Mardi 1er février 2022
- Présidence de Mme Martine Filleul, vice-présidente -
Rencontre avec de jeunes volontaires du service civique accompagnés par Madame Marie Trellu-Kane, présidente d'Unis-Cité
Mme Martine Filleul, présidente. - Bonjour à tous, je suis Martine Filleul, sénatrice du Nord, vice-présidente de la commission qui nous rassemble aujourd'hui et je remplace à cette tribune le président, Stéphane Piednoir, qui nous rejoindra vers 16 heures 30.
Notre ordre du jour prévoit deux séquences successives sur le service civique. La première séquence va nous permettre d'écouter les témoignages de dix jeunes volontaires accompagnés de l'association Unis-Cité. La seconde séquence va nous permettre d'entendre Marie Trellu-Kane, présidente d'Unis-Cité, dont l'engagement pionnier en faveur du service civique est bien connu.
Au nom de tous nos collègues présents dans cette salle ou connectés à distance, je remercie chaleureusement nos interlocuteurs pour leur disponibilité.
Pour votre information, je précise que notre mission d'information, dédiée à la redynamisation de la culture citoyenne, s'est mise en place à l'initiative du groupe du RDSE (Rassemblement démocratique et social européen), dont fait partie notre collègue Henri Cabanel, qui est notre rapporteur.
J'indique également que notre mission est composée de vingt-et-un sénateurs issus de tous les groupes politiques, et que notre rapport, assorti de recommandations, devrait être rendu public au début du mois de juin 2022. Je précise par ailleurs que le compte rendu écrit de cette réunion sera annexé à notre rapport.
Je suis très heureuse que cette réunion nous donne l'occasion d'un échange avec des représentants de notre jeunesse engagée qui, en participant au service civique, se trouvent au coeur de notre sujet sur la redynamisation de la vie et de la culture citoyennes.
Voici l'organisation que nous nous proposons d'adopter : Mme Marie Trellu-Kane, en tant que présidente d'Unis-Cité, va faire une intervention liminaire pour situer brièvement l'action d'Unis-Cité dans le service civique.
Puis, notre rapporteur Henri Cabanel va vous poser des questions au cours de deux « tours de table » : dans un premier temps pour vous permettre de présenter votre conception de l'engagement, puis dans un second temps sur la manière dont vous vous situez dans la vie démocratique, locale et nationale, plus particulièrement par rapport au vote.
Cette séquence de nos travaux devant se terminer au plus tard à 17 heures 30, je vous invite dans vos réponses à respecter le temps de parole qui vous a été indiqué en amont de cette réunion.
Nous souhaitons que ces échanges soient aussi spontanés que possible : je vous propose donc, parmi les questions qui vous seront posées, de vous concentrer sur celles qui vous inspirent le plus.
M. Henri Cabanel, rapporteur. - Merci, Mesdames et Messieurs, d'avoir accepté notre invitation cet après-midi. Il nous semble essentiel, dans ce rapport qui est destiné à la jeunesse, que nous puissions écouter des jeunes. Chacun d'entre nous rencontre des jeunes dans son département, mais dans le cadre de cette mission, c'est la première fois que nous rencontrons des jeunes et c'est pour nous un plaisir immense.
Mme Marie Trellu-Kane, présidente d'Unis-Cité. - Merci à vous pour cette invitation. Cela fait vingt-cinq ans que je suis engagée pour la jeunesse et pour l'engagement citoyen de la jeunesse et c'est la première fois que nous avons une délégation aussi nombreuse de jeunes ainsi accueillis au Sénat. Merci pour cette initiative. Je pense que les volontaires ici présents apprécieront votre écoute et prendront conscience du fonctionnement de la démocratie et de la capacité des élus à écouter les citoyens.
Je précise qu'Unis-Cité est l'association qui a inspiré le lancement du service civique. Unis-Cité existe depuis 1995 et a été créée par des jeunes à peu près de l'âge de ceux qui sont ici présents. Il a fallu une bonne dizaine d'année pour convaincre la société et les parlementaires de l'époque d'adopter une loi qui a fait naître le service civique tel que vous le connaissez. Aujourd'hui, Unis-Cité est l'un des gros opérateurs du service civique, avec dix mille jeunes par an. C'est un partenaire privilégié de l'État et de l'administration - l'Agence du service civique - en charge du déploiement du service civique.
Vous avez ici dix jeunes parmi les dix mille jeunes qui rejoignent les rangs d'Unis-Cité chaque année. Ils sont habillés en orange pour les rendre visibles et pour que leur engagement et leur diversité soient visibles aux yeux des citoyens, des politiques et des médias. Ils sont issus de l'Île-de-France pour certains, trois anciens volontaires ayant terminé leur service civique il y a trois ans ; d'autres viennent du Nord et d'Angers également. Je les laisse expliquer ce qu'ils font.
M. Henri Cabanel, rapporteur. - Je vais vous poser deux séries de questions. Les questions de ma première série concernent votre expérience du service civique et de l'engagement :
- Quelles missions exercez-vous ?
- Quelles étaient vos motivations quand vous avez rejoint le service civique ?
- Comment avez-vous été informé de l'existence du service civique ? Est-ce lors de la Journée défense citoyenneté ?
- Que vous a apporté le service civique ? Recommanderiez-vous à d'autres jeunes de faire un service civique ?
- Comment selon vous peut-on l'améliorer ?
- Étiez-vous déjà engagé auparavant, par exemple dans une association ?
- Le service civique vous a-t-il donné envie de poursuivre par la suite cet engagement ?
Mme Ambre Hamard, volontaire du service civique. - Merci de nous accueillir. Je viens d'Angers et je suis en service civique au titre des jeunes ambassadeurs des droits pour l'égalité (JAD). Ma mission principale est de sensibiliser les jeunes à la discrimination et au harcèlement, pour limiter les préjugés et les stéréotypes. La question qui me tient le plus à coeur concerne ce que nous pourrions faire pour améliorer le service civique. Je pense qu'il faut plus en parler, mieux le faire connaître, car il n'est pas très connu - j'en ai entendu parler grâce à une amie. Je pense qu'il faut donc sensibiliser davantage les jeunes à l'engagement.
M. Omar Marecar, volontaire du service civique. - Pour ma part je voudrais répondre à la question de l'amélioration du service civique. Je m'appelle Omar, j'ai trente ans, je suis déficient visuel et j'ai réalisé ma mission de service civique à Rueil-Malmaison.
Par rapport à l'amélioration du service civique, j'ai deux éléments à proposer. Premièrement, il est important que les missions se fassent en équipe. Nous sommes censés être recrutés pour notre motivation, et pas pour nos diplômes ou nos compétences. Une personne n'ayant pas de diplôme ou de compétence dans le domaine de sa mission et une personne ayant des compétences dans ce domaine se complètent. J'en suis l'exemple typique. Ma mission consistait à animer les débats pour favoriser l'esprit critique du public sur différents sujets de société, en nous servant du cinéma. Je n'ai pas fait d'étude de cinéma ou d'animation, mais avec les autres membres de l'équipe, nous nous complétions. Je pense qu'il est donc très important de faire que les missions se déroulent en équipe.
Deuxièmement, il faudrait que le service civique soit davantage accessible aux personnes en situation de handicap. Je suis déficient visuel et je n'ai pas eu de problème à Unis-Cité, mais avant de connaître Unis-Cité, j'ai postulé sur le site de l'Agence du service civique et j'ai été dirigé vers d'autres structures. Or si j'ai eu plusieurs entretiens, ma déficience visuelle a constitué un frein.
Mme Louise Marrie, volontaire du service civique. - Je m'appelle Louise. Je suis à Unis-Cité depuis octobre dernier. Je suis volontaire au sein de la mission cinéma et citoyenneté, comme Omar avant moi. La mission consiste à projeter des films à des collégiens et des lycéens sur des thématiques sociétales comme le handicap, le racisme ou encore l'immigration. Ce sont des films proposés par le Centre national de cinématographie et d'image animée (CNC). Nous visionnons ces films entre nous, puis nous organisons des animations-débat avec les collégiens et les lycéens sur les thématiques du film. Ce que je trouve formidable avec le service civique, c'est la diversité. Dans notre promotion, il y a des personnes ayant fait des études de cinéma, et d'autres pas du tout. Or même en n'ayant pas les mêmes connaissances et compétences, nous nous complétons, nous nous apportons mutuellement plein de choses et nous apprenons sur nous-même et sur les autres. La diversité culturelle est également importante.
Pour les améliorations, peut-être faudrait-il plus d'encadrement dans les structures publiques. Une amie a fait un service civique l'année dernière et cela s'est mal passé en raison de l'ambiance. Il faudrait donc plus d'encadrement dans les services publics qui accueillent des volontaires du service civique.
J'ai connu personnellement le service civique à la mission locale. Je m'y suis engagée car j'aime beaucoup le cinéma et que j'étais contente de voir qu'une mission correspondait à cette passion. Je m'y suis également engagée pour pouvoir travailler en équipe, parce que je trouve cela très enrichissant, pour approfondir et améliorer mon argumentation et ma qualité d'écoute, et aussi pour m'occuper en attendant de pouvoir reprendre les études.
Mme Marine-Élisa Prunier, volontaire du service civique. - Bonjour à tous. Je suis Marine-Élisa, j'ai vingt-deux ans et je viens de Coudekerque-Branche. Je suis volontaire à Unis-Cité Dunkerque, j'interviens auprès des personnes âgées pour limiter leur isolement et j'interviens également auprès de personnes en situation de handicap pour aider à les intégrer dans la société et soulager leurs aidants. Nous intervenons à domicile.
Concernant les raisons pour lesquelles je me suis engagée en service civique, j'ai fait des études mais cela ne me plaisait pas forcément. C'était donc pour acquérir une expérience avant de valider mon choix de reconversion.
S'agissant de l'amélioration du dispositif, il faudrait peut-être rallonger le service civique, car cela passe très vite !
M. Anthony Lasser, volontaire du service civique. - Je m'appelle Anthony, j'ai vingt-deux ans et j'habite à Grande-Synthe, dans le Nord. Je suis volontaire dans la structure Unis-Cité et j'agis sur deux missions, dont l'accompagnement des séniors à domicile par le biais du CCAS de Grande-Synthe. L'objectif de cette mission est d'éviter l'isolement des séniors par le biais de l'intergénérationnel, en leur proposant des activités et des sorties. Ma deuxième mission s'effectue à Grande-Synthe dans les maisons de quartiers. L'objectif y est de sensibiliser sur l'écoresponsabilité et la pollution environnementale.
Le service civique m'a apporté l'engagement. J'y ai appris qu'il s'agissait de donner son temps et de s'investir dans son travail. J'ai ensuite commencé à faire du bénévolat dans des structures sportives, ce qui est lié à mon parcours scolaire car je suis issu d'un cursus STAPS. Le service civique est un moyen de rencontrer des personnes, et d'apprendre mutuellement les uns des autres, sachant que nous venons tous de milieux et de filières différentes.
Mme Maëva Aubertin, volontaire du service civique. - Bonjour, je m'appelle Maëva, je suis volontaire du service civique à Angers, dans le cadre d'Unis-Cité, à la mission alimentaire. Ma mission consiste à aller dans des écoles élémentaires sensibiliser les enfants à quatre thématiques, à savoir le tri sélectif, le gaspillage alimentaire, l'impact du plastique et une alimentation durable. J'ai connu le service civique via une conseillère d'orientation. J'ai arrêté mes études car j'avais besoin de faire une pause et le service civique constituait un moyen de faire quelque chose de concret et de servir à quelque chose. Comme deux de mes camarades l'ont déjà dit, le service civique m'a apporté le fait de rencontrer des personnes différentes, d'âges différents, venant de lieux différents. Cela m'a permis de reprendre confiance en moi et de faire partie d'un groupe.
