- Mercredi 9 février 2022
- Proposition de loi relative au choix du nom issu de la filiation - Désignation des candidats à l'éventuelle commission mixte paritaire
- Projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale - Examen des amendements de séance au texte de la commission mixte paritaire
- Proposition de loi relative au choix du nom issu de la filiation - Examen du rapport et du texte de la commission
- Déroulement de la campagne présidentielle - Audition de M. Jean-Denis Combrexelle, président du comité de liaison Covid
- Organisation des élections présidentielle et législatives - Audition de Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur, chargée de la citoyenneté
Mercredi 9 février 2022
- Présidence de M. François-Noël Buffet, président -
La réunion est ouverte à 9 h 35.
Proposition de loi relative au choix du nom issu de la filiation - Désignation des candidats à l'éventuelle commission mixte paritaire
La commission soumet au Sénat la nomination de Mme Catherine Di Folco, Mme Marie Mercier, M. François Bonhomme, M. Loïc Hervé, M. Hussein Bourgi, M. Jérôme Durain, Mme Nadège Havet, comme membres titulaires, et de Mme. Jacqueline Eustache-Brinio, Mme Brigitte Lherbier, Mme Françoise Dumont, Mme Dominique Vérien, Mme Laurence Harribey, M. Henri Cabanel, Mme Cécile Cukierman comme membres suppléants de l'éventuelle commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative au choix du nom issu de la filiation.
Projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale - Examen des amendements de séance au texte de la commission mixte paritaire
M. François-Noël Buffet, président. - Nous allons examiner les amendements de séance au texte de la commission mixte paritaire (CMP) sur le projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale (3DS).
Mme Françoise Gatel, rapporteur. - Le Gouvernement a déposé des amendements purement techniques, de simple coordination ou de précision, qui ne modifient pas le texte sur le fond.
Les avis de la commission sur les amendements du Gouvernement sont repris dans le tableau ci-dessous :
Proposition de loi relative au choix du nom issu de la filiation - Examen du rapport et du texte de la commission
M. François-Noël Buffet, président. - Nous passons à l'examen du rapport de Marie Mercier sur la proposition de loi relative au choix du nom issu de la filiation.
Mme Marie Mercier, rapporteur. - Le texte à notre ordre du jour mériterait de bien meilleures conditions d'examen, car il s'agit d'un sujet complexe qui touche chacun. Comme moi, vous avez dû être sollicités par un très grand nombre de personnes, qui vous ont raconté leurs histoires personnelles. Malheureusement, nous devons faire dans le temps imparti, sans étude d'impact ni avis du Conseil d'État.
La proposition de loi du député Patrick Vignal s'inspire d'une pétition ayant recueilli plus de 35 000 signatures sur internet, qui avait pour but de faciliter la vie quotidienne des mères dont les enfants ne portent pas le nom. Elle a été annoncée par le garde des sceaux dans un magazine féminin avant son dépôt. Ce dernier a déclaré que « chaque Français pourra choisir son nom de famille une fois dans sa vie », suscitant ainsi de grandes attentes ou, au contraire, la crainte d'un état civil « à la carte » qui brouillerait les liens de filiation.
Avant d'examiner ce texte, je vous présenterai deux notions parfois complexes à distinguer, mais qui sont essentielles pour comprendre l'enjeu des articles clés de la proposition de loi : le nom de famille et le nom d'usage.
Le nom de famille résulte des liens de filiation et figure obligatoirement dans tous les actes de l'état civil. Il est actuellement possible d'en changer après la naissance, sur demande auprès du garde des sceaux, selon la procédure de changement de nom par décret et lorsqu'il existe un intérêt légitime.
Depuis le 1er janvier 2005, les parents peuvent choisir de transmettre à leur enfant soit le nom de la mère, soit celui du père, soit leurs deux noms accolés dans un ordre choisi. Imaginons, par exemple, un dénommé Pierre, enfant de M. Dupont et Mme Durand : il peut avoir comme nom de famille Dupont, Durand, Dupont Durand ou Durand Dupont.
Le nom d'usage, en revanche, ne figure pas dans les actes de l'état civil et ne se transmet pas à ses enfants. Chacun choisit d'en faire usage en le déclarant à ses interlocuteurs ou à l'administration et peut cesser d'en faire usage à tout moment. L'inscription sur un titre d'identité ou de voyage est une simple faculté.
Le nom d'usage le plus répandu est celui de la femme mariée qui ne change pas son nom de famille en se mariant, mais qui peut utiliser le nom de son mari à titre de nom d'usage pendant son mariage. Ainsi, Mme Durand, mariée à M. Dupont, peut se faire appeler Mme Dupont, mais reste Mme Durand pour l'état civil, son nom de famille étant improprement appelé son « nom de jeune fille ».
Depuis la loi du 23 décembre 1985 relative à l'égalité des époux dans les régimes matrimoniaux et des parents dans la gestion des biens des enfants mineurs portée par Robert Badinter, toute personne peut également utiliser, à titre de nom d'usage, l'adjonction du nom de chacun de ses parents. Reprenons l'exemple de Pierre, enfant de M. Dupont et de Mme Durand : il peut se faire appeler dans la vie de tous les jours, à son choix, Pierre Dupont Durand ou Pierre Durand Dupont, même si son nom à l'état civil reste Pierre Dupont.
Le texte présenté va au-delà du souhait premier du collectif « Porte mon nom », qui souhaitait résoudre les difficultés rencontrées par certains parents pour adjoindre à titre d'usage leur nom à celui de leurs enfants. Ce sujet est traité par l'article 1er de la proposition de loi, qui propose de permettre une substitution de nom à titre d'usage et de permettre à un parent d'ajouter son nom au nom de l'enfant, toujours à titre d'usage, moyennant l'information préalable de l'autre parent, qui pourrait saisir le juge aux affaires familiales (JAF) s'il conteste cette initiative.
L'article 2, qui focalise toute l'attention et sur lequel le garde des sceaux s'est exprimé dans l'hebdomadaire Elle, semble être né de la conjonction d'une part d'un souci sincère de répondre à des situations individuelles, dans lesquelles le fait de porter et de transmettre le nom d'un parent maltraitant est douloureux, et d'autre part d'une volonté de procéder à une simplification administrative qui permettrait à l'administration centrale du ministère de la justice de transférer partiellement la charge de la procédure de changement de nom aux communes.
Il permettrait à tout majeur de choisir son nom une fois dans sa vie, de la même manière que les parents peuvent le faire pour leurs enfants depuis 2005.
Cette idée, qui peut sembler logique et séduisante, est en réalité loin de faire l'unanimité auprès des juristes ou des professionnels du droit que j'ai entendus. Ces derniers m'ont d'ailleurs fait part de leur incompréhension du choix de la procédure accélérée pour un texte aux répercussions multiples, tant du point de vue des enfants que de celui de l'organisation de l'état civil et des fichiers relevant du ministère de l'intérieur.
En faisant du changement de nom un acte administratif banal, alors qu'il s'agit aujourd'hui de quelque chose d'exceptionnel, la proposition de loi apporterait des bouleversements qui risquent d'engendrer de nombreuses difficultés personnelles et administratives sous couvert de simplification. Il semble que celles-ci n'aient pas toutes été envisagées, ou sont au moins sous-estimées.
Le sous-directeur des libertés publiques, que j'ai entendu, a exprimé des préoccupations sur les conséquences de la réforme proposée et la date d'entrée en vigueur envisagée, celle du 1er juillet 2022, qui lui semble trop rapprochée pour préserver l'opérationnalité des interrogations des fichiers utilisés par le ministère de l'intérieur.
Outre un nombre accru de demandes de titres d'identité auquel il aurait à faire face, le ministère de l'intérieur devrait concevoir de nouveaux outils pour que l'identification des personnes figurant dans ses fichiers soit mise à jour en temps réel, tout en adaptant le cadre réglementaire nécessaire après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL).
En effet, ni le ministère de l'intérieur ni le ministère de la justice ne disposent aujourd'hui de la possibilité de s'interconnecter avec le répertoire national d'identification des personnes physiques (RNIPP) tenu par l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) et alimenté par les communes qui doivent retransmettre au fil de l'eau les modifications apportées à l'état civil.
Les avocats, par la voix du Conseil national des barreaux (CNB), expriment également leurs craintes de difficultés à venir dans leurs rapports avec les administrations, en l'absence d'un accompagnement par des dispositifs techniques de mise à jour globale et uniforme des données de l'état civil. Certains évoquent le risque de fraude. D'autres, les huissiers, souhaiteraient pouvoir interroger le fichier de l'état civil par voie électronique dès le stade de la signification, et non plus seulement de l'exécution, afin d'être au courant en amont.
Tout cela semble ne pas avoir été pris en compte, mais avoir été balayé d'un revers de main, au motif que « l'intendance suivra ».
Je vous propose de donner une souplesse accrue au nom d'usage, sauf pour les mineurs, dont l'intérêt a été insuffisamment pris en compte par les députés, et d'améliorer la procédure de changement de nom par décret pour proposer une solution aux personnes qui souhaitent changer de nom pour des motifs affectifs liés à leurs relations avec le parent qui leur a transmis son nom, sans pour autant créer une procédure de choix du nom par simple formulaire.
À l'article 1er, il me semble que faire figurer dans le code civil les règles du nom d'usage à raison de la filiation est une bonne idée, car cela favorisera la connaissance de cette faculté encore très peu développée parmi les Français.
Je vous propose également d'approuver la possibilité pour les majeurs de substituer, à titre d'usage, le nom d'un parent à celui de l'autre, en plus de l'adjonction qui est déjà possible. Dans l'exemple que je vous ai donné tout à l'heure, Pierre Dupont pourrait avoir le choix de se faire appeler dans sa vie quotidienne Pierre Durand, du nom de sa mère, et pas seulement Pierre Dupont Durand ou Pierre Durand Dupont comme aujourd'hui.
Cela apporterait une solution rapide aux personnes majeures qui souffrent de devoir utiliser dans leur vie quotidienne le nom d'un parent maltraitant ou délaissant. Cela leur permettrait également de « tester » l'opportunité d'un changement de nom avant d'entamer la procédure adéquate pour modifier leur nom à l'état civil.
En revanche, s'agissant des mineurs, je pense que nous devons prendre en compte le fait qu'un enfant ne fait pas la différence entre un nom d'usage et un nom de famille : le faire connaître dans sa vie de tous les jours sous un autre nom équivaut, en pratique, à lui faire changer de nom. Or le nom est un élément essentiel de la construction de l'enfant. Cela m'a été dit par les professionnels de l'enfance, en particulier par un pédopsychiatre, par un avocat de la famille, et par un juge pour enfant. Le nom est indissolublement lié à l'être.
