Jeudi 17 février 2022
- Présidence de M. Jean-François Rapin, président -
La réunion est ouverte à 9 h 35.
Institutions européennes -- Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la transparence et au ciblage de la publicité à caractère politique, COM(2021) 731 final, et proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif au statut et au financement des partis politiques européens et des fondations politiques européennes, COM(2021) 734 final (refonte) - Avis politique et proposition de résolution européenne
M. Jean-François Rapin, président. - Mes chers collègues, lors de sa réunion du 27 janvier dernier, le groupe de travail « subsidiarité » de notre commission avait conclu à la nécessité d'examiner plus avant la conformité de la proposition de règlement relatif à la transparence et au ciblage de la publicité à caractère politique (COM [2021] 731 final) au principe de subsidiarité. Et, comme vous le savez, nous avons été chargés de procéder à ce contrôle approfondi avec Laurence Harribey.
Par cohérence, nous avons cependant décidé d'analyser l'ensemble du paquet législatif relatif à la démocratie européenne.
Cet ensemble d'initiatives législatives résulte de la communication de la Commission européenne du 3 décembre 2020, relative à un plan d'action pour la démocratie européenne. Dans ce document d'orientation, cette dernière rappelait que « la démocratie, l'État de droit et les droits fondamentaux sont les fondements sur lesquels repose l'Union européenne?».
Elle constatait simultanément que la démocratie «?ne saurait être tenue pour acquise?», mais qu'elle doit être cultivée et défendue dans un contexte où elle se heurte à la « montée en puissance des extrémismes », à la « perception d'un fossé entre le peuple et ses représentants élus » et à la transformation numérique qui, si elle peut favoriser l'engagement civique, facilite également les cyberattaques, les campagnes de désinformation et les tentatives de manipulation des scrutins.
En conséquence, le plan d'action pour la démocratie européenne vise à «?renforcer la résilience des démocraties de l'Union européenne face aux défis qui se posent?», grâce à plusieurs initiatives législatives.
Dans ce cadre, le 25 novembre 2021, la Commission européenne a présenté un ensemble de textes relatifs à la démocratie européenne comprenant une proposition de règlement relatif à la transparence et au ciblage de la publicité à caractère politique, une proposition de refonte du règlement (UE, EURATOM) n° 114/2014 du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2014, qui régit à l'heure actuelle le statut et le financement des partis politiques européens et des fondations politiques européennes, ainsi qu'une proposition de refonte de la directive 93/109/CE du Conseil fixant les modalités de l'exercice du droit de vote et de l'éligibilité aux élections au Parlement européen pour les citoyens de l'Union résidant dans un État membre dont ils ne sont pas ressortissants et une proposition de refonte de la directive 94/80/CE ayant le même objet pour les élections municipales.
Il me semblait pertinent de permettre à notre commission de s'exprimer sur ce dossier en temps utile, alors que le Gouvernement souhaite manifestement aller vite sur ce dossier. D'autant plus que ce travail s'inscrit dans la continuité de notre rapport d'information sur les listes transnationales et les candidats en tête de liste au Parlement européen, que notre commission avait adopté, le 1er juillet dernier.
Si les propositions de refonte des directives n'appellent pas d'observation spécifique, car elles visent à procéder à un « toilettage » juridique ne bouleversant pas leurs dispositifs respectifs, les propositions de règlement justifient un examen attentif de notre commission. Cet examen nous conduit à vous proposer non un avis motivé au titre du contrôle de subsidiarité, mais un avis politique et une proposition de résolution européenne (PPRE), respectivement destinés à la Commission européenne et au Gouvernement, afin d'influer sur les négociations en cours.
Je vais d'abord laisser notre collègue Laurence Harribey présenter l'état de notre réflexion sur la proposition de règlement relatif à la transparence de la publicité politique avant de faire le point sur la proposition de règlement relatif au statut et au financement des partis politiques européens.
Mme Laurence Harribey, rapporteure. - Première observation, en France, le droit en vigueur encadre précisément les modalités de publicité politique et de propagande électorale, interdisant même cette dernière pendant certaines périodes électorales jugées sensibles. Ainsi, l'utilisation à des fins de propagande électorale de toute publicité commerciale par voie de presse ou par tout autre moyen de communication audiovisuelle pendant les six mois précédant le premier jour du mois d'une élection et jusqu'à la fin du scrutin est interdite (article L. 52-1 du code électoral). Il en va de même en tout temps pour les émissions publicitaires à caractère politique (article 14 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication).
