Mardi 24 mai 2022
- Présidence de M. Jean-Claude Requier, vice-président -
La réunion est ouverte à 16 h 05.
Financements de l'État en outre-mer - Audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes
M. Jean-Claude Requier, président. - Nous allons procéder à l'audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, réalisée à la demande de notre commission en application du 2° de l'article 58 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), sur les financements de l'État en outre-mer.
La politique de l'État en outre-mer prend plusieurs formes et notamment celle d'une intervention budgétaire et financière via, en premier lieu, les crédits de la mission « Outre-mer », mais également des dépenses fiscales et enfin des contributions budgétaires des autres programmes de l'État. À ce titre, ce sont près de 100 programmes qui contribuent aujourd'hui au financement des politiques menées par le Gouvernement en outre-mer.
Cet effort budgétaire de l'État s'est renforcé ces dernières années. Pour autant, les inégalités entre les territoires ultramarins et la métropole demeurent importantes. La sous-consommation récurrente des crédits alloués à la mission « Outre-mer » explique sans doute, en partie, les difficultés de rattrapage entre les territoires d'outre-mer et la métropole. C'est donc dans ce contexte que la commission des finances du Sénat a commandé une enquête à la Cour des comptes afin de disposer d'une analyse précise des raisons de cette sous-consommation et des moyens envisagés pour y remédier. En effet, les besoins d'investissement en outre-mer sont nombreux et la capacité à consommer l'entièreté des crédits ouverts est un enjeu majeur.
Par ailleurs, il nous paraissait important d'avoir une analyse des dépenses fiscales outre-mer qui représentent plus de 6 milliards d'euros.
Enfin, l'autre objectif de cette commande était de voir de quelle manière l'information des parlementaires sur les moyens alloués par l'État à l'outre-mer pouvait être améliorée, afin de permettre un débat, au moment de l'examen des lois de finances, le plus éclairé possible.
Je salue la présence de Mme Catherine Démier, présidente de la cinquième chambre de la Cour des comptes, qui nous présentera les principales conclusions de cette enquête. Elle est accompagnée des magistrats qui y ont contribué.
Je souhaite également la bienvenue aux deux représentants de la direction générale des outre-mer (DGOM), Mme Isabelle Richard, sous-directrice des politiques publiques et M. Marc Demulsant, sous-directeur de l'évaluation, de la prospective et de la dépense de l'État, à M. Bruno Mauchauffée, adjoint au directeur de la législation fiscale (DLF), ainsi qu'à M. Laurent Renouf, délégué général de la Fédération des entreprises des outre-mer (Fedom).
Après la présentation de l'enquête par la Cour des comptes, nos collègues Georges Patient et Teva Rohfritsch nous livreront leur analyse, en tant que rapporteurs spéciaux de la mission « Outre-mer », et nos invités pourront ensuite réagir aux conclusions de l'enquête et à ces observations.
À l'issue de nos débats, je demanderai aux membres de la commission des finances leur accord pour publier l'enquête remise par la Cour des comptes.
Mme Catherine Démier, présidente de la cinquième chambre de la Cour des comptes. - Je suis accompagnée de M. Philippe-Pierre Cabourdin, conseiller maître, et de Mmes Perrine Tournade et Sandrine Venera, conseillères référendaires, qui ont réalisé cette enquête.
Dans le cadre du 2° de l'article 58 de la LOLF, vous nous avez saisis d'une demande d'enquête relative à la présentation et l'exécution des dépenses de l'État en outre-mer. Ce sujet, technique a priori, comporte une forte dimension politique.
Nous avons eu plusieurs échanges avec les rapporteurs spéciaux au cours de cette enquête : un échange de cadrage en avril 2021, puis un point d'étape le 7 décembre 2021. Je vous remercie de nous avoir accordé un délai pour la remise du rapport, dans une période marquée par la crise du covid qui touchait tout particulièrement les territoires ultramarins.
Notre enquête s'appuie sur une dizaine de travaux antérieurs des juridictions financières, dont certains sont récents.
Sur les 94 programmes budgétaires qui contribuent aux dépenses de l'État en outre-mer, nous avons sélectionné un échantillon de 16 programmes en raison de leur variété budgétaire, de leur intégration dans les axes prioritaires pour les outre-mer, de leur poids budgétaire et d'éventuelles spécificités territoriales. Ils représentent près de 55 % du total des dépenses, soit 11 milliards d'euros sur un total de 21 milliards prévus pour 2022.
Nous avons retenu un périmètre d'analyse large des instruments de la politique outre-mer pour identifier la stratégie de l'État dans ces territoires, en prenant en compte les objectifs de la loi relative à l'égalité réelle outre-mer du 28 février 2017, dite loi ÉROM, ceux des Assises des outre-mer de 2017-2018, ceux du Livre bleu outre-mer de 2018, ainsi que ceux inclus dans les contrats de convergence et de transformation (CCT) mis en place en 2019. Nous avons eu des échanges avec les responsables de programmes, avec les acteurs de terrain et avec les délégations outre-mer des deux assemblées parlementaires pour identifier leurs attendus et leurs critiques sur le document de politique transversale (DPT), seul document de synthèse de l'implication de l'État en outre-mer. Nous avons également conduit un travail itératif avec la direction du budget et la DGOM, que je remercie.
L'effort financier de l'État en faveur des outre-mer est important, mais il est sous-exécuté. Cet effort représente 4 % des dépenses du budget général, soit 21 milliards d'euros en 2021. Ces crédits, dont 93 % sont portés par neuf missions, sont en augmentation significative depuis une dizaine d'années.