Il me semble que les députés n'ont pas bien compris cette dimension du nom d'usage. Dans l'esprit de certains, on a l'impression qu'il ne s'agit que d'une mention administrative sur une carte d'identité. Mais le nom d'usage est le nom utilisé par les tiers : pour l'enfant, ce sera le nom par lequel sa maîtresse l'appellera, le nom sur son titre de transport ou sa carte de piscine... Si le but de l'article 1er n'est que de porter une mention du nom de la mère sur la carte d'identité, alors il ne faut pas faire de loi : il suffit de demander au ministère de l'intérieur de changer le format de la carte d'identité et de rajouter une rubrique sur celle-ci ! Tout ceci est réglementaire.
Pour cette raison, je vous propose de ne pas autoriser de substitution du nom à titre d'usage pour les mineurs, ce qui risquerait d'ailleurs d'exacerber les conflits familiaux, et d'engendrer davantage de contentieux qu'il n'y en a jusqu'ici.
Je vous propose également de ne pas accepter la solution proposée par les députés, permettant à un parent de décider seul d'adjoindre à titre d'usage son nom de famille au nom de l'enfant, à charge pour lui d'en informer en temps utile préalablement l'autre parent pour que celui-ci puisse saisir le JAF en cas de désaccord.
Cette disposition me semble bancale : elle pourrait créer des situations instables, dans lesquelles l'enfant serait nommé différemment selon qu'il est chez son père ou sa mère, et devrait revenir à son nom d'origine, si le juge considérait qu'il n'est pas de son intérêt d'adjoindre l'autre nom.
Par ailleurs, n'étant pas informés de la saisine du JAF, les services des préfectures eux-mêmes ne pourraient pas savoir s'ils peuvent ou non délivrer le titre d'identité ou de voyage avec le nom d'usage.
Il me semble que le droit existant est plus protecteur pour l'enfant, puisqu'il exige l'accord des deux parents ou, en cas de désaccord, une autorisation du JAF.
Il pourrait y avoir des solutions pratiques aux situations décrites par les mères. Il faudrait que le choix du nom d'usage soit systématiquement abordé lors de la séparation, au même titre que la résidence habituelle, le droit de visite et d'hébergement ou le montant de la contribution à l'entretien et à l'éducation. De même, si le père est absent ou fait de l'obstruction systématique, une mère peut toujours demander l'exercice exclusif de l'autorité parentale, et peut alors décider seule du nom d'usage. Toutes ces situations peuvent évidemment s'imaginer pour le père, si l'enfant porte le nom de la mère !
L'article 2 est celui qui a le plus de retentissement médiatique. La question à trancher est plus simple. Faut-il créer une procédure déclarative par simple formulaire Cerfa pour permettre à chacun de changer de nom une fois dans sa vie, sans avoir à justifier d'un intérêt quelconque ? Ou faut-il maintenir une procédure plus contraignante, car il s'agit d'un acte juridiquement et psychologiquement structurant, qui a des impacts de très long terme sur la personne et les membres de sa famille, en particulier sur les enfants mineurs qui changent de nom « par ricochet » ?
Je penche pour cette seconde analyse, et je vous proposerai d'apporter une réponse aux situations individuelles douloureuses qui nous ont été rapportées, en améliorant la procédure existante : il s'agirait d'exempter une demande d'adjonction du nom d'un parent ou de substitution d'un nom à un autre de toute justification d'un intérêt légitime, ce qui éviterait les rejets de dossiers fondés sur l'absence de justificatifs.
Une mesure assez similaire avait déjà été adoptée en septembre 2016 à l'initiative du Sénat, lors de l'examen du projet de loi de modernisation de la justice du XXIe siècle, par le biais d'un amendement défendu par notre collègue René-Paul Savary, mais cette disposition avait été censurée par le Conseil constitutionnel comme étant un « cavalier législatif ».
Avec ce dispositif, la section du sceau du ministère de la justice n'aurait plus à apprécier le motif affectif de la demande de changement de nom. Il lui appartiendrait en revanche de perfectionner ses méthodes de travail et d'accélérer son temps de traitement administratif pour répondre plus efficacement aux demandes de changement de nom, quitte à prioriser les dossiers dans les cas les plus sensibles.
Sur les autres articles, je n'ai pas d'observations particulières. Je vous proposerai juste de décaler au 1er septembre l'entrée en vigueur de la loi, pour accorder un meilleur délai de prévenance aux différentes administrations et professionnels concernés.
M. François-Noël Buffet, président. - Je vous informe, mes chers collègues, de la présence de Mélanie Vogel, qui n'est pas membre de la commission, à notre réunion.
En application des dispositions de l'article 15 bis du Règlement du Sénat, si vous avez la possibilité de défendre les amendements que vous avez déposés, madame Vogel, la discussion générale est en revanche réservée aux seuls membres de la commission des lois.
Mme Dominique Vérien. - À l'article 2, il serait bon de simplifier la procédure de changement de nom, qui ne fonctionne pas très bien actuellement - on m'a rapporté qu'il a fallu cinq ans à un M. Connard pour changer de nom. Comme l'on reste dans le domaine de la filiation et que l'on ne peut pas choisir un autre nom que celui de son père ou de sa mère, nous pouvons répondre aux messages inquiets que nous avons reçus de certaines associations : il n'y a pas de raison que des noms de famille disparaissent.
Le fait de ne pas avoir à justifier les raisons du changement de nom devrait pouvoir rendre quasiment automatique une procédure qui existe déjà, et qui n'a pas besoin d'être changée.
Concernant la substitution du nom d'usage à l'article 1er, je comprends que, lorsque les deux parents exercent l'autorité parentale, l'accord des deux parents soit préférable, et qu'un juge tranche en cas de désaccord. Mais n'oublions pas que, dans certains cas, nous parlons de parents dessaisis de leur autorité parentale - il s'agit souvent du père, et plus rarement de la mère. On peut penser qu'il y a alors des raisons légitimes pour substituer le nom plutôt que de l'ajouter. Madame le rapporteur, il est dommage que, par votre amendement, vous jetiez le bébé avec l'eau du bain, et que vous ne fassiez pas la différence entre l'exercice seul ou commun de l'autorité parentale. Le parent exerçant seul l'autorité parentale devrait pouvoir substituer le nom d'usage, alors que si les deux parents exercent l'autorité parentale, il est logique que chacun donne son avis.
Mme Brigitte Lherbier. - Le nom est extrêmement important, car l'identité de la personne se retrouve dans son nom. À partir du moment où accoler plusieurs noms a été autorisé, les notaires et les généalogistes ont éprouvé davantage de difficultés. Mais une telle vision généalogique est-elle encore dans l'air du temps ?
Le fait d'accoler deux noms au moment de la filiation devrait devenir systématique : il est toujours plus facile d'enlever un nom que d'en rajouter un. Les parents disposent déjà de cette possibilité, mais je pense qu'on pourrait systématiser cette situation. En accolant les deux noms régulièrement, on faciliterait les choses.
La transmission devient compliquée à partir du moment où l'on souhaite transmettre un double nom. On se retrouverait avec des noms à n'en plus finir, comme ceux que l'on trouve au Portugal. Pourquoi choisir le nom du père plutôt que celui de la mère ? C'est une autre interrogation.
Je signale un point important en matière d'adoption : quand un enfant est adopté, son nom change automatiquement, car il reçoit le nom de la famille qui l'adopte. Mais parfois, on lui change aussi son prénom. C'est très troublant : un tel chamboulement de l'identité peut devenir très compliqué pour lui plus tard dans son existence.
Toutes ces interrogations se posent aujourd'hui, et c'est trop rapidement que ces changements importants pour l'identité des personnes sont élaborés. Pourquoi une telle précipitation, si ce n'est pour alléger le travail des juges ?
M. Thani Mohamed Soilihi. - Nous partageons le double objectif de cette proposition de loi : il s'agit tout d'abord de mieux faire connaître les dispositions relatives au nom d'usage à raison de la filiation, en les codifiant, afin de faciliter le quotidien de certains parents, et ensuite de mieux prendre en compte la volonté de certaines personnes majeures de ne plus porter, à titre de nom d'usage ou de nom de famille, le nom du parent qui le leur a transmis, pour des motifs affectifs tenant notamment à des violences ou à un délaissement.
Nous nous accordons sur la nécessité de ne pas modifier les règles de dévolution du nom. Les auteurs de la proposition de loi ont souhaité non pas imposer l'attribution du double nom de famille aux enfants, mais bien simplifier la mise en oeuvre de la liberté du choix du nom dans le cadre de la filiation.
Nous sommes davantage réservés sur deux modifications principales que vous venez de proposer. L'Assemblée nationale avait prévu que l'un des deux parents puisse adjoindre unilatéralement son nom à celui de son enfant, à titre d'usage exclusivement. Nous entendons certains des enjeux que vous avez soulignés, et nous espérons que la navette parlementaire permettra de préciser les choses, afin que cet ajout attendu par les familles ne soit pas sacrifié.
La deuxième modification principale que vous avez proposée concerne la suppression de la procédure simplifiée de changement de nom de famille étendue aux demandes consistant à porter le nom de famille du parent qui ne l'a pas transmis. Nous sommes également assez réservés sur ce point. Si vous exonérez les demandeurs de la preuve de l'existence de motifs légitimes, il n'en demeure pas moins que la longueur, le coût et les lourdes formalités de publicité de la procédure par décret nécessiteront, pour ces situations douloureuses, de longues formalités : le site de l'administration précisant la procédure indique qu'il faut compter plusieurs mois, parfois plusieurs années, pour que ces procédures aboutissent, et selon la Chancellerie, la durée moyenne de cette procédure est de deux ans.
La procédure simplifiée que nos collègues députés proposent, et que notre commission supprimerait si elle suivait votre avis, n'institue pas de mission inconnue pour les officiers de l'état civil, qui sont déjà compétents en cas de demande de changement de prénom ou de nom ou fondée sur la disparité entre le nom porté en France et le nom étranger.
Nous pouvons enfin souligner que les modifications prévues par la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale sont justement insérées dans le cadre familial et de la filiation, puisqu'elles concernent des situations dans lesquelles l'individu souhaite porter l'autre nom de famille, qui aurait pu lui être attribué à la naissance. Ce point pourrait nous réunir.
À rebours de l'idée d'un état civil à la carte, cette proposition de loi donne finalement un statut particulier au changement de nom intervenant dans le strict cadre familial, en lui réservant une procédure simplifiée, et en le distinguant des autres types de demandes pour lesquelles le législateur continue d'estimer qu'une procédure complexe se justifie.
Nous espérons que les débats sauront nous réunir dans la suite de la navette sur les moyens permettant d'atteindre effectivement les objectifs que nous partageons, sans priver le texte de ses principaux effets.
M. François Bonhomme. - Je souscris à de nombreuses réserves formulées, mais je voudrais surtout m'inquiéter de la méthode employée : que ce texte soit une proposition de loi ne nous donne aucune garantie. Nous ne disposons notamment d'aucune étude d'impact, alors que le sujet est extrêmement lourd, et emporte des conséquences durables dans la société.
Le Gouvernement, qui communique par des voies inhabituelles comme le magazine Elle, agit de manière cavalière. Dans la mesure où ce texte a de lourdes conséquences, il devrait s'agir d'un projet de loi, ce qui nous apporterait davantage de garanties.
