Jeudi 2 juin 2022
- Présidence de Mme Victoire Jasmin, vice-présidente -
Étude sur la gestion des déchets dans les outre-mer - Table ronde avec des organisations non gouvernementales
Mme Victoire Jasmin, présidente. - Nous poursuivons ce matin les auditions pour l'étude relative à la gestion des déchets dans les territoires ultramarins. Les rapporteures en sont Gisèle Jourda, sénatrice de l'Aude, et Viviane Malet, sénatrice de La Réunion.
J'ai l'honneur de remplacer aujourd'hui notre président, Stéphane Artano, qui vous prie de l'excuser : il est actuellement à Saint-Pierre-et-Miquelon et participe à nos travaux en visioconférence.
Dans le cadre de notre première table ronde, nous accueillons les représentants d'organisations reconnues pour leurs actions remarquables dans ce domaine : France nature environnement (FNE), Zero Waste France et, pour une approche plus spécifique, l'association Les Naturalistes de Mayotte.
Pour le bon déroulement de nos travaux, je donnerai tout d'abord la parole au président Stéphane Artano. Je demanderai ensuite aux deux rapporteures de bien vouloir formuler leurs questions. Puis, ce sera le tour des représentants des associations, qui disposeront chacun d'environ dix minutes : M. Johann Leconte, pilote du réseau prévention et gestion des déchets de FNE, en visioconférence ; M. Michel Charpentier, président de l'association Les Naturalistes de Mayotte, lui aussi membre de FNE, également en visioconférence ; et Mme Alice Elfassi, responsable des affaires juridiques de Zero Waste France.
Après cet exposé, les rapporteures pourront reprendre la parole pour obtenir davantage de précisions. Enfin, nos collègues pourront intervenir à leur tour, qu'ils soient présents dans cette salle ou en visioconférence.
M. Stéphane Artano. - Étant à Saint-Pierre-et-Miquelon, je participe à cette réunion en visioconférence et vous prie de m'en excuser.
Je renouvelle mes remerciements à Victoire Jasmin, qui a accepté de présider cette table ronde consacrée à la gestion des déchets dans les territoires ultramarins du point de vue des associations environnementales.
Après la direction générale des outre-mer, les services de l'environnement et l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), nous sommes particulièrement heureux d'entendre des acteurs de terrain, qui nous permettront d'établir un diagnostic à la fois général et géographique de la situation dans nos outre-mer en la matière.
Madame, messieurs, nous sommes convaincus que les associations comme les vôtres sont des acteurs-clefs. En effet, vos interventions viennent compléter celles des pouvoirs publics, que ce soit pour la collecte et l'analyse de données de terrain, dans les instances de concertation, pour le signalement de dysfonctionnements ou de manquements à la réglementation, ou encore en faveur de la valorisation d'initiatives exemplaires - cette liste n'est évidemment pas exhaustive.
Pour vous éclairer, nous comptons sur le travail approfondi de nos rapporteures, Gisèle Jourda et Viviane Malet, toutes deux particulièrement impliquées dans ces problématiques.
Je me félicite également de la participation de membres du groupe d'études « Économie circulaire », dont celle de mon collègue Éric Gold, membre du groupe du Rassemblement démocratique et social européen (RDSE).
Ce groupe d'études, rattaché à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, témoigne de la bonne coordination des travaux et de l'importance des réflexions du Sénat sur ce sujet.
Je remercie nos intervenants de s'être rendus disponibles et vous souhaite à tous une bonne réunion.
Mme Gisèle Jourda, rapporteure. - Je le soulignais dès nos premières auditions : depuis plusieurs mois, je consulte la revue de presse ultramarine, et je suis frappée de constater qu'il ne se passe pratiquement pas un jour sans que la question des déchets fasse l'objet d'un article, de prises de position ou de commentaires. Cette observation vaut pour tous les territoires ultramarins.
Bien souvent, c'est l'action de telle ou telle association qui est décrite et mise en valeur. Les champs d'intervention sont larges : signalement de dépôts sauvages, opérations de nettoyage, sensibilisation au tri ou à la réduction des déchets, création de ressourceries, etc. Dans ce domaine, vos associations sont en effet les relais de préoccupations majeures. Au-delà des spécificités locales, elles jouent un rôle d'aiguillon pour la prise en compte globale des différentes problématiques.
Cette table ronde a notamment pour but de mettre en avant ces initiatives. Nous souhaitons également connaître votre perception de la question des déchets dans les outre-mer.
Vos associations ont été retenues car elles possèdent une dimension nationale tout en ayant des ancrages dans différents territoires ultramarins. C'est ce double regard, national et local, qui nous intéresse.
Pour cette audition, un questionnaire exhaustif vous a été transmis afin de guider votre exposé.
Je souhaite en particulier entendre votre avis sur le phénomène des dépôts sauvages et sur les meilleurs moyens de lutter contre celui-ci ou, du moins, de l'endiguer.
De plus, quel regard portez-vous sur les dispositifs tendant à rémunérer le geste citoyen ? Je pense notamment aux primes de retour des véhicules hors d'usage (VHU), que le décret permet de créer outre-mer, et au retour de la consigne. Est-ce une voie à approfondir ? Quel est votre sentiment à cet égard ?
Mme Viviane Malet, rapporteure. - Comme sénatrice de La Réunion et comme élue locale, je constate chaque jour le défi que les déchets représentent dans mon territoire. Nous ne sommes pas encore parvenus à une situation satisfaisante, malgré les efforts des collectivités territoriales et des usagers, et malgré l'intense activité des associations, que j'observe moi-même sur le terrain.
Il s'agit souvent d'associations de quartier, très locales, auxquelles s'ajoutent des initiatives citoyennes. Pour ce qui concerne La Réunion, je pense par exemple à un site participatif assez populaire, qui s'appelle Band Cochon, où chacun peut signaler un dépôt sauvage photographié et géolocalisé.
Comme l'a relevé Gisèle Jourda, dans tous nos territoires ultramarins, la mobilisation associative est très forte. Mais, paradoxalement, le bilan est très mitigé pour ce qui concerne l'éducation au tri ou, tout simplement, à la propreté. Les dépôts sauvages en sont une illustration. Le manque d'infrastructures de gestion des déchets dans certains secteurs ne peut pas tout expliquer ; et je ne parle même pas du fléau des véhicules abandonnés. Non seulement les pneus et les batteries entraînent de graves pollutions, mais les larves de moustiques prolifèrent dans ces épaves avant de propager le chikungunya ou encore la dengue.
C'est donc sur le sujet de l'éducation au tri et au bon geste que je souhaite particulièrement vous entendre. Avez-vous des exemples de démarches ou de projets ayant produit des résultats significatifs ? Faut-il développer une autre approche dans nos territoires ultramarins, ou bien est-ce seulement la traduction d'un retard ?
Cette question me conduit à ma deuxième interrogation, portant sur les filières à responsabilité élargie des producteurs (REP). Pour diverses raisons, les éco-organismes sont peu présents outre-mer, voire n'y existent tout simplement pas. Vos associations ont-elles développé des partenariats pour accompagner ces organismes ou s'en faire les relais ?
Au titre des stratégies « zéro déchet », pouvez-vous nous citer des mesures ou des initiatives locales ayant obtenu des résultats durables et significatifs ? Je pense notamment au compostage individuel ou collectif. Il s'agit là d'un enjeu fort, notamment pour les professionnels de la restauration, dans des îles très touristiques. Pour rappel, le tri à la source des biodéchets doit être mis en oeuvre fin 2023.
Enfin, je souhaite savoir si les ressourceries ou d'autres initiatives en faveur du réemploi connaissent un écho particulier dans les outre-mer, territoires globalement moins riches que la métropole. Il s'agit là d'un sujet d'actualité, à l'heure où la crise inflationniste rogne le pouvoir d'achat.
M. Johann Leconte, pilote du réseau prévention et gestion des déchets de France nature environnement (FNE). - Avant tout, je tiens à remercier la délégation sénatoriale aux outre-mer de son invitation. Michel Charpentier étant, comme moi, membre de l'association FNE, nous vous proposerons une intervention à deux voix.
Créée en 1968, FNE est la fédération française des associations de protection de l'environnement. Il s'agit du premier mouvement citoyen de protection de la nature et de l'environnement en France. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : nous dénombrons plus de 9 000 associations affiliées, en métropole et outre-mer, et près de 900 000 militants partout en France.
Outre-mer, nous avons fédéré les associations locales dans plusieurs territoires : la Guyane, Mayotte, La Réunion, la Martinique, la Guadeloupe et Saint-Pierre-et-Miquelon. Né d'une demande de soutien des associations locales autour de grands projets d'aménagement ou d'atteintes majeures à l'environnement, cet ancrage s'est formalisé dans les années 2010. Aujourd'hui, le rôle de FNE est d'aider ces associations à renforcer leur action locale et, in fine, d'accompagner l'émergence de la société civile organisée pour la défense de l'environnement et l'éducation à l'environnement.