Le programme 123 permet la contractualisation avec les collectivités territoriales. On constate sur ce programme d'importants restes à payer, de l'ordre de 1,9 milliard d'euros en 2021. Les crédits sont mis à disposition, mais nous notons une difficulté structurelle à les engager. Les facteurs d'explication sont multiples : mauvais calibrage au regard de la réalité des projets ; technique budgétaire classique en dépit des efforts de la DGOM pour limiter cette sous-exécution ; mais surtout difficultés structurelles des territoires à engager les crédits. Sur le logement, on constate ainsi un taux de sous-exécution de l'ordre de 21 %. Sur la contractualisation, ce taux est de 16 %.
L'exemple des CCT est éloquent à cet égard. Sur les quelque 3,1 milliards d'euros contractualisés - dont 62 % sont apportés par l'État et 38 % par les collectivités territoriales -, les taux de consommation sont anormalement bas : 33 % sur les autorisations d'engagement et 16 % sur les crédits de paiement. D'où notre suggestion de proroger ces contrats au-delà de leur terme prévu en 2022. La sous-consommation s'explique par des difficultés structurelles liées au tissu économique, à la rareté et à l'insécurité juridique du foncier, au manque d'ingénierie dans les collectivités, au manque de maturité des projets, à l'éloignement géographique, à un pilotage interministériel perfectible ainsi qu'à un cadre rigide, parfois inadapté aux spécificités des territoires ultramarins, empêchant notamment toute réorientation des crédits vers d'autres projets plus matures.
Les engagements financiers de l'État peinent à se concrétiser localement. Les collectivités souffrent d'un déficit de compétences, d'une situation financière dégradée et de dépenses de fonctionnement importantes. Les dispositifs d'aides sont pourtant multiples - contrats de Cahors, contrats de redressement en outre-mer (Corom), plans Cocarde, etc. -, mais insuffisamment suivis. En outre, l'État est parfois amené à se substituer aux collectivités territoriales.
L'accompagnement par l'État est diversifié : Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), Agence française de développement (AFD), Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema)... Mais ces dispositifs sont mal organisés, mal connus, mal coordonnés. Certains projets portés directement par l'État souffrent de moindres retards que les projets pilotés par collectivités territoriales elles-mêmes : il faut aider les collectivités territoriales à acquérir des compétences propres en ingénierie.
Le montant des dépenses fiscales est trois fois plus élevé que celui des dépenses budgétaires, soit 6 milliards d'euros en 2021, dont 700 millions inscrits au programme 123. Considérées comme nécessaires à l'économie ultramarine, les dépenses fiscales sont cependant des outils contestés. À maintes reprises, la Cour des comptes a souligné qu'elles sont difficiles à chiffrer, à cibler et à piloter et qu'elles ne sont pas évaluées. Dans notre rapport de septembre 2020 sur le logement, nous avons ainsi mis en exergue la grande complexité du dispositif, qui fait intervenir des intermédiaires, qui privilégie la rentabilité financière immédiate, qui comporte des effets d'aubaine, etc. La localisation géographique des investissements dépend moins des besoins des collectivités territoriales que des choix des promoteurs. La Cour des comptes est donc défavorable aux dépenses fiscales, en outre-mer comme en métropole.
Le DPT prétend à l'exhaustivité, mais est in fine peu éclairant et peu utile. Il est censé permettre d'évaluer l'atteinte des objectifs de la politique de l'État outre-mer et de rassembler les éléments relatifs aux 94 programmes, à la mission « Outre-mer », aux prélèvements sur les recettes de l'État. Mais il restitue difficilement ces crédits dispersés et ne permet pas de vous éclairer. Il est en outre très complexe à élaborer. Au final, il ne présente pas de véritable dimension stratégique, sa fiabilité est contestable et son utilité, marginale.
C'est pourquoi nous proposons la création d'un nouveau document public de synthèse relatif aux outre-mer pour assurer l'information du Parlement et lui permettre de suivre le déploiement des instruments financiers. Il pourrait être décorrélé de l'année budgétaire. La DGOM semble réticente à une évolution de l'ossature du DPT. Les parlementaires y sont aussi attachés, mais il est trop touffu. J'ai conscience que la réalisation de deux documents distincts constituerait une lourde charge de travail pour la DGOM.
Enfin, notre rapport se conclut par une série de recommandations.
Ce sujet est technique en apparence, mais révélateur des imperfections et des faiblesses de la politique de l'État en faveur des outre-mer. Nous proposons de faire évoluer l'information pour faire mieux apparaître les objectifs et permettre le suivi précis des CCT.
M. Georges Patient, rapporteur spécial. - Nous partageons l'analyse de la Cour sur l'effort budgétaire accru de l'État depuis 2018, puisque les crédits de la mission « Outre-mer », augmentés des contributions des autres programmes du budget de l'État, sont passés, en crédits de paiement, de 17,8 milliards d'euros en 2018 à près de 20,8 milliards d'euros en 2022, soit une hausse de 3 milliards sur le quinquennat, ce qui est considérable.
Cependant, sur la seule mission « Outre-mer », nous tenons à souligner qu'une partie de cette hausse s'explique par la modification du dispositif d'allègements et d'exonérations de charges patronales de sécurité sociale afin de compenser la suppression du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) ce qui a engendré un renforcement des exonérations de charges patronales et, de fait, une augmentation de plus de 42 % des crédits affectés à la compensation de ces exonérations de charges.
