Lundi 2 mai 2022
- Présidence de M. Michel Canévet, président -
La réunion est ouverte à 20 h 00.
Audition séquence bassin de l'océan Atlantique
M. Michel Canévet, président. - Notre mission d'information, dont les travaux ont commencé au mois de février et s'achèveront en juin, analyse la stratégie de notre pays s'agissant des grands fonds marins, qui deviennent une préoccupation internationale prégnante. Nous avons souhaité entendre le point de vue de représentants de l'outre-mer.
M. Teva Rohfritsch, rapporteur. - Je suis ravi de pouvoir inaugurer ce cycle d'auditions sur les outre-mer. Nous avons convié nos collègues élus des outre-mer et des représentants des exécutifs des collectivités.
Une stratégie nationale d'exploration et d'exploitation minière a été conçue en 2015, puis mise à jour en 2021, notamment grâce au rapport de M. Jean-Louis Levet, conseiller spécial pour la stratégie nationale des grands fonds marins au secrétariat général de la mer, rapport qui fait référence en la matière. La stratégie France 2030, annoncée par le Président de la République, a consacré dans son dixième objectif les ambitions nationales concernant nos fonds marins. Le ministère des armées, plus récemment, a communiqué sur une stratégie de maîtrise des grands fonds marins, au titre de la sécurité de la Nation.
Ces sujets sont évoqués au plus haut niveau de l'État et nous aurons probablement à y revenir au Parlement. Cette mission d'information, que j'ai proposée au Président du Sénat, a pour ambition non pas de réécrire le rapport de M. Levet, mais de proposer un autre regard sur la question, incluant celui des outre-mer. Nous avons souhaité entendre les représentants des collectivités par bassins océaniques et apprécier leur perception de ce qu'est la stratégie nationale des grands fonds marins et de toutes les questions afférentes.
Quel est votre regard sur cette mobilisation de plus en plus prégnante au plus haut niveau de l'État sur les grands fonds marins ? Quelle est la position de vos collectivités ? Quelles sont les questions débattues localement, dans le cas où une position officielle n'est pas encore arrêtée, à la fois sur l'exploration, la protection et l'exploitation - les termes ne sont pas forcément antinomiques - de ces grands fonds marins ? Quelles sont les conditions nécessaires à l'exploration ou à l'exploitation ? Quelles sont les retombées économiques, sociales et environnementales attendues ?
M. Bernard Briand, président du conseil territorial de Saint-Pierre-et-Miquelon. - À Saint-Pierre-et-Miquelon, la zone économique exclusive (ZEE) est assez restreinte. Pour sa plus grande partie, elle ne fait que 10 000 milles marins de large. Des richesses naturelles existent ; elles font l'objet de recherches du côté canadien, mais nous ne disposons pas de données.
Saint-Pierre-et-Miquelon est un territoire de pêche. Si nous avions une meilleure connaissance de nos grands fonds marins et de leurs richesses durables possiblement exploitables, nous disposerions ainsi de leviers géopolitiques pour négocier avec le Canada sur des enjeux de développement économique. Notre territoire cherche actuellement une nouvelle voie, par exemple grâce au tourisme. Toutes les économies fructueuses et durables seraient les bienvenues, dans une dimension tant sociale et économique qu'environnementale.
Localement, nous n'avons aucune donnée à disposition, si ce n'est quelques relevés bathymétriques anciens, circonscrits à quelques études scientifiques et non à des études économiques.
M. Michel Canévet, président. - Les interlocuteurs liés à ces questions vous semblent-ils clairement identifiés ?
M. Bernard Briand, président du conseil territorial de Saint-Pierre-et-Miquelon. - Non. Aucun interlocuteur n'est identifié sur notre territoire, pas même au niveau des services déconcentrés de l'État ; c'est parfaitement normal pour un territoire de 6 000 habitants. Les éléments que vous nous avez transmis sont les premiers à évoquer cette stratégie relative aux grands fonds marins.
Une mission Extraplac avait néanmoins été envisagée concernant le plateau continental. Nous n'avons pas avancé. Sur un sujet aussi sensible, notamment au regard des relations franco-canadiennes, je doute que la France ait le courage - je vous prie d'excuser ma franchise - de défendre ses intérêts dans un espace nord-américain très puissant économiquement comme politiquement.
M. Roger Alain Aron, septième vice-président de l'Assemblée de la collectivité territoriale de Guyane, délégué à l'agriculture, la pêche et la souveraineté alimentaire, et à l'évolution statutaire. - En Guyane, nous en sommes au même point que Saint-Pierre-et-Miquelon sur les grands fonds marins. Nous ne disposons d'aucune donnée sur les ressources disponibles au large de nos côtes. Nos activités se limitent à la petite bande côtière qui intéresse la pêche artisanale. Alors que nous sommes nouvellement élus, la question de l'exploitation des fonds marins, par exemple pétrolière, nous intéresse ; cependant, nous n'avons pas encore entamé de discussions.
M. Frédéric Blanchard, directeur biodiversité au sein de la collectivité territoriale de Guyane. - La question des grands fonds est tout à fait intéressante. Nous méconnaissons complètement cet espace en Guyane ; même pour l'exploitation de nos ressources halieutiques, nous ne disposons pas d'indicateurs fiables sur l'état des ressources.
La Guyane, il y a quelques années, avait été confrontée à une possible exploitation pétrolière par Total, tout comme au large du Brésil. Cette exploitation avait été interrompue par une campagne internationale pour la découverte des coraux du fond du delta de l'Amazone. Que faut-il en tirer comme conclusion ? Pour assurer la qualité d'éventuelles exploitations futures, il faut absolument anticiper la nécessité de disposer de données sur l'environnement et sur les impacts environnementaux. Or le niveau de connaissance actuel est très faible. Total a sûrement collecté des données et la loi Hulot du 30 décembre 2017 a dû aussi jouer son rôle.
En 2015, le Muséum d'histoire naturelle a mené une grande expédition, qui, en une quinzaine de jours, a fait des découvertes relativement extraordinaires en matière de biodiversité. Les spécialistes ont constaté, au niveau de la rupture du plateau continental, l'existence de cétacés de grands fonds marins. En Guyane, les potentialités sont grandes, mais nous les connaissons mal.
En matière de sécurité, la France se trouve dans une situation complexe. Des pays voisins de la Guyane, comme le Suriname, se lancent dans l'exploitation pétrolière ; se posent des questions de frontières et de souveraineté de l'État français, a fortiori dans le domaine maritime, à l'est comme à l'ouest.
M. Roger Alain Aron. - Nous sommes confrontés au pillage de nos ressources halieutiques. Les pêcheurs ont demandé à pouvoir se rendre plus au large, mais il semblerait que des navires étrangers viennent y piller nos ressources, notamment en thon. Ainsi, non seulement nous ne connaissons pas nos ressources halieutiques, mais nous faisons aussi l'objet d'un pillage de nos richesses naturelles.
M. Frédéric Blanchard. - L'amélioration des connaissances sur les questions sédimentologiques, bathymétriques et de biodiversité est cruciale. Elles nous permettront, si exploitation il y a, de pouvoir mener des études environnementales cohérentes.
Nous sommes très heureux de pouvoir être associés à ces stratégies nationales. Il est assez rare que nous disposions d'informations en amont. La question des concertations est essentielle. Les socioprofessionnels et les juristes sont très exigeants quand il s'agit d'envisager le devenir de notre espace maritime ; ils nous le rappellent lors de toutes nos réunions.
M. Teva Rohfritsch, rapporteur. - Le manque de données et d'informations est manifeste. Néanmoins, le débat a-t-il eu lieu au sein de vos collectivités, dans la population ou dans la presse, au sujet des grands fonds marins ?
M. Bernard Briand. - Non. Des études scientifiques sur l'altimétrie ou les courants ont été menées, mais les enjeux d'exploration des fonds marins n'ont jamais été abordés, ni par les services de l'État ni par la presse.
M. Frédéric Blanchard. - En Guyane, il n'y a pas eu de débat. Beaucoup d'articles ont paru dans la presse à propos de Total, pour le projet du delta de l'Amazone comme pour celui en Guyane.
Notre exécutif est nouvellement élu. À l'époque, le débat est resté à un niveau politique et les socioprofessionnels se posaient un grand nombre de questions, notamment sur les retombées sociales et économiques de l'exploitation du pétrole. La grande question qui a intéressé les ONG était l'évaluation environnementale. Les récifs coralliens du delta de l'Amazone sont des récifs fossiles vieux de 100 000 ans, qui servent de nursery pour un grand nombre d'espèces de poissons. Leur découverte récente a fragilisé le dossier de Total. Quand Total est ensuite venu réaliser des prospections en Guyane, nous avons découvert la prolongation de ce récif corallien de l'Amazone. Les débats furent vifs, car personne n'était en mesure d'évaluer la valeur biologique, écologique et environnementale de ces récifs, d'autant plus que les courants y sont extrêmement violents. Les dossiers étaient faibles, car la question environnementale avait été sous-évaluée en amont et que les connaissances manquaient. Depuis, ces questions sont peu évoquées dans les médias.
Mme Annick Pétrus. - À Saint-Martin, tout petit territoire, la situation est un peu particulière. La France a la seconde ZEE au monde ; elle dispose de 15 millions de kilomètres carrés d'espaces marins et 80 % de la biodiversité française se trouve en outre-mer. Ainsi, unique sur le plan biologique, Saint-Martin fait partie des quelques zones françaises qui contribuent de manière significative au patrimoine environnemental de l'État français.
Cependant, Saint-Martin s'inscrit aussi dans une logique européenne en tant que région ultrapériphérique. Dans cette perspective, il est intéressant de noter que 70 % de la biodiversité européenne se situe en outre-mer. De plus, Saint-Martin appartient à un autre grand ensemble, la Caraïbe : cette réalité physique et géographique doit être prise en compte.
Sur la connaissance des fonds marins, la collectivité de Saint-Martin n'est qu'au début de sa réflexion et de ses connaissances, sur les fonds marins comme sur les impacts potentiels de l'exploitation de la ZEE sur les ressources halieutiques et naturelles.
Nous disposons d'un relevé cartographique bathymétrique datant de 2020. Cependant, ce relevé ne dit rien sur la nature des sols ; malheureusement, il ne couvre pas l'ensemble de la ZEE et s'étend seulement jusqu'à 50 mètres du rivage. Il serait souhaitable que ce relevé couvre l'ensemble de la zone.
S'agissant des chantiers d'exploitation ou de recherche, la collectivité investit dans l'achat d'un équipement macrographique, afin de prévenir les risques de tsunami et de submersion marine. Dans le cadre d'un projet piloté par le bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), le conservatoire du littoral a installé et assure le suivi d'un dispositif qui permet d'effectuer le suivi graphique de l'évolution du trait de côte de la baie orientale, dont le littoral est particulièrement exposé à l'érosion.
Concernant les financements spécifiques dédiés à des actions en faveur de la connaissance de nos fonds marins, la nouvelle équipe dirigeante de Saint-Martin, installée depuis un mois seulement, est en cours de réflexion.
Pour que la stratégie nationale d'exploitation minière des grands fonds marins soit efficace à Saint-Martin, il faudra d'abord procéder à des prospections, afin de déterminer le potentiel minier. Une fois ce potentiel établi, il faudra ensuite déterminer non seulement la stratégie économique, mais aussi mesurer ses impacts sur l'environnement, puis, le cas échéant, prendre des mesures correctives ou d'atténuation.
Sur la prise en compte de la spécificité des fonds marins, ainsi que sur l'impératif de protection, la collectivité est en cours de réflexion, car notre niveau de connaissance et pour l'instant limité. Néanmoins, pour ce qui est de certaines régions ultramarines, et singulièrement Saint-Martin, il serait souhaitable de procéder à l'exploration de ces fonds et d'évaluer leur potentiel, grâce à un état des lieux.
Concernant la participation à l'élaboration de la stratégie nationale, la collectivité de Saint-Martin n'a jamais été associée. La stratégie minière prévoit la mise en oeuvre d'un démonstrateur destiné à tester, en conditions réelles, l'impact et la faisabilité d'une exploitation minière durable des grands fonds marins. La collectivité de Saint-Martin est totalement favorable à ce que ce démonstrateur soit testé dans sa ZEE.
Nous avons lancé un marché pour la sélection d'un prestataire de services, qui aura pour mission de nous accompagner dans l'élaboration de la stratégie en faveur de l'économie bleue de notre territoire. La notification du prestataire interviendra d'ici au 9 mai. Le candidat retenu aura pour mission d'établir un diagnostic territorial en matière d'économie bleue - état des lieux, analyse des forces, faiblesses, opportunités et menaces -, d'élaborer un document stratégique relatif à l'économie bleue proposant une stratégie, des moyens et des actions de mise en oeuvre, et enfin d'accompagner la collectivité dans le pilotage opérationnel des actions définies dans le document stratégique, avec un premier bilan annuel d'exécution.
Dans le cahier des charges qui régissent le cap de cette prestation, il est prévu de définir trois catégories d'activités qui gravitent autour de l'économie bleue : les secteurs existants, bien établis, les secteurs à renforcer et les secteurs de développement prospectif.
Pour cette dernière catégorie, nous avons mentionné les domaines suivants : énergies marines renouvelables, télécommunications, dessalement d'eau de mer, exploitation minière, parapétrolier offshore, valorisation de coproduits, bioéconomie bleue, production de sel marin, exploitation des marais salants et valorisation d'autres ressources halieutiques.
Dans ce contexte, nous sommes plus que favorables à une telle démarche pour notre territoire, qui vient corroborer notre souhait de voir évoluer notre économie vers des filières non encore exploitées.
