- Jeudi 28 avril 2022
- Audition de M. Julian Barbière, chef de la section de la politique marine et de la coordination régionale à la Commission océanographique intergouvernementale de l'UNESCO
- Audition de M. Damien Goetz, enseignant-chercheur au centre de géosciences de l'École des Mines de Paris, membre, en 2012, du comité de pilotage sur "Les ressources minérales profondes - Étude prospective à l'horizon 2030"
- Audition de Mme Carine Tramier, présidente du Comité d'orientation de la recherche et de l'innovation de la filière des industriels de la mer (Corimer).
- Audition de MM. Olivier Mustière, vice-président chargé de l'ingénierie sous-marine chez TechnipFMC, et Johann Rongau, ingénieur projet
Jeudi 28 avril 2022
- Présidence de M. Michel Canévet, président -
La réunion est ouverte à 9 h 30.
Audition de M. Julian Barbière, chef de la section de la politique marine et de la coordination régionale à la Commission océanographique intergouvernementale de l'UNESCO
M. Michel Canévet, président. - Nous remercions Julien Barbière, chef de la section de la politique marine et de la coordination régionale à la Commission océanographique intergouvernementale (COI) de l'Unesco, d'avoir répondu à notre invitation. Nous sommes en effet heureux de poursuivre avec lui les travaux de cette mission d'étude sur l'exploitation, la protection et l'exploration des grands fonds marins. Je remercie également le rapporteur, Teva Rohfritsch, qui a réalisé de nombreuses auditions depuis son territoire de Polynésie, d'être présent parmi nous aujourd'hui.
M. Teva Rohfritsch, rapporteur. - Je salue nos collègues qui suivent notre réunion en visioconférence. Monsieur Barbière, nous sommes heureux de pouvoir revenir avec vous sur les annonces qui ont été faites lors du One Ocean Summit et sur les conséquences qu'elles auront. Ces annonces, abondamment relayées, ont ouvert des perspectives d'espoir. Vous pourrez également nous expliquer votre point de vue sur le programme Seabed 2030.
M. Julian Barbière, chef de la section de la politique marine et de la coordination régionale à la Commission océanographique intergouvernementale de l'Unesco. - Cette année est particulièrement importante pour l'océan au niveau international, comme en témoignent le sommet de Brest que vous venez de mentionner, la conférence des Nations unies sur les océans qui se tiendra prochainement à Lisbonne et la négociation en cours sur la possibilité d'un accord légal concernant la protection de la haute mer.
Le premier axe de travail de l'Unesco concernant l'océan vise à favoriser la production de connaissances, grâce à la coopération internationale et à la coordination de grands programmes de recherche qui se focalisent sur l'observation, l'échange des données, la cartographie des océans, les systèmes d'alerte aux tsunamis ou les outils d'aide à la décision dans le cadre de la planification spatiale maritime. Ce travail est mené par la Commission océanographique intergouvernementale, organisation qui rassemble au sein de l'Unesco 150 États membres et qui traite toutes les questions relevant des sciences océaniques. Cette commission est aussi le coordinateur de la Décennie des Nations Unies sur les sciences océaniques au service du développement durable, qui a débuté l'an dernier.
Un deuxième axe porte sur les mécanismes de protection des écosystèmes marins, avec les différentes conventions et sites de l'Unesco. Nous nous appuyons sur les 47 sites marins désignés dans le cadre de la convention du patrimoine mondial, sur un réseau de 240 réserves de la biosphère côtière et insulaire et sur la convention de 2001 pour la protection du patrimoine subaquatique.
Enfin, notre troisième axe de travail vise à développer des actions dans le domaine de l'éducation en matière de développement durable, à sensibiliser le public et à favoriser la publication.
Pour ce qui est de la cartographie des grands fonds marins, vous avez mentionné l'annonce qui a été faite au sommet de Brest et il faut sans doute commencer par revenir sur les raisons qui justifient une telle entreprise. Tout d'abord, une carte des fonds marins permettrait de connaître le système océan, c'est-à-dire la forme et la profondeur des fonds marins - la bathymétrie -, qui est un élément fondamental pour comprendre les interactions entre la circulation océanique, le déplacement des masses d'eau, les courants, l'interaction avec l'atmosphère et les conséquences liées au changement climatique, les marées, l'action des vagues, le transport des sédiments, la propagation des vagues de tsunami, les risques géologiques sous-marins et la distribution de la biodiversité. La cartographie des océans a donc pour enjeux la sécurité des États ainsi qu'une gestion durable des ressources économiques. Elle permet, en effet, de connaître les ressources naturelles et les possibilités de pêche dans les zones étudiées.
Ainsi, pour définir des aires marines protégées, il est nécessaire de connaître les limites et les caractéristiques des zones de gestion. La cartographie joue donc un rôle essentiel.
La majorité des profondeurs de l'océan reste non cartographiée et non mesurée par les techniques de sonar. La bathymétrie dont nous disposons est surtout dérivée d'une observation satellitaire, donc altimétrique, qui reste relativement grossière.
Du point de vue institutionnel, la Carte générale bathymétrique des océans (Gebco) est l'un des plus vieux programmes de cartographie qui existe, puisqu'il a été créé en 1903 par le prince Albert Ier de Monaco. Ce programme international est placé sous l'égide de l'Organisation hydrographique internationale (OHI) et de la Commission océanique intergouvernementale de l'Unesco. Il a pour objectif principal de fournir un ensemble de données bathymétriques sur l'océan mondial, fiables et accessibles au public. Tel est le cadre dans lequel s'inscrit le projet Seabed 2030, mis en oeuvre depuis cinq ans, grâce à la collaboration entre la Nippon Foundation, organisme philanthropique japonais, et Gebco. L'objectif est de parvenir à cartographier 100 % des fonds marins, ce qui revient à accélérer la démarche engagée par Gebco.
Ce projet suscite désormais l'intérêt de la communauté internationale - gouvernements, industrie, universités, philanthropes et citoyens. Il constitue un programme phare de la Décennie de l'océan présentée lors du Forum de Paris sur la paix, en 2021.
Alors qu'en 2017, seulement 6 % des fonds océaniques étaient cartographiés, en 2021, la proportion s'est élevée à 20 %. Il reste néanmoins quatre cinquièmes des fonds marins à cartographier. Le projet est ambitieux mais réalisable selon les scientifiques, si l'on parvient à diviser les zones non cartographiées en zones gérables et à mobiliser la communauté internationale pour compléter cet effort de cartographie.
De nombreuses possibilités restent inexploitées pour s'aligner et coopérer avec d'autres programmes de sciences océaniques, avec des missions d'exploration philanthropiques et avec certaines industries qui pourraient recueillir des données bathymétriques en parallèle de leur activité en mer. On peut aussi envisager d'encourager la science citoyenne et mobiliser les navires de pêche, de tourisme ou de croisière en les dotant d'un équipement grâce auquel ils pourront collecter des données bathymétriques tout en vaquant à leurs activités.
Pour les frontières océaniques éloignées, ces parties de l'océan où très peu de navires sont présents, il faudra monter des missions cartographiques spécifiques. Nous avons besoin que la communauté internationale, au sens large, prenne des mesures concrètes pour financer et entreprendre ces missions de cartographie des océans, si nous voulons atteindre notre objectif.
Hormis le financement, d'autres difficultés existent. Les institutions gouvernementales et l'industrie disposent déjà de nombreuses données, mais celles-ci ne sont pas dans le domaine public. Sans aller jusqu'aux très hautes résolutions, certaines de ces données maillées à des résolutions convenables pourraient, si nous en disposions, nous aider à réaliser la mission de Seabed 2030. Nous estimons que de telles contributions nous permettraient d'atteindre l'objectif fixé dans une proportion de 20 % à 25 %. La communauté internationale doit donc ouvrir l'accès à ces données existantes.
Quant au coût financier du projet, depuis 2017, il a été assuré par la Nippon Foundation qui a contribué à hauteur de 11 millions de dollars pour l'administration, l'infrastructure et l'assimilation des données. Certains pays offrent des contributions en nature, par exemple en subventionnant des infrastructures techniques et organisationnelles. Ainsi, le Centre des données de l'OHI pour la bathymétrie numérique est hébergé et financé par les États-Unis.
Plus nous aurons accès aux données existantes, moins le coût engendré par l'organisation de nouvelles missions de cartographie sera élevé. La collecte des données n'est pas prise en compte dans le financement de la Nippon Foundation.
La plupart des États qui disposent d'une flotte hydrographique contribuent au projet Seabed 2030, par le biais du programme Gebco. Toute contribution en matière de données bathymétriques est d'une importance vitale pour atteindre notre objectif.
Les consortiums internationaux de l'industrie et les États membres participent aussi au projet. En Europe, le réseau européen d'observation et de données marines (EMODNet) nous fournit des contributions. La France agit grâce au Service hydrographique et océanographique de la Marine (SHOM) et à l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer).
Les zones ciblées prioritairement recouvrent principalement le Pacifique sud, l'océan austral, l'Arctique et l'Océan indien, dans sa partie australe - la disparition du vol de la Malaysian Airlines, il y a quelques années, a montré combien nous manquions de données concernant cette dernière zone. Nous disposons de données dans les zones côtières ou sur les plateaux continentaux, mais beaucoup moins dans les zones internationales et dans les eaux profondes.
Le soutien de l'Unesco se matérialise dans l'engagement des États membres de la COI, qui ont validé les objectifs de Seabed 2030 et qui contribuent à travers des programmes de recherche à alimenter le stock de données. L'OHI et la COI conduisent le programme Gebco et lui fournissent un soutien financier. Nous cherchons à développer la mobilisation des États, de l'industrie, du monde universitaire et des citoyens.
Au sommet de Brest, la directrice générale de l'Unesco s'est employée à porter au plus haut niveau politique nos ambitions en matière de cartographie. D'où son annonce qui avait pour but d'encourager les États et l'industrie à s'impliquer davantage. Des dons généreux de données nous ont permis d'atteindre un objectif de 20 % des fonds marins cartographiés. Nous ne pourrons réussir à couvrir les 80 % restants sans une mobilisation internationale à tous les niveaux.
Il nous reste l'équivalent de 200 années de données cartographiques à recueillir si nous nous en tenons au rythme actuel. D'où la nécessité d'accélérer.
La mobilisation de cinquante navires mis à disposition par les États, l'industrie et les organisations philanthropiques a été annoncée. C'est une manière de quantifier l'effort nécessaire à fournir d'ici à la fin de la décennie.
Sur la base des technologies actuelles, le coût probable pour atteindre l'objectif d'une cartographie complète atteindrait un montant de 5 milliards de dollars, ce qui représente un peu moins de deux missions vers la planète Mars ou la production de douze films hollywoodiens à gros budget. La communauté internationale doit donc prendre des mesures concrètes tant en matière de financement que de contribution aux missions de cartographie. L'annonce faite par l'Unesco s'inscrit dans la lignée de l'objectif du programme Seabed 2030 d'une cartographie complète des fonds marins.
Les données bathymétriques jouent un rôle essentiel dans la construction du jumeau numérique, concept développé lors du sommet de Brest, qui fonctionne comme un mécanisme d'intégration de différents types de données, grâce auquel on pourra accéder en temps réel à la visualisation des processus océanographiques, dans leur dimension écologique ainsi que du point de vue des activités anthropiques menées dans l'océan. Sans définition spatiale et détaillée de la morphologie des fonds marins, on ne pourra pas produire ce jumeau numérique.
Le projet Seabed 2030 définit des résolutions spatialement variables pour la cartographie mondiale, en fonction de la profondeur de l'océan. Pour les zones peu profondes, jusqu'à 1 500 mètres, nous visons des données d'une résolution de 100 mètres ; pour les profondeurs intermédiaires, de 1 500 mètres à 3 000 mètres, la résolution sera de 200 mètres ; enfin, au-delà de 3 000 mètres de profondeur, la résolution sera de 400 mètres à 800 mètres.
Le projet a pour tâche principale de produire une synthèse des données recueillies pour construire une carte mondiale cohérente, téléchargeable et accessible à tous gratuitement, de sorte qu'elle pourra être utilisée pour la science, la gestion et la préservation de la biodiversité.
En matière de transparence, les données synthétisées dans la carte Gebco sont entièrement accessibles et gratuites, de même que les données sous-jacentes, dans la mesure du possible.