De surcroît, cette hausse des crédits budgétaires s'explique également, en partie, par la suppression du mécanisme de la TVA non perçue récupérable par la loi de finances pour 2019 et la mobilisation de l'équivalent de cette dépense fiscale en dépense budgétaire, soit 100 millions d'euros, afin de favoriser le développement économique des territoires, rassemblés dans l'action 04 du programme 138 « Emploi outre-mer ». Enfin, le gain budgétaire dégagé par l'abaissement de la réduction d'impôt sur le revenu introduit par l'article 15 de la loi de finances pour 2019, de l'ordre de 70 millions d'euros, a été dédié à l'abondement supplémentaire du fonds exceptionnel d'investissement (FEI).
Il y a donc eu, au moins pour une partie de cet effort budgétaire, un jeu de compensation qu'il ne faudrait pas négliger.
Par ailleurs, les crédits budgétaires alloués à l'outre-mer représentent environ 4 % des dépenses du budget général de l'État et la Cour souligne dans son rapport que les dépenses par habitant de moins de 60 ans se sont élevées, en 2020, à 10 000 euros en outre-mer contre 8 100 euros en métropole.
Cependant, la population ultramarine représente 4 % de la population totale française : cet engagement budgétaire n'est donc pas disproportionné, alors même que les besoins en infrastructures et en investissements publics demeurent structurellement plus importants au regard des inégalités géographiques, économiques et démographiques de ces territoires.
Par ailleurs, la Cour met en exergue un certain nombre de dispositifs d'aides exceptionnelles aux collectivités les plus fragiles financièrement et, sans remettre en question leur utilité, préconise de conditionner, pour chaque contrat ou plan d'urgence passé entre l'État et les collectivités ultramarines, le versement de nouvelles subventions au respect des engagements contractualisés par les collectivités.
Si nous ne pouvons que partager cette recommandation, nous tenons à préciser que pour les Corom, dans le cas où le contrat prévoit l'attribution d'une subvention exceptionnelle, la réalisation des objectifs contractualisés va conditionner son versement au plus tard au mois de septembre de chaque exercice budgétaire. De même, pour le soutien exceptionnel à la collectivité territoriale de Guyane, la collectivité a déjà engagé des travaux d'ampleur pour aboutir à une fiabilisation de ses comptes et à une plus grande exhaustivité des données dans le domaine budgétaire et dans celui des ressources humaines. Aussi, cette recommandation nous semble déjà en grande partie mise en oeuvre.
Enfin, la Cour souligne une sous-consommation récurrente des crédits de la mission « Outre-mer », notamment concernant les CCT, la ligne budgétaire unique (LBU) et le FEI, constats partagés comme nous l'avions mentionné dans notre rapport dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2022.
Les principales causes de cette sous-consommation sont connues : il s'agit en premier lieu d'un manque d'ingénierie dans les territoires d'outre-mer. L'offre d'ingénierie est pourtant de plus en plus développée. Il conviendrait donc de renforcer les moyens humains alloués aux structures existantes, mais également d'améliorer la communication sur l'existence de ces structures, leurs moyens et leurs missions afin de sensibiliser le plus largement possible les collectivités susceptibles d'y recourir. Enfin, une coordination des structures paraît indispensable. La création d'un guichet unique auprès duquel les collectivités pourraient se renseigner pour connaître les aides en ingénierie dont elles peuvent bénéficier pourrait faciliter, en amont, le travail de coordination entre les différents acteurs. Madame la présidente, pensez-vous que ces pistes d'amélioration relatives à l'ingénierie soient de nature à augmenter significativement l'exécution des crédits budgétaires ?
Cette sous-consommation s'explique aussi, sans doute, par un suivi parfois lacunaire des contrats, ce suivi étant rendu particulièrement complexe par l'architecture budgétaire de ces contrats qui regroupent de nombreux acteurs - État sur différents programmes, collectivités et établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Le suivi technique et financier devra donc être amélioré pour permettre une exécution des crédits à la hauteur des enjeux et besoins des outre-mer.
Concernant spécifiquement le pilotage global, actuellement réalisé par la DGOM, ce dernier impliquant plusieurs ministères et acteurs, il pourrait être envisagé qu'il soit mis en oeuvre et suivi par une instance interministérielle.
Mes dernières questions s'adressent tant à la Cour des comptes qu'à la DGOM : comment pourrait-on améliorer le suivi des CCT à échéance régulière pour améliorer leur exécution et éviter, en fin de contrat, des annulations de crédits si nécessaires aux investissements en outre-mer ? À qui pourrait être confié le pilotage interministériel des CCT ?
M. Teva Rohfritsch, rapporteur spécial. - Les dépenses fiscales restent un outil contesté, en dépit des tentatives de rationalisation intervenues depuis 2019. Aussi, aujourd'hui, elles représentent 6,4 milliards d'euros soit 900 millions d'euros de plus qu'en 2018, ce qui s'explique par le dynamisme de certaines d'entre elles.
La Cour, dans son rapport sur les financements de l'État en outre-mer, mais également, de manière régulière, dans ses notes d'exécution budgétaire, souligne que ces dépenses sont peu évaluées alors même que leur poids dans le financement outre-mer est considérable.
Elle va même plus loin et estime que leur efficacité n'est pas avérée et que leur surcoût est important par rapport à d'autres dispositifs. Dans ce contexte, spécifiquement sur les dépenses fiscales relatives à la construction de logements, la Cour des comptes recommande de supprimer les dépenses fiscales inefficientes en faveur du logement et d'abonder du montant correspondant les crédits de la LBU.
Nous ne contestons pas la nécessité d'évaluer précisément l'ensemble des dépenses fiscales rattachées à la mission « Outre-mer », mais nous souhaitons rappeler que ces dépenses représentent un outil essentiel pour contribuer à la dynamisation de l'économie, à l'attractivité des territoires et à l'effort général de rattrapage de l'écart de niveau socio-économique entre l'outre-mer et la métropole.