Parmi nos associations adhérentes figurent ainsi : FNE Guadeloupe, l'association pour la sauvegarde du patrimoine martiniquais (Assaupamar), la société réunionnaise pour l'étude et la protection de l'environnement (SREPEN), Les Naturalistes de Mayotte et Mayotte Nature Environnement, Guyane Nature Environnement et FNE Saint-Pierre-et-Miquelon.
À titre d'illustration, je tiens à mentionner le Modecom réalisé à La Réunion - il s'agit d'une technique mise au point par l'Ademe pour étudier la composition moyenne des poubelles d'ordures ménagères d'un foyer.
Les déchets valorisables organiquement représentent la masse principale : en développant les compostages individuel et collectif, notamment pour les personnes vivant en appartement, l'on résoudra donc une grande partie du problème.
Viennent ensuite les déchets recyclables - papier, métaux, verre et plastique -, pour lesquels l'extension des consignes de tri de plastique est une autre solution. Les emballages des liquides alimentaires (ELA), en particulier les bouteilles de lait et de jus de fruits, présentent une complexité particulière, encore exacerbée outre-mer. Restent, enfin, les déchets dangereux diffus et résiduels.
Pour FNE, la priorité des priorités, c'est la prévention de la production de déchets, non seulement dans le monde industriel, mais aussi chez les consommateurs. Cet effort supposera sans doute de rendre du sens à la responsabilité individuelle.
À mon sens, c'est un enjeu d'ampleur nationale : aujourd'hui, certains d'entre nous ne mesurent pas la portée de leurs gestes, notamment en matière de tri. Cette perte de valeurs explique en partie la persistance des dépôts sauvages.
En parallèle, certains professionnels négligent les effets induits de la conception de tel ou tel produit. Alors que nous venons d'obtenir, au terme de longues luttes, la suppression de certains objets à usage unique, on voit apparaître des vaporettes jetables équipées d'une batterie : je ne comprends même pas comment les industriels peuvent développer de tels produits.
L'éducation à l'environnement est tout à fait prioritaire, pour les plus jeunes comme pour les moins jeunes. Nous avons tous besoin d'un éclairage nous permettant de comprendre la portée de nos gestes. Un mégot jeté dans le caniveau finit dans la mer ; il pollue environ 500 litres d'eau et affecte la biodiversité en conséquence.
Cette éducation est indispensable, dans l'Hexagone comme outre-mer où, peut-être plus qu'ailleurs, il faut redéployer des équipes dédiées. Lors de la mise en place du tri sélectif, on avait ainsi institué « les ambassadeurs du tri ». Au-delà, ces équipes doivent avoir des missions de sensibilisation sur tous les enjeux d'environnement - gestion des déchets, prévention, consommation responsable, etc. Tôt ou tard, il faudra bien parler de sobriété, même si cela choque encore beaucoup de gens. Il faut arrêter de consommer n'importe quoi n'importe comment, si l'on veut laisser à nos enfants une planète respirable.
Évidemment, nous sommes très favorables au développement de la consigne qui a encore plus de sens pour les circuits courts.
Outre-mer, compte tenu des difficultés inhérentes au transport des marchandises, la consigne est très certainement une solution pertinente. Elle l'est également dans l'Hexagone. Des travaux ont d'ailleurs été entrepris pour développer de nouveaux standards d'emballages : c'est indispensable pour donner de la pertinence à la consigne. Des initiatives très sérieuses ont été engagées en ce sens à La Réunion.
D'ailleurs, plutôt que de consigne, il faudrait parler de réemploi, terme plus large et plus pertinent désignant l'utilisation d'un emballage pour un emploi équivalent - par exemple une canette de bière.
En revanche, il me semble extrêmement dangereux d'intéresser le geste citoyen, car ce choix risquerait de renchérir considérablement le coût des dispositifs de recyclage. De mon point de vue, le geste de tri est par définition désintéressé. C'est un réflexe civique.
Nous avons, nous aussi, développé un logiciel, intitulé « Sentinelles de la nature », permettant de signaler des dépôts sauvages et de les résorber le plus vite possible. Il s'agit là d'un enjeu considérable : on le sait, un dépôt sauvage a tendance à grossir très vite pour devenir une petite décharge sauvage.
M. Michel Charpentier, président de l'association Les Naturalistes de Mayotte. - Mayotte connaît déjà une très forte croissance démographique et, dans son scénario le moins favorable, l'Insee prévoit même le doublement de sa population d'ici à 2030. En parallèle, s'il reste le plus pauvre de France, ce département a tout de même connu une élévation de son produit intérieur brut (PIB).
Ce double phénomène entraîne la multiplication des déchets, que vient encore aggraver l'immigration illégale : elle conduit au développement de zones d'habitat informel, où ce sont, en quelque sorte, les grandes pluies qui se chargent de la collecte des déchets.
En outre, au moins à Mayotte, on déplore l'absence de certaines filières de collecte. Je pense notamment aux déchets non organiques et hors emballages, qui sont dès lors jetés dans la nature, qu'il s'agisse des pneus, des batteries, des piles ou des huiles usagées. Les organismes compétents en ont stocké une partie, mais, désormais, toute collecte a cessé. Face à ce problème considérable, on ne voit pas se profiler de solution rapide.
Enfin, Mayotte a la particularité géographique d'être entourée d'un lagon : tous les déchets non collectés s'y retrouvent avant de finir sur les plages. Les quantités peuvent se révéler importantes, notamment à l'aval des villages : les déchets sont piégés dans les mangroves ou jonchent des plages plus dégagées. C'est aussi un facteur de désamour des visiteurs pour Mayotte.
Mme Victoire Jasmin, présidente. - N'oublions pas non plus les conséquences sur la santé publique. Je pense notamment à la lutte antivectorielle, qu'il s'agisse de la dengue, du chikungunya ou du zika, pour ne citer qu'eux.
Mme Alice Elfassi, responsable des affaires juridiques de Zero Waste France. - Organisation non gouvernementale (ONG) nationale basée à Paris, Zero Waste France lutte pour la réduction des déchets et contre le gaspillage des ressources.
Nous disposons de quatre groupes locaux outre-mer : à la Martinique, à La Réunion, à Tahiti et en Nouvelle-Calédonie. J'ai eu à coeur de recueillir les commentaires et les remarques de leurs représentants, mais n'ai toutefois pas pu obtenir de réponse de Tahiti.
Le réseau de groupes locaux de Zero Waste France a été formalisé assez récemment : voilà cinq ans que des associations locales se rattachent à notre organisation en signant une charte pour devenir groupe local. Ces structures, préexistantes et assez diverses, ne faisaient pas forcément précédemment partie d'un réseau. Le groupe local de Nouvelle-Calédonie a été constitué en 2018, celui de la Martinique en 2019. Celui de La Réunion a une histoire différente : il s'agit d'un ancien collectif de lutte contre l'incinérateur de Saint-Pierre, qui s'est ensuite élargi à d'autres thématiques, en particulier la réduction des déchets.
Tous ces groupes locaux sont axés sur la sensibilisation. Ils déploient leurs actions en faveur de la réduction des déchets lors d'événements culturels et sportifs ; sur les marchés, notamment pour le tri des déchets organiques ; mais aussi dans les écoles, car l'on constate un véritable besoin d'éducation à l'environnement. Il serait d'ailleurs indispensable d'élargir cet effort à d'autres publics, plus âgés.
Ils mettent en place des « défis familles », destinés à accompagner les foyers dans la réduction des déchets. S'y ajoutent des actions dans les commerces, notamment à la suite de la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire, afin de faciliter l'acceptation des contenants apportés par les consommateurs dans les commerces et de veiller à l'interdiction de certains plastiques à usage unique.
Nos différents groupes locaux constatent, sans surprise, une baisse de mobilisation des bénévoles depuis la Covid et une difficulté à répondre à toutes les sollicitations. Les pouvoirs publics, notamment les collectivités territoriales, veulent agir plus, mettre en oeuvre des prestations d'accompagnement, mais les associations manquent de moyens financiers et humains. Souvent, elles ne peuvent compter que sur leurs bénévoles.
Pour ce qui concerne le diagnostic d'ensemble outre-mer, Johann Leconte le souligne avec raison : il faut donner la priorité à la prévention. Certes, la population maîtrise mal le geste de tri et les dépôts sauvages constituent un véritable enjeu, mais on ne peut pas se contenter de dire que les particuliers ne savent pas trier. Ce qui manque surtout, c'est une éducation à l'environnement et une sensibilisation de la part des pouvoirs publics.
Les collectivités mènent de nombreuses actions pour lutter contre les dépôts sauvages, une fois qu'ils existent ; elles font moins en amont, au titre de l'éducation. À cet égard, on compte sur les associations sans leur donner suffisamment de moyens.
Au-delà, nous souhaitons que la prévention soit, à l'avenir, l'objet du discours prioritaire outre-mer.
Selon nous, deux actions sont essentielles à cet égard.
