- Mardi 8 février 2022
- Hommage à un commissaire décédé
- Mission d'information sur l'adéquation du passe vaccinal à l'évolution de l'épidémie de covid-19 - Audition de Mme Alice Desbiolles, médecin de santé publique
- Mission d'information sur le contrôle des Ehpad - Échange de vues, désignation des rapporteurs de la mission et demande d'octroi à la commission des affaires sociales des prérogatives attribuées aux commissions d'enquête
- Mercredi 9 février 2022
- Mission d'information sur l'adéquation du passe vaccinal à l'évolution de l'épidémie de covid-19 - Audition de M. Fabrice Lenglart, directeur, et de Mme Charlotte Geay, chef du lab innovation et évaluation en santé, de la Drees
- Mission d'information sur l'adéquation du passe vaccinal à l'évolution de l'épidémie de covid-19 - Audition de MM. Nicolas Berrod, journaliste, Germain Forestier, chercheur, et Guillaume Rozier, fondateur de CovidTracker
- Mission d'information sur l'adéquation du passe vaccinal à l'évolution de l'épidémie de covid-19 - Audition du Pr Alain Fischer, président du Conseil d'orientation de la stratégie vaccinale
- Pétition sur les effets secondaires des vaccins et la pharmacovigilance - Demande de saisine de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques
Mardi 8 février 2022
- Présidence de M. Alain Milon, vice-président -
La réunion est ouverte à 15 h 30.
Hommage à un commissaire décédé
M. Alain Milon, président. - Mes chers collègues, avant de commencer, je vous demande d'observer un instant de recueillement en hommage à Olivier Léonhardt, qui était membre de notre commission. (Mmes et MM. les commissaires observent quelques moments de silence.)
Mission d'information sur l'adéquation du passe vaccinal à l'évolution de l'épidémie de covid-19 - Audition de Mme Alice Desbiolles, médecin de santé publique
M. Alain Milon, président. - Dans le cadre de la mission d'information sur l'adéquation du passe vaccinal à l'évolution de l'épidémie de covid-19, nous entendons maintenant Mme Alice Desbiolles, médecin de santé publique, qui s'exprime ici en son nom personnel.
J'indique que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo qui sera retransmise en direct sur le site du Sénat et disponible en vidéo à la demande.
Je salue ceux de nos collègues qui participent à cette réunion à distance, dont la présidente, Catherine Deroche, que je remplace cet après-midi.
Je rappelle que l'objet de notre travail est de chercher à vérifier que le passe vaccinal, un instrument conçu dans un contexte donné - celui du variant Delta -, est toujours adapté quelques semaines plus tard, alors que nous avons en quelque sorte « changé d'épidémie », le tout dans un contexte d'incertitudes pour l'avenir que nous ne méconnaissons pas.
Entre les pro et les antivaccins, dans un contexte qui se prête à un certain manichéisme, il peut être difficile de faire entendre une voix singulière qui ne méconnaisse pas les apports de la vaccination tout en interrogeant l'outil spécifique qu'est le passe vaccinal.
Nous souhaiterions donc recueillir votre analyse sur ce que peut être l'apport du passe vaccinal dans le contexte actuel.
Je vous demanderai de commencer par un court propos liminaire, afin de laisser du temps aux échanges. Je demanderai à chacun d'être concis dans les questions et les réponses.
Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, vous demander de prêter serment.
Je rappelle que tout témoignage mensonger devant une commission d'enquête parlementaire est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Alice Desbiolles prête serment.
Mme Alice Desbiolles, médecin de santé publique. - Je suis médecin de santé publique et épidémiologiste. Je précise que je n'ai pas de conflits ou de liens d'intérêt à déclarer. Je m'exprime non pas au nom des institutions pour lesquelles je travaille ou collabore, mais en mon nom propre. Les éléments que je vais vous apporter résultent d'une réflexion pluridisciplinaire. Je remercie très chaleureusement les confrères et les consoeurs qui m'ont aidée à répondre aux questions qui m'ont été soumises, ainsi que les ingénieurs, les polytechniciens, les immunologistes et les épidémiologistes - la liste est non exhaustive - qui m'ont accompagnée dans ma réflexion.
Vous m'avez interrogée sur les indicateurs mobilisés durant cette crise et sur l'importance des modélisations. Au regard des mesures mises en place, qui ont un impact sur la santé dans toutes ses dimensions, il importe de mettre dans la balance, à la fois, des indicateurs spécifiques « covid » et des indicateurs « non-covid » relatifs à la santé physique, mentale et sociale, ainsi que, pour les enfants, des indicateurs pédagogiques.
Je me félicite que des données sanitaires quotidiennes aient été mises à disposition via l'open data depuis le début de l'épidémie, notamment grâce au travail de Santé publique France, de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) et de l'application TousAntiCovid. Des rapports hebdomadaires étaient également disponibles aux niveaux national et régional. Nous avons eu accès à des données de qualité.
Néanmoins, il faut noter un certain manque de transparence. Certaines données ne sont pas publiées alors qu'elles sont disponibles : je pense par exemple aux données de réanimation pour et avec covid, en particulier chez les enfants. Il en va de même des données sur les comorbidités rapportées par âge et par statut vaccinal et des données relatives aux patients intubés. Je souligne également la présence d'indicateurs erronés : d'après les données de Santé publique France, 30 % des hospitalisations covid sont en fait des hospitalisations avec covid et non pour covid, un taux qui peut grimper à près de 50 % pour la tranche d'âge 20-39 ans. Les données sont alors difficiles à interpréter de manière rigoureuse et pertinente.
Idem pour le niveau de tension en réanimation : l'indicateur qui est disponible sur TousAntiCovid n'a pas vraiment de sens puisqu'il rapporte le nombre de patients hospitalisés en réanimation, en soins critiques et en soins continus aux seuls lits de réanimation. Si l'on rapporte le nombre de patients de trois services au nombre de lits d'un seul service, l'indicateur n'a plus aucun sens et l'estimation est forcément surestimée.
Je précise que des écarts au protocole ont été notifiés dans le dernier bulletin publié par Santé publique France. Des classes d'âge ont été regroupées en un groupe 15 à 64 ans pour les données en réanimation, alors qu'elles étaient auparavant présentées en deux classes - 15 à 44 ans et 45 à 64 ans -, ce qui est problématique : le risque de terminer en réanimation pour covid grave n'est pas le même selon l'âge. Le surpoids, une comorbidité importante responsable à elle seule, d'après un bulletin épidémiologique de Santé publique France, de 15 % de la mortalité en 2020, a disparu de ce dernier point épidémiologique : ce facteur a été très probablement intégré dans la ligne « patients sans comorbidités », ce qui augmente artificiellement le poids de ces patients. C'est un biais majeur pour l'interprétation des données.
Par ailleurs, aucune communication écrite n'est faite dans les points épidémiologiques de Santé publique France sur les causes des décès covid chez l'enfant : au vu de la sensibilité du sujet, il serait pertinent de pouvoir évaluer de manière claire cet indicateur. Nous n'avons pas de communication sur le nombre d'enfants en réanimation pour ou avec covid, et pas de résultat de la Drees sur l'évaluation vaccinale pour la tranche d'âge 11-18 ans.
Je constate aussi que les données sont présentées de façon de plus en plus partiale, ce qui ne respecte pas la neutralité et l'objectivité qui devraient pourtant être de mise dans ce domaine. Ainsi, le dernier bulletin épidémiologique de Santé publique France conclut que la part des patients ne présentant pas de comorbidités a augmenté. C'est une façon quelque peu orientée de présenter les choses : il aurait fallu préciser sur le fait que plus de 80 % des patients en réanimation ont, d'après leurs données, au moins une comorbidité.
Je note également un recours quasi systématique aux modélisations pour justifier des décisions avant leur mise en oeuvre ou a posteriori pour arguer de l'efficacité de ces décisions. Les modélisations présentent un niveau de preuve extrêmement faible, insuffisant au regard des enjeux sanitaires qui en découlent. Le même argumentaire pourrait s'appliquer au passe.
Toujours sur les modélisations, aucune évaluation de leur pertinence et de leur conformité à la réalité n'a été réalisée. Des travaux menés par des ingénieurs de Polytechnique, dont je reparlerai, montrent un décalage très important entre la réalité et ce qui avait été prévu par les modélisations, ce qui pose question.
Mme Chantal Deseyne, rapporteur. - Je vous remercie pour votre langage très direct. Je voudrais revenir sur certains points.
Nous avons mené jusqu'à présent un certain nombre d'auditions d'acteurs institutionnels : elles ne nous ont pas vraiment éclairés les déterminants précis de la décision de transformer le passe sanitaire en passe vaccinal. D'après vous, quelles données permettaient de soutenir l'introduction du passe vaccinal en décembre dernier ?
Selon moi, le passe sanitaire, comme le passe vaccinal, vise à éviter la question de la vaccination obligatoire et à inciter les personnes à se faire vacciner. Peut-on isoler l'impact du passe vaccinal sur la vaccination et sur la maîtrise de l'épidémie ?
Le passe vaccinal a été instauré en décembre dernier, en pleine vague Delta. Il s'est confirmé depuis qu'Omicron est plus contagieux, mais bien moins virulent que Delta. On parle aujourd'hui d'un sous-variant d'Omicron. Le passe vaccinal est-il toujours pertinent sur un plan sanitaire ?
Mme Alice Desbiolles. - Vous me posez la question du rationnel scientifique : existe-t-il des données probantes sur l'efficacité du passe vaccinal ? On peut commencer par s'interroger sur le passe sanitaire : à ma connaissance, aucune étude de bonne qualité, dotée d'un fort niveau de preuve, ne démontre une quelconque efficacité.
La mise en oeuvre de ce passe s'est appuyée sur des modélisations. Dans un avis du 6 juillet 2021, le Conseil scientifique indique que ces modélisations « sont faites avec l'hypothèse que les vaccins réduisent le risque d'hospitalisation de 95 %, le risque d'infection de 80 % et le risque de transmission en cas d'infection de 50 % ». Il faut préciser que le critère de jugement principal dans les essais cliniques randomisés de Pfizer était le nombre d'infections symptomatiques confirmées par un test PCR positif, et non l'effet du vaccin sur la prévention des formes graves et sur la diminution du risque d'hospitalisation ou de décès. Ces données ne sont d'ailleurs toujours pas disponibles.
Les données observationnelles en vie réelle confirment un impact positif de la vaccination sur la prévention des formes graves et de la mortalité chez les personnes à risque. C'est un élément très important, mais les données de vie réelle émanant des études observationnelles américaines produites à la même époque sur Delta sont complètement discordantes avec cette observation. Une étude par appariement de la Mayo Clinic montrait une efficacité vaccinale de 42 % pour Pfizer sur les infections, qui était le critère de jugement principal de l'essai clinique randomisé en juillet 2020, alors même que Delta n'avait pas encore complètement remplacé les souches précédentes. Selon un rapport des Centers for Disease Control and Prevention (CDC), les charges virales étaient équivalentes chez les personnes en situation d'échec vaccinal avec Delta et chez les non-vaccinés.
Les modélisations sont susceptibles d'avoir de nombreux biais. Il n'existe donc pas de données probantes permettant de montrer l'efficacité du passe vaccinal pour sécuriser des lieux, voire les sanctuariser, un des principaux arguments avancés pour mettre en place cette mesure si ma mémoire est bonne.
L'impact positif du vaccin sur la diminution de la contamination et de la propagation ne faisait pas partie des critères de jugement principaux des essais cliniques randomisés de Pfizer. On a bien vu d'ailleurs l'échec de ces dispositifs, avec de nombreuses contaminations dans les lieux soumis au passe : l'étude ComCor de l'Institut Pasteur, menée sur la période du 23 mai au 13 août 2021, évaluait le taux de contamination dans les bars à plus de 90 % et à 240 % dans les boîtes de nuit.
Un autre argument avancé en faveur du passe sanitaire était qu'il permettait d'inciter à la vaccination : effectivement, on a noté une augmentation de la couverture vaccinale. Mais l'important est tout de même la prévention des formes graves ou létales de covid-19, notamment chez les personnes à risque. Or ce fut malheureusement un échec chez les populations les plus vulnérables. La France présente l'une des couvertures vaccinales les plus basses d'Europe de l'Ouest chez les plus de 80 ans. Des pays comme l'Irlande qui n'ont pas mis en place de passe sanitaire ou vaccinal présentent 100 % de couverture vaccinale chez les plus de 70 ans. La Finlande présente une couverture vaccinale de 94 % chez les plus de 80 ans, et au Portugal 100 % des personnes âgées étaient vaccinées avant même la mise en place d'un passe. Il en va de même pour le Danemark, avec un taux de 100 % chez les plus de 80 ans. Ces données proviennent de l'European Center for Disease Prevention and Control (ECDC).
L'intérêt majeur est d'augmenter la couverture vaccinale chez les personnes à risque, celles qui présentent des comorbidités, notamment le surpoids et l'obésité, ou qui sont âgées : de ce point de vue, les mesures n'ont pas atteint l'effet escompté. Si la vaccination présente un bon bénéfice individuel pour les personnes à risque, on peut se demander quel est le bénéfice collectif sur la dynamique infectieuse.
Un autre argument en faveur du passe était qu'il allait permettre de réduire la saturation des hôpitaux. D'après un rapport interne de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) qui a été publié, les déprogrammations ne s'expliquent pas par la prise en charge des patients non vaccinés : la plupart sont liées à des vacances de poste au bloc opératoire, notamment en raison du départ d'un grand nombre d'infirmières.
Une étude publiée par le Conseil d'analyse économique évalue à 4 000 le nombre de morts qui auraient été évités grâce au passe. Je préciser que certains auteurs de cette étude sont juge et partie, puisque l'un d'entre eux en particulier est membre du Conseil scientifique. Je ne remets pas du tout en cause l'expertise, je dis simplement que ces résultats doivent être interprétés avec précaution au regard de l'absence d'indépendance de certains auteurs.
Ensuite, c'est non pas le passe qui évite les décès, mais la vaccination. Le passe ne peut pas être évalué par comparaison avec une absence totale de mesures, comme le font souvent les études. Une myriade d'interventions sont envisageables : cibler la vaccination sur les plus fragiles, aller vers, se déplacer en zone rurale chez les personnes âgées et les personnes moins connectées. La mise en place du passe vaccinal a conduit à environ 800 000 primo-injections, mais elles n'ont pas concerné les personnes les plus fragiles. Inciter les plus jeunes, qui ne sont pas les plus à risque de forme grave ou létale de covid-19, à se faire vacciner peut même s'avérer contre-productif en termes de disponibilité et d'accès aux doses pour les personnes qui en auraient vraiment besoin. Tout le monde ne peut pas se connecter facilement à des plateformes en ligne. Cette situation dénote en quelque sorte un échec de la politique du « aller vers » et la nécessité d'une approche plus proportionnée de la vaccination, tournée vers les personnes les plus à risque.
Le niveau de preuve de l'utilité de la mise en oeuvre du passe en population générale est insuffisant. Cette mesure peut produire des dommages collatéraux, comme le pointait l'Organisation mondiale de la santé (OMS) dans une note d'intention en avril 2021 : perte de confiance d'une partie de la population à l'égard des scientifiques et des politiques, risque d'abîmer le contrat social, risque de baisse de confiance dans toute intervention de santé publique, notamment dans les politiques de vaccination autres que contre la covid. L'hésitation vaccinale constitue pour l'OMS l'une des principales menaces pour la santé publique. Selon une étude de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) publiée dans Nature Medicine, le passe semble contribuer à augmenter l'hésitation vaccinale des personnes vaccinées, alors même qu'elles se seraient fait vacciner sans ce dispositif.
Je rappelle que le passe est demandé pour entrer à l'hôpital, dans les centres de protection maternelle et infantile (PMI) ou les plannings familiaux.
M. René-Paul Savary. - Le passe sanitaire !
Mme Émilienne Poumirol. - Même pas !
M. Alain Milon, président. - On ne demande rien à un patient. En revanche, le passe est demandé aux visiteurs.
Mme Cathy Apourceau-Poly. - La situation diffère selon les hôpitaux.
Mme Alice Desbiolles. - Personnellement, il ne m'était pas possible d'entrer ailleurs qu'aux urgences sans passe, et il s'agissait d'un hôpital public de l'AP-HP. En tant que médecin, cette situation m'a profondément choquée.
Mme Laurence Cohen. - À juste titre !
Mme Alice Desbiolles. - J'ai prêté serment aujourd'hui, et vous constaterez que je présente des données rigoureuses - je suis prête à répondre à la contradiction que vous pourriez m'apporter sur le fond -, mais j'ai aussi prêté serment auprès de mes pairs lorsque j'ai été admise dans le cercle des médecins. Et aux termes du serment d'Hippocrate, « je respecterai toutes les personnes, leur autonomie et leur volonté, sans aucune discrimination selon leur état ou leurs convictions. J'interviendrai pour les protéger si elles sont affaiblies, vulnérables ou menacées dans leur intégrité ou leur dignité. »
M. René-Paul Savary. - Pourrait-on déterminer des critères épidémiologiques pertinents pour évaluer l'efficacité du passe vaccinal et prendre la décision d'y mettre fin ? Les auditions que nous avons eues jusqu'à présent ne nous ont pas permis de définir des critères solides pour estimer à un certain moment que les conditions sont réunies pour arrêter le passe vaccinal.
Le professeur François Alla a publié une tribune le 24 janvier dernier dans Le Quotidien du Médecin.
Mme Alice Desbiolles. - Il m'a aidé à préparer cette audition, et je l'en remercie chaleureusement.
M. René-Paul Savary. - Il estime que l'aide à la décision des experts et agences comme Santé publique France s'est transformée en service après-vente des décisions déjà prises. Partagez-vous ce constat ?
Plus généralement, comment voyez-vous le rôle joué par ces agences, notamment en termes de qualité des données récoltées, de mode de présentation de ces données et du niveau de transparence assuré auprès du grand public ?
Mme Alice Desbiolles. - L'enjeu du passe est, je le répète, non pas l'efficacité vaccinale mais la saturation des hôpitaux. Le passe repose sur un outil, la vaccination, dont les effets sur la diminution de la transmission et de la contamination ne sont pas avérés dans les essais cliniques randomisés. Empiriquement, on peut tous constater que le vaccin et l'immunité naturelle ne bloquent pas la transmission et la contamination : on peut se faire recontaminer et on peut contaminer.
L'objectif était de sanctuariser des lieux, d'inciter à la vaccination et de réduire la saturation des hôpitaux.
S'agissant de la couverture vaccinale des personnes les plus à risque, elle ne dépend pas du passe : des pays qui n'ont pas mis en place de passe ont tout de même atteint 100 % de couverture vaccinale de ce public et d'autres sont parvenus à ce taux avant d'instaurer un passe.
S'agissant de la saturation des hôpitaux, elle ne dépend pas du nombre de patients covid hospitalisés : le vrai problème, c'est la fuite du personnel et les lits qui ne peuvent pas être ouverts du fait de ce manque de personnel.
S'agissant de la sécurisation des lieux, on peut tous expérimenter empiriquement que, vacciné ou pas, il est possible de transmettre le virus ou d'être contaminé dans les endroits en question. Il est très difficile de fixer des indicateurs pour un dispositif dont chacun peut constater la vacuité. Cela ne signifie pas qu'il ne faut rien faire ; au contraire, il faut déployer des actions très fortes de promotion de la vaccination dans le respect du consentement des individus, en orientant celle-ci sur les personnes les plus à risque. Pour cela, nous avons besoin des données sur les comorbidités, distribuées par tranches d'âge, notamment en réanimation, pour cibler les personnes qui se retrouvent en réanimation.
Il m'est donc difficile de vous proposer des critères d'évaluation d'un dispositif qui, de toute façon, repose sur un outil dont l'effet sur la réduction de la transmission et de la contagiosité n'a pas été évalué. Le dispositif est à la base biaisé.
La question du recours à l'expertise scientifique pendant la crise est très importante. Richard Horton, le rédacteur en chef du Lancet, une très grande revue médicale, a publié un éditorial en septembre 2020 dans lequel il déplorait que la « science » qui a guidé les gouvernements depuis le début de l'épidémie n'ait été incarnée que par des modélisateurs d'épidémies et des infectiologues. La pluridisciplinarité n'a pas été prise en compte, notamment dans le Conseil scientifique. Alors qu'il existe des agences indépendantes dont les missions sont régies par le code de la santé publique - je pense à Santé publique France, qui avait géré la crise précédente de la grippe, à la Haute Autorité de santé (HAS) et au Haut Conseil de la santé publique (HCSP) -, c'est une structure créée ad hoc, le Conseil scientifique, qui a émergé. J'ai le plus grand respect pour ses membres, mais cette instance a « shunté » toutes les autres.
Un article très intéressant rédigé par des membres du Haut Conseil de la santé publique publié dans La Santé en action en juin 2021, intitulé « L'expertise sanitaire en temps de crise », pointe que le choix des membres du Conseil scientifique s'est fait par cooptation, ce qui induit un risque de collusion entre experts et de promotion d'une seule orientation. Normalement, l'expertise doit se faire de façon pluridisciplinaire, et le choix des experts retenus doit être beaucoup plus large. Cet article précise qu'il n'y a pas eu de validation externe et indépendante des avis produits par le Conseil scientifique, c'est-à-dire de regard par les pairs et de discussions potentiellement contradictoires. Or du dissensus résulte le consensus. La confrontation de points de vue potentiellement contradictoires doit conduire au point de vue le plus nuancé et le plus efficace.
Non seulement ce débat scientifique contradictoire, qui est habituellement organisé par les institutions, n'a pas eu lieu, mais il n'est même pas accepté. Un avis du Conseil scientifique du 19 janvier 2022 précise, dans sa partie sur l'amélioration de la communication et de l'information que « ni l'impératif de liberté d'expression et de démocratie, ni les principes de controverses scientifiques ne sont facilement compatibles avec la médiatisation d'opinions non documentées formulées par des personnes se prévalant d'une légitimité scientifique auprès du public ». François Alla dénonçait le rôle de service après-vente des agences sanitaires qui ne servaient qu'à enregistrer des décisions déjà prises par l'exécutif. Chacun en pensera ce qu'il voudra.
Deux chercheurs ont fait un travail d'évaluation des modélisations qui ont justifié des mesures draconiennes, non fondées sur les preuves, qui ont eu des dommages collatéraux majeurs. Ils indiquent qu'il n'existe pas d'évaluation rétrospective publique des modélisations utilisées en France, alors que l'évaluation fait normalement partie intégrante des bonnes pratiques de la modélisation mathématique. Le travail d'évaluation des modélisations et des scénarios de l'Institut Pasteur, de l'Inserm et de l'Imperial College qu'ils ont conduit aurait été attendu des institutions. Je rappelle que les modélisations de l'Imperial College ont servi de base aux décisions de confinement de la France et d'une bonne partie du monde.
Ces chercheurs ont pris l'exemple de la Suède, le seul pays qui a pris des mesures mais n'a pas confiné sa population pendant la première vague - car il y a tout un continuum d'interventions entre ne rien faire et confiner une population. D'après les modélisations de l'Imperial College, si ce pays ne prenait aucune mesure durant la première vague, 90 000 décès étaient attendus : la réalité est toute autre, car il y a eu moins de 10 000 décès durant la première vague.