Mme Muriel Jourda. - Je partage les observations de François Bonhomme, et je déplore que, sur un sujet aussi important, nous ne disposions que du point de vue d'un parlementaire. Au-delà de l'intérêt personnel que l'on peut avoir au sujet du nom de famille, il y va de l'intérêt de la société, et d'un principe qui est l'indisponibilité de l'état des personnes. L'état civil n'est pas disponible, tout simplement parce qu'il est un élément structurant de la société, et non seulement des personnes individuelles. Nos sociétés ne peuvent pas être uniquement formées de désirs juxtaposés.
Je voudrais demander une explication à Mme le rapporteur, qui a indiqué que si la procédure de changement de nom par décret est maintenue, l'intérêt légitime ne serait plus apprécié. Cela signifie-t-il qu'il n'y a plus aucun critère d'appréciation du changement de nom, qui, malgré la procédure, reste « à la carte » ?
Mme Marie Mercier, rapporteur. - Madame Vérien, un père qui n'exerce plus l'autorité parentale peut être hospitalisé ou en prison : il n'en continue pas moins d'être un père aimant. Il faut bien faire la distinction entre celui qui est titulaire de l'autorité parentale et celui qui l'exerce.
Madame Lherbier, la loi de 2002 permet aux parents de donner un double nom à leur enfant. Le choix du nom à transmettre reviendra finalement à celui-ci quand lui-même deviendra parent.
Sur l'adoption, à partir de 13 ans, l'enfant doit donner son accord.
Monsieur Mohamed Soilihi, l'adjonction par volonté unilatérale est moins protectrice pour l'enfant. On doit agir dans l'intérêt supérieur de l'enfant, pas dans celui de sa mère.
S'agissant de l'article 2, une proportion importante des demandes de changement de nom n'est pas acceptée : les déboutés risquent de revenir dans les mairies faire une nouvelle demande. Le volume des demandes risque d'être phénoménal.
Madame Jourda, l'intérêt légitime ne serait plus pris en compte en cas de demande d'adjonction ou de substitution du nom d'un parent ; pour tous les autres cas, la procédure resterait la même. Il s'agit simplement de faciliter la procédure en prenant un nom qui figure déjà dans la filiation.
M. Hussein Bourgi. - Je remercie Marie Mercier pour le travail qu'elle a accompli. J'ai assisté à certaines auditions, qui étaient fort intéressantes.
Il paraît effectivement difficile de mettre en oeuvre cette loi au 1er juillet prochain : il faut laisser le temps aux services de s'organiser.
Sur le fond, j'ai quelques divergences avec le rapporteur : nous avons entendu les professionnels, qui traitent ces sujets avec la distanciation nécessaire, mais aussi les personnes concernées. Même si celles-ci sont peu nombreuses - on parle de 4 000 à 5 000 personnes -, elles vivent parfois des situations très douloureuses. Je mettrai de côté celles qui portent des noms patronymiques comme « Connard » ou « Cocu » pour évoquer, par exemple, celles qui ont été victimes de crimes incestueux de la part d'un père jugé par une cour d'assises, avec un retentissement médiatique de l'affaire. On offre à ces enfants, qui sont durablement marqués par leur histoire, la possibilité d'obtenir un changement de nom, mais la procédure prend parfois beaucoup de temps.
Je veux aussi évoquer la situation des membres d'une fratrie dans laquelle un d'entre eux a été condamné par exemple pour un crime. Ses frères et soeurs vont rencontrer énormément de difficultés à s'insérer socialement et professionnellement dès lors qu'ils portent le même nom patronymique : ce sont des victimes collatérales. On ne doit pas laisser à penser qu'il s'agit de démarches fantaisistes ou capricieuses de la part de personnes qui changeraient de nom patronymique comme on change de veste.
Il faut voir comment nous pouvons aider ces personnes de manière efficace et rapide. Les délais sont trop longs. J'ai entendu les réserves des secrétaires de mairie et des hauts fonctionnaires pour lesquels il ne faudrait rien changer. Tout changement engendre une charge de travail supplémentaire, mais le législateur est là pour s'intéresser à la société dans son ensemble, y compris à ceux qui, même minoritaires, rencontrent des difficultés. Lors du débat dans l'hémicycle, nous essayerons de faire entendre la voix de ces derniers, pour les accompagner de la manière la plus pragmatique possible, tout en mettant les garde-fous nécessaires pour éviter les dérives. On peut faire converger les aspirations des uns et les mises en garde des autres.
Mme Marie Mercier, rapporteur. - Je remercie Hussein Bourgi et Dominique Vérien d'avoir assisté aux auditions.
Monsieur Bourgi, la substitution du nom d'usage apporte une solution pratique immédiate, dans l'attente de la procédure de changement de nom. Les difficultés que vous évoquez relèvent de la gestion des procédures : le service du sceau doit mieux travailler. Il a par exemple suffi de trois mois pour changer le nom d'une personne dans un dossier sensible ! Je comprends que cette administration a un travail considérable, mais ce n'est pas une raison pour s'en décharger sur les services chargés de l'état civil des communes.
M. François-Noël Buffet, président. - En application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, il nous revient d'arrêter le périmètre indicatif du projet de loi.
Je vous propose de considérer que ce périmètre comprend les dispositions relatives au nom d'usage et aux procédures de changement de nom et de prénom.
EXAMEN DES ARTICLES
Mme Mélanie Vogel. - Il arrive souvent que les acteurs économiques attribuent automatiquement à une femme le nom de son époux comme nom d'usage, même lorsqu'elle souhaite garder son nom de naissance. La rectification de l'erreur exige de longues procédures. Mon amendement COM-9 rectifié prévoit que, sauf demande expresse, le nom de naissance reste le nom d'usage.
Mme Marie Mercier, rapporteur. - Le fait que certains appellent une femme par son nom d'épouse sans qu'elle le souhaite relève de la tradition et des mentalités, mais ne correspond pas à l'état de la législation. Ce n'est pas une nouvelle disposition dans le code civil qui y changera quelque chose. Il faut faire changer les mentalités ! L'avis est défavorable.
L'amendement COM-9 rectifié n'est pas adopté.
Mme Marie Mercier, rapporteur. - L'amendement COM-1 rectifié bis fait une confusion entre le nom d'usage et le nom de famille.
Le nom d'usage n'est pas transmissible et ne peut donc « redéfinir une identité généalogique ». Il existe depuis 1985 s'agissant du nom d'usage issu de la filiation. Il permet de résoudre de manière assez souple différentes situations, et je vous proposerai deux amendements pour améliorer le dispositif. L'avis est défavorable.
L'amendement COM-1 rectifié bis n'est pas adopté.
L'amendement de précision rédactionnelle COM-12 est adopté.
Mme Marie Mercier, rapporteur. - L'amendement COM-13 vise à clarifier les choix de nom d'usage issu de la filiation possibles pour permettre à une personne majeure ayant un nom double d'en bénéficier.
L'amendement COM-13 est adopté.
Mme Mélanie Vogel. - Mon amendement COM-10 rectifié tend à permettre à une personne de prendre comme nom d'usage un autre nom que celui de ses parents, par exemple de ses demi-frères ou demi-soeurs. Il s'agit non pas de prendre le nom de n'importe qui, mais celui de personnes avec lesquelles il existe un lien fort.
Mme Marie Mercier, rapporteur. - Cet amendement vise à élargir le choix des noms d'usage aux noms portés par des parents du deuxième degré.
Une personne pourrait ainsi prendre le nom d'une grand-mère, mais également d'un petit-fils ou d'un frère, entraînant une certaine confusion. Il me semble inutile de complexifier encore les choses. L'avis est défavorable.
L'amendement COM-10 rectifié n'est pas adopté.
Mme Marie Mercier, rapporteur. - L'amendement COM-14 a un double objet : refuser la faculté de substituer le nom d'un parent à celui d'un autre à titre de nom d'usage de l'enfant ; rétablir le consentement préalable de l'autre parent pour procéder à une adjonction de nom, tout en précisant le rôle du JAF.
Mme Dominique Vérien. - Le JAF pourrait-il statuer sur une substitution de nom ?
Mme Marie Mercier, rapporteur. - Non.
Mme Dominique Vérien. - La substitution de nom peut aussi être faite pour le bien de l'enfant.
Mme Marie Mercier, rapporteur. - C'est la procédure de changement de nom.
Mme Dominique Vérien. - Je comprends que l'on souhaite passer par un juge, mais la procédure dure trop longtemps. Imaginons un enfant de trois mois : il serait bon que la procédure soit terminée avant qu'il n'entre à l'école.
Mme Marie Mercier, rapporteur. - Le plus important pour l'enfant, c'est qu'il soit dans un milieu bienveillant, qu'on subvienne à ses besoins fondamentaux en termes de soins, d'éducation... La question du nom vient bien après. Nous devons éviter de transférer à l'enfant le conflit sur le nom. Il ne faut pas se tromper de combat, comme l'a indiqué le pédopsychiatre que nous avons entendu : l'intérêt supérieur de l'enfant ne passe pas par le règlement immédiat de la question du nom.
L'article 2 bis ouvre la possibilité pour une juridiction de statuer sur le changement de nom d'un mineur lorsqu'elle prononce le retrait total de l'autorité parentale - les cas graves des violences intrafamiliales sont ici visés.
M. François-Noël Buffet, président. - La question de la rapidité des procédures est un autre problème. Nous avons fait à plusieurs reprises des observations sur la nécessaire réorganisation de la justice civile.
L'amendement COM-14 est adopté ; les amendements COM-5 et COM-11 rectifié deviennent sans objet.
L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Mme Mélanie Vogel. - L'amendement COM-6 rectifié vise à maintenir l'usage par une personne du nom de son conjoint après un divorce, sur simple manifestation de volonté.
Mme Marie Mercier, rapporteur. - Le mariage a une dimension contractuelle : l'époux prête son nom à sa femme, ou inversement. L'amendement vise à permettre la conservation du nom de l'ex-conjoint après un divorce. Il semble que le système existant soit satisfaisant. Soit l'autre époux est d'accord, soit c'est le juge qui l'autorise en raison d'un intérêt particulier pour lui ou pour les enfants. Le nom d'usage est ici lié au mariage ; il est naturel qu'en cas de divorce, qui est une rupture du contrat, cet usage cesse sauf circonstances particulières. L'avis est défavorable.
L'amendement COM-6 rectifié n'est pas adopté.
Article 2
L'amendement de suppression COM-2 rectifié bis n'est pas adopté.
Mme Marie Mercier, rapporteur. - L'amendement COM-15, que je vous propose d'adopter, vise, d'une part, à supprimer la procédure déclarative, dite « par Cerfa », et décentralisée auprès des officiers de l'état civil voulue par l'Assemblée nationale ; d'autre part, à ne pas soumettre à l'exigence de la justification d'un « intérêt légitime » la demande de changement de nom par décret tendant à adjoindre le nom de l'un des parents à son nom ou l'y substituer.