Elles ont un effet incitatif notamment sur la construction de logements qui, même si elle n'est pas ciblée géographiquement comme le souhaiterait la Cour des comptes, répond tout de même à un besoin prégnant dans la mesure où le déficit de logements et le besoin de rénovations concernent la quasi-intégralité des territoires d'outre-mer - même si quelques communes sont moins concernées que d'autres.
Enfin, les dépenses fiscales ne peuvent être considérées sous le seul angle de l'incitation à investir. Au regard des difficultés rencontrées par les entreprises ultramarines en termes de taille de marché, d'accès au financement ou de compétitivité, les dépenses fiscales facilitent l'accès aux financements, améliorent la solvabilité des entreprises et créent des emplois.
Elles ont également une portée politique dont il ne faudrait pas négliger l'impact en termes de climat social dans les territoires d'outre-mer.
De surcroît, une rebudgétisation d'une partie de ces dépenses fiscales n'est pas sans risque. En effet, celle-ci n'offre aucune garantie de pérennité. Passé la première année, il est difficile de vérifier ce qui relève de la rebudgétisation d'une dépense fiscale ou du solde entre tendanciel, mesures nouvelles et mesures d'économies. De surcroît, et dans le contexte actuel de sous-consommation récurrente bien qu'en amélioration, une rebudgétisation ne garantit pas le niveau des crédits qui pourront être consommés in fine.
Il nous paraît donc indispensable d'établir un programme d'évaluation exhaustif des 29 dépenses fiscales en priorisant des plus importantes d'entre elles en termes de masse financière d'une part et celles qui présentent un fait générateur qui s'éteindra prochainement d'autre part, mais sans envisager, à ce stade, et en l'absence d'évaluation, une rebudgétisation.
Sur ce sujet, j'aurais plusieurs questions pour l'ensemble de nos invités.
D'abord, quelle est votre position sur la suppression des dépenses fiscales outre-mer en faveur du logement et leur remplacement par une rebudgétisation des crédits ?
D'autre part, toujours concernant le secteur du logement, estimez-vous envisageable de conditionner l'octroi de l'agrément à la localisation du projet afin d'inciter les constructions et rénovations dans les localités où les besoins sont les plus prégnants ? Cette conditionnalité vous paraît-elle de nature à orienter géographiquement les projets malgré la rareté du foncier ou pourrait-elle, au contraire, freiner les constructions ? Vous paraît-elle possible pour d'autres dépenses fiscales outre-mer ?
Enfin, comment expliquez-vous l'absence d'évaluation des dépenses fiscales notamment en termes d'impact, alors même que cette évaluation est pourtant réalisée, projet par projet, par le bureau des agréments de la direction générale des finances publiques ? À cet égard, la création d'un jaune budgétaire sur les dépenses fiscales outre-mer vous paraît-elle envisageable, à l'image du jaune existant sur l'efficacité des dépenses fiscales en faveur du développement et de l'amélioration de l'offre de logements ?
Comme l'a très bien analysé la Cour des comptes, le DPT est lourd et complexe à réaliser. Il est également publié tardivement ce qui ne permet pas toujours son exploitation pleine et entière par les parlementaires. De surcroît, il n'est pas réellement corrélé à l'objectif premier de la politique de l'État à savoir les rattrapages des écarts existants entre les territoires outre-mer et la métropole et aux objectifs définis dans la loi ÉROM.
À nos yeux, il présente surtout un biais méthodologique important qui consiste en une approche exhaustive des dépenses de l'État en outre-mer y compris de dépenses que l'État réalise également pour les départements de métropole. Cette logique a pour conséquence de présenter les territoires d'outre-mer comme un centre de coûts pour l'État sans mise en parallèle avec les richesses créées par ces territoires.
Aussi, et je m'adresse en premier lieu à la DGOM, vous paraît-il envisageable de recentrer les développements littéraires du DPT sur les seuls crédits spécifiquement alloués à des actions mises en oeuvre en outre-mer et de ne maintenir les développements sur les crédits budgétaires « de droit commun » dont bénéficient également les autres départements de métropole qu'en cas d'évènements remarquables ou exceptionnels expliquant des hausses ou des baisses inhabituelles ?
Si ce travail nécessite une analyse préalable lourde et importante pour faire le distinguo entre crédits de droit commun et crédits spécifiques à l'outre-mer, il permettrait, à terme, d'alléger le DPT et surtout d'améliorer considérablement l'information des parlementaires.
M. Marc Demulsant, sous-directeur de l'évaluation, de la prospective et de la dépense de l'État à la direction générale des outre-mer (DGOM) du ministère des outre-mer. - Le constat de sous-consommation chronique des crédits doit être pondéré. Certes, les restes à payer (RAP) représentent 1,9 milliard d'euros à la fin de l'année 2021. Nous agissons par différents biais : soutien à l'ingénierie pour les collectivités, qui permet une meilleure réalisation des projets, suppression des RAP qui ne sont plus d'actualité et meilleure sélection des nouveaux projets, pour assurer leur faisabilité. Ces efforts conjugués ont permis de contenir l'augmentation de ces RAP.
Par ailleurs, le traitement des RAP provoque la réapparition d'autorisations d'engagement. Pour 2020 et 2021, les autorisations d'engagement inscrites en loi de finances sont totalement engagées, tandis qu'apparaît dans les documents budgétaires une sous-consommation, due aux autorisations d'engagement désengagées des années antérieures. En matière d'exécution, depuis deux ans, il en va de même : la totalité des crédits est consommée. Il serait délicat de dresser des conclusions hâtives, mais le soutien à l'ingénierie participe probablement de ce résultat.