Dans la presse (y compris la presse en ligne), « tout article de publicité à présentation rédactionnelle (politique ou non) doit être précédé de la mention «publicité» ou «communiqué»?» (article 10 de la loi du 1er août 1986 portant réforme juridique de la presse), « toute publicité doit être identifiée comme telle » et doit rendre clairement identifiable la personne physique ou morale pour le compte de laquelle elle est « réalisée ».
Enfin, rappelons que la législation française a posé récemment un cadre destiné à lutter contre la manipulation de l'information en ligne, quel qu'en soit le vecteur (article de presse en ligne, publicité politique en ligne, etc.). Pour rappel, pendant les trois mois précédant le premier jour du mois d'élections générales et jusqu'à la fin du scrutin concerné, les plateformes en ligne dépassant un certain seuil de visiteurs (plus de 5 millions par mois), doivent informer ces derniers sur l'identité de la personne pour le compte de laquelle l'information a été publiée, sur l'utilisation prévue de ses données personnelles et sur le montant de la rémunération perçue au titre de la publication de cette information. De plus, ces informations doivent être rendues disponibles dans un registre mis à disposition du public (article L. 163-1 du code électoral).
En revanche, il convient de prendre en compte le fait que ce cadre normatif n'existe pas aujourd'hui dans tous les États membres. Dans les faits, les législations sont très variables et parfois assez fragmentaires. Or, à l'heure d'une numérisation croissante des campagnes de publicité politique et des stratégies électorales, cette divergence des législations entre les États membres de l'Union européenne constitue une fragilité à l'égard des tentatives de manipulation de plus en plus fréquentes des comportements électoraux des citoyens.
La proposition de règlement examinée vise donc à établir des normes européennes harmonisées en matière de publicité politique. Elle a deux principaux objectifs :
- premier objectif : définir des règles européennes harmonisées pour encadrer les services de publicité à caractère politique, sur le fondement de l'article 114 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), relatif à l'établissement et à l'approfondissement du marché intérieur, lequel nous avait initialement interpellés ;
- second objectif : encadrer l'utilisation des techniques de ciblage et d'amplification à des fins politiques, sur le fondement de l'article 16 du TFUE relatif à la protection des données personnelles (article 12).
Au titre du premier objectif, la proposition de règlement institue une « chaîne de responsabilités » applicable aux prestataires de services chargés d'élaborer les publicités politiques, mais également aux commanditaires de ces publicités, appelés « parraineurs » dans le texte, et enfin aux acteurs chargés de la diffusion des publicités politiques, appelés « éditeurs de publicité politique », qu'ils soient une radio, une télévision ou encore un réseau social. En tant que membre de la commission d'enquête sur la concentration des médias, je témoigne du fait que ceux-ci tendent à oublier cet aspect, dans la mesure où ils ne se considèrent pas comme éditeurs, mais plutôt comme diffuseurs. Nous observons ainsi une évolution de fond plaçant chaque acteur au sein de la même chaîne de responsabilités. Lorsque j'ai soulevé cette question à l'adresse du directeur de Facebook dans le cadre de la commission d'enquête, celui-ci est apparu quelque peu embarrassé.
Les principales obligations imposées par le texte reposent logiquement sur les prestataires de services. Je veux citer les plus importantes :
- une obligation de déclaration de leurs publicités politiques (article 5) ;
- une obligation de tenue des registres recensant leurs activités de publicité politique (article 6) ;
- l'accompagnement obligatoire de chaque annonce publicitaire par un certain nombre d'informations (regroupées dans un « avis de transparence ») permettant aux citoyens de comprendre qu'il s'agit d'une publicité politique et d'en identifier «?le parraineur?», à savoir la personne qui en bénéficie (article 7) ;
- une obligation de transmission des informations relatives au contenu de la publicité, au montant perçu au titre de cette activité et à son «?parraineur?» non seulement aux autorités nationales de contrôle, mais également à des « entités intéressées » qui en font la demande : chercheurs agréés, organisations non gouvernementales habilitées, «?acteurs politiques?», etc. (article 11)?;
- et une obligation, pour les prestataires établis dans un pays tiers, de désignation d'un représentant légal dans l'Union européenne (article 14).
Les « parraineurs » de ces publicités politiques, c'est-à-dire leurs commanditaires, seraient soumis à l'obligation de déclaration précitée et devraient accepter que des informations les concernant soient transmises par les prestataires de services agissant pour leur compte, aux autorités de contrôle ou aux « entités intéressées ». En tant que « parraineurs » d'une annonce publicitaire ou d'une campagne publicitaire politique, les candidats aux élections nationales ou locales et les partis politiques nationaux seraient donc soumis à ces obligations (articles 5, 11 et 13).