La première, c'est le tri des déchets organiques à la source, qui sera d'ailleurs obligatoire à compter du 31 décembre 2023. Certaines collectivités territoriales ne sont même pas informées de cette échéance. De plus, il ne suffit pas d'ajouter un onglet sur le site internet de la mairie pour informer les administrés de la mise à disposition de composteurs individuels. J'y insiste, il faut développer une véritable éducation à l'environnement, car le compostage à la maison n'est pas du tout inné. Dans les zones urbanisées, où la grande majorité des personnes vivent en appartement, il faut également développer le compostage collectif.
La seconde, c'est la tarification incitative, sujet que nous suivons de près à l'échelle nationale. Facturer la collecte des ordures ménagères résiduelles en fonction de leur volume, c'est inciter à trier le verre, le papier, le carton ou encore le plastique.
Ce « combo » nous semble être la clef pour mobiliser les populations en vue d'une réduction du volume d'ordures ménagères résiduelles. Toutefois, les associations ont du mal à se mobiliser à cette fin, faute de moyens, et à attirer l'attention des collectivités territoriales sur ce sujet.
De même, il nous paraît indispensable de réinstaurer la consigne, tout particulièrement outre-mer, du fait des enjeux d'insularité, donc d'isolement, et du manque d'infrastructures de recyclage. Dans 99 % des cas, on exporte les déchets en Asie ou en Afrique du Sud, ce qui n'est pas vertueux. Ainsi, aucun déchet n'est réellement recyclé sur le territoire de La Réunion. Soyons clairs : nous nous débarrassons de nos déchets aux dépens de pays qui n'ont ni les infrastructures ni les réglementations environnementales permettant de les recycler dans de bonnes conditions.
Nous devons mettre l'accent sur la prévention et le réemploi, et la consigne est une des solutions à privilégier. Toutefois, là encore, les moyens financiers manquent, comme le montre l'exemple du projet de consigne alimentaire qui a émergé en Nouvelle-Calédonie pour les services de restauration à emporter. Les investissements de départ étaient trois fois plus élevés que pour le système de plastique jetable. Alors que la demande d'aide était de 38 millions d'euros, la subvention de l'Ademe et des autres organismes publics n'a pas dépassé 10 millions d'euros, de sorte que le projet a dû s'arrêter, alors même que les investissements de départ auraient pu être rapidement rentabilisés.
Certains opérateurs continuent de pratiquer la consigne, malgré un manque de soutien évident, comme la brasserie Bourbon, à La Réunion, qui maintient le réemploi des canettes de verre en l'absence de tout réseau formel constitué. Il faudrait que les pouvoirs publics apportent davantage de soutien à ces opérateurs.
Pour ce qui est des décharges sauvages et de l'application de la réglementation sur les plastiques à usage unique, on ne peut que regretter le manque de contrôle des pouvoirs publics et l'absence de verbalisation. On trouve encore partout des sacs, des gobelets et des bouteilles en plastique. Les associations tentent de sensibiliser les entreprises et les commerçants, mais elles se heurtent au manque de contrôle des pouvoirs publics.
Parmi les opérations exemplaires qui ont été menées, il faut citer l'île Rodrigues dans l'Océan indien, où l'on a interdit les bouteilles à usage unique avant même que la mesure ne figure dans la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire (AGEC), et où la consigne pour réemploi a été généralisée, de sorte que la production de déchets a été considérablement réduite.
Il faut également saluer l'opération conduite sur l'île indonésienne Gili Trawangan, grâce à une forte coopération de l'industrie du tourisme, pour développer des actions de réduction de la production des déchets.
Le groupe local de Nouvelle-Calédonie considère Saint-Pierre-et-Miquelon comme un territoire exemplaire en matière d'action et de sensibilisation visant à réduire la production des déchets. La démarche très vertueuse qui s'y est développée a abouti à une prise de conscience de la part des entreprises et des associations, mais elle se heurte encore à un manque de moyens pour que des prestations d'accompagnement puissent être mises en place.
Mme Viviane Malet, rapporteure. - En milieu urbain, les associations travaillent-elles avec les bailleurs sociaux ? Nous avons mentionné cette collaboration pour le tri à la source. D'autres actions sont-elles développées dans un cadre similaire ?
Mme Gisèle Jourda, rapporteure. - Vous avez donné des exemples pertinents, en particulier le projet de consigne qui n'a pas pu aboutir en Nouvelle-Calédonie, faute de moyens financiers. C'est sans doute là que le bât blesse. Les collectivités doivent être accompagnées. J'ai dirigé une collectivité territoriale et je sais combien la mise en place d'une déchetterie pour lutter contre les dépôts sauvages peut prendre du temps. En plus du vecteur éducatif, essentiel, il faut un accompagnement des élus ainsi que des fonds d'amorçage. La lourdeur du dispositif tient à la nécessité d'étayer les perspectives et de les soutenir financièrement. A-t-on des exemples d'un accompagnement qui se serait traduit dans les faits ?
Il faut aussi prendre en compte l'impact sur la santé. J'ai été rapporteure de la commission d'enquête sur les pollutions industrielles et minières des sols, dont les travaux ont montré qu'elles pouvaient avoir des conséquences sur la santé à long terme. Vous avez mentionné que la pollution liée aux déchets touchait les lagons, les plages et les mangroves de Mayotte. A-t-on étudié la qualité de l'air qu'on y respire ainsi que les infiltrations possibles dans les sols ? D'autant que des phénomènes importants de migration se superposent à ces difficultés. La question de l'accompagnement des collectivités en matière de santé publique est essentielle. Quel rôle jouent les associations ?
M. Johann Leconte. - Le dispositif de responsabilité élargie du producteur (REP) en matière d'éco-organismes est insuffisamment développé dans les outre-mer, alors qu'il devrait l'être au même niveau que dans l'Hexagone. En effet, compte tenu de l'insularité des territoires d'outre-mer, il est d'autant plus difficile d'y recycler les déchets. Hormis celles des emballages et des journaux, les filières ne sont pas forcément développées. On peut regretter l'absence de représentation locale des éco-organismes, liée au fait que chacun d'eux gère ses propres équipes à cinq ans de projection. Toutefois, il faudrait les encourager à développer leur présence dans les territoires ultramarins, car celle-ci rendrait leur action d'autant plus pertinente.
La question du recyclage reste essentielle. Une fois les produits consommés, les matières premières doivent être recyclées, mais les dispositifs n'existent pas sur place, pour des raisons liées aux bassins de population. Il faut donc exporter les déchets, sans forcément maîtriser les conditions de recyclage en matière de protection de l'environnement ou de droit social des salariés dans le pays d'exportation. Les départements ultramarins seraient donc en droit de demander une attention particulière aux éco-organismes et à l'État pour développer des projets de recyclage différenciés. Par exemple, même si l'on ne peut pas construire de verrerie dans les départements d'outre-mer, faute d'un bassin de population suffisant pour assurer le fonctionnement de l'usine, on peut trouver des usages dérivés du verre, en particulier pour en faire du sable de filtration à destination des piscines, en substitution du sable très coûteux que l'on fait venir de loin. Il faudrait favoriser la collaboration entre l'État et les industriels pour développer ces filières alternatives.
Enfin, il n'est pas acceptable que les éco-organismes ne soient pas tous en obligation de développer la collecte, le tri et le recyclage des produits dont ils sont responsables dans chacun des territoires ultramarins. Le concept de la responsabilité élargie du producteur a été inventé pour répondre à ce problème d'internalisation. Il faut le rendre efficient.
Mme Nassimah Dindar. - À La Réunion, il faut saluer l'implication des pouvoirs publics. Les communautés d'agglomération ont réalisé un travail extraordinaire, en particulier sur la communication concernant le tri et sur la fourniture des bacs. J'ai moi-même constaté l'ampleur de ce travail mené dans un temps resserré.
Cependant, les enjeux de santé et ceux liés aux pratiques culturelles sur la consigne et le tri restent à approfondir. Je suis favorable à une rémunération, même symbolique, de ceux qui rapportent leur bouteille ou leur canette de bière à la consigne. Cette pratique culturelle qui perdure à La Réunion peut donner lieu à une émulation positive.
Les biens de consommation que l'on commande sur internet arrivent souvent dans des emballages en carton, et il n'est pas rare qu'il faille jusqu'à quatre cartons pour emballer un seul vêtement. Ne pourrait-on pas prévoir une réglementation plus stricte en la matière ?
Monsieur Leconte, je ne crois pas qu'il soit plus difficile de retraiter à La Réunion qu'ailleurs. Toutes les bouteilles de l'île Rodrigues sont traitées dans la verrerie de l'île Maurice. Il faudrait aider les éco-organismes à s'installer et soutenir les collectivités afin qu'elles développent des partenariats public-privé pour favoriser un retraitement sur place, en particulier pour le papier, le carton et le verre. Pourquoi ne pas non plus exonérer les entreprises qui s'installent dès lors que leur activité concerne le traitement des déchets ?