Entre le simple formulaire Cerfa en mairie et la procédure actuelle qui est longue et complexe, mais qui dépend des services de l'administration centrale du ministère de la justice, il y a un juste milieu qui permet de préserver le caractère exceptionnel d'un changement de nom tout en apportant une réponse aux personnes qui souhaitent ne plus porter le nom de l'un de leurs parents ou y adjoindre celui de l'autre.
Il n'est pas tolérable de devoir attendre des années quand on porte un nom épouvantable. Nous proposons de simplifier le dispositif, tout en laissant sa mise en oeuvre par la Chancellerie.
L'amendement COM-15 est adopté ; les amendements COM-4 rectifié, COM-3 et COM-7 rectifié deviennent sans objet.
L'article 2 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Article 2 bis (nouveau)
L'article 2 bis est adopté sans modification.
Article 3
L'article 3 est adopté sans modification.
Mme Mélanie Vogel. - Par l'amendement COM-8 rectifié bis, nous souhaitons automatiser le double nom dans la déclaration de naissance. En effet, bien qu'il soit légalement possible de prendre le nom de la mère ou d'accoler les deux noms dans l'ordre de leur choix, 80 % des couples utilisent le nom du père pour leurs enfants. Il s'agit de sortir le choix du nom de la négociation entre les deux parents, car celle-ci se fait souvent en défaveur de la mère.
Mme Marie Mercier, rapporteur. - Votre amendement tend à modifier les règles de dévolution du nom de famille pour rendre obligatoire le double nom.
Nous avons eu ce débat à plusieurs reprises et nous pourrons de nouveau l'avoir en séance. L'article 311-21 du code civil a été retouché quatre fois depuis 2002. Il faut laisser le temps aux parents de se saisir de ces dispositions au lieu de les modifier encore une fois. L'avis est défavorable.
Mme Brigitte Lherbier. - Le service d'état civil qui est parfois présent dans les maternités ne propose pas aux mères d'inscrire le double nom, qui permet de garder une attache avec les deux parents.
M. Philippe Bas. - Madame Vogel, si une femme s'appelant Martin-Lefèvre a un enfant avec un homme dont le nom est Dupont-Durand, comment s'appellera l'enfant avec votre amendement ?
Mme Dominique Vérien. - Je me permets de répondre : les parents choisiront deux noms parmi les quatre !
Pourquoi changer la règle aujourd'hui ? Depuis le mariage pour tous, les couples de même sexe peuvent adopter et il n'y a plus forcément de père et mère. C'est la raison pour laquelle la question s'est de nouveau posée.
Les parents doivent parfois signer un formulaire dans lequel ils indiquent quel nom ils ont choisi pour l'enfant. En l'absence de ce formulaire, la mairie inscrit le nom du père. Si le formulaire était systématiquement proposé, il y aurait moins de problèmes. Le dispositif peut être amélioré, mais cela relève certainement du pouvoir règlementaire.
Mme Brigitte Lherbier. - L'instabilité des couples explique les problèmes que l'on rencontre aujourd'hui pour les noms des enfants. J'insiste, le double nom permet de garder le lien avec les deux parents.
Mme Cécile Cukierman. - En voulant faire plaisir à tout le monde, on a complexifié le dispositif. Mes enfants ne portent pas mon nom de famille, mais ils n'ont pas le sentiment que je ne suis pas leur mère et je n'ai pas le sentiment qu'ils ne sont pas mes enfants. Dans la plupart des familles, le fait de porter le nom du père ne pose pas de problème.
En Espagne, on porte les deux noms, mais à la génération suivante, ce sont les noms des grands-pères paternels qui sont conservés. Nos noms de famille n'ont pas vocation à être des arbres généalogiques.
On ne pourra pas régler tous les cas particuliers. Cette proposition de loi présente l'avantage d'être claire, en permettant de changer de nom une fois dans sa vie.
Mme Marie Mercier, rapporteur. - Philippe Bas a pointé, par sa question, le fait que l'amendement COM-8 reporte sur les enfants le choix du nom qu'ils vont décider d'ignorer lors de la transmission à leurs propres enfants. C'est l'une des raisons pour lesquelles je fais preuve de réserve sur ce sujet.
L'amendement COM-8 rectifié bis n'est pas adopté.
Mme Marie Mercier, rapporteur. - Mon amendement COM-16 vise à reporter l'entrée en vigueur au 1er septembre 2022, pour prendre en compte le travail supplémentaire que la mise en oeuvre de ce texte donnera aux diverses administrations concernées.
L'amendement COM-16 est adopté.
L'article 4 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
Déroulement de la campagne présidentielle - Audition de M. Jean-Denis Combrexelle, président du comité de liaison Covid
M. François-Noël Buffet, président. - Nous recevons Jean-Denis Combrexelle, en sa qualité de président du comité de liaison Covid sur le déroulement de la campagne présidentielle, que je remercie de s'être rendu disponible pour cette audition.
Celle-ci nous donne l'occasion de nous pencher sur les conditions d'organisation de la prochaine élection présidentielle, puis des élections législatives, dans le contexte toujours prégnant de la crise sanitaire. Il s'agit notamment de veiller à ce que certains dysfonctionnements relevés l'année dernière ne se reproduisent pas. Nous pourrons aussi évoquer les mesures contenues dans les propositions de loi organique et ordinaire de notre collègue Philippe Bonnecarrère, que nous examinerons en commission la semaine prochaine.
Ma première question concerne les missions exactes du comité de liaison que vous présidez. Lors de votre audition l'été dernier, vous nous aviez expliqué que le comité de suivi pour les élections départementales et régionales, que vous présidiez également, était une expérience inédite, qu'il s'agissait avant tout d'une instance de dialogue entre les associations d'élus, les partis politiques et les ministères chargés de l'organisation des élections, dans le contexte particulier de la crise sanitaire. Votre reconduction à la présidence de ce nouveau comité prouve que cette première expérience a été utile, mais votre mission se présente sous un jour doublement différent cette année : d'une part, elle est expressément centrée sur les seules questions en lien avec la crise sanitaire ; d'autre part, elle est placée sous le contrôle de la Commission nationale de contrôle de la campagne en vue de l'élection présidentielle (CNCCEP), qui est présidée par le vice-président du Conseil d'État. Quelles sont donc les missions exactes du comité que vous présidez cette année et comment ses réunions et ses travaux s'articulent-ils avec ceux de la CNCCEP ?
Ma deuxième question porte sur les enseignements que vous avez tirés de l'organisation des élections de juin dernier. Nous vous avions entendu sur les dysfonctionnements dans la distribution de la propagande électorale : des leçons ont-elles été tirées ? Avec le recul, les remontées des préfectures et des contentieux ont-elles permis d'identifier d'autres difficultés, qui seraient pour vous des points de vigilance particuliers ou qui justifieraient de publier sans délai des recommandations ou d'adapter le protocole sanitaire ?
Enfin, malgré un léger desserrement des contraintes, les données n'ont pas fondamentalement changé par rapport à l'année dernière : avec plus de 250 000 nouveaux cas par jour, plus de 3 000 patients en réanimation et de fortes tensions sur les services hospitaliers, l'épidémie risque toujours de perturber le moment démocratique majeur qu'est l'élection présidentielle. Dans ce contexte, comment faire pour limiter autant que possible l'impact du risque sanitaire sur la participation ? Le Gouvernement ne souhaite pas, à ce stade, renouveler cette année le dispositif de double procuration que le Parlement avait mis en place pour le second tour des élections municipales puis pour les élections départementales et régionales, dispositif que notre collègue Philippe Bonnecarrère propose de réinstaurer cette année. Quelle est votre position sur ce sujet ?
M. Jean-Denis Combrexelle, président du comité de liaison Covid sur le déroulement de la campagne présidentielle. - Le comité de liaison que je préside reprend dans son principe le comité de suivi mis en place pour les élections départementales et régionales : il s'agit d'une instance de dialogue entre les candidats et leurs équipes, les partis politiques et les administrations chargées de l'organisation des élections, notamment la direction de la modernisation et de l'administration territoriale et le bureau des élections du ministère de l'intérieur, dans une approche consensuelle. Cette démarche relativement nouvelle n'avait pas vocation à régler tous les problèmes, mais elle est parvenue à susciter de la confiance et s'est révélée importante. Nous avons pu écouter les partis et les candidats de manière à faire remonter les informations auprès des autorités et à formuler des propositions.
À la différence des élections locales, il existe déjà une commission chargée de régler les questions relatives à l'élection présidentielle, la CNCCEP. Le Conseil constitutionnel a également une responsabilité particulière. Il ne faut pas que le comité de liaison interfère avec les missions de ces instances, qui sont définies par la loi, voire par la Constitution.
Le comité que je préside aujourd'hui, à la différence du précédent, s'intéresse donc à la gestion de l'élection présidentielle exclusivement sous l'angle des circonstances sanitaires actuelles, alors que le précédent comité s'intéressait également à l'affichage, au grammage du papier des bulletins et à d'autres sujets encore. Ainsi, nous finalisons actuellement un projet de protocole sanitaire pour l'organisation des meetings électoraux.
Nous travaillons aussi à la prise en compte des dépenses supplémentaires liées à la crise sanitaire. Les partis avaient des interrogations légitimes sur ce point : ils doivent louer des salles plus grandes pour assurer le respect des gestes barrières, acheter des masques et du gel hydroalcoolique... J'ai interrogé sur ce sujet le président de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), Jean-Philippe Vachia. Il était important que les équipes des candidats puissent entendre que cette commission ferait montre d'autant de souplesse lors de l'élection présidentielle que pour les élections régionales et départementales. Certes, le plafond des dépenses est fixé dans la loi, mais ces dépenses seront en tout cas bien considérées comme éligibles au remboursement.
Nous parlerons ensuite de l'organisation concrète du scrutin : présence de masques dans les bureaux de vote, nombre suffisant d'assesseurs, etc.
Toutes nos activités font l'objet d'une information régulière et exhaustive adressée à la CNCCEP, dont je connais bien le président. Il n'y a pas l'épaisseur d'un papier à cigarette entre nous, tant fonctionnellement que personnellement !
Après l'élection présidentielle, le comité de liaison s'intéressera-t-il aux législatives ? Si l'épidémie connaissait une décrue, nous n'aurions plus de raison d'être, mais il est trop tôt pour en juger.
Quant aux enseignements à tirer des précédentes élections, le comité que je présidais alors avait bien été créé du fait de la situation sanitaire, même si ses missions allaient au-delà. Cet aspect de l'organisation des élections locales a dans les faits suscité peu de problèmes et de désaccords : grâce à l'implication des maires, des services administratifs et des préfectures, des partis politiques et des associations d'élus, la crise sanitaire a plutôt été bien gérée, en dépit de fortes inquiétudes ; il faudra qu'il en soit de même cette fois-ci. Les difficultés rencontrées à cette occasion ont plutôt mis en exergue des faiblesses structurelles, liées aux relations avec les prestataires privés, qu'il s'agisse de l'affichage, de la mise sous pli ou de la distribution de la propagande électorale. Beaucoup d'activités auparavant assurées par les administrations ou les partis relèvent maintenant de prestataires privés, dont certains ont acquis une position presque monopolistique.