Quant aux « éditeurs de publicité à caractère politique », ils devraient s'assurer de diffuser une publicité politique avec l'ensemble des informations précitées et, si ces dernières faisaient défaut, s'abstenir de diffuser la publicité concernée (article 7), à l'instar des sous-traitants. Ils devraient également prévoir des mécanismes permettant aux particuliers de signaler une annonce publicitaire qui ne respecterait pas les dispositions des articles précédents (article 9).
Au titre du second objectif, la proposition de règlement interdirait le recours aux techniques de ciblage et d'amplification impliquant un traitement de données à caractère personnel à des fins politiques, sauf exception strictement encadrée, et garantirait, là encore, aux «?entités intéressées?» qui en font la demande, la transmission d'informations (article 13).
Enfin, la liste des informations transmises pourrait être modifiée par la seule Commission européenne, par la voie d'actes délégués prévus à l'article 290 du TFUE (articles 7, 12 et 19). Il est précisé que la Commission pourrait procéder à ces modifications « à la lumière de l'évolution technologique », de « l'évolution du contrôle exercé par les autorités compétentes et des orientations en la matière publiées par les organismes compétents ». Au motif de la rapidité d'évolution sur ces sujets, la Commission européenne recevrait ainsi une capacité déléguée, ce qui nous interroge même si les actes délégués font l'objet d'un contrôle a posteriori.
Comme rappelé par le président Rapin, nous avons d'abord contrôlé ce texte sous l'angle de sa compatibilité avec le principe de subsidiarité, posé à l'article 5 du traité sur l'Union européenne et au protocole II annexé aux traités, avec trois questions principales : la proposition de règlement est-elle nécessaire?? Est-elle fondée sur une base juridique pertinente?? Son dispositif est-il proportionné aux objectifs poursuivis ?
Au terme d'un examen approfondi, nous répondons par l'affirmative à ces questions, tout en souhaitant émettre plusieurs observations qui sont mentionnées dans les projets d'avis politique et de proposition de résolution qui vous ont été transmis.
En effet, à la suite du constat que j'ai déjà effectué, nous pouvons considérer comme regrettable l'absence d'association des Parlements nationaux à l'élaboration de cette réforme, mais nous devons aussi reconnaître que cette réforme répond à une nécessité face aux tentatives de manipulations des scrutins et institue un cadre juridique européen plus protecteur pour les citoyens, ce qui nous paraît important. Si la France s'appuie sur une législation précise et protectrice, il n'en est pas de même dans tous les États de l'Union européenne. Or, une potentielle manipulation par des prestataires de services s'inscrit dans le champ d'application du double principe de la libre prestation de services et du libre établissement. Cela signifie que des personnes installées dans un autre État membre de l'Union européenne, mais provenant d'un pays tiers, peuvent bénéficier de la reconnaissance mutuelle, et donc de la libre prestation de services. Sur ces bases, la constitution d'un cadre juridique européenne encadrant la manipulation est préférable.
Par ailleurs, si la pertinence de la base juridique choisie, à savoir l'article 114 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne relatif à l'établissement et à l'approfondissement du marché intérieur, pouvait susciter de légitimes interrogations, la proposition de refonte du règlement n° 114/2014, pour l'essentiel de son dispositif, régule effectivement des prestations de service rattachées au marché intérieur et non l'organisation des scrutins.
Bien sûr, des obligations nouvelles seraient imposées, par « effet de bord » pourrait-on dire, aux candidats aux élections nationales ou locales et aux partis politiques nationaux en tant que « parraineurs » de publicité politique. Le Gouvernement a assuré vos rapporteurs de sa vigilance sur ce point.
Toutefois, et c'est la première observation développée dans nos projets d'avis politique et de proposition de résolution européenne, nous souhaitons que la proposition de règlement soit explicitement complétée afin d'y prévoir que les nouvelles obligations imposées aux «?parraineurs?» de publicité politique n'aient pas d'incidence sur les périodes de campagne électorale, sur les périodes d'interdiction de la publicité politique, ou encore sur la définition des partis politiques nationaux, qui relèvent de la seule compétence des États membres. Si les considérants en font mention, il apparaît nécessaire que le texte du règlement l'énonce également.
Nous souhaitons aussi attirer l'attention de la Commission européenne et du Gouvernement sur la nécessité de préciser la rédaction non aboutie de certaines définitions du texte qui nuit à la compréhension de ce dernier et pourrait fragiliser sa mise en oeuvre. Ainsi, alors que la diffusion d'une publicité politique serait désormais conditionnée à la production d'un «?avis de transparence?» par le prestataire, la liste des informations contenues dans cet avis n'est pas strictement fixée, certaines informations pouvant être transmises «?le cas échéant?». Il convient de mettre fin à cette incertitude.