À La Réunion, les associations et les collectivités ont fourni des efforts considérables en matière de tri, de prévention et de communication auprès de la population.
Mme Marie-Laure Phinera-Horth. - Madame Elfassi, votre association n'existe pas en Guyane. Participez-vous quand même à certaines actions favorisant la réduction des déchets sur ce territoire ?
Monsieur Leconte, l'ADN de votre structure est de concilier l'équilibre naturel et l'activité humaine et de proposer des pistes pour adapter notre planète aux changements climatiques et les atténuer. Pourtant, j'ai la fâcheuse impression qu'en Guyane, France Nature Environnement s'évertue surtout à annihiler tout projet de développement, qu'il s'agisse de la Montagne d'or ou de la centrale du Larivot. Dans le cadre de ce dernier projet, les terrassements ont été réalisés et les chefs d'entreprise qui avaient investi dans des camions se retrouvent en difficulté.
L'association Guyane Nature Environnement est bien informée des difficultés rencontrées par les communes enclavées. En effet, les communes de l'intérieur peinent à traiter les déchets, faute de routes et de décharges. Certaines d'entre elles sont reliées par des fleuves, comme les villages de Twenké, Él ahé et Antécume-Pata, où les habitants ne savent pas quoi faire de leurs déchets. Peut-on compter sur votre expertise pour résoudre ces problèmes ? Que peut faire Guyane Nature Environnement, qui dépend de votre association ?
M. Guillaume Gontard. - Je partage vos propos sur l'implantation des éco-organismes. En tant que rapporteur de la mission d'information sur la politique du logement dans les outre-mer, je me suis particulièrement intéressé à la relocalisation des matériaux de construction. Il faudrait envisager des actions fortes sur la réutilisation et le recyclage de ces matériaux. J'ai constaté, dans mon territoire, qu'il était possible de réutiliser directement la plupart d'entre eux, bac acier, menuiseries ou isolants, ce qui pourrait être très intéressant dans les outre-mer. Une réflexion est-elle en cours sur ce genre d'initiatives que la puissance publique pourrait facilement lancer ?
M. Johann Leconte. - Je n'ai pas d'informations assez précises pour vous répondre au sujet de la Guyane.
Pour ce qui est de la responsabilité élargie des producteurs, il est essentiel d'aller jusqu'au bout de la garantie de reprise et je regrette que cela n'ait pas été le cas dans le cadre de la loi AGEC. En effet, les éco-organismes devraient être en responsabilité totale sur la fin de vie de leurs produits et se charger d'en assurer le débouché. Ils auraient ainsi à coeur de trouver les moyens industriels nécessaires pour favoriser le recyclage, en créant par exemple une verrerie. Il faut que la garantie de reprise soit pleine et entière, c'est-à-dire qu'elle ne repose pas uniquement sur l'existence d'un marché potentiel, qui a du mal à exister outre-mer.
Sur la question spécifique du bâtiment, une REP est en train de voir le jour. L'enjeu du réemploi des matériaux dans le bâtiment, essentiel, reste en effet insuffisamment traité. Nous avions souhaité que des objectifs plus importants en matière de réemploi des matériaux soient inscrits dans cette REP, sans obtenir le niveau d'exigence que nous souhaitions. Toutefois, elle a le mérite d'exister et le système doit trouver son rythme avant de pouvoir augmenter sa capacité. Je reste optimiste sur le développement du réemploi dans cette filière. Autrefois, il n'y avait rien de perdu quand on détruisait un bâtiment pour en construire un autre, car nos anciens réutilisaient tous les matériaux.
Nous considérons que les collectivités locales peuvent trouver dans les associations un partenaire efficace pour l'éducation à l'environnement. Pourquoi est-ce difficile dans la pratique ? Sans doute parce que les associations ont souvent été créées dans un contexte de contestation de certains projets. Toutefois, nous devrions travailler en bonne intelligence dans l'intérêt collectif. Cela s'est fait dans certaines communes ultramarines et les résultats sont positifs. Il faut promouvoir cette collaboration entre les collectivités et les associations pour favoriser la sensibilisation des acteurs.
Celle-ci a effectivement été particulièrement efficace à La Réunion au moment de la mise en place du tri sélectif, ce qui n'a pas forcément été le cas dans tous les outre-mer. Sans doute a-t-on privilégié les investissements matériels en laissant de côté la sensibilisation, pourtant nécessaire à la bonne compréhension de la démarche.
En matière de santé, tous les déchets qui arrivent en mer viennent de la terre. Ils ont forcément des conséquences sur la biodiversité et, par effet rebond, sur l'homme. Des difficultés particulières, liées à l'habitat, caractérisent le territoire de Mayotte. Il faut tout faire pour trouver des solutions.
Mme Alice Elfassi. - La coopération entre les collectivités et les associations reste difficile dans certains territoires. À La Réunion, par exemple, le projet d'incinérateur a crispé la relation partenariale pourtant essentielle en matière d'éducation à l'environnement et de sensibilisation. Même si notre association se concentre sur les impacts environnementaux, elle prend de plus en plus en compte ceux qui concernent la santé publique. En outre-mer, les décharges restent nombreuses, même si les incinérateurs posent des problèmes environnementaux et sanitaires.
Faut-il adapter les objectifs de recyclage et développer la valorisation énergétique ? Nous mettons surtout l'accent sur la prévention et le réemploi, car la réglementation incite, quoi qu'il en soit, à réduire l'enfouissement au profit d'autres modes de traitement. Nous ne souhaitons pas que les investissements dans l'incinération prennent le pas sur des financements publics qui pourraient servir à développer des dispositifs de consigne, de tri des biodéchets ou d'éducation à l'environnement. Le projet d'unité de valorisation énergétique (UVE) à Saint-Pierre de La Réunion est un exemple significatif.
De même, en Martinique, la valorisation énergétique des déchets existe grâce à l'implantation d'une usine Albioma destinée à traiter les déchets de la canne à sucre pour produire de l'énergie. Toutefois, la récolte de la canne à sucre étant saisonnière, l'usine a fini par devoir importer des ressources depuis le Brésil et le Canada durant le reste de l'année. On a donc construit une infrastructure peu flexible et très coûteuse dont l'alimentation a nécessité que l'on importe des déchets. La démarche ne nous paraît pas vertueuse.
En outre-mer, les besoins en chauffage urbain ne sont pas identiques à ceux de l'Hexagone, car les habitations sont souvent équipées de chauffe-eau solaires efficaces. Il est donc difficile de justifier ainsi les investissements massifs sur la valorisation énergétique des déchets.
Quant aux filières REP, il faut effectivement que les éco-organismes soient implantés en outre-mer tout comme dans l'Hexagone. Nous restons toutefois critiques sur leur mode de fonctionnement actuel. L'exemple de la filière REP bâtiment est un bon exemple, dans la mesure où la loi AGEC a posé les bases solides d'un soutien à la prévention et au réemploi, pour faire comprendre que les éco-organismes n'ont pas pour seule mission de développer le tri et le recyclage. Or, le cahier des charges que l'on nous a présenté reste décevant en ce qui concerne les objectifs de réemploi, alors que l'industrie du bâtiment est responsable de 75 % des déchets produits en France. C'est donc tout le système de la REP qu'il faudrait refondre pour mettre l'accent sur la prévention et le réemploi plutôt que sur le tri et le recyclage, en contraignant davantage les éco-modulations et les bonus-malus qui sont imposés aux producteurs de déchets. La filière du bâtiment, toute nouvelle, devrait être en pointe.
Peu de relations ont été établies entre les éco-organismes et les groupes locaux. Il existe toutefois une exception en Nouvelle-Calédonie où le groupe local m'a indiqué être en relation avec Trécodec, éco-organisme qui traite les piles, batteries et pneus. Cette relation fonctionne bien.
Des actions en commun ont été menées à La Réunion avec les bailleurs locaux, même si elles se sont essoufflées au cours des deux dernières années. Ce type de partenariat est essentiel pour l'éducation à l'environnement et la sensibilisation.
Pour lutter contre les dépôts sauvages et favoriser la sensibilisation des usagers, nous envisagions d'organiser des visites de décharges par des groupes scolaires. Les associations pourraient s'en charger en se concentrant sur les impacts environnementaux et sanitaires de ce type d'installation. Un partenariat avec la collectivité territoriale concernée serait intéressant.
Mme Victoire Jasmin, présidente. - Des efforts sont menés en Guadeloupe, comme la mise à disposition de composteurs individuels ou des ressourceries. Les moyens manquent, mais j'espère que ces problématiques continueront d'être prises en compte. Dans l'archipel de la Guadeloupe, les habitants sont parfois soumis à une double ou à une triple insularité, ce qui rend la situation d'autant plus difficile à traiter pour les collectivités locales.
En matière de santé, la prolifération des rongeurs sur les dépôts sauvages favorise la leptospirose. Nous devons continuer de développer de bonnes pratiques, mais les moyens manquent.