S'agissant des améliorations, je suis d'accord avec la proposition de rallonger le service civique car nous n'avons pas beaucoup de temps - huit mois pour ma part.
Mme Inès Kerrou, volontaire du service civique. - Bonjour à tous, je m'appelle Inès, j'ai vingt-deux ans et je suis à Angers. J'interviens dans le programme ayant pour but d'accompagner les personnes en situation de handicap ayant un proche aidant. J'ai découvert le service civique un peu par hasard durant un emploi étudiant l'année dernière. N'ayant pas été admise dans le master souhaité, je cherchais quoi faire d'utile durant cette année. J'ai donc décidé de faire un service civique, ce que je ne regrette pas du tout, car c'est très formateur et enrichissant : cela mériterait d'être davantage connu auprès des jeunes.
Mme Juliette Rossi, volontaire du service civique. - Bonjour à tous, je m'appelle Juliette, j'ai vingt-deux ans. J'ai fait mon service civique dans le cadre d'Unis-Cité à Marseille l'année dernière d'octobre à juin, dans une double mission. Une partie de ma mission consistait à lutter contre l'isolement social des personnes âgées et des personnes en situation de handicap au travers d'ateliers numériques à domicile. L'autre partie de la mission visait à favoriser l'accueil et l'intégration des personnes réfugiées en France. L'équipe dans laquelle j'intervenais avait dix places réservées à des réfugiés, en cohérence complète avec l'une des valeurs du service civique, à savoir la diversité et la mixité sociale et culturelle.
Pour moi, le service civique a été un réel tournant dans ma vie. Je faisais une licence de droit et de sciences politiques et cela m'a permis professionnellement de concrétiser mes visions pour l'avenir en m'investissant dans le milieu associatif et social. Cela m'a aussi personnellement beaucoup apporté car j'ai acquis certaines compétences transversales de travail en équipe et d'ouverture d'esprit, et j'ai développé mon empathie envers des personnes qui mènent des vies différentes de la mienne. J'ai également fait énormément de rencontres qui peuvent à la fois relever du réseau professionnel et du réseau personnel. Avec mon binôme afghan, l'année dernière notamment, j'ai pu créer des liens très forts. Je recommande donc vivement le service civique autour de moi auprès des jeunes entre seize et vingt-cinq ans, parce que je considère qu'il s'agit d'une expérience unique qui peut être vécue de manière différente par tous, mais toujours de la meilleure manière.
M. Nino Michalag, volontaire du service civique. - Bonjour, je suis Nino et je suis en service civique à la branche d'Unis-Cité de Dunkerque. J'ai deux missions : la première s'appelle « éco-volontaires » : nous y faisons de la sensibilisation sur la protection de l'environnement, par le biais de chantiers-nature. Ainsi, nous allons par exemple planter des arbres pour aider les agriculteurs à replanter des haies. Ma seconde mission, « repas-santé », consiste à faire de la sensibilisation en matière de santé auprès d'un public âgé de six à vingt-cinq ans. Nous nous déplaçons notamment dans les collèges pour faire de la sensibilisation, que ce soit sur l'exposition aux écrans, l'alimentation et, plus particulièrement en ce qui me concerne, sur les addictions.
Je pense qu'il faudrait une revalorisation de l'indemnité de service civique, car elle est un peu juste, ne serait-ce que vu le coût d'un loyer (580 euros). Il faudrait également une revalorisation du statut de volontaire : nous cotisons pour la retraite, mais ce serait bien que cela puisse compter pour le chômage aussi.
Qu'est-ce que le service civique m'a apporté ? Je venais d'obtenir une licence en biologie et j'ai tenté de rentrer en master, mais j'ai été refusé. Je me demandais comment rebondir et des amis m'ont parlé du service civique. Cela m'a permis d'avoir une solution avant l'entrée en master, qui puisse m'apporter des compétences et me permette de rencontrer de nouvelles personnes. Je suis très content du service civique et de l'encadrement que nous avons à Unis-Cité.
M. Timothée Makele, volontaire du service civique. - Bonjour et merci de nous accueillir. Je suis Timothée, j'ai vingt-trois ans et je suis un ancien volontaire en service civique. L'année dernière, j'ai réalisé une mission qui s'appelle « rêve et réalise », fondée sur l'idée de proposer aux jeunes de 16 à 30 ans en situation de handicap de mener une mission solidaire. Nous sommes accompagnés depuis l'élaboration du diagnostic de départ jusqu'à la mise en place du projet sur le terrain. J'ai ainsi monté un projet d'éducation aux médias à destination des collégiens.
Pour répondre aux questions posées, j'ai aimé la mixité sociale que favorise le service civique. On mélange des jeunes de partout ! L'idée est que nous puissions nous apporter humainement et professionnellement les uns aux autres. Tout cela, « mélangé » à l'échelle d'une promo, pendant huit mois, est bénéfique à la société. Pourquoi ne pas élargir ce dispositif à toute la jeunesse ? Je pense que cela peut aussi aider certains jeunes - pourquoi pas ? - à aller voter et à s'engager dans d'autres devoirs du citoyen. Si je pouvais ajouter quelque chose, le fait que cette mission dure de six à douze mois permet un réel engagement et de voir un réel impact sur le terrain. Contrairement au service national universel qui est plus court, le service civique permet à chacun de réellement s'engager.
M. Henri Cabanel, rapporteur. - Je vous remercie. Vous avez évoqué le vote : cela me conduit à ma seconde série de questions, qui concerne votre relation à la vie démocratique :
- Vous intéressez-vous à la politique et à la vie démocratique ? Avez-vous déjà voté ?
- Êtes-vous davantage intéressé par la vie politique locale ou par la politique nationale ?
- Quelles sont selon vous les causes de l'abstention, qui a concerné une proportion importante de jeunes électeurs lors des élections de 2020-2021 ?
- Quelles sont selon vous les pistes possibles pour encourager les jeunes à voter, tant au niveau local qu'au niveau national ?
- À votre avis, qu'est-ce qui définit le mieux un citoyen : participer aux élections, s'engager dans une association, etc. ?
M. Anthony Lasser. - Je ne suis pas forcément intéressé par la politique, mais ce n'est pas pour autant que je ne vais pas voter. Je pense que le problème de l'abstention est celui de l'information. L'information se fait surtout par les tracts et la télévision. Or les jeunes utilisent surtout les réseaux sociaux et les plateformes de streaming. Il faudrait utiliser ces médias pour communiquer des informations aux jeunes. En outre, je pense que les jeunes ne se reconnaissent pas dans les candidats qui se mettent en avant. Il y a un manque d'écoute envers les jeunes.
Mme Louise Marrie. - Je m'intéresse à la vie politique indirectement ; je suis plutôt engagée dans des causes comme le féminisme, l'écologie, la cause LGBT. Je vais voter, davantage pour les présidentielles que pour les régionales et les départementales. Si moins de jeunes votent, c'est qu'ils ne se sentent pas écoutés à mon avis. Je pense qu'il faut laisser leur place aux jeunes, qui sont tout aussi légitimes que n'importe qui d'autre, et prendre sérieusement en compte leurs besoins et leurs attentes. Ce sont des citoyens comme les autres. Je m'intéresse à peu près à la politique car je pense que c'est important et que c'est la chose centrale dans la société actuelle. C'est dommage de ne pas s'y intéresser. Pour autant, ce qui pour moi définit le mieux un citoyen, ce n'est pas participer aux élections ou s'engager dans une association. Les jeunes de 12 ans par exemple ne savent pas comment s'engager dans une association ou voter et pourtant, il s'agit de citoyens comme les autres. Dès qu'une personne naît, elle est citoyenne.
Mme Ambre Hamard. - Selon moi, ce qui fait que les jeunes ne se mobilisent pas tous pour la politique, c'est le fait que pour beaucoup, nous avons besoin de concret et de savoir que nos actes produisent des effets. Or beaucoup de jeunes n'ont pas l'impression d'agir pour la citoyenneté en mettant un papier dans une boîte, alors qu'à travers un service civique, nous agissons, nous sommes sur le terrain et nous avons des résultats et des retours. Le fait de voter n'est pas concret et les jeunes ont besoin de concret.
Mme Juliette Rossi. - Je trouve qu'il s'agit de questions très intéressantes. Il y a deux semaines, j'ai participé à un hackathon avec le think tank Penser L'après, qui avait mis en place la mission Élysée durant deux jours, avec pour problématique « Comment intégrer les jeunes à la vie démocratique ? ». Avec mon équipe, nous en sommes rapidement venus à l'idée qu'il existe un sentiment d'illégitimité chez les jeunes. Nous ne sommes pas suffisamment éduqués politiquement, à l'école ou ailleurs. J'ai personnellement fait des études en sciences politiques et je ne peux pas vous dire exactement comment fonctionne le Sénat, l'Assemblée, etc. Alors je vous laisse imaginer pour un collégien ou un lycéen ! Or nous avons le droit de voter à dix-huit ans. Je pense qu'il y a un réel manque d'éducation politique à l'école, ce qui créée un sentiment d'illégitimité chez les jeunes. Cela peut induire un désengagement ou un désintérêt, donc encourager l'« entre soi » dans la vie politique, la verticalité du système et le manque de participation des jeunes. Or je l'ai vu par mon service civique, nous ne sommes pas du tout désintéressés ni désengagés. Les générations encore plus jeunes que la mienne vont manifester, s'engagent en service civique, montent des associations, ont des projets et des idées. Je pense qu'il existe un réel problème de discussion entre la classe politique et les jeunes, comme le disaient mes camarades précédemment, un réel problème à la fois de connaissance de la classe politique par les jeunes et d'écoute de la classe politique envers les jeunes. Le service civique fonctionne très bien car les jeunes s'engagent concrètement, ils sont écoutés, on leur fait confiance, et cela fonctionne !
Pour réussir à résoudre le problème de l'abstention des jeunes, il faudrait réussir à recréer du lien entre classe politique et jeunesse, que les promesses soient tenues et que les jeunes s'éduquent politiquement.
M. Omar Marecar. - Il est vrai que nous avons souvent entendu dire « ici, on ne parle pas de politique ». Certes, mais où allons-nous parler de politique ? Si nous suivons l'actualité, nous pouvons être au courant de certaines choses et de certains candidats. Mais les jeunes passent la majeure partie du temps à l'école, où on ne parle pas de politique. Voter est un devoir, mais c'est également un droit. C'est gratuit, et c'est notre possibilité de choisir. Or si nous ne votons pas, d'autres le feront à notre place. Je pense vraiment qu'il faut parler de politique.
Mme Marie-Élisa Prunier. - Vous parliez tout à l'heure de la vie politique par rapport aux communes et aux institutions nationales. Pour ma part, je me sens plus concernée par la politique de ma commune, car chaque commune a plus ou moins ses propres règles de vie, qui nous permettent de vivre en société. J'y suis très attachée. Pour moi, la politique nationale s'inscrit davantage dans un sens général. Par ailleurs depuis que je suis majeure, je vais voter à toutes les élections.
M. Nino Michalag. - Je m'intéresse à la politique et je vais voter dès que j'en ai l'occasion. Concernant l'abstention, beaucoup de jeunes ne se sentent pas représentés dans le paysage politique. Nous ne croyons plus réellement aux discours. Dans la question que vous posez, il y a la question des manifestations. Je pense que beaucoup de jeunes préfèrent manifester que voter car ils ont l'impression que peu importe ce qu'ils mettent dans l'urne, il ne se passera rien, alors que la manifestation leur paraît le seul moyen de réellement représenter leurs idées. Pour renforcer la participation des jeunes, il faudrait revaloriser le vote blanc. Dans mon entourage, énormément de personnes ne se sentent pas représentées et aimeraient potentiellement voter blanc. Or comme il ne se passe rien quand ils votent blanc, ils préfèrent rester chez eux. Je pense donc qu'une partie des abstentionnistes aimeraient voter blanc.