La double procuration a bien fonctionné pour les élections locales. Le dispositif n'a pas été renouvelé, du fait de problèmes d'ordre informatique au ministère de l'intérieur. Il est sans doute un peu tard maintenant pour les résoudre et remettre en place cette possibilité pour l'élection présidentielle, mais il s'agissait selon moi d'une bonne mesure, qui méritera sans doute d'être renouvelée.
M. François-Noël Buffet, président. - L'élection présidentielle mobilise davantage que les élections locales ; il faudra donc, du point de vue sanitaire, gérer un flux de personnes plus important dans les bureaux de vote.
Mme Nadine Bellurot, rapporteure de la proposition de loi organique visant à garantir la qualité du débat démocratique et à améliorer les conditions sanitaires d'organisation de l'élection présidentielle dans le contexte lié à l'épidémie de covid-19 et de la proposition de loi visant à améliorer les conditions sanitaires d'organisation des élections législatives dans le contexte lié à l'épidémie de covid-19. - Dans le cadre de votre dialogue avec les candidats ou leurs représentants, les mesures relatives aux meetings de campagne font-elles toujours l'objet de discussions, ou bien celles-ci ont-elles d'ores et déjà été fixées ?
Nous interrogerons le Gouvernement sur la nature, selon lui technique, des problèmes empêchant l'exercice de la double procuration, qui me paraissent difficilement compréhensibles compte tenu du contexte épidémique qui n'est pas nouveau !
Enfin, le comité que vous présidez a-t-il eu des discussions avec l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) quant aux mesures qui pourraient être prises pour adapter les règles de propagande audiovisuelle au contexte sanitaire ? Ces discussions ont-elles abouti à des propositions ?
M. Loïc Hervé. - Le comité que vous présidez n'édicte pas de normes ; il s'agit d'un lieu de dialogue chargé de trouver des solutions qui seront non pas d'ordre législatif, puisque le Parlement ne pourra pas siéger au-delà du mois de février, mais plutôt des bonnes pratiques.
Le Conseil constitutionnel a censuré la faculté donnée à l'organisateur d'une réunion politique de soumettre l'entrée de leur public au contrôle du passe vaccinal. Ces réunions participent complètement de l'exercice de la démocratie et de l'information des citoyens. Aujourd'hui, un organisateur qui met en oeuvre de tels contrôles se rend coupable d'un délit. Certains candidats semblent pourtant l'avoir fait ; or aucune poursuite n'a été engagée à ma connaissance. Quelle est la position de votre comité sur ce point précis d'application de la loi pénale ?
Mme Cécile Cukierman. - Pour y participer, je peux indiquer que ce comité ne vise nullement à permettre quelque dérogation que ce soit à la loi ou aux règlements pour tel ou tel candidat. Les échanges qui s'y mènent avec les représentants des candidats à l'élection présidentielle visent à identifier ensemble les difficultés supplémentaires causées par la crise sanitaire. On y échange des bonnes pratiques, on y élabore des documents consensuels.
On ne gère pas la covid-19 avec seulement des masques et du gel. Ainsi, la question du grammage du papier n'est pas anecdotique quand la pandémie cause des difficultés d'approvisionnement. Certaines des difficultés rencontrées en matière d'affichage et de distribution de la propagande électorale sont liées à la situation sanitaire. Très certainement, on n'est pas à l'abri de nouveaux problèmes. Je souhaite donc que ce comité puisse continuer son activité pour les élections législatives, pour faire face à des difficultés que l'on n'anticipe pas encore.
Enfin, nous voulons tous lutter contre l'abstention ; l'impossibilité de la double procuration, même si elle est d'ordre technique, en est d'autant plus regrettable.
M. Éric Kerrouche. - Vous vous êtes dit plutôt satisfait de la gestion sanitaire des dernières élections. Je n'en fais pas la même analyse : même si leur déroulement aurait pu être pire encore, ces élections se sont mal passées ! La très faible participation en témoigne. Certes, il existe une abstention structurelle qui progresse d'année en année, mais il en est aussi une qui est liée à la covid-19. Or rien n'a été fait pour améliorer la participation ; je regrette un manque d'anticipation du Gouvernement en la matière. La double procuration ne me paraît certes pas suffisante, mais cette fois-ci, on ne peut même pas la mettre en oeuvre !
Concernant le recueil des parrainages pour l'élection présidentielle, j'ai reçu mon formulaire assez tard ; la préfecture des Landes a justifié cette situation par des difficultés techniques indépendantes de sa volonté. Celles-ci sont-elles liées à la situation épidémique ? Il s'agit d'une période contrainte, pour les candidats comme pour les parrains.
Quant à la mise sous pli, après les dernières difficultés, le ministère de l'intérieur a décidé d'internaliser cette tâche pour l'élection présidentielle. Le lieu de routage devra être situé à moins d'une heure et demie du chef-lieu, les opérations seront mécanisées et le routeur ne devra pas avoir rencontré de difficultés lors des précédents scrutins. En revanche, pour les législatives, la préfecture m'a fait savoir que la solution à retenir serait examinée ultérieurement. Pourquoi un tel retard ? Peut-on garantir que les difficultés rencontrées l'an dernier ne se reproduiront pas ? Les communes seront-elles associées au processus ?
Enfin, les coûts de la campagne électorale augmentent, notamment du fait de l'augmentation du prix du papier. Celle-ci est liée à la pandémie et dure depuis plus d'un an. Le papier est de plus en plus rare et cher. Vous avez parlé de souplesse dans l'application des règles financières, mais le décret du 30 décembre 2019 sur la majoration du plafond des dépenses électorales sera-t-il en vigueur pour les élections législatives ? La loi permet-elle d'actualiser le coefficient de majoration ? Là encore, je regrette un manque d'anticipation en la matière.
Mme Agnès Canayer. - Les doubles procurations ont bien fonctionné lors des derniers scrutins. Une nouvelle fois, on constate avec les problèmes techniques invoqués aujourd'hui que l'État ne dispose souvent pas de bons outils numériques. Un autre argument est avancé pour justifier la non-reconduction des doubles procurations : dorénavant, les procurations pourront être données à des électeurs inscrits dans d'autres communes.
Concernant l'affluence à prévoir dans les bureaux de vote, avez-vous bien conscience que la refonte des cartes d'électeurs pourra susciter des embouteillages supplémentaires ? On compte sept millions de citoyens non inscrits ou mal inscrits sur les listes électorales ; nombreux sont ceux qui viendront chercher leur carte dans le bureau lors du premier tour.
Enfin, des modalités spécifiques d'organisation du scrutin sont-elles prévues pour les villes qui utilisent des machines à voter, comme Le Havre ?
M. Jean-Pierre Sueur. - Concernant les prestataires privés, après le fiasco de la distribution des documents électoraux l'année dernière, qu'a-t-il été décidé exactement ? La Poste assurera-t-elle une part prépondérante de cette distribution ? D'autres sociétés ont-elles été habilitées à le faire, et dans quelles conditions ?
Mes collègues ont déjà évoqué le problème du papier. Les imprimeurs nous disent qu'ils ont beaucoup de mal à s'approvisionner, que les coûts augmentent partout. Les tarifs de remboursement ne devraient-ils pas être revus ?
Mme Catherine Belrhiti. - La campagne électorale sert avant tout à mobiliser les électeurs ; tout ce qui pourrait les dissuader de participer à une réunion de campagne contribue à l'abstention. Cette participation diminue pourtant d'année en année. Comptez-vous proposer le recours accru à d'autres outils de propagande électorale, comme les messages audiovisuels ou la communication sur internet ? Des rumeurs circulent quant à l'imposition du passe sanitaire ou vaccinal dans les bureaux de vote. Soutiendrez-vous une telle proposition, que ce soit pour les électeurs ou seulement pour les présidents et assesseurs ? Si tel est le cas, allez-vous aussi promouvoir l'obligation du vote par correspondance pour les personnes non vaccinées ? Enfin, je regrette que l'on ne puisse pas cette fois avoir recours à la double procuration.
M. Jean-Denis Combrexelle. - S'agissant de notre comité, notre rôle est évidemment différent de celui du Parlement, qui vote la loi. J'ai parlé de bonnes pratiques et il est vrai qu'on a souvent tendance en France à considérer une telle approche avec condescendance, les juristes opposant fréquemment le droit « dur » et le droit « mou »... Elle est pourtant essentielle. Je suis moi-même juge et haut fonctionnaire, et je peux vous dire qu'un tel comité, sans être nécessairement impressionnant, peut être utile pour trouver des solutions concrètes. L'État profond, si je puis m'exprimer ainsi, en a aussi besoin pour faire remonter les problèmes qui peuvent se poser.
Madame la sénatrice Belrhiti, nous ne sommes pas là pour créer de la norme, a fortiori pour faire des choses qui seraient en contradiction avec la loi ou avec la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Le protocole que nous préparons s'inscrit directement dans le cadre des textes et de la jurisprudence constitutionnelle. Celle-ci est très claire en ce qui concerne les élections : ni passe sanitaire ou vaccinal, ni jauge.
J'ajoute que le Conseil constitutionnel a censuré l'amendement qui avait été adopté à l'initiative du député Guillaume Larrivé qui visait à autoriser les organisateurs de meetings à subordonner l'accès à ceux-ci à la présentation d'un passe sanitaire ou vaccinal. Là aussi, nous tirons simplement les conséquences de la jurisprudence, en tentant de la concilier avec les règles techniques qui s'appliquent par ailleurs à des réunions ayant lieu dans un établissement recevant du public - les meetings politiques ont presque toujours lieu dans de tels établissements. Ces règles ne doivent évidemment pas soulever de problèmes pour les libertés publiques. Dans ce cadre, les gestes barrières doivent s'appliquer : port du masque ; respect des règles de distance parmi le public, dans toute la mesure du possible ; mise à disposition de gel hydroalcoolique ; aération de la salle... Je reconnais que cela peut poser des contraintes pour les organisateurs et les candidats, mais c'est le sens du protocole qui illustre d'ailleurs notre rôle : ne pas ajouter de normes, ni déroger aux règles existantes.
En ce qui concerne d'éventuelles sanctions pénales, je crois que nous devons d'abord responsabiliser les candidats et les équipes de campagne. C'est le point le plus important et nous n'allons pas mettre un policier ou un gendarme partout, même s'il est vrai que nous voyons parfois à la télévision des images de meetings où le masque n'est pas systématiquement porté...
S'agissant d'une éventuelle présence plus importante des candidats et de la campagne dans les médias au cas où le nombre de meetings ne pourrait pas être aussi élevé que nous le souhaiterions, nous avons des échanges avec l'Arcom à ce sujet. Comme vous le savez, des règles existent déjà pour les médias en période de campagne électorale - respect des temps de parole, équité...