Enfin, comme nous l'aurions fait dans un avis motivé, nous considérons disproportionnée la délégation prévue pour permettre à la seule Commission européenne de fixer la liste des informations qui seraient transmises par les prestataires de services de publicité politique, par la voie des actes délégués prévus à l'article 290 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE).
En effet, les actes délégués sont en principe « des actes non législatifs de portée générale qui complètent ou modifient certains éléments non essentiels de l'acte législatif ». Or, en l'espèce, la délégation prévue concernerait bien des éléments essentiels de ces dispositions législatives et priverait les parlements nationaux de toute possibilité de contrôle à leur sujet.
Je vous remercie et laisse de nouveau la parole au co-rapporteur, le président Jean-François Rapin.
M. Jean-François Rapin, président. - Après les explications de notre collègue, je veux vous dire quelques mots sur la proposition d'actualisation du règlement sur le statut et le financement des partis politiques européens et des fondations politiques européennes (COM [2021] 734 final)).
Pour rappel, selon les traités, et plus particulièrement l'article 10 du traité sur l'Union européenne (TUE), les partis politiques européens « contribuent à la formation de la conscience politique européenne et à l'expression de la volonté des citoyens de l'Union ».
En réalité, comme nous l'avions souligné dans notre rapport paru en juillet dernier, ces partis politiques européens sont aujourd'hui des acteurs peu connus des citoyens et leur contribution au débat démocratique européen est sans doute perfectible.
Pourtant, force est de constater que le Parlement européen continue à travailler à la reconnaissance des listes transnationales et des candidats en tête de liste ou Spitzenkandidaten. Or cette reconnaissance, sans même garantir une européanisation de l'élection au Parlement européen, aurait pour conséquence de transférer le choix du président ou de la présidente de la Commission européenne, du Conseil européen vers ces partis politiques européens.
Cela n'est pas l'objet du présent règlement, mais je voulais attirer l'attention de notre commission sur ces débats qui occupent les échanges en cours au sein de la Conférence sur l'avenir de l'Europe.
Comment définit-on un parti politique européen ? En pratique, le statut et les modalités de financement de ces partis, tout comme celui des fondations politiques européennes, sont régis par le règlement du 22 octobre 2014 précité. Un parti politique européen est une alliance politique qui, selon les termes de ce règlement, constitue « une coopération structurée entre partis politiques et/ou citoyens qui poursuit des objectifs politiques et est enregistrée auprès de l'Autorité pour les partis politiques européens et les fondations politiques européennes ». La reconnaissance d'une telle alliance comme parti politique européen est conditionnée au respect de plusieurs critères :
- avoir son siège dans un État membre de l'Union européenne ; avoir participé aux élections du Parlement européen ou avoir annoncé publiquement son intention de participer aux prochaines élections ;
- ne pas poursuivre de but lucratif ;
- avoir une certaine représentativité : elle ou ses partis membres, dans au moins un quart des États membres, doivent être représentés par des députés au Parlement européen, dans les parlements nationaux ou dans les assemblées régionales et avoir réuni au moins trois pour cent des votes exprimés dans chacun de ces États membres aux dernières élections au Parlement européen ;
- enfin, ces alliances politiques doivent respecter les valeurs de l'Union européenne énoncées à l'article 2 du TUE, à savoir le respect de la dignité humaine, la liberté, la démocratie, l'égalité, l'État de droit ainsi que le respect des droits de l'Homme.
À l'heure actuelle, dix partis politiques européens ont été enregistrés. Comment ces partis peuvent-ils être financés ? Une fois enregistré, un parti politique européen peut recevoir des dons de personnes physiques ou morales, à hauteur de 18?000 euros par an et par contributeur, mais les contributions de ses membres ne doivent pas dépasser 40 % de son budget annuel. Sur ce point, le régime de financement des partis politiques européens est très libéral au regard de celui des partis politiques français, qui, eux, ne peuvent bénéficier d'un financement par des personnes morales, à l'exception des partis ou groupements politiques.