Il est donc important de réaliser toujours une évaluation a posteriori. Sur les onze modélisations qu'ils ont testées, il n'y a eu que deux cas de figure dans lesquels la situation réelle était comprise entre les valeurs des différents scénarios ; dans les neuf autres cas, la réalité se situait en dehors de ces valeurs et, dans huit cas sur neuf, il y avait même une surestimation de la réalité. Un biais en faveur d'une surestimation semble donc présent : les scénarios médians, qui étaient souvent utilisés comme les plus probables, surestimaient la réalité dix fois sur onze.
La modélisation épidémiologique est extrêmement difficile : une bonne anticipation de la réalité est l'exception et l'erreur est la norme. Au regard de la rétrospective qu'ils ont publiée, on peut conclure que les modélisations n'apportent pas un niveau de preuve suffisant pour supporter la mise en place d'interventions de santé publique à fort impact. Le biais en faveur d'une surestimation peut favoriser l'adoption de mesures plus restrictives que nécessaire. Je précise que les modélisations en Suède prévoyaient un nombre de décès cinq à six fois plus élevé que la réalité et que seul un confinement strict permettrait d'empêcher une saturation majeure de l'hôpital, qui n'a pas du tout eu lieu.
M. Alain Milon, président. - Je précise qu'en Suède, il y a 10 millions d'habitants, pour une densité de population de 19 habitants au kilomètre carré.
Mme Alice Desbiolles. - Ces informations sont prises en compte dans la modélisation de l'Imperial College : M. Neil Ferguson s'appuie sur des données disponibles par pays. Il s'agit de comparer non pas la France et la Suède, mais la Suède à elle-même, et de rapporter les modélisations de l'Imperial College concernant la Suède avec la situation réelle de l'épidémie dans ce pays, où la densité de population est bien évidemment moindre qu'en France, dans certaines zones.
Mme Victoire Jasmin. - Quelle est la position de Santé publique France par rapport aux recommandations du Conseil de défense sanitaire ?
Lors d'une audition, le professeur Delfraissy a dit qu'il fallait mettre en place le passe sanitaire pour « booster » la vaccination. Récemment, dans un média, il a avancé qu'il ne s'agissait pas tout à fait d'un vaccin, mais en quelque sorte d'un traitement. Pouvez-vous nous éclairer : est-ce un simple problème sémantique, ou y a-t-il une incohérence ?
Mme Alice Desbiolles. - En ce qui concerne le positionnement de Santé publique France, mieux vaut leur demander leur avis. Je ne peux pas m'exprimer en leur nom.
Vous soulignez cependant un point important. Santé publique France a présenté des données de bonne qualité, mais les écarts au protocole que l'on constate dans le dernier bulletin de Santé publique France sont profondément regrettables pour la confiance, ce que je déplore profondément. Avant ces écarts majeurs, qui biaisent la présentation et l'interprétation des données, les données présentées étaient claires, et l'outil Géodes notamment était pertinent. Le suivi épidémiologique des maladies, et non exclusivement de la covid, est une de leurs missions.
Concernant votre deuxième question, Camus disait que mal nommer un objet, c'est ajouter au malheur de ce monde. Je ne me permettrais pas d'interpréter ce que M. Delfraissy, pour qui j'ai un grand respect, a voulu dire.
Si l'on attend généralement d'un vaccin qu'il empêche l'infection, réduise la contagiosité et bloque la transmission, ces éléments, comme je l'ai dit tout à l'heure, ne correspondent pas aux critères principaux retenus dans les essais cliniques randomisés. Cela ne semble être le cas ni de ce vaccin ni de l'immunité naturelle, qui protègent visiblement des formes graves au moyen d'une immunité profonde, mais ne protègent pas de l'infection et de la transmission.
Pour arguer de l'immunité collective et de « l'effet troupeau », on attend d'une couverture vaccinale très forte qu'elle limite, bloque ou interrompe la transmission d'un agent infectieux. Par exemple, pour bloquer la transmission de la rougeole, il faut une couverture vaccinale d'au moins 95 % dans l'ensemble de la population.
Nous en sommes à plus de 80 % de la population française adulte vaccinée. Mais le virus va probablement continuer à circuler et atteindre l'endémicité, si ce n'est pas déjà le cas, notamment du fait de réservoirs animaux très importants. Que le virus devienne endémique ne signifie pas qu'il ne faut plus rien faire : il faut cibler la protection sur les personnes à risque consentantes.
C'est peut-être cette contagiosité du virus malgré la vaccination qui a poussé M. Delfraissy à dire que ce vaccin n'était pas un vaccin au sens classique du terme, mais davantage un traitement. À mon sens, il reste tout de même un vaccin, dans la mesure où il est inoculé à des personnes saines pour préparer la réponse du système immunitaire, et qu'au regard des données observationnelles en vie réelle disponibles aujourd'hui, il réduit le risque de formes graves ou létales dans les populations à risque.
Mme Laurence Cohen. - Merci pour ces explications très claires, notamment concernant la place des experts dans cette crise. Ce qui me trouble, c'est que lorsque le Gouvernement instaure le passe vaccinal à la place du passe sanitaire, il ne s'appuie sur aucun bilan. C'est une habitude de ce gouvernement : il élargit l'expérience sans s'appuyer sur des données scientifiques, ce qui sème le doute dans la population, car cela amène des informations contradictoires.
Aujourd'hui, il semble que les écoles sont particulièrement atteintes par la circulation du virus. Des positions contradictoires s'opposent, entre ceux qui disent qu'il faut étendre l'obligation vaccinale aux enfants et ceux qui rejettent un tel élargissement.
Concernant les politiques d'aller vers, je suis très frappée par votre comparaison des taux de vaccination des plus de 80 ans dans différents pays - certains atteignent même le taux de 100 %. Dans nos territoires, de nombreuses personnes nous interpellent : alors qu'elles souhaitent se faire vacciner, elles sont isolées et n'ont pas accès au vaccin, car, par exemple, elles n'ont plus de médecin traitant. Qu'en pensez-vous ?
Ce virus continue à se propager, mais nous ne disposons pas de vraie politique vaccinale mondiale, et les inégalités dans l'accès aux vaccins sont frappantes. Notre groupe demande la levée des brevets, car tant que la population mondiale ne sera pas vaccinée, il nous semble qu'on ne pourra pas protéger la population à l'échelle mondiale. On a déjà vu cela dans le cas d'autres maladies : il a fallu que la majorité de la population mondiale soit vaccinée pour que la poliomyélite disparaisse. Qu'en pensez-vous ?
Mme Alice Desbiolles. - Je suis attachée à l'evidence-based medecine, à la médecine fondée sur des preuves ; je suis très attachée à ce que les politiques de santé publique soient fondées sur les données « probantes », et à la rigueur méthodologique et scientifique.
Dès lors que les mesures concernent toute la population, y compris des personnes très fragiles comme les enfants, le niveau de preuve doit être extrêmement rigoureux, et la balance bénéfice-risque doit indiscutablement pencher en faveur de l'intervention. Pour la plupart des décisions qui ont été prises, cela n'était pas le cas. Je pense aux confinements, aux fermetures d'écoles, aux passes : toutes ces interventions n'étaient pas fondées sur des preuves. Une étude de l'université Johns Hopkins montre que, dans 53 pays, il n'y a pas de corrélation qui justifie une potentielle efficacité des mesures de confinement.
Concernant la vaccination, actuellement, le niveau de preuve - sur lequel je me fonde, et sur lequel les agences de santé publique doivent normalement se fonder - est suffisant pour proposer la vaccination aux populations bien identifiées qui présentent des risques de formes graves de covid, afin de leur assurer une protection individuelle. Il faut néanmoins une réévaluation régulière, compte tenu de la très grande rapidité de l'évolution virale.
Le niveau de preuve est suffisant pour conclure à l'acquisition d'une protection durable et forte contre les formes sévères de la covid à la suite d'une infection naturelle, quel que soit le statut vaccinal.
Et le niveau de preuve est clairement insuffisant pour arguer d'un bénéfice collectif de la vaccination de masse des individus à faible risque de formes graves de covid, d'autant plus dans le contexte d'un échappement potentiel d'Omicron vis-à-vis du vaccin.
Si l'on dit « les antibiotiques, c'est pas automatique », c'est parce que, d'après l'OMS, l'antibiorésistance constitue avec l'hésitation vaccinale l'une des principales menaces pour la santé publique au XXIe siècle. En matière d'antibiotiques, l'arsenal thérapeutique dont nous disposons est de plus en plus restreint, à la fois du fait d'une absence de recherche clinique sur ces médicaments et en raison de l'augmentation de la résistance de nombreux agents infectieux. Il y a là un péril pour les générations futures.
Pour la vaccination, le risque d'échappement doit être considéré. Je ne dis pas que c'est effectivement le cas, mais il y a un risque d'échappement immunitaire, du fait d'une pression de sélection sur les variants pouvant conduire à un échappement vaccinal. Une publication du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) montre que, pour limiter ce risque et économiser l'efficacité de l'outil vaccinal sur les personnes à risque, il convient d'en avoir, comme avec les antibiotiques, un usage mesuré, proportionné, fondé sur des preuves. Cela implique une vaccination prioritaire des personnes à risque que sont les personnes âgées et les personnes présentant des comorbidités, notamment le surpoids - je regrette que ce dernier facteur ait été retiré des données de Santé publique France - et l'obésité, si elles sont consentantes.
Concernant les écoles, la circulation virale dans les écoles n'est que le reflet de la circulation virale communautaire. Il est important de préciser que les enfants sont l'une des populations les moins à risque de formes graves ou létales de la maladie. Il est même peut-être contre-productif d'essayer à tout prix de les empêcher de se contaminer avec Omicron, alors que cette contamination est peut-être inévitable, d'où l'intérêt d'une vaccination des personnes à risque. On estime que 16 % des Français ont été en contact avec le SARS-CoV-2 depuis le 1er janvier dernier, soit un Français sur six.
Chercher à limiter à tout prix l'infection chez les enfants peut même se révéler contre-productif, puisque le risque de formes graves augmente avec l'âge. Je prends un exemple pour illustrer mon propos, même si les deux maladies n'ont rien à voir : mieux vaut attraper la varicelle enfant, car même si les symptômes sont très impressionnants, le risque de forme grave de varicelle augmente avec l'âge. Des personnes qui n'ont pas contracté la varicelle durant l'enfance ont un risque de pneumopathie varicelleuse accru à l'âge adulte. Il y a d'ailleurs un vaccin, mais ce dernier n'est pas recommandé, car on a constaté une augmentation du nombre de formes graves chez les adultes vaccinés - je précise que je connais ces questions, car j'ai un diplôme de vaccinologie.
Il faut réfléchir globalement sur les rapports entre bénéfice et risque, et faire très attention aux mesures prises concernant les enfants, en prenant en compte le fait que la santé physique et mentale des enfants est complètement dégradée. Il faut également voir que les inégalités sociales en matière de santé ont explosé. Il serait important que Santé publique France mette ces données à disposition ; celles qu'on arrive à recueillir à l'oral montrent que la plupart des enfants décédés avec le SARS-CoV-2 depuis le début de l'année souffraient de lourdes comorbidités et sont morts d'autre chose.
Il faut remettre les choses en perspective, pour que les mesures prises dans les écoles soient elles aussi fondées sur des preuves, au même titre que les protocoles sanitaires que l'on impose aux enfants. L'OMS ne recommande pas de faire des activités physiques avec un masque sur le visage, alors qu'on impose cela aux enfants, à l'encontre du bon sens et des données scientifiques. Le port du masque dans les écoles ne fait l'objet d'aucun rationnel scientifique ; aucun essai clinique de bonne qualité ne prouve un quelconque intérêt du port du masque chez les enfants - et je ne parle pas du port du masque en extérieur.
Vous posiez la question des personnes âgées en zone rurale, vers lesquelles il faudrait effectivement aller pour encourager la vaccination. La plupart des personnes non vaccinées sont hésitantes vis-à-vis de la vaccination ou n'ont pas accès aux soins, qu'il s'agisse de personnes âgées en zones rurales, de migrants ou de personnes en situation de précarité. On peut imaginer que le passe, nécessaire pour accéder à certains lieux de soins - telle est en tous cas mon expérience -, peut aussi représenter une barrière à l'accès aux soins et peut-être même à la vaccination. Il faudrait en tous cas évaluer ce point.
Concernant la vaccination dans le monde, il serait intéressant que, dans un souci d'efficacité de lutte contre cette pandémie, la plupart des pays vaccinent leur population à risque, plutôt que dans certains pays l'on vaccine des populations qui n'ont pas de risque de développer des formes graves, comme les enfants ou les adolescents, et dont les contingents lors des essais sont extrêmement faibles, ce qui pose par ailleurs un problème méthodologique.
Une seule maladie a été éradiquée par une couverture vaccinale très large : la variole. Dans certains pays où il était très compliqué de vacciner toute la population, notamment en Afrique, une méthode par cerclage avait été privilégiée : n'étaient vaccinées que les personnes qui avaient été en contact avec un cas de variole. Le virus de la variole a ainsi pu être éliminé.
La poliomyélite est une autre maladie en cours d'éradication, même si le virus circule encore, notamment dans les pays qui connaissent une grande instabilité géopolitique, comme la Syrie ou l'Afghanistan.
Mme Émilienne Poumirol. - Je suis très étonnée par votre intervention, qui remet en question beaucoup de choses que nous avons entendues lors de nos auditions. Nous serions partis sur de mauvaises bases.
Alors que le groupe socialiste défendait la vaccination obligatoire, avec l'idée qu'un taux de 95 % de la population vaccinée permettrait d'éradiquer le virus, nous constatons qu'avec Omicron, le vaccin n'a qu'une efficacité limitée au niveau de la contagiosité, et n'est intéressant que contre les formes graves.
Si tous les épidémiologistes que l'on entend à longueur de journée pouvaient arrêter de dire chacun sa vérité, cela nous permettrait de comprendre la situation !
Pour nous, le passage du passe sanitaire au passe vaccinal était une manière peu courageuse d'obliger à la vaccination. Mais pourquoi ne revient-on pas sur la politique de vaccination, en insistant sur la vaccination des personnes à risque de formes graves, plutôt que de continuer sur un discours vaccinal pour la totalité de la population, alors que vous nous dites que cela n'est pas fondé sur des preuves probantes, non seulement en France, mais dans le monde entier ?
Cela me perturbe beaucoup. Vous avez parlé des enfants. Mercredi dernier, nous avons entendu M. Fontanet nous dire qu'il faut vacciner les enfants de 5 à 11 ans. J'entends votre argument d'un potentiel échappement vaccinal similaire à la situation des antibiotiques, mais il disait encore hier soir à la télévision qu'il fallait vacciner les enfants.
Comment reprendre en main la situation, et évaluer de manière indépendante les travaux du Conseil scientifique et les décisions du Conseil de défense sanitaire, qui nous a imposé le confinement en 2020 ?
Comment remettre en piste la Haute Autorité de santé et Santé publique France, pour que ces institutions coordonnent leurs travaux, s'appuient sur des preuves, et que l'on fasse éventuellement un mea culpa ? Nous constatons le manque d'aller vers, le faible taux de vaccination des plus de 80 ans. Mais comment repenser la politique menée ?
Je vous crois lorsque vous nous dites que les modélisations se trompent presque toujours. Mais cela remet en question tout ce qu'on nous dit depuis deux ans. Mercredi dernier, nous auditionnions encore des membres de l'Institut Pasteur et de l'Inserm qui défendaient l'intérêt de ces modélisations.
Mme Alice Desbiolles. - Je comprends la difficulté que vous éprouvez. Il serait d'ailleurs intéressant de demander à ces instituts d'évaluer leurs modélisations.
Pour parler de preuve scientifique en médecine, selon le rapport « Niveaux de preuve et gradation des recommandations de bonnes pratiques » de la HAS de 2013, il faut des essais randomisés de forte puissance, des méta-analyses d'essais comparatifs randomisés, ou des analyses de décisions fondées sur des études très bien menées. Il n'est jamais question de modélisations, qui sont beaucoup trop sujettes aux biais. Les pourcentages contenus dans le modèle de M. Cauchemez pour justifier la mise en oeuvre du passe vaccinal auprès du Conseil scientifique, dont j'ai parlé plus tôt, se fondaient sur des indicateurs non évalués par les laboratoires eux-mêmes et étaient complètement déconnectés de la réalité.
Dans son avis du 23 décembre 2020 sur la stratégie de vaccination contre la covid, la HAS recommandait initialement de vacciner uniquement les personnes à risque de formes graves, pour lesquelles la balance bénéfice-risque individuelle est clairement établie. Il était question d'une vaccination non obligatoire ciblée sur les personnes à risque, exactement comme on le fait concernant la grippe.
Nous parlons de pandémie, mais Richard Horton, le rédacteur en chef du Lancet, propose de parler de syndémie, c'est-à-dire une interaction entre un agent infectieux et des vulnérabilités, dont notamment l'âge, les comorbidités, ou d'autres facteurs de risque comme le gradient social, la pauvreté et la précarité, qui affectent la dimension sociale de la santé de manière majeure. Quand les politiques publiques augmentent la pauvreté, par définition, la santé des populations est dégradée. La question avait initialement été tranchée de manière cohérente : il s'agissait de vacciner les personnes les plus à risque, puisque le risque n'est pas le même selon l'âge et l'état de santé initial. Plus qu'une pandémie infectieuse, nous avons affaire à une syndémie multifactorielle.
Vous avez parlé d'« éradication » du virus, ce qui évoque la stratégie du zéro covid, portée en particulier en Australie ou en Nouvelle-Zélande. Dans un article d'immunologie paru dans la revue Science de 2021, 90 % des immunologistes interrogés considèrent que le SARS-CoV-2 a une potentialité endémique majeure, du fait de réservoirs animaux de virus, tant chez des animaux domestiques que dans la faune sauvage, comme c'est d'ailleurs le cas concernant la plupart des pathologies émergentes.
L'éradication devient très compliquée du fait de la circulation du virus chez les non-humains ; il s'agit d'une zoonose, lors de laquelle un agent infectieux commun peut se transmettre de l'homme à l'animal, et inversement. Certains agents infectieux, comme la variole ou la poliomyélite, sont de bons candidats à l'éradication, car ils ne disposent pas de réservoirs animaux, et, car dans leurs cas les vaccins empêchent la circulation et la transmission. Ce n'est pas le cas du vaccin contre le SARS-CoV-2.
Le virus présente de très nombreux variants, et potentiellement, malheureusement, un échappement vaccinal - nous verrons ce point lorsque nous disposerons des données en vie réelle. Ces éléments font que le SARS-CoV-2 n'est pas un bon candidat à l'éradication. Tous les pays qui ont mis en place des politiques zéro covid draconiennes en sont globalement revenus, et ont acté l'échec de cette stratégie non fondée sur des preuves. Le fait d'enfermer des gens chez eux dans le cadre de mesures de confinement peut même s'avérer contre-productif, dans la mesure où ce virus se transmet notamment lors de contacts prolongés et rapprochés comme ceux qui ont lieu lors des repas familiaux, alors que la meilleure protection est la vaccination des personnes à risque, mais aussi la ventilation.
Je ne parle pas de la dégradation de l'état de santé consécutive à ces mesures, de l'augmentation de la sédentarité et du poids, qui est un facteur de risque majeur, de l'explosion des violences familiales, notamment des violences faites aux enfants. Des publications montrent une augmentation du nombre de bébés secoués lors des confinements. Des pédiatres disent dans des articles scientifiques que le domicile est plus à risque que la covid pour les enfants, du fait des accidents domestiques, des violences physiques, sexuelles, psychologiques.
Vous parliez d'obligation vaccinale, mais il faut bien voir que la médecine a normalement vocation à être suggestive et non pas normative. Le respect du consentement des individus est un des éléments majeurs de la médecine moderne et du droit de protection des patients, que l'on trouve dans la loi relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé de 2002, dite loi Kouchner. L'article 36 du code de déontologie médicale dispose que tout patient, après une information loyale, doit pouvoir donner son consentement libre et éclairé sur ce qu'il estime être sa balance bénéfice-risque individuelle.
Je pense que l'obligation vaccinale est dangereuse en matière tant d'adhésion à la vaccination que de santé publique. On retrouve une hésitation vaccinale après la mise en place du passe vaccinal, y compris chez des personnes déjà vaccinées. On risque d'abîmer la confiance entre le médecin et le malade, sans même parler de la confiance entre la population générale et les scientifiques ou de celle entre les citoyens et les politiques.
Nous nous inscrivons dans l'« ère des pandémies », selon la plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES). L'OMS alerte l'opinion sur le risque représenté par les agents infectieux. Il est plus qu'important d'adopter de manière rapide, à court, moyen et long terme, des politiques de santé publique qui aient du sens et qui n'abîment pas la confiance des populations.
Le SARS-CoV-2 n'est qu'un avant-goût d'autres pandémies. La liste Blueprint de l'OMS, diffusée depuis 2018 et contenant toutes les maladies à potentiel pandémique majeur, parle à côté de la covid, d'Ebola, de Marburg, d'une « maladie X », qui n'a pas encore émergé, mais qui aurait un profil pandémique majeur et qui présenterait un risque pour la santé des populations.
Il est important d'adopter une approche rationnelle et pragmatique dans la lutte contre les pandémies, à court, moyen et long termes, et cela ne peut se faire qu'en se fondant sur des preuves scientifiques et sur la confiance de la population.
Mme Frédérique Puissat. - Merci pour votre parole libre. Dans cette crise comme dans d'autres, la parole libre d'experts est essentielle.
Est-ce pour autant simple de porter une parole libre dans le cadre de cette crise sanitaire ? Si ce n'est pas le cas, aurions-nous pu faire quelque chose afin que les parlementaires et les citoyens soient mieux éclairés ?
Mme Alice Desbiolles. - Cette question est importante. Pour cette raison, j'ai précisé m'exprimer à titre personnel, sans conflits d'intérêts. M. François Alla a démissionné du Haut Conseil de la santé publique. Je cite ses propos, tenus dans un entretien dans Le Quotidien du Médecin : « On assiste aujourd'hui à un processus de décrédibilisation de toute voix discordante. C'est devenu très dur pour un expert de dire qu'il n'est pas tout à fait d'accord avec les politiques. Les gens sont tétanisés, ils ont peur de passer pour des antivax ou des complotistes. » Effectivement, il est difficile de tenir une parole libre sur ce sujet.
Ce que l'on aurait pu faire collectivement, c'est mobiliser le dispositif d'agences sanitaires supposées indépendantes qui existent déjà, et permettre la tenue d'un débat contradictoire scientifique - je vous remercie d'ailleurs d'offrir à cette parole de santé publique nuancée, pragmatique et fondée sur des preuves d'avoir pu être portée dans un cadre institutionnel au moins une fois. Ce débat contradictoire est nécessaire, car la communauté scientifique médicale de santé publique est extrêmement fragmentée sur la gestion de la crise. Je ne suis pas la seule experte de santé publique ou épidémiologiste professionnelle à porter cette voix. L'impression a été donnée qu'il n'y avait qu'une seule voix scientifique, homogène et consensuelle, face à la gestion de cette crise, et qu'on ne pouvait emprunter qu'une seule voie pour lutter contre la pandémie, alors que ce n'était pas le cas.
