avoir des informations leur permettant de mieux travailler.
M. Yves Hocdé. - Le ministère de l'intérieur prend en compte l'information qui découle du système de surveillance dès lors que l'événement est survenu. C'est lui qui permet de déclencher dans les territoires considérés toute la planification et les actes réflexes pour protéger les biens, les personnes et l'environnement, le cas échéant.
Dans ce cadre-là, nous avons un dispositif reposant sur la connaissance et les instrumentations mises en place par l'ensemble des acteurs scientifiques, c'est-à-dire la communauté générale qui assure la partie de veille, d'anticipation et de prévention. À Mayotte, le Revosima fait l'objet d'un pilotage interministériel dans lequel participe la direction générale des outre-mer.
M. Yoann La Corte. - S'agissant des houlographes, je précise que le ministère de la transition écologique participe au financement du réseau Candhis (Centre d'archives nationales des données de houle in situ), opéré par le Cerema (Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement), qui permet de surveiller la houle et la mer. Nous continuons à nous assurer que les financements permettent de répondre aux enjeux de cette mission.
La volcanologie est une science relativement récente. Aujourd'hui, nous disposons d'outils permettant d'observer les phénomènes à l'oeuvre. La sismologie permet d'anticiper l'évolution et le risque d'éruption. Certains satellites permettent d'observer les phénomènes de déformation du cône volcanique - neuf stations GNSS (Global Navigation Satellite Systems) sont implantées à Mayotte en vue d'anticiper le risque d'éruption. Des stations de mesure des effusions gazeuses, notamment de CO2 - dans le cas de Mayotte, une station de mesure est implantée, afin de suivre l'évolution physico-chimiques du site.
Par l'ensemble de ces paramètres, nous sommes en capacité d'évaluer la probabilité de survenance d'une éruption.
Si cette science a évolué, elle ne permet pas aujourd'hui de dire de manière certaine et précise quand l'éruption aura lieu : ce sont seulement des présomptions d'événements, la fenêtre de fiabilité allant de quelques jours à plusieurs semaines.
M. Yoann La Corte. - Traduire la connaissance de ce risque dans une politique de prévention ou d'aménagement du territoire - faut-il urbaniser les sites à proximité du volcan ou à l'inverse les relocaliser ? - est un exercice relativement complexe, les informations scientifiques ne nous permettant pas de qualifier suffisamment la période de retour des événements.
En réalité, une éruption correspond à plusieurs sous-phénomènes : elle peut donner lieu soit à des projections de lave - ces fameuses bombes qui peuvent atteindre plusieurs kilomètres de diamètre -, soit à des phénomènes de cendres ou de gaz. Les cendres, par exemple, peuvent menacer la résistance structurelle du bâti. On a déjà vu, par ailleurs, des villes être recouvertes de cendres sur des hauteurs considérables.
Avec l'IPGP, nous essayons de quantifier, de localiser ces phénomènes et d'estimer leur période de retour. Dans certains cas, la réponse la plus adaptée relèvera de la sécurité civile ; dans d'autres - nous l'espérons -, nous pourrons agir sur la prévention et l'aménagement du territoire.
M. André Dorso, conseiller outre-mer et territorial au sein de la Direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC), ministère de l'intérieur et des outre-mer. - Contrairement aux volcans de la Soufrière, de la montagne Pelée ou du piton de la Fournaise, le volcan de Mayotte présente la particularité d'être sous-marin. En outre, alors que les autres sites sont observés depuis parfois plusieurs siècles, nous ne disposons, pour ce volcan, d'aucun historique. La planification consiste donc à travailler en continu avec les scientifiques du REVOSIMA, afin d'adapter au mieux la réponse de sécurité civile.
Mme Victoire Jasmin, rapporteure. - Quelles sont les mesures qui ont été prises à l'égard des hauts fonctionnaires ? Lors des épisodes Irma et Maria, nous nous sommes rendu compte que la quasi-totalité des fonctionnaires, y compris le préfet de Guadeloupe, étaient arrivés en même temps sur place et méconnaissaient les risques locaux. Pratiquement, ce sont les responsables du service départemental d'incendie et de secours (SDIS) qui ont pris la main à Saint-Martin et à la Guadeloupe, en lien avec le Premier ministre Édouard Philippe, dont je garde l'image en mémoire commandant les opérations depuis Paris.
Les fonctionnaires en poste se sont retrouvés en difficulté, non pas en raison de leur incompétence, mais par méconnaissance et impréparation. Quand la personne qui, en principe, doit donner le « la » n'est pas en capacité de le faire, elle est de fait mise en difficulté. Deux mois auparavant, pourtant, des exercices pertinents avaient été organisés, mais les personnes participantes ont ensuite quitté le territoire et il ne restait plus personne, le moment venu, en capacité de coordonner les actions.
C'est pourquoi nous préconisons que les départs soient échelonnés, que les nouveaux fonctionnaires soient formés aux risques spécifiques et qu'ils puissent avoir au moins connaissance, à leur arrivée, des personnes-ressources sur le territoire.