Une quantité importante de données bathymétriques est déjà disponible dans le domaine privé. L'Unesco s'est rapprochée, dans le cadre de l'OHI et du projet Seabed 2030, d'un certain nombre d'opérateurs industriels détenteurs de ces données, comme les grandes sociétés pétrolières et gazières, les fournisseurs de câbles maritimes et de pipelines, les sociétés d'énergies renouvelables et d'exploitation, ainsi que les sociétés et bureaux d'études qui produisent des services auprès de ces acteurs.
Bien souvent, ces acteurs économiques entreprennent des explorations au sein de zones exclusives économiques (ZEE), qui sont généralement soumises à une licence gouvernementale excluant le partage des données. Il faut donc convaincre les gouvernements et les institutions nationales de faciliter la libération de ces données pour les mettre à la disposition de tous. Un groupe de travail incluant des représentants de l'industrie travaillera à encourager ce type de contribution dans le cadre de la Décennie de l'océan.
L'objectif de cartographie fixé par le Seabed 2030 n'a rien de nouveau. Il a été lancé en 2017 et a été validé par les États membres de la COI et de l'OHI. Il reste à résoudre la question de l'accès aux données et à encourager l'ensemble de la communauté internationale pour qu'elle contribue au recueil des données bathymétriques.
J'en viens à présent aux actions que mène l'Unesco en faveur de la protection des grands fonds marins.
Dans le cadre de la Commission océanographique internationale, nous développons depuis plus d'une dizaine d'années un inventaire de la biodiversité marine - le Système d'information sur la biodiversité des océans (OBIS). Il s'agit d'une base de données mondiale qui répertorie toutes les espèces marines connues à ce jour. Elle contient désormais 100 millions d'observations d'espèces marines et 180 millions de mesures. On compte environ 8,6 millions d'observations effectuées dans les zones situées au-delà de la juridiction nationale, qui représentent 27 000 espèces marines. La France contribue de manière importante à cette base de données, puisque trente institutions françaises y publient des données sur la biodiversité, alimentant ainsi 10 % de la base.
Cet inventaire devrait grandir, puisque l'on estime que 700 000 à 1 million d'espèces marines n'ont pas encore été découvertes.
La COI coordonne également le programme mondial d'observation des océans, en collaboration avec l'Organisation météorologique mondiale. Cette plateforme internationale dirige et soutient une communauté de programmes internationaux, nationaux et régionaux d'observation des océans. Elle se concentre principalement sur l'interaction entre l'océan et le climat, sur la santé des océans ainsi que sur le développement de la prévision et des services d'information.
Quant à la collaboration de la COI avec l'Autorité internationale des fonds marins, elle existe depuis plus de deux décennies. Cette autorité contribue activement au programme OBIS qu'elle a rejoint l'an dernier. Elle gère les données recueillies par les contractants miniers qui font de l'exploration en eaux profondes et les fournit à la base OBIS : depuis un an, 88 jeux de données ont ainsi été fournis, qui proviennent de treize entrepreneurs opérant à des profondeurs allant de 3 000 mètres jusqu'à 6 000 mètres, soit 10 % des données de la base concernant cette zone.
L'autorité a aussi mis en place un plan de recherche dans le cadre de la Décennie de l'océan, dont nous soutenons la mise en oeuvre.
Enfin, je souhaiterais éclairer d'un point de vue extérieur la stratégie française d'exploration des fonds marins. Le mandat de l'Unesco consiste à promouvoir une utilisation durable de l'océan et la protection des écosystèmes marins sur la base de la science.
L'une des priorités du plan français porte sur l'acquisition de connaissances sur les écosystèmes, ce qui implique notamment une amplification des travaux d'exploration en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie, ainsi que dans des zones internationales.
Nous invitons la France à travailler en collaboration avec la communauté scientifique internationale pour renforcer les connaissances communes en contribuant aux grands programmes internationaux et pour consolider l'infrastructure de recherche et d'observation sur les grands fonds, qui reste lacunaire. En effet, le seul programme global d'observation de l'océan en zone profonde - le programme Argo - fonctionne grâce à plus de 5 000 bouées qui dérivent dans les océans pour collecter des données sur les paramètres physiques et chimiques, en descendant jusqu'à 2 000 mètres de profondeur, mais pas au-delà. Nous n'avons donc que peu d'information sur l'impact du changement climatique ou des activités humaines sur les écosystèmes en eaux profondes.
S'il fallait développer un cadre d'exploitation des ressources des grands fonds, il serait nécessaire de disposer d'une caractérisation détaillée de la physique, de la biochimie et de la biologie de ces zones, qui fournirait une ligne de base pour comprendre les changements liés à des processus globaux ou à des pressions anthropiques. Il faudrait également mettre en place un système rigoureux d'évaluation des impacts, avec un suivi et la mise en oeuvre du principe de précaution et de processus participatifs.
M. Michel Canévet, président. - Vous affichez des objectifs très ambitieux. Que fait l'Unesco pour diffuser ces ambitions et mobiliser la communauté scientifique autour de leur réalisation ? Envisagez-vous des formes d'action particulières ?
M. Julian Barbière. - La Décennie des Nations Unies pour les sciences océaniques au service du développement durable vise à produire un cadre d'investissement scientifique élevé pour combler les lacunes que nous avons sur un certain nombre de processus océaniques, notamment dans les grands fonds. Il s'agit aussi de fournir des solutions scientifiques aux États pour combattre les problèmes de pollution, pour protéger les écosystèmes, pour développer une économie bleue durable et pour renforcer les infrastructures de recherche. Le rapport mondial sur les sciences océaniques que nous avons publié en 2020 montre un sous-investissement des États dans les sciences océaniques. En moyenne, 2 % de la recherche nationale est investie dans ce champ, ce qui reste insuffisant.
À travers des appels à l'action, lancés deux fois par an, nous identifions les processus régionaux sur lesquels nous avons besoin de connaissances scientifiques, qu'il s'agisse de données ou d'observations pour développer par exemple des systèmes d'alerte.
Le cadre offert par la Décennie de l'océan est également un outil de sensibilisation important, car l'enjeu est d'impliquer les décideurs, de travailler avec l'industrie et développer des partenariats nouveaux avec l'industrie et les sociétés philanthropiques.
Certains de nos programmes visent spécifiquement les systèmes éducatifs des États - ce que recouvre le concept d'ocean literacy, sans équivalent en français. Tous les acteurs de la société doivent comprendre l'importance de l'océan pour que nous puissions avancer sur une voie plus durable.
L'Unesco travaille, grâce à ses groupes d'experts, sur différents thèmes comme la désoxygénation de l'océan sous l'effet de la pollution et du réchauffement climatique, qui entraîne des conséquences sur la faune. Nous fournissons une synthèse de la connaissance sur ce sujet, afin de développer des actions scientifiques et d'influencer les processus de gestion, tels que les aires marines protégées ou un programme national d'aménagement spécial maritime.
Nous gérons un programme mondial d'observation sur l'acidification des océans. Nous travaillons aussi sur la mise en place de systèmes d'alerte pour prévenir les tsunamis, dans le cadre d'une plateforme intergouvernementale.
M. Jean-Michel Houllegatte. - Cet éclairage sur la Décennie des Nations unies des sciences océaniques nous fait prendre conscience du rôle très complexe des océans, qui suppose de mettre en place toute une chaîne de mesures et d'instrumentations pour acquérir des données. On dit souvent que les prévisions météorologiques sont liées à la loi de Moore et à la puissance de calcul. Disposons-nous d'un système de calcul pour les données bathymétriques ?
De quelle manière le Système mondial d'observation des océans (GOOS) est-il alimenté ? Est-il en libre accès ? Les données qui y figurent ne risquent-elles pas d'être détournées au profit de certains intérêts privés ? En effet, les données sont désormais au coeur du système économique. Comment sont gérées celles qui sont agrégées dans le cadre des programmes scientifiques que vous avez évoqués ?
M. Julian Barbière. - La météorologie a sans doute cent ans d'avance sur l'océanographie opérationnelle, puisque le programme mondial d'observation des océans n'a commencé que dans les années 1990. En matière d'intégration des données, nous ne sommes effectivement pas du tout au même niveau que la météorologie.
Nous nous efforçons de développer le type de variables et de paramètres qui sont collectés. Il nous faut aussi recourir aux outils de la modélisation, lorsque les données manquent, pour disposer d'un service apte à fournir en temps réel des informations sur l'état des océans et une prévisibilité sur plusieurs jours. Dans ce domaine, nous travaillons en lien avec l'Organisation mondiale de météorologie.
Il est également nécessaire de développer des outils technologiques, ce que nous faisons à travers le jumeau digital, sous l'impulsion de Mercator Ocean International.
Les programmes sont alimentés principalement par les systèmes d'observations nationaux dont les données sont mises à disposition sur la plateforme internationale du GOOS. Des États membres peuvent également ouvrir gratuitement l'accès de certaines de leurs données à tous. Elles peuvent alors servir à tout type d'utilisation, scientifique, décisionnelle ou bien pour une exploitation dans le secteur privé, ce qui n'est pas forcément un mal. L'essentiel reste de veiller à bien comprendre d'où viennent les données et comment elles peuvent être utilisées. Dans le cadre de la Décennie de l'océan, nous cherchons à mettre en place un modèle plus harmonieux en collaboration avec le secteur privé qui pourrait contribuer à rémunérer les centres de données.
M. Jacques Fernique. - Quel est le pilotage du système des bouées Argo, depuis quand fonctionne-t-il, quels sont ses objectifs et ses perspectives d'évolution ?
M. Julian Barbière. - Le programme Argo, qui dépend du GOOS, existe depuis une vingtaine d'années. La gouvernance est internationale. Trente pays y participent. Les bouées sont dérivantes, donc complètement autonomes, laissées au gré des courants. Lorsqu'elles entrent dans une ZEE, un programme de notification se déclenche, via le centre international OceanOPS, basé à Brest. Les États peuvent alors refuser de partager les données collectées dans leur ZEE, ce qui reste en réalité très rare.
Ces bouées ont pour rôle de recueillir des paramètres physiques pour mesurer notamment la température ou la salinité des eaux. Entre 3 000 et 5 000 d'entre elles dérivent dans les océans. Les informations qu'elles fournissent servent de base à toute la modélisation océanique et climatique. À l'avenir, nous souhaitons développer des variables, de manière à pouvoir utiliser ces bouées pour la collecte de données bathymétriques et pour mieux connaître les problèmes de pollution en les faisant descendre à des niveaux plus profonds.
M. Teva Rohfritsch, rapporteur. - Vous n'avez pas mentionné les câbliers sous-marins qui sont sans doute une source de cartographie très riche et précise, dans la mesure où ils doivent apprécier le chemin le plus direct et le moins périlleux pour faire passer les câbles. Existe-t-il une banque de données spécifique à ce champ d'activité ?
Face aux 200 années de cartographie qu'il nous faudrait pour couvrir la totalité des fonds marins, la flotte de cinquante navires, aussi importante soit-elle, paraît bien faible. L'Unesco semble vouloir mutualiser le plus possible les possibilités de travailler, en mobilisant tous les navires, qu'il s'agisse de la flotte marchande, des bateaux de pêche ou autre. Avez-vous mis en place une action proactive en ce sens ? Un calendrier a-t-il été fixé ? Un kit technique existe-t-il pour embarquer un système de sonde sur ces bateaux ?
L'Unesco a-t-elle un partenariat avec le Forum des îles du Pacifique qui permettrait d'associer les États océaniens à la collecte des données bathymétriques ?
Ces États contestent le système des dispositifs de concentration de poissons (DCP) dérivants auxquels ont recours les flottes de senneurs américaines ou asiatiques. De nombreux pays, dont la France, affirment leur volonté de mieux maîtriser cette technique, à défaut de l'interdire. Ne faudrait-il pas mutualiser les données sur cette pratique de pêche pour pouvoir la faire évoluer ?
Dans l'objectif de cartographie complète fixé par l'Unesco, est-il prévu de mutualiser les moyens sur la colonne d'eau ?
La question militaire se pose aussi. Le conflit actuel a sans route réveillé l'enjeu stratégique que représente la maîtrise des grands fonds marins, par exemple pour dissimuler des armes. Ne craignez-vous pas dans ce contexte une réticence des États à développer de grands programmes, tels que ceux qui ont été mentionnés au sommet de Brest ?