Je vous remercie pour vos interventions. Vous pourrez nous faire parvenir par écrit des compléments d'information.
Étude sur la gestion des déchets dans les outre-mer - Table ronde avec des opérateurs économiques
Mme Victoire Jasmin, présidente. - Mes chers collègues, nous poursuivons nos auditions pour l'étude relative à la gestion des déchets dans les territoires ultramarins, dont les rapporteures sont Gisèle Jourda, sénatrice de l'Aude, et Viviane Malet, sénatrice de La Réunion.
J'ai l'honneur de remplacer aujourd'hui le président Stéphane Artano, qui vous prie de l'excuser, car il participe à nos travaux en visioconférence.
Dans le cadre de cette seconde table ronde, nous accueillons les représentants de la Fédération des entreprises des outre-mer (Fedom), de la Fédération professionnelle des entreprises du recyclage (Federec), et du Syndicat national des entrepreneurs de la filière déchet (Snefid), que nous remercions de leur disponibilité.
Après avoir donné la parole au président Stéphane Artano afin qu'il vous adresse quelques mots, je demanderai ensuite aux deux rapporteures de bien vouloir formuler leurs questions, puis ce sera au tour des représentants des associations de faire leur exposé, dans l'ordre suivant : Hervé Mariton, président de la Fedom ; Manuel Burnand, directeur général de la Federec ; et Guénola Gascoin, secrétaire générale du Snefid. Les rapporteures pourront alors reprendre la parole pour demander davantage de précisions si elles le souhaitent, et je donnerai enfin à nos collègues la possibilité d'intervenir.
M. Stéphane Artano. - Je remercie Victoire Jasmin d'avoir accepté de me remplacer. Je salue nos deux rapporteures Gisèle Jourda et Viviane Malet, ainsi que les membres du groupe d'études sur l'économie circulaire du Sénat, qui portent nos sujets de préoccupation.
Nous souhaitons dresser un état des lieux aussi exhaustif que possible et proposer des recommandations adaptées aux territoires ultramarins. Nous voulons que les problématiques spécifiques à la gestion des déchets dans les territoires d'outre-mer soient mieux prises en compte dans la politique nationale, censée donner la priorité aux défis environnementaux.
Nous vous remercions donc vivement de nous éclairer dans le cadre de cette étude, à la lumière de l'expertise reconnue que vous avez acquise.
Mme Gisèle Jourda, rapporteure. - Mes chers collègues, mesdames et messieurs les représentants des opérateurs économiques, je voudrais tout d'abord excuser les représentants de la Fédération nationale des activités de la dépollution et de l'environnement (Fnade) qui, ne pouvant être présents avec nous ce matin, ont transmis une contribution écrite étayée en réponse à notre questionnaire.
Notre sujet intéresse la transition écologique et le quotidien de tout un chacun. La gestion des déchets constitue un service public élémentaire, au même titre que l'eau ou l'assainissement. Or, nous savons que dans les territoires ultramarins, ces services de base ne sont pas toujours rendus dans des conditions satisfaisantes.
Les entreprises sont évidemment au coeur de cet enjeu, en tant que producteurs de déchets, mais aussi en qualité de prestataires et d'industriels du déchet. Ce champ d'activité économique ne cesse de croître et de se perfectionner, à mesure que les défis du recyclage et du réemploi s'imposent.
Cette table ronde doit notamment mettre en avant ces deux aspects, et nous devons comprendre pourquoi certaines filières ne parviennent pas à décoller dans les outre-mer. Les filières à responsabilité élargie des producteurs (REP) sont en effet très en retard, quand elles ne sont pas inexistantes, alors que les entreprises ultramarines y contribuent bien souvent.
Pour cette audition, je souhaite en particulier recueillir votre avis sur les récents bouleversements législatifs et réglementaires : ces textes prennent-ils en compte les spécificités des entreprises et des marchés ultramarins ? Observez-vous une dynamique nouvelle dans les outre-mer à la suite de l'adoption de ces textes ?
Par ailleurs, les différents dispositifs d'aide ouverts aux entreprises en matière de déchet sont-ils adaptés aux besoins des entreprises ? Je pense par exemple à la défiscalisation, ou encore aux appels à projets outre-mer, en particulier ceux de l'Ademe ou de Citeo pour innover en matière de recyclage.
Enfin, je souhaiterais recueillir votre avis sur la viabilité économique de la mutualisation de certains équipements entre territoires ultramarins, par exemple entre la Martinique et la Guadeloupe, ou dans l'océan Indien, entre La Réunion, Mayotte ou des États insulaires voisins. Cela peut-il avoir du sens, en dépit du coût des transports maritimes ?
Mme Viviane Malet, rapporteure. - En qualité d'élue locale et de sénatrice de La Réunion, je constate chaque jour au coin de la rue le défi représenté par la gestion des déchets dans mon territoire. Nous sommes en alerte rouge.
La gestion des déchets est un secteur d'activité en plein essor, d'une technicité croissante. Votre partage d'expérience est donc important.
J'aimerais notamment avoir votre retour sur l'organisation des filières REP outre-mer. Le bilan est globalement assez médiocre. Selon vous, quelles en sont les raisons ? Les entreprises des DROM cotisent auprès des éco-organismes depuis des années, mais le service rendu est très faible. Avez-vous des discussions avec des éco-organismes, en particulier avec Citeo ? Percevez-vous un changement depuis l'adoption de la loi AGEC ?
Mon autre interrogation porte sur la remise au goût du jour de la consigne, tant pour le verre que pour le plastique, chantier à propos duquel les territoires d'outre-mer sont perçus comme un possible laboratoire. La Guadeloupe s'est notamment portée candidate pour devenir un territoire d'expérimentations. Quel regard les entreprises ultramarines portent-elles sur ce retour de la consigne ? Êtes-vous associés à ces projets ? Les conditions pour une activité économiquement viable sont-elles réunies ?
Le problème de l'exportation des déchets est de plus en plus complexe, et la crise du transport maritime ne fait qu'empirer la situation. L'annonce par CMA-CGM de l'arrêt prochain du transport des déchets plastiques ne va certainement pas améliorer les choses. Avez-vous des propositions pour obtenir un aménagement des règles d'exportation des déchets depuis les outre-mer ? Sur l'aide au fret, qui permet de réduire le coût de l'export, considérez-vous que les différents dispositifs existants sont satisfaisants ?
Une dernière interrogation porte enfin sur l'ingénierie et l'expertise dans les outre-mer. Il y a deux semaines, les auditions de la délégation ont fait apparaître que les crédits existaient pour des projets concernant les déchets dans les outre-mer, mais qu'ils étaient sous-consommés. Ce problème est d'ailleurs plus général, comme l'a récemment relevé la Cour des comptes, sur une saisine de la commission des finances du Sénat.
L'insuffisance de l'ingénierie technique et administrative des collectivités ultramarines est l'une des principales explications avancées. Quel est votre regard sur cette difficulté majeure, les entreprises étant parties prenantes dans la préparation et la co-construction des projets ? Quels sont les dispositifs les plus efficaces pour accompagner les collectivités et les entreprises lorsqu'elles sont à l'initiative de projets privés ?
M. Hervé Mariton, président de la Fédération des entreprises des outre-mer. - En tant que président de la Fédération des entreprises des outre-mer, j'apporterai un certain nombre de réponses générales, les acteurs plus spécialisés pouvant apporter sur certains points des précisions supplémentaires.
Dans les outre-mer, les enjeux de transition écologique et d'économie circulaire sont essentiels, en particulier pour des raisons physiques : dans ces espaces insulaires ou quasi insulaires pour la Guyane, la notion d'économie circulaire revêt des enjeux importants, notamment en ce qui concerne l'évacuation des déchets. La notion de cercle, pouvant sembler un peu théorique dans une approche nationale, est très concrète en situation insulaire.
Les enjeux de la transition écologique et énergétique sont, pour les outre-mer, à la fois une contrainte et une opportunité. Alors que les schémas économiques font trop souvent du sur-place, il y a probablement là une occasion de franchir des étapes, si nous pouvons résoudre certains problèmes.
Viviane Malet a posé des questions d'ingénierie, et Gisèle Jourda a souligné la dimension de service public de la gestion des déchets. Deux ordres de difficultés sont ainsi soulevés. Les contextes économiques sont compliqués outre-mer, et les structurations d'entreprises sont parfois fragiles. Pour autant, si je puis le dire devant les sénateurs, l'organisation des collectivités locales est parfois également fragile. Il n'est pas plus aisé de résoudre les questions d'ingénierie en outre-mer que dans l'Hexagone. Il n'y a pas le potentiel d'entreprises permettant de répondre à la totalité des questions concernant les déchets, et il faut réaliser des progrès importants. Mais par ailleurs, et sans insolence, je me hasarde à dire que la prise en charge de ces questions par les collectivités locales n'est pas toujours à la hauteur des défis soulevés.