À la question de savoir si je préfère la politique au niveau national ou local, je suis plutôt attaché à une politique plus locale car même si la ligne nationale donne une direction, parfois au niveau local, on peut en suivre une autre. Par exemple, le glyphosate a été ré-autorisé au niveau national, mais des maires se sont battus au niveau local pour continuer à l'interdire.
Mme Maëva Aubertin. - Je rejoins mon camarade sur le vote blanc, car quand on ne se sent pas représenté par des politiques et que l'on choisit de voter blanc, ce vote n'est pas pris en compte donc en définitive les personnes se lassent d'aller voter pour rien. Il existe d'autres formes d'engagement politique que le vote. Je ne m'intéresse pas trop la politique car je me sens un peu désabusée par rapport à tous les discours que nous entendons. J'essaie de m'informer car je trouve que c'est important, mais cela me semble difficile car nous ne sommes pas suffisamment éduqués politiquement. Encore maintenant, j'ai du mal à m'informer car je ne sais pas où chercher mes ressources et comment savoir si telle ou telle information n'est pas biaisée par une personne ou un parti politique. Personnellement, mon engagement politique se situe davantage indirectement dans les causes que je défends via des manifestations.
M. Henri Cabanel, rapporteur. - À ce moment des échanges, j'aimerais vous poser une autre question : l'organisation actuelle du scrutin - aller voter un dimanche dans un établissement public, prendre un bulletin, le mettre dans une enveloppe et dans une urne - vous convient-elle ou pensez-vous qu'il faut l'améliorer ?
M. Anthony Lasser. - Je pense que la technologie permettrait de l'améliorer (avec le téléphone). Peut-être aussi pourrait-on choisir un autre jour, le samedi par exemple.
M. Nino Michalag. - Selon moi, la procédure est bonne, mais je pense qu'il faudrait trouver un autre moyen plus simple et plus rapide pour voter par procuration. Avec les nouvelles technologies, peut-être y a-t-il aussi des moyens pour voter en ligne.
Mme Juliette Rossi. - Je suis d'accord sur la procuration. Mais je pense que les personnes qui s'abstiennent ne le font pas forcément par flemme d'aller voter. Je ne suis pas sûre que les technologies du numérique changeraient la donne. Le problème réside plus dans les candidats que dans la manière d'aller voter.
M. Timothée Makele. - Je rejoins Juliette : savoir pour qui voter est important, avant de savoir comment voter. Je pense qu'il faut plutôt éduquer les jeunes à la politique plutôt que de leur dire comment voter.
Mme Inès Kerrou. - Je pense aussi, à travers les discussions que j'ai pu avoir avec des jeunes de mon âge, que le manque d'information est un sujet important. Le fait de savoir comment s'inscrire sur une liste électorale et savoir si on est inscrit sur la bonne liste électorale peut faire que certains jeunes ne vont pas voter.
M. Stéphane Piednoir, président. - Merci pour tous ces témoignages. J'ai beaucoup apprécié l'intervention de Louise qui disait qu'on est citoyen dès sa naissance. C'est tout le sens de ce que nous voudrions diffuser à travers cette mission d'information. Je note un certain nombre de paradoxes. Vous ne vous sentez pas suffisamment représentés, mais vous identifiez plus facilement un candidat local dans votre commune. Je comprends que les actions locales sont plus identifiables, mais en termes de représentativité, il y a bien moins de candidats aux élections locales qu'à l'élection nationale. Je ne pense pas que la représentativité soit en cause ; la difficulté est que cela vous semble plus distant. Peut-être votre expérience au sein du service civique vous permettra-t-elle de comprendre que certes les élus locaux contribuent à la construction d'une société au niveau local, mais que cela est permis parce qu'il y a des sénateurs et des députés qui votent des lois ! Il s'agit en réalité d'un jeu de construction ; pour pouvoir identifier des actions locales, il faut aussi des élus nationaux qui, je vous rassure, sont des gens comme les autres ! Nous sommes tous issus de la société civile. S'agissant de vos remarques sur l'insuffisance de l'éducation à la politique, cela nous interpelle et c'est inquiétant car il existe un programme dans l'enseignement.
Mme Laure Darcos. - Merci, c'était très intéressant. Juliette, vous pouvez faire de la politique car votre façon de vous exprimer montre que vous êtes déjà très à l'aise ! Sachez qu'on a besoin notamment de femmes ! J'ai été très intéressée par tout ce que vous avez dit. Sur le vote blanc, j'ai eu une discussion avec des lycéens de mon département, l'Essonne, et ils disaient qu'il faudrait pouvoir prendre en compte le vote blanc. Cependant, tant que le vote blanc n'est pas comptabilisé, l'abstention est tellement forte qu'il faut voter pour « le moins pire » des candidats. Il est important d'aller voter, car les manifestations ne résolvent pas tout ! En outre, les manifestations souvent dérapent à cause de personnes qui sont là pour des causes qui ne sont absolument pas les vôtres.
Je sais qu'il n'est pas toujours facile de s'informer, mais sachez que quand vous allez sur le portail du Sénat ou de l'Assemblée nationale, vous trouvez des travaux sur les sujets qui vous intéressent, comme la condition animale par exemple, les conditions de vie des étudiants en France. Nous touchons des sujets extrêmement quotidiens car nous vivons nous-même sur le terrain !
J'ai une autre question. Vous avez tous parlé du fait que vous étiez plus en proximité avec vos élus locaux. Avez-vous les uns et les autres été sollicités pour rentrer dans des conseils municipaux de jeunes ? Ce sujet m'intéresse beaucoup car ces engagements, certes très jeunes, permettent aussi d'encourager des vocations qui peuvent se poursuivre dans le cadre du service civique, comme pour vous, ou dans des associations. Je voulais donc savoir si vous aviez déjà été sollicités ou si cela vous aurait fait plaisir de participer à la vie politique de votre commune.
Mme Marie-Pierre Richer. - Je voudrais vous remercier pour vos témoignages riches et vous dire que vous faites de la politique de par votre engagement : la politique, c'est finalement la vie dans la société. J'aurais deux questions. Vous avez beaucoup parlé d'information, regrettant qu'il n'y ait pas assez de communication sur le service civique. À quel moment pensez-vous que cette communication doit se faire et par qui pour qu'elle vous atteigne ? Vous êtes les meilleurs ambassadeurs du service civique mais vous avez tous et toutes pointé un manque d'information. À votre avis, comment doit se faire cette communication ?
En ce qui concerne vos engagements, le service civique a-t-il changé votre future trajectoire professionnelle ? Cela vous a-t-il ouvert des portes sur des métiers que vous n'appréhendiez pas et dans lesquels vous n'aviez pas envisagé de vous investir plus tard ?
Mme Marie-Élisa Prunier. - Concernant nos projets d'avenir, j'avais fait des études de commerce et cela ne me plaisait pas. Le service civique m'a fait découvrir le métier de la relation avec les personnes âgées et en situation de handicap. Cela me donne envie de continuer dans ce domaine et - pourquoi pas - d'entamer une autre formation.
M. Nino Michalag. - En ce qui concerne la communication, j'ai vu une initiative qui m'avait beaucoup plu venant du Sénat. Vous aviez diffusé des streams Twitch sur Public Sénat. Je trouve que c'est une bonne façon d'intéresser les jeunes, à travers des analystes comme Jean Massiet, qui nous permettent d'accéder aux clés pour comprendre la politique. Ce genre de démarche est intéressant et c'est personnellement par ce biais d'actions se rapprochant plus de nos codes que je me suis intéressé à la politique.
Mme Ambre Hamard. - Je suis d'accord avec l'idée d'utiliser les réseaux sociaux et de parler du service civique à l'école. Je pense qu'il faut commencer à partir du moment où il est question de l'orientation, donc en troisième. Or je n'en ai jamais entendu parler.
Mme Juliette Rossi. - Je pense que la communication autour du service civique peut se faire en deux temps : une partie communication dans les écoles, les collèges, les lycées et les établissements d'enseignement supérieur. Mais il faut aussi une revalorisation du service civique. Il serait bon que l'employeur ne soit pas étonné de voir qu'on a fait un service civique et s'intéresse à la nature de notre mission. Il y a énormément de services civiques. Pour moi, la communication va de pair avec la revalorisation : communiquer sur le service civique sans le valoriser, cela ne changera rien. Les jeunes seront au courant mais personne n'aura envie de s'engager car il n'est pas assez revalorisé.
M. Anthony Lasser. - Je voulais revenir sur la communication à propos du service civique : je ne connaissais pas du tout le service civique et je pensais que le service civique, c'était Unis-Cité. J'assume mon ignorance. Aller voir les jeunes et leur parler du service civique et de ce qu'il permet de faire serait idéal. C'est aussi un vecteur de mixité, qui permet d'apprendre les uns des autres.
M. Timothée Makele. - Il y a eu une question sur notre engagement dans des conseils de jeunes. Moi, personnellement, je ne l'ai pas fait. J'ai cependant déjà travaillé dans des mairies, dans la mairie d'une ville de gauche mélangeant quartiers populaires et populations plus favorisées, ce système avait été proposé et cela avait été un fiasco. Pourtant je trouve que c'est un vrai moyen de permettre aux jeunes de prendre part à la vie municipale. Il faudrait que les jeunes sachent l'impact qu'ils peuvent avoir. J'adore aller chercher l'information, mais je n'ai pas l'impression qu'on s'intéresse à moi.
M. Stéphane Piednoir, président. - Pour revenir sur les effets concrets du vote, j'entendais tout à l'heure que vous ne voyiez pas trop l'intérêt de mettre le bulletin dans l'urne. Mais peut-être devriez-vous considérer le vote comme un acte final : en réalité, c'est l'aboutissement d'une réflexion, d'un engagement. Rien n'empêche un jeune de s'engager dans un parti politique. Même si l'on ne trouve pas « chaussure à son pied » parmi les candidats, on peut en exprimant son suffrage essayer de faire porter sa voix.
M. Henri Cabanel, rapporteur. - Certains d'entre vous sont-ils engagés dans un parti, et pour quelles raisons ?
Mme Juliette Rossi. - Ce n'est pas que cela ne m'intéresse pas, mais je me suis sentie plus à l'aise en service civique, en aidant directement les personnes et en étant en contact direct avec les gens. L'année dernière, j'ai privilégié le court terme et donc j'ai choisi de m'engager dans le service civique plutôt qu'à plus long terme, dans un parti politique. Je pense que c'est par ignorance : que fait-on dans un parti, de quoi on parle, comment cela se passe, combien il y a de personnes, qui fait quoi...
M. Stéphane Piednoir, président. - L'ignorance est la phase transitoire avant la connaissance... La meilleure manière est de pousser la porte pour aller voir ce qui s'y passe.
Mme Martine Filleul, présidente. - Je remercie tous nos interlocuteurs. J'aurais souhaité vous poser une question sur l'engagement et sa valorisation dans notre société. Vous l'avez dit - je l'ai constaté aussi - beaucoup de jeunes sont associés à la vie démocratique par certains aspects (démocratie scolaire, démocratie participative, associations), mais notre système rend assez peu justice à cet engagement, sauf de manière marginale, pour certains examens à l'université où il est tenu compte de cet engagement. Pensez-vous qu'il faudrait davantage valoriser cet engagement ou est-ce qu'au contraire, vous trouvez qu'il doit s'agir d'un geste gratuit, d'un don de vous-même à la société, qui de ce fait ne doit pas de gratification ?
Mme Louise Marrie. - C'est un geste gratuit dans le sens où rien ne nous y oblige, nous faisons don de nous-mêmes et de notre temps. Il n'empêche que c'est un acte qui doit être fortement valorisé car c'est avec tous ces différents engagements que l'on peut faire bouger les mentalités et que nous nous faisons grandir les uns les autres. Je trouve dommage que ce soit uniquement dans certains cas très précis que l'engagement est valorisé.