Enfin, vous n'avez pas mentionné les risques liés aux volcans, notamment celui qui est au large de Mayotte ou bien celui des îles Tonga dans le Pacifique. Suivez-vous cela ?
M. Julian Barbière. - L'engagement des entreprises qui oeuvrent dans le câblage sous-marin est essentiel. Elles collectent effectivement des données bathymétriques pour savoir où faire passer leurs câbles. En France, le groupe Alcatel est très actif dans ce domaine. Il est également possible d'utiliser ces câbles sous-marins pour l'observation des océans, en les dotant de capteurs capables de détecter des secousses sismiques, par exemple.
Sur la mutualisation des moyens pour la cartographie, nous travaillons secteur par secteur, en développant des partenariats entre les institutions, les conglomérats et les chambres de commerce. Nous cherchons à mobiliser aussi les industries qui travaillent dans l'exploitation du pétrole offshore ou bien des éoliennes offshore.
Des avancées existent aussi en matière technologique sur la robotisation de la collecte des données, qui permettrait d'en réduire le coût opérationnel. Dans le cadre du programme Gebco, nous avons remporté, il y a quelques années, le concours XPRIZE, compétition internationale sur l'innovation dans le domaine de l'océan, grâce au robot que nous avions développé en collaboration avec la Nippon Foundation.
M. Teva Rohfritsch, rapporteur. - Si le champion français CMA-CGM souhaitait être partenaire de votre programme, aurait-il un outil pour réaliser sur ses routes la collecte des données nécessaires à la cartographie ?
M. Julian Barbière. - Des outils sont effectivement disponibles, que l'on peut embarquer sur les navires.
Dans le Pacifique, nous travaillons principalement avec la Communauté du Pacifique (CPS). Un nouvel accord de partenariat devait être signé lors de la Conférence de Palau, il y a quelques semaines, dans le cadre de la Décennie de l'océan, afin de développer le maillage scientifique. Les besoins sont spécifiques, car les capacités en matière d'infrastructure de recherche sont limitées. Il faut donc favoriser une mutualisation régionale des moyens.
Je ne suis pas familier de la question des DCP et je ne pourrai donc pas vous répondre précisément.
En ce qui concerne la cartographie de la colonne d'eau, nous tendons en effet à développer des plateformes d'information permettant d'observer plusieurs types de variables, que ce soit le fond, la colonne d'eau ou la surface. Le programme Argo en est un exemple. Il existe également un programme de recherche sur la zone mésopélagique qui s'étend de 200 à 2 000 mètres de profondeur. Nous avons très peu de données biologiques sur cette zone de la pénombre, pourtant importante pour l'assimilation du carbone, pour le plancton et pour le développement de nombreuses espèces. Nous souhaitons utiliser des plateformes communes pour mieux la connaître.
Les enjeux militaires peuvent effectivement être un frein dans l'échange des données, notamment pour celles qui concernent les zones exclusives nationales. Un certain nombre de pays, notamment ceux d'Amérique latine, sont représentés dans nos instances par les services qui opèrent de la recherche océanographique dans ces zones. La mobilisation existe donc, même si elle ne se traduit pas toujours par un échange de données au niveau national. Il y a toujours plus de bénéfices à partager les données qu'à les garder pour soi. La modélisation des tsunamis est un exemple qui le montre : sans une cartographie côtière reposant sur une bathymétrie détaillée, il n'aurait pas été possible de produire de modèles d'inondation précis.
Enfin, les tsunamis sont souvent provoqués par des secousses sismiques au niveau des failles dans des zones profondes. L'éruption du volcan des îles Tonga est un phénomène assez rare qui a montré la nécessité de développer une meilleure connaissance des zones où un risque d'affaissement est possible, afin de prévoir des systèmes d'alerte performants. Un groupe de travail se penche sur la question.
M. Michel Canévet, président. - Nous vous remercions pour cet échange particulièrement intéressant et nous souhaitons bon vent au programme de l'Unesco.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition de M. Damien Goetz, enseignant-chercheur au centre de géosciences de l'École des Mines de Paris, membre, en 2012, du comité de pilotage sur "Les ressources minérales profondes - Étude prospective à l'horizon 2030"
M. Michel Canévet, président. - Nous avons le plaisir de recevoir M. Damien Goetz, enseignant-chercheur au centre de géosciences de l'École des Mines de Paris, et membre, en 2012, du comité de pilotage sur « Les ressources minérales profondes - Étude prospective à l'horizon 2030 ». C'est un sujet qui est au coeur de notre mission d'information. Votre travail sur les ressources minérales nous sera précieux.
M. Teva Rohfritsch, rapporteur. - Vous avez reçu notre questionnaire qui énumère les différents thèmes que nous souhaiterions vous voir traiter. Nous aimerions avoir votre éclairage scientifique sur la dualité entre les ressources minérales terrestres et sous-marines et les possibilités réelles qu'elles peuvent offrir.
M. Damien Goetz, enseignant-chercheur au centre de géosciences de l'École des Mines de Paris, et membre, en 2012, du comité de pilotage sur « Les ressources minérales profondes - Étude prospective à l'horizon 2030 ». - Combien avons-nous encore de ressources ? Combien d'années pourrons-nous encore vivre en exploitant les ressources terrestres ? La question est délicate. Dans l'industrie minière, on distingue en effet les ressources et les réserves, ce qui n'est pas le cas dans le langage courant. On ne classe dans les réserves que ce qui est techniquement et économiquement exploitable. Les ressources sont classées en différentes catégories selon le niveau de connaissances et la densité d'information dont on dispose. Une fois les ressources indiquées ou mesurées, si une étude technique et économique a montré qu'elles étaient exploitables, on peut alors parler de réserves probables ou prouvées.
Très souvent, les gens se contentent de diviser le niveau minimum des réserves par la production annuelle de la substance pour fixer l'échéance de son épuisement. Par exemple, pour le cuivre, on compte 880 millions de tonnes de réserves connues, et 20 millions de tonnes de production annuelle, de sorte que l'échéance d'épuisement du cuivre est estimée à quarante-quatre ans. Les chiffres sont à peu près les mêmes pour le cobalt. Pour le nickel on est autour de quarante ans. Pour le manganèse, on est au-delà des quatre-vingts ans.
Or ce type de calcul n'a pas de sens, dans la mesure où il faut aussi prendre en compte l'évolution de la production mondiale et celle des réserves connues. Pour le cuivre, ces réserves ne cessent d'augmenter. Par conséquent, la durée de vie statique de quarante-quatre ans est restée la même depuis 1950 jusqu'à aujourd'hui. Les réserves ne sont donc pas un indicateur d'épuisement des substances, car elles sont un élément dynamique qui se réalimente au fur et à mesure.
Quant aux ressources, elles peuvent servir de base pour le calcul des réserves - ce sont les ressources économiques -, ou bien être non économiques, même si elles peuvent le devenir, être inférées ou encore non découvertes.
Les ressources peuvent-elles servir à évaluer un horizon d'épuisement ? Cela vaut sans doute pour certaines substances, mais pas pour d'autres. Par exemple, au milieu des années 2000, alors qu'on développe les véhicules électriques, il apparaît que pour équiper 1 milliard de voitures hybrides, il faudrait 3 millions de tonnes de lithium, les réserves n'atteignant que 4 millions de tonnes. Dès lors que l'industrie constate ce besoin en lithium, les études économiques qui permettent de reclasser les ressources en réserves sont réalisées rapidement, de sorte que les réserves de lithium sont portées à 13 millions de tonnes. En outre, depuis 2008, les ressources de lithium n'ont cessé de croître, sous l'effet des efforts de l'industrie minière. Par conséquent, les ressources identifiées sont elles aussi sujettes à évolution, en fonction de la maturité du métal.
Si donc, l'on sait que certaines ressources manqueront à terme, on se heurte toujours à l'impossibilité de prévoir l'échéance de cet épuisement, car personne ne peut déterminer la quantité de ressources qui n'a pas encore été identifiée. On estime toutefois que cette quantité équivaudrait à trois fois plus que les réserves. Ainsi, selon l'Institut d'études géologiques des États-Unis (USGS), le potentiel de cuivre non identifié à ce jour est de 3 500 millions de tonnes qui s'ajoutent aux 2 100 millions de tonnes de ressources identifiées. L'horizon d'épuisement oscille entre cinquante et trois cents ou quatre cents ans selon les substances.
Des modèles plus sophistiqués de prévision ont été développés récemment, notamment par Olivier Vidal au sein de l'Institut des sciences de la terre (ISTerre) de Grenoble, ou bien au sein de l'Institut français du pétrole-Énergies nouvelles (IFPEN), qui consistent à empiler, d'un côté, un scénario d'évolution économique, un scénario d'évolution des usages et un scénario de mix énergétique et, de l'autre, un modèle de renouvellement des gisements. Grâce à ces modélisations complexes, on obtient un ordre de grandeur des échéances d'épuisement de certaines substances. Il n'est toutefois pas très différent de celui que j'ai précédemment cité, la difficulté étant qu'en superposant tous ces modèles, on multiplie les facteurs d'incertitude.
On sait donc que l'épuisement interviendra à long terme. À plus court terme, dans cinquante, cent ou deux cents ans, il est délicat d'envisager précisément l'échéance du manque de telle ou telle substance.
La question du recyclage se pose nécessairement en ce qui concerne les matières qu'on ne consomme pas, par exemple le cuivre que l'on ne brûle pas à la différence du pétrole.
Le taux de recyclage en fin de vie intervient dès lors que l'on a des pertes liées à un usage dispersif, par exemple celui du sulfate de cuivre pour traiter les vignes ou bien encore celui du nano-fil de cuivre utilisé comme bactéricide dans les chaussettes. Le taux de cuivre que l'on ne récupérera pas reste très faible, à 4 %.
En revanche, les défauts de collecte sont extrêmement forts pour le cuivre, puisque l'on perd 58 % de la substance à cette étape. Par exemple, lorsqu'une maison est démolie, les tuyauteries d'eau et les câbles électriques partent à la décharge à gravats et le cuivre est alors définitivement perdu.
Aujourd'hui, il ne reste que 38 % du cuivre après les usages dispersifs et les pertes en collecte. Seulement 28 % reviendront dans les procédés de fabrication, car la métallurgie secondaire n'est pas forcément simple, de sorte que l'on perd encore de la substance au cours du processus.
Autre élément à prendre en compte, le cuivre a une durée de vie dans le système. En trente ans, la consommation de cuivre a doublé. Si, dans le même temps, on ne récupère que 28 % du cuivre initialement utilisé, cette part ne représente plus que 14 % de cuivre secondaire dans la consommation de cuivre. En l'occurrence, ce chiffre est de 17 % selon les études menées par la Commission européenne.
S'il est indéniable que le potentiel de recyclage est important, il reste à réaliser d'importants progrès. Pour les terres rares, le taux de recyclage est minime, de l'ordre de quelques unités de pourcentage.
Le poids du recyclage reste donc faible. Tant que l'on sera dans un monde en croissance, il faudra toujours injecter des ressources nouvelles, de sorte que la question de l'échéance de leur épuisement continuera de se poser. On peut repousser l'échéance, mais pas la faire disparaître.
Quelles sont les substances où les tensions sont les plus fortes ? La question est là aussi délicate, car la situation change très vite. Les produits sont cotés sur des bourses internationales et les prix sont instables. Le prix du cuivre est passé en vingt ans de 2 000 à 10 000 dollars la tonne, selon une courbe très irrégulière. Celui du cobalt a oscillé entre 20 000 et 80 000 dollars la tonne. Celui du lithium a récemment explosé, multiplié par cinq en l'espace d'un an. Les prix des terres rares ont subi les conséquences des taxes puis des quotas à l'exportation imposés par la Chine.
Aujourd'hui, le marché en tension est celui du lithium ; demain, celui du cobalt le sera peut-être davantage. Les marchés sont très différents, d'abord par leurs tailles : 100 000 tonnes par an pour le lithium ou le cobalt, mais 20 millions de tonnes pour le cuivre. Plus de 50 % de la consommation de lithium-cobalt est liée à des technologies de transition, tandis que celles-ci sont minoritaires pour le cuivre. Enfin, la consommation de gallium-indium, par exemple, est inférieure à 1 000 tonnes par an, mais il se pourrait fort bien que l'apparition d'une nouvelle technologie ait pour conséquence un accroissement de la demande, laquelle serait alors supérieure à la production.