Le constat d'absence d'évaluation des dépenses fiscales nous semble sévère ; lui aussi doit être pondéré. Par exemple, nous avons évalué le régime d'aide fiscale lié à l'investissement productif, ce qui a permis d'obtenir de la part de la Commission européenne la reconduction de cette dépense. Les dépenses fiscales sont nombreuses et il semble nécessaire de prévoir leur évaluation. En fin d'année, nous avons défini un programme pluriannuel d'évaluation, mais évaluer de telles dépenses est un exercice très lourd - les dépenses fiscales dans les territoires ultramarins s'élèvent à 6 milliards d'euros pour 2021. Ce travail demande du temps et exige d'externaliser certaines évaluations, par exemple en vue des rendez-vous européens. Notre feuille de route est claire, mais le travail prendra du temps.
Le suivi des CCT est effectué en deux temps. Le premier suivi est un suivi budgétaire. Sur 2,4 milliards d'euros contractualisés, 57 % sont engagés, ce qui peut sembler peu un an avant la fin de l'exercice. Nous déplorons certaines rigidités liées à la LOLF, qui empêchent des redéploiements de crédits. Le second suivi est réalisé projet par projet. Les CCT doivent être suivis localement, sous l'égide des préfets et en lien avec les collectivités, pour en améliorer concrètement l'exécution. Je peine à imaginer à l'instant un autre modus operandi.
Le DPT outre-mer compte plus de 90 programmes contributeurs. Le travail d'élaboration est très lourd, d'autant plus que l'exercice est contraint dans le temps : certains programmes contributeurs communiquent leurs chiffres au dernier moment - les arbitrages sont souvent tardifs - et, depuis la loi organique de décembre 2021, la production des DPT doit être réalisée pour le début du mois d'octobre, ce qui réduit encore le temps dont nous disposons. Nous avons déjà allégé notre travail de cinq annexes. Nous sommes prêts à faire encore évaluer la structure du document, mais ses objectifs sont parfois contradictoires : assurer l'exhaustivité des données et leur lisibilité, dans un temps contraint, voilà une gageure. Alléger la partie écrite pour ne retenir que les crédits spécifiques est une piste intéressante. En ne nous intéressant qu'à 60 programmes, la cure d'amaigrissement du document prévue pour l'exercice 2023 sera de 40 % environ ; nous serons attentifs à la réception de ce nouveau document par les parlementaires. Nous conserverons l'exhaustivité des données dans les annexes, tandis que la partie écrite sera plus stratégique et se focalisera sur les dispositifs spécifiques.
Mme Isabelle Richard, sous-directrice des politiques publiques à la direction générale des outre-mer (DGOM) du ministère des outre-mer. - La question de l'ingénierie est le miroir des enjeux des outre-mer ; elle est essentielle pour le rattrapage des inégalités, par exemple en matière de développement économique et de réalisation d'infrastructures. L'État, les collectivités et la Commission européenne sont engagés dans ce rattrapage - 4 milliards d'euros sont inscrits au titre des fonds structurels. Ces fonds exigent un pilotage très fin et très technique ainsi que des expertises très pointues, difficiles à trouver dans les territoires. Les collectivités locales soulèvent le problème depuis longtemps.
L'État a enrichi depuis trois ans les actions de soutien à l'ingénierie locale. Le fonds outre-mer (FOM), porté par l'AFD, a été doté, une première fois en 2020, puis de nouveau en 2021, de 30 millions d'euros dans le cadre du plan de relance, principalement pour des missions d'assistance à maîtrise d'ouvrage (AMO). L'ANCT soutient aussi l'ingénierie locale, dans une logique de subsidiarité, grâce à l'ouverture, par exemple, de marchés publics d'ingénierie. S'ajoute l'appui de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), de l'Agence nationale de l'habitat (ANAH), de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) et du Cerema. Une petite enveloppe d'aide budgétaire a aussi été fléchée, au sein des fonds pour le logement social, vers l'appui en ingénierie. Enfin, la Banque des territoires s'investit de plus en plus dans cet appui.
Nous partageons le constat de la Cour des comptes : la lisibilité et la coordination des programmes ne sont pas encore optimales, mais nous progressons. En matière de guichet unique, le site aides-territoires.beta.gouv.fr synthétise déjà un certain nombre d'informations. L'ANCT dispose de délégués territoriaux qui rassemblent les services de l'État et les opérateurs locaux pour coordonner cette offre en ingénierie. Une convention entre l'ANCT et la DGOM, signée le 18 février dernier, prévoit un recensement exhaustif des aides et un travail de mise en cohérence entre le niveau national et le terrain ; les travaux vont commencer.
Les CCT arrivent à leur terme ; il faudra en tirer un bilan. Nous ne pourrons pas réaliser l'évaluation, trop longue, avant le prochain programme. Cependant, nous envisageons de réaliser un bilan technique avec les préfets, et donc les collectivités locales. Ont été signalés un manque de souplesse dans l'utilisation des crédits, un manque d'outils numériques communs entre collectivités et préfectures pour le suivi des crédits et un manque d'outils d'analyse et de suivi au niveau ministériel ; nous devons aussi rendre ces CCT plus stratégiques. Tel est le chantier qui nous attend.
Une évaluation des outils fiscaux va commencer : nous allons nous intéresser à la TVA à taux réduit, aux investissements productifs et au logement.