Concernant l'éventuelle exploitation des ressources minières des grands fonds marins, conformément à l'article L. 611-31 du code minier, la collectivité de Saint-Martin est compétente pour la délivrance des titres miniers en mer. Cependant, à ce jour, aucune demande d'autorisation d'exploitation en mer relative aux ressources minières n'a été adressée à la collectivité de Saint-Martin.
S'agissant de la coopération internationale, nous sommes au début de notre réflexion. Cependant, nous sommes entourés de petits États insulaires indépendants jouissant d'une autonomie très large, ce qui leur permet de prendre de l'avance sur notre territoire. À titre d'exemple, Trinité-et-Tobago exploite du gaz naturel liquéfié d'origine sous-marine. La partie néerlandaise de l'île de Saint-Martin dispose d'outils plus performants de connaissance des fonds marins.
Enfin, le sujet des coopérations internationales arrive trop tôt dans la démarche territoriale. Il faudra d'abord connaître l'état de nos ressources subaquatiques pour déterminer si une coopération est possible ou souhaitable ; mais sachez que Saint-Martin n'a pas de dogmes en la matière.
Mme Marie-Angèle Aubin, troisième vice-présidente du conseil territorial de Saint-Barthélemy, chargée de l'environnement. - Nous disposons de nos propres connaissances, et non d'études générales. Nous pensions que cette discussion porterait plus sur la pêche. Il n'existe pas d'exploitation autre à Saint-Barthélemy.
M. Sébastien Gréaux, directeur de l'agence territoriale de l'environnement de Saint-Barthélemy. - Notre territoire est un mouchoir de poche. Malgré quelques données bathymétriques, notre connaissance est très restreinte, même pour ce qui concerne les ressources halieutiques ; nous ne connaissons pas l'état des stocks. Nous n'avons reçu aucune demande en matière d'exploitation minérale ou minière.
M. Teva Rohfritsch, rapporteur. - Le sujet est nouveau pour beaucoup de territoires d'outre-mer, et la mobilisation sur de tels sujets est récente. Toutefois, existe-t-il des a priori sur le sujet ? Existe-t-il des incompatibilités pour l'exploitation ou l'exploration avec vos activités principales, comme le tourisme ? La population pourrait-elle adhérer à une telle démarche, qu'il s'agisse d'une meilleure connaissance des fonds ou d'une démarche conduisant à une exploitation ?
Mme Marie-Angèle Aubin. - La population pourrait adhérer à une démarche d'exploration, très intéressante pour mieux connaître le milieu marin, mais probablement pas à une démarche d'exploitation.
M. Jean Dartron, président de la commission pêche, ports et infrastructures du conseil départemental de Guadeloupe. - Notre département ne s'est pas vraiment positionné sur un tel sujet, mais nous allons peu à peu intégrer la dynamique en cours. Nous manquons d'informations, par exemple sur les guichets de financement de cette politique.
Nous sommes un archipel : la dimension touristique est importante. La réserve Cousteau, qui occupe une grande partie de la baie des Caraïbes, joue un rôle important dans le tourisme local. Nous pourrions aller plus loin avec vous dans cette réflexion.
S'agissant de la stratégie nationale grands fonds marins, nous sommes tout à fait favorables à des discussions. Nous pourrions par exemple approfondir les recherches sur les ressources volcaniques maritimes. Nous souhaitons être informés et coopérer.
En matière de coopération internationale, l'échelon de la région est plus concerné, mais le département est prêt à oeuvrer en la matière.
M. Ferdy Louisy, président de la commission eau du conseil départemental de Guadeloupe. - La question de la coopération régionale est cruciale pour les grands fonds marins, notamment concernant les canyons. En son temps, l'agence des aires marines protégées avait lancé une grande étude sur le sujet. Nous ne connaissons pas les autorisations qui pourraient être accordées par d'autres pays, par exemple sur l'exploitation des ressources pélagiques, alors que les écosystèmes sont identiques. Se pose donc un problème d'harmonisation du droit : nous dépendons du ministère des affaires étrangères et du ministère de la mer, mais les usagers, ce sont bien les habitants de la Guadeloupe. Il y a eu des conflits importants par le passé : certains de nos pêcheurs ont été arraisonnés par les autorités internationales. La mission d'information sénatoriale pourrait encourager une meilleure participation de nos autorités locales pour les politiques intéressant notre bassin. Je pense qu'il en va de même pour tous les bassins maritimes d'outre-mer.
En Guadeloupe, l'on nous cantonne à une pratique de pêche très artisanale et côtière, alors que des marins étrangers sont autorisés à exploiter des ressources au large. Une coordination est nécessaire, tout comme il est nécessaire que les territoires ultramarins soient mieux associés.
Nous sommes heureux de pouvoir participer à cette consultation, mais, sur les fondamentaux, devant le rôle de police du secrétariat général de la mer, nous nous retrouvons souvent bien démunis. Les dispositions pour nos côtes et la façade maritime hexagonale ne sont pas les mêmes. Nous ne pouvons pas demander à nos marins-pêcheurs de pêcher quelques kilos de poisson, alors que des marins pêcheurs d'autres pays obtiennent facilement des autorisations pour pêcher des tonnes de ressources halieutiques, selon des méthodes non durables, très contestables, qui abîment nos écosystèmes et polluent.
Nos ressources halieutiques dépendent directement des grands canyons, et donc d'autres pays : une véritable coopération est nécessaire, il faut organiser une véritable économie.
En matière énergétique, nous nous interrogeons sur l'existence de projets d'énergie marine, comme l'éolien en mer, qui pourraient contribuer au mix énergétique ou à l'autonomie de notre territoire. Quelle pourrait être notre contribution et quel degré de décision locale serait accepté par l'État ? Nous avons le sentiment d'être des spectateurs de notre économie, alors qu'elle est liée à la mer à 90 %.
En termes de développement, de transition énergétique et d'économie bleue, il faut que nous puissions être davantage associés à toutes les problématiques de notre façade maritime. Notre sanctuaire de protection des mammifères marins pourrait être un excellent outil de coopération. Actuellement, nous manquons de démocratie locale et participative sur les problématiques de la mer.
M. Teva Rohfritsch, rapporteur. - Je précise que notre mission d'information ne représente que le Sénat. Je vous remercie pour ces positions claires. Sur la question de l'exploitation, des débats existent-ils ? Les questions sont-elles abordées ?
M. Ferdy Louisy. - Il n'y a pas de débat, car il n'y a pas de grands projets. Les seuls projets sont terrestres et concernent la géothermie. La question ne se pose pas en Guadeloupe. En Guyane, il en va autrement. Si des projets voyaient le jour, il faudrait que la région et le département puissent être associés en amont, notamment pour délivrer localement des autorisations, en veillant à ce qu'elles profitent au territoire, qui est essentiellement marin.
M. Jean Dartron. - Je souscris pleinement aux propos de mon collègue. La Guadeloupe souhaite se développer, et je vous remercie pour cet échange. Si des projets devaient voir le jour avec le Gouvernement pour prendre en charge notre espace marin, nous serions prêts à coopérer.
M. Frédéric Blanchard. - Nous sommes sur la même ligne : il faut une concertation locale. Si des projets d'exploitation marine voient le jour, les grands clivages du dossier Total vont réapparaître. Il faut avant tout anticiper une meilleure connaissance des fonds et assurer la souveraineté de notre pays. Nous sommes par exemple systématiquement confrontés à ces questions dès que nous voulons améliorer les techniques de pêche.
Un dernier exemple : lors d'une récente réunion sur la gestion de la façade maritime, des modélisations nous ont été proposées. Le document n'avait jamais été discuté. Les pêcheurs ont immédiatement hurlé. Les spécialistes de la biodiversité ont fait l'évaluation biodiversité de la mer selon des zones naturelles d'intérêt écologique, faunistique et floristique (Znieff) qui n'avaient été conçues qu'avec des oiseaux, des tortues marines et des cétacés. Les biais sur la biodiversité maritime sont immenses. Voilà le terreau de grands clashs sociétaux pour tout projet d'exploitation.
M. Teva Rohfritsch, rapporteur. - Je ne veux pas qu'il y ait d'ambiguïté. Nous sommes une mission d'information du Sénat, et nous ne sommes porteurs ni de quelque projet ni de quelque demande du Gouvernement. En revanche, nous nous intéressons aux outre-mer et à ces stratégies nationales. Les membres de la commission veulent savoir quel est le degré de connaissance de cette stratégie dans les collectivités d'outre-mer et quelles sont les conditions nécessaires pour que les territoires soient associés.
M. Frédéric Blanchard. - Je souhaite terminer par un point très important : la biodiversité terrestre est le support d'une économie de la connaissance. Or nous ne parlons pas assez de la connaissance de la biodiversité des fonds marins. Nous devons anticiper ces questions, avant même de parler d'exploitation de ressources non renouvelables. Cette biodiversité est extraordinaire, et renouvelable ! Pour la pêche comme pour l'énergie, l'économie de la connaissance de la biodiversité mériterait vraiment d'être développée.
Un corpus de connaissances important est nécessaire pour que, en cas de projet d'exploitation, les évaluations des possibles perturbations et adaptations des milieux soient cohérentes. Notre message est le suivant : pour éviter des blocages ultérieurs, il nous faut étudier les grands fonds dès maintenant.
M. Teva Rohfritsch, rapporteur. - Le Président de la République l'a dit au One Ocean Summit à Brest : nous souhaitons améliorer la connaissance de nos grands fonds marins. Le sujet de la prospection pour l'exploitation minière est, lui, un sujet différent. Certains préféreraient ne pas connaître leurs fonds, pour éviter tout projet d'exploitation ; d'autres, comme en Guyane, souhaiteraient une véritable économie de la connaissance, pour mieux protéger la biodiversité. D'autres, enfin, souhaitent connaître leurs ressources minières, très directement, pour diversifier leur économie.
Mme Victoire Jasmin. - Je souscris à pratiquement tout ce qui a été indiqué. M. Louisy a pointé les difficultés de notre territoire. Il y a des enjeux très forts. Nous sommes un archipel. Des câbles marins alimentent la Guadeloupe, ainsi que les îles du sud et du nord, par exemple pour les réseaux internet.
Les normes, tant françaises qu'européennes, sont quelquefois contraignantes et ne tiennent pas compte de la réalité de nos territoires.
Nous sommes en outre fréquemment confrontés - c'est le cas en ce moment - aux sargasses, qui constituent un handicap sérieux pour le tourisme comme pour la biodiversité.
Il faut tenir compte des situations particulières de chacun de nos territoires, qui, s'ils sont très proches, ne sont pas toujours soumis aux mêmes problématiques.
M. Louisy a également évoqué les restrictions de pêche. Le fait qu'il y ait des zones de pêche, en raison notamment du problème du chlordécone, crée des surcoûts pour nos pêcheurs, qui sont obligés d'aller de plus en plus loin en mer pour protéger les consommateurs et les coraux.
Il est nécessaire d'impliquer davantage l'ensemble des acteurs de terrain. Or, comme l'a souligné M. Louisy, ce ne sont ni ces derniers ni les collectivités concernées qui prennent les décisions relatives au développement de nos territoires.
En plus, il est envisagé de faire de certains ports de Guadeloupe des hubs. Il y a effectivement des enjeux économiques importants pour le développement de nos entreprises : nous sommes loin, et nous avons un certain nombre de besoins.
Nous devons surtout faire du développement endogène. Des approches différenciées sont nécessaires pour optimiser l'économie de nos territoires dans leur ensemble. Bien entendu, nous sommes français. Mais il faut prendre en compte du fait que certaines normes ne sont pas favorables à notre territoire ; nos pêcheurs en payent malheureusement déjà un lourd tribut.
Par ailleurs, nous sommes soumis à des risques naturels majeurs, notamment l'évolution du trait de côte.
Nos territoires ont des handicaps, mais également des atouts ; tenons compte des uns comme des autres.
Mme Patricia Telle, deuxième vice-présidente de la collectivité territoriale de Martinique, chargée de la coopération et des relations internationales. - En Martinique, nous avons une cartographie bathymétrique, mais elle doit être affinée. Des thèses de doctorat ont été menées, notamment sous l'autorité de M. Pascal Saffache, éminent géographe de l'université des Antilles, mais il y a besoin de recherches complémentaires.
La connaissance des ressources minérales est quasiment inexistante. Sur ce sujet, nous en sommes à peu près au même point que les intervenants précédents.
L'expédition Madibenthos, qui a eu lieu chez nous en 2016, a permis des découvertes : notre biodiversité s'appauvrit. Il faut toujours chercher à améliorer l'environnement pour la préserver.
Nous n'avons connaissance d'aucune étude sur les ressources minérales, à l'exception d'une thèse du géologue Jean-Claude Pons datant de 1990. L'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer), qui est basé à la Martinique depuis des décennies, effectue un travail important, mais cela concerne essentiellement les ressources biologiques, et très peu la flore ; il n'y a pas de recherche sur la minéralogie.
Les différents orateurs ont insisté sur la nécessité d'associer la population et les élus locaux. Au sein de la collectivité territoriale de Martinique (CTM), cela nous paraît essentiel. Les recherches dont nous discutons pourraient constituer un levier sur les plans économique, social et géopolitique.
Nous avons entendu parler de la stratégie nationale d'exploration et d'exploitation minière des grands fonds marins et du plan d'investissement France 2030. Mais il n'y a pas vraiment eu d'appropriation de cette stratégie. L'administration et des services de l'État ont, me semble-t-il, à travailler davantage avec les collectivités territoriales pour connaître les enjeux biologiques, énergétiques et militaires. Nous pensons que les Antilles françaises ont une position géographique forte pour la France. Il est important de regarder ensemble vers l'avenir.
Nous n'avons pas d'élément quant à l'éventuelle l'exploitation des ressources minérales des grands fonds marins.