Autre élément : le produit est-il exploité pour lui-même ou est-il exploité en sous-produit ? C'est important pour ce qui concerne les ressources minérales marines. Ainsi, les tensions sur le marché du cobalt sont liées à la production de batteries lithium-ion, le cobalt étant un des éléments constitutifs de la cathode. Or le cobalt est un sous-produit du cuivre ou du nickel ; une seule mine au monde l'exploite pour ce qu'il est. Aussi, même si son prix augmente, la production minière n'augmentera pas pour autant, les mines vivant essentiellement du nickel. Seules les mines de cuivre avec le cobalt comme sous-produit, essentiellement situées en République démocratique du Congo, sont sensibles au prix du cobalt et peuvent donc orienter leur production à la hausse. Il peut donc y avoir de fortes tensions sur les métaux qui sont des sous-produits.
Les réserves de cobalt sont faibles. Ses ressources connues sont de 25 millions de tonnes en milieu terrestre, ce qui est également faible, et c'est un sous-produit. Les conditions sont donc réunies pour qu'il y ait, à un moment ou à un autre, des difficultés avec le cobalt. Or celui-ci fait partie des métaux fortement présents dans les ressources minérales marines. On estime à 120 millions de tonnes les ressources de cobalt en milieu marin. Les ressources marines de cobalt représentent donc un vrai enjeu.
La seule évaluation des ressources ultimes en milieu marin, issue de l'USGS, porte sur le cobalt. Pour les autres substances, si l'on considère les teneurs que l'on trouve classiquement dans les ressources minérales marines, et compte tenu de ce que l'on sait du cobalt, on peut en déduire qu'il y aurait des ressources marines significatives pour le nickel - deux fois les ressources terrestres soit 600 millions de tonnes. Les ressources seraient en revanche loin d'être significatives pour le cuivre, avec 600 millions de tonnes, en s'appuyant uniquement sur les nodules.
Pire que les sous-produits : les sous-produits à l'état de traces, utilisables pour certaines technologies. Un exemple : celui du gallium, sous-produit de la bauxite, dont le marché mondial représente environ 400 tonnes, ce qui nécessite d'exploiter 400 millions de tonnes de bauxite. L'une de vos questions porte sur la transition énergétique, qui nécessite de développer, en particulier, le photovoltaïque, avec deux solutions : solution silicium-argent ou solution dite des « couches minces » - cuivre, indium, gallium, sélénium. Or, avec une substance telle que le gallium, on ne peut envisager que des marchés de niche.
Je reviens sur la question des marchés en tension. Les lignes sont mouvantes, pour des raisons géopolitiques, mais aussi en raison de l'évolution des technologies. Par exemple, on trouve dès à présent des batteries lithium-ion dont les cathodes sont exemptes de cobalt. Il faudrait dans l'absolu 24 millions de tonnes de cobalt pour pouvoir équiper toutes les voitures en circulation de batteries employant une technologie lithium-cobalt, ce qui correspond aux ressources terrestres actuellement connues. Des technologies se développent pour réduire la part du cobalt. La technologie qui a le vent en poupe en Europe, c'est celle dite « NMC », pour nickel-manganèse-cobalt, qui nécessite dix fois moins de cobalt.
Une autre technologie est disponible, celle du lithium-fer-phosphate, qui ne nécessite pas de cobalt. Par conséquent, la tension sur le cobalt va-t-elle perdurer ? La différence majeure entre ces technologies, c'est la quantité d'énergie qu'il est possible de stocker dans la batterie. Pour un court trajet, une batterie lithium-fer-phosphate fait l'affaire, mais pour un plus long trajet, il faut une batterie NMC, à moins de faire le trajet en plusieurs étapes. Les questions technologiques s'accompagnent donc de questions d'usage.
En un mot, il est difficile de caractériser une situation de tension à court terme sur un marché, car tout évolue très vite.
Si l'on considère les ressources présentes en milieu marin, c'est le cuivre qui pose problème à un horizon proche, d'autant que ce produit est indispensable à la transition vers l'électrique. Le seul conducteur dont nous disposons pour fabriquer les voitures électriques, les éoliennes, les câbles électriques décentralisés... est le cuivre. Le marché du cuivre va donc se développer, les ressources terrestres étant à ce jour encore assez confortables.
Le marché du nickel représente 7 millions de tonnes par an. Mais le nickel qui entre dans la composition des batteries est du nickel de qualité chimique, alors que l'essentiel du nickel produit aujourd'hui l'est sous forme de ferronickel pour faire de l'acier inox. Se pose donc plus, potentiellement, un problème de transformation.
Les ressources terrestres en manganèse sont significatives et, même s'il est utilisé pour la fabrication des batteries, on ne perçoit aucune problématique d'approvisionnement.
Quid des questions géopolitiques ? Des questions géopolitiques peuvent se poser du fait de la géologie, lorsque les réserves sont très concentrées : les réserves mondiales de phosphates sont de 67 milliards de tonnes, dont 50 au Maroc ; 90 % des réserves mondiales de platinoïdes sont en Afrique du Sud (2008) ; la RDC détient quant à elle la moitié des réserves mondiales de cobalt.
La géopolitique peut également se manifester à travers les choix d'exploitation. Ainsi, la RDC représente 72 % de l'exploitation primaire du cobalt, ce qui est supérieur à sa part dans les réserves mondiales (50 %).
S'agissant des terres rares - on parle de terres rares, car elles sont faiblement concentrées -, la Chine domine la production, même si des pays comme le Vietnam ou l'Australie occupent une place croissante, étant entendu que ce sont des entreprises essentiellement chinoises qui contrôlent la production du premier.
En revanche, les réserves mondiales de terres rares ne sont pas concentrées géographiquement. Aux États-Unis, le gisement de Mountain Pass peut être à tout moment remis en exploitation. La Finlande, le Groenland, l'Afrique, le Canada possèdent des terres rares.
Ce qui est concentré en Chine, c'est simplement la production. C'est un choix industriel. Ce n'est qu'en 2011, quand ce pays a commencé à fermer le robinet, que les pays occidentaux se sont mis à prospecter. Ces gisements, très nombreux, ne sont pas exploités à ce jour, la Chine ayant entre-temps mis fin à sa politique de quotas.
Dernier point : l'effet de la chaîne aval. S'agissant du cobalt, la Chine représente 64 % de la production de ce métal, pourtant majoritairement produit en RDC.
En définitive, aucun pays, à mon sens, ne pourra être totalement autonome tout au long de la chaîne.
En la matière, qu'en est-il de la France ? En Nouvelle-Calédonie, on exploite 200 000 tonnes de nickel par an, ce qui est très largement supérieur aux besoins de la France. Le cobalt issu de cette exploitation disparaît dans le ferronickel (pyrométallurgie) ou est récupéré (hydrométallurgie). Si l'on parvenait à récupérer le cobalt présent dans les minerais produits en Nouvelle-Calédonie, il serait donc possible de produire à peu près 20 000 tonnes de cobalt, ce qui ferait de la France le deuxième producteur mondial de cobalt.
Pour résumer, nous maîtrisons la production de nickel et de manganèse - même si, s'agissant de ce dernier, nous ne disposons pas des ressources - grâce à Eramet. Il reste la question de la maîtrise de la chaîne aval du cobalt. Concernant le cuivre, nous n'avons pas la maîtrise de la chaîne aval, mais l'Europe l'a : ainsi, on trouve des gisements et une fonderie en Espagne et en Suède.
Mme Angèle Préville. - J'ai cru comprendre qu'il était difficile de recycler le lithium contenu dans les batteries. Existe-t-il une filière de recyclage ?
M. Damien Goetz. - Je ne suis pas très au fait du processus de recyclage du lithium. Très récemment encore, on récupérait le cobalt contenu dans les batteries parvenues en fin de vie, mais pas le lithium, en effet, le coût étant trop important par rapport au bénéfice. D'après ce que je sais, les technologies et les volumes ayant évolué, le lithium sera sans doute récupéré.
Quoi qu'il en soit, « mettre à la poubelle » 25 millions de tonnes de lithium chaque fois qu'on remplacera les batteries des voitures électriques n'est pas envisageable. De fait, les constructeurs devront intégrer dans leur processus le recyclage de ces batteries. Je suis donc plutôt optimiste.
M. Michel Canévet, président. - Est-on opérationnel, technologiquement, pour récupérer ce lithium ? Le contexte géopolitique, de toute façon, nous oblige à réfléchir à ces questions. Ainsi, il est envisagé d'installer des unités de production de batteries dans les Hauts-de-France, mais encore faut-il pouvoir disposer des matières premières nécessaires.
M. Damien Goetz. - Je pense que les technologies sont mûres. L'évolution des cours du lithium favorisera très certainement la filière de recyclage. Pour autant, disposons-nous de nos propres sources d'approvisionnement ? La France dispose d'un important gisement de lithium sur son territoire, qui n'est cependant pas exploité. Peut-on dire alors que notre pays sous-exploite ses ressources ? Les projets de Variscan Mines ont été abandonnés. Peut-on dire que le Groenland sous-exploite ses ressources quand il décide, pour des raisons politiques, de ne pas exploiter un gisement de terres rares ? On pourrait également citer le cas de la Bolivie, qui dispose des plus importants gisements de lithium au monde, mais qui reste un producteur très modeste.
On peut aussi choisir de ne pas exploiter une ressource pour des raisons économiques, des raisons de marché. Ainsi, la Guinée-Conakry n'exploite pas son gisement de fer des monts Nimba, les producteurs considérant que la production mondiale est à ce stade suffisante.
Enfin, il reste l'ensemble des gisements encore inconnus à ce jour.
L'industrie minière est une industrie lourde, nécessitant des investissements très importants, de long terme. Avant d'investir plusieurs milliards de dollars pour développer un nouveau gisement de fer, il faut être certain des perspectives de marché.
Pour en revenir au lithium, on peut citer le projet d'Eramet, en Argentine, ou les projets d'extraction du lithium à partir de saumure géothermale, en Alsace particulièrement. À ce jour, le prix du lithium est haut, parce que les industriels ont probablement sous-estimé le rythme de croissance de la demande, d'où une situation de sous-capacité. Si de nouveaux projets se développent, les prix devraient baisser.
M. Philippe Folliot. - Le département du Tarn, dont je suis l'élu, compte un gisement de tungstène, à Fontrieu. Or la stratégie de l'État nous a surpris : d'un côté, il considère que c'est un minerai stratégique pour lequel il convient d'accroître notre autonomie ; de l'autre, il ne se donne pas les moyens de prospecter, laissant les élus locaux se débrouiller face aux opposants, sans expliquer les enjeux stratégiques.
M. Teva Rohfritsch, rapporteur. - Si les ressources sous-marines sont davantage exploitées, pensez-vous que les prix baisseront, sachant que les coûts d'extraction sont plus élevés ?
M. Damien Goetz. - Sur la matrice de criticité française, le tungstène se place à un niveau très haut - il n'est pas aussi haut dans la matrice européenne ou la matrice américaine -, ce qui devrait nous inciter, en effet, à exploiter de nouveaux ou d'anciens gisements. Je ne peux que constater qu'il est quasiment impossible de rouvrir une mine sur le territoire français, toute tentative se concluant par un abandon.
Guillaume Pitron, dans son livre La guerre des métaux rares, écrit que nous avons exporté notre pollution. Cela ne me semble pas tout à fait exact dans le cas des terres rares, les pays d'extraction ayant logiquement été plus loin dans la chaîne de production. Il serait très difficile de se lancer en France dans l'exploitation de terres rares.
Je n'ai pas évoqué, en effet, la dimension économique des gisements sous-marins, par rapport aux gisements terrestres. Il faut bien savoir que nous sommes encore largement dans le flou à ce sujet, en particulier s'agissant des encroûtements cobaltifères. En ce qui concerne les amas sulfurés sous-marins, l'évaluation est plus aisée.
Quant aux nodules, leur teneur en nickel, en cobalt et en cuivre, sont respectivement de 1,5 %, 0,3 % et 1,2 %. C'est comparable à ce qu'elle est pour les gisements néo-calédoniens.
Je laisse de côté le manganèse, car la production de manganèse de qualité chimique à partir de nodules excéderait les besoins actuels, ce qui provoquerait une chute des prix.