M. Stéphane Piednoir, président. - Merci beaucoup pour votre participation et vos témoignages.
- Présidence de M. Stéphane Piednoir, président -
Audition Mme Marie Trellu-Kane, présidente d'Unis-Cité
M. Stéphane Piednoir, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons nos travaux sur le service civique. Après l'échange fructueux que nous venons d'avoir avec des volontaires du service civique accompagnés par l'association Unis-Cité, qui nous a permis de partager des témoignages éclairants, nous allons entendre Marie Trellu-Kane, présidente d'Unis-Cité, dont l'engagement pionnier a contribué à la création du service civique, il y a maintenant douze ans.
Je rappelle à votre attention que cette audition donnera lieu à un compte rendu écrit qui sera annexé à notre rapport et que sa captation vidéo permet de la suivre en ce moment même sur le site Internet du Sénat. Cet enregistrement sera disponible par la suite en vidéo à la demande.
Cette audition s'inscrit dans un cycle de réunions dédiées au service civique : nous accueillerons demain Béatrice Angrand, présidente de l'Agence du service civique ainsi que David Knecht son directeur général. En mars, nous entendrons Martin Hirsch, qui fut lui aussi un acteur de la création du service civique, et qui poursuit cette implication au sein de l'Institut de l'engagement qu'il préside.
Par ailleurs, notre mission a mis en place, il y a une dizaine de jours une consultation d'élus locaux sur le site du Sénat, dont plusieurs questions portent sur le service civique. Le premier bilan des quelque mille trois cent réponses reçues à ce jour est instructif. Je dois vous signaler, Madame Trellu-Kane, que l'un des répondants nous a tout particulièrement signalé l'importance de structures de suivi comme Unis-Cité et la qualité de l'encadrement vous offrez.
Cette consultation est complétée depuis hier soir par un appel à témoignages de jeunes sur le service civique sur les réseaux sociaux, dont les résultats alimenteront notre rapport qui sera rendu en juin.
Le rapporteur Henri Cabanel va vous poser quelques questions pour vous préciser les attentes de la mission d'information, puis je vous donnerai la parole et nous aurons un temps d'échanges avec les sénateurs présents dans cette salle ou connectés à distance.
M. Henri Cabanel, rapporteur. - Madame la présidente, la question du service civique est centrale pour notre mission d'information, qui s'intéresse de très près aux ressorts de l'engagement citoyen, dont le service civique peut donner le goût à notre jeunesse.
J'ai donc beaucoup de questions à vous poser. Si toutes ces questions ne peuvent être abordées ce soir faute de temps, peut-être pourriez-vous nous adresser par la suite des éléments écrits pour nourrir notre réflexion.
Pouvez-vous tout d'abord nous préciser le profil des jeunes que vous accompagnez (origine géographique, niveau d'études, etc.) ?
Existe-t-il à votre connaissance un profil type du volontaire accueilli par Unis-Cité par rapport aux autres volontaires du service civique ?
Le profil des jeunes filles effectuant un service civique présente-t-il selon votre expérience des spécificités par rapport à celui de leurs homologues masculins ?
Comment Unis-Cité assure-t-elle la formation citoyenne de deux jours que doivent suivre les volontaires du service civique ? Qui est en charge de cette formation et comment se déroule-t-elle ? Quel en est le contenu ?
Comment Unis-Cité travaille-t-elle avec l'Agence du service civique, dont nous entendons la présidente demain, et avec l'Institut de l'engagement créé par Martin Hirsch, dont l'audition est prévue dans quelques semaines ?
Disposez-vous d'études sur les raisons poussant les jeunes à s'inscrire en service civique ? Sur le taux de satisfaction des volontaires après ce service ? Percevez-vous à cet égard des différences selon le territoire d'origine (grande métropole, territoire rural, etc.) ?
Un suivi des jeunes est-il assuré après le service civique par Unis-Cité ? Quel en est le bilan en termes d'insertion socio-professionnelle et d'engagement citoyen ?
Le plan de relance a prévu la création de cent mille nouvelles missions en 2020-2021, en plus des cent quarante mille missions annuelles. Quelles en ont été les conséquences pour Unis-Cité ?
Quels sont les défis que doit désormais selon vous relever le service civique ? En particulier, y a-t-il des jeunes que vous n'arrivez pas à toucher ?
Selon les réponses reçues par notre mission sur la plateforme de consultation des élus locaux, la question de la mobilité des jeunes issus des territoires ruraux est présentée à de multiples reprises comme un frein pour leur accès au service civique. Avez-vous des pistes pour évoluer sur ce point ?
De nombreuses réponses d'élus locaux font état de difficultés d'ordre administratif et de la nécessité de simplifier les démarches s'imposant aux organismes d'accueil. Qu'en pensez-vous ? Comment concilier cette exigence de simplification et la nécessité de prévoir un cadre rigoureux, dans l'intérêt des jeunes ?
Enfin quel regard portez-vous sur l'articulation entre le service civique et le service national universel (SNU) ?
Mme Marie Trellu-Kane, présidente d'Unis-Cité. - Unis-Cité a été conçue comme un laboratoire de ce que pourrait être à l'époque, dans les années 1990, un nouveau service national qui soit plus civil que militaire, et qui inclurait tous les jeunes dans un même esprit de diversité. Nos objectifs étaient dont très similaires à ceux assignés aujourd'hui au service national universel (SNU), à savoir créer une étape dans la vie des jeunes qui soit une étape de mixité et de service à la collectivité, où l'on apprend en donnant de soi aux autres. Notre vision fondatrice, qui explique qu'après vingt-cinq ans je sois encore là, c'est que cette étape manque cruellement à notre éducation. Il faudrait que tous les jeunes du monde consacrent une année dans leur vie aux autres, à la société, et à apprendre par l'action citoyenne concrète sur le terrain et par l'expérience de mixité sociale. C'est notre credo et notre motivation. Unis-Cité a été construite comme un laboratoire et une vitrine de cette idée. Unis-Cité n'est pour moi qu'un outil au service d'un service civique universel, intelligent et bien construit, qui changera la société.
S'agissant du profil, je vous ai apporté une ancienne étude sur la base d'un dispositif volontaire. En effet, nous ne sommes pas en mesure, en notre qualité d'acteur associatif, de rendre le service civique obligatoire. Nous sommes partis sur l'ambition, proche de celle du SNU, de constituer une étape de mixité et donc d'aller chercher les jeunes, dans leur diversité, pour y participer. Aujourd'hui dans Unis-Cité, nous avons - et c'est notre volonté - 38 % de jeunes qui n'ont pas le bac, 40 % de jeunes qui ont le bac ou bac+2, le reste ayant fait des études supérieures. Nous avons 19 % de jeunes mineurs en décrochage scolaire ayant quitté l'école avant d'avoir le bac. Environ 20 % des jeunes sont issus de quartiers prioritaires. Nous avons 6 % de jeunes en situation de handicap. Je ne pourrais pas dire que cela vient naturellement, car si nous laissions faire, nous aurions toujours le même profil de jeunes, en l'occurrence des jeunes filles voulant travailler dans le social et des jeunes garçons au chômage - c'est une vision caricaturale, mais qui rejoint partiellement les constats que nous faisons dans la mesure où nous recevons beaucoup de candidatures féminines pour les missions à caractère social et où, parmi les candidats masculins, un nombre important d'entre eux sont au chômage et issus des quartiers prioritaires. Pour éviter ce schéma stéréotypé, nous allons chercher la diversité : nous parvenons à attirer des jeunes filles et des jeunes garçons des quartiers ; nous avons également des jeunes qui ne veulent pas du tout travailler dans le secteur social, qui sont plutôt en questionnement ou en pause dans leurs études supérieures de très haut niveau et qui s'interrogent sur leur place dans la société. La jeunesse dans sa diversité peut donc être intéressée par le service civique, si tant est que nous allions la chercher.
Les jeunes ont besoin de voir le fruit concret de leur engagement, ils ont besoin d'en voir le résultat et ils ont besoin d'un dispositif gagnant-gagnant. Le service civique fonctionne, car les jeunes qui y participent donnent une année de leur vie, mais ils gagnent 580 euros par mois (même si ce n'est pas suffisant selon certains) et une expérience de huit mois qui a de la valeur sur un CV. Ce ne sont pas des jeunes qui ont réussi scolairement qui font un service civique, mais des jeunes dans la diversité, voire majoritairement des jeunes qui ont des difficultés. Cela les amène à s'engager davantage, à voter, à s'intéresser à la chose publique, si ce n'est à la politique. Nous nous interrogeons également pour savoir, d'une part, si le service civique contribue à l'insertion professionnelle et aide les jeunes ayant décroché à rebondir, d'autre part, si ces jeunes aident la société. Nous avons mené ces deux niveaux d'évaluation : sur le premier niveau, le résultat est très convaincant puisque 82 % des jeunes se trouvent, après Unis-Cité, en emploi ou en formation qualifiante choisie, ce qui constitue un meilleur résultat que beaucoup de dispositifs d'insertion. L'année de service civique constitue dès lors une occasion de réflexion des jeunes sur leur avenir professionnel ; un service civique obligatoire après le baccalauréat pourrait également avoir des effets en matière d'amélioration de l'orientation des jeunes. Le service civique n'est pas un dispositif d'insertion mais il est très efficace en effet secondaire induit, car il met les jeunes en situation d'être fiers d'agir concrètement et de produire un service à la société. Le service civique apporte la fierté d'avoir été utile, une confiance en soi, et c'est vrai pour tous les jeunes, quels que soient les milieux et les niveaux d'études. Ceci vaut à la fois pour des jeunes ayant accompli cinq années d'études supérieures et pour des jeunes dont l'estime d'eux-mêmes a été cassée par le système éducatif. Ils développent aussi des compétences transversales, notamment quand ils travaillent en équipe, car vous aurez compris que le modèle qu'Unis-Cité essaie de promouvoir est un service civique collectif pour que ce soit vraiment une expérience de mixité, ce qui était la promesse faite par la loi. C'est aussi la promesse que nous cherchons par le service national en général. Je pense que le service civique devrait être sur deux pieds : une année d'action concrète pour la société, pour les autres, et une expérience de mixité sociale. Les compétences transversales que j'ai évoquées précédemment sont par ailleurs des compétences que les entreprises recherchent. Au-delà d'être un engagement citoyen, le service civique constitue aussi un tournant dans la vie de beaucoup de jeunes.
Le taux de satisfaction se situe à 98 % et il est également très bon dans le service civique au-delà d'Unis-Cité malgré les quelques dérives qui existent à la marge. Dans les évaluations que nous avons pu mener au-delà de l'impact sur l'emploi, il y a l'impact sur la participation citoyenne post-service civique. Nos données sont moins rigoureuses scientifiquement sur ce sujet car il s'agit surtout de déclaratif, mais un jeune sur deux (qui ne s'engageait pas du tout, ne s'intéressait pas aux acteurs associatifs et encore moins aux politiques) continue à s'engager après le service. Plus de la moitié aussi déclare vouloir s'inscrire sur les listes électorales. Les formations civiques et citoyennes que nous expérimentons chez Unis-Cité, nous n'en faisons pas deux jours, mais neuf, pour un service civique de huit mois. Nous consacrons par ailleurs environ six jours à la préparation au projet d'avenir du jeune.