Les partis politiques européens peuvent également demander un financement du budget général de l'Union européenne, ce dernier ne devant alors pas dépasser 90 % des dépenses remboursables annuelles inscrites à son budget. Pour en bénéficier, ils doivent respecter les conditions exigées lors de leur enregistrement. Ils ne peuvent en revanche recevoir ni de dons anonymes ni de dons en provenance d'un État membre, d'un pays tiers ou d'une personne morale qui siège dans ce dernier (autorité publique, entreprise publique ou entité privée). Une autorité indépendante veille au respect de ces conditions, décide de l'enregistrement des partis politiques européens et tient à jour le registre qui les recense. Cette autorité peut également prendre des sanctions à leur encontre s'ils ne respectent plus les règles précitées de représentativité, de gouvernance, ou de financement. Dans les cas les plus graves, elle a même la possibilité de radier ces partis du registre des partis politiques européens.
Je signale à ce stade que ces règles sont également valables pour les fondations politiques européennes.
Quel est l'objectif de la réforme envisagée ? La proposition de refonte de ce règlement vise à actualiser le droit applicable aux partis politiques européens et aux fondations politiques européennes avec un quadruple objectif.
En premier lieu, la proposition souhaite conforter le respect des valeurs de l'Union européenne par les partis politiques européens, qui devraient désormais formaliser cet engagement par la production d'une déclaration écrite et « veiller » à ce qu'il en soit de même au sein de leurs partis membres (article 3).
En deuxième lieu, la proposition vise à préciser la gouvernance des partis politiques européens en leur demandant de prévoir des règles destinées à assurer une représentation équilibrée des hommes et des femmes au sein de leurs statuts et de présenter des « éléments probants » démontrant leurs efforts en ce sens s'ils souhaitent bénéficier d'un financement de l'Union européenne (articles 4 et 21).
En troisième lieu, les partis politiques européens seraient autorisés à utiliser leurs ressources pour intervenir dans des campagnes référendaires concernant la mise en oeuvre des traités européens (article 24).
En quatrième et dernier lieu, la proposition tend à assouplir les règles de financement des partis politiques européens, d'une part, en augmentant à 95 % le plafond possible du financement de l'Union européenne dans leurs dépenses remboursables et, d'autre part, en les autorisant à recevoir des contributions financières de partis membres ayant leur siège dans un pays appartenant au Conseil de l'Europe (ces dernières contributions ne devant pas excéder 10 % des contributions totales versées par les membres du parti politique européen concerné) (article 23).
C'est sur ce dernier point, mes chers collègues, que nous souhaitions avertir la Commission européenne et le Gouvernement. En effet, s'ils veulent participer à la confrontation d'idées à l'échelon européen tout en obtenant la confiance des électeurs, les partis politiques européens doivent non seulement assurer une réelle transparence de leurs financements, mais également rejeter tout mode de financement qui menacerait - en réalité ou en apparence - leur liberté d'action et leur indépendance.
L'avis politique et la proposition de résolution européenne demandent donc clairement le retrait de cette possibilité de financement par des partis originaires de pays tiers appartenant au Conseil de l'Europe. Cette possibilité ne semble vraiment pas pertinente au regard du risque d'ingérence étrangère. Paradoxalement, le texte visant à écarter ces ingérences instituait lui-même une forme d'ingérence. Je vous remercie.
M. André Gattolin. - Un niveau de détail trop fin peut devenir contre-productif. Par exemple en France, depuis le renforcement du temps de parole par le CSA, l'équilibre s'évalue par émission, ce qui devient totalement stupide. Sur une émission thématique consacrée à l'environnement, les dirigeants de services publics tels que la présidente de Radio France, Mme Veil, témoignent du fait qu'ils ne peuvent inviter que des représentants politiques à proportion. Au bout du compte, ils n'en invitent plus. L'émission Les informés sur France Info, initialement construite avec un mélange d'experts, de personnel politique et de journalistes, a ainsi supprimé les interventions politiques.
Les médias de service public, au regard des exigences sur l'égalité du temps de parole, qui ne s'apprécient plus globalement ou sur des tranches horaires de retransmissions et deviennent trop compliquées à gérer, considèrent qu'il est plus facile d'exclure le personnel politique des émissions. Il m'est arrivé de soutenir une loi et d'en entendre parler sur tous les plateaux de télévision, sans pour autant y être invité pour en discuter. Ces situations constituent des aberrations, renforcées par le fait que le texte de loi n'a parfois pas même été consulté par ceux qui en parlent.
La même problématique apparaît sur les réseaux sociaux. Depuis deux mois, Facebook m'interdit de mettre en avant un article, car mon titre est celui d'une personnalité politique. Or il ne s'agit pas d'un point de vue électoral dans lequel j'exprimerais « M. Macron est formidable tandis que M. Zemmour est idiot », mais de la traduction d'une activité politique sans aucune référence à mon appartenance. Facebook ne vérifie pas si ma publication correspond à un propos de campagne ou plutôt à une information relayée. Nous autres, les politiques, allons perdre l'accès aux réseaux sociaux, qui ne détourneront pas la loi, mais simplement ne l'appliqueront pas. Par ailleurs, je note que l'audience sur Facebook peut être amplifiée pour 10 euros.