Les gisements sous-marins de cuivre et de nickel sont donc comparables, quant à leur teneur en cobalt, aux gisements terrestres. La vraie difficulté, c'est la nécessité d'aller dans les grandes profondeurs, à 3000 m ou plus, et de développer la métallurgie nécessaire, ce qu'on ne sait pas faire à ce jour.
À mon sens, le coût d'exploitation de ces ressources sous-marines serait nécessairement supérieur à ce qu'il est pour les ressources terrestres. L'exploitation des nodules n'est pas problématique en soi, mais le process de traitement de ces nodules l'est. A contrario, il n'y a pas de difficulté de process pour les amas sulfurés mais c'est leur exploitation qui est complexe. Quant aux encroûtements cobaltifères, ils sont mal connus, difficiles à exploiter et à traiter.
M. Michel Canévet, président. - Nous vous remercions de ces éclairages très intéressants.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition de Mme Carine Tramier, présidente du Comité d'orientation de la recherche et de l'innovation de la filière des industriels de la mer (Corimer).
M. Michel Canévet, président. - Nous accueillons à présent Mme Carine Tramier, présidente du Comité d'orientation de la recherche et de l'innovation de la filière des industriels de la mer, accompagnée de M. Wilfrid Merlin.
Participent à cette réunion, physiquement ou en visioconférence, Didier Mandelli, sénateur de la Vendée, Angèle Préville, sénatrice du Lot, Muriel Jourda, sénateur du Morbihan, Micheline Jacques, sénateur de Saint-Barthélemy, Jacques Fernique, sénateur du Bas-Rhin, et Philippe Folliot, sénateur du Tarn.
M. Teva Rohfritsch, rapporteur. - Nous vous avons fait parvenir une liste de questions, dont vous ne devez aucunement vous sentir prisonnière. Nous pourrons avoir des échanges au terme de votre propos.
Mme Carine Tramier, présidente du Comité d'orientation de la recherche et de l'innovation de la filière des industriels de la mer (Corimer). - Nous vous remercions de votre invitation.
Je vais donc m'exprimer devant vous sur les grands fonds marins, à la suite, notamment, de Mme la ministre Annick Girardin et de MM. Thierry de la Burgade, secrétaire général de la mer adjoint, Nicolas Gorodetska, conseiller économie maritime et portuaire, et Xavier Grison, chargé de mission schéma directeur de la fonction garde-côtes et conseiller grands fonds marins, que vous avez précédemment auditionnés.
Mon propos liminaire portera essentiellement sur le thème des grands fonds marins et sur son articulation avec le Corimer. M. Merlin le complétera sur les aspects technologiques et sur la question des industries offshore de nouvelle génération.
Je suis sensible à l'intitulé de la mission, qui ne traite pas que des grands fonds. La stratégie France 2030 vise en effet tous les acteurs des fonds marins, aujourd'hui essentiellement impliqués sur le côtier ou sur l'offshore profond et qui ont le mérite d'être rentables sur un marché mature, avec une capacité à s'appuyer sur leurs acquis et sur leur expérience. En parallèle avec les protagonistes de l'innovation de rupture - pour communiquer ou résister à des pressions très élevées -, ce sont eux qui permettront la création d'un écosystème industrie-services, cette complémentarité entre recherche fondamentale et industriels des fonds marins permettant à terme d'identifier et de mettre en service des pépites pérennes sur le plan économique.
L'enjeu pour cette filière des industries de la mer, c'est le développement continu d'une politique industrielle d'excellence qui va s'appuyer sur les territoires, notamment sur les PME et TPE, assurant ainsi une autonomie stratégique et une certaine souveraineté économique au pays. La composante maritime a été mise à l'honneur lors du One Ocean Summit, mais il faut désormais aller au-delà des effets d'annonce et donner des moyens aux industriels de la mer de se développer, à l'exemple de ce qui a été fait pour le nucléaire ou l'hydrogène.
Il faut aller plus loin dans le mix énergétique avec l'éolien flottant, encourager les bateaux et les ports « zéro émission » et simplifier le cadre réglementaire pour favoriser l'entrepreneuriat.
Les conclusions du dernier Comité interministériel de la mer (CIMer) ouvrent d'amples perspectives, tout particulièrement s'agissant des grands fonds marins, qui méritent la même considération que le spatial en son temps. Les capacités opérationnelles de la France en recherche, en innovation, en ingénierie et en fabrication nous permettent de nous lancer dans l'exploration. Ne laissons pas passer cette occasion. Le sujet de la commande publique est au coeur des débats.
Vos questions s'articulent autour de plusieurs grands thèmes : les grands fonds marins ; l'appel à manifestation d'intérêt (AMI) lancé par le Corimer ; la notion d'indépendance ; l'exploitation.
Le comité ministériel de pilotage (CMP) de l'objectif 10 « grands fonds marins » du plan France 2030 a défini les actions associées aux stratégies de développement dans ce domaine : feuille de route, puis cahier des charges des appels à projets, puis appels d'offres pour commande publique.
Il convient de fournir les moyens matériels et humains, par le biais de la formation, des moyens qui soient durables, pour l'exploration à grande échelle des grands fonds marins - robotisation, autonomisation - et d'assurer à la France, deuxième puissance maritime, le leadership dans ce domaine très spécifique.
Il faut également s'assurer que les 300 millions d'euros alloués dans le cadre de France 2030 serviront le triptyque : éviter, réduire et compenser.
Le double objectif, c'est l'exploration pour recueillir des données sur un écosystème qui nous est encore largement inconnu et le développement d'innovations, y compris avec des applications dans le domaine de la santé, dans le domaine des process industriels - par exemple le biomimétisme.
L'aspect minier de la question, à ce stade, n'entre pas en ligne de compte dans le plan France 2030.
Le CIMer 2021 actait qu'un démonstrateur serait développé pour tester l'impact et la faisabilité d'une exploitation minière, tandis que France 2030 ambitionne d'évaluer cet impact potentiel avant de passer à une hypothétique phase d'exploitation.
Le CMP permet d'avoir une vision élargie, puisqu'il rassemble de nombreux acteurs provenant d'horizons différents : Corimer, donc, mais également Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer), Service hydrographique et océanographique de la Marine (SHOM), Direction générale de l'armement (DGA), Secrétariat général pour l'investissement (SGPI), ministère des armées. Nous pouvons donc ouvertement confronter nos expériences et nos idées pour parvenir aux objectifs définis.
Nous sommes plutôt actifs ! Après la réunion de lancement, le 23 février, nous nous sommes retrouvés le 2 mars, puis le 8 avril. Nous nous revoyons le 5 mai.
Nous avons passé en revue la feuille de route provisoire qu'avait soumise le Secrétariat général de la mer, en vue du CIMer 2022, en proposant des positionnements sur la « cartographie » des dispositifs les plus adaptés - marchés publics versus AMI. De même, nous avons formulé des recommandations fonctionnelles. Nous avons noté qu'il manquait un volet « compétences », incluant l'attractivité et la formation, lequel a été depuis lors ajouté.
Cette proposition de feuille de route sera normalement finalisée en mai. Suivra la rédaction du cahier des charges.
C'est maintenant que se concrétise la dimension d'accompagnement du comité ministériel de pilotage sur les objectifs et les missions retenues lors du CIMer 2022. Il y a eu un arbitrage ministériel, par ailleurs il ne fallait pas dépenser dès les premières missions les 300 millions d'euros alloués, et donc quatre missions ont été retenues : cartographie des zones de contrat entre l'Autorité internationale des fonds marins (AIFM) et la France ; planeur sous-marin profond ; drone sous-marin (AUV) profond ; robot de profondeur (ROV) pour l'observation précise de zones d'intérêt.
Il y a une réelle volonté de ne pas prendre de retard mais nous nous inscrivons néanmoins dans le temps long. L'idée, c'est de rendre l'exploration abordable financièrement, mais également possible sur le plan technique.
Le CMP a vocation à accompagner ces stratégies, non pas simplement à les appliquer les yeux fermés. Nous voulons utiliser les outils disponibles, faire « complémentaire », faire « modulaire » pour aller sur des missions différentes, croire au potentiel de croissance plus qu'à l'optimisation. Les industriels sont rompus à cet exercice.
Nous travaillons sur la cartographie « en meute », avec un parallèle avec les drones aériens, pour recueillir et utiliser des données dans des délais raisonnables ; sur la fourniture de services ; sur le traitement de données ; sur la conjugaison entre l'incrémental et la rupture en innovation.
Pour les moyens matériels, nous raisonnons de manière globale : outre l'engin, il faut prendre en compte la mousse, les batteries, la connectique, les capteurs, etc.
Ce modèle industriel et technologique regrouperait l'ensemble des industries nationales pour assurer la fameuse souveraineté économique dans le domaine des grands fonds marins.
Nous mettons également l'accent sur la formation et la communication - il faut saluer à cet égard l'Académie de marine et le cluster maritime français -, ainsi que sur l'attractivité du secteur y compris pour les femmes, pour les jeunes, et pour encourager la reconversion.
Le plan France 2030 permet de transférer une partie des actions sur les industriels fédérés par le Corimer. C'est un accompagnement amont de la filière exploration par les pouvoirs publics pour faire face à la compétition mondiale, avec une prise de relais par les industriels pour déployer les mesures qui assureront notre compétitivité sur le long terme.
Outre les Américains et les Chinois, les Indiens, les Japonais, les Norvégiens, les Portugais ne nous attendront pas.
Dans son rapport au secrétaire général de la mer, Jean-Louis Levet cible l'exploration, avec en ligne de mire l'exploitation des ressources minérales. France 2030 vise au contraire la connaissance de la faune, de la flore, de l'écosystème et, plus largement, de la colonne d'eau avant une éventuelle exploitation durable. Il convient d'identifier et d'évaluer les impacts environnementaux liés aux activités humaines au travers des quatre missions évoquées précédemment.
Ces deux stratégies se complètent parfaitement. Ainsi, le programme d'équipements de recherche sur la connaissance des grands fonds marins (PEPR), correspondant au premier projet préconisé par M. Levet, est disjoint des quatre missions, mais les conclusions des quatre missions alimenteront ce PEPR.
Quant au deuxième projet préconisé par M. Levet, s'agissant des campagnes d'exploration des zones AIFM françaises, correspondant à la mission n°1 annoncée au CIMer, France 2030 permettra de valider techniquement et industriellement un AUV français à grande profondeur, et d'en sécuriser le financement.
J'en viens à l'articulation autour du Corimer. Le principe fondateur du Corimer est de repenser la recherche et l'innovation via des feuilles de route, avec une double mission : une réflexion stratégique d'un côté et une orientation des projets. C'est donc bien un lieu de co-construction entre l'État et les filières pour définir, orienter et soutenir la recherche, le développement et l'innovation dans la filière, avec un effet intégrateur sur le long terme.
La feuille de route n°4 de la filière propose des solutions technologiques non seulement pour l'exploration, mais également pour l'exploitation durable - c'est là qu'il y a un léger écart avec France 2030. Cette feuille de route porte sur les énergies marines renouvelables, la production d'hydrogène en mer, la capture de CO2 ou autre solution de décarbonation.
Le Corimer a été critiqué mais nous prenons en compte le retour d'expérience dont nous bénéficions depuis 2018. Les besoins de la filière sont donc pris en compte dans l'élaboration des dispositifs publics de soutien à l'innovation. La feuille de route n° 4, qui a servi de base à l'AMI Corimer, continuera, une fois révisée, à servir de base aux futurs AMI Corimer.
Le Corimer aura un rôle à jouer dans le futur AMI consacré aux technologies liées aux grands fonds marins. Nous pouvons intervenir sur les leviers de France 2030 en tant que soutien à l'industrialisation, à l'outil de production, à l'innovation de rupture et à la défense de la commande publique. Il tient sa légitimité de la présence dans la filière des experts des feuilles de route. La feuille de route n°4 implique France Énergies marines, l'Ifremer et Evolen. Pour l'évaluation, il existe un jury d'experts externes constitué par Bpifrance après consultation des ministères de la filière. Le Corimer a proposé six noms, pour dix personnes au total. Les conclusions du CMP seront intégralement prises en compte par le groupe de travail qui sera constitué, au niveau de la filière, sur la question des grands fonds marins.