Autour du thème de l'économie circulaire, Gisèle Jourda évoquait la défiscalisation. Or, cet outil a été très largement conçu, depuis longtemps, pour des objets neufs. Dès que l'on parle de réutilisation et d'économie circulaire pour des déchets, des biens industriels ou des machines-outils, et dès que l'on essaie de garder dans le circuit ce qui pourrait facilement en sortir, il est important de poser la question d'une évolution de la défiscalisation pour mieux prendre en compte les différentes formes de réutilisation, en particulier pour les biens d'investissements.
Il en va du domaine des déchets comme d'autres domaines : les spécificités des outre-mer sont globalement insuffisamment prises en compte. Observe-t-on une dynamique nouvelle ? Oui et non : nous ne sommes pas à la hauteur de la situation. Comme Viviane Malet l'évoquait, l'interruption de l'évacuation des déchets plastiques constitue une menace. Mais en réponse à cette contrainte violente, une dynamique de réflexion est enclenchée, même si les actions restent insuffisantes, tout comme le travail de mutualisation.
Le transport des déchets a récemment émis un signal d'alerte important. Une bonne partie du traitement des déchets outre-mer passe par leur évacuation sous une forme plus ou moins traitée. Récemment, cette évacuation a été fortement perturbée par tous les problèmes de transport maritime que connaissent les outre-mer : saturation des zones de stockage et difficultés d'organisation des plateformes portuaires, perturbation de l'offre de transport tant en quantité qu'en qualité, avec des modifications des routes maritimes, et incertitude des prix contractuels comme des prix spot. Tout ceci affecte le transport des déchets.
Sur la question de l'aide au fret, ces dernières années, l'évolution a été défavorable. Dans une précédente programmation européenne, les territoires d'outre-mer pouvaient bénéficier de l'aide européenne à l'exportation de déchets vers l'Europe, ce qui n'est malheureusement plus le cas dans la dernière programmation européenne.
L'aide nationale au fret reste en théorie ouverte, mais la plupart des collectivités ont décidé d'adosser les dispositifs nationaux sur ceux du Fonds européen de développement régional (Feder). La disparition de l'aide européenne au fret des déchets a le plus souvent entraîné de facto une disparition de l'aide nationale au fret, ce qui constitue, de manière concrète et précise, un sujet majeur de préoccupation.
La situation est cependant un peu plus favorable que ce qu'a craint Viviane Malet. Après le signal d'alerte qui justifie votre propos, CMA-CGM s'est plus récemment exprimée par voie de communiqué. Par la suite, vous avez probablement vu que la direction générale de la prévention des risques au ministère de l'écologie et la direction générale des outre-mer au ministère des outre-mer ont adressé conjointement un courrier à CMA-CGM, actant la possibilité de couvrir administrativement le transport des matières plastiques vers l'Union européenne et la France métropolitaine. Même si cela ne répond pas totalement aux problématiques de transport de matières plastiques issues de La Réunion, la réponse de CMA-CGM à cette alerte est rassurante.
Avec le délégué général de la Fedom, nous étions il y a quelques semaines en Martinique. Le « coup de semonce » CMA-CGM a incité les acteurs locaux à réfléchir sur la collecte et le recyclage des déchets plastiques. Historiquement, il y a un certain temps, des bouteilles plastiques étaient recyclées en Martinique. Du fait d'une insuffisante organisation de la collecte, cette unité de traitement s'était arrêtée - ce qui nous ramène à la question de l'organisation du service public. Aujourd'hui, la question prend une dimension nouvelle. Vu de la Martinique, le sujet est complexe : sous-jacentes à la mutualisation, des initiatives récentes se sont fait jour en Guadeloupe, et les acteurs ont conscience qu'il n'y a pas de place pour deux unités industrielles et deux opérateurs en même temps dans les Antilles.
La mutualisation n'est pas là aujourd'hui, mais c'est un défi que nous devons relever pour ne pas dépendre de la bienveillance de CMA-CGM concernant les trajets des matières plastiques. Les acteurs des départements français des Antilles et d'autres collectivités comme Saint-Martin et Saint-Barthélemy sont concernés par cette donnée.
Au-delà des matières plastiques, dont l'interruption du transport constitue une menace, je voudrais souligner le problème de la collecte, du stockage et du transport des déchets dangereux. Il s'agit d'une préoccupation grave. Sous le contrôle de Viviane Malet, je comprends qu'à La Réunion aujourd'hui, la filière est en carence à tous les niveaux : l'évacuation des piles n'est pas possible, le stockage et la collecte ne se font plus.
La réduction des déchets à la source constitue une autre dimension du travail de la délégation. Le sujet est difficile vu des outre-mer, compte tenu de l'importance de la part des produits importés dans les économies ultramarines, qui représentent souvent une part modeste de la production globale de ces produits. Les metteurs en marché ultramarins, souvent minoritaires dans leurs filières d'approvisionnement, peuvent difficilement maîtriser la conception des produits ou la réduction potentielle des emballages et des suremballages.
La Fedom soutient la production locale, qui se pose ces questions, mais il y a une difficulté liée à la faible marge réalisée par les distributeurs d'outre-mer sur les produits importés. Demain, des évolutions du type de la taxe carbone pourraient affecter les frais d'approche, et la réduction à la source des déchets pourrait ainsi prendre une nouvelle dimension.
Concernant le recyclage et la réutilisation, nous réfléchissons à faciliter la miniaturisation des filières de production, afin d'encourager une meilleure maîtrise de la réduction à la source des déchets, en prenant le problème très en amont. Cela ne répond pas vraiment à l'urgence immédiate, mais il faut tout de même avoir cette dimension en tête. S'agissant des filières de recyclage, comme je l'évoquais avec l'exemple des bouteilles en plastique en Martinique, l'échec connu par le passé s'explique peut-être par la taille peu adaptée des outils de production.
Il n'est pas absurde de relier les démarches de miniaturisation et celles d'économie circulaire. Si des efforts doivent être menés, y compris dans les politiques publiques, comme nous souhaitons le plaider auprès de la direction générale des entreprises, ces efforts peuvent porter sur le recyclage et passer par la miniaturisation des outils de production, quitte à mettre prioritairement des moyens dans les économies insulaires, où les problèmes ne se posent pas de la même manière que dans l'Hexagone - je lance cette proposition.
Des évolutions nationales sont favorables, et les outre-mer doivent pouvoir en tirer profit. L'assouplissement du classement ICPE (installation classée pour la protection de l'environnement) et de l'encadrement environnemental des combustibles solides de récupération (CSR), vu des outre-mer, ouvre des perspectives favorables, car ils constituent une manière de traiter des déchets et de produire de l'énergie. Des réflexions sont en cours à La Réunion, sous l'égide de l'entreprise d'énergie Albioma.
J'ai rapidement évoqué la question de la mutualisation, en mentionnant les difficultés concernant les plastiques en Martinique et en Guadeloupe. Le sujet est évidemment important.
Concernant la valorisation et le recyclage, il faut faire attention à la taille de nos marchés, qui sont souvent de petite dimension. Des efforts sont faits sur la politique des déchets, y compris dans les collectivités du Pacifique. Des cadres législatifs ont été adoptés. Le gouvernement de la Polynésie française a pris des lois de pays, et le code de l'environnement polynésien prévoit un certain nombre de dispositions. Selon les parties du territoire, que l'on soit à Tahiti ou dans des archipels éloignés, les conditions d'application ne sont pas les mêmes.
Le constat, en Polynésie française comme dans d'autres collectivités d'outre-mer, est celui d'une augmentation très significative de la production de déchets ces dernières années. Un certain nombre de collectivités d'outre-mer connaissent un déclin démographique, mais les problèmes de déchets ne sont pas résolus pour autant ; dans d'autres, la croissance démographique les aggrave.
En Nouvelle-Calédonie, par exemple, plus de 100 000 tonnes de déchets ménagers sont produites annuellement, alors que les enjeux de préservation et de valorisation de l'environnement sont importants. Les politiques concernant les déchets sont d'autant plus importantes. Il faut avoir en tête la complexité de l'organisation administrative : une partie des compétences relève de l'État, une autre est liée à la compétence forte des provinces en matière d'environnement, une partie revient cependant au gouvernement de la Nouvelle-Calédonie sur la gestion des déchets de soins à risque infectieux, des médicaments et des déchets d'amiante, et une autre partie revient aux communes ou aux regroupements de communes. Je veux souligner l'implication de la Chambre de commerce et d'industrie de la Nouvelle-Calédonie (CCI-NC), qui a mis en place un observatoire des déchets des entreprises, sur un modèle inspiré des Côtes-d'Armor, pour bien suivre l'ensemble de ces questions.
Je voudrais aussi mentionner les difficultés réelles observées dans la troisième collectivité du Pacifique, à Wallis-et-Futuna, concernant la gestion de cette filière.