Les partis politiques européens sont du vent. Des personnes se réunissent pour rédiger un manifeste que les partis politiques associés ne promeuvent pas et ne respectent pas non plus. Les partis politiques européens sont un instrument détourné pour recevoir des moyens pour les familles politiques et les futurs groupes. Je trouve particulièrement inconcevable que des partis politiques en concurrence dans les élections européennes atterrissent dans le même groupe politique, qui implique leur accord mutuel sur les grandes orientations politiques définies dans ce programme. En France, aucune promotion de cette appartenance n'est effectuée. Certes, les sommes de financement des fondations politiques ne sont pas considérables. Les fondations politiques européennes ont un poids, un volume et des moyens plus importants que les fondations françaises. Les fondations allemandes, qui ouvrent des bureaux dans chacun des pays européens et dans le monde, sont dotées dans des proportions beaucoup plus importantes que les fondations françaises. Soumise au devoir de réserve, une fondation politique nationale n'a pas le droit de participer au débat électoral en période de campagne.
En l'espèce, aucune règle n'est établie. Les principales familles politiques se sont dotées d'un moyen totalement discrétionnaire, utile, mais inefficient.
Pour un militant ou un soutien d'un parti politique, il est impossible d'adhérer directement à un parti politique européen. Le seul moyen indirect est d'adhérer à l'un des partis membres. Je suis adhérent de l'ALDE, car le groupe qui me représente au sein de l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe est adhérent de l'ALDE. Il serait souhaitable de pouvoir adhérer directement à un parti européen, sans passer par une formation et des règlements nationaux.
Nous vivons dans l'illusion de la construction d'un débat public européen. Si nous voulions de vrais partis politiques européens, il serait nécessaire que les adhérents en fassent la publicité dans leur propagande électorale et s'engagent à présenter les grandes lignes du programme commun, transverse aux pays membres. À défaut, cela servira seulement à récupérer des sous pour les grands groupes.
M. Jean-Yves Leconte. - Cela dépend des partis : il est possible de devenir adhérent direct du parti socialiste européen (PSE).
Je vous remercie pour votre vigilance sur ce sujet très important et même majeur de la démocratie européenne. Cela renvoie aux travaux que nous menons actuellement avec Philippe Bonnecarrère dans la mission sur la judiciarisation de la vie politique, notamment sur la façon dont le droit européen peut impacter le droit national, sans que nous nous en rendions compte.
En 2019, le Conseil d'État, à la demande du Gouvernement, a rendu un avis autorisant les partis politiques européens à participer et à financer les campagnes pour les élections européennes en France. Nous avons construit un schéma de financement de la vie politique en France relativement cohérent et étanche : seuls des partis politiques et des personnes physiques - depuis 2017, soit de nationalité française, soit résidentes en France - peuvent apporter leur financement. Avec l'avis du Conseil d'État et le droit européen, les partis politiques européens peuvent participer au financement des élections européennes. Les partis politiques sont de grandes foires, car les montants de dons en cause sont bien plus importants, et des personnes morales peuvent également apporter leur financement. En définitive, le schéma étanche susmentionné explose dans le cadre des élections européennes. Compte tenu de la date de publication de l'avis du Conseil d'État, seulement quelques semaines avant les élections, cela n'a pas emporté de conséquences lors de la dernière échéance électorale concernée.
Vous avez eu raison de citer l'élargissement aux membres du Conseil de l'Europe car il est scandaleux. Il était déjà scandaleux que, pour les élections européennes, n'importe quelle personne morale - y compris un État membre - puisse parfaitement financer un parti politique.
Il me semble que les considérants comportent une erreur dans la définition des partis politiques européens. La condition de représentativité est alternative et non cumulative : soit la présence dans les parlements, soit l'obtention de suffrages. En outre, la référence réglementaire est inexacte : il ne s'agit pas du 114, mais du 1?141. Pour le reste, je partage parfaitement votre avis.
Je formulerais deux demandes. Premièrement, toute personne ayant le droit de voter dans son État membre devrait être autorisée à financer la campagne de l'élection à laquelle il participera dans le pays considéré. Aujourd'hui, des États membres de l'Union européenne interdisent le financement de campagnes électorales à des étrangers. Il en découle une situation où la personne peut voter, peut présenter sa candidature, mais ne peut pas financer personnellement la campagne en raison de sa nationalité étrangère. C'est pourquoi je suggère d'ajouter une ligne : tout ressortissant de l'Union européenne qui devient électeur doit pouvoir participer au financement des campagnes électorales, municipales et européennes, dans les mêmes conditions qu'un ressortissant du pays.