Le Corimer est un facilitateur, un accélérateur, pas un frein. C'est dans cet esprit qu'il joue un rôle de porte d'entrée unique dans les dispositifs de soutien à l'innovation, en concertation avec le SGPI dans le cadre de France 2030, et je crois qu'il joue ce rôle correctement. Il soulage les porteurs de projets de la dimension administrative de ces derniers. Les délais d'instruction de l'AMI Corimer ont été portés cette année à deux mois contre six pour des projets comme i-Démo. La portabilité des dossiers facilite aussi les choses.
Nos moyens d'action sont variés. Avant soumission des dossiers de l'AMI, nous faisons appel au comité recherche et développement de la filière, nous avons organisé un webinaire conjointement avec Bpifrance et la direction générale des entreprises. Rappel régulier des points d'attention, foire aux questions, B to B... Nous avons moyen d'être visible et d'aider avant soumission des dossiers.
Après la clôture des dossiers, nous travaillons plutôt, en lien avec les opérateurs du PIA, sur l'orientation des projets présélectionnés vers les dispositifs de financement les plus appropriés. La partie étatique du Corimer internalise la complexité de l'exercice, elle oriente les projets en fonction des thèmes et répartit la charge de travail entre les différents opérateurs.
En ce qui concerne les grands fonds marins, trois projets « espaces sous-marins » ont été soumis au dernier AMI Corimer, dont deux visant l'exploration/exploitation et un seul admissible : sur les trois projets, l'un se situait en dessous du seuil d'acceptation du Corimer, qui varie selon le type de société et le nombre de sociétés concernées, un autre était incomplet. Le projet retenu traite essentiellement de l'exploitation, pas nécessairement exclusivement pour les grands fonds marins. Je ne peux pas vous en dire davantage parce que le porteur du projet souhaite que les données en restent confidentielles.
En ce qui concerne les critères d'admissibilité par Bpifrance, je rappelle qu'un projet collaboratif, c'est-à-dire regroupant plusieurs sociétés, doit être supérieur à 4 millions d'euros et que les projets individuels doivent être supérieurs à une certaine somme comprise entre 2 et 4 millions d'euros selon le type de la société. Les autres critères sont le caractère innovant, les impacts sociaux et économiques en France, la gouvernance du consortium, sa capacité à porter de tels projets, la pertinence du modèle d'affaires, le plan de financement, etc. Il faut un « retour » industriel en France. Les consortiums doivent regrouper des partenaires appartenant aux secteurs de l'industrie et de la recherche. Le projet doit être porté par une entreprise unique immatriculée en France. Tout projet entraînant un quelconque préjudice environnemental, de quelque ordre qu'il soit, est exclu.
Par ailleurs, il existe des critères propres à France 2030 : 50 % des crédits doivent être consacrés à la décarbonation, 50 % du plan doit aller à des acteurs émergents, la prise de risque est encouragée et les échecs acceptés, ce qui est très important en termes d'état d'esprit - il ne faut pas hésiter à oser ! Enfin, les investissements doivent aller à l'innovation et à l'industrialisation. Il faut ajouter que les enveloppes évolueront en fonction des besoins, mais il revient au SGPI de s'exprimer sur ce sujet.
Vous l'aurez compris, cet AMI traite de la phase amont et du soutien à l'offre, mais les appels à projets et les AMI ne sont pas toujours parfaitement adaptés, parce que, quand on parle des grands fonds marins, la plupart des technologies existent déjà - il n'y a pas véritablement besoin de technologies de rupture dans ce domaine. Ce sont les essais à la mer qui nous manquent pour valider les investissements déjà réalisés par les industriels. C'est là que le recours privilégié à la commande publique prend tout son sens : celle-ci permet de concrétiser le marché et de laisser entrevoir aux industriels un retour sur investissement. En l'occurrence, les appels d'offres soutiennent la demande, tout en offrant une visibilité aux industriels.
En ce qui concerne l'enveloppe financière de l'AMI, un chiffre de 60 millions d'euros est parfois évoqué, mais il résulte simplement de l'annonce, lors d'une réunion de travail, de la volonté de doubler chaque année le nombre de projets. Il ne s'agit donc réellement ni d'une enveloppe ni d'un plafond. On peut d'ailleurs espérer que nous aurons suscité tellement de vocations que nous dépasserons les 60 millions d'euros...
En tout cas, la qualité des vingt et un dossiers admissibles et le fait que plusieurs d'entre eux dépassent les 10 millions d'euros laissent penser que l'objectif de 60 millions sera atteint. Je rappelle qu'en 2020 quatorze projets ont été soumis et huit ont été déclarés admissibles ; la progression est donc très importante.
Dans les questions que vous nous avez adressées, vous mentionnez le chiffre de 62 millions d'euros : il s'agit d'une estimation de l'investissement total mobilisé sur les projets en question. L'apport public s'élève quant à lui à 33 millions, soit un rapport de un à deux.
L'AMI Corimer vise un objectif de mutualisation et est abondé par différents budgets. Les aides consenties viennent en plus des autres enveloppes disponibles, notamment France 2030 et le programme d'investissement d'avenir i-Démo. L'État décidera de l'orientation vers i-Démo, vers France 2030... mais une part importante des financements en faveur des grands fonds marins viendra émarger sur un budget dédié.
Dans votre questionnaire, vous évoquez aussi la mission confiée à M. Philippe Varin sur la sécurisation de l'approvisionnement de l'industrie française en matières premières minérales. Je partage le point de vue selon lequel il est important de créer les conditions de la mise en place de filières d'excellence sur toute la chaîne de valeur. J'ajoute, même si je ne suis pas une spécialiste de ces questions, que la France dispose d'industriels reconnus en termes d'exploration des grands fonds, que ce soit pour les plateformes, les engins sous-marins, les équipements et les charges utiles embarqués, les communications pour le contrôle et la commande des engins, le positionnement dynamique, les capteurs, etc. Il convient cependant de fournir aux industriels les moyens dont ils ont besoin.
Autre vecteur de souveraineté, les normes et les standards. Il est urgent que la France s'impose en la matière pour pouvoir peser sur les règles internationales, celles définies par l'AIFM, et ne pas laisser la place à des pays comme la Chine pour lesquels la protection de l'environnement n'a pas la même priorité que chez nous...
Les deux missions du Corimer font écho à l'ensemble de ces préoccupations : fixer des feuilles de route technologiques et identifier les projets qui répondent aux enjeux.
Pour élargir notre sujet et faire écho à votre audition précédente, il n'est pas du tout certain que les besoins identifiés aujourd'hui correspondent à la réalité de 2050, notamment du fait des progrès technologiques ou des considérations écologiques, par exemple en termes de stockage de CO2. Nous n'aurons peut-être plus autant besoin des métaux rares, comme le lithium, dont nous sommes tant avides aujourd'hui. Un article a été récemment publié par l'Université du Michigan pour comparer les batteries lithium-soufre aux batteries lithium-ion : les premières seraient nettement plus écologiques et puissantes que les secondes. De nombreuses pistes peuvent donc être explorées pour réduire notre dépendance et je suis certaine que nos chercheurs et nos industriels seront capables de relever ce défi.
Enfin, il faut souligner que tous les pays disposant d'une façade maritime ont mis en place des dispositifs de soutien à l'innovation et des politiques publiques d'accompagnement dans le domaine maritime. Nous pouvons espérer que l'intérêt du dialogue entre l'État et les industriels soit universellement reconnu et que la logique défendue par le Corimer prévale.
M. Wilfrid Merlin, pilote et corédacteur de la feuille de route Industrie Offshore Nouvelle Génération de la filière des industriels de la mer, incluant les grands fonds marins. - Lorsqu'on évoque la question des progrès technologiques nécessaires pour rendre possible une éventuelle exploitation des fonds marins, la question des coûts se pose très rapidement.
De manière générale, il faut savoir qu'il est plus facile d'opérer des engins sur Mars qu'au fond de la mer, pour deux raisons. Sur Mars, il existe un ensoleillement et cette lumière peut être convertie en énergie. Sous l'eau, vous dépendez de batteries et, à moins d'utiliser de l'énergie nucléaire, vous êtes très limité. En outre, dans les airs ou l'espace, vous pouvez communiquer par ondes électromagnétiques et transférer ainsi beaucoup d'informations ; sous l'eau, ces ondes sont absorbées. De ce fait, soit vous utilisez des engins autonomes et vous récupérez les informations a posteriori, au moment où l'engin remonte à la surface, soit un bateau stationne en permanence au-dessus de l'engin avec lequel une liaison physique est établie.
Concernant l'exploitation, quatre types de richesses minérales peuvent être éventuellement exploités : les sulfures hydrothermaux, les encroûtements de cobalt et de platine, les nodules polymétalliques et les gisements d'hydrogène natif. Je mets de côté l'hydrogène natif pour me concentrer sur le minier.
La question fondamentale est de remonter ces matériaux comportant des minéraux suffisamment rapidement pour compenser les coûts liés aux immobilisations des navires en surface. De ce point de vue, il n'existe actuellement aucune solution viable économiquement ou technologiquement.
En ce qui concerne la prise en compte des externalités, les écosystèmes des abysses obéissent à des cycles longs, ils sont donc fragiles et peu résilients. En outre, ils sont mal connus. Par conséquent, il est indispensable de continuer d'étudier les sous-sols de ces écosystèmes pour mieux comprendre les risques. Pour cela, nous pouvons utiliser, comme dans l'exploitation pétrolière, des planeurs sous-marins, aussi appelés gliders, pour anticiper de manière précoce d'éventuelles pollutions.
Cela dit, les écosystèmes concernés par l'exploitation sous-marine sont assez pauvres par rapport à ce qu'on peut trouver en surface - je pense aux coraux. On connaît mal ces écosystèmes, il y a de la vie, mais assez peu.
De plus, il n'est pas nécessaire d'excaver beaucoup de matériaux, parce que les concentrations de métaux rares sont deux à trois fois plus importantes qu'à terre. Qui plus est, ces matériaux sont directement sur le fond de la mer et il n'y a qu'à les récupérer.
Pour ces raisons, les externalités sur l'environnement sont potentiellement beaucoup moins importantes que pour des mines terrestres.
M. Michel Canévet, président. - Nous nous réjouissons que la présidence d'un tel comité soit assurée par un représentant des acteurs économiques.
France 2030 consacre 2 milliards d'euros à l'espace et aux fonds marins, dont 300 millions à ces derniers. Que pensez-vous de cette répartition au regard des contraintes que vous avez évoquées et des ambitions affichées ?
Mme Carine Tramier. - Il ne m'appartient pas de commenter ce point, mais je crois que ce qui est important, c'est que nous commencions à avancer. Les quatre premières missions sont à très courte échéance. Elles permettront à tout le monde de se faire une première idée et, le cas échéant, de tuer certaines réticences. Je suis confiante sur le fait que d'autres initiatives pourront être menées. Il est très important d'avancer de manière incrémentale.
M. Michel Canévet, président. - Vous avez évoqué les seuils retenus pour l'AMI. Est-ce qu'ils ne peuvent pas porter préjudice à certains projets ? Ce sont surtout de grosses entreprises qui peuvent mobiliser un minimum de 2 millions d'euros, a fortiori si l'on parle d'AMI et pas de commande publique. Il n'est pas évident de trouver des cofinancements, en l'absence de visibilité sur une possible exploitation ultérieure.
M. Teva Rohfritsch, rapporteur. - Pensez-vous que la France ait suffisamment avancé en termes d'élaboration des normes ?
Par ailleurs, ne serait-il pas intéressant d'avancer au niveau européen sur le plan industriel ? Si oui, avez-vous identifié des partenaires éventuels ?
Mme Carine Tramier. - Les seuils peuvent être considérés comme élevés, mais comme je le disais tout à l'heure, plusieurs projets retenus cette année dépassent 10 millions d'euros. C'est pour répondre à cette question que nous avons ouvert cette année la cellule d'orientation des projets d'innovation sous les seuils (COPI2S) à laquelle participe le comité recherche et développement de la filière. Cette cellule est chargée d'accompagner les structures tout au long de l'année, pas seulement le temps de l'AMI.
La France n'a pas à rougir en ce qui concerne les normes et les standards, mais il faut donner l'impulsion pour que les experts se mettent autour de la table et commencent à travailler sur ces questions. L'empilement des contraintes reste un point bloquant ; nous devons réussir à faire plus simple, à être plus agiles !
M. Wilfrid Merlin. - Si la France n'occupe pas le terrain, d'autres pays le feront...
Mme Carine Tramier. - Pour des sujets de cette ampleur, il est évidemment intéressant de travailler au niveau européen. Il existe d'ailleurs des programmes européens de recherche en la matière et la filière y est très impliquée.