Les solutions providentielles qui nous ont été présentées, comme le confinement, les fermetures d'écoles ou le vaccin, n'avaient rien de providentiel. Il n'y a pas de sauveur providentiel, si ce n'est nous-mêmes. Nous devons nous reconnecter avec les principes fondamentaux de la médecine et de la santé publique que sont l'appui sur des preuves et le consentement des individus.
Il est important de ne pas gâcher les ressources. Si le vaccin est une ressource précieuse, au même titre que les antibiotiques, il ne faut pas non plus gâcher les ressources économiques : d'après le rapport de la Cour des comptes du 9 septembre 2021, qui porte sur « les dépenses publiques pendant la crise et le bilan opérationnel de leur utilisation », la somme des dépenses de la crise s'élève à 49,6 milliards d'euros. Le testing à l'aveugle en population générale représente 1,6 milliard d'euros pour le seul mois de janvier dernier.
Il me semble que la santé publique est un sujet sérieux et doit reposer sur des données probantes. La gestion des fonds publics est un sujet sérieux. Quand on voit que 1,6 milliard d'euros sont dépensés par mois pour des tests dont la plupart n'ont pas lieu d'être, je trouve cela douloureux, notamment au regard d'autres secteurs sinistrés, comme la pédopsychiatrie. On parle beaucoup de la saturation des services de réanimation, mais il y a des enfants dont la santé mentale est complètement ravagée du fait de cette gestion de crise, et qui sont renvoyés chez eux alors qu'ils présentent un risque suicidaire majeur. Dans les centres médicopsychologiques, il y a en moyenne entre 18 et 24 mois d'attente pour obtenir un rendez-vous.
Il faut regarder ce que, dans le secteur médico-économique, on appelle l'efficience. Le coût de l'action doit être favorable par rapport à son efficacité ; l'action, au regard de son prix, doit être bénéfique pour la santé. La dépense publique représentée par les tests est autant d'argent non investi de manière durable et plus efficiente. Il en va de même pour la vaccination, même si cette dernière a un sens pour certains publics. Le contrôle des passes coûte énormément d'argent : par exemple, ce sont environ 60 millions d'euros qui sont rajoutés dans le budget des hôpitaux.
On m'a toujours appris que lorsqu'on prend une décision de santé publique, il faut tenir compte de l'efficacité des mesures à partir de données probantes, mais aussi de l'efficience, qui permet de déterminer la légitimité d'une mesure au regard de son coût pour la solidarité nationale.
Les interrogations éthiques et démocratiques doivent aussi être prises en compte. Quand bien même un passe sanitaire ou vaccinal serait efficace, ce qui, en l'état actuel des connaissances, n'est pas le cas, devrait-il être mis en place au regard de ses implications éthiques et démocratiques ?
Il est très important d'avoir une approche globale, sanitaire, médico-économique, démocratique, éthique, déontologique, et de mettre tout cela dans la balance, ce qui, à mon sens, n'a pas du tout été fait.
M. Daniel Chasseing. - Je vous remercie d'avoir signalé les problèmes rencontrés par les services de pédopsychiatrie, et d'autres carences concernant le développement des enfants.
J'entends cependant difficilement que la vaccination n'est pas efficace. Tant sur le plan empirique qu'au regard des constats des experts, on peut remarquer une moindre contagiosité des personnes vaccinées et une efficacité de la vaccination, comme l'atteste notamment la diminution importante du nombre de décès en établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), qui ont pratiquement disparu lors de la dernière vague.
Nous avons donc eu raison de convaincre ces personnes d'effectuer leur troisième dose, de vacciner les soignants.
Mme Alice Desbiolles. - Je suis d'accord avec vous : la vaccination des personnes âgées, notamment dans les Ehpad, est fondamentale.
Mais il faut bien voir que malgré les mesures prises « au nom de nos aînés », de nombreuses personnes sont décédées dans les Ehpad non pas tant de la covid que du fait de l'abandon, de la dépression, du désespoir, de la dénutrition et de la déshydratation - j'ai été personnellement concernée.
Lors du premier confinement, comme leurs proches ne venaient plus, énormément de personnes âgées en Ehpad ont fait un syndrome de glissement, du fait de leur isolement.
Les deux extrêmes de la vie dans nos sociétés, les bébés, les jeunes enfants et les personnes âgées, ont été profondément malmenés. Je ne veux pas jeter la pierre, mais persister dans une erreur n'en fait pas une vérité, et il n'est jamais trop tard pour réajuster les décisions au regard des données probantes. Je suis entièrement d'accord avec vous concernant l'importance de la vaccination dans les Ehpad, car le bénéfice individuel de la vaccination pour les personnes âgées est indiscutable.
Mais, encore une fois, la santé de ces personnes ne se résume pas à la seule covid. La dépression et l'isolement des personnes âgées sont des sujets très importants, et il ne faut pas les négliger.
Dans cette crise, on parle beaucoup de fragilité. Mais la fragilité et la vulnérabilité, ce n'est pas que le grand âge et les comorbidités vis-à-vis de la covid ; cela concerne aussi des enfants avec des parents maltraitants, des personnes qui sont dans la précarité ou qui n'ont pas accès aux soins. Lorsque l'on fait de la santé publique, il faut regarder les choses dans leur globalité, et considérer la santé dans toutes ses dimensions. La covid n'a pas le monopole de la vulnérabilité.
Selon l'OMS, la santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne se résume pas à l'absence de maladie ou d'infirmités. On ne peut pas réduire la santé aux seuls indicateurs covid, ou à la seule absence de covid.
Mme Mélanie Vogel. - J'ai deux questions simples.
Vous dites qu'il faut prioriser la vaccination sur les publics à risque. Je comprends la logique s'il faut choisir entre les publics. Je n'ai pas bien compris dans votre raisonnement pourquoi il ne faudrait pas vacciner les personnes sans comorbidité. D'abord, on peut avoir des comorbidités qu'on ne connaît pas ; ensuite, on sait que certaines personnes qui ont été hospitalisées pour des formes graves de covid étaient jeunes, sans comorbidité connue. Si on a assez de vaccins pour tout le monde, je ne vois pas où est le problème.
Vous mettez l'accent sur le fait que la santé est un concept global, qu'il n'y a pas que le covid dans la vie et que les mesures mises en place pour lutter contre le covid peuvent présenter des risques. Pourquoi opposer ces différents objectifs ? On peut très bien avoir, à la fois, une politique de vaccination efficace et une politique de développement des services publics et de lutte contre la pauvreté et la violence.
Mme Alice Desbiolles. - Il me semble que plusieurs raisons justifient de ne pas vacciner tout le monde.
Il est important de se fonder sur l'evidence-based medecine. Le bénéfice de la vaccination sur les personnes à risque est indiscutable ; on ne peut pas en dire autant pour des publics plus jeunes. Le critère de jugement principal dans les essais chez les enfants et les adolescents était le même que chez les adultes : le vaccin est considéré comme efficace si vous ne développez pas de covid symptomatique, mais on ne prend pas spécifiquement en compte les formes graves ou les décès.
S'agissant des données disponibles, le suivi médian est environ de deux mois et les effectifs sont tout de même très faibles, ce qui ne permet pas d'être sûr de la sécurité du produit que vous allez inoculer à des personnes saines. Je dis non pas qu'il y a un risque, mais que l'on ne sait pas. D'ailleurs, le Comité consultatif national d'éthique, dans son dernier avis sur la vaccination des enfants en suivant l'avis de la HAS, a insisté sur l'incertitude en termes d'innocuité du vaccin covid chez les jeunes, qui ne sont pas à risque de forme grave ou létale de covid-19. En termes de bénéfice individuel, il reste à démontrer que la vaccination de ce public, au regard du recul très faible que nous avons sur ce produit, est favorable. La pharmacovigilance est là pour cela, mais elle prend du temps.
Dans sa note d'avril 2021 sur les caveat de la vaccination obligatoire, l'OMS avait insisté sur l'importance d'avoir davantage de recul sur l'innocuité du produit que vous mettez en place. Je ne veux pas semer le doute : je pense que le bénéfice individuel est favorable chez les personnes à risque, mais pour un public jeune cela reste à mon sens à démontrer.
On a abordé l'aspect médico-économique : j'ai du mal à comprendre, en termes de gestion des fonds publics, pourquoi une intervention coûteuse est proposée, alors qu'une évaluation est en cours. Le site clinicaltrials.gov regroupe tous les essais cliniques en cours : les analyses de données ont lieu jusqu'en 2026 pour la vaccination chez les enfants.
Avec un suivi médian de deux mois et des effectifs trop faibles pour mettre en lumière de potentiels effets indésirables, il me semble prématuré, vu les données dont on dispose actuellement, de proposer la vaccination aux enfants et aux adolescents.
M. René-Paul Savary. - Vous partez sur un constat différent, celui d'un vaccin-médicament réservé aux personnes malades ou destiné à éviter les formes graves chez les fragiles, parce qu'il n'a pas d'effet sur la transmission. Or on nous a cité des chiffres, fondés sur des études : on nous a dit que le vaccin était efficace à plus de 90 %, quand on a toutes les doses, sur les formes graves et « seulement » à 40 % sur les transmissions.
Contestez-vous ces études ? Si j'ai bien compris votre raisonnement, vous dites que le vaccin n'agit pas sur la transmission, c'est la raison pour laquelle, en toute logique, il faut le cibler sur les personnes à risque puisqu'il a un impact sur la gravité de la maladie.
Vous craignez l'échappement vaccinal si on vaccine largement la population. Des études ont-elles porté sur ce point ?
Mme Alice Desbiolles. - S'il n'est pas souhaitable de vacciner tout le monde, c'est justement aussi pour la pression de sélection sur les variants, ce qui conduit à un gaspillage de la ressource en termes d'efficacité sur les personnes à risque.
Un éditorial du New England Journal of Medicine rappelait qu'il n'y avait pas de mesure de l'efficacité sur la contagiosité dans les essais cliniques randomisés, qui sont des essais à fort niveau de preuve. Toutes les études ne se valent pas : il y a une gradation dans le niveau scientifique. Des études rétrospectives, avec des cas témoins, reposant sur des données déclaratives ne constituent pas un fort niveau de preuve. La mise en place d'une intervention aussi massive et coûteuse doit reposer sur des essais à fort niveau de preuve, comme les essais cliniques randomisés. L'effet du vaccin sur la contagiosité ne fait pas partie des critères : c'est écrit noir sur blanc dans les reports d'essais cliniques des firmes.
On peut toujours trouver des études pour justifier ce que l'on a envie de montrer. Je m'appuie sur les données des industriels qui sont ceux qui commercialisent le produit. Je le redis, le critère de jugement principal est l'infection symptomatique validée par PCR positive.
Sur l'évolution virale, les coronavirus mutent et se recombinent, notamment avec des virus proches, dans de vastes réservoirs animaux qu'il faut surveiller étroitement, d'où l'intérêt de collaborer avec des vétérinaires. C'est ce que l'OMS appelle le one health, une seule santé : santé humaine, santé animale et santé des écosystèmes sont intimement liées. Il se crée en permanence des variants et des sous-variants : c'est pour cela qu'il est illusoire de vouloir bloquer complètement le processus, notamment par le biais de la vaccination. Il faut donc se demander comment éviter de favoriser par nos interventions les souches potentiellement problématiques au sein de ce vaste répertoire de mutants et de variants. Je faisais le parallèle avec les antibiotiques. Si la vaccination covid s'étend à de larges populations qui n'en ont pas forcément besoin, elle risque d'induire un phénomène bien connu, une pression de sélection.
L'émergence de souches dominantes résistantes au vaccin sous différentes conditions a été récemment simulée par des chercheurs français du CNRS : dans une publication du début de l'année, il est montré que la stratégie optimale pour minimiser les dommages globaux de la pandémie consiste à focaliser la vaccination sur les personnes à haut risque de covid-19 grave afin de les protéger individuellement et efficacement, tout en évitant de sélectionner et de faire circuler des souches résistantes à partir de vastes populations de personnes à faible risque. Une accumulation de données observationnelles montrant le développement et la circulation préférentielle de variants et de sous-variants résistants dans de vastes populations vaccinées peuvent expliquer des explosions d'incidence de variants en échappement immunitaire, même dans des régions à forte couverture vaccinale. D'où l'intérêt, en d'autres termes, de cibler, d'économiser la ressource pour limiter l'échappement vaccinal.
Il faut aussi remettre les vaccins à jour, comme on le fait pour la grippe chaque année, pour anticiper les variants qui vont circuler.
M. Martin Lévrier. - Vous battez en brèche, avec beaucoup de certitude, les modélisateurs et les mesures de confinement prises en fonction de ces modélisations. Je ne suis pas scientifique, et je dois donc m'appuyer sur des gens en qui je crois pouvoir avoir confiance.
Contrairement à ce que vous avancez, M. Delfraissy a récemment indiqué que le vaccin permet de limiter la contagiosité du virus. Quelle est alors selon vous la gradation de la vérité ? Est-ce que M. Delfraissy ment, alors que vous dites la vérité ? Face à deux paroles aussi différentes, nous devons faire un choix entre deux positions qui l'une et l'autre disent s'appuyer sur des études.
Vous vous êtes appuyée sur le fait que l'OMS déconseille le port du masque lors de la pratique sportive. Mais l'OMS a également dit, au début de cette pandémie, que le masque ne servait à rien. Là encore, cela nous pose problème.
Vous indiquez qu'il reste à prouver que les confinements aient été utiles. Mais au regard du confinement décidé en catastrophe en Angleterre, il me semble que, à cette époque, nous n'avions pas vraiment le choix. Avec les connaissances dont nous disposions à l'époque, qu'auriez-vous fait ?
Mme Alice Desbiolles. - Concernant la contagiosité, il me semble que le professeur Delfraissy a lui-même admis que le but du passe sanitaire était non pas de réduire les contaminations, mais bien d'augmenter le nombre de primo-vaccinations, ce qui a eu lieu, mais pas dans le public cible des personnes à risque. On peut donc s'interroger sur l'efficacité de la mesure.
Je ne cherche pas à démontrer une conjecture, mais je m'appuie sur les données disponibles, notamment par le biais des études à fort niveau de preuve menées par Pfizer, où la contagiosité ne fait pas partie des critères de jugement. On ne peut donc pas statuer sur cette question, même si chacun peut constater de manière empirique que, vacciné ou non, on peut contracter cet agent infectieux. Il me semble que M. Delfraissy était revenu sur ce point.
Je précise que la charge de la preuve doit normalement incomber à la puissance qui met en place la politique publique, et que ce n'est pas à moi d'en démontrer la potentielle inefficacité. Si l'on veut faire les choses dans les règles de l'art, même si l'incertitude fait partie de la pratique, il faut disposer d'un fort niveau de preuve avant de mettre en place des interventions. Il ne faut pas inverser les rôles.
Concernant le port du masque, j'attends un essai à fort niveau de preuve qui démontre son efficacité, en particulier chez les enfants. Je ne dis pas que le masque ne sert à rien, et je ne veux pas tomber dans un manichéisme stérile : le port du masque a beaucoup d'intérêt dans certaines conditions, si l'on est malade par exemple.
À mon avis, si le port du masque était initialement déconseillé en population générale par l'OMS, c'est simplement en raison du risque de mésusage : ce n'est pas parce que l'on conseille de porter un masque que le masque sera bien porté - et je ne parle même pas des enfants. Pour être efficace, ce dispositif médical doit être porté de manière précise : le masque doit être changé régulièrement, ne doit pas être touché, et il faut une certaine rigueur. D'ailleurs, la Société française d'hygiène hospitalière ne recommande pas le port du masque FFP2 en population générale.
Je comprends votre difficulté à naviguer dans tout cela, ce qui est tout à fait regrettable. Le débat contradictoire, qui s'observe normalement dans les agences de santé publique, qui permet au dissensus de s'exprimer et au consensus d'émerger, n'a pas vraiment eu lieu dans les institutions. Il émerge maintenant, provoquant une certaine incompréhension.
Vous me demandez ce que j'aurais fait en l'état des connaissances dont nous disposions au début de l'année 2020. Les données chinoises permettaient déjà d'identifier les personnes à risque de formes graves, et, personnellement, j'aurais préféré que les mesures de protection soient davantage ciblées sur ces personnes, dans le respect de leur consentement.
Que se serait-il passé si nous n'avions pas eu de vaccin ? Que se passera-t-il quand un nouveau variant échappera au vaccin, ou lors de l'émergence d'une nouvelle maladie ? Il faut s'interroger sur ces questions pour anticiper et ne pas se retrouver pris au dépourvu. Une des conclusions du rapport de l'IPBES Échapper à l'« ère des pandémies » est qu'il faut insister sur la prévention et ne pas uniquement être dans la réaction.
J'aurais donc ciblé la protection sur les personnes à risque consentantes, en leur proposant dans un premier temps d'adopter des mesures de protection comme le port du masque FFP2 pour elles et le port du masque pour les personnes à leur contact, éventuellement, dans le respect de leur consentement, un autoconfinement volontaire et une mise à disposition de services pour leur permettre de limiter les interactions sociales. J'aurais ciblé les mesures sur ce public-là, et réduit la pression exercée sur l'ensemble de la population, selon le concept important en santé publique de l'universalisme proportionné, qui précise que des mesures proportionnées doivent être prises selon la vulnérabilité des personnes.
Cet alliage aurait permis une approche moins coûteuse sur tous les plans, sanitaire, social, économique, pédagogique, en matière d'inégalité, de démocratie, de confiance, et de rigueur scientifique.
M. Martin Lévrier. - Des pays ont-ils mené une telle politique avec succès ?
Mme Alice Desbiolles. - La Suède a quand même moins d'impact négatif, et les pays qui ont adopté une politique zéro covid en reviennent, car elle n'est pas tenable.
L'OMS parle de fatigue pandémique. Il est important que la lutte contre un agent infectieux et l'adhésion des populations s'inscrivent dans la durée. Au-delà de l'efficacité des mesures, qui reste encore à prouver, il y a un risque de décrochage et de contre-productivité. L'adoption de mesures proportionnées en fonction des risques des individus, de leur vulnérabilité et de leurs capacités, dans le respect du consentement, me semble être la base en médecine et en santé publique.
M. Alain Milon, président. - Je vous remercie. Vous avez insisté sur le caractère documenté et pragmatique de votre intervention, mais il se trouve que les intervenants qui ne pensent pas comme vous nous disent la même chose. La situation est compliquée pour nous !
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Mission d'information sur le contrôle des Ehpad - Échange de vues, désignation des rapporteurs de la mission et demande d'octroi à la commission des affaires sociales des prérogatives attribuées aux commissions d'enquête
M. Alain Milon, président. - Mes chers collègues, la parution de l'enquête journalistique Les fossoyeurs de M. Victor Castanet a donné lieu à ce que d'aucuns appellent désormais l'affaire Orpea. L'ampleur des dysfonctionnements mis au jour appelle effectivement une remise en ordre. Ont été annoncées plusieurs catégories de travaux, de la part du Gouvernement - il aurait pu le faire bien avant -, qui a diligenté des enquêtes de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et de l'Inspection générale des finances (IGF), et de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale qui a notamment entendu le PDG du groupe.
Le souhait de la présidente de notre commission est, d'une part, de ne pas doublonner les travaux en cours et, d'autre part, de travailler sur un sujet susceptible, le cas échéant, d'avoir un débouché législatif. Notre commission pourrait ainsi s'intéresser au « contrôle du contrôle », en conduisant des travaux sur le cadre juridique des contrôles opérés dans les Ehpad mais aussi sur les moyens qui leur sont alloués, leur fréquence, leur qualité, leurs résultats et les suites qui leur sont données. Elle pourrait aussi constituer l'aiguillon nécessaire au maintien du calendrier ambitieux engagé par le Gouvernement.
À cette fin, nous pourrions constituer, au sein de notre commission, une mission d'information sur le contrôle des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). L'idée est celle d'une mission « agile », qui procède à quelques auditions plénières mais surtout à un travail sur pièces auprès des différents acteurs du contrôle.
À l'issue de cette réunion de commission, notre présidente saisira le Président du Sénat afin que cette mission d'information puisse être dotée des prérogatives d'une commission d'enquête si vous êtes d'accord sur cette démarche. Le calendrier s'est un peu précipité, car cet après-midi a lieu la dernière Conférence des présidents avant la suspension des travaux parlementaires. C'est pourquoi Catherine Deroche a informé l'ensemble des membres du bureau de la commission par un courrier vendredi dernier.
La Conférence des présidents pourrait prévoir que le Sénat se prononce le jeudi 17 février si la commission des lois confirme la recevabilité du sujet, qu'elle devrait examiner au cours de sa réunion du 16 février prochain.
Mme Laurence Cohen. - La commission d'enquête sur les hôpitaux est encore en cours, comme de nombreux autres travaux. La mission d'information pourrait-elle se transformer en commission d'enquête ?
M. Alain Milon, président. - Elle aurait les pouvoirs d'une commission d'enquête.
Mme Laurence Cohen. - La commission d'enquête sur les hôpitaux doit rendre son rapport en mars prochain.
Quel serait le calendrier de la mission d'information sur le contrôle des Ehpad ?
M. Alain Milon, président. - Je ne sais pas. La mission d'information ne comprendra pas d'autres membres que ceux de la commission des affaires sociales. Nous demanderons simplement qu'elle ait les pouvoirs d'une commission d'enquête, notamment de demander aux personnes entendues de prêter serment.
Mme Monique Lubin. - Pourquoi ne pas avoir demandé directement la création d'une commission d'enquête ?
Peut-on considérer qu'il s'agit d'une mission interne à notre commission ?
M. Alain Milon, président. - C'est la même chose que la mission d'information sur l'adéquation du passe vaccinal à l'évolution de l'épidémie de covid-19, dont l'une des auditions vient de se terminer.
Mme Monique Lubin. - L'ensemble des membres de la commission pourra-t-il participer aux auditions ?
Le rapporteur pourra-t-il faire venir les différents acteurs contrôlant les Ehpad ?
M. Alain Milon, président. - Tous les membres de la commission des affaires sociales pourront participer.
Le rapporteur agira comme bon lui semble.
Mme Émilienne Poumirol. - Combien y aura-t-il de rapporteurs ?
M. Alain Milon, président. - La majorité sénatoriale n'en a proposé qu'un, mais il peut y en avoir deux !
Je sais que votre groupe s'est interrogé sur la possibilité de désigner un rapporteur. Je n'y suis pas opposé, pas plus que la présidente. Nous allons proposer, pour notre part, Bernard Bonne.
Mme Jocelyne Guidez. - Le sujet est très intéressant. Peut-on l'élargir aux maisons départementales des personnes handicapées ?
M. Alain Milon, président. - Cet élargissement ne semble pas possible pour l'instant. Nous pourrons peut-être l'envisager en juillet prochain, en même temps que nous verrons si nous pouvons mener des missions d'information sur d'autres sujets, avec un autre gouvernement et d'autres parlementaires.
Mme Laurence Cohen. - Le temps nous est compté : on ne peut pas élargir le périmètre d'enquête de la commission et travailler dans de bonnes conditions. La nomination de Bernard Bonne en tant que rapporteur nous semble être une bonne idée.
Je souligne toutefois un problème concernant le fonctionnement de cette commission, qui est très ouverte : les rapporteurs sont toujours issus des groupes Les Républicains (LR) ou Socialiste, Écologiste et républicain (SER), alors que ce ne sont pas les seuls groupes politiques représentés dans la commission.
Mme Raymonde Poncet Monge. - Je suis d'accord avec Mme Cohen !