Je rejoins l'intervenante précédente sur la nécessité d'un développement endogène pour nos territoires. Il est extrêmement important que les différents acteurs - je pense notamment à nos marins - soient bien formés sur les activités susceptibles d'être créées par les ressources dont nous discutons. L'important à nos yeux est que ce développement soit mesuré et maîtrisé, notamment s'agissant d'une telle exploitation éventuelle, avec une association des élus et de la population.
Nous sommes également confrontés, de manière dramatique dans certains endroits, à l'érosion du trait de côte. Cela nous oblige à penser le développement de la Martinique autrement, en misant plus sur les hauteurs.
Les États de la Caraïbe, les petits États indépendants qui nous entourent n'ont pas forcément les moyens financiers nécessaires pour aller vers l'exploration et les études, mais il y a des personnels formés dans certaines de ces îles. Nous devrions pouvoir en bénéficier dans le cadre d'une coopération internationale. Notre souhait, celui du président Serge Letchimy, est de développer cette coopération dans la grande Caraïbe et, au-delà, avec l'Amérique latine et l'Amérique du Nord.
Mais nous voulons avant tout - c'est presque un truisme de le souligner - une véritable coopération franco-domienne. Il faut que la France coopère avec nous pour avancer ensemble. Il y a des possibilités inexploitées, par exemple en termes de géothermie.
C'est la raison pour laquelle nous saluons l'existence de cette mission d'information du Sénat. Nous sommes persuadés que la France entendra davantage dans la période à venir comment nous pouvons travailler ensemble. C'est le point de vue de Serge Letchimy, président du conseil exécutif de la collectivité territoriale, et de l'équipe qui l'entoure.
M. Ferdy Louisy. - Je voudrais soulever le problème de la domiciliation des entreprises qui obtiennent des autorisations d'exploitation. Nous aurions besoin d'un appui clair de l'État pour obliger à une domiciliation locale des futurs détenteurs de licences d'exploitation et favoriser une participation des acteurs économiques locaux au capital des structures concernées, ce qui favoriserait également nos territoires.
Mme Micheline Jacques. - Le plateau continental sur lequel se situe Saint-Barthélemy n'est pas très profond : à peu près 800 mètres. Notre ZEE s'étend le plus à l'est à une profondeur d'environ 2 500 mètres ou 3 000 mètres. Cela peut expliquer que la recherche sous-marine se concentre ailleurs, pour des raisons de coût.
M. Frédéric Blanchard. - Les questions de participation des acteurs économiques locaux et de domiciliation des sociétés sont centrales.
Le Guyana et le Suriname, qui exploitent ou vont bientôt exploiter leurs fonds marins, manifestent un intérêt à l'égard des méthodes françaises, mais également guyanaises et caribéennes sur les questions de verdissement. Les grandes structures internationales avec lesquelles ils travaillent sont uniquement là pour faire de l'exploitation. Or nos exigences environnementales et nos méthodes de travail font aussi partie de l'économie de la connaissance.
L'étude de la biodiversité va nous servir à évaluer l'état des milieux.
Il faut anticiper. Nos fonds marins sont une vraie richesse. Or il n'y a pas ici d'université des grands fonds marins. Nous ne sommes même pas capables d'évaluer si nos ressources halieutiques sont durables. Je ne trouverais pas aberrant d'avoir une dizaine de spécialistes sur les fonds marins chez nous : cela créerait en outre des perspectives pour nos jeunes.
Les débats doivent se tenir. Les sujets sont nouveaux. Laissons aux techniciens et aux politiques le temps d'en discuter sur nos territoires. Et - excusez-moi de le dire aussi simplement et franchement - il ne faut pas que les décisions soient exclusivement parisiennes ou hexagonales.
Mme Victoire Jasmin. - Aucun représentant de la région Guadeloupe n'est présent ; peut-être est-ce dû aux aléas auxquels notre île a été confrontée voilà deux ou trois jours ? Il serait donc opportun de leur demander des interventions écrites, d'autant que le programme du président du conseil régional comporte des mesures relatives à l'économie bleue.
L'implication des acteurs locaux et de la population est essentielle. Il arrive très souvent que des mesures soient mises en place sans que les acteurs locaux et la population soient informés. Cela passe très mal, car il y a une méconnaissance de nos territoires.
S'il faut évidemment faire du développement économique, nous avons besoin d'une dynamique nouvelle sur nos territoires, pour nous protéger face aux risques naturels.
M. Ferdy Louisy. - Le fait que l'Office français de la biodiversité ait récupéré les missions de l'Agence des aires marines protégées ne se traduit pas vraiment d'un point de vue budgétaire. Or pour pouvoir décider de l'exploitation de nos ressources halieutiques, il faut savoir à quel degré de consommation nous en sommes. Cet organisme, qui reçoit des fonds importants de la part de l'État, doit s'orienter un peu plus sur la partie maritime.
Une bonne partie de la biodiversité marine est négligée. Le travail mené par nos universités mérite d'être renforcé. Je suis pour une université des fonds marins. Il faut que, lors de la discussion budgétaire, le Sénat veille à ce que des crédits soient fléchés sur des secteurs particuliers.
Il faut également une déclinaison dans les agences régionales de la biodiversité, pour qu'une gouvernance locale prenne le relais.
L'Office français de la biodiversité a un rôle important en matière d'économie bleue : l'ensemble des aires maritimes protégées de la France, soit quelque 11 millions de kilomètres carrés, sont sous son giron.
Le secrétariat général de la mer ne participe pas suffisamment à nos discussions locales. Ce serait pourtant bien plus pratique qu'il ait son siège dans un territoire ultramarin. La mer, c'est quasiment l'outre-mer.
M. Teva Rohfritsch, rapporteur. - Je remercie l'ensemble des intervenants qui se sont exprimés. Je retiens les observations qui ont été formulées sur la nécessité de renforcer les discussions non seulement entre territoires ultramarins par bassins, mais également au sein de l'outre-mer en général. Dans le Pacifique, nous avons beaucoup à apprendre de ce qui se pratique dans les Caraïbes, et réciproquement. Nous sommes confrontés aux mêmes problématiques : distance vis-à-vis de l'Hexagone, nécessité d'être mieux entendus, absence de représentation dans nos territoires de certaines instances amenées à prendre des décisions stratégiques nationales, etc. Je suis un militant de la première heure du dialogue entre les outre-mer. L'économie bleue est un enjeu stratégique. Nous serons mieux entendus à Paris si nous sommes unis.
Nous sommes preneurs de contributions écrites, afin d'enrichir la réflexion.
M. Michel Canévet, président. - Les activités liées à la mer sont absolument vitales pour les différents territoires que vous représentez. Nous avons bien entendu les attentes qui ont été exprimées s'agissant à la fois de l'association des collectivités territoriales et des populations aux décisions et du renforcement des moyens consacrés à la recherche.
Nous connaissons actuellement 20 % des fonds marins dans le monde. L'ambition est de porter ce taux à 100 %. La France n'y parviendra pas seule, mais elle doit jouer un rôle moteur, en associant l'ensemble des collectivités concernées.
À l'instar de M. le rapporteur, je vous invite à nous transmettre par écrit vos éventuelles observations complémentaires.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 21 h 35.
Mardi 3 mai 2022
- Présidence de M. Michel Canévet, président -
La réunion est ouverte à 8 h 00.
Audition Séquence bassin de l'océan Pacifique (Nouvelle-Calédonie, province des îles Loyauté et îles Wallis et Futuna)
M. Michel Canévet, président. - Je vous remercie d'avoir accepté de participer à cette réunion par visioconférence. Notre mission d'information travaille sur la stratégie nationale pour les grands fonds marins initiée par le Gouvernement depuis quelques années. Des ambitions fortes ont été affichées lors des sommets internationaux. On estime que l'on connaît aujourd'hui à peine 20 % des grands fonds : il est important d'accentuer cette connaissance d'autant que certains pays affichent des ambitions en termes de transition énergétique, notamment pour récupérer un certain nombre de ressources du sous-sol, qu'il s'agisse du pétrole, des ressources minérales ou autres.
Mieux connaître la biodiversité des grands fonds implique de mener un certain nombre de missions d'exploration. Pour ce faire, l'approbation des populations et des élus est nécessaire. C'est pourquoi il nous a paru important aujourd'hui d'organiser cette table ronde entre les collectivités du bassin de l'océan Pacifique.
M. Teva Rohfritsch, rapporteur. - Je salue à mon tour tous les participants. Le Sénat a créé cette mission d'information à la suite d'une médiatisation et d'une mobilisation forte, en particulier sur le plan international. Nous souhaitons faire le point sur les stratégies développées par l'État. Nous avons eu l'occasion d'entendre de nombreux interlocuteurs de l'administration centrale : le secrétariat général à la mer, la ministre de la mer et l'auteur du rapport sur la stratégie nationale en matière d'exploration et d'exploitation minière. Nous avons également fait le point avec le ministère des armées et ses différentes composantes sur la stratégie en matière militaire. La question des grands fonds marins, au-delà des minerais ou de la colonne d'eau, concerne aussi, bien entendu, des intérêts stratégiques, qu'il s'agisse de la défense des territoires de la République ou de la protection des infrastructures stratégiques que constituent les câbles sous-marins. Ce sont des sujets ô combien d'actualité aujourd'hui avec la guerre en Ukraine.
Comme l'a rappelé Michel Canévet, nous avons rencontré un certain nombre de scientifiques, notamment de l'Ifremer, mais aussi de l'école des Mines. Nous avons également rencontré des industriels français et étrangers. Nous envisageons de nous rendre en Norvège, pays européen particulièrement avancé sur ce sujet.
Il n'était pas question pour le Sénat de réaliser un rapport sur ces questions qui intéressent en particulier les outre-mer sans organiser cette consultation avec vous tous. Nous souhaitons pouvoir bénéficier de vos avis et connaître vos inquiétudes sur ces sujets qui sont aussi internationaux. On parle aujourd'hui de course aux fonds marins comme on parlait de la course aux étoiles il y a quelques décennies. Il existe donc une compétition internationale et de grandes puissances comme la Chine, les États-Unis ou d'autres se sont positionnées, mais la France également, notamment sur la zone de fracture Clarion-Clipperton.
La question ancienne des grands fonds marins est aujourd'hui revenue sous le feu de l'actualité. Se pose également la question de nos zones économiques exclusives (ZEE). C'est pourquoi il est impératif que vous puissiez vous exprimer pour partager avec nous votre connaissance de la stratégie nationale, qu'il s'agisse des explorations en vue de l'acquisition de connaissances ou en vue d'une exploitation à terme. Que pensez-vous des stratégies militaires qui sont déployées ? Quel est votre regard sur les différentes stratégies ? Comment percevez-vous l'élaboration de la stratégie nationale ? Quelles sont vos suggestions pour associer davantage vos collectivités ?
Quelle est votre vision sur les questions d'exploration pour la connaissance de nos fonds marins ? Estimez-vous suffisantes la cartographie bathymétrique et la connaissance des ressources minérales et vivantes des fonds marins composant la ZEE de vos collectivités ? Vos collectivités ont-elles déjà réfléchi à ces questions d'exploitation ? Avez-vous aujourd'hui des souhaits ou des impératifs à exprimer ? Il importe que notre rapport soit aussi complet que possible et porte la voix de nos outre-mer. Le Sénat n'a aucun a priori sur ce sujet stratégique et sensible pour les populations du Pacifique et d'outre-mer. Nous ne souhaitons pas renouveler la mauvaise expérience que nous avons eue à Wallis-et-Futuna, liée à un manque de communication avec les populations concernées.
M. Heremoana Maamaatuaiahutapu, ministre de la culture et de l'environnement de la Polynésie française. - Je salue tous les sénateurs présents, ainsi que nos amis de Nouvelle-Calédonie et de Wallis-et-Futuna. La question de l'exploration et de l'exploitation a déjà été abordée. L'expérience du congrès de Marseille organisé par l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) nous conduit à être prudents. C'est la raison pour laquelle, à Brest, M. Édouard Fritch, président du Gouvernement de la Polynésie française, n'a pas parlé d'exploration, mais de recherches et d'amélioration des connaissances sur les fonds marins. Lorsque nous avons utilisé le terme d'exploration à Marseille, plusieurs représentants de l'UICN nous sont un peu tombés dessus en nous disant : si vous parlez d'exploration, c'est forcément à des fins d'exploitation.
Or notre seul objectif - notre président l'a rappelé il y a quelques heures - est réellement d'acquérir une meilleure connaissance de nos fonds marins, aussi bien sur le plan minéral qu'écologique et biologique. Nous avons d'ailleurs travaillé avec l'Office français de la biodiversité pour lancer un programme de recherche sur la littérature scientifique existante relative aux 502 monts sous-marins de notre ZEE.
Bien entendu, le président de notre Gouvernement s'intéresse à tout ce qui peut contribuer à la connaissance des fonds marins. M. Tearii Alpha, qui gère la partie minière, aura certainement l'occasion de vous le dire : nous ne savons pour l'instant pas grand-chose des minerais présents dans les grands fonds de notre ZEE, comme l'a souligné à juste titre l'Ifremer.
M. Mikaele Kulimoetoke, sénateur des Iles Wallis et Futuna. - Wallis-et-Futuna est un territoire assez particulier, tout d'abord dans le sens statutaire. Par ailleurs, notre structure locale a besoin de prendre connaissance véritablement des fonds marins à la suite de la mission de l'Institut de recherche pour le développement (IRD) organisée en 2018. L'Assemblée territoriale a demandé en 2016 la mise en place d'une mission scientifique susceptible de nous apporter les connaissances et la maîtrise des fonds marins de Wallis et de Futuna. C'est un domaine où tout restait à faire sur le plan purement scientifique.
Après la mission de l'IRD, nous n'avons pas véritablement mis en place de politique relative à nos fonds marins. Il reste néanmoins nécessaire de convaincre les autorités locales, car la mentalité locale est restée très méfiante. Nous avons eu des retours assez défavorables par rapport à l'exploration, mais pire encore par rapport à l'éventuelle exploitation de nos fonds marins.