Au début du plan logement outre-mer (PLOM) pour 2019-2022, nous comptions 155 000 logements sociaux et 60 000 personnes étaient en attente de logement. La réalisation et la réhabilitation de logements sociaux sont cruciales. La DGOM porte une très grande attention au suivi de cette politique et de ces crédits. Le PLOM est riche en mesures. L'ensemble des crédits de la LBU est engagé et la défiscalisation intervient en complément. Nous suivons cet outil avec beaucoup d'attention : dans les départements et régions d'outre-mer (DROM), cette défiscalisation est associée à la LBU, ce qui permet aux services de l'État de suivre précisément les projets et d'évaluer leur pertinence, ce qui est un gage d'efficacité et de cohérence entre les deux outils. La défiscalisation donne aussi une certaine souplesse par rapport aux règles budgétaires, ce qui permet la réalisation de projets.
La défiscalisation est particulièrement intéressante pour les collectivités du Pacifique, car leur compétence budgétaire nous empêche de prévoir une dotation budgétaire ; grâce à cette défiscalisation, la solidarité nationale peut s'exprimer en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française. La défiscalisation permet aussi la construction de logements intermédiaires.
En conclusion, la DGOM est réservée quant à la budgétisation de cette dépense fiscale ; elle propose son maintien.
M. Stanislas Alfonsi, adjoint à la sous-directrice des politiques publiques à la direction générale des outre-mer (DGOM) du ministère des outre-mer. - En matière d'aide fiscale, deux outils existent : le crédit d'impôt, qui s'applique dans les DROM, et la défiscalisation, qui s'applique dans les collectivités d'outre-mer (COM), lesquelles relèvent d'un autre article constitutionnel que les DROM. Dans les COM, la LBU n'intervient pas : la proposition de la Cour des comptes est donc inapplicable.
La principale critique concerne le pilotage des programmes, c'est-à-dire le fait de pouvoir guider les promoteurs pour mieux localiser les constructeurs. Dans le cas du crédit d'impôt, la localisation est forcément guidée, car ce sont les représentants de l'État dans les territoires qui donnent l'agrément. Il existe donc un pilotage du logement social. En revanche, la question se pose pour le logement intermédiaire, qui lui aussi bénéficie de la défiscalisation dans les DROM. Budgétiser les dépenses fiscales pour le logement intermédiaire serait une décision difficile à prendre, qui reviendrait à subventionner une catégorie de logements qui n'est pas considérée comme du logement social. La proposition de la Cour des comptes présente un libellé séduisant, mais sa traduction concrète est difficile.
M. Bruno Mauchauffée, adjoint au directeur de la législation fiscale (DLF) du ministère de l'économie, des finances et de la relance. - La DLF n'a pas d'objection de principe à la budgétisation des dépenses fiscales pour le logement social. A priori, la dépense fiscale est en effet moins pilotable. Cependant, la réduction d'impôt pour le logement social n'est pas l'outil le moins vertueux par rapport à d'autres dispositifs appliqués dans les outre-mer : la déperdition de l'avantage au profit de tiers est réelle pour les dispositifs intermédiés. Par ailleurs, le mécanisme de cofinancement dépense fiscale-LBU permet de sélectionner les projets. Enfin, le champ de la réduction d'impôt est plus large : une budgétisation impliquerait d'étendre le champ d'application de la LBU.
Évaluer les dépenses fiscales relève d'une exigence démocratique, pour éclairer les débats parlementaires. Cependant, la DLF dispose de données fiscales tout à fait insuffisantes pour réaliser une évaluation et mesurer les effets macroéconomiques et sociaux de ces mesures. Il appartient aux services ministériels et aux corps d'inspection de s'emparer de la question et de participer aux évaluations.
Je termine par la fiabilisation des chiffrages. La Cour des comptes met en relation les prévisions de consommation des dépenses fiscales et leur exécution. Certains écarts constatés sont parfois importants. Cependant, les chiffres de l'exécution doivent être interprétés avec prudence. Il ne s'agit pas de données incontestables, certaines sont reconstituées : les montants des réductions et crédits d'impôt sont des données parfaitement objectives, mais il en va tout à fait autrement pour les taux réduits de TVA, car il faut reconstituer le coût fiscal pour l'État de ces différents taux.
En 2019, les règles de chiffrage du coût des taux réduits ont été modifiées pour corriger un biais méthodologique très important : jusqu'alors, on ne retenait que les entreprises des DOM, et non les produits vendus par des entreprises domiciliées en métropole. Cette correction s'est traduite par un ressaut en exécution de 800 millions d'euros par rapport aux années précédentes. Ainsi, certains écarts sont liés à une amélioration des méthodes de chiffrage.
En matière de localisation, rien ne s'oppose à créer des zonages au sein des DOM. Ils doivent cependant reposer sur des critères objectifs et rationnels, pour être compatibles avec les principes constitutionnels. Le mécanisme de cofinancement dépense fiscale-LBU permet déjà une forme de zonage.
M. Laurent Renouf, délégué général de la Fédération des entreprises des outre-mer (Fedom). - Nous constatons une baisse significative des dépenses fiscales en faveur des entreprises sur les dix dernières années, qu'il s'agisse de crédits d'impôt ou de la défiscalisation en faveur de l'investissement productif. En revanche, les taux de TVA réduits sont plus nombreux. La suppression de la TVA non perçue récupérable (TVA NPR) devait être compensée budgétairement, mais la compensation n'a pas été conforme aux engagements pris par le Gouvernement en 2019.
Quant à l'évaluation des dépenses fiscales, le rapport de la Cour semble un peu sévère. Les évaluations réalisées en 2019 et 2020 par la Commission européenne ont montré que le dispositif prévu était efficace, notamment pour que les entreprises compensent leur absence structurelle de fonds propres. Nous déplorons aussi une difficulté structurelle d'accès au crédit dans les outre-mer. Crédit d'impôt et défiscalisation procurent donc aux entreprises ultramarines une source de financement alternatif et permettent de soutenir un certain nombre de filières.