M. Manuel Burnand, directeur général de la Fédération professionnelle des entreprises du recyclage. - La Federec est une vieille dame de plus de 70 ans : la fédération est née avec différents syndicats régionaux. Dans le cas particulier des DROM-COM, nos adhérents sont suivis par la région parisienne, cette couverture territoriale étant répartie selon le découpage de la loi NOTRe.
La Federec est caractérisée par une compétence par métiers : nous sommes la seule fédération à rassembler des compétences techniques sur l'ensemble des matériaux, le textile, le plastique, le papier-carton, le bois, les métaux, des branches annexes étant chargées de la régénération de solvants et de la valorisation des combustibles solides de récupération --je suis heureux de voir ce sujet évoqué. Nous suivons également les produits complexes comme les véhicules automobiles hors d'usage (VHU), les déchets d'équipements électriques et électroniques, les déchets d'ameublement et les déchets du bâtiment.
Sur toutes ces questions, nous sommes impliqués en amont, puisque notre confédération européenne EuRIC siège à Bruxelles. À l'échelle mondiale, nous jouons un rôle concernant les sujets relevant de la convention de Bâle.
J'ai apprécié vos questionnements sur l'ingénierie, car il s'agit d'un des atouts de notre fédération. Une forte compétence technique, technologique et commerciale est portée par nos entreprises comme par notre club de partenaires. La Federec réunit des entreprises dotées d'ICPE pour recycler et transformer les déchets en ressources, en matières ou en énergie. Une soixantaine d'entreprises nous accompagnent dans l'ingénierie, tant financière que technique - par exemple en ce qui concerne le traitement des pneumatiques par pyrolyse, qui peut se faire dans de très petites unités, ces questions d'échelle étant importantes dans les DROM-COM.
Un point nouveau est l'ingénierie de formation. Nous avons identifié ce besoin depuis de nombreuses années, et il est porté par notre président François Escoffier. Avec l'AFPA (Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes), nous sommes en train de lancer l'école nationale du recyclage et de la ressource, en prenant en compte certains aspects très pratiques de la formation à la gestion des déchets. Nous montons ce travail avec nos partenaires, afin de leur présenter notre fonctionnement.
Un élément important est le diagnostic de compétences. J'ai été frappé par certains entretiens que j'ai récemment faits avec nos adhérents. Dans certains cas, des gens ayant travaillé dans l'Hexagone pour de grandes enseignes de recyclage ont de très bonnes compétences et une réelle volonté d'aller de l'avant. Nous devons muscler ce volet de la compétence pour changer notre manière de penser : trop longtemps, on a considéré que les déchets des DROM-COM devaient être rapatriés sur le territoire hexagonal. Or nous devons désormais considérer le déchet comme une ressource et une opportunité pour les territoires, en ce qui concerne la création de valeur ou la création d'emplois.
Il faut regarder les choses de manière précise. Pour le plastique par exemple, j'ai été frappé par la surconsommation de bouteilles d'eau en plastique liée à la qualité de l'eau dans les outre-mer. Nous avons parlé de l'exemple un peu triste de la Martinique. Ce genre d'initiatives peut être relancé, les éco-organismes pouvant constituer des leviers d'accélération du développement dans ces écosystèmes économiques particuliers.
L'export des déchets représente un vrai sujet, en particulier en ce qui concerne les piles et les accumulateurs. Vous avez entendu parler à Paris des départs de feu dans des bus électriques. Aujourd'hui, c'est la terreur des sociétés de transport, d'autant plus lorsque les accumulateurs sont dans des porte-conteneurs. Le sujet est extrêmement complexe, car il y a environ deux cents types de batteries mis sur le marché. Cela soulève certaines questions auxquelles nous n'avons pas forcément pensé. En tant que fédération, nous réalisons le danger posé par ces accumulateurs, qui sont des « bombes incendiaires » disséminées sans beaucoup de prudence dans de nombreux objets de consommation, comme nos brosses à dents. Le secteur des déchets en est la première victime.
Pourquoi la filière déchet ne décolle-t-elle pas ? Il faut unir nos forces et décloisonner nos compétences comme nos visions, au moment historique que nous vivons. Les territoires sont essentiels, et nous devons travailler ensemble.
Les récents bouleversements concernent nos entreprises qui portent, de manière historique, l'emploi, les outils industriels et la compétence. Contrairement à ce que j'ai entendu, les éco-organismes ne vont pas résoudre tous les problèmes : dans les faits, les entreprises assument cette responsabilité, et un équilibre doit être trouvé entre les entreprises et les éco-organismes.
La filière déchet a la chance de bénéficier d'un comité stratégique de filière rattaché au Premier ministre. La question de l'articulation entre les opérateurs du déchet et les éco-organismes est en cours d'étude.
Du reste, nous avons porté collectivement un recours contre l'arrêté du 15 mars 2022 qui nous inquiète beaucoup, car il change fondamentalement les choses. Par exemple, alors que les entreprises et les collectivités locales ont pu créer des boucles locales en bonne intelligence, le risque est qu'on impose dogmatiquement certaines choses venues d'en haut, en pensant par exemple que le recyclage chimique va tout résoudre.
Ces travaux sont en cours, mais il s'agit d'un point de vigilance. Une dynamique nouvelle est engagée, mais il faut s'y atteler.
Le PIA4 (Programme investissement d'avenir) lance des éléments que nous devons objectiver sur l'innovation, mais, là encore, il faut définir le partage de valeur entre les entreprises et les éco-organismes.
Je ne reviendrai pas sur la question de la mutualisation, qui a déjà été évoquée, mais je donnerai juste une anecdote : nos adhérents sont principalement situés en Guadeloupe, en Martinique et à La Réunion. Clairement, les sujets n'ont rien à voir. À La Réunion, nos adhérents nous disent échanger régulièrement avec CMA-CGM. Les conteneurs passent par plusieurs pays, y séjournent parfois, et la complexité administrative est considérable. Cela n'a rien à voir avec la situation de la Guadeloupe ou de la Martinique, où des circuits courts sont possibles. On ne peut pas généraliser, il faut regarder ces sujets de manière précise et individualisée.
Nous souscrivons entièrement au besoin que représente l'aide au fret. Je m'en tiendrai là, avant de répondre plus précisément à vos questions.
Mme Guénola Gascoin, secrétaire générale du Syndicat national de la filière déchet (Snefid). - Le Snefid est un syndicat patronal représentatif des entreprises de la filière du déchet, actif depuis cinq ans, notamment dans le domaine de la formation. Il rassemble des entreprises indépendantes, de petite taille - très petites entreprises (TPE), petites et moyennes entreprises (PME), entreprises de taille intermédiaire (ETI) - fortement implantées dans les territoires. Ses adhérents sont répartis entre La Réunion, la Martinique, la Guadeloupe et la Guyane.
Les entreprises de la filière du recyclage et de la valorisation des déchets créent de l'emploi, et sont très proches des territoires compte tenu de l'ancrage de leurs métiers, pour beaucoup opérationnels.
Le sujet de la gestion des déchets dans les territoires ultramarins est essentiel. Nos adhérents se sont d'ailleurs félicités de voir votre délégation s'en emparer.
Des problèmes se présentent en matière de répartition du marché. Si la collecte des déchets ménagers ou professionnels revient majoritairement à des opérateurs privés, leur traitement est assuré principalement par des acteurs publics.
La santé financière du secteur est plutôt bonne, quoiqu'en stagnation. Il faut signaler néanmoins certaines difficultés, à commencer par les problèmes de transport qui ont été précédemment cités, liés à la diminution du nombre de dessertes. De manière générale, la gestion du transport a un coût certain. L'aide au fret est à cet égard essentielle.
Nous devons conduire une réflexion, collégialement, sur l'import de produits. Les industriels disposent en la matière d'une faible marge de manoeuvre sur place. Or, il faudrait réfléchir davantage en amont au potentiel de déchets générés par les produits importés, ainsi qu'à la façon dont ils seront traités - pour les produits de couverture dans le secteur du bâtiment, par exemple. En parallèle, une réflexion est aussi à mener sur l'export des déchets plastiques, à l'aune des problèmes posés par son récent blocage.
Il est important de rappeler que, même s'il s'agit d'un déchet, le plastique est composé souvent de matières premières préparées pour le recyclage. Or nous avons encore trop tendance à considérer les déchets comme de simples déchets, à l'aune d'une vision guidée par l'idée de salubrité. Un travail de vulgarisation est à mener sur ce point.
Compte tenu de la répartition des marchés, la santé économique de nos entreprises se heurte par ailleurs à des difficultés récurrentes liées notamment à la longueur des délais de paiement, singulièrement dans le cadre des contrats publics. Ces délais compromettent les achats de matériels, ou l'approvisionnement en pièces détachées et, en définitive, le bon fonctionnement des collectes. Ces tensions se sont aggravées du fait du contexte de crise que nous connaissons, mais elles existaient déjà depuis plusieurs années.
Les entreprises souffrent également de difficultés de recrutement, pour certains métiers comme celui de chauffeur, par exemple, mais également dans l'encadrement intermédiaire. Malgré les formations internes mises en oeuvre, le turn-over reste important. Une réflexion collégiale doit aussi être menée sur ce sujet.