Il reste, bien sûr, à rassurer la population. À cette fin, cette dernière doit prendre connaissance de la nature et du contenu de nos fonds marins. Au vu de la méfiance locale, l'État devrait réfléchir à donner une suite à l'exploration avant de parler d'exploitation.
En tout état de cause, il semble nécessaire que les élus, le préfet et nos chefferies coutumières se mobilisent autour de cette problématique s'il l'on veut parvenir à un consensus local susceptible de faciliter une éventuelle exploration. Il importe avant tout que la population soit rassurée, car elle demeure localement un peu méfiante.
J'ai écouté mes collègues polynésiens. Il ressort de nos discussions que la problématique en ce qui concerne l'exploration et l'exploitation est un peu partout la même, y compris en Nouvelle-Calédonie.
M. Joseph Manaute, membre du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, chargé d'animer et de contrôler le secteur du développement durable, de l'environnement et de la transition écologique, chargé de la gestion et de la valorisation du Parc naturel de la mer de Corail. - Merci de nous donner l'occasion de nous exprimer sur la stratégie nationale en matière d'exploration et d'exploitation des fonds marins. Comme vous le savez, les fonds marins nationaux sont représentés à 97 % par les fonds marins des territoires ultramarins. Il est donc essentiel que ces derniers soient intimement associés le plus en amont possible à l'ensemble des discussions, qu'il s'agisse de l'exploration, de l'exploitation ou de l'accès aux ressources naturelles.
Première remarque, la stratégie nationale n'a pas fait l'objet d'une consultation au niveau du Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie. Nous l'avons découverte lorsqu'elle a été publiée, ce qui est regrettable. Cette mission d'information est donc pour nous l'occasion de pouvoir nous exprimer sur un certain nombre de sujets.
Deuxième remarque, le cadre thématique que vous avez proposé, avec trois volets et un certain nombre de questions, est extrêmement intéressant : il nous permet d'aborder les différents sujets point par point, de manière méthodique. S'agissant de la Nouvelle-Calédonie, plusieurs aspects méritent d'être soulignés.
Premièrement, l'ensemble de la ZEE de la Nouvelle-Calédonie est classé en aire protégée, soit 1,3 million de kilomètres carrés. À ce titre, la Nouvelle-Calédonie étant souveraine en matière d'accès et de prélèvements des ressources naturelles, il est essentiel que nous puissions être associés aux discussions et à toute élaboration de stratégies sur le sujet des ressources naturelles, notamment marines.
Deuxièmement, lorsqu'on parle d'exploration et d'exploitation, s'agit des fonds marins ou aussi de la colonne d'eau ? Tout cela n'est pas très clair.
S'agissant de la ZEE de la Nouvelle-Calédonie, la connaissance du domaine du vivant commence à être plutôt bonne, avec un fort investissement de la recherche scientifique en la matière. La Nouvelle-Calédonie aujourd'hui est plutôt décrite en termes superlatifs et se rapproche des Philippines, situées dans le triangle du corail du Pacifique. En revanche, la connaissance du fond marin est extrêmement parcellaire en Nouvelle-Calédonie, voire insuffisante. Par ailleurs, un volet est malheureusement totalement absent de la stratégie nationale, je veux parler de la valeur culturelle du patrimoine de la ZEE. Or c'est une dimension essentielle pour les populations, mes amis de la Polynésie et de Wallis-et-Futuna vous le diront également, car nous avons tous un même lien extrêmement particulier à la terre et à la mer, peut-être parce que nous sommes de petits archipels au milieu d'un immense océan.
M. Teva Rohfritsch, rapporteur. - Comme nous avons la chance d'accueillir les représentants des provinces de la Nouvelle-Calédonie, j'aimerais pouvoir les entendre. Pourraient-ils nous dire un mot sur tous ces sujets ?
Mme Chérifa Linossier, chargée de mission développement économique et relations extérieures au secrétariat général de la province des Îles Loyauté. - Bonjour, je représente le président Jacques Lalié pour la province des Îles Loyauté en Nouvelle-Calédonie, qui est très attentif à ce dossier. Je salue la belle initiative du Sénat de procéder par bassin. J'insisterai également sur la partie coutumière, surtout dans la province des Îles où rien ne peut se faire sans la validation de nos coutumiers. Dans notre stratégie, ou en tout cas dans le discours de politique générale, il n'existe pas un dossier qui ne soit pas partagé, collaboratif et participatif. C'est un des points majeurs. Comme vous le savez, nous comptons sur notre territoire de nombreux clans et tribus de la mer. Historiquement et naturellement, ils ont toujours préservé l'environnement. Nous serons donc très attentifs. L'emploi des mots, qu'il s'agisse de l'exploration ou de l'exploitation, sera important. Il s'agira de poser ensemble les bons mots. Nous n'avons pas non plus eu connaissance de cette stratégie nationale avant son lancement. En revanche, nous travaillons en très étroite collaboration avec le Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie sur différents sujets. Je ne reviendrai pas sur ce qui a été dit par M. Manauté, mais nous affichons aujourd'hui la volonté d'avoir un peu plus de transversalité, en particulier dans nos politiques publiques et en matière d'orientation.
Le lien à la mer et à la terre est fondamental. Effectivement, la partie culturelle est un préalable essentiel : le monde économique présente malheureusement une connotation négative. Il importe de trouver des points d'équilibre entre l'économie et la préservation des milieux. C'est un enjeu essentiel pour lequel nous devons travailler en étroite collaboration.
M. Nathaniel Cornuet, directeur du développement économique et de l'environnement à la province Nord. - Je vous remercie également de la démarche que vous avez initiée. La province Nord de la Nouvelle-Calédonie a pris connaissance de la démarche et de la stratégie proposée concernant les exploitations, notamment des ressources minérales des fonds marins. Nous disposons actuellement d'assez peu de recul. Deux points me semblent néanmoins importants. Premièrement, la place que l'on souhaite laisser aux populations locales dans des consultations. Deuxièmement, l'expérience de notre province dans le secteur minier à terre, avec tout l'historique qui en découle en matière d'interaction entre le secteur minier et l'environnement, mais également entre le secteur minier et la société. À ce stade, nous n'avons pas de position définitive sur les différentes questions que soulève votre stratégie. Nous manquons de recul, mais nous allons nous attacher à prendre connaissance des dossiers en cours. Quoi qu'il en soit, notre analyse s'inscrira très clairement dans l'historique et dans le passif existant avec le secteur minier terrestre.
Mme Françoise Suve, rapporteur de la commission de l'environnement à la province Sud. - Je vous remercie également de cette invitation. Nous avons été un peu étonnés, car la province Sud de la Nouvelle-Calédonie n'a pas compétence sur le sujet qui vous occupe aujourd'hui. Pour autant, toutes les provinces de notre territoire s'intéressent à ces questions, qui sont importantes pour la Nouvelle-Calédonie. Je m'exprimerai donc à la fois en tant qu'élue de la province et en tant que Calédonienne. Il s'agit pour nous d'un sujet avant-gardiste, d'un nouveau modèle de développement sur de nouveaux espaces. Parler de code minier et de grands fonds marins, c'est quand même une révolution puisque, jusqu'à présent, le secteur minier a toujours été associé au milieu terrestre. Oui, la connaissance des grands fonds est forcément primordiale. Il est important de mener des recherches pour mieux comprendre cette richesse, mais également pour mieux ensuite les gérer et les exploiter.
Comme l'a souligné Joseph Manauté, la prise en compte des spécificités et des valeurs culturelles et patrimoniales est fondamentale. On est sur quelque chose de nouveau. Cela entraînera nécessairement un bouleversement au sein même des populations. Il y va de la confiance que ces populations mettent en nous. Il s'agit de nouvelles richesses, il importe de les sécuriser. Il y a un travail énorme à faire pour préparer les élus et ensuite les populations. Ces sujets d'avenir doivent presque être traités dans les programmes pédagogiques si l'on veut qu'ils soient vécus et appréhendés comme quelque chose de positif et de constructif pour la Nouvelle-Calédonie. Selon moi, toutes ces connaissances doivent être partagées. Il importe de faire participer la société civile pour que le développement de ces nouveaux espaces soit mieux compris. C'est une évidence, mais il faut préparer les mentalités.
M. Michel Canévet, président. - Effectivement, il importe de mettre l'accent sur la vulgarisation.
M. Munipoese Muliakaaka, président de l'assemblée territoriale de Wallis-et-Futuna. - M. le sénateur des îles Wallis et Futuna vous a présenté un premier aperçu de la situation. Les campagnes d'exploration, dans l'optique d'une exploitation future de nos fonds marins, suscitent des avis très réservés dans nos territoires, notamment de la part de nos chefferies. Nous souhaitons établir un moratoire de cinquante ans sur l'exploitation de nos fonds marins. Notre population demande à être associée à toutes les démarches et à devenir partie prenante des débats. Il s'agit de trouver des compromis avant toute décision.
Mme Sandrine Ugatai, conseillère de l'assemblée territoriale de Wallis-et-Futuna. - En tant que présidente de la commission de l'intégration régionale, je tiens à dire que la difficulté pour notre territoire tient avant tout à son statut, qui maintient à l'État la compétence sur les fonds marins. De fait, nous n'avons hélas jamais eu connaissance des résultats des campagnes d'exploration menées jusqu'ici par l'Ifremer et l'IRD. Cette absence de transparence dans la communication des informations est regrettable.
Aujourd'hui, la population et les élus demandent ni plus ni moins une communication transparente de ces données, qui permettrait de lever tous les malentendus sur ce sujet si important pour notre territoire.
Il faut également noter que, dans le cadre de la stratégie nationale, l'assemblée territoriale de Wallis-et-Futuna n'a pas été consultée ; notre île est pourtant elle aussi un territoire où la spécialité législative est applicable. Nous n'avons manifestement pas été considérés comme étant à la hauteur de ces enjeux industriels.
Pour illustrer les difficultés auxquelles nous sommes confrontés, nous tentons depuis l'année dernière, sans y parvenir, de faire signer à nos chefferies une déclaration sur les océans qui permettrait à notre territoire de s'inscrire dans les stratégies qui ont déjà été mises en place au niveau régional. Sont en cause le manque de communication et la méfiance des populations.
En tant qu'élus, notre souci est de trouver le meilleur moyen pour vulgariser les enjeux autour de cette thématique des fonds marins. Nous aimerions aussi pouvoir participer et être consultés en amont sur ces questions. Les préoccupations de notre population doivent être prises en compte.
Il faudrait certainement aussi que nous, les élus, soyons un peu plus dynamiques et travaillions avec nos homologues de la Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie française, ainsi qu'avec vous, à Paris, pour échanger nos expériences et nos connaissances respectives. Prenons exemple sur le Groenland qui a été capable d'engager une expérimentation sur la recherche et l'exploration des métaux rares.
M. Michel Canévet, président. - L'assemblée territoriale et les instances dirigeantes de Wallis-et-Futuna connaissent-elles bien la nature des fonds marins qui entourent l'île ?
Mme Sandrine Ugatai. - Comme je viens de l'indiquer, c'est l'État qui dispose de l'ensemble de l'information et qui la monopolise, même si l'on peut espérer que les choses s'amélioreront avec le temps et les travaux que nous allons engager au niveau régional et au niveau national. Il reste que l'information est tellement technique qu'elle nécessite d'être interprétée si l'on veut que les populations la comprennent vraiment. Nos sociétés sont restées très traditionnelles. Elles sont organisées autour de chefferies, qui ont besoin d'avoir un accès le plus simple possible à ces informations.
Aujourd'hui, hélas, nous avons le sentiment de ne pas être suffisamment pris en considération.
M. Gaston Tong Sang, président de l'Assemblée de la Polynésie française. - Il est vrai que l'on connaît très peu de choses sur les fonds marins, à l'exception de ce que révèlent certaines publications scientifiques qui sont quasiment impossibles à comprendre tellement elles sont techniques.
Comme l'a indiqué notre ministre de l'environnement et de l'économie bleue, il faut poursuivre les recherches et les travaux d'exploration de ces fonds, d'autant que nous n'en sommes pas encore au stade de l'exploitation.
Je me souviens qu'à l'origine il était question de nodules polymétalliques ; ensuite, on a parlé des terres rares : ces questions ont d'emblée fait l'objet de débats assez vifs entre les partis indépendantistes et la majorité au sein de l'assemblée de la Polynésie française sur le point de savoir si l'exploitation de ces minéraux relevait de la compétence de l'État ou de celle de la Polynésie française. En réalité, il s'agit d'un problème d'ordre juridique, l'enjeu étant de savoir si ces minéraux figurent parmi les matières stratégiques ou pas.
La Polynésie française, comme les autres territoires français du Pacifique, demande à ce que les études puissent suivre leur cours. Nous souhaitons qu'un rapport synthétique sur l'intérêt qu'il y aurait à explorer et à exploiter ces minéraux - quantités, durée d'exploitation, bilan coûts-avantages pour l'environnement et la culture - soit présenté à nos institutions respectives.
Les Polynésiens sont avant tout un peuple de l'océan. L'enjeu pour nous est de parvenir à concilier le besoin d'exploiter les fonds marins, afin de continuer à développer notre économie, et le respect de l'environnement et de nos ressources halieutiques. Je rappelle que la Polynésie française est l'un des rares territoires du Pacifique à avoir mis en place avec succès une politique sectorielle de la pêche hauturière.