M. Teva Rohfritsch, rapporteur. - Je pensais surtout à l'aspect stratégique des choses. Certains estiment que nos armées devront peut-être s'équiper à l'étranger en raison de l'urgence... Ne serait-il pas pertinent de nouer des partenariats stratégiques avec les pays européens déjà avancés sur ces questions, comme la Norvège ou l'Allemagne ?
Mme Carine Tramier. - Aujourd'hui, il revient moins cher d'acheter certains composants hors de l'Union européenne. Un industriel réfléchit nécessairement en termes de retour sur investissement. Il est donc important de faire vivre le marché national et ses acteurs. C'est notamment sur ces sujets que travaillent le comité ministériel de pilotage et la filière. Pour cela, il faut à la fois miser sur les technologies de rupture et capitaliser sur l'existant. Arriver à 6 000 mètres de profondeur ne va pas constituer un saut quantique dans la plupart des cas.
M. Michel Canévet, président. - Nous devons aller vite, à la fois pour des raisons militaires et pour respecter l'objectif d'améliorer la cartographie d'ici à 2030 - nous en parlions tout à l'heure avec le représentant de l'Unesco.
Pour autant, les acteurs économiques que nous avons reçus nous ont indiqué qu'ils ne pouvaient pas se permettre de déployer de nouvelles technologies sans le soutien significatif des pouvoirs publics compte tenu de la faiblesse des perspectives de marché, en particulier en termes d'exploitation. Jusqu'à quelle part d'un projet l'AMI peut-il contribuer ?
Mme Carine Tramier. - Il n'y a pas de plafond précis et cela dépend du projet et de l'organisation des sociétés en question, mais l'ordre de grandeur est de 65 %. Il faut aussi mentionner le fait que certaines aides prennent la forme d'avances remboursables qui peuvent, le cas échéant et dans certaines conditions, être transformées en subventions.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 12 h 30.
La réunion est ouverte à 14 h 30.
Audition de MM. Olivier Mustière, vice-président chargé de l'ingénierie sous-marine chez TechnipFMC, et Johann Rongau, ingénieur projet
M. Michel Canévet, président. - Nous poursuivons nos travaux en recevant des représentants de l'entreprise TechnipFMC.
M. Olivier Mustière, vice-président chargé de l'ingénierie sous-marine chez TechnipFMC. - Basé à Paris, j'exerce dans cette société depuis une vingtaine d'années. Nous travaillons sur les problématiques liées à l'exploration et à l'exploitation des fonds sous-marins. Au-delà de nos activités professionnelles proprement dites, Johann Rongau et moi-même participons à divers organismes comme le cluster maritime français.
M. Johann Rongau, ingénieur projet chez TechnipFMC. - Je suis ingénieur projet au sein du bureau TechnipFMC de Paris-La Défense. Je travaille dans le groupe depuis une dizaine d'années. Je suis depuis huit ans les travaux que l'entreprise mène sur les grands fonds marins. Je suis également coordinateur technique au sein du groupe « grands fonds » du cluster maritime français et représentant de TechnipFMC au sein de la DeepSea Mining Alliance en Allemagne. Je suis aussi nos travaux au sein du Forum norvégien des minéraux marins.
M. Teva Rohfritsch, rapporteur. - Nous vous avons adressé une série de questions. Nous pouvons peut-être commencer par celles sur la stratégie minière française pour les grands fonds marins. Quel regard portez-vous sur cette stratégie en tant qu'acteurs du secteur ? Les financements annoncés vous semblent-ils cohérents ?
M. Johann Rongau. - Nous avons participé à la définition de la stratégie relative à l'exploration et l'exploitation des grands fonds marins, notamment dans le cadre du groupe de travail conduit par Jean-Louis Levet et à travers le cluster maritime. Cette très bonne initiative a permis de réunir l'ensemble des parties prenantes et de nombreux experts. Jean-Louis Levet a abordé le sujet de manière très ouverte et les débats ont été abordés de manière très constructive.
Il nous semble que cette stratégie est adaptée aux enjeux auxquels nous faisons face, mais la question critique est celle de sa mise en oeuvre concrète sur le terrain. Souvenons-nous qu'une telle stratégie avait déjà été adoptée en 2015, mais qu'elle n'avait pas été mise oeuvre de manière significative... Notre pays a sûrement perdu plusieurs années du fait de ce défaut de mise en oeuvre - je pense notamment à ce qui s'est passé à Wallis-et-Futuna.
Par ailleurs, cette stratégie se fait « rattraper » d'une certaine façon par l'objectif 10 du plan France 2030, notamment en termes de financements.
M. Olivier Mustière. - La stratégie minière est maintenant mieux définie et des montants lui ont été alloués en investissement. Il me semble toutefois que les montants annoncés sont en deçà des besoins. Si l'on fait référence à une autre stratégie en mer très profonde, s'agissant de l'exploration et de l'exploitation des huiles et gaz, les ordres de grandeur financiers ne sont pas du tout les mêmes : ils sont dix fois supérieurs, sur des projets simples à des profondeurs de 2 000 à 3 000 mètres. L'enveloppe annoncée - entre 150 et 300 millions d'euros - est prometteuse, mais elle n'est pas à la hauteur des investissements nécessaires.
Cela dit, il est de bon augure de voir un certain nombre de points mentionnés dans la stratégie minière et dans France 2030 : les robots sous-marins, autonomes ou non, les applications civiles et militaires, etc. Sur ce dernier point, il conviendra cependant de bien distinguer les aspects civils et militaires.
M. Teva Rohfritsch, rapporteur. - Les plans d'investissement prévoient des financements privés. Qu'en pensez-vous ?
M. Olivier Mustière. - Nous avons participé à un appel d'offres organisé par le conseil d'orientation de la recherche et de l'innovation de la filière des industriels de la mer (Corimer). En tant qu'industriels, nous voyons des opportunités réelles sur ce type d'appels d'offres, mais il faut bien voir que l'échelle de temps de tels projets qui va de dix à vingt ans dépasse celle de ces appels d'offres.
Il faut travailler sur cette question de décalage temporel. La réponse peut passer par la mise en place d'une société minière française ou européenne dédiée qui pourrait faire le lien entre les sociétés de prestations de services, les sociétés qui développent des technologies et les États, qui s'inscrivent dans le temps long. Il faut trouver un médiateur entre le temps long et le temps court. Les industriels peuvent investir, mais pas dans la temporalité qui est aujourd'hui proposée.
M. Michel Canévet, président. - Doit-il s'agir, selon vous, d'une entité pilotée par les pouvoirs publics ?
M. Olivier Mustière. - Dans le secteur des hydrocarbures, il existe à la fois des opérateurs privés, qui investissent sur leurs fonds propres, et des compagnies publiques, les NOC, National Operating Companies - il en existe dans de nombreux pays producteurs comme en Norvège, avec Equinor, ou encore au Brésil, avec Petrobras. Selon nous, les deux schémas peuvent fonctionner. Nous avons des clients qui appartiennent à ces deux catégories.
M. Teva Rohfritsch, rapporteur. - Quel regard portez-vous sur la réforme du droit minier ?
M. Johann Rongau. - La régulation minière s'applique à une société exploitante, c'est-à-dire à nos clients. Nous sommes uniquement en deuxième ligne en la matière, en temps qu'apporteur de services et de technologies à nos clients.
Pour autant, nous estimons qu'il est positif d'inclure les activités minières dans un cadre législatif. Cela permet de donner un cadre de travail et est préférable à un vide juridique. Nous sommes partisans d'avoir dès le départ des règles claires, communes et stables. Encadrer dès le début l'exploration et l'exploitation des grands fonds marins est le meilleur moyen de nous assurer que les acteurs ne font pas n'importe quoi. Contrairement à ce qui s'est passé à terre pour des raisons historiques, essayons d'avoir une démarche responsable pour les grands fonds marins dès le début.
Sur le fond de cette réforme, il ne nous revient pas, en tant qu'acteurs, de la commenter.
M. Teva Rohfritsch, rapporteur. - Vous avez une expérience en matière d'extraction et d'exploration marines. Vous connaissez les débats qui animent ce sujet. Pouvez-vous être force de proposition en matière de normes ?
M. Olivier Mustière. - TechnipFMC participe depuis longtemps en France et à l'international au développement de standards technologiques. Nous participons aussi à un regroupement des opérateurs pétroliers pour harmoniser les différentes normes.
M. Teva Rohfritsch, rapporteur. - Pensez-vous que nous sommes aujourd'hui en capacité de déterminer une norme sur l'exploration et l'exploitation des grands fonds marins ? Est-il préférable, compte tenu des incertitudes technologiques et scientifiques, de ne pas trop encadrer les choses ?
M. Johann Rongau. - Des technologies restent à développer, mais on peut déjà définir une approche, un objectif. C'est d'ailleurs ce que font d'une certaine façon le nouveau code minier et les règlements de l'Autorité internationale des fonds marins (AIFM) qui fixent la protection de l'environnement comme principe de base. Il est sûrement un peu prématuré de définir les technologies à même de réaliser cet objectif.
Vous nous avez posé une question sur le « démonstrateur », dont le principe est inscrit dans la stratégie minière. C'est un processus assez répandu dans l'industrie pétrolière ou minière de créer un « pilote » pré-industriel, pour tester une nouvelle technologie, évaluer sa rentabilité économique et quantifier son impact environnemental. Il nous semble important d'impliquer toutes les parties prenantes dans ce projet et de mettre en place une gouvernance adaptée.
M. Olivier Mustière. - Il existe finalement deux types de gisements : il y a ceux qui sont situés en très haute mer, comme la zone Clarion-Clipperton dans le Pacifique, et ceux qui appartiennent à une zone économique exclusive (ZEE). Les premiers échappent aux législations nationales et sont pilotés de manière relativement transparente par l'AIFM. Il n'est pas exclu que ces deux types de gisements obéissent à des cadres juridiques très différents.
Je note d'ailleurs que les dernières licences accordées par l'AIFM ont été attribuées à des pays où l'enjeu sociétal est très fort pour développer des ressources minières alternatives à celles qui sont exploitées aujourd'hui.
La question est maintenant de savoir qui va prendre le maillot jaune pour les gisements compris dans une ZEE... L'approche de la Norvège - intégrer une exploitation sous-marine dans le cadre d'une société d'État qui connaît ce type de processus et les différents modes opératoires - est intéressante et le cadre législatif de ce pays est robuste.
M. Teva Rohfritsch, rapporteur. - Que pensez-vous du potentiel minier des grands fonds marins ? Des partenariats sont-ils envisagés avec des organismes publics de recherche comme l'Ifremer ?
M. Johann Rongau. - Nous avons déjà travaillé avec l'Ifremer, puisque nous avons participé ensemble à un partenariat public-privé à Wallis-et-Futuna. Trois campagnes ont été réalisées dans ce cadre entre 2010 et 2012 pour un budget de 20 millions d'euros. L'Ifremer est un pionnier, c'est un acteur majeur du secteur et il est reconnu comme tel au niveau mondial. Il est indispensable de travailler avec ce type d'organismes. De plus, l'Ifremer est contractant sur deux licences délivrées par l'AIFM. Il existe d'autres instituts français clés : l'IRD, le CNRS et le BRGM. Tous ces instituts développent des coopérations avec leurs collègues européens.
Pour autant, l'Ifremer est un institut de recherche, pas un exploitant minier. En ce qui concerne la licence octroyée par l'AIFM sur la zone Clarion-Clipperton, la France a signé pour une nouvelle période de cinq ans. Or les règlements de l'AIFM imposent que des travaux soient réalisés. Il faut donc trouver un partenaire.
M. Jean-Michel Houllegatte. - L'exploration pétrolière a réalisé de très grands progrès technologiques en l'espace de quelques dizaines d'années. Des ruptures technologiques ont d'ailleurs eu lieu. Pensez-vous aller encore plus loin ?
Est-ce que l'exploration et l'exploitation minières reposent sur les mêmes technologies ? Existe-t-il un socle commun, des passerelles ?
M. Olivier Mustière. - Aujourd'hui, nous atteignons des profondeurs de 3 000 mètres. Les technologies existent et nous sommes capables d'aller plus loin de manière incrémentale, en faisant des ajustements sur les matériaux ou les procédés.