Quand nous avons créé Unis-Cité, cette préparation était encore plus dense, avec un jour consacré par semaine. Nous avons dû élaguer le modèle pour qu'il soit moins exigeant. Il est prévu dans la loi que les jeunes aient le droit à une formation civique et citoyenne de deux jours au moins, à un accompagnement à un projet d'avenir (le nombre de jours n'est pas précisé par la loi) et à un tutorat et un encadrement. Unis-Cité a réduit le temps dédié à la formation citoyenne mais a conservé une formation de neuf jours, car nous considérons que deux jours ne sont pas suffisants. Nous avons quatre grands thèmes qui sont : les institutions de la République française et européennes (à quoi sert le maire, le député, etc.), avec des rencontres avec des élus, voire des simulations ; la transition écologique au quotidien avec les éco-gestes (comment je peux agir à mon niveau) ; les luttes contre les discriminations liées au handicap, au genre, etc. ; les conduites à risques en termes de santé. En parallèle, nous avons des temps dédiés à l'accompagnement au projet d'avenir qui sont des visites d'entreprise et des « tremplins », durant lesquels des acteurs du monde professionnels écoutent un jeune parler de son service civique, de ce qu'il a appris et de son projet professionnel, et lui posent des questions. Ces échanges leur permettent de développer leurs compétences en communication et de clarifier leur projet.
Concernant les missions confiées aux volontaires du service civique dans le cadre d'Unis-Cité, nous en proposons aujourd'hui deux grands types. D'une part, nous avons une partie d'Unis-Cité qui nous sert de vitrine avec tous les jeunes que vous avez vus, sur des missions conçues avec les collectivités (maires, présidents d'agglomération, départements) en fonction des besoins du territoire. Pour ces missions, le financement d'une partie de l'encadrement et des journées de formation est réalisé par l'État pour un cinquième du coût total, le reste étant financé par les collectivités locales, voire par des mécénats d'entreprise.
Certaines autres missions sont conçues sur de grands problèmes de société comme l'isolement des personnes âgées (deux millions de personnes âgées isolées), pour lesquels nous montons des partenariats avec les ministères (le ministère délégué à l'autonomie, les caisses de retraite AGIRC-ARCO, etc.). Certains de nos jeunes participent à ces missions et nous essayons d'inspirer d'autres acteurs pour qu'ils développent leurs propres capacités d'accueil. Les missions d'Unis-Cité sont donc soit construites sur du local en sur mesure, soit sur de grandes causes, avec l'espoir d'inspirer d'autres structures. Il s'agit de montrer que si les jeunes ne peuvent pas remplacer le personnel dans les EHPAD, ils y amènent de la vie, de la jeunesse, de la remise en question, un soutien, un bol d'air ! Nous le prouvons avec des jeunes que nous encadrons et les établissements osent les accueillir parce que nous les soutenons. Notre ambition serait que les établissements demandent ensuite leur agrément et accueillent les jeunes directement.
Au-delà d'être un acteur de la société civile, nous sommes un partenaire privilégié de l'administration, donc de l'Agence du service civique, ce qui constitue la seconde partie de l'activité d'Unis-Cité. Il avait été envisagé à une époque que nous en soyons membre fondateur, mais c'était trop compliqué. Nous ne sommes donc pas membre du groupement d'intérêt public (GIP). J'avais recommandé que l'agence soit un GIP et que les collectivités locales, les associations, les entreprises et les jeunes puissent y être représentés. C'est bien un GIP, mais il est géré comme une administration, sans que la société civile y soit représentée de manière adéquate. Nous sommes parvenus à la mise en place d'un conseil stratégique, qui n'est cependant que consultatif. L'administration reprend le dessus, ce qui est dommage car je pense qu'il s'agit d'un dispositif qui ne pourra se développer qu'avec les collectivités territoriales, les élus locaux, les acteurs de la société civile et les jeunes. Le dispositif est devenu trop administratif, il faut simplifier les choses. Il est vrai qu'il peut y avoir des dérives à la marge, mais parfois elles sont inconscientes, parce que certaines structures n'ont pas compris que le service civique n'est pas d'un emploi aidé et se distingue des emplois jeunes qui ont existé à une époque. L'agence, qui est un peu procédurière, a tendance à mettre du temps à délivrer les agréments car elle a besoin de contrôler les demandeurs, ce qui est légitime. Je pense qu'il faudrait cadrer davantage plutôt que contrôler. Pour être précise, il faudrait par exemple changer deux éléments dans la règle des missions collectives. Premièrement, il faudrait que ces missions soient forcément confiées à deux volontaires au moins - le collectif commence à deux. Il est plus difficile de « remplacer un emploi » avec une mission collective car il ne peut s'agir d'un emploi déguisé, les deux services civiques étant responsables de la mission. En outre, une mission collective permet d'être plus inclusif pour les jeunes en situation de handicap ou qui n'ont pas du tout confiance en eux. Enfin, les jeunes sont plus autonomes lorsqu'ils travaillent par équipe, car ils réfléchissent ensemble avant d'interroger leur responsable. Deuxièmement, il faudrait cinq ou six journées de formation citoyenne et non deux. Cela marque la différence avec un emploi aidé et pourrait contribuer à limiter le risque de dérive.
En ce qui concerne les difficultés administratives, l'agence connaît en effet des délais très longs en ce moment (cela peut aller jusqu'à huit mois), alors que nous voulions faire cent mille missions en plus en six mois. Je pense qu'une telle cible est possible car lorsque nous voyons les expériences de service civique réussi dans les écoles, les EHPAD et les hôpitaux, si nous généralisions le service civique à toute la France, nous aurions de quoi occuper une classe d'âge, j'en suis absolument persuadée. La question de la durée en revanche est majeure car les jeunes sont d'autant mieux acceptés par les structures qui les accueillent qu'ils restent longtemps. En dessous de huit mois, les structures sont plus réticentes à accueillir les jeunes car il faut le temps de les former avant qu'ils soient « efficaces ». L'expérience de toutes ces années me fait dire qu'il faut rester sur une moyenne de huit mois budgétairement, tout en permettant des durées de six à douze mois. Faute d'une telle souplesse, le service civique ne sera pas gagnant-gagnant pour les structures. En revanche, pour développer le service civique, il faut par ailleurs réduire les délais d'agrément ou d'avenant pour accueillir plus de jeunes. L'une des options que nous avons expérimentées, que je recommande vivement et qu'Unis-Cité opère, c'est l'intermédiation, à savoir qu'Unis-Cité prend sur elle juridiquement de mettre à disposition des jeunes auprès de structures n'ayant pas d'agrément (comme une petite mairie ou une collectivité qui expérimente le dispositif). Cette procédure est très efficace et elle facilite le déploiement du dispositif et sa montée en charge. Il y a une espèce de co-encadrement entre la structure accueillante et Unis-Cité. Cette intermédiation permet de massifier. J'avais suggéré que l'agence s'appuie sur quelques acteurs importants, ayant la capacité de porter le service et qui sont contrôlés, afin de démultiplier le nombre de jeunes accompagnés par le dispositif. L'agence a mis du temps à se décider (au moins six mois) et maintenant, il nous est dit que puisque nous n'avons pas atteint la cible de cent mille services civiques de plus, il n'est pas possible de le développer. Il a donc été décidé de faire appel à l'intermédiation d'une multitude d'opérateurs, ce qui était moyennement compréhensible en termes de compétences. Surtout, il reste de nombreuses contraintes administratives (par exemple, une structure agréée ne peut pas accueillir des jeunes « portés » juridiquement par une structure d'intermédiation), raison pour lesquelles nous n'avons pas atteint les cent mille services civiques en plus. Mon message n'est pas de critiquer mais de dire qu'il est possible de développer le service civique plus massivement, en simplifiant et en s'appuyant sur de gros acteurs d'intermédiation qui seront, quant à eux, contrôlés. Il faudrait par ailleurs s'inscrire dans une démarche de recommandation plutôt que d'interdiction. Enfin il faut accélérer l'instruction des demandes d'agrément.
Nous avons une relation respectueuse avec l'Agence du service civique. Unis-Cité assure avec la Ligue de l'enseignement, dans le cadre d'un marché public, la formation de tous les organismes d'accueil et des tuteurs, qui est censée être obligatoire mais qui ne l'est pas complètement. De la même manière, quand il y a eu cette annonce de cent mille services civiques supplémentaires, nous avons proposé à l'agence, si les services déconcentrés de l'État n'étaient pas en mesure de faire de la communication et de l'accompagnement de terrain, de prendre en charge cet accompagnement. Unis-Cité assure donc, en partenariat avec la Ligue de l'enseignement, l'animation territoriale des pôles d'appui au développement du service civique dans les territoires où le service civique est trop peu développé. Ce sont plusieurs exemples de relations formelles avec l'agence, avec laquelle nous travaillons toujours en bonne intelligence.
Les territoires ont été choisis en fonction du taux de pénétration (le développement du service civique par rapport à la population jeune du territoire). La question rurale est majeure. Unis-Cité a développé des programmes spéciaux avec des budgets spéciaux pour intervenir en milieu rural car il y a une très forte demande des maires ruraux - nous avons à ce titre un partenariat avec l'Association des maires ruraux, qui a de nombreux projets auxquels les jeunes pourraient participer, mais qui est confrontée à des difficultés pour trouver des jeunes. Certains jeunes en milieu rural se trouvent dans la même situation de désoeuvrement scolaire, de santé, que dans les quartiers, sauf que personne ne les voit. Nous avons donc un vrai sujet car le dispositif du service civique est monolithique. Le financement est le même pour tous les jeunes, et il n'existe pas de financement de la mobilité par exemple. Nous avons réussi à développer le service civique dans certains territoires grâce à des fonds européens. Nous sommes contraints d'aller chercher des financements au niveau privé ou au niveau européen pour mettre en place ces services civiques dans les territoires ruraux, où l'encadrement manque et où la mobilité est un vrai enjeu. Il faudrait des financements ad hoc pour développer le service civique en milieu rural, pour la mobilité des jeunes (des villes vers le milieu rural et vice-versa).
M. Henri Cabanel, rapporteur. - Par rapport au repérage de ces jeunes en milieu rural, l'un d'eux a dit tout à l'heure qu'il avait connu l'existence du service civique par la mission locale. Il est important de travailler avec les missions locales. Au-delà de la problématique de la mobilité dans les territoires ruraux, il y a quand même une volonté et une forte demande d'élus ruraux, qui seraient peut-être aussi en capacité d'organiser des services civiques.
Mme Marie Trellu-Kane. - Oui. Un ami a monté le dispositif InSite, qui se consacre à la mobilisation de jeunes en service civique en milieu rural, mais il est à ce jour très peu développé (dix jeunes). Les besoins en termes de mission sont énormes, et les jeunes qui pourraient sortir de leur déserrance grâce au service civique sont nombreux aussi. Il faut cependant pour cela effectuer un travail de précision avec les pôles d'appui. Nous avons mis en place avec l'Agence nationale pour la cohésion des territoires (ANCT) des « kiosques » d'information dans les quartiers prioritaires pour inciter les jeunes à s'engager. Nous avons également mis en place des kiosques dans des territoires ruraux pour aller parler aux jeunes et trouver des structures pour les accueillir. Unis-Cité ne peut pas tous les accueillir ! Nous oeuvrons donc pour inciter les structures à accueillir ces jeunes et à lever les a priori. Les jeunes des quartiers prioritaires, même s'ils veulent s'engager, trouvent en effet souvent porte close. Nous effectuons donc cette médiation, par le biais souvent d'anciens volontaires du service civique qui vont vers les structures et les jeunes. Cela fonctionne très bien. Une fois que les jeunes sont sortis du quartier et se sont engagés pour faire quelque chose d'utile pendant huit mois, ils ne vont pas retourner à des comportements déviants au regard de la loi.
Ces actions sont parallèles au service civique, c'est Unis-Cité qui les monte avec d'autres financeurs (région, fond social européen, politique de la ville, etc.), mais elles ne sont pas systématiques, ce qui est regrettable.