M. Alain Milon, président. - J'entends bien votre remarque. M. Bonne n'est pas un rapporteur du groupe LR, mais un rapporteur de la majorité sénatoriale. Si l'opposition sénatoriale veut bien s'entendre sur le nom d'un rapporteur, cela ne me dérange pas. (Sourires)
Mme Monique Lubin. - Je voulais savoir pourquoi cette mission d'enquête était aussi ciblée sur le contrôle du contrôle. Certes, le livre Les fossoyeurs révèle un problème lié au contrôle des établissements, mais ce n'est pas le seul problème. Il y a aussi toute une philosophie autour de cette financiarisation du grand âge. Le temps nous est compté, mais doit-on vraiment s'en arrêter là ?
M. Alain Milon, président. - Oui, nous le devons, pour une raison toute simple : l'IGAS s'est vu confier une mission par le Gouvernement ; l'Assemblée nationale a mis en place des auditions sur le sujet.
Si nous allions sur les mêmes terrains que l'Assemblée nationale et que l'IGAS, nous ne serions pas audibles. Nous voulons trouver un créneau pour permettre à nos travaux d'être écoutés. Nos collègues de l'Assemblée nationale et les membres de l'IGAS étendront leurs enquêtes à d'autres sujets tout aussi importants.
M. Bernard Bonne. - Pour répondre à Mme Guidez, je pense que nous devons nous en tenir à la question des personnes âgées. Ce sont non pas les seuls Ehpad qui sont concernés, mais l'ensemble des lieux d'accueil des personnes âgées, y compris les résidences autonomie. Tous les lieux devront être étudiés, pour que l'on voie quels sont les contrôles adaptés à chaque type de structure.
Il est évident qu'en regardant la manière dont les contrôles sont effectués et peuvent être améliorés, nous irons bien plus loin que le simple contrôle : il faudra voir ce que l'on contrôle, les raisons pour lesquelles on contrôle, et quelles améliorations nous pouvons proposer pour la prise en charge des personnes âgées.
De nombreux rapports ont déjà été réalisés, et il ne faudra pas répéter à l'infini ce qui a déjà été dit. Le rapport Libault contient de nombreuses propositions. Le rapport d'information que Mme Meunier et moi-même avons signé a aussi apporté de nombreux éléments.
M. Alain Milon, président. - Je conclus de ces échanges que nous sommes d'accord pour demander l'octroi des prérogatives d'une commission d'enquête à cette mission d'information.
La commission demande au Sénat de lui octroyer les prérogatives d'une commission d'enquête, en application de l'article 5 ter de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et de l'article 22 ter du Règlement du Sénat.
M. Alain Milon, président. - La majorité propose la candidature de Bernard Bonne. Quelle est la candidature de l'opposition sénatoriale ?
Mme Monique Lubin. - Nous proposons le nom de Michelle Meunier.
M. Alain Milon, président. - Comme c'est l'usage au sein de notre commission, tous les membres de la commission des affaires sociales seront évidemment invités à assister aux auditions menées par la mission d'information, qui travaillera en toute transparence.
Mme Michelle Meunier et M. Bernard Bonne sont désignés rapporteurs de la mission d'information sur le contrôle des Ehpad.
La réunion est close à 17 h 30.
Mercredi 9 février 2022
- Présidence de M. Alain Milon, vice-président -
La réunion est ouverte à 9 h 05.
Mission d'information sur l'adéquation du passe vaccinal à l'évolution de l'épidémie de covid-19 - Audition de M. Fabrice Lenglart, directeur, et de Mme Charlotte Geay, chef du lab innovation et évaluation en santé, de la Drees
M. Alain Milon, président. - Mes chers collègues, dans le cadre de la mission d'information sur l'adéquation du passe vaccinal à l'évolution de l'épidémie de covid-19, nous entendons ce matin M. Fabrice Lenglart, directeur, et Mme Charlotte Geay, chef du lab innovation et évaluation en santé de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees).
J'indique que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo qui sera retransmise en direct sur le site du Sénat et disponible en vidéo à la demande.
Je salue ceux de nos collègues qui participent à cette réunion à distance.
Je rappelle que notre travail n'a pas pour objet de refaire le débat sur le passe vaccinal, dans la mesure où celui-ci a été tranché par le Sénat, qui a adopté ce passe à une large majorité. Nous cherchons plutôt à vérifier qu'un instrument conçu dans un contexte donné, avec un variant donné, est toujours adapté quelques semaines plus tard à une nouvelle configuration de l'épidémie.
Notre audition de ce matin porte sur les données et l'usage qui peut en être fait dans la gestion de l'épidémie.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Fabrice Lenglart et Mme Charlotte Geay prêtent successivement serment.
M. Fabrice Lenglart, directeur de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques. - La Drees est le service statistique ministériel du ministère des solidarités et de la santé.
Je précise dès maintenant qu'en matière de suivi et de veille sanitaire l'organisme principalement responsable est non pas la Drees, mais Santé publique France (SPF). En effet, la Drees a avant tout pour mission de produire des études structurelles dans le domaine de la santé. Pour le résumer d'un trait, jusqu'à la pandémie, elle ne publiait que les résultats d'enquêtes annuelles ou pluriannuelles, par exemple sur l'état de santé de la population. Ma direction ne produisait pas de statistiques à un rythme infra-annuel.
Ce partage des rôles relativement clair, notamment entre SPF et la Drees, a évidemment été bouleversé par la crise sanitaire : au printemps 2020, la Drees, s'appuyant sur ce qui constituait son coeur de métier, c'est-à-dire aider à comprendre ce qu'il se passe sur un temps relativement long, a notamment lancé avec l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) une grande enquête en population générale, dite « EpiCov » (épidémiologie et conditions de vie), afin de pouvoir mesurer statistiquement, à un niveau fin sur le territoire, la prévalence de l'épidémie, même si ce type d'enquête ne livre des renseignements qu'après un certain intervalle de temps.
Par ailleurs, la Drees est à la tête d'un panel de suivi des médecins généralistes : elle a donc, dans l'urgence, au début de la crise sanitaire, conduit des enquêtes spécifiques auprès de ces médecins pour en savoir davantage sur leur activité médicale, que celle-ci soit en lien ou non avec la covid-19.
La Drees a évidemment été sollicitée pour ses compétences, notamment en matière statistique, dans le cadre de la gestion de la crise sanitaire. Au tout début de la première vague épidémique, j'ai ainsi demandé à un certain nombre de personnels de la direction, qu'ils travaillent ou non sur des thématiques liées à la santé, de rejoindre le centre de crise sanitaire pour aider à faire remonter le mieux possible les informations.
La Drees a aussi collaboré à une enquête pour déterminer où se trouvaient les respirateurs dans les hôpitaux. C'est un exemple parmi d'autres des actions que nous avons lancées à ce moment-là.
Petit à petit, le travail s'est formalisé et Charlotte Geay a été nommée, en tandem avec un fonctionnaire de la direction générale de la santé (DGS), pour diriger une équipe de statisticiens chargée de faire remonter des données au centre de crise sanitaire.
Par la suite, la Drees a eu accès aux trois grandes bases de données relatives à la crise de la covid-19 : la base SI-DEP, le système d'information national de dépistage ; la base SI-VIC, qui recense les données portant sur les hospitalisations des personnes atteintes du virus ; la base VAC-SI relative aux personnes vaccinées. Elle y avait déjà accès en théorie, mais les équipes n'ont pu exploiter ces données qu'après qu'elles ont été anonymisées. Protégées par un pseudonyme, ces données individuelles ont été exploitées et nous ont permis de faire des appariements.
J'insiste sur ce point : la Drees a mis en place un système d'appariement qui permet de relier les différentes bases entre elles. À compter du mois de juillet 2021, nous avons régulièrement produit des études statistiques sur le statut vaccinal des personnes hospitalisées, qui font l'objet d'une publication hebdomadaire. En matière de santé, nous avons changé de référentiel : désormais, nous publions des données sur la covid-19 chaque vendredi.
Nous publions également chaque jeudi des statistiques sur les tests, qui servent notamment à surveiller si les délais entre la réalisation des tests et la publication des résultats ne sont pas trop longs. Ces enquêtes sont une réponse immédiate aux difficultés que notre pays a rencontrées lors de la mise en place de la première campagne de tests.
Outre ces statistiques régulières, nous publions des études plus détaillées, en particulier sur le statut vaccinal. Je pense notamment à une étude visant à évaluer l'efficacité vaccinale, non seulement à partir des données agrégées chaque semaine, mais aussi à partir de modèles plus précis. Nous avons également publié les résultats de l'enquête EpiCov, qui a permis de mesurer la part de la population touchée par le virus à certains moments de l'épidémie. Nous devrions publier d'ici quelques semaines les premiers résultats de la troisième vague de cette étude, qui nous permettra de connaître avec précision la part de la population vaccinée à la mi-2021.
Mme Michelle Meunier, rapporteure. - De quelle manière le Gouvernement sollicite-t-il la Drees pour obtenir des analyses de données en vue d'éclairer ses décisions dans le cadre de la gestion de crise ? Votre direction a-t-elle contribué, et de quelle manière, à la prise de décision de l'exécutif pour un certain nombre de mesures ?
M. Fabrice Lenglart. - La Drees, comme toutes les autres directions directement impliquées dans la gestion de la crise sanitaire, au premier rang desquelles on trouve évidemment la direction générale de la santé, la DGS, et la direction générale de l'offre de soins, la DGOS, participe aux réunions de crise organisées extrêmement régulièrement - le rythme est quotidien - sous l'égide du ministre de la santé et des solidarités. Dans cette perspective, lorsque la Drees est susceptible d'aider ou de répondre aux questions du Gouvernement, notamment sur la manière de collecter les données, elle le fait.
Ainsi, lorsqu'il s'est agi de mettre en oeuvre la future politique vaccinale, on nous a demandé si nous étions capables de publier des informations sur l'efficacité des vaccins. On nous a interrogés sur la forme que prendraient ces données, et à quelle fréquence nous serions en mesure de les produire. C'est pour répondre à cette sollicitation que la Drees a mis en place les appariements que j'évoquais tout à l'heure.
J'ai informé le ministre des premiers résultats que nous avions obtenus à la mi-juillet 2021, et je peux vous dire que ces résultats étaient en ligne la semaine qui a suivi. Dès le début, nous avons donc fait preuve de la plus totale transparence.
Par ailleurs, la Drees peut également aider et apporter un soutien matériel aux directions opérationnelles, comme la DGS ou la DGOS. Par exemple, à l'automne dernier, la Drees a aidé la DGOS à lancer une enquête auprès des établissements de santé pour évaluer la proportion des personnels de santé vaccinés.
De manière générale, nous sommes associés dès l'amont à la préparation de dossiers qui peuvent être soumis au conseil de défense sanitaire lorsqu'il se réunit.
Mme Chantal Deseyne, rapporteur. - Le passe vaccinal vous semble-t-il l'outil le plus approprié pour maîtriser l'épidémie ? En d'autres termes, est-on capable de calculer l'incidence du passe vaccinal sur le taux de vaccination, d'une part, et sur la maîtrise de l'épidémie, d'autre part ?
Ce passe vaccinal est limité dans le temps : est-il pertinent de le maintenir aujourd'hui ? Selon vous, quels sont les critères qui justifieraient une sortie de ce dispositif ?
M. Fabrice Lenglart. - La Drees produit de l'information statistique pour éclairer les choix du ministère, en particulier en termes d'efficacité vaccinale, depuis l'été 2021. Ces données aident l'exécutif à prendre des décisions, celle par exemple de mettre en place un passe sanitaire ou vaccinal, ou d'accélérer son application. En revanche, elle ne participe à la prise de décision à proprement parler. Je ne suis donc pas vraiment habilité à juger si le passe vaccinal est approprié ou non.
Cela étant, dans les semaines qui ont précédé la décision de mettre en place le passe vaccinal, la Drees a produit un certain nombre de statistiques sur le statut vaccinal des personnes hospitalisées, qui permettaient de conclure avec certitude que le vaccin était efficace, car il contribuait à éviter les formes graves de la maladie et qu'il permettait de prévenir la diffusion du virus - c'était avant l'apparition du variant Omicron. De ce point de vue, la Drees a d'une certaine façon justifié la décision de mettre en place le passe sanitaire.
La mise en oeuvre du passe vaccinal a coïncidé avec l'émergence du variant Omicron, dont la propagation est beaucoup plus rapide que le variant delta. Dans ses publications, la Drees a été assez rapidement capable de distinguer le statut des personnes testées positives et celui des personnes hospitalisées selon la nature du variant.
Nous avons donc pu faire tourner nos modèles, en évaluant cette fois-ci l'efficacité vaccinale selon que les malades sont affectés par le variant delta ou le variant Omicron. Cette étude confirme l'efficacité des vaccins, en particulier celle du rappel six mois après la première dose, pour lutter contre les formes graves de la maladie, qu'elle soit liée au variant delta ou au variant Omicron, en sachant que la probabilité de développer une forme sévère de la maladie est beaucoup plus faible avec Omicron. Elle montre en revanche une bien moindre efficacité des vaccins pour réduire la contagiosité du variant Omicron.
Pour répondre précisément à votre question, je n'ai donc jamais participé à une quelconque discussion sur l'opportunité ou non de mettre en oeuvre le passe vaccinal, mais j'ai fourni des informations de ce type.
Dès lors qu'une large part de la population est vaccinée et donc a priori protégée contre les formes graves de la maladie, la mise en place du passe vaccinal répond, à mon sens, à la nécessité de protéger les personnes non vaccinées en instaurant une forme de contrainte les concernant plus spécifiquement.
De par ma fonction, je ne suis pas non plus le plus qualifié pour vous répondre sur les critères à remplir pour sortir du dispositif. Cela étant, il me semble que le plus important est d'assurer un suivi de la prévalence de l'épidémie, et surtout de son incidence sur le système hospitalier, puisque le passe vise deux objectifs, à la fois protéger la population et faire baisser la pression sur l'hôpital pour qu'il soit en mesure de répondre aux besoins de la population.
M. Alain Milon, président. - Avez-vous établi des statistiques sur les patients atteints du virus en fonction de leur âge et des comorbidités qu'ils présentent ? Les enfants sont-ils nombreux à être infectés ? Ceux d'entre eux qui sont hospitalisés le sont-ils en raison d'une comorbidité ?
M. Fabrice Lenglart. - Les données que nous traitons sont déclinées par tranche d'âge de vingt ans, par région et par statut vaccinal. Nous ne publions aucune donnée sur les comorbidités, tout simplement parce qu'il n'existe quasiment aucune information à ce sujet dans la base SI-VIC. Il faudrait mobiliser d'autres types d'informations, en particulier celles qui figurent dans le programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI), qui recense l'ensemble des données sur les personnes hospitalisées.
Il y a quelques mois, une étude EPI-PHARE a certes fait le lien entre les données de vaccination et le PMSI, mais elle est rétrospective, les données du PMSI n'étant pas disponibles aussi rapidement que celles de la base SI-VIC.
Nous ne publions donc pas de données statistiques sur les seuls enfants.
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Selon vous, la Drees bénéficie-t-elle de suffisamment de moyens, notamment humains, pour faire face aux sollicitations auxquelles elle a eu à répondre depuis le début de la crise ? La nécessaire protection des données individuelles vous pose-t-elle des problèmes dans l'exercice de votre mission et a-t-elle entraîné un surcroît de dépenses ?
Autre question, notre commission a auditionné hier le docteur Alice Desbiolles, dont les affirmations nous ont quelque peu troublés. Mme Desbiolles a ainsi déclaré qu'aucune donnée émanant du Gouvernement, qu'aucune preuve ne justifiait la mise en place du passe vaccinal. Elle estime que le recours systématique aux modélisations n'est pas pertinent. Qu'en pensez-vous ?
M. Fabrice Lenglart. - Comme je l'ai indiqué, au début de la crise, quand la Drees a cherché à se rendre utile, j'ai effectivement dépêché un nombre considérable d'agents au service de la gestion de la crise. Sur les 180 agents de la Drees, une trentaine d'entre eux y consacraient tout leur temps lors du premier confinement, alors même que cela ne relevait théoriquement pas de leur mission.
Nous avons fait avec les moyens du bord, mais la situation s'est très nettement améliorée à partir de la fin 2020, époque où la Drees a bénéficié d'effectifs supplémentaires pour répondre aux besoins liés à la crise sanitaire. Je parle là de cinq ou six personnes, qui ne sont pas des personnels de la Drees, mais qui travaillent sous mon autorité et celle de Charlotte Geay au quotidien.
La protection des données est un sujet qui me tient extrêmement à coeur : c'est dans l'ADN d'un système statistique ministériel et, plus généralement, de la statistique publique d'y être extrêmement vigilant. Nous veillons à la fois au cadre légal et technique des données.
Pour vous répondre sur la pertinence des modèles et des données que nous produisons, je vous invite à regarder nos publications hebdomadaires sur le statut vaccinal de la population : depuis le mois de juillet dernier, nous avons amélioré à plusieurs reprises notre méthodologie, et ce en toute transparence, puisque nous avons systématiquement signalé ces changements, en montrant les effets que cela induisait sur nos données. En statistique, il est parfaitement normal que les outils évoluent et s'améliorent. L'essentiel est de procéder à ces modifications en toute transparence.
Hélas, je n'ai pas regardé l'audition du Dr Desbiolles et ne sais pas précisément ce qu'elle a dit. Le terme de « modélisation » est assez vague. S'il s'agit de modélisations pour mesurer l'efficacité du statut vaccinal, elles peuvent être plus ou moins sophistiquées : elles peuvent porter sur des données agrégées, mais elles peuvent aussi être davantage détaillées et traiter des données individuelles.
À mon sens, les données dont la Drees dispose permettent avec certitude d'affirmer que les vaccins sont efficaces.
Si le terme de modélisation renvoie à d'autres types de mobilisations, comme celle de l'incidence de la dynamique épidémique sur le système hospitalier, qui résultent du travail de chercheurs qui dépendent pour la plupart de l'Institut Pasteur ou de l'Inserm, je pense qu'il conviendrait de les interroger directement. À mon avis, il s'agit moins de prévisions que de projections qui dépendent de critères nombreux et variables, comme la contagiosité des différents variants ou les comportements de la population au quotidien. De tels modèles sont utiles pour éclairer la décision, mais les résultats auxquelles ils permettent d'aboutir dépendent, par définition, des hypothèses sur lesquelles ils reposent, lesquelles ne peuvent être établies en amont avec une certitude absolue.
Mme Nadia Sollogoub. - La Drees collecte-t-elle des informations sur le covid long ?
M. Fabrice Lenglart. - Non, la Drees ne conduit aucune étude sur ce thème, d'autant qu'elle n'en a pas les moyens en l'état actuel des choses, en tout cas pas avec les bases de données dont je vous ai parlé.
De tels travaux sont pourtant fondamentaux. La Drees pourrait éventuellement y contribuer à moyen terme, mais ils réclameraient à coup sûr de mobiliser un plus grand ensemble d'informations, d'appareiller des données de test et des données ayant trait à ce que l'on appelle le système national des données de santé (SNDS), de façon à suivre les personnes dans la durée. La France dispose d'un système d'information qui permettrait de produire des informations intéressantes à cet égard, y compris sur le long terme.
M. René-Paul Savary. - Ne serait-il pas opportun de moderniser la plateforme Health Data Hub, qui sert normalement à recueillir des données à but de recherche ? Dans un rapport récent, nous avons préconisé la mise en place d'un recueil adapté à la gestion de crise, un Crisis Data Hub en quelque sorte, qui permettrait d'être plus réactif. Une telle cellule nous permettrait aussi de mieux circonscrire le passe vaccinal, en l'adaptant aux caractéristiques du variant Omicron par exemple, et de modifier la stratégie de notre pays à la fois en termes de vaccination et de test.
Selon vous, est-il envisageable de réserver le passe vaccinal aux personnes âgées, par exemple, avant de le supprimer complètement ? Ne pourrait-on pas aussi le cibler sur les personnes fragiles, puisque vous nous avez expliqué que vous ne disposiez pas des données sur la comorbidité des malades, mais que de telles informations existaient bel et bien ?
Enfin, que proposeriez-vous pour que la stratégie de test soit plus adaptée à la situation actuelle et plus efficace ?
M. Fabrice Lenglart. - La plateforme des données de santé, dite Health Data Hub, est un outil extrêmement important et très prometteur. J'en profite d'ailleurs pour vous indiquer que la Drees en est l'initiatrice.
L'idée qui sous-tend la mise en place de cette plateforme est que l'on peut, sous certaines conditions juridiques et techniques extrêmement strictes, réunir en un même endroit un ensemble de bases de données ayant trait à la santé, et les partager, de sorte à multiplier nos capacités de recherche et d'innovation.
Tel que je le conçois, ce rôle est absolument crucial, mais je ne suis pas certain qu'il s'agisse pour autant de l'instrument à privilégier pour gérer et suivre une crise. Comme je vous l'ai dit, les réunions de crise sont quotidiennes : nous avons donc besoin d'un système d'information plus proche du pouvoir décisionnel, des équipes de Santé publique France et de la DGS, et qui permette à l'exécutif de disposer rapidement des données les plus récentes possible.
L'outil Health Data Hub serait à coup sûr très utile si l'on veut, par exemple, démultiplier les études sur le covid long, ne serait-ce que parce que cette plateforme, conjointement avec la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM), a pour mission d'abriter ce que l'on appelle le système national des données de santé, dont le périmètre a vocation à s'élargir.
Pour éviter tout malentendu, je précise que la Drees interprète bel et bien les données qu'elle produit. Ainsi, lorsque j'affirme que les vaccins sont efficaces, je le fais sur le fondement des études que la Drees publie à ce sujet. De manière générale, cette direction fournit des informations qui constituent une aide à la décision, mais ne participe pas à la prise de décision en tant que telle, ce qui est normal : chacun doit rester dans son rôle.
J'en reviens au passe vaccinal. Ce qui a changé avec l'arrivée du variant Omicron, c'est que la contagiosité du virus est devenue telle que l'on peut être contaminé du jour au lendemain. Le passe vaccinal présente donc un réel intérêt de ce point de vue par rapport au passe sanitaire. Je précise par ailleurs que je n'ai jamais dit que le vaccin était totalement inefficace face à Omicron, mais qu'il était beaucoup moins efficace.
Dans ce contexte, passer du passe sanitaire au passe vaccinal revient à prendre acte de la grande difficulté qu'il y a à empêcher le virus de circuler, et à faire en sorte de protéger la population qui risque le plus de développer des formes graves de la maladie, à savoir les non-vaccinés. Il ne faut pas oublier qu'en dernier ressort la forte contagiosité du variant Omicron induit une pression importante sur notre système hospitalier.
Mme Christine Bonfanti-Dossat. - Lors de son audition hier, le docteur Desbiolles a bouleversé les quelques certitudes ou convictions que nous avions depuis le début de cette crise. Ma question découle directement des propos qu'elle a tenus : dans la mesure où la Drees est placée sous l'autorité du ministre de la santé et des solidarités, pensez-vous qu'il soit sain qu'un ministère soit chargé de se juger lui-même ? Peut-on attendre autre chose de la Drees que la promotion des décisions du ministre ?