Bien avant nous, la Chine s'est beaucoup intéressée aux réserves de minéraux et aux terres rares. C'est ainsi le premier pays à avoir installé son consul général en Polynésie française. Je rappelle que l'un des anciens présidents du Gouvernement de la Polynésie française avait signé un mémorandum d'entente avec une société chinoise pour l'exploitation des ressources marines, que ce soit en pêcherie ou en élevage de poissons. Or ce document a été enregistré presque au même moment où certains pays indépendants du Pacifique ont déposé une demande de réinscription de la Polynésie française sur la liste de l'ONU des pays à décoloniser : est-ce vraiment un hasard ou faut-il voir la Chine derrière cette stratégie d'occupation de l'espace Pacifique, là justement où se situent des réserves importantes de minerais ?
Je suis totalement en phase avec la stratégie de notre Président de la République, Emmanuel Macron, qui fait de la stratégie indopacifique de la France une priorité. En revanche, il ne faut pas la concevoir comme une stratégie strictement militaire : il faut une approche davantage économique qui démontre l'excellence de la France dans tous les domaines.
Pour finir, je souhaiterais évoquer une ressource importante des océans que l'on a trop tendance à oublier, en l'occurrence l'énergie thermique des mers (ETM). Au moment où les énergies fossiles se font de plus en plus rares et sont de plus en plus chères, n'est-il pas temps d'exploiter cette ressource énergétique dans nos îles du Pacifique, qui représentent un atout majeur dans ce domaine ? La Polynésie française a déjà accumulé de l'expérience en la matière : à titre d'exemple, grâce à cette énergie thermique des mers, nous achèverons prochainement la climatisation de l'hôpital de Pirae.
L'énergie créée à partir de ce procédé est inépuisable et quasiment invariable compte tenu des conditions météorologiques extérieures en Polynésie française. Ce serait une très bonne chose d'aider les îles du Pacifique à acquérir leur autonomie énergétique grâce au développement de l'ETM.
M. Michel Canévet, président. - Merci, monsieur le président. Votre dernière observation est tout à fait pertinente : il importe effectivement de réfléchir aux ressources durables et naturelles dans le cadre de la transition énergétique que notre pays et l'Europe ont engagée.
M. Teva Rohfritsch, rapporteur. - Merci à toutes et tous pour vos interventions.
Permettez-moi de poser quelques questions aux représentants de la Polynésie française : quelle est votre ambition en matière de connaissance des grands fonds marins - puisque le statut d'autonomie a confié cette responsabilité à la Polynésie ? Quels sont vos impératifs en matière de protection de l'environnement dans le cadre de cette économie de la connaissance ? Pensez-vous éditer une norme polynésienne en la matière ?
La question des normes revient de manière récurrente au cours de nos échanges avec nos interlocuteurs, et plus particulièrement ceux de l'Autorité internationale des fonds marins (AIFM). Une norme commune est d'autant plus difficile à élaborer que nous évoquons des technologies et des techniques qui ne sont pas totalement au point aujourd'hui et qui concernent des environnements encore très peu connus. Nos collectivités du Pacifique pourraient peut-être tirer leur épingle du jeu et contribuer à écrire cette norme, d'abord pour elles-mêmes, ensuite pour la France, et enfin au niveau international. Il serait intéressant, me semble-t-il, d'avoir le sentiment de chacun sur l'opportunité d'une approche régionale de cet enjeu.
Ma dernière question porte sur l'Ifremer : les moyens de cet institut sont-ils suffisants ou souhaiteriez-vous un renforcement et/ou une spécialisation de celui-ci ?
M. Tearii Alpha, ministre de l'agriculture et du foncier du gouvernement de la Polynésie française, chargé du Domaine et de la recherche. - J'interviens sur la question des fonds marins en tant que ministre de la recherche et du domaine foncier, et donc des mines.
Le mois prochain, nous présenterons en conseil des ministres la stratégie de l'innovation de la Polynésie française, laquelle s'organisera autour de six thématiques principales, dont évidemment celle de l'océan. Pour résumer notre approche, qui a fait l'objet d'une vaste concertation avec la société civile, le monde de la recherche et les partenaires polynésiens, nous ne souhaitons pas réduire l'exploration, ou en tout cas l'étude et la connaissance des fonds sous-marins, à la question minière.
On parle évidemment beaucoup du potentiel des minerais, des nodules polymétalliques, des terres rares ou des encroûtements cobaltifères et des amas hydrosulfurés, mais avant d'examiner toute la matière inerte, nous souhaitons développer et valoriser la connaissance du vivant. De ce vivant sous-marin, de l'endémisme qui existe en Polynésie française, comme en Nouvelle-Calédonie et à Wallis-et-Futuna, découleront certainement des innovations pharmacologiques, des solutions pour préserver notre sécurité alimentaire. Nous vivons actuellement un début de crise alimentaire qui va certainement s'accélérer à cause du changement climatique : il faudra utiliser l'océan comme une source de protéines et de matières alimentaires.
Pour convaincre la population, car il ne faut pas oublier qu'il est indispensable que celle-ci soutienne notre ambition d'étudier les océans, il faut commencer par satisfaire ses besoins primaires, à commencer par l'assiette, donc, la santé, le mieux-vivre et le bien-être. À travers cette exploration du monde sous-marin, il est nécessaire et parfaitement envisageable de tenir compte de ces besoins vitaux. Je n'oublie pas les besoins en matière d'énergie, mais je pense qu'il faut d'abord s'attaquer aux besoins premiers des populations, ce que vise d'ailleurs notre projet de stratégie en matière d'innovation en Polynésie française.
Deuxième remarque, nous voulons devenir un véritable partenaire de l'État, afin de renforcer les synergies et de développer une approche gagnant-gagnant. Notre statut est peut-être plus favorable que celui de Wallis-et-Futuna, puisque nous avons la pleine compétence en matière d'innovation et de recherche dans la ZEE polynésienne, mais nous avons évidemment besoin de l'expertise nationale, européenne, voire internationale.
Je répondrai à M. le rapporteur qu'il faut évidemment que nous nous organisions autour d'une norme Pacifique. Le Pacifique francophone peut et doit inventer une norme pour l'accès et le partage des avantages tirés de la valorisation de cette spécificité endémique. Nous devons nous protéger collectivement face à la mondialisation.
Enfin, il me semble que les territoires français du Pacifique se doivent d'être beaucoup plus ambitieux pour attirer l'expertise et les grandes universités dans leurs eaux. Nous devons créer des chaires internationales dans les universités et demander à ce que nos bassins deviennent des bassins d'application et de référence de l'innovation pour le compte de la France et de l'Union européenne. À l'heure où les équilibres mondiaux sont en pleine mutation, nous devons rester dans le camp de la France et dans celui de l'Occident si l'on ne veut pas être engloutis sous les ambitions impérialistes.
M. Heremoana Maamaatuaiahutapu. - L'ambition du président du Gouvernement, Édouard Fritch, de lancer une stratégie commune aux territoires français du Pacifique et au-delà, notamment sur la gestion de nos ZEE, revient à vouloir créer un grand « mur bleu » dans le Pacifique. Il ne s'agit pas seulement de gérer nos aires marines, mais aussi d'aller dans les profondeurs des ZEE.
Comme l'ont dit mes prédécesseurs, j'estime que nos territoires doivent être associés à cette stratégie. Il est anormal que nous ayons découvert la stratégie de protection des récifs coralliens de l'État au moment même où le Président de la République l'a dévoilée à Marseille, et ce alors même que 98 % des récifs coralliens se trouvent en outre-mer. Sur ces sujets, nos territoires disposent de compétences qu'il convient de ne pas ignorer.
Il importe aujourd'hui que des stratégies communes soient mises en place, entre les territoires et l'État notamment, afin d'éviter un certain nombre de complications politiques sur le terrain. Il ne faut pas laisser penser que tout se décide à Paris...
Il convient aussi de développer- on l'a dit - une approche régionale de notre vision de l'exploration puis de l'exploitation des fonds marins. Sur l'exemple des îles Cook, la Polynésie française, Wallis-et-Futuna et la Nouvelle-Calédonie ne pourraient-ils pas être les porte-parole d'une politique française commune avec nos voisins du Pacifique ? À défaut, c'est la Chine, l'Inde ou l'Australie qui prendra les devants.
Pour nous, la réponse consiste en l'édification d'un grand mur bleu dans le Pacifique avec nos amis de Wallis-et-Futuna et de la Nouvelle-Calédonie, mais aussi les îles Cook, Samoa, Tonga et tous les autres pays représentés au Forum des îles du Pacifique.
Pour terminer, je répondrai sur l'Ifremer : l'institut a déjà du mal à soutenir les politiques publiques de la Polynésie française en matière d'aquaculture. Par conséquent, je considère que ses moyens seront insuffisants pour faire face aux défis qui s'annoncent en ce qui concerne l'exploration des fonds marins. D'autres partenariats seront indispensables, notamment avec les universités.
M. Joseph Manauté. - Le sujet que nous évoquons est effectivement sensible. Je suis pleinement d'accord avec les représentants de la Polynésie française et de Wallis-et-Futuna : il faut absolument que l'on soit associé aux stratégies mises en oeuvre.
Vous nous interrogez sur notre connaissance actuelle des fonds marins et nous demandez si nous estimons suffisamment bien connaître la bathymétrie, la nature des ressources minérales et vivantes de la ZEE de la Nouvelle-Calédonie. Je vous répondrai que cette connaissance est bien entendu insuffisante, et ce tout d'abord parce que cette ZEE représente une immense surface de près de 1,3 million de kilomètres carrés. Toutefois, des études ont été lancées sous l'égide de l'Office de la recherche scientifique et technique outre-mer (Orstom), devenu l'IRD, dès les années 1960. Nous avons donc des archives et des données à notre disposition depuis cette époque.
J'ajoute que la Nouvelle-Calédonie a été associée à un inventaire des ressources marines des grands fonds entre 1991 et 2014, appelé ZoNéCo et financé via des contrats de développement pour un montant total qui s'élève tout de même à près de 15 millions d'euros. Cette somme d'informations a été synthétisée à l'issue du programme : elle est par conséquent disponible et archivée.
Ces études ont montré que la Nouvelle-Calédonie et sa ZEE représentaient un fort potentiel en ressources minérales.
S'agissant des connaissances à proprement parler, il faut distinguer les ressources biologiques et les ressources minérales des fonds, ainsi que la problématique culturelle.
En ce qui concerne la dimension minérale des fonds sous-marins, sachez que seule 30 % de la bathymétrie de la ZEE de la Nouvelle-Calédonie est connue. Pour ne prendre que cet exemple, seuls deux nodules polymétalliques y ont été analysés à ce jour.
S'agissant des ressources biologiques, la ZEE bénéficie en raison de son emplacement d'un environnement très particulier, proche de ce que l'on peut trouver aux Philippines en termes de biodiversité biologique et surtout d'endémisme. Dans ce domaine, les connaissances sont plutôt satisfaisantes, même si elles restent lacunaires.
Enfin, les valeurs culturelles et archéologiques sont essentielles pour la Nouvelle-Calédonie. L'acquisition de cette connaissance n'a débuté que très récemment, sur l'initiative du Gouvernement et du Sénat coutumier. Un inventaire de la toponymie de l'ensemble de la ZEE est engagé. Par ailleurs, un inventaire de l'ensemble des espèces emblématiques à valeur culturelle a été amorcé ici. Enfin, nous allons lancer l'inventaire du patrimoine culturel et archéologique de la ZEE, chantier énorme qui devrait mobiliser trois ans de travail.
Si l'on parle beaucoup des ressources minérales, toute la dimension culturelle des fonds marins et des océans - en Nouvelle-Calédonie, il est souvent question de spiritualité quand on aborde ces sujets - n'est pas à négliger. En l'état actuel des connaissances et compte tenu des concertations qui ont pu être menées, il est par conséquent hors de question d'envisager le recours à des méthodes destructrices, à des prélèvements et à des analyses qui affecteraient les fonds marins.
M. Paino Vanai, conseiller de l'assemblée territoriale de Wallis-et-Futuna. - Je m'exprime en tant que président de la commission des affaires économiques et du développement de l'assemblée de Wallis-et-Futuna.
La connaissance des fonds marins est très lacunaire sur notre île. Aujourd'hui, avec l'aide de l'Office français de la biodiversité, nous avons demandé à élaborer une synthèse des connaissances de ces fonds. Ce travail, qui est en cours, me paraît indispensable tant l'absence de partage des connaissances nuit à l'adhésion de la population vis-à-vis des projets que nous pourrions conduire. Nous espérons pouvoir diffuser ce bilan auprès des autorités coutumières d'ici à la fin de l'année.
Pour l'avenir, notre ambition est de nous inspirer de l'expérience de la Nouvelle-Calédonie et de sa stratégie en matière de gestion de l'espace maritime. Un tel document nous permettrait d'avoir une vision globale de l'ensemble des sujets que nous évoquons, que ce soit au niveau des ressources minérales ou biologiques.
Nous sommes, vous l'aurez compris, favorables à des moyens supplémentaires pour compléter les connaissances sur notre espace maritime, et je suis évidemment très favorable à un projet régional s'appuyant sur les territoires français, mais aussi sur nos voisins du Pacifique comme les îles Samoa, Tonga, Fidji, etc.
M. Teva Rohfritsch, rapporteur. - Je souhaiterais aborder le sujet proprement dit de l'exploitation éventuelle des fonds marins.
Nous avons récemment rencontré l'ancien Premier ministre des îles Cook, qui nous a fait part de l'existence de deux approches concurrentes au sein des pays du Forum des îles du Pacifique : l'une consiste à privilégier la protection, la préservation et, éventuellement, la connaissance des grands fonds marins au sens minier de la colonne d'eau ; l'autre met davantage l'accent sur la diversification économique et la nécessité de trouver de nouvelles ressources.
Il est difficile de se faire une idée précise sur cette question. Néanmoins, il serait utile que vous nous disiez si vos collectivités privilégient la poursuite de l'exploration des fonds marins dans l'unique but d'acquérir des connaissances - le président de l'assemblée de Wallis-et-Futuna parlait tout à l'heure d'un moratoire sur le volet « exploitation » - ou la prospection des fonds marins et la découverte de gisements miniers en vue d'une exploitation éventuelle.