Concernant le SNU, toutes les expériences à l'international s'appuient sur une durée de six à vingt-quatre mois. À mes yeux, un service qui dure un mois n'est pas un service national car un mois ne suffit pas pour rendre service à la nation. L'expérience de terrain me fait même dire qu'il faudrait plutôt huit mois au minimum. En deçà de cette durée, nous ne serons pas en mesure de trouver des structures souhaitant accueillir les jeunes pendant cette période. Ce qui fonctionne avec le service civique, c'est de mettre les jeunes en position d'être acteurs, de se sentir utiles à la société. Il faut le généraliser et le compléter - et cela pourrait être ça, le SNU - d'un parcours consistant, depuis la maternelle jusqu'au lycée, d'éducation à la défense, à la citoyenneté, au respect des valeurs républicaines. À cet égard, ce qui est enseigné à l'école est insuffisant et ne sera pas remplacé par une formation d'une ou deux semaines. Il faudrait faire évoluer le projet de SNU pour prévoir un temps d'éducation, mais en commençant plus tôt et en l'étalant dans le temps pour que cela ait plus d'impact en termes éducatifs. Il faudrait ensuite généraliser le service civique. Je ne dis pas de le rendre obligatoire, car cela soulève de nombreux obstacles. Une option serait de rendre le service civique universel, sans pour autant le rendre obligatoire, en le prescrivant de manière assez systématique après le bac, et en incitant tout de suite les jeunes qui décrochent avant le bac à s'engager en service civique. Certains jeunes arrêtent l'école à 16 ans. Tant qu'ils sont à l'école, le système les connaît, mais après on les perd de vue. Il faudrait donc tout de suite leur trouver une mission, une structure qui les accueille en service civique, pour leur permettre de rebondir. Nous avons mis en place un programme spécifique pour les mineurs décrocheurs, qui s'appelle booster, dans lequel l'accompagnement est plus dense, avec de la remise à niveau, éventuellement dans des lycées avec des professeurs de français et de mathématiques. Un jeune sur deux reprend le lycée par la suite. Nous avons un système qui fonctionne avec le service civique. Il faudrait peut-être l'améliorer pour éviter les dérives, puis le systématiser pour donner un second souffle à des enfants qui ne sont plus motivés par l'école. Pour les enfants qui n'ont pas de difficulté scolaire, la généralisation d'une année de service civique après le baccalauréat permettrait d'améliorer sensiblement l'orientation. Il faudrait donc généraliser le service civique ; le SNU utile serait celui qui comprendrait un parcours d'éducation renforcé dès le plus jeune âge et un service civique universalisé.
M. Henri Cabanel, rapporteur. - Vous avez répondu à plusieurs questions que je me posais du fait des remarques qui nous ont été adressées par des élus locaux sur la plateforme du Sénat, concernant notamment la durée, la nécessité de davantage communiquer. Plusieurs élus locaux suggèrent de rendre le service civique plus attractif avec une rémunération plus élevée, de valoriser les acquis des volontaires pour une meilleure intégration professionnelle à l'issue du service, d'autoriser la mutualisation des volontaires par les petites communes.
Mme Marie Trellu-Kane. - Merci à vous. Nous vous avons remis des éléments d'information qui répondent à certaines questions, dont notamment une étude d'impact sur le retour financier du dispositif (combien rapporte à la société chaque euro investi par l'État dans le service civique).
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Mercredi 2 février 2022
- Présidence de M. Stéphane Piednoir, président -
Audition de Mme Béatrice Angrand, présidente de l'Agence du Service civique, et de M. David Knecht, directeur général
M. Stéphane Piednoir, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons aujourd'hui nos auditions sur le service civique avec Mme Béatrice Angrand et M. David Knecht, respectivement présidente et directeur général de l'Agence du service civique (ANSC), que je remercie en notre nom à tous pour leur disponibilité.
Madame la Présidente, nous vous avons entendue avec beaucoup d'intérêt au cours de la précédente session, dans le cadre de la mission d'information sur la vie étudiante, puis dans celui de la commission de la culture. Je ne doute pas que l'audition d'aujourd'hui va être, comme les précédentes, très éclairante.
Le service civique est, en effet, au coeur du sujet de notre mission qui s'intéresse aux politiques publiques qui, en stimulant l'engagement des jeunes, contribuent à les former à la citoyenneté.
Pour l'information de Mme Angrand et de M. Knecht, je précise que notre mission d'information s'est mise en place dans le cadre du « droit de tirage des groupes », à l'initiative du groupe RDSE, et que notre collègue Henri Cabanel, membre de ce groupe, en est le rapporteur. J'indique également que notre mission est composée de 21 sénateurs issus de tous les groupes politiques, et que notre rapport, assorti de recommandations, devrait être rendu public au début du mois de juin 2022.
Je rappelle aussi que cette audition donnera lieu à un compte rendu écrit qui sera annexé à notre rapport.
Ce cycle d'auditions sur le service civique nous a permis d'entendre hier Mme Marie Trellu-Kane, présidente d'Unis-Cité, accompagnée d'une dizaine de jeunes volontaires avec lesquels nous avons eu un échange stimulant. Nous entendrons également au mois de mars Martin Hirsch, autre pionnier du service civique. Parallèlement à ces auditions, nous avons demandé à des élus locaux faisant appel à des volontaires du service civique de partager avec nous leur expérience et leur ressenti à l'égard du service civique, sur la plateforme du Sénat dédiée à ces consultations. Dans le même temps, des jeunes ont été appelés à témoigner sur le service civique sur les réseaux sociaux. Ces divers témoignages enrichiront notre réflexion.
Avant de vous donner la parole, le rapporteur de la mission d'information, Henri Cabanel, va vous poser quelques questions pour situer les attentes de cette mission d'information. Puis nous aurons un temps d'échanges avec nos collègues présents dans cette salle ou connectés à distance.
M. Henri Cabanel, rapporteur. - Monsieur le Président, mes chers collègues, je remercie également Mme Angrand et M. Knecht de s'être rendus disponibles pour nous.
Pourriez-vous, dans un premier temps, nous présenter un bilan du service civique, plus de dix ans après sa création : éléments statistiques, champs d'intervention, organismes d'accueil, profil des volontaires - y compris leurs nationalités, quand il s'agit d'étrangers -, conséquences de la crise sanitaire.
Disposez-vous de données chiffrées relatives à la part des volontaires issus de territoires ruraux ou dans les outre-mer ? Y a-t-il des spécificités dans leurs profils ou la nature des missions qui leur sont confiées ? S'agissant des territoires ruraux, les réponses qui nous ont été adressées sur la plateforme de consultation font état de manière récurrente du frein que constitue le défi de la mobilité pour ces jeunes. Ce point ne fait pas partie des questions qui vous ont été envoyées en amont de cette réunion, mais avez-vous des pistes pour faciliter leur accès au service civique ?
Le plan de relance a prévu la création de 100 000 nouvelles missions en 2020-2021, en plus des 140 000 missions annuelles. Cet objectif a-t-il été atteint ? Quelles ont été les principales difficultés rencontrées ? Disposez-vous d'informations sur la pérennité de ces missions supplémentaires ? Quant aux missions qui sont confiées aux jeunes, sont-elles en cohérence avec les motivations des volontaires ?
La loi prévoit une formation citoyenne obligatoire de deux jours pour les volontaires. Qui est en charge de cette formation et comment se déroule-t-elle ? Quel en est le contenu ? De que façon l'Agence du service civique vérifie-t-elle l'effectivité de cette formation ?
Opérez-vous un suivi des jeunes après le service civique ? Si oui, êtes-vous en mesure d'évaluer la conséquence du service civique sur l'engagement des jeunes ? En particulier, la réalisation d'une mission de service civique entraîne-t-elle un engagement plus important des anciens volontaires par rapport au reste de la population ?
Le service national universel (SNU) prévoit dans sa troisième phase la possibilité d'un service civique. Comment l'Agence du service civique prépare-t-elle cette troisième phase du SNU ? De manière générale, quel regard portez-vous sur l'articulation entre service civique et SNU ?
Quel est, en outre, le lien entre l'agence et l'Institut de l'engagement présidé par Martin Hirsch ?
De nombreuses réponses d'élus locaux consultés sur la plateforme du Sénat font état de difficultés d'ordre administratif et de la nécessité qu'ils ressentent de simplifier les démarches s'imposant aux organismes d'accueil. Qu'en pensez-vous ? Comment pourrait-on, selon vous, concilier cette exigence de simplification et la nécessité de prévoir un cadre rigoureux, dans l'intérêt des jeunes ?
D'autres réponses reçues via la plateforme de consultation des élus locaux évoquent des difficultés liées à des démissions brutales de volontaires, à l'insuffisance de candidats ou à une motivation problématique de certains jeunes. Qu'en pensez-vous ?
Nous pourrons peut-être, après les exposés de Mme Angrand et de M. Knecht, échanger sur d'autres remarques adressées au Sénat par des élus via la plateforme de consultation. Certains nous ont envoyé, outre les suggestions que j'ai précédemment évoquées, les pistes suivantes afin d'améliorer le service civique :
- davantage communiquer, car il reste trop peu connu ;
- prolonger sa durée pour permettre de confier aux jeunes des missions plus élaborées ;
- le rendre plus attractif par une rémunération plus élevée ;
- assouplir les conditions d'âge (dans les deux sens) ;
- travailler à une meilleure intégration professionnelle à l'issue du service ;
- rendre possible le renouvellement de la mission ;
- autoriser la mutualisation de volontaires par les petites communes ;
- valoriser les acquis des volontaires dans leurs études et leur parcours professionnel (validation de cours pour les étudiants, passerelles vers les concours administratifs, par exemple) ;
- simplifier les démarches s'imposant aux organismes d'accueil (difficultés avec la CPAM pour avoir un numéro de Sécurité Sociale, dossier de labellisation considéré comme un frein pour le recrutement de services civiques).
Sur ce dernier point, peut-on, selon vous, simplifier les formalités ou mieux accompagner les collectivités territoriales en la matière ?
M. Stéphane Piednoir, président. - Madame la Présidente, Monsieur le Directeur général, je vous laisse vous organiser à votre gré pour répondre aux questions du rapporteur.
Je vous remercie de ne pas dépasser le temps de parole de vingt minutes (à vous partager) qui vous a été indiqué en amont, car à 15 heures nous devons nous rendre dans l'hémicycle pour les questions d'actualité au Gouvernement.
Des réponses écrites pourront nous être adressées par la suite si nous ne pouvons, faute de temps, aborder tous ces points.
Mme Béatrice Angrand, présidente de l'Agence du Service civique (ANSC). - Je vous remercie, Monsieur le rapporteur, pour ces questions stimulantes. C'est toujours un plaisir de venir parler de cette mission passionnante que nous exerçons, David Knecht, comme directeur général, et moi-même, en tant que présidente, à la tête de l'Agence. Nous allons répondre ensemble à vos questions et vous faire part de nos réflexions sur le sujet de la culture citoyenne.
Le service civique a été créé en mars 2010 par la loi qui porte son nom. Il a permis d'agréger un certain nombre d'initiatives qui existaient ou préexistaient au sein de la vie associative, dans le secteur administratif ou dans les grandes associations dédiées à la solidarité. Le service civique a permis l'émergence d'un dispositif permettant à des jeunes de donner du temps à des causes, en échange de quoi ils touchent une indemnité et bénéficient d'un tutorat. La création du service civique est donc allée de pair avec celle de l'agence du même nom, chargée de mettre en oeuvre ce service et d'accompagner depuis 2016 la gestion de fonds européens consacrés au programme Erasmus + Jeunesse & Sports et, depuis 2018, au Corps européen de solidarité.
Il me semble important de le rappeler, 2022 étant l'année européenne de la jeunesse et alors que la France préside l'Union européenne jusqu'à la fin du mois de juin 2022. Je souhaite cet après-midi vous exposer le travail de l'Agence du Service civique. J'ai pris connaissance des propos tenus hier devant vous sur l'agence et je ferai une mise au point.