Monsieur le sénateur Kerrouche, quand j'ai dit que les élections départementales et régionales s'étaient plutôt bien passées, il ne s'agissait aucunement d'autosatisfaction, je pensais uniquement à la préoccupation principale de notre comité : comment gérer les opérations électorales en période d'épidémie comme celle que nous connaissons avec la covid ? Je ne pensais à rien d'autre et je reconnais bien volontiers que ces élections ont posé d'importants problèmes en termes de participation, notamment chez les jeunes, et de distribution de la propagande électorale.
La question des parrainages n'entre pas dans nos missions ; elle relève du Conseil constitutionnel et du ministère de l'intérieur. Si des problèmes se posent, il est très important de les faire remonter à l'administration centrale du ministère.
Le coût du papier et les problèmes d'approvisionnement sont évidemment une préoccupation et je peux vous dire que le ministère de l'intérieur en est conscient. Nous devons tenir compte de cette situation.
Au sujet des procurations, il revient au ministère de l'intérieur de vous apporter une réponse. J'ai tendance à penser, à titre personnel, que la double procuration est une bonne mesure, mais nous devons veiller à éviter les dérives. Pour cela, nous avons besoin d'un système informatique performant.
En ce qui concerne l'organisation des bureaux de vote, nous devons appliquer la jurisprudence du Conseil constitutionnel : le vote est un droit si important dans une démocratie qu'il est hors de question de le subordonner à la présentation d'un passe sanitaire ou vaccinal. Pour autant, il nous faut là aussi respecter les gestes barrières, notamment le port du masque, le cas échéant le port d'un masque FFP2 pour les personnes présentant des risques particuliers. Nous devons poursuivre les discussions, parce que l'élection présidentielle est un moment particulier dans notre pays, à l'origine d'une forte affluence des électeurs. Au moment des élections départementales et régionales, il existait une grande inquiétude sur la capacité à mobiliser des assesseurs, mais je rappelle que, alors que presque partout, il y avait deux élections, dont des bureaux de vote en double, nous n'avons finalement pas rencontré de problèmes particuliers, sauf à Marseille.
S'agissant des prestataires, je crois que le ministère de l'intérieur a tiré les leçons de ce qui s'est passé. Dorénavant, c'est La Poste qui est le cocontractant de l'État et les exigences de rapports et de signalements ont été renforcées, notamment au travers d'indicateurs. Lors des dernières élections, les alertes sont apparues trop tardivement pour pouvoir réagir. C'est pourquoi il est important, d'une part, d'avoir un cocontractant de confiance, d'autre part, de pouvoir détecter le plus en amont possible les éventuels problèmes.
Il est vrai que les votes par correspondance ou électroniques peuvent apparaître comme un moyen d'augmenter la participation électorale. Je voudrais vous donner mon sentiment personnel à ce sujet. D'une part, l'abondance de la jurisprudence sur le vote par correspondance montre que ce dispositif a posé d'importants problèmes dans le passé, même si d'autres pays l'utilisent. D'autre part, j'ai eu, en tant que directeur général du travail, à organiser des élections prud'homales : nous avons mis en place un vote électronique, mais nous n'avons pas vu d'effet sur le taux de participation. C'est donc, à mon sens, un sujet délicat, en particulier quand nous parlons d'élections avec autant de votants. Pour que cela fonctionne et que le résultat final soit accepté, il me semble que nous devons vivre dans une société de confiance : la société doit faire confiance aux experts informatiques et à l'entreprise qui gère le processus. En sommes-nous là aujourd'hui ?
M. Jean-Pierre Sueur. - Qu'en est-il du tarif de remboursement en cas de hausse du prix du papier ? Il me semble qu'il est fixé par voie réglementaire.
M. Jean-Denis Combrexelle. - Cela est en effet inscrit dans un texte de nature réglementaire. Le ministère de l'intérieur est en train d'expertiser la question.
Mme Cécile Cukierman. - Je veux rebondir sur ce point, même si cela excède certainement le cadre de notre réunion. Si nous devons tenir compte de la hausse du prix du papier, chacun doit jouer le jeu ! Il s'agit tout de même d'argent public.
M. Alain Richard. - Très bien !
Mme Cécile Cukierman. - Lors des dernières élections, une entreprise a fait exploser ses tarifs d'affichage, ce qui a eu des conséquences pour tous les candidats. Nous devrons relever les plafonds en cas de besoin, mais dans le cadre d'un dialogue avec l'ensemble des entreprises qui contribuent à l'organisation des opérations électorales, quel que soit leur statut. Ce serait trop simple de se limiter à dire qu'on relève les plafonds de dépenses. Les élections ne sont pas synonymes de dépenses à volonté !
M. Éric Kerrouche. - Quelles sont les perspectives pour les élections législatives en ce qui concerne la mise sous pli des documents de propagande ?
En ce qui concerne les procurations - je ne peux pas ne pas revenir sur ce sujet après ce qui a été dit -, la France est le seul pays parmi les pays industrialisés à utiliser cette technique de manière aussi massive. Or elle est critiquée, ne serait-ce que parce que le mandant ne sait pas en réalité pour qui il vote ! J'ajoute que les jurisprudences dont vous parlez sont datées et qu'à l'époque il n'y avait aucun contrôle - on pourrait dire que la loi poussait au crime... Je suis d'accord pour dire que ce n'est pas une réponse technique qui va résoudre un problème démocratique ; mais si on écarte toutes les réponses techniques, il ne faut pas s'étonner que les problèmes démocratiques s'accroissent !
M. Jean-Denis Combrexelle. - Je pense que les élections législatives devraient connaître le même régime que l'élection présidentielle. Nous avons tiré les leçons des élections précédentes.
Au sujet des modalités de vote - procuration, vote par correspondance, vote électronique... -, il revient davantage aux responsables politiques qu'au haut fonctionnaire que je suis de trancher. En tout cas, je ne suis pas certain que la réponse à la faiblesse du taux de participation soit uniquement technique...
M. Jean-Pierre Sueur. - C'est certain, quand on voit les thèmes actuels de la campagne...
M. François-Noël Buffet, président. - Je vous remercie de votre intervention, Monsieur Combrexelle.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion, suspendue à 11 h 45, est reprise à 14 heures.
Organisation des élections présidentielle et législatives - Audition de Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur, chargée de la citoyenneté
M. François-Noël Buffet, président. - Nous entendons cet après-midi Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur, chargée de la citoyenneté, sur l'organisation des prochaines élections présidentielle et législatives.
Ce matin, Jean-Denis Combrexelle, président du comité de liaison Covid sur le déroulement de la campagne présidentielle, nous a donné des précisions sur le déroulement de la campagne électorale dans un contexte épidémique. En tant que ministre, vous êtes chargée de l'organisation des élections. Certaines règles expérimentées à l'occasion des élections de 2020 et de 2021 n'ont pas été reprises pour les élections de cette année. Notre collègue Philippe Bonnecarrère a déposé une proposition de loi organique et une proposition de loi ordinaire tendant notamment à autoriser la double procuration pour l'élection présidentielle et les élections législatives, mais il n'est pas sûr qu'elles puissent aboutir d'ici la suspension des travaux parlementaires prévue à la fin du mois.
En outre, en matière de propagande électorale, nous avions constaté, l'été dernier, un « fiasco multifactoriel » lors des élections départementales et régionales de 2021. Il semble qu'Adrexo ne participera pas au nouvel appel d'offres, remporté par La Poste. Comment les choses seront-elles organisées pour les élections à venir ?
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur, chargée de la citoyenneté. - L'année 2022 est marquée par deux élections nationales, présidentielle et législatives. Le ministère de l'intérieur est chargé de l'organisation, y compris matérielle, des élections et de l'application de la loi électorale. Comme pour chaque scrutin, nos services, en lien avec les préfectures et les maires, sont mobilisés pour assurer le bon déroulement des scrutins.
L'organisation des élections est juridiquement délicate, mais comporte aussi des défis matériels et logistiques qui doivent intégrer l'impératif sanitaire. L'histoire récente nous enseigne que les conditions sanitaires risquent d'évoluer entre février et avril : il faudra continuer à faire preuve d'adaptation.
Le cadre juridique de l'élection présidentielle est multiple. Les articles 6, 7 et 58 de la Constitution et la loi organique du 6 novembre 1962 relative à l'élection du Président de la République au suffrage universel, dernièrement modifiée en 2021, sont la base du droit applicable. S'y ajoute le code électoral.
Outre le ministère de l'intérieur, le Conseil constitutionnel joue un rôle central dans l'élection présidentielle, puisqu'il veille à sa régularité. Nos services ont donc, pour l'élaboration de tous les textes réglementaires et circulaires, un dialogue continu avec le Conseil constitutionnel, qui, notamment, comptabilise les formulaires de présentation des candidats, arrête la liste officielle des candidats et proclame les résultats.
La loi organique du 6 novembre 1962 prévoit aussi une commission nationale de contrôle de la campagne électorale en vue de l'élection du Président de la République, présidée par le vice-président du Conseil d'État, qui veille au respect de l'égalité entre les candidats et à l'observation des règles de l'élection, en contrôlant notamment la conformité des affiches et des professions de foi aux prescriptions applicables. La commission contrôle aussi le déroulement de la campagne, en accompagnant les candidats et leurs équipes.
Le ministère de l'intérieur assure, sous le contrôle du Conseil constitutionnel, l'organisation matérielle du scrutin. Cette préparation est d'abord juridique : adaptation des textes réglementaires, décret de convocation des électeurs, préparation de circulaires et instructions aux préfets et aux maires. Ensuite, le ministère transmet les formulaires de présentation des candidats aux élus habilités, et les préfectures s'assurent de la bonne diffusion aux maires des instructions. Le ministère centralise et publie aussi les résultats de l'élection tels qu'ils sont transmis depuis chaque commune, ce qui permet de communiquer une première estimation aux Français dès 20 heures.
Enfin, je souligne le rôle essentiel des maires : en tant qu'agents de l'État, ils assurent avec leurs équipes la tenue des bureaux de vote et la révision des listes électorales. Je salue ce travail efficace, accompli au-delà de toute appartenance politique.
Je mentionne que sont impliqués d'autres services de l'État, dont l'institut national de la statistique et des études économiques (Insee), le ministère de l'Europe et des affaires étrangères, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), la commission des sondages ou encore l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi).
S'agissant des opérations préparatoires au scrutin, je reviens sur la distribution des documents électoraux en juin dernier. Le rapport de la mission d'information du Sénat, dont je salue la précision, a mis en lumière les difficultés rencontrées en 2021 et a proposé des pistes d'amélioration..
En matière d'acheminement, le contrat qui liait le ministère de l'intérieur à Adrexo pour la moitié du territoire national a été résilié le 13 août 2021. Un nouveau marché de droit commun s'appliquera à compter de mars 2022, en tenant compte des recommandations du Sénat. Conformément à la recommandation n° 3 de la mission sénatoriale, la prépondérance sera donnée aux moyens opérationnels, avec un critère technique pondéré à 60 %, et des sous-critères relatifs aux moyens humains et à la gestion des incidents.