Il est possible de transférer ces technologies sur l'exploration minière sous-marine, mais ce n'est pas la même chose de transporter un fluide, ou un gaz, et une roche. Globalement, les équipements dits fond-surface existent et peuvent être adaptés, mais récolter ou collecter des roches nécessite autre chose : il nous faudra marier un équipement de type agricole et un robot sous-marin, soit autonome, soit piloté. Les liaisons fond-surface et la robotique sous-marine sont notre coeur de métier.
M. Johann Rongau. - Il existe une autre différence technique : dans le secteur minier, l'activité est plus continue d'un point de vue mécanique, alors que dans le secteur pétrolier, une fois les pipelines posés le gisement peut être exploité sans grande intervention technique. C'est l'un des challenges techniques à résoudre.
M. Teva Rohfritsch, rapporteur. - Est-ce qu'une architecture navale particulière sera nécessaire ? Quelle sera la typologie des navires utilisés ?
M. Olivier Mustière. - Un projet de conversion d'un ancien navire de forage existe d'ores et déjà, les travaux devraient être terminés dans un an environ. C'est une société privée qui a lancé ce projet.
M. Johann Rongau. - C'est sur cette partie du processus - le bateau d'exploitation - que les inconnues techniques sont les moins importantes. Les capacités d'ingénierie du secteur sont d'ailleurs impressionnantes. Pour autant, les coûts en investissement sont très élevés, ce sera sûrement la partie la plus chère des projets. Il existe un défi important en termes de stockage, surtout si le site est éloigné des côtes - dans ce cas, il faudra sûrement prévoir un système de barges qui feront l'aller-retour.
M. Teva Rohfritsch, rapporteur. - Un seul bateau réaliserait l'ensemble du processus ?
Mme Muriel Jourda. - En France, on estime souvent - ce n'est pas mon cas ! - qu'un espace de liberté est un vide juridique... Quel est l'intérêt d'établir une législation sur les sujets qui nous occupent aujourd'hui ? Est-ce uniquement pour protéger l'environnement ?
M. Olivier Mustière. - TechnipFMC n'est pas une société d'exploitation, nous n'évoluons donc pas directement dans ce cadre législatif. Disposer d'un cadre juridique apporte davantage de sérénité lors de la discussion et la signature des contrats. Les termes d'un contrat sont une manière de traiter le risque : en cas d'absence de cadre législatif, les discussions sont plus compliquées pour les parties. Un cadre juridique aide à la mise en oeuvre d'un projet.
M. Teva Rohfritsch, rapporteur. - On distingue communément plusieurs types de minerais sous-marins. Quelles sont, selon vous, les priorités ?
M. Johann Rongau. - Les nodules sont essentiellement situés dans les eaux internationales, mais il y en a aussi a priori en Polynésie française. Il s'agit le plus souvent d'une ressource très profonde et très éloignée des côtes. Les gisements sont surfaciques : il faudra balayer le fond de la mer pour les récolter. Cette ressource n'est pas nécessairement plus riche qu'à terre, mais elle combine plusieurs minerais. Elle est certainement plus facile à collecter que les sulfures, mais le milieu des abysses est sûrement sensible aux perturbations - les apports en nutriments y sont très faibles et les cycles de vie longs.
Les sulfures se trouvent dans des profondeurs d'eau moins extrêmes, souvent dans des ZEE, par exemple dans les ZEE française, portugaise ou de la Papouasie-Nouvelle Guinée. Les gisements semblent plus riches qu'à terre, si bien que les seuils de rentabilité seraient atteints avec des tonnages plus faibles. D'un point de vue environnemental, les zones de sulfures seraient plutôt habituées aux perturbations naturelles, par exemple des éruptions volcaniques, mais il faut évidemment vérifier que l'environnement est résilient.
TechnipFMC s'est focalisée depuis dix ans sur les sulfures, que ce soit à Wallis-et-Futuna, en Papouasie-Nouvelle Guinée, avec feu le projet Nautilus, ou encore en Nouvelle-Zélande. Nous estimons que cette ressource est prometteuse. Pour autant, il existe depuis quelques années un momentum sur les nodules ; un code d'exploitation est d'ailleurs en cours d'élaboration au sein de l'AIFM.
En ce qui concerne les encroûtements cobaltifères, c'est-à-dire des croûtes sur des substrats rocheux, la surface à couvrir sera importante et le fond pentu. Ils seront donc, a priori, complexes à extraire et il faut clarifier leur potentiel.
D'un point de vue français, il existe des opportunités pour ces trois ressources, ce qui est rare pour un pays. Il faudrait relancer les projets autour des sulfures et utiliser les licences AIFM pour réaliser des tests. En ce qui concerne les nodules, nous devons clarifier les attentes sur la zone Clarion-Clipperton. Il nous faut aussi mieux comprendre le potentiel de l'encroûtement ; nous travaillons moins directement sur les encroûtements, parce que nous estimons que les technologies qui devront être utilisées seront un mix des technologies utilisées pour les nodules et pour les sulfures.
Dans tous les cas, il faudra prendre en compte l'aspect géostratégique.
M. Olivier Mustière. - Quand j'étais jeune ingénieur, la France était le premier pays en termes de savoir-faire en matière pétrolière, alors que nous ne disposons pas de ressources... Or en matière de gisements miniers sous-marins, la France a un potentiel très important. Imaginez alors ce que nous pourrions faire !
Mme Micheline Jacques. - Les Antilles sont frappées par un véritable désastre, les sargasses. Or ces algues contiennent des métaux lourds. Serait-il possible, selon vous, de récupérer ces métaux ?
M. Olivier Mustière. - Je ne suis pas certain que TechnipFMC aurait le savoir-faire en la matière, parce que nous travaillons surtout dans les profondeurs. Peut-être faudrait-il faire travailler ensemble des sociétés de traitement de déchets et des sociétés agrochimiques. En outre, si l'on devait exploiter cette ressource, la question de la prévisibilité de l'apparition des sargasses se poserait.
M. Teva Rohfritsch, rapporteur. - Comment optimiser les retombées économiques pour les territoires français, notamment dans le Pacifique où nous avons une ZEE importante ? Quel est l'intérêt stratégique d'une éventuelle exploitation ?
M. Olivier Mustière. - Je crois qu'il faut regarder l'ensemble de la chaîne de valeur, pas seulement la partie liée à l'exploitation sous-marine. Pour l'aval du processus, c'est-à-dire pour le traitement des minerais récoltés, la valeur sociale ou économique la plus grande est à terre avec un tissu d'activités de maintenance, d'équipements, de services, de logistique, etc. Il y a un fort potentiel de ce point de vue. Si l'on regarde uniquement l'amont, c'est-à-dire l'offshore, la « captation » économique est très difficile à réaliser pour les territoires eux-mêmes, en particulier lorsque l'exploration se situe hors de la ZEE.
Je vous invite à consulter le rapport sur la souveraineté nationale du domaine maritime français publié par M. Philippe Louis-Dreyfus pour le compte des conseillers du commerce extérieur. Il fournit des pistes de réflexion et de proposition intéressantes sur ces sujets : comment capter la valeur de cette chaîne industrielle ?
M. Jean-Michel Houllegatte. - La valorisation de cette chaîne passe par des ressources humaines - opérateurs, techniciens, ingénieurs... Quelle est l'appétence des jeunes aujourd'hui pour ces métiers ?
M. Michel Canévet, président. - Les outils de formation sont-ils suffisants dans ce secteur ?
M. Olivier Mustière. - De nombreux éléments de réponse à ces questions sont dans le rapport que je viens de citer. Globalement, la réponse est positive, mais cette industrie doit se développer dans le respect de l'environnement pour pouvoir être attirante. En termes de capacités de formation, nous disposons d'un socle intéressant, mais nous avons pris du retard.
Je prends un exemple proche : le développement de l'éolien offshore s'est largement appuyé en France sur des entreprises étrangères. Aux États-Unis, où cette industrie ne fait que démarrer, une législation - le Jones Act - a déjà été adoptée pour restreindre les capacités d'intervention des entreprises étrangères - par exemple, les navires devront avoir un pavillon américain, si bien que les personnels à bord seront majoritairement de nationalité américaine.
M. Philippe Folliot. - Ma question porte sur la gestion des ressources marines. La France a déposé deux permis d'exploration auprès de l'Autorité internationale des fonds marins (AIFM) l'un dans la région de Clarion-Clipperton (Pacifique), l'autre dans l'Atlantique Nord. Quels ont été les résultats des explorations ? Sont-elles prometteuses ? Cette zone d'exploration est en dehors de notre ZEE. Je rappelle que la France possède une vaste ZEE de plus de 400 000 kilomètres carrés autour de l'île de Clipperton, l'île de La Passion en français. Cette île est en situation d'abandon de fait. Vous avez fait la distinction entre les ZEE et les zones internationales. La France a-t-elle un atout à valoriser dans cette zone ? Autrement dit, allons-nous laisser piller nos ressources ? C'est déjà le cas malheureusement de nos ressources en thonidés, qui sont surexploitées par les Mexicains, lesquels ne déclarent pas toujours leurs prises. On peut dès lors être inquiet pour la préservation de nos ressources. Notre pays ne se grandit pas lorsqu'il laisse faire dans sa ZEE des pratiques qu'il condamne partout ailleurs.
M. Teva Rohfritsch, rapporteur. - Nos forces armées souhaitent se doter de davantage d'engins sous-marins pour assurer la surveillance et la protection de ces zones. Avez-vous des contacts ou des contrats avec elles ?
M. Johann Rongau. - Les explorations ont été menées par l'Ifremer. Leur but était essentiellement scientifique. Il s'agit de mieux comprendre les mécanismes à l'oeuvre dans les dorsales sous-marines. Les recherches se poursuivent. D'autres pays ont déposé des demandes de licences d'exploration sur la dorsale médio-atlantique ; la coopération entre les instituts de recherche est plutôt bonne et permet de mutualiser les moyens.
La France occupe une place essentielle dans le Pacifique, mais il ne suffit pas de posséder une vaste ZEE sur le papier pour l'exploiter ou la protéger. Le risque de pillage existe. Il faut donc, comme cela est prévu dans la stratégie France 2030, faire l'effort pour explorer ces zones, mieux les connaître et acquérir des données. Lorsque l'on mène des campagnes d'exploration, on montre aux autres pays que la France est présente et s'intéresse à ses eaux. Il y a un lien clair entre les dimensions économique, militaire et géopolitique.
Nous devons nous positionner très en amont sur le dossier des ressources minérales si l'on ne veut pas que d'autres pays prennent de l'avance et que des compagnies étrangères déposent un jour des demandes de permis d'exploration à notre place...
M. Michel Canévet, président. - Il est utile de rappeler que nous possédons une vaste ZEE et que nous devons défendre nos intérêts. Quels sont les moyens humains et matériels de TecnipFMC ?
Le cluster maritime français est-il un outil intéressant pour fédérer les acteurs français et créer des synergies ?
M. Johann Rongau. - TechnipFMC compte 1400 personnes en France, réparties dans deux centres d'ingénierie, dans le quartier de Paris-La Défense et à Nîmes, ou dans une usine de fabrication de flexibles pour pétroliers de Flexi France. Au niveau mondial, nous comptons 23 000 collaborateurs. Nous possédons des usines de fabrication de systèmes ombilicaux ou de têtes de puits sous-marines, ainsi que les compétences en ingénierie associées. Nous entretenons aussi une flotte de navires : un navire de construction offshore, un navire de pose de flexibles, un navire de pose de pipes rigides. Nous possédons aussi des robots sous-marins (ROV) reliés à la surface capables d'opérer jusqu'à 6000 mètres de profondeur, grâce à notre entité Schilling Robotics basée en Californie.
TechnipFMC participe au cluster maritime français. Celui-ci est un bon outil pour permettre aux industriels d'échanger. Il vise aussi bien les outre-mer que le territoire métropolitain et constitue indéniablement un atout pour notre réseau.
M. Olivier Mustière. - Le cluster maritime français constitue un formidable lieu d'échanges, un creuset d'informations et d'expériences ; mais comme pour toute réaction chimique, il faut un catalyseur - à mon sens, celui-ci sera la société d'exploitation - pour fédérer les différents acteurs, qui sont inscrits dans le court terme, autour de projets communs, dotés de plans de financement, dans une perspective économique ou géopolitique de long terme.
M. Michel Canévet, président. - Je vous remercie.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 15h40.