M. Frédéric Joram. - La gestion du corps préfectoral outre-mer relève de la compétence du ministère de l'intérieur, mais le ministère des outre-mer apporte son contreseing à chaque nomination. En raison de la spécificité et de l'acuité particulière des risques naturels outre-mer, les profils recherchés sont des profils expérimentés. Ainsi, les postes de directeur de cabinet - un poste occupé généralement en début de carrière - ne sont proposés outre-mer qu'à des fonctionnaires justifiant d'une première expérience dans le corps préfectoral et qui, dans la plupart des cas, ont déjà été directeur de cabinet dans un département métropolitain. Il en est de même pour les préfets : les préfets affectés outre-mer sont systématiquement des préfets expérimentés.
À la faveur de cette première expérience, ces fonctionnaires ont déjà bénéficié de formations, notamment aux risques de sécurité civile. En outre, nous apportons une vigilance particulière aux exercices de sécurité civile : les préfectures et hauts-commissariats sont tenus d'élaborer un programme et de le respecter.
La rotation sur les postes, enfin, est - il est vrai - assez rapide. Si les ministères de l'intérieur et de l'outre-mer veillent à limiter ce phénomène, le corps préfectoral est malheureusement soumis à des aléas. À chaque changement de gouvernement, des entrées et sorties en cabinet ministériel entraînent des mouvements qui peuvent avoir un impact sur les préfectures et les hauts-commissariats outre-mer.
Mme Victoire Jasmin, rapporteure. - Quoi qu'il en soit, nous avons dû faire un constat de carence. Je n'en dirai pas davantage.
M. Stéphane Artano, président. - Je vous propose à présent d'aborder la situation et la protection des populations dans la zone des 50 pas géométriques.
M. Stanislas Alfonsi. - Concernant la zone des 50 pas géométriques, une évolution majeure est issue de la loi Climat et résilience. Elle concerne la définition des personnes qui doivent être impérativement relocalisées, parce qu'elles sont les plus exposées. La DGPR nous a alertés sur une question de sémantique. La terminologie finalement retenue est donc : « zone exposée à un risque naturel prévisible menaçant gravement des vies humaines ». Cette définition doit s'appliquer à la zone des 50 pas géométriques dans le cadre de la relocalisation des populations, ce qui suppose d'identifier les terrains, de les libérer et de les rendre à l'état naturel ou de les confier en gestion au Conservatoire du littoral ou à la l'Office national des forêts (ONF).
Les cartographies liées aux textes que j'évoquais, notamment la loi Climat et résilience, sont en cours d'élaboration. Le terme de ces opérations est prévu pour fin 2022, mais il est possible que le calendrier ne soit pas tenu en raison des restrictions liées à la crise sanitaire.
Les textes d'application de la loi Climat et résilience ont permis d'acter plusieurs avancées : report de calendrier du transfert de la zone des 50 pas géométriques au profit des collectivités régionales, durée de vie des agences prolongée de dix ans... La régularisation foncière a également fait l'objet de plusieurs dispositions, notamment en ce qui concerne le régime d'indemnisation et la cession avec décote des parcelles concernées.
Les zones à risque doivent être redéfinies et les cessions aux occupants interdites, le cas échéant. Dans d'autres zones, il sera possible de procéder à des relocalisations ou d'appliquer des prescriptions pour permettre une régularisation in situ.
En ce qui concerne le rôle et la gouvernance des agences, la loi Climat et résilience est allée suffisamment loin pour nous permettre d'entrer dans une nouvelle ère de gestion.
M. Dominique Théophile. - De peur que la loi 3DS ne soit pas adoptée lors de la dernière législature, nous avons inscrit cet amendement dans la loi Climat et résilience pour gagner du temps. Vous avez cité des exemples très pertinents, mais la liste n'est pas exhaustive. Nous allons d'ailleurs la porter à la connaissance des élus de Guadeloupe.
M. Stanislas Alfonsi. - Le régime assurantiel français est assez généreux en ce qu'il cherche à couvrir le maximum de risques, y compris les catastrophes naturelles. Le fonctionnement des assurances nécessite une adhésion collective de tous les échelons de la société - État, collectivités territoriales, particuliers, entreprises... - à un mécanisme mutualiste.
Toutefois, le taux de couverture moyen est insuffisant dans les territoires ultramarins, notamment au regard des garanties responsabilité habitation : environ 70 % contre près de 98 % dans l'Hexagone. Les choses progressent, même si les taux sont beaucoup trop bas, sinon insignifiants, dans certains territoires, ce qui a placé plusieurs de nos concitoyens dans de grandes difficultés.
C'est aujourd'hui non seulement à l'État et aux compagnies d'assurance de faire des efforts, mais aussi aux particuliers. Il faut mener des campagnes de communication pour que ces derniers s'acculturent davantage au régime d'assurance mutualisé.