Conformément à la recommandation n° 9 de la mission d'information, nous avons enrichi nos exigences en matière de reporting commune par commune, notamment s'agissant des plis non distribués. Nous avons réinternalisé la mise sous plis, soit en régie préfectorale, soit par délégation aux communes via une convention. Toutefois, certaines prestations pourront être externalisées : des critères spécifiques sont définis, selon la taille des départements, avec un recours privilégié à des partenaires de proximité, situés à une heure et demie maximum de la préfecture. Ainsi, 46 départements externaliseront la mise sous plis, 50 la feront en régie. La Poste, les routeurs, les imprimeurs et les afficheurs ont été rencontrés par les services du ministère, et trois plans d'organisation, de contrôle et de secours, élaborés en janvier 2022, en cours d'audit, guideront les préfectures.
Ensuite, sur l'organisation sanitaire des scrutins, l'objectif est la pleine expression du suffrage universel. Nous nous appuyons sur l'expérience des organisations locales de 2021, ainsi que sur le dialogue régulier avec les candidats et les partis politiques. En 2021, ce dialogue s'était déroulé dans le cadre du comité national de suivi des élections régionales et départementales, apprécié de tous les participants. Le Premier ministre a souhaité une instance similaire pour 2022 : le comité de liaison est installé depuis le 12 janvier, sous la responsabilité de Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur, et présidé par Jean-Denis Combrexelle, ancien président de la section du contentieux du Conseil d'État.
Le travail de ce comité a permis d'établir un protocole sanitaire commun applicable aux réunions et meetings politiques. L'expérience de 2021 nous a aussi permis de définir des protocoles pour les bureaux de vote, comportant le respect des gestes barrières, la limitation à trois du nombre d'électeurs présents simultanément, la pose de parois de protection sur les bureaux et la mise à disposition de masques et gel pour les électeurs. Vu le taux de vaccination actuel, nous n'envisageons en revanche pas de reconduire la priorité à la vaccination pour les membres des bureaux de vote.
Pour conclure, j'insiste sur l'objectif d'un fort taux de participation. Nous facilitons le vote avec une date plus tardive d'inscription sur les listes électorales : celles-ci sont ouvertes en ligne jusqu'au 2 mars sur service-public.fr et jusqu'au 4 mars en mairie. Il n'est donc pas trop tard !
De plus, ceux qui doivent la recevoir bénéficieront d'une carte électorale d'un format nouveau, avec un QR code permettant à chaque électeur d'accéder aux informations sur les élections. Cela ne fera certes pas tout contre l'abstention, mais facilite la diffusion des informations.
De plus, nous poursuivons la simplification de l'établissement des procurations : depuis 2021, maprocuration.gouv.fr permet d'effectuer l'ensemble de la démarche en ligne. En janvier 2022 est entrée en vigueur la déterritorialisation des procurations, que vous avez votée et qui facilitera la recherche de mandataires.
S'agissant du droit à la double procuration, prévu par les propositions de loi organique et ordinaire de Philippe Bonnecarrère, je rappelle qu'en 2021, le Parlement ne l'a pas repris lorsqu'il a examiné la loi organique portant diverses mesures relatives à l'élection présidentielle. En outre, le Gouvernement entend respecter le principe républicain qui consiste à ne pas modifier les règles électorales dans l'année précédant le scrutin. Selon nous, l'argument sanitaire ne justifie pas un changement de doctrine sur ce point, d'autant que le contexte sanitaire de juin 2020 et juin 2021 ne semble plus d'actualité. La double procuration ouverte lors des derniers scrutins n'a représenté que 8 % des mandataires qui ont effectué leur demande de procuration de façon dématérialisée, soit 20 000 électeurs. C'est pourquoi le Gouvernement n'a pas jugé utile de la reprendre pour les échéances à venir.
Je vous invite à inciter les électeurs à prendre massivement part aux prochaines élections. Nous allons lancer une large campagne d'incitation au vote, avec la diffusion d'informations pratiques. Les jeunes sont nombreux à s'abstenir : j'ai réuni les dirigeants de grands réseaux sociaux pour mieux communiquer en leur direction et les inciter à participer aux élections, quel que soit la candidate ou le candidat qu'ils choisiront.
Mme Nadine Bellurot, rapporteure de la proposition de loi organique visant à garantir la qualité du débat démocratique et à améliorer les conditions sanitaires d'organisation de l'élection présidentielle dans le contexte lié à l'épidémie de covid-19 et de la proposition de loi visant à améliorer les conditions sanitaires d'organisation des élections législatives dans le contexte lié à l'épidémie de covid-19. - Vous avez indiqué que la double procuration n'avait concerné que peu de votes en 2021. Cependant, 20 000 électeurs peuvent faire la différence entre des candidats pour l'élection présidentielle. Le système avait bien fonctionné en 2021 ; pourquoi alors cette option n'a-t-elle pas été prise en compte lors du paramétrage du Répertoire électoral unique? On nous dit que la double procuration n'est pas possible pour des raisons techniques, mais dans ce cas pourquoi n'avoir pas anticipé davantage ?
Par ailleurs, pouvons-nous envisager une discussion avec l'Arcom pour adapter les règles de propagande audiovisuelle au contexte sanitaire ? Envisagez-vous de nouvelles règles d'organisation des débats ?
Enfin, vous avez détaillé l'organisation des bureaux de vote, dont le nombre est arrêté depuis le 31 août dernier. Y en aura-t-il davantage pour éviter le risque d'engorgement et de formation de clusters ?
M. Philippe Bas. - Je note certains points positifs dans votre propos, Madame la ministre, dont la prise en compte des recommandations de notre commission des lois sur l'acheminement de la propagande électorale : le fiasco des dernières élections territoriales est un accident démocratique sans précédent. J'espère bien que nous échapperons au renouvellement de ce sinistre.
Je suis également satisfait d'entendre que les inscriptions sur les listes électorales seront possibles jusqu'au 4 mars, et que la déterritorialisation des procurations sera mise en oeuvre, alors que le Sénat n'avait pas été suivi sur ce point à deux reprises, ni par le Gouvernement ni par l'Assemblée nationale.
Cependant, j'appuie la demande de Nadine Bellurot : s'agissant des procurations, je ne comprends pas pourquoi ce qui a été possible lors du second tour des municipales et lors des élections départementales et régionales ne l'est plus pour les élections présidentielle et législatives. Vos arguments ne me convainquent pas.
Tout d'abord, il est possible de modifier les conditions d'une élection peu de temps avant celle-ci. C'est d'ailleurs ce que vous aviez fait pour les élections locales de 2020. Il y a un autre exemple : la loi organique relative à l'organisation de l'élection présidentielle, promulguée le 16 février 2002, deux mois avant la présidentielle, a modifié les règles de publication des sondages. La pratique existe donc bien.
Ensuite, il faut évoquer le contexte sanitaire. Si on ne pouvait pas imaginer, au moment où nous avons modifié l'an dernier la loi organique sur l'élection présidentielle, que le contexte sanitaire appellerait toujours une vigilance particulière au moment de l'élection présidentielle de 2022, on peut en revanche le prévoir depuis cet automne. C'est vous qui avez exigé, contre l'avis du Sénat, que le passe sanitaire continue à s'appliquer jusqu'au 31 juillet 2022, que le régime de l'état d'urgence sanitaire puisse continuer à s'appliquer jusqu'à la même date. Puis, en janvier dernier, c'est-à-dire il y a quelques semaines, c'est vous qui avez exigé de transformer le passe sanitaire en passe vaccinal, en enjambant l'élection présidentielle et les élections législatives.
C'est donc que le Gouvernement admet, comme nous le faisons nous aussi, que les circonstances sanitaires de l'élection présidentielle comme des élections législatives restent tout à fait incertaines, ce qui peut expliquer la réticence d'un certain nombre de personnes vulnérables à se déplacer jusqu'aux bureaux de vote et justifie de maintenir le régime exceptionnel des doubles procurations.
Madame la ministre, je vous demande de bien vouloir reconsidérer votre position, qui est totalement inexplicable.
Mme Agnès Canayer. - Un certain nombre de mesures ont permis de moderniser les processus électoraux : le Répertoire électoral unique, la déterritorialisation des procurations, la simplification de l'inscription sur les listes électorales.
Néanmoins, la modernisation n'a pas avancé ces cinq dernières années sur la question des machines à voter. Allons-nous enfin pouvoir lever le moratoire ? D'autant qu'en période d'épidémie liée au covid-19, les machines à voter permettent d'avoir moins de contacts physiques et de transmission de papiers.
Lors de l'élection présidentielle, nous allons cumuler une participation que l'on espère plus élevée que lors des dernières élections, et le renouvellement des cartes d'électeur. On sait qu'il y a sept millions de mal-inscrits sur les listes électorales en France, ce qui va provoquer une affluence supplémentaire et des temps d'attente dans les bureaux de vote pour récupérer les cartes d'électeur.
Ma question est simple : avez-vous l'intention de simplifier les procédures de changement d'adresse sur les listes électorales, notamment dans les grandes villes ?
M. Philippe Bonnecarrère. - La loi organique du 29 mars 2021 n'a absolument pas traité les conséquences de la pandémie. Il s'agissait, comme avant chaque élection présidentielle, de tenir compte, dans la loi organique, des modifications intervenues les années précédentes dans le droit électoral et le cas échéant des enseignements tirés du précédent scrutin. Concrètement, cette loi intègre la dématérialisation des comptes de campagne dans leur envoi à la commission nationale et l'ouverture du droit de vote par correspondance aux détenus. Il s'agit simplement d'un peignage technique. Vous ne pouvez pas nous opposer que le débat aurait porté sur les conséquences de la pandémie.
Nous connaissons bien la règle des douze mois, mais elle n'a jamais joué pour les modalités d'organisation des élections, comme vient de l'indiquer Philippe Bas.
Dans le cadre de la loi sur le passe vaccinal, le Gouvernement, conscient de la gravité de la situation sanitaire, a introduit deux dispositions : l'une pour assouplir les conditions de réunion des assemblées générales des sociétés commerciales, l'autre pour assouplir les conditions de tenue des assemblées générales de copropriété. Madame la ministre, si l'on tient compte de l'effet de la pandémie sur la tenue des assemblées générales de copropriété, ne peut-on également considérer qu'il faut en faire de même sur la tenue de l'élection présidentielle ?
Par ailleurs, le ministre Gérald Darmanin a été reçu le mardi 11 janvier 2022 par le président du Conseil constitutionnel. Un communiqué du Conseil indique que « le ministre a évoqué la possibilité que, après concertations, le Gouvernement élabore de nouvelles mesures d'organisation qui apparaîtraient rendues nécessaires par la crise sanitaire ». Le contrôle de constitutionnalité porte sur des dispositions législatives : quelles sont donc les mesures d'organisation à caractère législatif qui avaient été envisagées par votre ministère ?