M. Jean-François Rapin, président. - C'est une question que nous pourrions effectivement intégrer à la PPRE. De fait, l'hypothèse des listes transnationales, même non intégrales, impliquera nécessairement des candidats étrangers. Dans l'hypothèse où l'option que proposait notre rapport était retenue, à savoir la proposition de bribes de listes transnationales avec des ressortissants de l'Union européenne résidant dans différents États tiers, ces derniers auront aussi la possibilité d'y financer la campagne électorale et le feront en pratique. Une participation financière des candidats est toujours demandée, dès lors qu'ils figurent sur la liste.
M. Jean-Yves Leconte. - Tel n'est pas le cas dans la situation actuelle. Dans certains États membres, un candidat ne peut pas financer sa propre campagne. Il est contraint de verser l'argent par un intermédiaire. Nous devons demander que toute personne disposant du droit de vote au titre de ressortissant de l'Union européenne puisse participer au financement des campagnes dans les mêmes conditions qu'un ressortissant du pays considéré.
M. Jean-François Rapin, président. - Ce serait en effet plus cohérent, dès lors que les ressortissants de l'Union européenne vivant dans un pays tiers de l'Union européenne peuvent se présenter aux élections municipales et européennes.
M. Jean-Yves Leconte. - Ensuite, je suis attaché à résoudre un problème récurrent lors des élections européennes : les échanges d'information ayant pour but d'empêcher les doubles votes sont inopérants, en raison des changements de noms et des différences d'états civils d'un pays à l'autre. En outre, des erreurs apparaissent concernant la nature des élections : les listes envoyées ne sont pas toujours celles demandées. Prenons l'exemple d'une personne qui vote aux élections européennes en République tchèque avant le scrutin français. Les autorités tchèques transmettront la prise en compte de son vote aux autorités françaises et le consulat la retirera de la liste alors que cette personne n'a en fait pas voté sur les listes tchèques.
Je suggère de modifier ainsi l'article 13 de la proposition de directive relative aux élections européennes : « Lorsqu'un État membre d'origine prend, en conformité avec la législation nationale, les mesures appropriées afin d'éviter le double vote et la double candidature de certains de ses ressortissants », il conviendrait de demander une notification systématique à la personne concernée et un signalement des voies de recours dans la législation nationale. La possibilité de recours pourrait s'appuyer sur la constatation que la personne ne figure plus par erreur sur une liste électorale le jour même de l'élection ou sur la constatation de l'absence de vote de sa part, en vue d'être rétablie dans ses droits. Ce point réclame une grande vigilance, car des personnes souhaitant voter sont privées de l'exercice de ce droit dans le cadre d'élections européennes.
Je vous demande donc d'ajouter ces deux points dans la résolution européenne, même si je crois qu'au moins une des propositions de directive n'était pas intégrée dans la PPRE.
Nous avions déjà évoqué le sujet dans les travaux que j'avais menés avec Fabienne Keller. Voter deux fois aux élections européennes dans deux pays différents constitue un délit pour lequel le Code électoral prévoit deux ans d'emprisonnement et 13 000 euros d'amende.
M. Jean-François Rapin, président. - Nous pourrions en effet présenter une rédaction complémentaire à cet effet.
M. André Gattolin. - Pour ma part, je suis favorable à remplacer la référence au « Conseil de l'Europe » par un renvoi aux « pays membres de l'Union européenne », en ouvrant aux pays en procédure avancée d'adhésion. Nous avions eu le problème avec la Croatie.
M. Jean-Yves Leconte. - La décision du Conseil d'État répondant à une question du Gouvernement sur la capacité des partis politiques européens à financer les campagnes constitue une vraie brèche par rapport au système étanche que nous tentons de construire. Cela est déjà problématique. Compte tenu de l'avis du Conseil d'État, nous serions même en droit de soulever la question de la subsidiarité sur le financement des partis politiques européens. Je serais plus radical que vous, car cela pose une vraie difficulté quand le financement provient de personnes morales.
M. Jean-François Rapin, président. - Cela nécessite un changement de l'état du droit électoral européen. Nous ferions en quelque sorte une ingérence inversée.
M. André Gattolin. - Dans d'autres pays européens, le financement des partis politiques par les personnes morales n'est absolument pas interdit, au contraire de la France. Nous ne pouvons pas imposer le droit français à l'échelle européenne.