La mission confiée à l'Inspection générale des finances et au Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) a rendu un rapport assez substantiel en 2020. Plusieurs pistes ont été proposées : faire comprendre à nos concitoyens l'importance de la culture du risque ; promouvoir une logique multipartenariale, notamment sous forme de micro-assurance ; favoriser l'assurabilité du bâti par le renforcement des normes de construction ; améliorer la gestion de la phase post-sinistre pour favoriser la reconstruction, ce qui pose la question de la réassurance, aujourd'hui assumée par la Caisse centrale de réassurance (CCR), déjà fortement mobilisée - sans doute faut-il inventer de nouveaux mécanismes plus fluides... Tout cela doit se faire de la manière la plus transparente possible pour favoriser l'acculturation de nos administrés à la dynamique assurantielle.
Mme Victoire Jasmin, rapporteure. - C'est un aspect très important. Entre l'ouragan Hugo en 1989 et aujourd'hui, la prise de conscience est manifeste. Ceux qui ont perdu des biens ou qui n'étaient pas assurés se sont remis en question et les constructions aux normes et les mises en conformité avec la réglementation ont augmenté.
Aujourd'hui, les plans locaux d'urbanisme et la règle des 50 pas géométriques ont favorisé ce phénomène, mais il faut de la cohérence. Dans la mesure où des révisions sont programmées, il faut que tous, élus locaux, parlementaires, services de l'État, incitent davantage à la nécessité de s'assurer.
Selon moi, nous sommes sur la bonne voie.
Mme Micheline Jacques. - À Saint-Barthélemy, la couverture assurantielle était relativement importante, ce qui nous a permis de reconstruire rapidement. Cependant, revers de la médaille, dès l'année suivante, les primes d'assurance ont été multipliées par trois et les ménages les plus modestes se sont retrouvés en difficulté.
Il faut donc travailler sur ce point avec les assurances. Certes, les primes doivent pouvoir être augmentées en fonction du risque, mais le taux des primes peut être dissuasif.
M. Stanislas Alfonsi. - Je ne veux pas répondre à la place de mes collègues de la direction générale du Trésor, mais il s'agirait par exemple de sortir de la logique du territoire par territoire, pour favoriser la mutualisation. Pour cela, il faudrait que le taux de couverture soit élevé partout de façon à peu près identique : ainsi, aucun territoire ne profiterait davantage du système qu'un autre, parce qu'il bénéficierait d'un taux de couverture très bas, mais d'une sinistralité élevée. C'est cela en effet qui dissuade les assureurs.
Avec la même couverture partout, le risque est mutualisé de manière globale. Ce sont des travaux qui sont devant nous.
Mme Victoire Jasmin, rapporteure. - Le 20 novembre 2019, le Premier ministre d'alors, Édouard Philippe, a soumis à notre analyse un possible projet concernant les risques naturels majeurs en outre-mer. Le Président de la République lui-même l'a annoncé à Saint-Martin. Où en est-on ?
M. Stanislas Alfonsi. - Vous faites sans doute allusion au projet de loi sur les risques naturels majeurs en outre-mer lancé par Édouard Philippe. Les travaux sont allés assez loin dans mon souvenir et la délégation interministérielle aux risques majeurs outre-mer (Dirdom) avait été en grande partie à la manoeuvre. Le calendrier parlementaire et politique n'a pas permis son inscription à l'ordre du jour.
M. Frédéric Joram. - Une partie des dispositions de ce projet de loi ont été intégrées dans le projet de loi 3DS.
Mme Victoire Jasmin, rapporteure. - Je dispose encore des documents qui nous avaient alors été transmis par le Premier ministre. Même si je reconnais que des avancées ont eu lieu, certains points restent en suspens et méritent qu'on y revienne.
M. Stéphane Artano, président. - Sur ces questions, il y avait un engagement politique fort dont vous n'êtes évidemment pas comptables. Certes, un certain nombre de dispositions ont été intégrées dans la loi 3DS, mais c'était une espèce de pansement sur une jambe de bois, c'est-à-dire la voie de sortie politique que le gouvernement avait trouvée. Nous l'avions regretté, car un projet de loi dédié aux risques majeurs outre-mer était un message fort.
Nous ne manquerons pas d'interroger le nouveau ministre délégué chargé des outre-mer sur la perspective d'une telle résolution législative, qui recevrait un accueil très favorable de la part des parlementaires ultramarins et hexagonaux.
Il est temps de conclure cette réunion. Son compte rendu sera complété par l'ensemble des documents et réponses écrites complémentaires qui pourront nous être transmis. Parmi la centaine de recommandations émises, combien ont été réalisées ? Quel est le taux ? Par ailleurs, quelles seraient les sources de progrès législatifs possibles sur lesquels le Sénat pourrait être contributeur ?
Cet objectif fait partie des nouvelles normes du suivi des rapports du Sénat : nous souhaitons nous assurer qu'un certain nombre des recommandations formulées puissent être transposées en droit positif. Cela nous permettra de faire un point, cinq ans après l'ouragan Irma et trois ans après la publication de ce rapport d'information. Ces problématiques demandent un suivi régulier et constant.
Messieurs, nous vous remercions sincèrement pour vos réponses et pour l'ensemble de vos éclairages présents et à venir.