L'agence a pour mission de déployer la politique publique dédiée au service civique et de faire en sorte que le plus grand nombre de jeunes puissent accéder à des missions, dans le cadre du budget alloué par la représentation nationale. L'agence est également chargée de communiquer sur le service civique et sur les programmes européens. Vous me posez la question des 100 000 missions supplémentaires mises en oeuvre dans le cadre du plan de relance : cette cible de 100 000 missions supplémentaires s'est heureusement accompagnée d'un relèvement de notre tableau des emplois : l'agence compte aujourd'hui 100 ETP.
Depuis sa création, l'agence n'a cessé de voir son activité croître. Ainsi, en 2010, elle avait signé 6 000 contrats ; en 2021, elle en a signé 90 000. Elle doit à présent s'adapter à ce format. Elle doit ajuster son fonctionnement à l'effectif des volontaires et à la masse des acteurs qu'elle doit toucher. Par ailleurs, comme présidente de l'agence, je préside aussi le Comité stratégique du service civique dans lequel sont discutées les grandes orientations. Ce comité a a toute son importance parce qu'on y compte des sénateurs, des députés ainsi que des représentants des services publics de l'État, des collectivités territoriales et évidemment des associations. Les membres semblent tout à fait satisfaits de la qualité des échanges et de la prise au sérieux de leurs impulsions et recommandations.
Depuis sa création, le service civique a accueilli un peu plus de 600 000 volontaires. Il constitue une politique publique à part entière. Le service civique a pris une importance toujours plus grande dans la société et auprès de tous les jeunes. À l'heure où je vous parle, ce sont plus de 65 000 jeunes qui sont engagés « sur le terrain ». Dans quelles structures ? Pour 82 % d'entre eux, il s'agit d'associations, pour 12 %, de collectivités territoriales, et pour 3 % de services de l'État ou d'établissements publics.
De quelle façon se déploie le service civique ? L'agence agrée des organismes nationaux, lesquels représentent 5 % des organismes agrées, mais où 65 % des jeunes effectuant un service. De plus, la présidente de l'agence délègue sa signature aux préfets de région qui, en lien avec les recteurs de régions académiques, déploient le service civique en y agrégeant des organismes qui sont de diverses natures (associations, collectivités territoriales, universités etc.).
M. Henri Cabanel, rapporteur. - On nous a fait part du temps nécessaire à ces agréments, qui peut paraître long.
Mme Béatrice Angrand. - Je ne nie pas du tout la longueur de ces agréments, notamment parce que le nombre de jeunes et d'agréments a considérablement augmenté depuis deux ans. Il en est résulté un allongement des circuits de validation administrative que je ne nie pas. Qui plus est, en 2021, les services déconcentrés de l'État ont été absorbés par la mise en place de la réforme de l'organisation territoriale de l'État (« OTE »), qui prévoit le rapprochement de ce que l'on appelait par le passé les Directions régionales de la jeunesse, de la cohésion sociale et des sports. Ces structures intègrent désormais les rectorats d'académies régionales pour devenir des DRAJES (Délégations régionales académiques à la jeunesse, à l'engagement et aux sports). Cette réforme a du sens parce qu'elle permettra de travailler sur les parcours des jeunes, en créant notamment des synergies entre le temps scolaire et le temps extrascolaire. La mise en place de l'OTE a généré d'importants chantiers qui peuvent avoir eu une répercussion sur la durée d'instruction des agréments, mais les choses se normalisent actuellement. Les services déconcentrés de l'État ont pu bénéficier d'une augmentation des effectifs d'agents dans le cadre du SNU. J'espère que cela aura un impact favorable en délestant certains agents qui étaient en charge à la fois du service civique et du SNU !
M. David Knecht, directeur général de l'Agence du Service civique (ANSC). - Je voudrais compléter le propos de la Mme la présidente sur les délais d'agréments. Ces délais varient selon qu'il s'agit de l'échelon national ou de l'échelon local. À l'échelon national, on ne saurait considérer qu'il y a, en la matière, des retards. Nous sommes tenus par un délai maximal de trois mois que nous respectons scrupuleusement. Comme l'a dit la présidente, en sus des agréments traités à l'échelon national, d'autres sont examinés localement. Dès lors, nous n'avons pas d'impact sur les délais. Précisons aussi que le volume de ces agréments a crû de façon conséquente l'an passé : en 2020, les agréments concernaient 105 000 postes ; en 2021, on en recensait 145 000. Cet accroissement génère un allongement des délais bien compréhensible.
Nous avons mis en place une dématérialisation complète du contrat de recrutement du jeune en service civique en 2021, ce qui va permettre d'accélérer le traitement des dossiers. Cela étant dit, le traitement administratif de ces dossiers peut prendre du temps, notamment quand ce traitement est opéré à l'échelon d'organismes nouveaux. Des contrôles restent nécessaires pour s'assurer que l'on est bien dans un cadre de mission d'intérêt général. Les délais peuvent aussi s'expliquer par des processus d'itération liés au souci d'être en conformité avec les fondamentaux du service civique.
Mme Béatrice Angrand. - Vous m'avez également interrogée sur la durée moyenne d'une mission : elle est de huit mois. Cette moyenne permet, selon les besoins et les capacités des organismes qui accueillent les jeunes, de faire varier la durée d'une mission de six à douze mois en réalité. Quant aux domaines de missions, ils sont très variés et relèvent principalement de la solidarité, de l'éducation pour tous et des sports auxquels s'ajoutent la culture, l'environnement, la santé, etc. et depuis peu la citoyenneté européenne.
Les jeunes ont en moyenne 21 ans, sachant que les missions proposées par l'agence sont ouvertes aux jeunes âgés de 16 à 25 ans. Les personnes en situation de handicap peuvent candidater jusqu'à 30 ans : il est essentiel de le rappeler. La majorité des volontaires (61 %) sont des femmes ; 43 % des volontaires effectuent une mission juste après avoir obtenu leur baccalauréat.
M. David Knecht. - S'agissant des motifs de rupture de contrat, nous en constatons d'abord au moment du recrutement des jeunes. Certains d'entre eux s'inscrivent au service civique mais ne donnent pas suite à la procédure initiée. Nous assistons, en effet, à un phénomène de « volatilité » chez certains jeunes, qui disposent désormais d'un certain nombre de possibilités, dans le cadre par exemple du programme 1 jeune, 1 solution.
Mais certaines ruptures interviennent aussi durant la mission proprement dite. 20 % des missions ne sont pas menées à leur terme. Dans 40 % des cas, cette rupture est motivée par une embauche (CDI ou CDD) ou par une reprise d'étude. Dans 31 %, la rupture de la mission intervient d'un commun accord avec l'organisme accueillant. Les abandons de poste à proprement parler ne représentent, en réalité, que 18 % des 20 % que j'évoquais tout à l'heure.
Mme Béatrice Angrand. - Dans la majorité des cas, les ruptures interviennent pour des raisons positives, mais certaines ruptures peuvent également être motivées par des déceptions ou par une mauvaise relation avec le tuteur, mais cette difficulté doit selon moi être relativisée.
M. David Knecht. - La raison qui pousse les jeunes à s'inscrire est au coeur de nos préoccupations. Elle a fait l'objet d'une enquête de l'Institut national de la jeunesse et de l'éducation populaire (INJEP) menée en 2021 auprès des jeunes ayant effectué une mission. Ces jeunes ont été interrogés entre six et dix-huit mois après leur mission. Parmi ces facteurs d'engagement, on trouve (53 %) l'acquisition de compétences pouvant être utiles dans le parcours de carrière, l'indemnité (39 %), la découverte d'une nouvelle activité (27 %) ou l'opportunité d'une activité exercée à temps partiel indépendamment de certaines autres (26 %). Il convient d'être prudent dans l'appréhension des chiffres que je vous communique. Considérer le service civique comme une passerelle vers l'emploi serait réducteur ; les jeunes sont en général motivés par un faisceau de raisons. Les éléments d'attractivité du service civique sont multiples. Le service civique permet d'exercer des missions d'intérêt général et de citoyenneté ou de développement de la cohésion sociale. L'engagement pour autrui est une motivation sous-jacente de base. S'y ajoutent tous les éléments d'attractivité du service civique. Il permet aussi d'acquérir des compétences dans une perspective d'accès à l'emploi.
Mme Béatrice Angrand. - Pour certains jeunes, l'intérêt réside dans le domaine d'activité dans lequel il va exercer dans le cadre du service civique. Certains sont en recherche d'expérience ou peuvent avoir des doutes sur leur orientation. Le service civique permet au jeune de découvrir sa place dans la société. En la matière, le tutorat est essentiel, de même que les formations civiques et citoyennes, et le respect du jeune durant sa mission. S'il a le sentiment que sa mission se substitue à un emploi, si le jeune ne se sent pas à sa place, ne se sent pas considéré, le succès n'est pas au rendez-vous. J'insiste vraiment sur le rôle éminent du tuteur. Sa contribution est essentielle. De même, les formations civiques et citoyennes peuvent produire un déclic, mais celui-ci ne saurait « tomber du ciel ». L'intérêt de l'action du jeune au service des autres fait découvrir l'engagement. Comme le dit souvent Martin Hirsch, « Il n'y a pas de mauvaise raison de s'engager ». Tous ces éléments doivent être, en conséquence, pris en compte dans l'appréhension de la mission exercée par le jeune.
M. Henri Cabanel, rapporteur. - Nous avons bien compris, d'après les témoignages des jeunes que nous avons entendus hier, l'intérêt que représente pour eux le service civique, notamment en termes de mixité sociale. Se pose cependant, me semble-t-il, un problème d'information sur l'existence même de ce dispositif. Ne croyez-vous pas que l'agence devrait envisager un réel effort en termes de communication ?
Mme Béatrice Angrand. - Je suis assez partagée sur ce point. Tous les jeunes témoignent de l'impact du bouche-à-oreille dans la découverte du service civique. 96 % des jeunes se disent satisfaits de cette expérience et en témoignent autour d'eux. Je crois que ce vecteur de communication est le plus approprié. L'enjeu me semble davantage d'accroître la reconnaissance du service civique, en particulier auprès des parents ou du monde du travail et de l'enseignement supérieur. Dès lors, la priorité est, à mon avis, que l'on parle du service civique, en amont, dès l'école. Ce n'est pas encore suffisamment le cas, même si de vrais efforts ont été accomplis depuis un ou deux ans. La présence du service civique dans les divers salons ou forums d'orientation est, à cette fin, capitale.
M. Stéphane Piednoir, président. - Les témoignages des jeunes volontaires que nous avons accueillis hier sont assez significatifs. Leur niveau de connaissance du fonctionnement des institutions de la Ve République en fin de cycle secondaire est très problématique. J'ai constaté très directement cette ignorance récemment, lors d'un échange avec d'autres jeunes de 19 à 20 ans.
M. David Knecht. - Je voudrais également évoquer l'effort considérable que nous avons accompli en termes de communication globale (réseaux sociaux, notamment). Nous venons ainsi de lancer une nouvelle campagne, qui va courir sur plusieurs années, sur des canaux qui touchent plus particulièrement les jeunes. Nous effectuons également un travail très conséquent avec la DJEPVA, notre tutelle, en termes d'information à destination de la jeunesse et auprès des missions locales - l'Union nationale des missions locales est un partenaire de longue date. Évoquons aussi ParcourSup qui constitue également une voie d'information importante, plus particulièrement pour les jeunes qui viennent d'avoir le bac. Nous travaillons d'ailleurs avec les services du ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation afin de développer l'information sur le service civique dans le cadre de ParcourSup. Le service civique peut être pris comme une année de césure utile et non pénalisante dans le parcours du jeune bachelier. L'enjeu est de lever les représentations dont peut souffrir le service civique, parfois pris comme « un plan B », alors que le service civique peut aussi s'inscrire dans un parcours universitaire très réussi.