M. Fabrice Lenglart. - Un service statistique ministériel est d'abord une entité qui fait partie du système statistique public, dont le navire amiral est, en France, l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee). Ce système est couvert par un règlement européen, qui garantit, y compris en droit français, l'indépendance professionnelle des statistiques publiques. Pour ce qui est des publications de la Drees, en tant que producteur de statistiques mises à la disposition du grand public, je peux vous assurer qu'elles résultent d'un travail frappé du sceau de l'indépendance professionnelle, et j'assume l'entière responsabilité de leur qualité et de la façon dont on peut les interpréter.
Un service statistique ministériel a une autre fonction, celle d'éclairer les politiques publiques du ministère dont il relève, en l'occurrence pour la Drees, les politiques publiques en matière sanitaire et sociale. Dans le cadre de mes fonctions, je peux être amené à conseiller le ministre et ses collaborateurs, au vu des données que nous collectons et publions, sur la mise en oeuvre de telle ou telle politique.
Enfin, un service statistique ministériel doit aider les directions qui sont plus opérationnelles. Lorsque j'ai envoyé des équipes pour aider la DGOS à trouver les respirateurs lors de la première vague épidémique, nous étions tout à fait dans notre rôle.
Le ministère de la santé est chargé de mettre en oeuvre les politiques sanitaires. Il me semble naturel qu'il puisse s'appuyer sur un service qui produit et publie des statistiques avec la plus entière indépendance professionnelle et l'aide à évaluer ses politiques, en l'occurrence la Drees. J'estime que le système actuel est assez bien conçu. D'ailleurs, rien ne s'oppose à ce que d'autres organismes d'évaluation ou le Parlement portent un regard extérieur sur les politiques du ministère.
Mme Annie Le Houerou. - Vous nous avez indiqué que vous produisiez des données par tranche d'âge de vingt ans : dans le contexte actuel, alors que l'on incite de plus en plus les enfants à se faire vacciner, ne jugez-vous pas utile de travailler sur des tranches d'âge plus réduites ?
Hier, le docteur Desbiolles a déclaré qu'un certain nombre de mesures avaient été prises sur le fondement d'analyses prospectives qui présentaient en définitive des résultats très différents de la réalité : à votre connaissance, existe-t-il des enquêtes évaluant l'écart entre ces projections et les chiffres constatés a posteriori ?
M. Fabrice Lenglart. - En effet, nos évaluations portent sur des tranches d'âge de vingt ans. Je rappelle que la Drees n'est pas l'organisme chargé de publier des données sur l'épidémie de covid-19 et que Santé publique France fournit des données beaucoup plus détaillées, y compris sur les enfants. Cela étant, si une politique vaccinale spécifique aux enfants est mise en oeuvre, il est tout à fait envisageable d'enrichir nos données.
Quant à votre question sur les analyses prospectives, je suis un peu gêné pour vous répondre, car je n'ai pas vu l'audition du Docteur Desbiolles. À vous entendre, je crois comprendre qu'elle évoquait des prévisions sur l'incidence de l'épidémie sur le système hospitalier : s'il s'agit bien de cela, sachez que la Drees ne travaille pas sur ce sujet.
Mme Raymonde Poncet Monge. - D'après vous, le passe vaccinal servirait principalement à protéger les non-vaccinés, en les obligeant à limiter leurs interactions sociales, et à protéger le système de soins. Son efficacité doit par conséquent être évaluée à l'aune de ces deux objectifs.
Sur un plan statistique, connaissez-vous la proportion de personnes fragiles, en raison de leur âge ou de leurs comorbidités, parmi les 5 millions de personnes non vaccinées ? Parmi les personnes hospitalisées, quelle est la proportion de personnes fragiles ? Il me semble que c'est en fonction des réponses chiffrées que l'on sera capable d'apporter à ces deux questions que l'on pourra réellement juger de l'efficacité du dispositif mis en place.
M. Fabrice Lenglart. - Le passe vaccinal vise un troisième objectif : inciter à la vaccination.
Les données que nous publions permettent de démontrer avec certitude que la part des personnes non vaccinées qui sont hospitalisées, parce qu'elles ont développé une forme grave de la maladie est, en proportion de la population qu'elles représentent, beaucoup plus élevée que celle des personnes vaccinées qui sont hospitalisées.
On est également capable de détailler ces données par tranche d'âge, ce qui nous a permis de conclure que le risque de développer une forme grave de la maladie était directement lié à l'âge du patient. On sait également que ce risque est corrélé avec les comorbidités, mais comme je vous l'ai dit, nous n'avons pas les moyens de publier des statistiques à ce sujet. Dans la base VAC-SI, ces données existent, mais elles sont insuffisamment détaillées et, donc, inexploitables. Des données de meilleure qualité figurent dans le PMSI, mais elles sont disponibles avec un temps de retard.
M. René-Paul Savary. - Après l'annonce de l'instauration du passe vaccinal, on a constaté une hausse du nombre de primo-vaccinés. Où en est-on aujourd'hui : la courbe des vaccinations est-elle toujours aussi haute ?
Mme Charlotte Geay, chef du lab innovation et évaluation en santé de la Drees. - Les données de SPF sont révélatrices : on observe une augmentation notable des primo-vaccinations au mois de janvier, mais la tendance est moins marquée depuis quelques semaines.
M. Fabrice Lenglart. - La Drees a publié une étude qui prouve la corrélation entre l'annonce du Président de la République d'une accélération de la mise en place du passe sanitaire l'été dernier et la hausse du nombre de tests. Nous n'avons en revanche aucune information scientifique démontrant une causalité entre cette annonce et la hausse du nombre des vaccinations, même si l'observation des courbes laisse peu de doute.
Dernier point, la Drees n'a pas publié d'étude contrefactuelle pour tenter de décrire ce qu'il se serait passé si un nombre moins important de personnes s'était fait vacciner ; néanmoins, les statistiques que nous publions permettront à d'autres de faire ce type de calcul. Je renvoie en particulier à l'étude du Conseil d'analyse économique (CAE) dont vous avez sans doute entendu parler.
M. Alain Milon, président. - À ce propos, que pensez-vous de la méthodologie à laquelle le CAE a recouru et des résultats auxquels il a abouti ?
M. Fabrice Lenglart. - Cette étude, qui conclut que l'accélération de la campagne de vaccination a permis de diminuer sensiblement la pression sur l'hôpital et de réduire le nombre de décès occasionnés par le virus, est sérieuse, et sa méthodologie est claire. Un tel travail se fonde sur un certain nombre d'hypothèses, qui peuvent évidemment être débattues, mais il me semble solide.
M. Alain Milon, président. - Merci beaucoup pour l'ensemble de vos réponses.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Mission d'information sur l'adéquation du passe vaccinal à l'évolution de l'épidémie de covid-19 - Audition de MM. Nicolas Berrod, journaliste, Germain Forestier, chercheur, et Guillaume Rozier, fondateur de CovidTracker
M. Alain Milon, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons nos travaux en entendant à présent MM. Nicolas Berrod, journaliste, Germain Forestier, chercheur, et Guillaume Rozier, fondateur du site CovidTracker.
Je rappelle que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo qui sera retransmise en direct sur le site du Sénat et disponible en vidéo à la demande.
Notre audition porte sur les données et sur l'usage qui peut en être fait dans la gestion de l'épidémie. Vous êtes tous trois usagers des données publiques pour l'information du public. Vous nous livrerez vos analyses sur ce que ces données peuvent apporter au traitement de notre sujet.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Nicolas Berrod, Germain Forestier et Guillaume Rozier prêtent successivement serment.
M. Guillaume Rozier, fondateur de CovidTracker. - Je suis consultant en data science, autrement dit data scientist. Mon métier consiste à traiter des masses de données informatiques, en utilisant un certain nombre d'outils statistiques qui permettent de mieux comprendre ces données et de les mettre en exergue, via des visualisations de données ou des traitements beaucoup plus lourds qui relèvent de ce que l'on appelle l'intelligence artificielle ou le machine learning. Ce travail peut aider à la prise de décision et permet de réaliser des analyses prospectives.
En parallèle, je travaille depuis deux ans sur les données liées à la covid-19. Dès la fin du mois de février 2020, quelques semaines avant le premier confinement en France, j'ai commencé à m'intéresser à l'épidémie et tenté de comprendre comment elle évoluait en France par rapport à d'autres pays, notamment la Chine et l'Italie.
Dans la mesure où je n'ai pas trouvé les réponses à mes questions parmi les informations gouvernementales ou dans les différents médias, j'ai décidé de me plonger moi-même dans les données existant sur internet et de les analyser. Cette démarche m'a amené progressivement à créer une plateforme, un site internet, nommé covidtracker.fr, qui, au début, était très simple et artisanal, puis qui s'est étoffé au fil des mois. L'objectif est de faire de la pédagogie, c'est-à-dire de faire comprendre la situation épidémique et sanitaire aux Français, et de montrer son évolution dans le temps en produisant des graphiques et des statistiques.
Par la suite, la plateforme a permis aux internautes de suivre la campagne de vaccination, via l'outil VaccinTracker. Elle les a aussi aidés à calculer le risque de contracter la maladie en participant à un événement. Cette démarche permet aux Français de mieux comprendre ce que peut signifier par exemple la notion de taux d'incidence.
J'ai créé une seconde plateforme très populaire, « Vite Ma Dose », qui agrège les données de l'ensemble des plateformes de vaccination, Doctolib comme les autres.
Ces deux outils, CovidTracker et Vite ma Dose, ont totalisé des dizaines de millions de visites : je m'en réjouis, d'autant que ce succès n'avait pas du tout été anticipé.
M. Nicolas Berrod, journaliste. - Je suis journaliste au Parisien depuis maintenant trois ans, et cela fait maintenant près de deux ans que je couvre l'épidémie de covid-19. En tant que journaliste, j'essaie de décrypter, d'analyser, de raconter et de répondre aux différentes questions que se posent les lecteurs sur tous les aspects de cette pandémie.
Le travail que l'on réalise quotidiennement repose évidemment en grande partie sur les données publiques, non seulement parce qu'elles peuvent inspirer des sujets et des angles de reportage, mais aussi parce qu'elles permettent parfois de confronter une stratégie à la réalité.
Dans le cadre des travaux que vous menez sur le passe vaccinal, différents types de données me semblent intéressantes : je pense au nombre de primo-injections quotidiennes, c'est-à-dire le nombre de personnes qui reçoivent une première dose de vaccin chaque jour. On a pu observer à cet égard que, lorsque le passe vaccinal est entré en vigueur à la mi-décembre, le nombre des primo-vaccinations avait augmenté. On a aussi constaté à cette occasion que les jeunes adultes étaient ceux qui se faisaient le plus vacciner.
Il y a aussi les données mises à disposition par la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees), lesquelles permettent de savoir, parmi les vaccinés et les non-vaccinés, le nombre d'hospitalisations, de cas positifs et de décès. Ces informations nous donnent une idée du risque supplémentaire, notamment de forme grave de la maladie, que court un individu s'il n'est pas vacciné. C'est un élément important, puisqu'il s'agit du principal argument avancé par le Gouvernement pour justifier la mise en place du passe vaccinal.
M. Germain Forestier, chercheur. - Je suis professeur des universités en informatique à l'Université de Haute-Alsace, qui se situe à Mulhouse. Je suis informaticien de formation et effectue de la recherche en informatique, plus spécifiquement en analyse de données.
J'ai été amené à travailler sur les données liées à la covid-19 au tout début de la première vague épidémique, dont Mulhouse était vraiment l'épicentre. À l'époque, je cherchais déjà à connaître le nombre des contaminations.
À travers les réseaux sociaux, j'ai constaté qu'il existait un réel engouement pour les visualisations de données sur l'évolution de l'épidémie ; j'ai également vu que Santé publique France mettait à la disposition du grand public énormément de données liées à l'épidémie.
Grâce à mes compétences en informatique, j'ai alors créé un programme permettant de générer automatiquement des graphiques, en les déclinant par territoire ou par tranche d'âge par exemple. Depuis deux ans, je poursuis ce travail indépendamment de mon métier d'enseignant, notamment sur les réseaux sociaux et, plus particulièrement, sur Twitter, où je poste régulièrement les graphiques que je produis et où j'essaie de trouver une manière de présenter les données qui parle au plus grand nombre.
Mme Michelle Meunier, rapporteure. - Quelles sont les données que vous utilisez ? Effectuez-vous des retraitements ? Constatez-vous des difficultés dans l'accès aux données concernant le suivi de l'épidémie ? Si oui, de quel ordre ?
Vous avez notamment alerté, au début du mois de janvier, sur le changement de méthodologie dans la traçabilité du variant Omicron par Santé publique France. Ces changements sont-ils fréquents et, selon vous, justifiés ?
Quelles données regrettez-vous de n'avoir pas à votre disposition pour mieux suivre l'évolution de la crise sanitaire en France ?
M. Guillaume Rozier. - Nous utilisons plusieurs types de données. Nous avons un certain nombre de données épidémiques - dépistage, tests positifs ou négatifs... - et sanitaires - admissions à l'hôpital, nombre de personnes hospitalisées en soins critiques et décédées à l'hôpital, etc. Ces données sont publiées par Santé publique France. Nous utilisons également des données concernant la vaccination : rythme de vaccination, nombre de personnes vaccinées avec une, deux ou trois doses, avec ou sans rappel...
Le troisième acteur de la publication des données est la Drees, qui publie notamment le statut vaccinal des personnes admises à l'hôpital. La Drees a effectué un appariement entre, d'un côté, les bases de données des personnes vaccinées et, de l'autre, celles des personnes admises à l'hôpital, pour connaître la proportion de personnes vaccinées admises à l'hôpital.
Tels sont les trois principaux jeux de données que j'utilise personnellement pour réaliser mes analyses.
Il faut savoir que ces données sont publiées en open data, c'est-à-dire de manière libre et gratuite sur internet. Que ces données soient publiées sur internet dans des formats informatiques permettant de les exploiter très facilement est la condition nécessaire pour que les citoyens puissent les réutiliser. C'est très important. Certains acteurs - je pense notamment au ministère de l'éducation nationale - publient les données dans des formats PDF, lesquels sont très difficilement réutilisables.
Les données publiées en open data doivent aussi, pour avoir de l'intérêt, être publiées avec une certaine fraîcheur, c'est-à-dire être mises à jour régulièrement, et être de bonne qualité - il ne doit pas y avoir d'erreurs ni de données manquantes.
Ces données ont été publiées petit à petit. Cela n'a pas été une évidence dès le début de l'épidémie. La France est aujourd'hui l'un des pays les mieux placés en termes de publication des données relatives au covid-19 : un certain nombre de données y sont publiées en open data, ce qui n'est pas le cas dans tous les pays. Au début du mois de mars 2020, aucune de ces données n'était publiée en open data. Puis, les données sanitaires ont été publiées, en mai 2020, sur l'initiative de Santé publique France : suivi des données de dépistage. Ensuite, les mois passant, les données ont été affinées, notamment par régions, départements et tranches d'âge. D'autres jeux de données sont arrivés, comme la vaccination, en janvier 2021, puis les données d'appariement de la Drees, en juillet 2021.
Un certain nombre de ces données ont été publiées sous l'impulsion de citoyens voulant les réutiliser. Nous avons parfois dû formuler des demandes très insistantes auprès de certaines organisations pour les obtenir. Auraient-elles été publiées sinon ? Nous l'ignorons.
Je pense notamment au ministère des solidarités et de la santé. Au tout début de la campagne de vaccination, il était très difficile d'obtenir des données de façon ouverte. À cette époque, nous avions lancé, sur CovidTracker, VaccinTracker, qui permettait de suivre la campagne de vaccination, mais aucune donnée officielle n'était publique. Nous comptabilisions donc nous-mêmes les vaccinations, notamment via les articles de presse. Nous avons dû être très insistants et arrêter VaccinTracker pour que le ministère de la santé publie, deux semaines plus tard, les données.
Je pense aussi au ministère de l'éducation nationale, auquel nous avons adressé, ces derniers mois, un certain nombre de demande pour obtenir des données. Il a été très difficile de les obtenir. Certaines d'entre elles n'ont toujours pas été publiées en open data à ce jour.
Dans d'autres cas, cela a été fait avec succès. Je pense notamment à la Drees, à laquelle nous avions demandé la publication des données de statut vaccinal pour les hospitalisations. La Drees a répondu favorablement à cette demande l'été dernier.
Je trouve regrettable que toutes les administrations ne veuillent pas forcément publier leurs données par défaut. Que les données non personnelles soient publiées en open data de manière libre et gratuite, à des fins de transparence, pour que les citoyens puissent les réutiliser et les analyser devrait vraiment être un paradigme dans toutes les organisations d'État, des ministères, des administrations.
Vous avez évoqué le changement de méthodologie Omicron. Deux méthodes permettent de suivre l'évolution des variants de cette épidémie.
La première est le séquençage, qui permet de connaître précisément le génotype des virus, donc de savoir précisément à quel variant on a affaire pour chaque cas positif. Le problème du séquençage est qu'il est long - il prend plusieurs jours, voire une à deux semaines -, et coûteux. En proportion, on n'en fait pas beaucoup : en France, seuls 1 % des tests positifs sont séquencés.
Depuis un peu plus d'un an et demi, Santé publique France réalise un criblage ; la direction générale de la santé (DGS) a aussi demandé à le faire. Celui-ci permet de viser certaines cibles précises, donc certaines mutations. Il ne permet pas de connaître précisément le variant auquel on a affaire ; il ne permet qu'une suspicion très forte. Le criblage est fait de manière beaucoup plus systématique : sur 100 cas positifs, plusieurs dizaines sont criblées, ce qui permet de suivre relativement précisément le développement de certains variants.
Via le criblage, on suivait une mutation appelée L452R, ce qui permettait un suivi relativement précis d'Omicron. Or la DGS a décidé de changer de système de criblage, de manière à détecter plus précisément Omicron, avec plusieurs cibles. La conséquence a été un arrêt du suivi d'Omicron à un moment critique, à la fin du mois de décembre, alors que ce variant était en train de se développer. Cette situation a peut-être été liée à un manque de fluidité entre la DGS et Santé publique France. En tout état de cause, je sais que Santé publique France a travaillé très dur à la fin du mois de décembre, entre les fêtes de fin d'année, pour appliquer la nouvelle méthode le plus rapidement possible.
De quelles données manquons-nous ? Nous effectuons en permanence des nouvelles demandes de données, mais la situation évolue extrêmement vite, ce qui est source de complexité. À certaines périodes, nous avons besoin de données extrêmement rapidement, comme, par exemple, pour le suivi d'Omicron.
Les données qui m'ont le plus intéressé ces dernières semaines sont celles de l'éducation nationale : nombre de classes et d'écoles fermées, de cas positifs chez le personnel et les élèves... Or ces données sont parcellaires. Elles sont publiées de manière partielle et sont mises à jour de façon relativement peu fréquente.
M. Nicolas Berrod. - On peut déjà commencer par rappeler que la France n'a vraiment pas à rougir - en tout cas par rapport à nos principaux voisins - du nombre de jeux de données qui sont mis à disposition.
Parmi les sources de données, il y a Santé publique France, la Drees, mais aussi l'assurance maladie, qui publie ses propres données de vaccination depuis le printemps dernier. L'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) publie des données relatives à la mortalité. Ces différentes sources peuvent parfois donner l'impression d'une difficulté à travailler ensemble. Pour les données relatives à la vaccination, choisit-on Santé publique France ou la sécurité sociale ? Cela dépend de ce que l'on veut en faire. Il n'est pas facile de s'y retrouver.
Pour ce qui concerne le retraitement, je prends un exemple tout bête : si l'on fait un graphique sur le nombre de personnes qui se font vacciner chaque jour, en prenant pour point de départ le tout début de la pandémie, les premières doses seront à des niveaux beaucoup plus bas, mais, si l'on fait un zoom depuis l'automne dernier, on aura l'impression qu'elles sont toujours à un niveau élevé. L'information envoyée dépend donc de la façon dont on va mettre en forme les données, dont on va les représenter.
Quand nous travaillons sur un sujet, nous devons donc nous demander, par anticipation, ce que nous voulons montrer, avec quelles données et quelle est la mise en forme la plus adaptée pour atteindre le but recherché.
Pour ce qui est des difficultés d'accès, il est vrai qu'existe la tentation de vouloir toujours plus de données, mais nous avons parfois du mal à comprendre que des données publiées dans les rapports hebdomadaires de Santé publique France ne soient pas en open data, ce qui nous empêche de les exploiter. C'est toujours un peu rageant, même si l'on comprend qu'il y ait des contraintes techniques ou opérationnelles.
Je peux citer l'exemple des hospitalisations « pour et avec covid », c'est-à-dire des patients qui sont porteurs du SARS-CoV-2, que l'on appelle aussi les « patients covid ». On sait qu'une part d'entre eux est hospitalisée en priorité pour un motif autre que le covid. Cette information figurait dans les rapports hebdomadaires de Santé publique France il y a maintenant près d'un an, mais plus à l'automne. Nous voulions que cette donnée, qui nous semblait intéressante, soit ajoutée aux données qui sont mises à jour chaque soir. Nous sentions que le public était demandeur de cette information. Cette donnée a fini par arriver, il y a quelques jours, en open data. Nous en sommes très contents.
Guillaume Rozier a beaucoup parlé du changement de traçabilité : il pouvait effectivement être un peu frustrant et étonnant, alors qu'Omicron était en train de s'implanter en France, de ne plus pouvoir mesurer dans quelle région il progressait le plus. La situation est désormais rétablie, avec le nouveau système dont a parlé Guillaume, mais c'est vrai qu'il y a eu une période de flou au coeur des vacances de Noël.
Oui, il y a toujours des données que l'on regrette de ne pas avoir. Je peux en citer deux. Premièrement, la part, parmi les cas positifs, de symptomatiques et d'asymptomatiques, est une information qui me semblerait intéressante, surtout avec Omicron, alors que 300 000 cas positifs ont pu être recensés en 24 heures. Deuxièmement, il serait intéressant que nous puissions savoir combien de personnes, parmi les vaccinés qui n'ont pas encore reçu leur dose de rappel, ont été infectées il y a moins de trois mois et n'ont donc pas besoin de cette dose pour garder leur passe. Cette information serait précieuse, mais elle est impossible à avoir ; on ne peut que faire des estimations.
M. Germain Forestier. - Concernant les retraitements, je suis très attaché à ce qu'il y ait une cohérence entre ce que l'on va calculer et publier de notre côté, en tant que citoyens, et les valeurs qui vont être affichées, par exemple sur le site officiel de Santé publique France. Si j'indique que le taux d'incidence actuel, en France, est de 2483, j'espère retrouver le même chiffre chez Guillaume Rozier ainsi que chez Santé publique France. Les données sont présentées de manière un peu différente, de façon à mettre en lumière certains aspects, mais les données nous affichons sont a priori les mêmes que celles des agences sanitaires.
Nous pouvons être amenés à effectuer quelques calculs, mais ces derniers sont tout à fait cohérents par rapport à ce qui est fait au niveau des agences sanitaires.
Il est effectivement important que nous puissions accéder aux données en open data. Les fichiers doivent pouvoir être facilement réutilisables par des programmes informatiques.