Le communiqué précise également que le président du Conseil constitutionnel « a pris bonne note » de cette possibilité et que ces mesures donneraient lieu au contrôle traditionnel du Conseil. Nous indiquer la teneur de ces mesures est une transparence élémentaire que vous devez au Parlement, au regard de l'importance de l'élection présidentielle.
Mme Cécile Cukierman. - Personne ne pouvait imaginer la situation sanitaire que nous connaissons depuis maintenant deux ans. Si notre objectif commun est de s'assurer qu'il puisse y avoir le plus de personnes en situation d'aller voter en avril prochain, je crois qu'il ne faut rien s'interdire : certaines modalités d'organisation des opérations électorales pourraient être réexaminées. Vous pouvez toujours utiliser la procédure accélérée pour faire examiner un texte de loi.
Les Françaises et les Français qui ne sont pas inscrits sur les listes électorales ont jusqu'au 4 mars pour le faire. Il ne reste maintenant que trois semaines, mais il faudrait songer à l'avenir à lancer une communication gouvernementale massive pour inciter nos concitoyens à s'inscrire. J'espère en tout cas que des actions seront menées pour inciter les citoyens inscrits à aller voter.
L'élection présidentielle, c'est aussi le temps des parrainages. Ainsi que j'en faisais part la semaine dernière au comité de liaison présidé par M. Combrexelle toutes les préfectures n'ont pas préparé l'envoi du parrainage avec le même soin, semble-t-il. Des problèmes ont été relevés sur les adresses auxquelles ont été envoyés les formulaires de parrainage. Cela ne remet pas en cause le fait que tel ou tel candidat aura, ou non, ses parrainages. Mais la pression médiatique sur la question est forte. Il faudra s'assurer, pour la prochaine élection présidentielle, que tous les élus aient bien en même temps les documents pour qu'ils puissent, dans le temps qui leur est imparti, faire leur choix ou leur non-choix.
M. Éric Kerrouche. - Madame la ministre, depuis deux ans, de multiples propositions pour faire évoluer de manière significative notre façon de voter vous ont été faites. Votre gouvernement a fait le choix d'écarter toutes les solutions qui lui ont été proposées, et nous nous retrouvons face à des difficultés qu'il était tout à fait possible d'anticiper, par exemple en adoptant des mesures dans la loi organique examinée en 2021. Des solutions comme la double procuration ne sont, selon moi, pas assez performantes : leur faible utilisation montre qu'elles n'ont pas reçu un bon accueil de la part de nos concitoyens.
On m'a fait part de difficultés techniques, dans mon département, concernant l'application à utiliser pour les parrainages. Ces difficultés sont-elles définitivement résolues ? On s'étonne, à vrai dire, qu'elles aient pu avoir lieu.
En ce qui concerne la mise sous pli de la propagande, dans certaines préfectures, des choix ont été faits pour la présidentielle, mais pas encore pour les législatives. Il est surprenant qu'on ne connaisse pas les règles alors que l'on s'approche des deux élections.
L'augmentation du coût du papier et sa rareté ne sont pas des découvertes. Cela va transformer l'économie des campagnes électorales. Ma question est simple : le décret du 30 décembre 2009 qui porte majoration du plafond des dépenses électorales s'appliquera-t-il aux élections législatives ? Y aura-t-il une actualisation du coefficient de majoration ?
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. - Il ne me reste que peu de temps pour répondre aux questions, mais je reste à votre disposition si besoin est.
Madame Bellurot, sur la question de la double procuration, vous avez raison de rappeler que 20 000 électeurs, ce n'est pas négligeable. À certaines élections, on serait ravi d'avoir 20 000 électeurs en plus ! Nous avons eu ce débat en mars dernier à l'occasion de l'examen de la loi organique sur l'élection présidentielle, et je ne peux laisser dire que nous n'avions alors pas parlé du covid, qui était déjà bien présent dans nos vies... Cette loi a fait l'objet d'une commission mixte paritaire conclusive ; chacun a pu s'exprimer, voter et valider le dispositif.
Sur la question du temps de parole, l'Arcom relève du ministère de la culture, même si, évidemment, nous sommes en lien avec ses représentants que nous recevons très régulièrement au ministère de l'intérieur pour évoquer notamment l'information sur les réseaux sociaux.
Les règles contrôlées par l'Arcom n'ont pas, à ma connaissance, évolué : elles prévoient toujours trois périodes. Du 1er janvier au 7 mars inclus, l'Arcom veille à l'équité des temps de parole et des temps d'antenne des candidats déclarés ou présumés, de leurs représentants et de leurs soutiens. Le 8 mars, le Conseil constitutionnel publiera la liste des candidats officiels. À partir de cette date et jusqu'à la veille de l'ouverture de la campagne, soit le 27 mars, l'équité des temps de parole doit être respectée dans des conditions de programmation comparables, tenant compte des horaires et des audiences. Durant la période de la campagne électorale officielle, les services de télévision et de radio doivent respecter l'égalité stricte des temps de parole et d'antenne.
L'adaptation du nombre de bureaux de vote est une question qui relève effectivement de la responsabilité des préfets de département. La modification n'apparaît pas toujours comme la solution à privilégier, mais c'est une prérogative du préfet qui doit faire ce choix dans le respect des protocoles sanitaires définis, des matériels de protection fournis, et de la gestion des flux.
Monsieur le questeur Philippe Bas, nous avons suivi les recommandations du Sénat : nous espérons que cela nous permettra d'avancer en matière de distribution de la propagande électorale. La déterritorialisation des procurations a été votée, et de mémoire, le Gouvernement y était très favorable. Le Sénat a prévu dans la loi qu'il ne fallait pas modifier les règles d'organisation de l'élection présidentielle durant l'année qui précède. J'entends l'exemple que vous me donnez, mais c'est une tradition républicaine. Il nous serait reproché de prendre une initiative en ce sens. Je rappelle qu'il ne faut pas de passe sanitaire pour aller voter.
Madame la sénatrice Canayer, un rapport met en évidence le fait que, dans le cas où l'usage des machines à voter serait confirmé après les élections de 2022, il faudrait prendre en compte l'obsolescence des machines actuellement utilisées et actualiser les exigences au regard du nouvel état de la technologie. Le ministère de l'intérieur et l'Anssi ont engagé une série de travaux qui visent à réévaluer les possibilités d'utilisation de machines à voter. On ne mettra a priori pas fin au moratoire d'ici à l'élection présidentielle.
Les travaux menés par l'Anssi ont un impact majeur, puisque les nouvelles exigences vont dans le sens d'une sécurisation renforcée du dispositif, d'une transparence accrue de l'organisation des machines à voter, avec notamment l'impression d'un bulletin papier pour rendre le vote par machine à voter vérifiable et contrôlable. Cela rejoint les évolutions constatées dans d'autres pays. S'il était décidé d'appliquer ce nouveau référentiel pour les machines à voter, en cas de levée du moratoire, il y aurait forcément une période transitoire pour l'application concrète de ce mécanisme.
Nous avons considérablement renforcé la facilité et la rapidité de l'inscription sur les listes électorales. Aujourd'hui, il faut deux minutes pour s'inscrire ou changer d'adresse sur une liste électorale grâce au site service-public.fr.
Monsieur le sénateur Bonnecarrère, nous avons évoqué la situation sanitaire liée à la covid-19 pendant le débat sur la loi du 29 mars 2021. Lors du rendez-vous entre le ministre de l'intérieur et le Conseil constitutionnel, il a été essentiellement question de la mise en place du comité de liaison sur les aspects sanitaires.
M. Philippe Bonnecarrère. - Ce n'est pas possible, il n'y a pas de contrôle constitutionnel sur les modalités administratives ! Le ministre ne s'est pas déplacé pour cela.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. - Si, c'est possible ! Cette rencontre a donné lieu à une communication de M. Fabius dans laquelle il a précisé ce qui relevait des prérogatives du Conseil. Des échanges ont eu lieu sur l'organisation des élections. Je n'étais pas présente à ce rendez-vous, et je vous donne les informations dont je dispose : il a été notamment - j'insiste sur ce point - question de la mise en place du comité de liaison sur les aspects sanitaires.
Madame la sénatrice Cukierman, vous avez évoqué la nécessité d'une communication sur l'inscription sur les listes électorales. Je suis ministre depuis 2017, et je suis parfois désespérée du système médiatique et de la façon dont il fonctionne. Nous avons mis en place des actions de communication, nous n'avons de cesse de faire des notes aux rédactions, des communiqués de presse, et d'organiser des événements sur l'inscription sur les listes électorales, sur la démocratie, sur la lutte contre l'abstention. Nous avons lancé des campagnes sur les réseaux sociaux ; elles ne sont pas reprises. Si je publie un message sur Twitter ou Instagram sur des sujets personnels, ils sont repris des milliers de fois ; en revanche, si je donne la date jusqu'à laquelle il est possible de s'inscrire sur les listes électorales, il y a à peine huit reprises. Je le déplore, et si vous avez une solution pour mieux faire connaître cette campagne sur les réseaux sociaux, je suis preneuse !
Par ailleurs, je suis très vigilante à ne pas outrepasser mes fonctions : je suis ministre chargée de la citoyenneté, mais je suis aussi une responsable politique. Je fais attention à ne pas mélanger les deux, et à m'assurer que mes appels à l'inscription sur les listes électorales soient neutres et non partisans.
Les campagnes de communication existent donc bel et bien, mais j'entends des élus qui me font la même remarque que vous. Avec le Service d'information du Gouvernement, nous allons lancer dans les prochaines semaines d'autres campagnes, sous de nouvelles formes d'affichage et d'animation, afin d'inciter nos concitoyens à s'inscrire sur les listes électorales.
Sur les envois des formulaires de parrainages, je partage votre réflexion : étant moi-même conseillère régionale, c'est au conseil régional d'Île-de-France que j'ai reçu mon formulaire de parrainage. Pour l'instant, la consigne est d'envoyer le formulaire à l'adresse la plus sûre, en général celle du lieu d'élection. Il faut travailler à cette question pour les prochaines élections.
Monsieur le sénateur Kerrouche, l'arrêté relatif aux tarifs de remboursement sera publié en mars prochain, sur la base de l'indice des prix de l'Insee et du coût d'impression. L'idée est d'être au plus près de la réalité de la hausse des prix, comme cela s'est fait d'ailleurs lors de la dernière élection présidentielle.
Sur la question de la propagande, les dispositions de sécurisation prises pour l'élection présidentielle le seront aussi pour les élections législatives.
Monsieur Bonnecarrère, la question du vote en réunion de copropriété me semble assez éloignée de celle de l'expression du suffrage universel, régie par les principes de sincérité et de secret du scrutin. Je me mettrai en relation avec la ministre du logement pour avoir davantage d'informations à vous communiquer sur ce sujet.
M. François-Noël Buffet, président. - Je vous remercie, madame la ministre.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 14 h 55.