M. Jean-François Rapin, président. -- Cela fait partie des éléments qui seraient problématiques dans l'hypothèse de listes transnationales globales.
M. André Gattolin. - Pour autant, cela ne nous empêche pas de mentionner que nous préférerions une application à l'échelle européenne de normes calquées sur celles de la France, au détriment de celles aujourd'hui en vigueur.
M. Jean-François Rapin, président. -- Comme Jean-Yves Leconte et Didier Marie, je serais prêt à aller plus loin, et à renforcer le dispositif, sachant que les personnes morales peuvent financer un parti selon le droit électoral européen, à hauteur de 18 000 euros, mais pas d'après le droit français.
Mme Laurence Harribey, rapporteure. - Il s'agit d'une forme d'alerte, qu'il me semble important de formuler.
M. André Gattolin. - Au Royaume-Uni, sorti de l'Union européenne, une polémique est née sur le financement du parti conservateur par des entreprises et des oligarques russes. Nous pouvons de même nous poser la question au sujet des personnes morales intervenant en Allemagne dans le financement de la vie politique.
M. Jean-François Rapin, président. - Donnons-nous quelques minutes, car il convient vraisemblablement de rédiger un alinéa complémentaire, dans la mesure où notre ajout se situe hors du champ des propositions de directive. Le débat est intéressant et j'ajoute que le sujet est en arrière-plan des discussions sur la Conférence sur l'avenir de l'Europe qui se tient en ce moment.
M. André Gattolin. - A-t-on regardé l'articulation opérée entre fondation politique européenne et parti politique européen?? En France, nous suivons des règles très strictes, avec deux comptes séparés et des modes de financement distincts. Les fondations ne participent en aucune manière aux campagnes, elles sont détachées du parti politique ou du courant auxquelles elles font référence.
J'ai le souvenir que le parti Veritas n'avait pas été créé avec une partie de la droite pour développer des idées, mais majoritairement pour nourrir une structure un peu hétérogène de partis nationalistes. Je crois utile d'apporter des précisions, car les fondations européennes ont vocation à animer les idées politiques hors élection, mais pas à devenir un instrument de campagne au moment des élections européennes.
Il serait intéressant d'auditionner dans cette commission les responsables principaux des familles politiques européennes ou des fondations. Ils sont presque tous basés en Belgique.
M. Jean-François Rapin, président. - Sur la proposition de M. Jean-Yves Leconte, je vous propose d'ajouter à la PPRE l'alinéa suivant : « Tout citoyen de l'Union européenne qui est inscrit sur les listes électorales de son État membre de résidence pour les élections européennes ou municipales, doit pouvoir participer au financement de la campagne électorale d'un candidat à ces élections dans les mêmes conditions qu'un ressortissant de cet État membre ».
Et en réponse à ses remarques sur l'article 13 de la proposition de directive : « En cas de décision favorable de l'État membre de résidence d'un citoyen de l'Union à sa demande d'inscription sur la liste électorale pour voter aux élections européennes au titre de l'article 11 de la directive 93/109/CE, l'État d'origine informe son ressortissant des mesures appropriées qu'il prend en conséquence et des voies de recours possibles ».
M. André Gattolin. - Je trouve que nous nous situons trop en réaction aux textes sans avoir préalablement une philosophie, ce qui n'aide pas le Gouvernement et la position française. Le ministère que j'ai contacté semble débordé sur le sujet. Il n'a pas de philosophie et cela représente un réel problème.
Comme nous travaillons de façon multipartite et en bonne entente, il conviendrait de nous demander de quelle nature est la problématique posée et à quoi elle pourrait servir, alors que nous en sommes réduits à discuter de la subsidiarité ou à adopter des avis politiques tardivement. Heureusement que nous avions élaboré un rapport d'information sous la houlette de Simon Sutour, sur les actes délégués, par exemple...
M. Jean-Yves Leconte. - Nous avions déjà effectué ce travail sur les partis politiques européens avec Fabienne Keller quatre ans auparavant.
M. Jean-François Rapin, président. - Sur la recommandation de Didier Marie, nous pourrions également ajouter un alinéa, après les considérants, «?[...] s'interroge sur l'opportunité de maintenir la possibilité pour les partis politiques européens d'être financés par des personnes morales, au regard de l'objectif poursuivi de préserver l'intégrité des élections contre toute tentative de manipulations de ces dernières».
La commission des affaires européennes adopte la proposition de résolution européenne, disponible en ligne sur le site du Sénat, ainsi que l'avis politique qui en reprend les termes et qui sera adressé à la Commission européenne.
La réunion est close à 10 h 35.