Le travail d'évaluation existe bien, malgré les améliorations à apporter, notamment en matière de fiabilité des données issues des imprimés fiscaux. C'est bien le travail d'évaluation qui a mis en lumière ce problème de fiabilité des données.
Concernant le logement, le crédit d'impôt intervient en cofinancement indispensable à LBU. Tout rebudgétiser serait une contradiction, car les bailleurs sociaux des COM à autonomie fiscale ne pourraient pas bénéficier de cette mesure.
L'une des conditions de l'agrément au bénéfice du crédit d'impôt est la localisation, qui inclut deux critères importants : un critère d'intérêt économique et un critère d'aménagement du territoire. La recommandation de la Cour des comptes ne semble donc pas particulièrement pertinente.
Concernant l'ingénierie, nous souscrivons au constat de la Cour des comptes, tout comme nous saluons les efforts de l'État depuis trois ans. L'Agence française de développement (AFD) joue un rôle important en matière d'ingénierie. Quand elle est mobilisée, notamment dans le cadre des Corom, les projets fonctionnent. Les entreprises souhaitent que l'AFD intervienne davantage.
Mme Sandrine Venera, conseillère référendaire à la Cour des comptes. - Concernant le suivi des CCT, la Cour avait observé, dans un rapport de juillet 2021 portant spécifiquement sur la DGOM, que celle-ci éprouvait des difficultés à assumer son rôle à la fois de prospective, d'impulsion, de coordination et d'évaluation des politiques publiques en outre-mer, notamment parce qu'elle ne recevait pas tout le soutien requis dans cette dimension interministérielle. Il serait tout à fait pertinent de pouvoir confier le suivi des CCT à une instance interministérielle, et non à la seule DGOM.
Le comité interministériel des outre-mer (CIOM) du 22 février 2019, institué pour assurer le suivi des principales actions interministérielles menées depuis la fin des assises des outre-mer, et dont découlent in fine les CCT, prévoyait pourtant de se réunir une fois par semestre. Contrairement à son engagement, le Gouvernement n'a pas réuni le CIOM depuis septembre 2019, alors qu'il pourrait être un outil de suivi efficace.
M. Philippe-Pierre Cabourdin, conseiller maître à la Cour des comptes. - Notre point de vue vis-à-vis des dépenses fiscales est loin d'être favorable, non par principe, mais à la suite de constats. Facile à mettre en oeuvre, cet outil n'est ni pilotable ni localisable - la direction générale des finances publiques (DGFiP) nous a indiqué savoir localiser, désormais, les investissements Pinel, mais nous ne savons pas si cette faculté sera pérenne.
En matière de logement, nous visions avant tout le logement intermédiaire, qui n'est pas soumis à agrément et ne répond pas toujours aux besoins. Lors d'un référé de janvier 2018, nous avions établi qu'un logement Pinel coûtait à l'État trois fois plus cher qu'un logement financé en prêt locatif social (PLS) et deux fois plus cher qu'un logement financé par un prêt locatif aidé d'intégration (PLAI). De plus, certaines dépenses fiscales, eu égard aux engagements que doivent prendre les investisseurs, ne sont pas assez contrôlées. Enfin, certains intermédiaires disposent d'une rentabilité de 10 %, et ce sans aucun risque.
Nous nous félicitons que la DGOM ait engagé un programme pluriannuel d'évaluation, mais nous constatons que ne figurent que des dépenses dont l'évaluation est obligatoire pour que la Commission européenne puisse les prolonger. Nous regrettons que les autres dépenses fiscales ne soient pas concernées, même si nous comprenons parfaitement que la DGOM ait des difficultés humaines pour réaliser de telles évaluations.
Mme Perrine Tournade, conseillère référendaire à la Cour des comptes. - Les dépenses fiscales sont déjà recensées dans le tome II de l'annexe Voies et moyens au projet de loi de finances (PLF). Les dépenses fiscales outre-mer font de plus l'objet d'une annexe spécifique au sein du DPT outre-mer. Ce qui manque, c'est plutôt une évaluation de chaque dépense fiscale pour en apprécier l'efficacité. Plus qu'un jaune budgétaire, une nouvelle revue des dépenses fiscales serait nécessaire.
M. Michel Canévet. - Le rapport de la Cour révèle un effort important de l'État en faveur des outre-mer : il faut s'en féliciter. Hormis en 2019, je n'ai pas observé de sous-exécution par rapport aux lois de finances initiales. La consommation des crédits semble forte, même si la réalité sociale dans les outre-mer indique qu'une politique encore plus ambitieuse serait nécessaire pour répondre aux attentes de la population. La sous-consommation évoquée serait-elle due à des contreparties que les collectivités ne seraient pas capables de fournir ? Par ailleurs, les aides de l'État en matière d'ingénierie sont importantes, mais mal organisées. Comment être plus efficient ? Comment améliorer le pilotage de l'État ?
M. Victorin Lurel. - Je remercie tous les intervenants, et je souscris aux propos de mon collègue Georges Patient, qui a souligné les qualités comme les limites du rapport de la Cour. Une question n'a pas été abordée : les outre-mer sont trop souvent stigmatisés quand on calcule leur coût et les charges qu'elles représentent pour l'État. Il faudrait parler d'effort budgétaire net, et évaluer les contributions des outre-mer et non seulement les dépenses : ne stigmatisons pas les outre-mer, qui souvent ne sont vus que comme un poids budgétaire. Même si l'effort net de l'État est considérable - j'approuve les récentes augmentations de crédits -, il s'agit de mieux apprécier l'appartenance des outre-mer à la République et à la Nation. Je demande cela depuis 21 ans.