S'agissant des données que nous regrettons de ne pas avoir à notre disposition, je pense à la précision, notamment géographique, de certaines données. Nous avons souvent demandé à pouvoir descendre plus bas que le département, parce que les gens voulaient connaître le taux d'incidence dans leur commune, dans leur communauté de communes, etc. Des données infradépartementales sont fournies par Santé publique France, par tranche d'incidence - entre 0 et 100, entre 100 et 200... Au demeurant, cela pose des problèmes d'anonymisation des données : Santé publique France a cette contrainte de ne pas trop aller dans les détails, pour que l'on ne puisse pas identifier les personnes.
Nous demandons très régulièrement de nouvelles données. Nous sommes conscients que nous nous comportons là en enfants gâtés, puisque nous avons déjà énormément de données en France - notre pays est bien positionné au niveau international quant à la quantité d'indicateurs disponibles.
Concernant les données de l'éducation nationale, il faut savoir que nous n'avons eu les données, notamment les taux d'incidence par niveau scolaire, qu'à partir d'avril 2021. Précédemment, il y avait deux tranches d'âge - 0-9 ans et 10-19 ans -, ce qui était assez peu précis pour suivre l'épidémie au niveau des écoles. Depuis avril, les tranches d'âge sont beaucoup plus précises pour les taux d'incidence, mais un certain nombre d'informations ne sont malheureusement toujours pas disponibles. Cette situation est frustrante, parce qu'il s'agit de données que l'on peut retrouver dans des fichiers PDF diffusés çà et là, mais dont la reconstruction requiert un travail de fourmi.
L'information sur les réinfections nous intéresserait également. Elle existe d'ores et déjà. Actuellement, dans la base SI-DEP, qui contient les informations relatives aux contaminations, on considère qu'une personne est réinfectée si elle a deux tests positifs séparés de 60 jours. Quand plusieurs tests positifs sont réalisés au cours d'une même semaine, un seul est compté pour le taux d'incidence.
Il existe d'autres données : des données de séquençage, des données de séroprévalence, des données issues des études de cohortes. Ces données existent à différents endroits, mais ne sont pas facilement accessibles pour les personnes qui souhaitent les réutiliser.
Mme Chantal Deseyne, rapporteur. - Vous avez tous trois un positionnement un peu particulier, puisque vous traitez de l'information en vous situant entre les autorités sanitaires et le grand public.
Quelle est votre ligne éditoriale pour diffuser les différents messages ? Selon quel critère retenez-vous une information plutôt qu'une autre ?
Avez-vous mesuré l'impact de vos publications sur l'information relative au covid, mais aussi sur l'incitation à la vaccination ainsi que dans la lutte contre les fake news ?
N'avez-vous pas quelquefois le sentiment de faire doublon avec d'autres organismes - Santé publique France, la Drees, etc. - en retraitant les données ?
Quel regard portez-vous sur les conséquences du passe sanitaire, puis du passe vaccinal, en particulier au travers des différentes plateformes de rendez-vous ?
M. Germain Forestier. - La question du critère est très importante ; on nous la pose assez régulièrement.
J'essaie, dans mes publications, de rester au plus près de ce que publie également Santé publique France. Nous recalculons quelques indicateurs, comme des taux d'augmentation qui ne sont pas affichés de manière explicite chez Santé publique France. Cependant, je ne fais pas d'analyse plus précise de ces données : je les montre simplement de manière différente.
L'impact de ce que nous faisons est assez difficile à évaluer, mais nos travaux ont l'air d'intéresser du monde si l'on se fie au nombre de personnes qui nous suivent. Nous avons été étonnés, Guillaume Rozier et moi, de l'intérêt des citoyens. Il faut dire que la pandémie de covid 19 rythme leur vie depuis deux ans...
Pour lutter contre les fake news, on essaie d'expliquer les données et de faire de la pédagogie, notamment sur leurs limites. Certaines données peuvent être mal interprétées. Par exemple, jusqu'à très récemment, les données d'hospitalisation, de réanimation, de décès pouvaient uniquement être obtenues en fonction de la date de déclaration : quand on dit qu'il y a eu 200 décès en 24 heures, ce sont 200 décès qui ont été déclarés en 24 heures, mais ils ont pu survenir la semaine précédente. Nous l'avons répété sans cesse depuis deux ans, mais ce n'est pas encore intégré.
De même, certaines comparaisons sont effectuées jour après jour, mais on ne peut comparer le chiffre du lundi avec celui du dimanche : il y a systématiquement une sous-déclaration le week-end et une surdéclaration en début de semaine. Il faut donc calculer des moyennes sur une semaine pour avoir des chiffres plus fiables.
Nous essayons de faire oeuvre de pédagogie et d'expliquer ces limites, ce qui est aussi une façon de lutter contre les fake news.
Nous sommes régulièrement interpellés sur le fait que nous travaillerions en doublon. Il ne serait pas normal que des citoyens fassent ce travail, qui relèverait des seules autorités sanitaires, comme Santé publique France. Ce n'est pas du tout ainsi que je vois les choses. L'open data est vraiment un vecteur d'innovation : les possibilités d'utilisation, de présentation, de restitution des données deviennent infinies.
La démarche consistant à proposer les données en open data est vraiment une invitation à les tester, à les vérifier ou à proposer des choses originales. Nous représentons ici plein de personnes qui, sur les réseaux sociaux, s'intéressent aux données et cherchent à les présenter de manière innovante.
Je considère plutôt que nos travaux se complètent. En revanche, je n'avais pas anticipé que certaines personnes auraient plus confiance dans nos chiffres et nos publications que dans ceux des autorités sanitaires. Le fait que ce soit un citoyen qui ait récupéré les données, qui les ait formatés, que ce ne soit pas le Gouvernement qui parle, nous donne un capital confiance supérieur.
M. Nicolas Berrod. - S'agissant de la ligne éditoriale, je travaille, pour ce qui me concerne, sur deux produits : les graphiques quotidiens, que je mets à jour en expliquant leurs limites, et les articles que j'écris pour Le Parisien, qui me donnent la possibilité d'approfondir un sujet, de faire réagir des chercheurs, des épidémiologistes, des scientifiques, des médecins.
Si, par exemple, on atteint un pic de patients en soins critiques, on va essayer de raconter comment cela se passe, sur le terrain. De fait, il ne faut pas oublier que, derrière le nombre de morts, il y a des personnes et des familles. Derrière le nombre de patients hospitalisés, il y a des soignants. Il est donc important de faire des articles pour raconter ce qu'impliquent ces données, concrètement, sur le terrain.
La lutte contre les fausses informations qui peuvent circuler, et Dieu sait qu'il y en a eu lors de cette crise, constitue une grande partie de mon travail de journaliste. Des choses ont pu être dites, que les données ne permettaient pas de vérifier.
L'intérêt d'avoir autant de données à disposition - nous n'avons pas parlé des données à l'étranger, mais nous en disposons aussi via d'autres sources - est de pouvoir, procéder à des comparaisons et, ainsi, vérifier assez rapidement ce qui peut être dit par des personnalités politiques ou sur les réseaux sociaux et qui n'est pas forcément vrai.
Cela dit, je suis bien conscient qu'il y a des personnes que l'on n'arriverait pas à convaincre, même avec des articles, des graphiques ou des publications sur Twitter, ou qui continueront de ne pas croire ce qu'on peut leur raconter.
Il est arrivé à plusieurs reprises que les données qui étaient mises à disposition par les agences publiques aient été corrigées parce que ces dernières se sont rendu compte qu'il y avait des erreurs ou des doublons. J'en prendrai deux exemples.
Premièrement, au début de l'année dernière, le nombre de cas positifs était légèrement surestimé du fait de doublons : des personnes avaient été testées positives avec un test antigénique, puis un test PCR. Ces personnes pouvaient donc apparaître à deux reprises dans les cas positifs, ce qui était évidemment un problème. Je l'ai appris en février, et cela a été corrigé en avril. Sur ce point, notre travail a consisté à rédiger des articles pour expliquer, de façon pédagogique, ce qui s'était passé.
Il est donc toujours important de préciser les limites des données que l'on montre, avec modestie. Ce n'est pas grave en soi, mais il faut pouvoir expliquer pourquoi les données ont changé.
Deuxième exemple, sur le sujet très sensible des hospitalisations selon le statut vaccinal, les données sont complexes, parce qu'elles impliquent de croiser différentes bases de données. Le nombre de non-vaccinés n'était donc pas forcément cohérent avec celui de Santé publique France. La Drees s'en est rendu compte ; elle a changé à la marge son mode de calcul, ce qui a modifié le nombre de non-vaccinés, donc les taux d'hospitalisation, de cas positifs...
Il est important d'expliquer que les données ont des limites et qu'elles peuvent être corrigées. Nous le faisons sur Twitter et via mes articles. Si nous faisons preuve de pédagogie, cela ne pose pas de problème.
Comme Germain Forestier, je ne pense vraiment pas que nous faisons doublon. Je pense plutôt que nous sommes complémentaires des agences officielles. Toutes les visualisations, tous les graphiques, tous les articles que nous pouvons faire, Santé publique France ou l'assurance maladie les font aussi, mais ce n'est pas leur coeur de métier : en termes de visualisation, nous avons le champ libre. D'ailleurs, certaines figures de Guillaume Rozier sont souvent évoquées par Alain Fischer et des graphiques de Germain Forestier ont pu apparaître dans les avis du conseil scientifique. En fait, il s'agit d'une sorte d'écosystème, qui profite un peu à tout le monde.
Quel a été l'impact du passe sanitaire, puis du passe vaccinal notamment sur la vaccination ? Quand Emmanuel Macron a annoncé l'instauration d'un passe sanitaire, le 12 juillet à 20 heures, le site Doctolib était saturé deux minutes plus tard... Énormément de gens ont dû se dire que, pour aller au restaurant ou au cinéma, ils devraient avoir un passe, donc se faire vacciner. L'impact a donc été majeur.
S'il y a eu un petit rebond des primo-injections lorsque le passe vaccinal a été annoncé mi-décembre, il est important de noter que ce rebond était en partie porté par les enfants, qui venaient d'être éligibles. Les données montrent que ce sont surtout les jeunes adultes - ceux qui sont le plus susceptibles de vouloir aller au restaurant ou au cinéma - qui se sont davantage fait vacciner le jour où le passe vaccinal a été annoncé. L'impact du passe vaccinal sur les primo-injections n'a pas été majeur. En tout état de cause, il a été moins élevé que celui du passe sanitaire.
En outre, il y a un biais : énormément de personnes ont été testées positives à Omicron depuis moins de trois mois. Toutes ces personnes doivent attendre au moins deux ou trois mois pour se faire vacciner. Cela explique pour l'essentiel pourquoi, depuis deux semaines, la courbe des vaccinations chute.
M. Guillaume Rozier. - Je suis en accord avec la totalité des réponses de Germain Forestier et Nicolas Berrod.
Je rejoins tout à fait ce qui a été dit sur la ligne éditoriale. Une analyse et une présentation de données nécessitent forcément certains choix subjectifs. Même si l'on essaie d'être le plus objectif possible, un simple choix d'échelle, de couleurs ou de forme peut avoir des impacts sur l'interprétation et la compréhension des données. La publication de façon libre et gratuite des données en open data par l'État est, à cet égard, très importante, puisqu'elle permet une pluralité d'interprétations.
Comme beaucoup de journalistes et de personnes qui interviennent sur internet, nous sommes très suivis par des personnalités politiques qui sont aux responsabilités, mais aussi par des citoyens, qui prennent des décisions individuelles à leur niveau pour lutter contre l'épidémie. Il est très important, pour ces personnes, de disposer d'une pluralité d'interprétations qui leur permette une compréhension plus fine et plus objective de la réalité de la situation.
Pour ce qui nous concerne, nous avons décidé de publier le code informatique des algorithmes en open source. Chacun peut donc consulter le code informatique de CovidTracker, vérifier que nous n'avons pas fait d'erreur ou qu'il n'y a pas de biais dans le traitement des différentes données.
Je ne pense pas que nous fassions doublon avec les autres organismes ; c'est, du reste, lié à ce que je viens de dire. Le citoyen est beaucoup plus agile et flexible que l'État. Cela nous a permis de faire des analyses très rapidement - en quelques jours - en mars 2020, quand l'État a mis plusieurs mois, voire plusieurs années, à mettre en place des analyses, des sites internet, des tableaux de bord permettant de suivre les données.
S'agissant de l'impact sur l'information et l'incitation à la vaccination, comme l'a dit Nicolas Berrod, un certain nombre de nos visualisations de données sont reprises publiquement, y compris, par exemple, dans des conférences de presse du Premier ministre ou du Président de la République, mais aussi par les médias. Elles ont donc un impact considérable sur l'information et sur le débat, que nos analyses factuelles de données factuelles contribuent à alimenter.
Je pense que l'open data est très important dans la lutte contre les fake news, tout simplement parce que la publication des données à des échelles vraiment très fines - départementales, voire infradépartementales - permet une certaine vérifiabilité des données : la personne qui resterait sceptique peut vérifier elle l'information.
En février 2020, on n'avait pas d'argument solide à opposer à une personne complotiste qui contestait l'existence du covid-19. Maintenant que les données des tests positifs sont publiées de manière assez fine et précise, on pourrait l'inviter à procéder à ses propres vérifications, à interroger les laboratoires situés à proximité, à faire des comparaisons avec les données publiées par l'État... L'open data offre une transparence qui donne confiance aux citoyens sur les données.
Les décisions prises pour lutter contre le covid-19, comme le passe sanitaire et le passe vaccinal, sont des décisions politiques, reposant notamment sur des facteurs qui sortent de mon champ d'action, notamment des facteurs économiques, de santé mentale, etc.
Il est évident que le passe sanitaire a engendré une entrée dans le schéma vaccinal d'un certain nombre de personnes. Le Conseil d'analyse économique estime ainsi qu'il a permis, à l'été 2021, de faire avancer d'environ 13 points le taux de primovaccination. L'impact du passe vaccinal est beaucoup plus difficile à évaluer, notamment parce que les fêtes de fin d'année ont fait baisser temporairement le rythme de vaccination, mais aussi parce que la vaccination a été ouverte aux enfants, ce qui a entraîné un certain nombre de primovaccinations supplémentaires. En tout état de cause, il a probablement été beaucoup plus mesuré : quand le passe sanitaire aurait permis la vaccination de 5 à 10 millions de Français qui ne se seraient pas fait vacciner sinon, le passe vaccinal n'en a probablement suscité que plusieurs centaines de milliers. Je pense qu'un certain nombre d'études seront réalisées pour chiffrer cet effet.
M. Alain Milon, président. - Je retiens qu'il y a une certaine défiance à l'égard des sites officiels et, au contraire, une certaine confiance vis-à-vis de vos sites.
Monsieur Forestier, vous avez déclaré que vous vérifiez que vos chiffres étaient identiques à ceux de vos collègues. S'ils ne le sont pas, faites-vous en sorte qu'ils le soient ?
M. Germain Forestier. - Cette défiance est assez étonnante. Il peut toujours y avoir des erreurs. Nous en détectons en consultant les sources officielles.
Quand nous constatons des incohérences, nous en discutons. J'échange ainsi régulièrement avec Nicolas Berrod, Guillaume Rozier et d'autres sur les bizarreries que je peux repérer dans les données publiées quotidiennement. Quand nous ne comprenons pas, nous contactons le producteur de données, Santé publique France, qui peut alors se rendre compte qu'il a fait une erreur ou qui nous donne une explication. Parfois, c'est nous qui commettons des erreurs d'interprétation. Je pense que ces échanges au sein de cet écosystème sont vraiment sains et permettent une amélioration des données. Je vois donc les incohérences plus comme une chance de découvrir une erreur éventuelle que comme un problème réel.
Il faut savoir que les données de contamination SI-DEP s'appuient sur les informations rentrées par les milliers de laborantins des laboratoires de biologie médicale, qui sont ensuite remontées et agrégées au niveau national. Les indicateurs ne sont que le bout d'une chaîne de traitement énorme, dans laquelle peuvent se poser de petits problèmes.
Mme Florence Lassarade. - Vos travaux sont très rassurants sur le niveau de notre recherche.
Avez-vous travaillé avec le réseau Obépine ? Si oui, que pensez-vous de sa façon de travailler ?
Disposez-vous des données de la sécurité sociale par le biais du programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI) ?
A-t-on des données sur la vaccination de l'enfant et les comorbidités ? En ma qualité de pédiatre, je sais qu'il n'y a pas d'unanimité sur la nécessité de la vaccination de l'enfant...
Vous avez fait état d'énormes difficultés pour récupérer les données de l'éducation nationale. On sait que les tests salivaires, dont l'utilisation systématique aurait pu être intéressante à un moment donné, n'ont pas été beaucoup utilisés. Quelles sont vos réflexions à ce sujet ?
M. Nicolas Berrod. - Les travaux du réseau Obépine nous intéressent depuis un an et demi. Ils consistent à s'attacher aux eaux usées plutôt qu'au nombre de personnes testées positives L'idée est de pouvoir estimer combien de personnes sont effectivement infectées en surface. Cela permettrait peut-être un suivi plus fin de l'épidémie, notamment au début d'une vague, lorsque le nombre de cas positifs augmente tout en restant bas et que l'on a un peu du mal à voir dans quelle mesure il augmente.
J'échange avec les chercheurs d'Obépine depuis largement plus d'un an. Leurs données étaient intéressantes, mais, pendant longtemps, on ne disposait pas des données brutes : on devait se contenter des rapports ou des chiffres qu'ils nous communiquaient, mais qui n'étaient pas faciles à exploiter. Finalement, au printemps dernier, ces données sont parues en open data : on a pu connaître la concentration des eaux usées en SARS-CoV-2 aux niveaux national et régional et, à partir de là, commencer à faire des analyses. Suivant les régions, la cohérence avec le nombre de cas positifs était plus ou moins forte.
Ces données sont très intéressantes, mais nous avons appris à les manier avec précaution, parce que nous n'avions pas assez de recul ni d'expérience pour pouvoir interpréter ce que montrait l'évolution du suivi des eaux usées. Cet indicateur est, en effet, moins tangible que le nombre de personnes testées positives - dont, du reste, nous disposons quotidiennement.
En outre, on avait l'impression qu'il y avait, du côté de Santé publique France, une sorte de méfiance à l'égard du réseau Obépine. Les choses semblent changer depuis quelques semaines, avec la prolongation d'un financement. L'idée est de bâtir un cadre et de pouvoir dire, ensuite, comment interpréter ces données. C'est précisément ce qui nous manque. Cela ne va pas se faire du jour au lendemain, même si le travail a été lancé. Il serait utile, en cas de prochaine épidémie, de disposer de cet indicateur dès le départ et de savoir comment bien l'interpréter. Il serait complémentaire du nombre de cas positifs.
J'en viens à la vaccination des enfants. J'ai dit tout à l'heure que, pour la vaccination, il y a, grosso modo, deux sources d'information : Santé publique France et l'assurance maladie. Celle-ci informe sur les couvertures vaccinales par comorbidité, indicateur précieux que Santé publique France ne délivre pas. En revanche, pour ce qui concerne les enfants, nous n'avons pas, à ma connaissance, d'information précise sur la couverture vaccinale par comorbidité.
On sait simplement qu'il y a eu tant d'enfants vaccinés avant l'ouverture de la vaccination à tous les enfants. De fait, avant même le mois de décembre, quelques milliers d'enfants étaient déjà vaccinés, parce qu'ils avaient un risque très important de développer une forme grave. Il était donc possible de les vacciner avant que la vaccination soit élargie aux enfants avec comorbidités « classiques », puis à tous les enfants. Cela dit, ce n'est pas à moi de trancher le débat scientifique sur la vaccination des enfants.
M. Guillaume Rozier. - J'ai travaillé avec le réseau Obépine, qui analyse les eaux usées, à la fin de l'année 2020. Nous avons pris connaissance, notamment via les médias, de leur travail, qui paraissait extrêmement intéressant, puisqu'il permettait de mesurer le niveau de circulation épidémique indépendamment du dépistage, qui constitue un biais - mécaniquement, plus le dépistage est élevé, plus on trouve de cas positifs.
Obépine a rencontré des problèmes, notamment légaux, dans la publication de ses données, des chartes de confidentialité ayant été signées avec les communes dans lesquelles des capteurs ont été installés. Le réseau n'avait donc pas le droit de publier les données. C'était aux communes de le faire, mais très peu l'ont fait.
Finalement, les choses ont bougé. On a travaillé avec eux, et ils ont été mis en relation avec le Gouvernement, qui a accéléré le mouvement et les a aidés à faire sauter certaines barrières. Les données ont donc pu être publiées, mais seulement au printemps 2021. C'est assez regrettable, puisqu'il aurait été extrêmement utile de disposer de ces données plutôt au début de l'épidémie, lorsque le dépistage était très peu déployé, ce qui biaisait la vision de la circulation du virus.
Par ailleurs, il est très difficile d'analyser les eaux usées pour suivre le covid puisque celui-ci y est présent en très petites quantités, même lorsque la circulation virale est élevée. Cette technique permet plutôt de détecter la différence entre une circulation très faible et une circulation modérée à importante du virus, mais, une fois que la circulation du virus est modérée ou importante, ce qui est le cas en ce moment, il est très difficile de voir des variations. Elle a donc moins d'intérêt aujourd'hui.
Concernant les données relatives aux enfants, Nicolas Berrod a tout dit : je ne vois pas d'éléments complémentaires à porter à votre connaissance.
M. Germain Forestier. - L'une des difficultés des données Obépine est qu'il y avait également beaucoup de corrections à apporter aux données brutes relevées par les capteurs, notamment du fait de la variabilité assez importante de la sécrétion et de sa durée suivant les personnes - certaines personnes peuvent sécréter pendant quelques jours, quelques semaines, voire quelques mois. Les précipitations jouent également sur la dilution. Il faut prendre en compte tous ces éléments pour affiner les chiffres.
Sur la vaccination des enfants, il ne me semble pas qu'il y ait de lien direct entre le PMSI et SI-VIC, qui ne doit pas contenir de données médicales. Effectivement, nous n'avons pas de données précises sur les comorbidités des enfants.
Mme Jocelyne Guidez. - Vos données incluent-elles les outre-mer ? Avez-vous réalisé des études un peu plus pointues sur ces régions ? La covid y a fait des ravages, car la couverture vaccinale y était faible.
M. Guillaume Rozier. - Les données relatives aux outre-mer sont publiées par Santé publique France et par quasiment tous les acteurs, qui opèrent une distinction entre ces territoires et la métropole.
Cela est vrai pour la plupart des territoires d'outre-mer, mais pas pour tous : les données relatives aux plus petits territoires ne sont pas publiées, mais j'imagine qu'elles seraient moins signifiantes.
Quoi qu'il en soit, nous disposons des données relatives aux outre-mer. Ces données sont très intéressantes, parce que la situation est souvent très différente outre-mer : ces territoires sont très éloignés et ne se situent pas forcément dans le même hémisphère. La temporalité des vagues peut y être différente. Le taux de vaccination y est également très différent, ce qui entraîne un surcroît d'hospitalisations par rapport à la métropole.
Sur la base de ces données, nous produisons des graphiques relatifs aux territoires d'outre-mer.
M. Germain Forestier. - Effectivement, nous disposons de données relatives aux outre-mer. Il me semble que les outre-mer sont couverts de la même manière que la métropole.
Comme les dynamiques épidémiques sont parfois vraiment différentes, il peut nous arriver de faire un focus sur la métropole, mais tous les graphiques sont générés par département, en incluant évidemment ceux de l'outre-mer.