En matière de REP, la nécessité de développer les éco-organismes dans les territoires ultramarins apparaît clairement. Il en existe déjà quelques-uns, mais cette dynamique reste à développer, dans la ligne de la loi AGEC, qui a mis en avant l'importance de la gestion des déchets dans les territoires ultramarins.
Nos entreprises, installées depuis plusieurs dizaines d'années, sont non seulement spécialistes de la gestion des déchets ménagers et professionnels, mais aussi capables de porter des projets. Un lien gagnerait donc à être noué avec les organismes comme Bpifrance, qui les connaît peut-être mal. Le seul facteur limitant est celui du foncier. En effet, toute installation - pour la préparation, comme pour le déconditionnement ou le tri - a besoin de foncier. C'est un point sur lequel il faudra travailler.
Les problèmes qui peuvent apparaître sur certains outils de traitement - pour les piles, par exemple - ont été évoqués précédemment. Ces problèmes engendrent des difficultés de stockage, notamment dans les ICPE, qui perturbent l'organisation des collectes, ce qui est dommageable pour l'ensemble de la filière. Cette difficulté s'est présentée par exemple en Martinique. Il est important d'accompagner les collectivités sur ce sujet.
En réponse à la question de savoir quels seraient les modèles de filière REP à développer, nos adhérents ont insisté sur l'importance de ne pas calquer dans les outre-mer ce qui se fait dans l'Hexagone. Il faut en effet tenir compte des spécificités locales. Nous avons besoin de travailler avec les opérateurs économiques locaux pour envisager des solutions de traitement différentes. Des projets sont ainsi en cours à La Réunion et à la Martinique autour des combustibles solides de récupération (CSR). Le comité stratégique de filière (CSF) a lancé un appel à projets sur le sujet, tout comme l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe). Ces solutions ne doivent pas être écartées, car nous avons besoin de plusieurs outils. Les CSR pourraient en outre constituer une solution de sortie en cas de refus de tri par les entreprises.
Les entreprises que je représente estiment par ailleurs que la question de la gestion des biodéchets, liée à celle de l'autonomie alimentaire, doit constituer une priorité. L'agriculture ultramarine nécessite en effet de nombreux intrants. Des outils structurants doivent être mis en oeuvre pour le retour au sol des matières organiques et des déchets verts. Il faut privilégier cet axe, notamment à La Réunion.
Nos entreprises font preuve en outre d'une grande pédagogie pour expliquer aux producteurs de déchets leurs obligations en matière de tri. Cette démarche porte plus ou moins ses fruits selon les territoires, mais nous constatons une progression, dont il y a lieu de se féliciter. Il faut accompagner les entreprises dans ce mouvement. Une pédagogie doit également être déployée sur la question du budget de la gestion des déchets.
Enfin, il faudra suivre de près les enseignements de l'expérimentation de consigne menée par Citeo en Guadeloupe, l'objectif étant de récupérer davantage de matière plastique à préparer pour un meilleur recyclage.
Mme Viviane Malet, rapporteure. - Serait-il possible d'affréter un bateau assurant une ligne directe entre La Réunion et l'Hexagonepour le transport des déchets dangereux ?
Mme Gisèle Jourda, rapporteure. - Le foncier constitue effectivement un enjeu fondamental outre-mer. Notre délégation s'était d'ailleurs emparée de cette question il y a plusieurs années.
Se pose également la question de l'impact des dispositifs législatifs nationaux et européens sur les territoires ultramarins. Il faut notamment garder à l'esprit les objectifs fixés en matière de transition écologique pour les horizons 2023 et 2027 en matière de gestion des sols et de traitement des pollutions.
Par ailleurs, selon vous, comment pourrions-nous favoriser l'émergence de filières locales de recyclage dans les outre-mer, sachant que des situations différentes peuvent se présenter au sein d'un même territoire ultramarin ? Créer des dispositifs de support et d'accompagnement pour les entreprises et les collectivités vous semblerait-il pertinent pour y parvenir ? Les collectivités locales ont à coeur de faire évoluer ces questions. Des dispositifs d'aides différenciés seraient à cet égard bienvenus. De manière générale, une bonne communication entre les élus et le monde de l'entreprise est essentielle.
Enfin, lorsque des difficultés se présentent pour le traitement des déchets en cas de risques naturels, comment mieux accompagner - avec des dispositifs adéquats - les collectivités locales, les entreprises, mais aussi les populations ? En effet, ces situations ont un impact sur les zones naturelles, d'un point de vue écologique, mais aussi sur la santé de nos concitoyens - par exemple, lorsqu'ils habitent à proximité d'une décharge.
Mme Marie-Laure Phinera-Horth. - La Guyane est confrontée à un important problème d'élimination des véhicules hors d'usage (VHU). Nous en avons recensé environ 15 000 à une certaine période. Quelles sont vos relations avec l'Association pour le recyclage des déchets de l'automobile en Guyane (Ardag) ? Quelles seraient selon vous les mesures à prendre pour accélérer le traitement de ces VHU ?
Mme Victoire Jasmin, présidente. - La question du traitement des déchets des activités de soins a été peu évoquée.
La longueur des délais de paiement appliqués dans le cadre des contrats publics constitue par ailleurs effectivement un véritable frein.
S'agissant des difficultés de recrutement que vous avez évoquées, notamment pour les chauffeurs, un travail est à mener par les entreprises avec les collectivités pour mieux anticiper les besoins. Vous avez notamment la possibilité, par le biais de vos formations, d'ouvrir davantage de débouchés pour les jeunes et de leur donner ainsi la possibilité de rester dans les territoires.
M. Hervé Mariton. - L'optimisation du tri est un sujet crucial pour la qualité de la collecte, qui implique tant les collectivités que les entreprises et les citoyens.
Pour favoriser l'émergence de filières locales de recyclage, la formulation des appels à projets pourrait être améliorée afin d'augmenter la capacité des territoires ultramarins à y répondre. La méthode des appels à projets est en effet souvent peu adaptée à la réalité de ces territoires, ou s'y adapte avec un temps de retard.
Les déchets plastiques de La Réunion sont destinés désormais à l'Europe et non plus au reste du monde, ce qui a augmenté les coûts de transport associés.
La question de l'élimination des VHU est par ailleurs effectivement très importante, non seulement pour des raisons écologiques, mais également pour le développement de la filière du tourisme. Cela m'a frappé sur l'île de Lifou, en Nouvelle-Calédonie, où je me suis rendu récemment et où le nombre de véhicules hors d'usage, notamment d'autocars, est très important. Cette situation ne sert pas l'attractivité touristique de l'endroit. Un travail est à mener sur ce point.
M. Manuel Burnand. - Nous nous renseignerons sur la possibilité d'affréter un bateau spécifique pour acheminer les déchets dangereux de La Réunion vers l'Hexagone.
S'agissant de la question du foncier, nous pourrions nous inspirer de certaines méthodes de construction verticale - et non plus horizontale - d'outils de recyclage en vigueur en Suisse ou en région parisienne, sachant qu'il faut tenir compte de la nécessaire rapidité d'évacuation requise par ces installations.
Il faut par ailleurs que la région coordonne la vision globale des plans régionaux de prévention et de gestion des déchets (PRPGD), en impliquant tous les acteurs concernés. De manière générale, le partage des connaissances est essentiel.
Enfin, en application des dispositions de la loi « climat et résilience », les constructeurs devront désormais financer la collecte des VHU, ce qui modifiera l'intégralité de la chaîne. Cela implique néanmoins le déploiement d'un marché de pièces de réemploi ou, à défaut, un soutien financier important.
Mme Guénola Gascoin. - La collecte et le traitement des déchets d'activités de soins relèvent des compétences de nos adhérents et obéissent à une réglementation spécifique. Aucune difficulté ne m'a été signalée sur ce point. Je me renseignerai néanmoins.
Le métier de chauffeur est par ailleurs en tension également dans l'Hexagone, tout comme les métiers du secteur de la maintenance. Nous devons trouver des solutions, collégialement, pour remédier à ces difficultés de recrutement.
Mme Victoire Jasmin, présidente. - Merci à tous. Vous pourrez nous transmettre des compléments d'information par écrit.
En Guadeloupe, Sita Verde mène des actions de valorisation des déchets verts. Cette démarche n'est cependant pas optimisée sur l'ensemble de l'archipel.
Mme Guénola Gascoin. - Cela nous a été dit. Il faut optimiser les initiatives mises en oeuvre pour développer le retour au sol et la production circulaire.
M. Stéphane Artano. - Merci à nos intervenants pour leurs réponses. Sur les petits territoires insulaires, nous avons intérêt à réfléchir à des mutualisations entre le secteur public et les acteurs privés. Il faut continuer de manière générale à creuser les pistes proposées par nos territoires sur tous les types de déchets. Merci aussi à nos deux rapporteures pour leurs travaux.