Vos réponses à cette question fondamentale, sur laquelle nous n'avons, au Sénat, aucun a priori, permettront de nourrir notre rapport. J'ai d'ores et déjà noté la volonté partagée par les uns et les autres d'une restitution formelle des études, la volonté d'un partenariat entre territoires, mais aussi le souci d'une ouverture plus large à des organismes nationaux, voire internationaux.
M. Heremoana Maamaatuaiahutapu. - En Polynésie française, nous n'envisageons l'exploitation des fonds marins que dans un second temps. Notre démarche actuelle consiste davantage à acquérir des connaissances, pas forcément avec pour objectif de prospecter, mais plutôt pour mieux connaître les richesses minérales existantes.
Comme chez nos amis wallisiens - c'est une position courageuse -, la Polynésie française a un temps envisagé de demander un moratoire. Simplement, nous avons abandonné cette idée, car les discussions que nous avons avec nos cousins du Pacifique montrent que tout le monde n'est pas d'accord à ce sujet et que certains s'intéressent d'abord au développement de leur économie.
Bien entendu, ce que l'on craint, c'est que certains territoires se voient obligés demain de vendre des licences d'exploitation de leurs richesses minières à des puissances étrangères. Pour empêcher cela, la France a, à mon sens, un vrai rôle à jouer.
Parce qu'il s'agit d'un sujet éminemment sensible politiquement, il convient en tout état de cause d'avancer très prudemment sur la voie de l'exploitation des fonds marins.
M. Munipoese Muli'aka'aka. - À Wallis-et-Futuna, les élus, les autorités locales, les chefferies coutumières veulent avant tout être associés aux résultats des recherches ou de l'exploration des fonds marins, en particulier à ceux de la campagne de l'IRD qui a été réalisée près de notre île. C'est ce dont Wallis-et-Futuna a besoin au premier chef.
Pour le reste, je rejoins nos homologues de la Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie française sur les enjeux culturels liés aux fonds marins. Nos océans sont notre mère nourricière : le fait de vouloir concilier l'exploration et l'exploitation des fonds marins, tout en respectant l'océan comme source de vie pour nos populations nous paraît quelque peu contradictoire sur un plan culturel.
M. Teva Rohfritsch, rapporteur. - À votre avis, faut-il renforcer la présence et les moyens des organismes de recherche nationaux comme l'Ifremer et l'IRD ? Y êtes-vous favorables ?
M. Munipoese Muli'aka'aka. - La présence effective des instituts de recherche, comme l'Ifremer, sur le territoire de Wallis-et-Futuna me semble être la solution la plus plausible. Nous avons besoin d'être conseillés localement et voulons profiter de cette expertise pour former les jeunes wallisiens intéressés par ces questions.
M. Joseph Manaute. - Lors de son intervention au cours du dernier sommet France-Océanie en juillet 2021, le président Louis Mapou a clairement exposé la position de la Nouvelle-Calédonie en faveur d'un moratoire sur l'exploration et l'exploitation des ressources minérales des fonds marins de notre ZEE.
En d'autres termes, nous ne sommes pas opposés à des projets contribuant à une amélioration de nos connaissances ; en revanche, il nous semble prématuré d'envisager l'exploration à des fins d'exploitation minière ou gazière de nos fonds marins.
Le comité consultatif de l'environnement du Congrès de la Nouvelle-Calédonie s'est autosaisi du sujet du code minier, mais aussi du schéma de mise en valeur des richesses minérales. Son rapport, remis en février 2022, comporte 64 préconisations, dont une recommandation essentielle et majeure visant à mettre en place un moratoire sur l'exploration et l'exploitation des ressources minérales marines.
En Nouvelle-Calédonie, le travail de réflexion et de concertation a été conduit avec l'ensemble des parties prenantes. C'est donc très naturellement qu'un avant-projet de loi de pays a été rédigé, qui prévoit de limiter ce moratoire dans le temps et d'autoriser la poursuite de l'activité de recherche et d'amélioration de la connaissance selon des méthodes qui ne sont pas des destructrices et qui ne perturbent pas les écosystèmes.
Comme l'ont rappelé mes homologues de Polynésie française et de Wallis-et-Futuna, de nombreux travaux de recherche sur les ressources minérales et organiques ont déjà été effectués. Le moratoire nous laissera le temps d'élaborer un bilan, une synthèse de ces travaux, d'en vulgariser les résultats auprès des populations. Il conviendra ensuite d'identifier les connaissances complémentaires dont nous avons encore besoin.
Enfin, le moratoire permettra de reprendre les discussions sur le fondement d'une méthode de travail reposant sur une concertation dès l'amont : nos trois territoires, la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française et Wallis-et-Futuna doivent être associés à la stratégie nationale pour des raisons à la fois politiques, sociales, culturelles et juridiques - n'oublions pas que la Nouvelle-Calédonie, pour ce qui la concerne, est totalement souveraine en matière de gestion de ses ressources naturelles.
Nous sommes évidemment favorables à ce que l'État nous aide à acquérir de la connaissance, notamment en matière de recherche scientifique. Il est essentiel de mieux connaître pour mieux préserver, mais aussi pour envisager une valorisation des ressources sur le temps long.
Aussi, la loi de pays que nous sommes en train d'élaborer vise à permettre aux générations futures de faire librement leurs choix, de prendre des décisions éclairées concernant l'exploitation ou la non-exploitation des ressources et des fonds marins.
L'enjeu est majeur, d'autant que la Nouvelle-Calédonie a déjà une longue expérience de ce en quoi consiste l'exploitation minière terrestre et de ses conséquences.
M. Gérard Poadja. - Je veux simplement dire que le sujet des fonds marins concerne très directement mon territoire de la Nouvelle-Calédonie. L'océan est au coeur de notre géographie, de notre culture, de nos économies. Notre espace maritime abrite en effet 20 % de la biodiversité mondiale.
La Nouvelle-Calédonie est résolument engagée dans la préservation de cette biodiversité exceptionnelle. Comme vous le savez, elle a la particularité d'être compétente pour ce qui concerne les ressources naturelles de la zone économique exclusive. Cette compétence a conduit à la création, en 2014, du parc naturel de la mer de Corail, l'une des plus grandes aires marines protégées du monde où 95 monts sous-marins ont été identifiés.
Les ressources minérales de la ZEE de la Nouvelle-Calédonie suscitent beaucoup d'intérêt, notamment dans le cadre du programme d'investissements d'avenir nommé « France 2030 », qui a été lancé par le Président de la République.
Il me semble que nous devons avant tout continuer à acquérir des connaissances sur les écosystèmes des grands fonds et sur les ressources minérales marines. Depuis les années soixante-dix, de nombreux travaux de recherche scientifique ont été réalisés sur les écosystèmes profonds de la Nouvelle-Calédonie, mais ces derniers sont encore assez méconnus. De grandes zones restent inexplorées : il faut poursuivre ce travail et amplifier les efforts en matière de protection des fonds marins dans l'intérêt des générations futures.
Mme Micheline Jacques. - Je remercie mon collègue Teva Rohfritsch pour son effort de sensibilisation sur le sujet très important de la connaissance des grands fonds marins. Je suis honorée de participer à ces discussions. Je salue la qualité de vos interventions qui ont été très éclairantes, ainsi que votre attachement à vos valeurs, à votre culture et à cette harmonie avec votre environnement que vous avez su préserver malgré le monde hyperindustrialisé dans lequel nous vivons. Tout cela force le respect. Il est tout à fait légitime que vous soyez associés, comme vous le revendiquez, à l'amélioration de la connaissance de vos fonds marins. Soyez assurés de mon soutien plein et entier au niveau du Sénat pour vous accompagner dans cette démarche. La France peut être fière de ses territoires ultramarins, lesquels doivent être mis en avant.
M. Gérard Lahellec. - Je confirme ce qui vient d'être dit. Nous allons cheminer de façon assez unanime au Sénat vers cet objectif pour les territoires ultramarins. Je remercie M. le rapporteur de l'immensité du travail accompli. Force est de reconnaître qu'il est le bon porte-parole de bien des choses qui ont pu se dire ici. Je retiendrai, à l'issue de nos échanges, que nous avons encore à beaucoup travailler sur la question de la connaissance - je dis bien de la connaissance, car j'ai bien pris la mesure des nuances qui existent. Ce sera une des portes d'entrée auxquelles je veillerai, le moment venu, quand toutes ces questions viendront en débat de façon plus formelle au Sénat.
M. Tearii Alpha. - Je vous remercie de cette belle table ronde. Nous sommes tous d'accord : il faut faire avancer l'acquisition de la connaissance ainsi que la cartographie bathymétrique pour le contexte géologique et biologique. Les différents Comités interministériels de la mer (Cimer) ont validé cette grande ambition nationale, avec des fonds dédiés et une stratégie France 2030. Nous attendons de ce rapport qu'il consacre la spécificité de l'axe indopacifique dans la stratégie nationale. Cette matérialisation passe par les territoires français du Pacifique, cette Océanie française. Soyons ambitieux et proposons à la Nation que nos bassins océaniques respectifs - wallisiens, futuniens, calédoniens et polynésiens - deviennent les premiers bassins de recherche pour la maîtrise de la connaissance océanique, tant au niveau national qu'au niveau européen. Il faut aussi attirer le privé dans notre stratégie. Ce sont autant d'idées dont nous débattons entre nous en Polynésie, à la veille du grand sommet de l'océan qui sera organisé chez nous. Peut-être faudra-t-il passer par une fondation d'intérêts du Pacifique afin de capter les moyens des grandes entreprises mondiales qui s'intéressent à l'innovation maritime.
M. Heremoana Maamaatuaiahutapu. - Je m'associe à ces remerciements. Nous avons bien avancé sur la question de la prise en compte des spécificités dans le Pacifique, notamment en ce qui concerne l'approche culturelle. Notre collègue de la Nouvelle-Calédonie a résumé la situation : il faut connaître pour mieux préserver et envisager l'exploitation sur le temps long. Wallis-et-Futuna a fixé ce temps long à cinquante ans. C'est une échéance comme une autre.
M. Teva Rohfritsch, rapporteur. - À mon tour de vous remercier. Il importe que notre territoire du Pacifique soit mieux entendu. Je suis particulièrement heureux de pouvoir faire avancer notre cause au Sénat. Nous n'avons certes pas épuisé le débat aujourd'hui, mais nous avons pu entendre un certain nombre de préconisations. Des craintes et des attentes ont également été exprimées, notamment en termes de restitution sur les études, de mobilisation de l'État, de démarches régionales ou de gestion du temps long. Les précisions apportées sur le champ lexical me semblent particulièrement importantes. Il est effectivement nécessaire de distinguer l'exploration, au sens de l'acquisition des connaissances, du volet plus prospectif, en vue d'une éventuelle exploitation. Nous avons tous parfaitement cerné la nuance. Tout cela figurera dans notre apport. J'espère que cette table ronde sur le bassin de l'océan Pacifique fera école et en appellera beaucoup d'autres. Avant de nous quitter, je vous informe que les contributions écrites resteront encore possibles durant quinze jours. Nous veillerons bien évidemment à ce que toutes les sensibilités soient bien représentées dans ce rapport information, que nous espérons utile pour nos outre-mer.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 10 h 00.
Mercredi 4 mai 2022
Audition Séquence bassin de l'océan Indien
- Présidence de M. Michel Canévet, président -
La réunion est ouverte à 8 h 00.
M. Michel Canévet, président. - Mes chers collègues, nous nous retrouvons pour la troisième table ronde consacrée aux collectivités d'outre-mer dans le cadre de la mission d'information sur l'exploration, la protection et l'exploitation des grands fonds marins. Il s'agit d'analyser la stratégie nationale en la matière et de formuler un certain nombre de recommandations quant à sa mise en oeuvre. Les collectivités d'outre-mer étant très concernées par cette question, il paraissait important de prendre en compte leurs attentes de manière spécifique. Aujourd'hui, nos échanges porteront sur le bassin de l'océan Indien, avec les collectivités de Mayotte et de La Réunion.
M. Teva Rohfritsch, rapporteur. - C'est effectivement notre troisième table ronde sur les outre-mer. Il convient plutôt de parler « des » stratégies des grands fonds marins, avec, comme vous le savez, en 2021, une mise à jour de la stratégie nationale d'exploration et d'exploitation minières datant de 2015, à la suite du rapport de M. Levet, du Secrétariat général de mer. Vous savez aussi que le plan France 2030 a mis en exergue l'espace et l'océan, avec un objectif d'intervention publique chiffré à 300 millions d'euros pour les fonds marins. Enfin, plus récemment, nous avons pris connaissance de la stratégie de maîtrise des fonds marins dans le domaine militaire. Il y a, à l'évidence, une urgence. La France doit défendre sa souveraineté. Nous avons pu entendre les administrations centrales, les forces armées, les scientifiques, les ONG, pour faire le point tant sur le niveau de connaissance et d'appréhension de ces sujets, que sur les attentes et les craintes de toutes les parties prenantes. Il nous semblait à ce stade indispensable que les outre-mer soient entendus, sachant que presque 98 % de la zone économique exclusive (ZEE) nationale est ultramarine. Par ailleurs, la zone indopacifique est devenue un lieu stratégique majeur dans la géopolitique mondiale.
Je précise que le Parlement est tout à fait dans son rôle avec cette mission de contrôle et d'évaluation de la politique du Gouvernement. Nous serons également une force de proposition. Au-delà des strictes compétences de chacune des collectivités, il est important de connaître le ressenti des populations locales et des ONG sur les décisions qui sont prises ou envisagées. C'était aussi le souhait émis par le président Macron aux assises de l'économie de la mer à Marseille et au One Ocean Summit de Brest.