Sur la vaccination, les données relatives aux outre-mer n'ont pas été disponibles durant quelques semaines. Une partie des données initialement produites par Santé publique France l'étaient par lieu de vaccination, et non par lieu de résidence, ce qui conduisait à des sous-estimations et à des surestimations dans certains départements en raison du « tourisme vaccinal » - le fait de changer de département pour se faire vacciner. Cela a été corrigé par la suite. À la suite de cette mise à jour, des données sur les couvertures vaccinales dans les outre-mer n'ont pas été disponibles durant un certain temps. Je vous avouerai que je n'ai pas regardé récemment les données concernées.
M. Nicolas Berrod. - On peut effectivement faire le choix de regarder les indicateurs au niveau de la seule métropole. Cependant, dans la majorité des cas, on considère la France entière, y compris l'outre-mer, mais il faut garder en tête que cela peut engendrer un biais.
Par exemple, la vague de l'été dernier, avec le variant Delta, a été particulièrement forte dans les territoires d'outre-mer, notamment dans les Antilles. En août, un décès sur quatre à l'hôpital en France était survenu en Guadeloupe ou en Martinique ! Quand on nous dit qu'il y a 200 décès pour la France entière, on ne se rend pas forcément compte que 50 d'entre eux ont été rapportés dans ces départements. Vu de métropole, où le taux de vaccination est très élevé, ces chiffres paraissent énormes.
La couverture vaccinale est toujours aujourd'hui à peu près deux fois moins élevée aux Antilles qu'en métropole. Il est important de garder en tête et d'expliquer dans nos articles que les vagues épidémiques ne sont pas de même intensité dans les outre-mer et en métropole, et que les situations sont très différentes.
On peut faire le choix - cela m'est arrivé à plusieurs reprises - de consacrer des articles ou des analyses aux seuls territoires d'outre-mer, en se fondant sur les indicateurs qui les concernent, en interrogeant les gens sur place, en confrontant les données aux réalités du terrain... Mais, dans l'immense majorité des cas, les indicateurs présentés soit par le Gouvernement, soit par nous, valent pour la France entière, y compris, donc, les territoires ultramarins.
M. Daniel Chasseing. - Messieurs, vous entendre évoquer votre travail, qui vise à traiter scientifiquement des données afin d'éclairer objectivement nos concitoyens, mais aussi les rapports très sains et faciles que vous avez avec les organismes publics me réconforte.
Actuellement, certains anti-vax proclament que la vaccination ne marche pas, puisque le nombre de personnes en soins critiques ou en réanimation augmente. Cela s'explique par le fait que la contamination par le variant Omicron est beaucoup plus massive. Or 80 % des personnes qui se retrouvent en soins critiques ne sont pas vaccinées.
Le fait que ce sont des personnes non vaccinées qui se retrouvent en soins critiques est-il suffisamment mis en évidence ?
M. Guillaume Rozier. - Cela me fait penser à la question qu'a posée Mme la rapporteure sur les données que nous n'avons pas à notre disposition.
Bien évidemment, nous disposons des données relatives au statut vaccinal des personnes admises à l'hôpital, c'est-à-dire le nombre d'entrées quotidiennes à l'hôpital et en soins critiques en fonction du statut vaccinal, publiées par la Drees.
En revanche, nous ne connaissons pas le nombre de personnes actuellement hospitalisées, c'est-à-dire le nombre de lits occupés à l'instant T, en fonction du statut vaccinal. C'est une donnée dont nous aimerions disposer. Elle serait très importante, puisque l'on suspecte que la durée du séjour à l'hôpital des personnes vaccinées est plus courte.
Nous pouvons donc aujourd'hui, monsieur le sénateur, évaluer la réduction du risque d'admission à l'hôpital à la suite de la vaccination.
L'analyse est complexe. Si l'on regarde les chiffres de façon absolue, un peu plus de 50 % des personnes qui entrent chaque jour à l'hôpital sont vaccinées. Cela ne veut pas dire que la vaccination n'est pas efficace ; au contraire ! Plus de 90 % des personnes éligibles à vaccination sont vaccinées. Elles sont sous-représentées parmi les admissions à l'hôpital. Si l'on s'intéresse aux admissions de manière relative - rapportées aux effectifs de personnes vaccinées et non vaccinées -, on remarque que le risque d'admission à l'hôpital est bien plus faible chez les personnes vaccinées.
Ces données sont mises à notre disposition par la Drees, qui publie des rapports hebdomadaires. Nous réalisons, à partir de ces données, des analyses, des graphiques, que nous publions. Je pense que nous faisons le maximum pour que ces données soient visibles par le grand public.
M. Germain Forestier. - Il ne faut pas en rester au pourcentage de personnes vaccinées ou non vaccinées qui sont en réanimation. Il faut regarder également les effectifs. Actuellement, la très grande majorité de nos concitoyens sont vaccinés, mais le vaccin ne marche tout de même pas à 100 % - il y a notamment des personnes immunodéprimées avec de très fortes comorbidités. Nous essayons de communiquer à ce sujet.
La Drees a réalisé un important travail d'appariement, de mise en relation de la base de données du statut vaccinal et de celle des hospitalisations. Ces données, qui étaient demandées depuis longtemps, sont arrivées un peu tardivement.
Je ne vois pas ce que l'on pourrait faire de plus que de montrer ces données et d'essayer d'expliquer que la vaccination est efficace et qu'il faut se faire vacciner.
M. Nicolas Berrod. - Je ne compte plus les articles que j'ai écrits, sur la base des études qui ont été publiées et des données de vie réelle sorties en France ou dans d'autres pays, qui montrent que la vaccination réduit très fortement le risque de forme grave.
On nous reproche parfois de ne pas dire qu'il y a des vaccinés à l'hôpital, mais dire que la vaccination réduit très fortement le risque d'être hospitalisé ne veut pas dire qu'il n'y aura pas de personnes vaccinées qui iront à l'hôpital !
L'immense majorité des gens sont vaccinés, mais les données de la Drees ne permettent pas de savoir combien d'entre eux souffrent de comorbidités. Or le groupe des vaccinés est très divers : vaccinés immunodéprimés, vaccinés avec comorbidités, vaccinés qui n'ont pas eu leur rappel...
Cela limite l'analyse des données. Il nous serait évidemment extrêmement utile de disposer de données relatives aux comorbidités : cela montrerait sans doute que les personnes immunodéprimées, même vaccinées, présentent toujours un risque plus important d'aller à l'hôpital que les vaccinés qui ne sont pas immunodéprimés.
Bien évidemment, toutes les études et toutes les données montrent l'efficacité des vaccins contre les formes graves. En revanche, il est vrai, comme vous l'avez dit, monsieur le sénateur, qu'il y a, avec Omicron, ce qu'on appelle un « échappement immunitaire » : ce variant infecte les personnes vaccinées plus facilement que le variant Delta. Cependant, avec une dose de rappel, la protection contre les formes graves reste à un niveau très élevé.
Il existe encore une part d'inconnu sur la façon dont cette protection très élevée se maintiendra dans le temps. Les premières données britanniques sont plutôt rassurantes, mais nous manquons évidemment encore un peu de recul. Quoi qu'il en soit, il est incontestable que le risque de développer une forme grave est largement réduit par la vaccination.
Mme Marie-Pierre Richer. - Nous avons bien compris que le travail que vous réalisez est complémentaire de ce qui est fait par les institutions et de nature à rassurer nos concitoyens.
Ne pensez-vous pas que toutes ces données finissent par donner le tournis et contribuent au caractère anxiogène de notre société, qui est à la recherche de données toujours plus pointues ?
Avez-vous compilé des données concernant les déprogrammations dont on nous parle tant ?
M. Nicolas Berrod. - L'excès de données risque-t-il de tuer la donnée ? C'est une question que l'on entend souvent. En tant que journaliste, j'y suis confronté quotidiennement.
Par exemple, certains se demandent s'il est pertinent de communiquer chaque jour sur le nombre effrayant de cas de contamination à Omicron. Cette question peut sembler légitime, et je l'entends parfaitement, mais je considère que cela a toujours du sens, dans la période que nous connaissons, de savoir combien de personnes ont été testées positives chaque jour. Le fait que l'on teste beaucoup plus qu'à une certaine époque explique aussi pourquoi l'on trouve beaucoup plus de cas positifs.
Voilà quelques semaines, un journaliste britannique du Financial Times, lui aussi spécialisé dans l'analyse des données, a écrit un message humoristique sur Twitter pour dire qu'il se perdait dans l'avalanche de données... Ce risque est réel.
Un autre risque existe : celui d'oublier ce qu'il y a derrière ces données. Le nombre de cas positifs, le nombre de patients hospitalisés, le nombre de décès ont des traductions concrètes, dans la vie réelle. Les cas positifs signifient des cas contacts, des isolements, des perturbations dans certains secteurs. L'augmentation du nombre de patients hospitalisés impacte concrètement le fonctionnement de l'hôpital.
Je n'ai pas connaissance de données, en tout cas de données publiées régulièrement, sur le nombre de déprogrammations et sur leurs raisons précises. Elles peuvent être causées aussi bien par un excès de patients atteints du covid-19 à prendre en charge que par un manque de personnel ou de lits. Pour autant, nous enquêtons sur le terrain, nous interrogeons des médecins, nous posons la question aux agences régionales de santé (ARS) : ce n'est pas parce qu'il n'y a pas de données que nous ne travaillons pas sur un sujet. Vous avez raison, il faut savoir parfois sortir le nez du guidon et prendre un peu de recul pour bien interpréter les données.
M. Germain Forestier. - Les données, en effet, sont très nombreuses, et de sources diverses : Santé publique France, la Dress, l'assurance maladie, Insee... Nous cherchons à en simplifier la présentation pour nos concitoyens.
Oui, il faut compter ce qu'on arrête ! Ce n'est pas à nous de déclarer quand l'épidémie sera finie. Évidemment, nous n'aurions jamais imaginé qu'il y aurait un tel intérêt pour nos travaux. Nous espérons pouvoir les arrêter rapidement, car nous les menons sur notre temps libre ! Nous les arrêterons dès que le consensus sera que l'épidémie est terminée.
M. Guillaume Rozier. - Vous parlez du potentiel anxiogène des données. À mon avis, l'analyse des données est moins angoissante qu'un chiffre brut donné quotidiennement. La mise en perspective est plus intéressante, qui montre les évolutions, à la hausse ou à la baisse. C'est la compréhension fine des données qui rend leur présentation moins anxiogène.
Nous essayons de produire des analyses objectives, sans commenter les résultats : nous livrons les données à nos concitoyens de manière neutre. Sur les déprogrammations, nous ne disposons pas des données, en effet. Peut-être sont-elles disponibles au niveau de chaque centre hospitalier ? D'ailleurs, nous n'avons pas beaucoup de données sur le système hospitalier. Par exemple, on ne peut pas savoir combien de personnes sont hospitalisées à un moment donné, toutes causes confondues. Nous ne connaissons pas non plus la répartition des hospitalisations en fonction des pathologies, ni entre niveaux de gravité. Certains autres pays, comme le Canada, publient de telles données, très utiles pour comprendre l'état du système hospitalier et l'état de santé des citoyens.
M. Alain Milon, président. - Il semble que deux millions d'actes médicaux et chirurgicaux ont été déprogrammés. Pourrions-nous vous revoir dans quelques années pour analyser les conséquences de ces déprogrammations sur les patients ?
Merci, en tout cas, pour tous ces renseignements.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Mission d'information sur l'adéquation du passe vaccinal à l'évolution de l'épidémie de covid-19 - Audition du Pr Alain Fischer, président du Conseil d'orientation de la stratégie vaccinale
M. Alain Milon, président. - Dans le cadre de la mission d'information sur l'adéquation du passe vaccinal à l'évolution de l'épidémie de covid-19, nous avons à présent l'honneur de recevoir le professeur Alain Fischer, président du Conseil d'orientation de la stratégie vaccinale.
J'indique que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo qui sera retransmise en direct sur le site du Sénat et disponible en vidéo à la demande.
Je rappelle que l'objet de notre travail n'est pas de refaire le débat sur le passe vaccinal. Ce débat a été tranché par le Sénat, qui a voté ce dispositif à une large majorité.
Notre sujet est plutôt de vérifier qu'un instrument conçu dans un contexte donné, avec un variant donné, est toujours adapté, quelques semaines plus tard, à une nouvelle configuration de l'épidémie.
Vous nous direz, monsieur le professeur, quelle place le passe vaccinal a prise et prend encore dans la stratégie vaccinale et, plus largement, dans la gestion de cette épidémie.
Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, vous demander de prêter serment. Je rappelle que tout témoignage mensonger devant une commission d'enquête parlementaire est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende. Monsieur le professeur, prêtez serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure. »
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, le professeur Alain Fischer prête serment.
Professeur Alain Fischer, président du Conseil d'orientation de la stratégie vaccinale. - Je crains de vous répéter des choses que vous avez déjà beaucoup entendues...
M. Alain Milon, président. - Cent fois sur le métier...
Professeur Alain Fischer. - Je commencerai donc par faire un rapide bilan de la situation de la pandémie. Heureusement, dans l'immense majorité des cas, l'infection au SARS-CoV-2 est bénigne, voire asymptomatique. Le virus disparaît de l'organisme à mesure que s'organise la réponse immunitaire, normalement en quelques jours. En France, 21,1 millions de cas ont été diagnostiqués à ce jour. Ce chiffre sous-estime certainement la réalité, mais il donne un ordre de grandeur convenable.
Malheureusement, dans un certain nombre de cas, rares, mais pas négligeables, la maladie prend des formes sévères, en particulier, mais pas exclusivement, chez les personnes âgées et les personnes déjà malades. Dans ce cas, la réponse immunitaire s'emballe et le virus n'est plus contrôlé. En France, nous totalisons, depuis début 2020, 700 000 hospitalisations et 133 600 décès. Dans le monde, l'épidémie a causé au moins 5 700 000 décès, sachant que ce chiffre provient de données largement sous-estimées dans certains pays.
Aujourd'hui, le taux d'incidence est de 2,5 % environ. Il est en décroissance, après avoir atteint 3,7 % le 25 janvier. Le variant Omicron est devenu quasiment exclusif, puisqu'il constitue plus de 99 % des cas. Même si la vague actuelle est en décroissance, ses conséquences médicales sont loin d'être négligeables : en moyenne hebdomadaire, on compte plus de 2 700 hospitalisations par jour, dont les deux tiers ont pour cause principale le covid-19. C'est un chiffre considérable, tout comme celui des 300 hospitalisations quotidiennes en soins critiques, dont entre 80 % et 90 % ont pour cause principale le covid-19, et celui des 285 décès quotidiens. Nous ne sommes donc pas au bout de la vague ni de ses conséquences, y compris indirectes, sur le fonctionnement de nos structures hospitalières.
Le SARS-CoV-2 est un virus à ARN, qui mute sans cesse. Chaque personne infectée est porteuse de différentes souches. L'arbre généalogique du virus montre bien les variants principaux. Alpha a été présent en France, après être arrivé en Grande-Bretagne au printemps dernier. Nous avons presque oublié Bêta et Gamma, qui ne se sont pas trop répandus en France, d'ailleurs : Bêta s'est diffusé surtout en Afrique du Sud et Gamma, au Brésil. Delta a été très présent chez nous l'automne dernier, en revanche. Quant à Omicron, il est très différent des autres. Il est apparu en Afrique du Sud après une succession de mutations, probablement chez une même personne immunodéficiente. Sur la branche qui y mène, un bras collatéral mène à BA.2, qui vient du Danemark et semble se développer. Il n'est pas plus pathogène, mais la réponse immune est très légèrement distincte de celle qui a été générée par Omicron. Il n'est pas exclu que BA.2 soit à son tour rebaptisé avec une lettre grecque. Sa diffusion ralentit probablement la phase de décroissance qu'on observe aujourd'hui.
Omicron résulte de nombreuses mutations, notamment sur la protéine Spike, qui permet au virus de s'attacher aux cellules, ce qui induit la réponse immunitaire, et contre laquelle immunise la vaccination. Les mutations qui le caractérisent sont beaucoup plus nombreuses que celles qui définissent Delta. C'est donc un variant très différent des autres. Il manifeste une moindre sensibilité à la réponse immunitaire, vaccinale ou naturelle - c'est ce qui a fait qu'il a été sélectionné. Et il jouit d'une transmissibilité accrue de plus de 80 %. Heureusement, sa sévérité est moindre, elle aussi 80 % environ.
De plus, le taux d'anticorps contre Omicron est extrêmement faible, même après deux doses de vaccin. En revanche, après trois doses, la réponse immunitaire devient très significative et protectrice. Le rappel est donc absolument primordial dans le contrôle de l'infection par Omicron, et donc des formes graves. En tout cas, j'y insiste, la protection contre le risque d'hospitalisation reste supérieure à 90 %.
La couverture vaccinale en France n'est pas mauvaise, même si elle n'est pas parfaite. Plus de 93 % des personnes âgées de plus de douze ans ont reçu au moins une dose. Cela représente 80 % de tous les Français, tous âges confondus, y compris les bébés, qu'on ne vaccine pas. La vaccination des enfants, malheureusement, ne progresse pas assez vite.
Une modélisation faite par des économistes montre bien l'effet du passe sanitaire sur la couverture vaccinale : s'il n'y avait pas eu de passe sanitaire, 13 % des Français aujourd'hui vaccinés n'auraient reçu aucune dose.
En quoi la vaccination est-elle utile ? Toutes les données montrent que le vaccin continue de protéger contre l'infection, contrairement à ce qu'on dit. L'effet n'est certes pas massif, mais, à l'échelle épidémiologique, il est tout à fait significatif, et donc très important. Il protège aussi, très clairement pour le coup - d'un facteur dix - contre l'entrée en hospitalisation conventionnelle et en soins critiques et de réanimation. Pour un sujet infecté, le risque d'être hospitalisé baisse fortement si l'on est vacciné, même si la protection diminue avec l'âge. Surtout, après le rappel, la protection contre les formes graves est excellente. Aujourd'hui, 36,6 millions de Français ont reçu une dose de rappel, parmi lesquels plus de 80 % des plus de 65 ans.
Qui meurt du covid-19 en France ? Il y a essentiellement trois catégories de personnes. D'abord, les personnes non vaccinées et, notamment, celles qui sont très âgées. Il y en a encore 450 000, malheureusement. Ensuite, 10 % des décès sont dus au couplage du covid-19 avec des pathologies chroniques diverses, qui vont de l'insuffisance rénale à l'obésité, en passant par les cancers ou les maladies psychiatriques. Les personnes en situation de précarité, également, sont moins vaccinées. Celles qui ont reçu une primo-vaccination, mais pas de dose de rappel, présentent aussi des facteurs de risque. Enfin, le groupe le plus critique compte environ 300 000 personnes en France, qui sont profondément immunodéprimées et répondent mal ou pas à la vaccination. Ces personnes dépendent de nous pour être protégées. Il s'agit, par exemple, de patients en insuffisance rénale terminale, de patients ayant subi des transplantations d'organes, de certains types de patients traités pour des cancers ou des maladies auto-immunes... Imaginez ce que vivent ces malades, obligés de se cacher en permanence, car le risque pour eux de mourir du covid est énorme, et on n'arrive pas à les protéger par la vaccination, ou très mal. Ils peuvent bénéficier de prévention par des anticorps monoclonaux, mais ce n'est pas complètement évident.
L'existence de ce dernier groupe pose un problème et justifie, à mon sens, une attitude proactive sur la vaccination, qui est à la fois une protection individuelle et un acte de solidarité à l'égard de ceux qui ne sont pas protégés directement.
J'ajoute que les femmes enceintes ne sont pas assez vaccinées. Certaines font des complications graves, pouvant avoir des conséquences sur leur bébé. Les femmes enceintes doivent être vaccinées, la vaccination ne présente pas de risque pour elles.
Nous avons contribué à la mise en place du passe vaccinal, au cours d'une série d'échanges informels. Dans un avis rendu au début de l'automne, nous avions proposé au Gouvernement d'inclure le rappel vaccinal dans le passe sanitaire. Le passe vaccinal n'est jamais que l'adaptation du passe sanitaire dans un contexte marqué par le variant Omicron, qui a un très haut taux de transmission. L'idée d'un passe sanitaire devenait scientifiquement moins valide parce qu'un test PCR négatif de moins de 24 heures ne peut pas garantir qu'on n'a pas été infecté depuis le prélèvement. L'évolution vers le passe vaccinal, de mon point de vue, était donc absolument logique pour permettre des activités sociales en sécurité, à condition de respecter les gestes barrières, parce que la vaccination ne protège pas à 100 %, et d'avoir effectué un rappel. C'est une incitation à la vaccination - c'est même une obligation partielle, disons les choses comme elles sont - que je trouve justifiée, car la vaccination n'est pas seulement une protection individuelle, c'est aussi une protection collective, significative pour les plus fragiles d'entre nous, comme les patients immunodéprimés ou les personnes très âgées.
Il reste à peu près 17 millions de personnes primovaccinées qui n'ont pas reçu le rappel, parmi lesquelles 9 millions qui doivent le recevoir avant le 15 février pour ne pas perdre leur passe sanitaire. Parmi eux, un certain nombre ont été infectées, et l'infection vaut rappel : nous y avons beaucoup insisté auprès du Gouvernement ces dernières semaines, et nous nous réjouissons d'avoir été suivis. Je rappelle que l'efficacité du rappel s'observe après sept jours, ce qui est très rapide.
Jusqu'à quand maintenir le passe ? D'un point de vue scientifique et médical, je vois deux critères.
D'abord, il faut que le taux d'incidence ait diminué. Il est actuellement à 2 500. Il faut qu'il soit divisé par dix ou vingt. Surtout, il faut que la surcharge hospitalière actuelle ait disparu et que les hôpitaux soient revenus à un état de fonctionnement habituel, c'est-à-dire que les patients n'ayant pas le covid-19 soient traités sans délai, sans retard et de façon efficace. Enfin, il faut que la couverture vaccinale de rappel ait atteint un niveau très élevé. Cela peut arriver assez vite : l'incidence est en train de diminuer rapidement, et la situation devrait redevenir satisfaisante sur ce plan fin mars et, sur le plan hospitalier, une quinzaine de jours plus tard. Si nos concitoyens suivent les consignes induites par le passe vaccinal et se font administrer le rappel, la couverture vaccinale devrait être également satisfaisante fin mars.
Si nous faisons de la prospective, on voit que la protection contre les formes graves de la maladie, qui s'est effritée après la primo-vaccination, est dopée par le rappel, ou l'infection survenue plus de trois mois après la primo-vaccination. Quid pour la suite ?
Cette protection va-t-elle décroître rapidement, lentement ? Nous n'en savons rien. Plusieurs facteurs interviennent, parmi lesquels la nature et la virulence des variants qui circuleront dans les mois qui viennent, avec la possibilité de résurgence de variants comme Delta, par exemple. Il y a aussi l'espoir d'un vaccin combinant plusieurs Spike, pour couvrir plus largement le spectre des différents variants. Il est possible que nous en disposions à l'automne, pour un nouveau rappel.