Je m'étonne du fait que les dépenses fiscales soient passées, en investissement, de 2 ou 2,5 milliards d'euros, avant 2015, à 5 ou 6 milliards d'euros à la suite du CICE. Comment sommes-nous arrivés à de tels chiffres ? Comment expliquer ces écarts, alors que des dépenses fiscales ont été supprimées ? La compensation du CICE est-elle comprise dans le calcul ? La Fedom a rappelé que l'aide fiscale à l'investissement productif baisse.
Comme ministre, en cédant aux propositions de la Cour des comptes, j'avais, avec Christian Eckert, accepté de transformer une part de dépense fiscale en crédit d'impôt. Nous nous sommes heurtés à une difficulté majeure, qui n'est toujours pas réglée, à savoir celle du crédit de soudure possible. L'accès au crédit bancaire est difficile, si ce n'est pour de l'ingénierie accompagnée par l'AFD. La Caisse des dépôts et consignations (CDC) a presque disparu, et je reste dubitatif devant l'action de Bpifrance. Comment régler le problème ?
Votre sixième recommandation propose de « borner, conformément à la loi, toutes les dépenses fiscales relatives aux outre-mer », et votre huitième recommandation de « supprimer les dépenses fiscales inefficientes en faveur du logement ». Qu'entendez-vous par « inefficientes » ? En vingt ans, j'ai vu toutes sortes de rapports. La Cour des comptes, en vingt ans, n'a pas changé de vision, celle de contrôle, de pilotage et d'arithmétique comptable.
Le candidat Macron avait promis 4 milliards d'euros supplémentaires pour encourager la convergence. Il n'en est pas allé ainsi. Le fait que le Parlement et le Gouvernement aient accepté un recul de la solidarité nationale au profit de la défiscalisation pour financer le logement social est une erreur éthique. Aujourd'hui, l'on nous dit que cette défiscalisation est inefficace et trop complexe. Cependant, à l'image de la suppression de la TVA NPR, l'État recentralise.
Enfin, je souscris à la nécessaire amélioration du DPT et des données chiffrées. Une information fiable est nécessaire. Tout est fait au pifomètre. Je ne comprends pas de tels écarts.
Mme Catherine Démier. - Monsieur Canévet, concernant la page 8 de la présentation PowerPoint, j'ai peut-être été trop peu pédagogique. Le tableau apprécie l'ensemble des efforts de l'État en faveur des outre-mer et montre l'augmentation des montants ; il inclut des dépenses très classiques, à l'image des salaires des enseignants. En parlant de sous-exécution, nous parlons exclusivement de la mission « Outre-mer » et du programme 123, « Conditions de vie outre-mer », où les crédits sont contractualisés.
Monsieur Lurel, nous n'avons fait que répondre à une commande : connaître l'ampleur des dépenses en outre-mer. Nous n'avons aucune volonté de stigmatiser.
M. Victorin Lurel. - Je parlais plutôt de l'opinion publique, et de certains élus.
Mme Catherine Démier. - Notre référence est la loi ÉROM, qui a fixé des objectifs de réduction d'écart et de convergence.
Concernant les dépenses fiscales, le tableau en annexe no 6, à la page 94 du rapport, énumère très précisément celles qui sont rattachées à la mission « Outre-mer » : voilà notre grille d'analyse. Je ne pense pas que la suppression du CICE soit incluse.
Mme Isabelle Richard. - Monsieur le président, concernant le CICE, nous vous transmettrons les éléments.
M. Victorin Lurel. - Les recommandations de la Cour, notamment sur le bornage des dépenses fiscales en matière de logement, s'appuient-elles sur des études empiriques ? Il n'est pas possible de nous dire que, depuis 1986, nous ne pouvons pas évaluer l'efficacité des dépenses fiscales.
M. Philippe-Pierre Cabourdin. - Le bornage n'est pas spécifique aux outre-mer. La loi prévoit que toute nouvelle dépense fiscale doit être bornée. Se pose donc la question des dépenses antérieures, qui n'étaient pas soumises à ce bornage.
Il est nécessaire d'évaluer les dépenses fiscales ; si nous constatons une inefficience, nous demandons la suppression. En amont, nous souhaitons pouvoir évaluer. Rapport après rapport, comme vous, nous constatons que les évaluations ne sont pas suffisantes, voire inexistantes. Le travail est très important, certes, et la Cour des comptes y prend sa part en réalisant ponctuellement des analyses.
M. Victorin Lurel. - Qu'entendez-vous exactement par bornage ?
M. Philippe-Pierre Cabourdin. - Il s'agit d'un bornage dans le temps, par exemple de 2022 à 2027.
M. Victorin Lurel. - M. Patient le rappelle déjà dans son rapport. Ne parlez-vous pas plutôt d'un plafonnement ? J'espère avant tout qu'une potentielle rebudgétisation n'ira pas freiner le dynamisme du financement privé.
M. Bruno Mauchauffée. - Le bornage est une incitation à évaluer les dépenses fiscales, dispositif par dispositif. La nouvelle LOLF dispose que le PLF doit présenter de manière obligatoire un programme d'évaluation au Parlement. Les corps d'inspection doivent ensuite intégrer cette contrainte dans leur programme de travail, ce qui n'est pas évident.
M. Jean-Claude Requier, président. - Mesdames et messieurs, je vous remercie.
La commission adopte les recommandations des rapporteurs spéciaux et autorise la publication de l'enquête de la Cour des comptes ainsi que du compte rendu de la présente réunion en annexe à leur rapport d'information.
La réunion est close à 17 h 50.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.