Nous vous avons transmis quelques questions, qui pourront éventuellement être complétées : quelle est votre position sur l'exploitation de ces fonds ? Seriez-vous favorables à un moratoire ? L'idée est de faire en sorte que nos échanges soient les plus complets possible.
M. Wilfrid Bertile, conseiller régional de La Réunion en charge du codéveloppement régional, de la pêche et des relations extérieures. - Je suis actuellement élu au conseil régional, mais j'ai également été, dans une vie antérieure, secrétaire général de la Commission de l'océan Indien (COI), ce qui n'est pas sans intérêt pour la réunion d'aujourd'hui. Il s'agit d'une organisation interétatique qui regroupe la France, au titre de La Réunion, les Comores, Madagascar les Seychelles et l'Île Maurice. Elle travaille en étroite relation avec l'Association des États riverains de l'océan Indien, à laquelle la France a adhéré en décembre 2020, et qui regroupe 23 pays. C'est intéressant à préciser, car l'exploration des fonds marins a nécessairement une dimension régionale.
M. Idriss Ingar, référent climat-énergie au conseil départemental de La Réunion. - Je représente les services du département de La Réunion, en remplacement de M. Serge Hoarau, conseiller départemental, qui est retenu par une autre réunion. Nous vous remercions de cette invitation à échanger.
Mme Zaminou Ahamadi, conseillère départementale de Mayotte. - Monsieur le président, je vous remercie de votre invitation au nom du conseil départemental de Mayotte.
M. Thani Mohamed Soilihi. - Avec Zaminou Ahamadi, nous sommes aujourd'hui les dignes représentants de Mayotte. Je précise que Mayotte est historiquement le premier DROM, département et région d'outre-mer, à la fois composé des représentations départementales et régionales. Or il n'y a que 26 élus, ce qui est évidemment insuffisant pour prendre en charge toutes les compétences dévolues à cette collectivité.
Mme Viviane Malet. - J'ai lu avec attention les derniers travaux de la mission, qui m'ont beaucoup appris. On connaît trop peu les fonds marins, notre territoire n'étant pas assez tourné vers la mer.
Mme Nassimah Dindar. - J'ai commencé à être sensibilisée à la problématique des fonds marins en siégeant à l'Office français de la biodiversité (OFB). Il me semble nécessaire que les élus de nos territoires soient mieux informés sur tous ces sujets. À La Réunion, je rappelle que nous avons une ceinture récifale de 25 kilomètres de long et 3 500 espèces animales et végétales à protéger. Cependant, on a le sentiment d'un manque de cohérence de toutes les politiques publiques : biodiversité, économie bleue, énergie. Enfin, j'appelle de mes voeux le développement d'une coordination entre La Réunion et Mayotte en matière environnementale et économique. Sur la pêche, par exemple, la population réunionnaise n'est sensibilisée qu'à la question de la pêche côtière. Je le répète, il y a aujourd'hui un manque d'information et de coordination.
M. Michel Dennemont. - Comme l'ont dit nos deux collègues sénatrices, La Réunion n'est pas assez tournée vers la mer. Aussi, en tant que béotien, j'attends beaucoup des travaux de cette mission d'information.
M. Wilfrid Bertile. - Le sujet est mondial. Il y a eu une surconsommation des ressources naturelles que la terre peut fournir. Les fonds marins représentent l'avenir dans un contexte où les ressources minières s'épuisent rapidement.
Dans ce cadre, notre rôle est essentiel. La France est la deuxième puissance maritime mondiale pour ce qui concerne les zones économiques exclusives. Par conséquent, elle a une responsabilité particulière. Nous avons longtemps été à la pointe en matière de recherche et de technologies appliquées aux fonds marins, mais nous nous sommes fait concurrencer par un certain nombre de puissances, dont la Chine.
Les outre-mer ont un rôle important à jouer compte tenu de la superficie des zones économiques exclusives qu'elles représentent.
S'agissant plus précisément de La Réunion, du sud-ouest de l'océan Indien et des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF), la superficie maritime contrôlée par la France est supérieure à la superficie de toute la Méditerranée. C'est dire l'enjeu.
Pour en venir aux fonds marins, on peut identifier plusieurs sujets.
Il y a d'abord la connaissance. Comme l'a dit le Président de la République, on ne peut exploiter, protéger, ou les deux, que si l'on connaît l'existant. Or, d'après certains, on connaît mieux la Lune que nos fonds marins. Il y a donc un énorme travail de recherche à faire.
Se pose ensuite le problème de la préservation et de l'exploitation. Il faut évidemment trouver une formule qui concilie au mieux ces deux aspects. On aura sûrement besoin d'exploiter, mais on a aussi besoin de préserver la biodiversité des fonds marins. Je pense que c'est possible avec les technologies modernes.
Le monde est aujourd'hui tourné vers l'Indopacifique, qui concentre 40 % du PIB mondial. Par son appartenance à la Commission de l'océan Indien et à l'Association des États riverains de l'océan Indien, la France a des leviers pour mettre en oeuvre dans cette zone les grandes orientations voulues par le Président de la République. Il s'agit d'offrir une autre voie que celle des tensions grandissantes entre les États-Unis et la Chine.
À La Réunion, tout cela est suivi avec grand intérêt. N'oublions pas que le code minier est en partie de la compétence des régions.
M. Idriss Ingar. - C'est un grand honneur de se présenter ici devant vous pour évoquer ce sujet, qui est pleinement stratégique dans le développement de la souveraineté de la France dans l'océan Indien, donc dans le monde.
À la Réunion, nous avons tendance à dire que le Réunionnais a tourné le dos à la mer. C'est vrai, et cela découle directement du peuplement de l'île, qui a débuté au XVIIe siècle. À l'origine, c'était un territoire vierge, caractérisé par une biodiversité exceptionnelle. Nous sommes l'un des trente hotspots de biodiversité mondiale. Nous avons le plus haut sommet de l'océan Indien et la seule source thermale de l'océan Indien. Les premiers habitants issus des différentes communautés, qui sont venues de métropole, d'Afrique, d'Asie se sont attachés à agir ensemble pour rendre l'île habitable. C'était le premier besoin et c'est ce qui a forgé l'identité réunionnaise : rendre cette île habitable, mais toujours en lien avec l'environnement. Ainsi, nous avons un parc national qui abrite 90 % de la biodiversité du territoire, sur 40 % de la surface de l'île. Jusqu'à présent, c'est vrai, nous étions très centrés sur la terre.
Quand on regarde ces trois siècles et demi passés, on peut identifier trois caractères principaux chez les Réunionnais : l'audace, l'innovation - invention de la cristallisation du sucre, notamment -, respect du cadre national.
Cela me fait dire que nous sommes aujourd'hui dans le bon tempo pour regarder vers cet autre horizon qu'est la mer. Il s'agit désormais de regarder La Réunion avec une frontière qui partirait du sommet du Piton des neiges, jusqu'à l'extrémité de notre ZEE.
L'enjeu principal est de concilier exploitation et protection. Il s'agit d'avoir une approche environnementale, ce que nous avons toujours eu sur notre île, mais c'est aussi une question de souveraineté. Les pays de la zone - Madagascar, Maurice, Seychelles - sont des partenaires de longue date, mais nous devons aussi faire face à des concurrents, comme l'Allemagne, l'Inde ou la Corée du Sud, qui disposent de licences d'exploration dans la région délivrées par l'Autorité internationale des fonds marins (AIFM). Cependant, les deux plus gros compétiteurs auxquels nous sommes confrontés sont la Chine et la Russie. La Chine a énormément investi en Afrique en finançant des infrastructures, en contrepartie d'un accès privilégié aux ressources minières, alimentaires et forestières de ces pays. Je rappelle également que, dans le cadre de la stratégie des Nouvelles Routes de la soie, il y a aujourd'hui un port militaire chinois à Djibouti, ce qui nous aurait semblé inimaginable dans les années quatre-vingt-dix. Enfin, Madagascar, qui dispose d'importantes ressources minières, a signé en janvier un accord de coopération militaire avec la Russie. Il est vraiment fondamental de prendre en considération la protection de notre ZEE face à ces prédateurs, au besoin en renforçant les moyens militaires de surveillance.
La caractérisation des fonds marins est la question principale. C'est un peu l'inconnu. J'attire néanmoins votre attention sur la nécessité d'aborder le sujet sous l'angle tant des ressources minières ou halieutiques que des organismes vivants, qui peuvent représenter des atouts dans le domaine de la santé ou de la chimie verte. On peut imaginer que La Réunion aura un rôle à jouer à cet égard compte tenu de sa biodiversité. J'y vois de fortes potentialités de développement pour l'île. La jeunesse réunionnaise, de plus en plus qualifiée, peut trouver là des débouchés. Il faudrait donc retenir une approche régionale de nos politiques publiques. Malheureusement, notre collectivité n'a pas été associée aux discussions sur la mer dans le cadre de France 2030.
Enfin, il importe de structurer l'administration, tant déconcentrée que décentralisée, pour faire aboutir les projets sur la mer. Nous ne savons pas encore qui fait quoi dans les différents intervenants publics et il y a toujours des vides juridiques.
En conclusion, soyez assurés que le département prendra toute sa place, dans le cadre de ses compétences, pour mettre en oeuvre un écosystème dédié à cette exploitation de la mer, de sorte que nous puissions créer des activités à forte valeur ajoutée.
Mme Zaminou Ahamadi. - La France est le deuxième espace maritime mondial et Mayotte occupe à elle seule 74 000 kilomètres carrés de ZEE. Nous misons beaucoup sur la mer pour notre développement économique. De nombreuses études ont été réalisées à Mayotte sur les fonds marins, mais nous n'y sommes pas toujours associés. Pourtant, nous avons besoin d'accéder à ces données afin de pouvoir construire un avenir pour notre île et protéger notre environnement, ce qui passe par une meilleure connaissance de nos fonds marins.
Il y a de grandes campagnes de pêche, notamment au thon, dans nos eaux, mais tout se décide à Paris. Encore une fois, nous aimerions être mieux associés.
Enfin, l'apparition du volcan, voilà quelques années, a fait naître le besoin d'une meilleure information dans la population locale.
M. Thani Mohamed Soilihi. - Je vais tout à fait dans le sens de ce que vient de dire ma collègue de Mayotte. Tout à l'heure, j'ai pris la précaution de préciser que la collectivité de Mayotte englobait les compétences départementales et régionales. Nous n'avions auparavant jamais expérimenté le statut d'un département ou celui d'une région, contrairement à la Guyane. La situation est très complexe à gérer, mais il est temps que l'on fasse confiance à Mayotte. Les élus mahorais ont acquis la maturité suffisante pour que Paris cesse de prendre des décisions très importantes sans nous consulter.
Il faut certes préserver les fonds marins, mais il y a aussi la surface, le littoral et le lagon, qui est magnifique à Mayotte. C'est tout cela qu'il faut protéger.
Lorsque l'on parle de Mayotte, on ne parle que d'immigration. C'est un sujet important, mais l'environnement et la protection du littoral sont tout aussi importants. C'est une véritable course contre la montre, car nous enregistrons des montées des eaux mettant en péril des zones habitées dans certaines régions.
Je ne peux pas ne pas évoquer la « dispute » territoriale avec l'Union des Comores. Ce n'est pas vraiment sérieux, car Mayotte a acquis le statut de région ultrapériphérique, avec l'aval de tous les pays de l'UE. Lorsque l'Union des Comores émet des revendications sur Mayotte, c'est juste pour servir de variable d'ajustement dans l'ensemble de ses demandes à la France. J'en parle ici parce que La Réunion, notre voisine et cousine, a un rôle important à jouer dans ce rapport de force, notamment au sein des instances représentatives de l'océan Indien. Il ne faut pas nous laisser seuls face aux Comores. Or, tout à l'heure, à part Mme Dindar, je n'ai entendu aucun de nos interlocuteurs de La Réunion citer Mayotte. C'est un appel du coeur de ma part. Ce qui peut se passer à Mayotte a des répercussions à La Réunion. Cette solidarité française de l'océan Indien doit se faire davantage entendre.
Je ne passerai pas sous silence le volcan. C'est un événement inédit qui a beaucoup effrayé les Mahorais en 2018, lorsque des essaims de séismes se sont accumulés. Les études scientifiques ont montré qu'un volcan était né dans le fond de l'océan, à 50 kilomètres de la Petite Terre de Mayotte. Aussi, monsieur le président, monsieur le rapporteur, je vous demande de mener un complément d'information sur ce volcan, qui fascine et intéresse les scientifiques du monde entier, notamment les Américains. C'est la première fois que l'on observe et décrit ce phénomène dans l'histoire de l'Homme et on ne sait pas ce que cela peut produire à l'avenir : tsunamis, risques pour le littoral et la biodiversité. Nous avons besoin d'en savoir plus.
Je conclus en rappelant que le Mozambique n'est pas très loin. Or ce pays est en proie à des mouvements fondamentalistes qui pourraient nous menacer. C'est aussi pour cette raison que je réclame plus de protection, une protection psychologique, environnementale et militaire.
M. Michel Canévet, président. - S'agissant du volcan, pouvez-vous développer ? Quel est le sentiment des Mahorais ? Avez-vous des retours d'information suffisants ?
M. Thani Mohamed Soilihi. - Des mesures ont été prises, notamment l'installation de dispositifs d'alerte au moyen de sirènes lorsque des dangers se présenteront.
Le problème, c'est le manque d'information des Mahorais, notamment des élus de la collectivité. C'est devenu une affaire de scientifiques, qui communiquent parfois à travers les médias. S'agissant d'une telle menace, les élus devraient être plus étroitement associés.