On peut affirmer sans risque d'erreur, à mon avis, qu'on ne peut pas éradiquer ce virus. Le seul virus jamais éradiqué à ce jour est celui de la variole, grâce à la vaccination, mais pour les virus respiratoires, il est vraiment illusoire d'y songer. Un scénario plausible est que nous évoluions dans un contexte d'endémie, avec des vagues épidémiques du même type que celles de la grippe, avec des recrudescences saisonnières. La décroissance de la vague actuelle, qui a atteint son pic il y a une dizaine de jours, sera assez rapide. Nous aurons encore chaque année des vagues saisonnières, d'intensité variable, ce qui devrait nous amener à des vaccinations annuelles. D'où viendra le prochain variant ? Nul ne saurait le prédire. Nous devons pratiquer une veille intensive. Il sera sélectionné par un certain degré d'échappement à la réponse immunitaire, avec une virulence imprévisible.
La France n'est pas isolée dans le monde. Un peu plus de 10 milliards de doses de vaccins ont été administrées. Comme il faut deux doses de rappel, nous devons atteindre 24 milliards de doses administrées : nous sommes à 40 % de l'objectif à l'échelle mondiale. De plus, la répartition géographique des injections est extraordinairement hétérogène. L'Afrique n'est que très peu vaccinée ; l'Inde, le Pakistan ne le sont que partiellement, et avec des vaccins peu efficaces. Ainsi subsistent des foyers majeurs de l'épidémie, au sein desquels les nouveaux variants peuvent apparaître. Conclusion : nous ne serons pas en sécurité tant que l'ensemble de la population mondiale ne sera pas en sécurité.
M. Alain Milon, président. - Vos propos sont réconfortants, par rapport à ce que nous avons entendu hier soir !
Mme Michelle Meunier, rapporteure. - Merci pour ce tour de piste, à la fois vertigineux et nuancé. En tant que président du Conseil d'orientation de la stratégie vaccinale, avez-vous pris part à la décision de transformer le passe sanitaire en passe vaccinal ? Votre Conseil a-t-il été formellement sollicité pour analyser la situation sanitaire et son évolution ? Votre conseil, ou certains de ses membres, ont-ils été sollicités à titre informel ? Si oui, comment et par qui ? Participez-vous aux conseils de défense sanitaire ? Le Premier ministre a annoncé publiquement ce changement de stratégie le 17 décembre. Par quoi ce dernier a-t-il été motivé ?
Professeur Alain Fischer. - La mise en place du passe vaccinal implique des considérations qui vont au-delà de la vaccination, sur les seuls plans scientifique et médical. C'est pourquoi nous avons été consultés et avons participé à la réflexion. Nous n'avons pas été les seuls, parmi les conseils informels, à réfléchir à cette question. En particulier, le conseil scientifique a également été mobilisé, ce qui me paraît tout à fait légitime compte tenu de la question posée de ses implications. En pratique, nous avions émis un avis le 29 octobre, dans lequel nous recommandions d'inclure le rappel dans le passe sanitaire. Tous nos avis sont consultables sur internet - il y en a environ 90 à ce jour.
Nous n'avons pas été saisis officiellement pour la mise en place du passe vaccinal. Cela dit, moi-même et plusieurs de mes collègues avons eu une série de contacts informels avec les équipes du ministère de la santé. D'ailleurs, nous sommes chaque semaine en contact étroit avec ces équipes ainsi qu'avec plusieurs membres du cabinet, avec le ministre à chaque fois que c'est nécessaire, et même le Premier ministre, puisque celui-ci m'avait demandé de participer aux réunions de présentation du projet en décembre.
En revanche, nous ne participons pas aux conseils de défense, mais, d'une certaine façon, nous les préparons : en fonction des questions qui vont émerger, nous sommes saisis en amont. Parfois se tiennent des réunions préparatoires. Nous en avons eu de nombreuses avec le Président de la République au premier semestre de 2021, et plusieurs, ces derniers mois, avec le Premier ministre et son cabinet.
Mme Chantal Deseyne, rapporteur. - Vous dites que le passe sanitaire a eu un effet sur le nombre de vaccinés, puisqu'il a poussé 13 % des Français à se faire vacciner. Vous soulignez l'importance du rappel, et répétez que l'efficacité contre les formes graves, sur une période de trois mois, est de 90 %. Mais quid après ces trois mois ? L'efficacité chute-t-elle ? Une quatrième injection sera-t-elle nécessaire, au moins pour les publics les plus fragiles ou les plus âgés ? Dans le courant du mois de janvier de cette année, 16 % des Français auraient été contaminés par le variant Omicron.
Professeur Alain Fischer. - Cela paraît plausible.
Mme Chantal Deseyne, rapporteur. - Ce chiffre ne remet-il pas en cause la pertinence du passe vaccinal ? Quels seraient les critères pour lever ce passe ? La communication du Gouvernement m'a semblé un peu brouillonne lorsqu'Olivier Véran a commencé à expliquer qu'une dose équivalait à une infection, puis à une injection... Qu'en pensez-vous ?
Professeur Alain Fischer. - La question de la quatrième dose nous occupe beaucoup ces temps-ci. Nous avons émis un premier avis il y a une quinzaine de jours, disant qu'il n'existait pas, à ce jour, d'arguments pour entreprendre une campagne d'injection d'une quatrième dose, sauf pour les patients immunodéprimés. Il est vrai qu'Israël, de façon isolée, a pris cette décision, mais sans se fonder sur des critères scientifiques solides, faute de données. Pour l'instant, on n'observe pas de diminution de l'efficacité de la protection contre les formes graves, y compris chez les personnes les plus âgées. Guillaume Rozier, que vous venez d'entendre, a construit des figures, à partir des données de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees), montrant l'évolution dans le temps du risque d'être hospitalisé en fonction de l'âge et du statut vaccinal. On voit, à ce stade, que le taux d'hospitalisation des personnes les plus fragiles ne monte pas après quatre ou cinq mois. Nous verrons comment ces données évoluent : les connaissances scientifiques évoluent en permanence, et il faut s'adapter quasiment chaque semaine.
Les Allemands viennent de prendre cette décision. J'aimerais d'ailleurs savoir sur la base de quels critères exactement. Pour l'instant, ils sont quasiment seuls. Une information nous vient d'Israël, où l'on a commencé à administrer la quatrième dose il y a plusieurs mois : dans les quinze jours qui suivent la quatrième dose, le niveau de protection contre les formes graves est multiplié par trois ou quatre. Ce n'est pas spectaculaire, mais cela fonctionne. En tout cas, on n'attend pas de la quatrième dose un bénéfice aussi fort que celui du rappel. Pour l'instant, nous ne la préconisons pas, même pour des personnes très âgées. Mais il est très probable que, dans les semaines ou les mois qui viennent, selon l'évolution des données, elle soit préconisée, au moins pour les publics vulnérables.
Le fait que 16 % des Français aient contracté le variant Omicron remet-il en cause le passe vaccinal ? Je pense que non. Sans la vaccination, ce taux aurait peut-être été deux fois plus important, avec un nombre de formes graves beaucoup plus important. Il faut poursuivre la stratégie telle qu'elle est actuellement développée.
Concernant les critères, certains peuvent être d'ordre politique, mais je n'entrerai pas dans ce débat. Selon moi, il importe que l'hôpital retrouve un fonctionnement quasi normal. En parallèle, le niveau de rappels doit être tel qu'il doit nous apporter un peu de sécurité dans les semaines et les mois qui viennent.
Il est difficile de répondre à la question de la communication. Si la communication n'est pas fluide, sans doute avons-nous aussi notre part de responsabilité, car c'est l'une de nos missions que de conseiller en la matière. Franchement, la situation est horriblement difficile : l'évolution extrêmement rapide des connaissances fait que l'on peut dire l'inverse en un court laps de temps.
Nous nous sommes beaucoup battus pour faire admettre qu'une infection vaut dose de rappel, mais nous avons été écoutés. Les données nous permettent maintenant de prendre ce virage, assez fort, je le concède. Est-ce la communication qui engendre des difficultés de compréhension ou est-ce dû à des explications lacunaires ? Je ne sais pas. Mais, je vous l'assure, la communication dans ce contexte est un exercice très difficile.
Mme Émilienne Poumirol. - Je poserai trois questions.
Pour justifier la troisième dose, vous mesurez les taux d'anticorps face à Omicron. Or plusieurs intervenants ont souligné que ce dosage n'avait pas de sens ni de valeur scientifique prouvée. N'est-ce pas paradoxal ?
Ma deuxième question porte sur la couverture vaccinale. Le groupe socialiste défend depuis le mois de juillet dernier l'obligation vaccinale sur le fondement de la solidarité pour éviter la contamination, notamment des personnes fragiles. L'un des intervenants que nous avons auditionnés hier nous a quelque peu déstabilisés dans la mesure où il nous a indiqué que la couverture vaccinale à 85 % n'avait pas ciblé de façon complète les personnes à risques. N'est-ce pas un échec du « aller vers » dans la mesure où 100 % des personnes de plus de 80 ans sont vaccinées dans certains pays voisins, alors qu'ils n'ont pas mis en place le passe sanitaire ? Comment aller plus loin encore ?
Ma troisième et dernière question concerne la prospective. Cette crise sera endémique. Tous les automnes, devra-t-on vacciner l'ensemble de la population ou uniquement les personnes à risques ?
M. Alain Milon, président. - Pour compléter cette dernière question, est-il possible de combiner ce vaccin avec celui de la grippe ?
Professeur Alain Fischer. - Vous avez rappelé à juste titre que le dosage des anticorps ne sert strictement à rien à titre personnel pour savoir si l'on doit faire un rappel ou pas. Lorsque l'on dose les anticorps, on dose tous les anticorps, et pas seulement les anticorps neutralisants, qui sont les plus importants. Or, en termes de protection contre les formes graves, l'immunité cellulaire joue un rôle très important. Je le confirme, il ne sert à rien à chaque individu de demander le dosage de ses anticorps, sauf les personnes immunodéprimées. Toutefois, sur un plan collectif, les données sur les anticorps neutralisants sont intéressantes. Ces anticorps jouent un rôle sur l'infection. Cette information est donc utile pour chercher à réduire le risque d'infection.
À titre personnel, je ne suis pas contre l'obligation vaccinale. En 2016-2017, à la demande de Mme Touraine, j'avais conduit une réflexion sur la vaccination obligatoire des nourrissons et nous nous étions prononcés, dans notre rapport, en faveur de cette obligation, qui a été mise en place par Mme Buzyn et qui est un succès. Il est vrai que 4,3 millions de Français adultes ne sont pas vaccinés, dont 450 000 personnes très âgées, environ 1 million de personnes souffrant de pathologiques, des personnes en situation de précarité et les opposants au vaccin. Je rappelle que 94 % d'adultes de plus de 18 ans sont primovaccinés, soit un niveau très élevé. L'obligation vaccinale ne permet jamais de toucher 100 % des personnes. Je doute qu'elle soit de nature à inciter les personnes isolées, les personnes en situation de précarité à se faire vacciner. Imaginez ce qui se passera si nous décidions l'obligation vaccinale dans les départements et régions d'outre-mer (DROM) ?
Bien que je sois très favorable à la vaccination, je ne pense pas que l'obligation vaccinale soit la solution. Nous nous étions prononcés en faveur de l'obligation vaccinale pour les professionnels de santé, qui a été mise en place - ce fut une bonne chose, l'immense majorité étant vaccinée.
Il est indiscutable que les personnes très âgées sont plus vaccinées dans les pays latins, avec un taux de couverture de 100 % quasiment, mais la structure des familles y est certainement pour beaucoup. Leurs aînés sont moins isolés.
Cela dit, nous devons poursuivre nos efforts et les intensifier pour aller vers les 11 % de personnes âgées de plus de 80 ans, les personnes en situation de précarité, les gens du voyage qui sont peu en contact avec le monde de la santé. Il est vital de faire plus, même si cela prend beaucoup de temps.
Le quatrième rappel dépendra de la virulence du virus et, au-delà, de la perception sociétale, un sujet éminemment politique. Que tolère-t-on en termes de gravité, de décès, d'hospitalisation d'une infection respiratoire ? Cela nous donnera l'occasion d'élargir la réflexion à tous les virus respiratoires. De la réponse à ces questions devrait dépendre la réponse à votre question.
Il est possible de faire en même temps le vaccin contre la grippe et celui contre le covid. Des laboratoires préparent actuellement un vaccin mix grippe-covid. Pfizer notamment est en train de tester des combinaisons différentes. Ce serait très bien si nous pouvions n'avoir qu'un seul vaccin.
Mme Victoire Jasmin. - Je suis assez surprise quand je vous entends parler des anticorps. Vous mettez en doute les réactifs commercialisés spécifiques pour le covid. Le laboratoire habilité à faire des examens pour le Sénat délivre des résultats avec des taux d'anticorps IgG pour le covid. Mettez-vous en doute ces résultats ? Pourquoi ne dénoncez-vous pas les laboratoires qui commercialisent ces réactifs ?
M. le ministre Véran a évoqué sur BFM vos recommandations : pour bénéficier du passe vaccinal, on peut avoir ou une injection ou une infection plus une dose de vaccin. Si vous avez une injection plus deux infections ou une infection au milieu ou après, vous pouvez conserver le bénéfice de votre passe vaccinal.
C'est flou pour moi, et sans doute aussi pour toutes les personnes qui écoutent les médias. Pouvez-vous clarifier cette information ?
Professeur Alain Fischer. - Je ne remets pas en cause la qualité du dosage des anticorps. Les tests disponibles sont très fiables. Mais je discute l'interprétation des résultats, ce qui est tout à fait différent. Le dosage ne nous aide pas à déterminer si telle personne est protégée ou pas. Cela ne permet donc pas de savoir si la personne a besoin d'un rappel.
Concernant votre deuxième question, l'équation est assez simple : une infection vaut une dose de vaccin, si l'espacement entre l'infection et le vaccin est suffisant. Trois scénarios sont possibles.
Si vous avez eu une première dose de vaccin, puis un ou deux mois après, une infection, celle-ci vaut deuxième dose, vous devrez faire votre rappel trois mois après. Si vous avez d'abord eu une infection, puis une vaccination deux mois après, vous devrez faire uniquement un rappel trois mois après. Enfin, si vous avez eu deux vaccins, puis une infection plus de trois mois après la primovaccination, elle vaut dose de rappel. Si cette infection survient moins de trois mois après la primovaccination, il conviendra de faire le troisième rappel.
Pour schématiser, une infection vaut une dose de vaccin, avec quelques limites temporelles.
Mme Florence Lassarade. - Je remarque à regret que l'instauration du passe vaccinal pour les adultes a occulté l'intérêt de la vaccination chez l'enfant.
Selon vous, de nouveaux vaccins, qu'ils soient d'ancienne ou de nouvelle génération, vont-ils sortir prochainement ? Comment seront-ils intégrés dans le passe vaccinal si celui-ci existe encore ?
Professeur Alain Fischer. - Alors que la vaccination est ouverte à tous les enfants de 5 à 11 ans depuis le 20 décembre dernier, seuls 5 % environ d'entre eux ont reçu une première dose de vaccin. En comparaison, dans les pays voisins, cette proportion atteint au pire 20 % et au mieux plus de 50 %.
En France, on note donc une certaine résistance face à la vaccination des enfants, ce qui est vraiment dommageable. Tout le monde sait en effet que certains enfants peuvent développer des formes graves de la maladie, être hospitalisés - ils sont 150 actuellement - ou souffrir de syndromes inflammatoires multisystémiques pédiatriques (PIMS), ce qui pourrait être évité, puisque les études montrent que, chez l'adulte, la vaccination permet de prévenir les PIMS.
La vaccination des enfants est utile et légitime, d'autant qu'elle permet de réduire la circulation du virus dans le reste de la population générale. En outre, les études américaines démontrent la quasi-absence d'effets indésirables des vaccins chez les enfants.
Les réticences proviennent, non seulement des parents, mais aussi du monde médical, médecins généralistes et pédiatres. Il faut poursuivre nos efforts et continuer d'expliquer le bien-fondé de la vaccination des enfants. En parallèle, il faut convaincre les familles et lever les inquiétudes.
S'agissant des vaccins, comme vous le savez, un nouveau vaccin vient d'obtenir l'approbation de l'Agence européenne des médicaments, le Nuvaxovid, qui est un vaccin protéique adjuvanté. Il devrait être disponible dans le courant du mois de février et sera valable dans le cadre du passe vaccinal. On sait que ce vaccin est raisonnablement sûr, efficace, même s'il l'est un peu moins que les vaccins à ARN messager. Il pourra être prescrit aux personnes qui sont rétives à ce type de vaccin.
M. Martin Lévrier. - Hier, lors de son audition, le docteur Desbiolles nous a fait comprendre que se faire vacciner pour protéger les autres était une idée presque intégralement fausse. Qu'en est-il exactement : les vaccins sont-ils efficaces pour protéger autrui ?
Dès lors qu'une infection équivaut à une dose de vaccin, faut-il continuer à vacciner tout le monde ou ne protéger que les personnes les plus fragiles ?
Professeur Alain Fischer. - Je suis surpris par ce type d'affirmation, qui est scientifiquement fausse : la protection d'autrui grâce au vaccin n'est absolument pas un leurre. Un certain nombre d'études le prouvent avec certitude. Du reste, il faut bien comprendre que, par définition, la protection contre l'infection équivaut à une protection contre la transmission. Cette protection est certes limitée, mais même avec le variant Omicron, le vaccin permet de diviser par deux ou trois le degré de contagiosité.
De cette certitude découle ma réponse à votre seconde question : il faut poursuivre la campagne de vaccination générale, au moins dans le contexte actuel où la circulation virale reste importante, de sorte à réduire le nombre d'infections et, donc, celui des hospitalisations.
M. René-Paul Savary. - 16 % des personnes testées sont contaminées : ne pensez-vous pas que la stratégie en matière de tests doit être révisée ?
Professeur Alain Fischer. - J'en suis désolé, mais cette question est en dehors de mon champ de compétence. Ce qui importe, me semble-t-il, c'est la situation de l'école : je regrette que ce qu'avait préconisé le conseil scientifique, à savoir un dépistage systématique à l'école, n'ait pas été mis en oeuvre. Je conçois qu'il était difficile de le mettre en place, mais d'autres pays y sont parvenus.
Il y a sans doute quelques adaptations à opérer au niveau des tests, mais je ne connais pas suffisamment bien ce sujet.
M. René-Paul Savary. - Est-il envisageable de cibler le passe vaccinal sur les plus fragiles, notamment les plus âgés ?
Professeur Alain Fischer. - Non, il est très important que l'ensemble de la population se fasse vacciner : d'une part, c'est dans l'intérêt général, puisque se protéger, c'est protéger les autres, et, d'autre part, il ne faut pas oublier que certains jeunes adultes, sans facteur de risque, ont développé des formes sévères de la maladie.
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Merci pour l'ensemble de ces informations, qui sont à la fois structurées, méthodiques et, d'une certaine façon, plus rassurantes que celles que nous a livrées le Dr Desbiolles hier : elle nous a par exemple expliqué que le port du masque et la vaccination des enfants étaient inutiles, à l'inverse de ce que vous affirmez aujourd'hui.
Je partage votre constat : il importe de persuader les médecins et les familles de l'intérêt de la vaccination. La communication est un art difficile, mais il va falloir trouver la bonne formule.
Professeur Alain Fischer. - Je vous remercie pour vos propos. Au passage, on entend parfois que les enfants ne supportent pas de porter un masque : c'est absolument faux. De manière générale, les enfants ont une capacité d'adaptation beaucoup plus forte que les adultes. Le port du masque est parfaitement justifié et réduit la transmission du virus.
Vous avez raison, il faut répéter inlassablement, par tous les moyens de communication à notre disposition, que la vaccination et le port du masque sont indispensables. Il ne faudra pas ménager notre force de conviction et de pédagogie.
M. Alain Milon, président. - J'ai récemment interrogé des pédiatres de l'hôpital de Marseille qui m'ont alerté sur le fait que les enfants hospitalisés en soins critiques étaient souvent des enfants souffrant de comorbidités dont le pédiatre ou le médecin avait conseillé aux parents de ne pas les faire vacciner.
Professeur Alain Fischer. - La Société française de pédiatrie, se fondant sur les données initiales dont nous disposions, a mis du temps avant de prendre position en faveur de la vaccination des enfants. Les pédiatres s'engagent encore trop souvent aujourd'hui sur la pointe des pieds.
M. Alain Milon, président. - Il est dommage de ne pas vous voir plus souvent dans les médias, professeur Fischer. Merci beaucoup pour vos réponses.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Pétition sur les effets secondaires des vaccins et la pharmacovigilance - Demande de saisine de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques
M. Alain Milon, président. - Une pétition en ligne déposée par M. Julien Devilleger le 12 janvier dernier sur la plateforme du site du Sénat enregistre actuellement une forte dynamique de signatures et devrait vraisemblablement atteindre le seuil de 100 000 signatures, au-delà duquel la conférence des présidents examine les suites qu'il convient de lui donner.
Le nombre de signatures s'élève aujourd'hui à plus de 33 500.
Cette pétition demande que soit réalisé « un état des lieux des effets secondaires consécutifs à l'injection vaccinale contre le covid-19, ainsi que du système de pharmacovigilance français ».
La commission des affaires sociales s'est saisie de la question des effets secondaires avec l'audition, en décembre dernier, de la directrice générale de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, Mme Christelle Ratignier-Carbonneil, laquelle a suscité un vif intérêt. La preuve en est que la vidéo de cette réunion est aujourd'hui l'une des plus visionnées sur le site du Sénat.
Ainsi que le Règlement du Sénat le permet, la Conférence des présidents a souhaité que cette pétition soit examinée sans attendre et a confié à la commission des affaires sociales le soin de déterminer la forme que pourraient prendre les travaux. Comme le prévoient également les règles en pareil cas, la pétition devrait désormais être fermée à la signature.
Il semble à notre présidente que, compte tenu de la défiance à l'égard des vaccins qu'exprime l'intitulé même de la pétition, la mobilisation de la communauté scientifique sous l'égide de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), à l'appui d'une étude sur ce sujet, serait tout à fait précieuse. Elle s'en est entretenue avec M. Gérard Longuet, premier vice-président de l'Office, qui partage ce point de vue.
C'est pourquoi la présidente de la commission vous propose de procéder, en application de l'article 6 ter de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958, à la saisine de l'OPECST sur le champ couvert par la pétition déposée sur le site du Sénat.
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Je n'ai pas d'observation particulière à formuler si ce n'est qu'il serait peut-être utile de mettre en regard de cette étude une évaluation des effets néfastes du virus lui-même !
M. Martin Lévrier. - Cette saisine de l'Office me semble justifiée. Cependant, je m'interroge sur les modalités d'examen des pétitions en ligne : si un seuil de 100 000 signatures a été fixé, pourquoi s'emparer de cette question, alors qu'à peine un tiers environ des signatures a été recueilli ? Ne donne-t-on pas ainsi trop de valeur à cette pétition ? En réagissant si vite, ne risque-t-on pas l'engorgement ?
M. Alain Milon, président. - C'est une bonne question, qui mériterait d'être posée lors de la prochaine réunion de la Conférence des présidents.
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - L'interrogation de Martin Lévrier est en effet pertinente.
En réalité, la Conférence des présidents qui s'est réunie hier soir a jugé que la dynamique des signatures était telle que le seuil des 100 000 signatures serait rapidement atteint et que, de ce fait, il était opportun d'aborder le sujet avant la suspension des travaux parlementaires.
Il en est ainsi décidé.
La réunion est close à 12 h 55.