Mme Zaminou Ahamadi. - Je partage le même sentiment. Beaucoup de chercheurs mahorais s'intéressent au sujet, mais ils ne se sentent pas associés.
M. Thani Mohamed Soilihi. - Sans vouloir alourdir les débats, je reviens sur le côté institutionnel. Jusqu'à présent, seul l'aspect départemental s'est exprimé, et non l'aspect régional. C'est l'échelon manquant. Depuis la départementalisation de 2011, les compétences régionales ont été dévolues à la collectivité au compte-gouttes. Récemment, nous avons enfin hérité d'un rectorat, d'une agence régionale de santé (ARS) et d'un Pôle emploi de plein exercice. Cependant, les compétences régionales font encore l'objet d'un accompagnement de l'État. On est dans le flou à ce sujet. Actuellement, un projet de clarification institutionnelle est dans les tuyaux. Il faut qu'il aboutisse rapidement sur un texte clair, qui prévoie également une augmentation du nombre d'élus. Songez qu'ils ne sont que 26 pour presque 400 000 habitants. C'est notoirement insuffisant pour s'occuper de toutes ces compétences. Pardon de faire cette parenthèse institutionnelle, mais il me semble qu'elle illustre bien l'insuffisance de la prise en considération de l'avis des élus locaux.
M. Teva Rohfritsch, rapporteur. - Je souhaite recentrer notre débat sur les fonds marins, même si j'ai bien compris le lien que faisait notre collègue avec un problème institutionnel.
Je veux revenir sur le rapport à la mer plus qu'aux fonds marins, puisqu'on sent bien qu'il y a un manque de connaissances. Dans chacune de vos collectivités, quelle est l'approche sur la protection de l'océan ? Y a-t-il des initiatives en faveur de la protection des ressources halieutiques ? Des plans de gestion ? Comment les populations sont-elles associées ? Est-ce que les ONG sont sensibilisées à ces questions de protection de l'océan et des grands fonds marins ? Est-ce que l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer) est bien présent sur vos territoires ? Les équipes sur places sont-elles suffisamment dotées pour bien accompagner vos collectivités ?
M. Wilfrid Bertile. - Je veux dire à M. Mohamed Soilihi que je pensais bien évidemment à Mayotte dans ma première intervention. Pour moi, les sorts de Mayotte et de La Réunion sont indissociables. On devrait d'ailleurs coopérer beaucoup plus, mais on aura l'occasion d'en reparler dans un proche avenir.
La gestion des ressources halieutiques se fait surtout au niveau régional au sens large du terme, c'est-à-dire à l'échelle du sud-ouest de l'océan Indien. Ainsi, pour ce qui concerne les pélagiques, c'est la commission des thons de l'océan Indien qui gère ces ressources. Il y a également d'autres organisations régionales de gestion de la pêche. Sur le plan franco-français, la gestion est faite dans les TAAF pour la pêche à la légine et la pêche à la langouste grâce à un système de quotas assez remarquable.
Les ONG de La Réunion sont très dynamiques en matière de biodiversité marine. L'ONG Globis, par exemple, étudie les grands cétacés. La région, pour sa part, finance un centre de recherche sur les tortues marines à Saint-Leu. Dans les années 92-93, il y a eu des recherches sur les fonds marins qui ont mis au jour la présence de nodules métalliques, mais les technologies d'alors ne permettaient pas d'aller plus loin dans l'exploitation. Maintenant que l'exploitation se rapproche, j'imagine qu'un certain nombre d'ONG vont se positionner sur le sujet.
À ma connaissance, la représentation de l'Ifremer à La Réunion ne se plaint pas de ne pas avoir suffisamment de crédits. Il faut savoir que ces organismes peuvent émarger à des budgets européens importants, notamment le Feder ou Interreg. L'Ifremer est pleinement compétent à Mayotte et à La Réunion, alors qu'il est relativement absent dans les TAAF, où c'est le Museum d'histoire naturelle de Paris qui intervient. Le débat est posé sur cette répartition des compétences.
Même si le sud-ouest de l'océan Indien est une des régions du monde où les ressources halieutiques sont les moins obérées, certaines espèces sont arrivées à un seuil critique. Il y a incontestablement un problème de ressources et de partage de celles-ci entre les populations. Il y a de plus en plus de grands navires modernes qui viennent pêcher les pélagiques, avec des méthodes extrêmement efficaces. Ces méthodes sont autorisées par l'Europe, mais interdites par la France. Ces prélèvements inconsidérés font diminuer la ressource et frappent de plein fouet des populations côtières, qui vivent de la pêche artisanale, comme aux Maldives ou en Afrique orientale. À La Réunion même, il y a une opposition entre cette pêche industrielle, qui concerne peu de gens, et une pêche traditionnelle, qui a une forte dimension sociale. Sur ce sujet, il conviendrait de mener une action au niveau européen.
M. Teva Rohfritsch, rapporteur. - Avez-vous entendu parler du projet de démonstrateur ? Le premier défi pour exploiter nos fonds marins, c'est de disposer des technologies permettant d'intervenir jusqu'à 6 000 mètres sous le niveau de la mer. Est-ce que vos collectivités sont candidates pour se positionner sur ces sujets ? Savez-vous si d'autres pays de la région ont des projets en la matière ?
M. Wilfrid Bertile. - Le grand public n'a pas connaissance de ce type de technologie expérimenté par l'Ifremer. Je pense que les collectivités locales de La Réunion sont favorables à une expérimentation pour mieux exploiter et protéger les fonds marins. C'est un passage obligé pour donner un contenu opérationnel à ces problématiques, d'autant que les campagnes de 92-93 ont montré que les fonds marins de Mayotte, de La Réunion et des TAAF étaient riches de potentialités, autour des cheminées hydrothermales notamment.
Mme Nassimah Dindar. - Pour en avoir souvent parlé avec M. Bertile, je pense pouvoir dire que c'est lui qui, le premier, a mis en évidence la cohérence entre Mayotte et La Réunion.
Le plateau continental autour de ces deux îles est très étroit, et les fonds marins sont abrupts. Cela limite les sites de mouillage, mais, en même temps, c'est un atout pour préserver les fonds marins. Il faut vraiment faire des recherches approfondies avec les nouveaux outils dont on dispose.
Je pense que le rapport devrait demander une synthèse des différents travaux menés, que ce soit par l'OFB, par les ONG, par les services de l'État, en lien avec La Réunion et Mayotte, afin d'identifier une bonne fois pour toutes le parc naturel marin, ses limites, les doubles barrières récifales, l'espace de la pêche, côtière ou grande pêche, le tout en intégrant les TAAF. Enfin, il s'agit de connaître très précisément les limites de la ZEE.
S'agissant des énergies marines, un centre de recherche existe aujourd'hui à La Réunion. Nous ne sommes pas destinataires de ses travaux, ce qui limite l'appréhension de ces problématiques pour les élus locaux. Le rapport doit aborder cette nécessaire mise en commun des différentes études et recherches existantes.
Je suggère également que le travail fait à La Réunion sur la production des micro-algues soit dupliqué à Mayotte. Il en va de même pour les recherches menées sur les oiseaux.
Bref, vous l'avez compris, il importe d'avoir un référentiel commun de l'existant pour que les élus soient en mesure de prendre de bonnes décisions. Dans le même ordre d'idée, ne serait-il pas opportun de créer une cellule Mayotte-La Réunion-TAAF au sein de l'OFB ?
M. Thani Mohamed Soilihi. - Monsieur Bertile, mon intention n'était pas de polémiquer. C'est un discours que je tiens systématiquement, parce que cette coopération est vraiment nécessaire.
Les ONG et l'Ifremer agissent, mais c'est toujours la même sensation d'absence de communication. Il y a un grand besoin de coordination et de pérennité dans les actions. Il faut enfin davantage associer les élus locaux.
Mme Zaminou Ahamadi. - Nous avons adopté des documents stratégiques pour l'économie bleue à Mayotte. Il s'agit de mettre en valeur nos ressources marines et notre lagon. Une étude de 2008 a montré que nos eaux sont propices au développement de l'aquaculture. Nous vous communiquerons le plan d'action qui a été défini par le conseil départemental.
M. Teva Rohfritsch, rapporteur. - J'insiste sur les initiatives éventuelles d'autres pays de la région. Je rappelle que des permis d'exploitation ont été délivrés par l'AIFM dans la zone.
M. Thani Mohamed Soilihi. - On peut évoquer à ce stade les discussions engagées entre le Mozambique, Mayotte et La Réunion sur l'exportation de gaz. Je cite le sujet, mais je n'en connais pas le détail.
M. Wilfrid Bertile. - Nous n'avons pas plus de précisions que M. le rapporteur. Nous savons que la Chine est très proactive dans ce domaine. La Commission de l'océan Indien est en mesure de porter des projets puisque c'est en plein dans ses prérogatives. Cela pourrait se faire avec des financements de l'Union européenne ou de la Banque mondiale. Il y a là des pistes à explorer pour associer les pays de la zone à des actions portant sur les grands fonds marins.
Mme Nassimah Dindar. - Nous pourrions devenir une base avancée de l'observation des changements climatiques, en lien avec la COI.
M. Idriss Ingar. - Je reviens rapidement sur la question de l'Ifremer, qui est centrale. C'est l'organisme qui dispose de toutes les infrastructures pour atteindre les fonds sous-marins. Pourtant, à La Réunion, il ne s'occupe que des ressources halieutiques, et l'expertise est localisée à Brest, au département ressources physiques et écosystèmes du fond de mer. C'est l'Ifremer qui est intervenu lorsqu'il a été question de l'extension du plateau continental pour La Réunion. En général, les thématiques de recherche ne sont pas définies localement, mais au niveau national, au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) ou dans les universités. Nous sommes juste un sujet d'étude. C'est regrettable. Il faut ramener le centre de décision au niveau local.
Il y a un autre acteur important, c'est le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM). La France a de grandes compétences en matière de forage en profondeur qui pourraient être mises en oeuvre pour l'exploitation des fonds marins. Sur le modèle du commissariat à l'énergie atomique pour le secteur nucléaire, il faudrait une structure dédiée au domaine de la mer.
M. Teva Rohfritsch, rapporteur. - Je voudrais revenir sur le sujet institutionnel évoqué par Thani Mohamed Soilihi. Pensez-vous qu'il faille clarifier les choses statutairement à Mayotte dans le domaine des grands fonds marins ?
M. Thani Mohamed Soilihi. - C'est le serpent qui se mord la queue. Pour l'instant, nous n'avons pas tous les outils pour penser plus grand. Nous n'avons pas assez d'élus pour s'occuper de ces sujets. Le préalable est d'augmenter le nombre d'élus. Ensuite, nous pourrons songer à prendre en charge ces compétences. Au référendum de 2009, on a demandé aux Mahorais s'ils voulaient que Mayotte devienne un département d'outre-mer exerçant les compétences dévolues aux départements et aux régions d'outre-mer, mais, sur le volet régional, tout est à clarifier.
M. Teva Rohfritsch, rapporteur. - On connaît la force du tissu industriel réunionnais. Pensez-vous disposer d'un cluster d'entreprises capable de faire le saut technologique nécessaire pour cette exploration ? On a l'impression que la question pourrait se poser assez rapidement vu l'accélération des progrès scientifiques.
M. Wilfrid Bertile. - La réponse est incluse dans votre question. Le tissu économique réunionnais est assez diversifié et performant pour s'adapter. Qui plus est, de grandes transformations sont en cours dans le grand port maritime.
Pour ce qui est de la recherche dans l'océan Indien, le Marion-Dufresne a joué un rôle pionnier dans les TAAF. Je tiens à saluer les apports de ce navire dans le domaine de l'exploration maritime.
Beaucoup de choses existent à La Réunion. Reste à les mettre en cohérence pour que le tout fasse système.
Nous apporterons des réponses beaucoup plus développées dans le questionnaire que nous vous renverrons.
Mme Nassimah Dindar. - La Réunion a vraiment un fort potentiel, que ce soit dans le privé ou dans ses institutions. Le Marion-Dufresne nous manque. Je le répète, il y a une forte demande de synthèse des travaux existants chez les élus locaux. Je milite aussi pour un renforcement du rôle de l'OFB à Mayotte et à La Réunion.
M. Jean-Michel Houllegatte. - Il y a un véritable sujet sur la relation entre les territoires littoraux ou insulaires et la ZEE. La convention de Montego Bay est très claire : elle donne des droits souverains à l'État côtier, lequel a parfois des difficultés à organiser sa relation avec les collectivités territoriales ou insulaires. C'est flagrant pour les énergies marines renouvelables en Manche. Il n'y a aucune retombée économique directe sur les territoires qui « génèrent » cette ZEE. Les retombées sont justes indirectes, avec le développement d'activités, mais il n'y a aucune redevance à attendre. Il faut revoir cela.
M. Jacques Fernique. - J'ai bien retenu les insatisfactions des élus d'outre-mer et leurs aspirations à une meilleure association à ces stratégies.
Mme Micheline Jacques. - Je tiens à remercier tous les participants de la qualité de leurs interventions. Nous avons tous les mêmes problématiques. Je rejoins Thani Mohamed Soilihi sur ses préoccupations institutionnelles. Les territoires ultramarins sont des miroirs extraordinaires de la France et il faut les mettre en valeur.
Mme Zaminou Ahamadi. - Nous allons également vous renvoyer des réponses plus étayées à votre questionnaire.
Mme Viviane Malet. - Je remercie tous les intervenants. M. Ingar a mis l'accent sur la gouvernance. Je pense aussi que c'est essentiel, de même que la coopération entre Mayotte et La Réunion.
M. Teva Rohfritsch, rapporteur. - Je remercie tous nos collègues et l'ensemble des représentants des différentes collectivités. Nous vous remercions pour les réponses écrites que vous nous transmettrez, si possible dans les deux semaines qui viennent.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 9 heures 55.