Évoquons ensuite la formation civique et citoyenne dispensée à tous nos jeunes : elle dure deux jours, auxquels s'ajoute une journée spécifiquement dédiée à l'apprentissage des gestes de premiers secours. Elle est dispensée dans l'esprit de l'éducation populaire, de la pédagogie active. Un nouveau référentiel de cette formation a été institué. Il s'articule autour de la devise de la République Française. Cependant, aux trois mots caractérisant cette devise, nous y avons adjoint celui de laïcité. Nous cherchons à renforcer l'apprentissage et la bonne compréhension de nos institutions et de la citoyenneté, notamment, autour d'enjeux tels que la lutte contre les discriminations et la protection de l'environnement. Le service civique peut aussi servir de relais à l'apprentissage de la citoyenneté républicaine.
Mme Béatrice Angrand. - Évoquons ensuite la question des conséquences du service civique sur l'engagement des jeunes.
M. David Knecht. - Sur ce point spécifique, une investigation a également été conduite dans le cadre de l'enquête que j'évoquais précédemment. La fréquence d'activités bénévoles est assez stable avant et après la mission pour une majorité de volontaires (69 %) ; 14 % ont augmenté l'intensité de leur engagement après leur mission ; à l'inverse, 17 % l'ont diminuée. Le service civique joue le rôle de sas vers un autre projet, professionnel notamment. Il n'est donc pas étonnant que la part dévolue au bénévolat diminue car ces jeunes sont mobilisés par une activité exigeante. 42 % des jeunes ont donné du temps au cours de l'année précédant leur mission à une association. Le service civique attire les jeunes qui présentent une prédisposition à l'engagement. Concernant les effets à long terme du service civique, ils ne sont pas encore clairement appréhendés.
Mme Béatrice Angrand. - Je voudrais évoquer à présent la forte croissance des jeunes du service civique depuis les annonces du Président de la République du 14 juillet 2020. 100 000 missions nouvelles ont été annoncées : c'est considérable ! Comme nous l'avons dit, elles ont entraîné un accroissement de nos moyens budgétaires et RH. Nous en sommes à la moitié du parcours. Ce rythme correspond notamment à l'intensité de l'activité associative. Or depuis deux ans, celle-ci est particulièrement contrainte par la crise sanitaire. L'essentiel est que notre action s'inscrive dans une dynamique positive et croissante, ce qui est le cas. La création de ces nombreuses missions nouvelles implique un travail important des organismes d'accueil, pour élaborer les parcours proposés aux nouveaux volontaires, mettre en place ces missions et former les tuteurs. Nous notons par ailleurs une augmentation sensible du nombre de jeunes accueillis par des collectivités territoriales (50 % de collectivités agrées de plus), ce qui est encourageant.
Pour accompagner cette montée en charge, nous avons déployé une démarche en quatre axes. Le premier axe consiste à proposer aux organismes d'accueil déjà agréés d'accueillir davantage de jeunes. Le deuxième axe consiste à solliciter d'autres organismes et à les inviter à rejoindre le service civique. Quant au troisième axe, il consiste à investir de nouveaux champs de mission (notamment l'environnement). Le quatrième axe consiste à outiller les organismes locaux, à accompagner le travail des référents territoriaux et à les doter des instruments leur permettant d'accomplir leur mission.
Je considère que le service civique constitue un outil de soutien adapté à l'enjeu de la cohésion nationale. Son adaptation aux besoins urgents en temps de crise est tout à fait satisfaisante, si l'on se réfère à sa capacité à déployer rapidement des missions dans le domaine de la santé et, plus particulièrement, en lien avec l'installation et le fonctionnement des centres de vaccination. Il convient cependant que les disponibilités budgétaires soient maintenues. Un retour en arrière serait particulièrement dommageable, alors que de nombreux organismes se sont mobilisés et organisés pour accueillir tous ces jeunes.
M. David Knecht. - Je voudrais à présent évoquer la formation civique et citoyenne (FCC). Elle s'inscrit dans le cadre d'une instruction de l'Agence du service civique du 30 avril 2021 qui a révisé le cadre de cette formation. C'est une obligation pour les organismes agréés ; cette formation peut être dispensée à l'intention des seuls volontaires de l'organisme ou - nous promouvons cette formule - être élargie à l'externe, ce qui permet des croisements d'expériences et constitue un facteur d'ouverture entre jeunes effectuant un service civique en même temps dans des organismes différents. La formation est consolidée par les référents territoriaux de l'agence sous la forme de catalogues régionaux et délivrée par des organismes dédiés. Elle dure au moins deux jours et est effectuée en une ou en deux fois ; elle vise à promouvoir l'engagement, à favoriser un sentiment de cohésion chez les volontaires du service civique, volontaires qui viennent d'horizons différents, et à encourager une réflexion sur des problèmes de société. Le dispositif est contrôlé par les services déconcentrés de l'État. Les organismes agréés doivent certifier que cette formation a bien été dispensée, cette déclaration faisant foi. Des contrôles peuvent être opérés. Une évolution du système d'information permettant de recueillir au sein d'un outil dédié les déclarations des organismes est inscrite à l'agenda de l'agence.
Mme Béatrice Angrand. - Cette formation est centrale. Son référentiel étant maintenant solide, le nombre de jours obligatoires de formation devrait sans doute être revu à la hausse. Cette évolution, dont la décision ne dépend pas de nous, me semblerait très positive. Rappelons que la FCC est financée par l'agence.
Je voudrais évoquer les profils des volontaires, notamment du point de vue de la ruralité. Les jeunes issus de la ruralité représentent entre 20 et 25 % des volontaires (23 % en 2020). Nous avons cependant identifié des freins, liés à l'insuffisance de l'offre des missions dans les territoires ruraux et aux questions de mobilité (logement et transports). Une piste permettant d'accroître la part des jeunes ruraux dans le volume des volontaires consisterait à déployer des projets locaux, avec des financements complémentaires. Les collectivités territoriales pourraient apporter une contribution financière au titre du logement ou d'aides à la mobilité. C'est une perspective intéressante. L'agence intervient par le financement de la FCC, de l'indemnité et du tutorat et n'est pas en mesure de subventionner ce type de dépense.
Les initiatives mises en place avec des volontaires du service civique sont nombreuses sur le plan local (organisation d'événements tels que des festivals, épiceries solidaires, recueil de la parole des citoyens...). Aller encore plus loin sur le plan local fait partie de nos priorités. Cela permettrait à des jeunes ruraux - ou autres - de saisir de réelles opportunités.
S'agissant des territoires ultramarins, les volontaires y représentent 10 % des jeunes. Cette proportion favorable s'explique par la jeunesse de ces territoires et aussi par le fait que, pour nombre d'entre eux, le service civique représente une solution indispensable pour l'insertion des jeunes, notamment en termes d'obtention d'un revenu. Les missions qui sont proposées aux jeunes dans ces territoires ultramarins sont, de manière plus importante, concentrées dans les administrations de l'État ou dans les services publics, notamment au sein de l'Éducation nationale. Les missions portent sur l'éducation, la solidarité, la transition énergétique ou le changement climatique, dans les départements français des Antilles, à La Réunion ou en Nouvelle-Calédonie.
M. Hervé Gillé. - Vous avez, Madame la Présidente, évoqué certains sujets de fonds qui méritent d'être approfondis, notamment concernant la qualification du parcours autour du service civique. Un certain nombre de structures accueillent des jeunes, non pas pour assurer des tâches en corrélation avec l'esprit du service civique, mais pour effectuer des missions qui, selon moi, s'apparentent clairement à celles d'un contrat de travail. Il y en a beaucoup ! Ce sujet suscite des interrogations. La qualité professionnelle de ces contrats de travail est un sujet de fond. Cela renvoie aussi à la notion d'agrément. Vous nous avez dit vouloir multiplier les structures d'agrément. Je suis favorable à cette proposition, mais elle m'inspire une certaine réserve. On peut vouloir démultiplier les acteurs, mais encore faut-il que ceux-ci soient agréés et qualifiés. Si on multiplie le nombre d'agréments, l'agence s'expose au risque de ne plus respecter la qualité de mise en oeuvre du parcours. Le service civique peut être un élément d'un parcours d'insertion sociale et professionnelle dans le cadre des dispositifs d'État. Dans ce cas, l'indemnité est suspendue. Il serait donc intéressant de procéder à un audit du réseau des missions locales, dont l'expérience mériterait, selon moi, d'être appréciée dans le cadre de nos travaux.
Mme Catherine Belrhiti. - Je vous remercie, Madame la Présidente, pour votre intervention. Comment l'information sur le service civique est-elle délivrée auprès des collectivités territoriales ? L'est-elle sous forme de plaquette ? Vous rendez-vous dans les petites villes, notamment dans les plus petites communes ? Le service civique est-il pris en compte pour la retraite ?
Mme Béatrice Angrand. - Bien sûr.
Mme Catherine Belrhiti. - Je voudrais enfin évoquer la formation civique et citoyenne. Vous nous avez dit qu'elle durait deux jours, avec une extension à trois jours, le troisième jour étant dédié à la formation aux gestes de premiers secours. Je suis d'accord avec vous : cette durée devrait être augmentée.
Mme Laurence Muller-Bronn. - Madame la Présidente, à mon tour de vous remercier pour votre présentation. Vous avez évoqué la part des collectivités territoriales, qui s'établit à 12 %. Cela me semble bien peu. Dans le Bas-Rhin dont je suis élue, nous recrutons beaucoup de jeunes au sein du service civique, y compris dans de petites communes. Je ne m'attendais pas à ce que le taux global soit si faible. Vous avez indiqué, en outre, que la part des jeunes effectuant une expérience au sein du service civique après le baccalauréat était de 43 %. Qu'en est-il des autres ? Avez-vous enfin des informations sur le profil social des jeunes qui s'engagent dans le service civique ?
Mme Sabine Drexler. - Je m'interroge sur l'impact de la crise sanitaire et des divers confinements sur l'activité de l'agence. Je suis moi-même présidente d'une association et j'ai été confrontée à un problème durant le premier confinement : j'avais embauché une jeune du service civique et n'ai pas été en mesure de l'accompagner.
M. Stéphane Piednoir, président. - Madame la Présidente, je porte à votre connaissance une question qui émane du groupe de travail du Sénat sur les jeunes et la vie associative. À l'aune de l'impact des confinements et de la crise sanitaire sur le fonctionnement des associations, ce groupe de travail a formulé une préconisation : permettre d'être détaché au sein d'une mission d'urgence alors que l'on est engagé dans une autre mission. Je sais que l'Agence du service civique s'est penchée sur le sujet.
M. David Knecht. - Sur les collectivités territoriales, je vous rappelle les chiffres : elles représentent à elles seules 12 % des organismes agréés et 5 % des jeunes engagés. Ces taux traduisent, selon moi, un recours particulièrement bas des collectivités territoriales au service civique. Par conséquent, nous avons publié une plaquette dédiée, édité des vidéos et créé une page spécifique sur notre site Internet. Les résultats se font ressentir : nous constatons en 2021 un accroissement des postes agréés dans ces collectivités locales. 500 à 600 collectivités territoriales ont rejoint le réseau du service civique en 2021. C'est un motif de très grande satisfaction.
Mme Béatrice Angrand. - Il faut aussi rappeler que l'accueil d'un volontaire du service civique représente un coût estimé à 107 euros par mois et par jeune. Ce montant est-il dissuasif ? Nous travaillons en tout cas à les convaincre de la pertinence d'accueillir des jeunes.
M. David Knecht. - Précisons enfin que l'Agence du service civique et l'État ont innové en 2021 en instituant, à la suite du Comité interministériel des ruralités de novembre 2020, un appel à manifestation d'intérêt qui a été adressé à de nombreux territoires. Cet appel à manifestation d'intérêt a permis de financer vingt-quatre projets d'EPCI visant de manière très prospective à financer un ETP de prospecteur, de monteur et de concepteur d'une future mission de service civique dans ces EPCI situés en zone rurale. Hier d'ailleurs, nous assurions une animation à destination de ces EPCI et des référents territoriaux visant à développer le service civique au sein des territoires ruraux.
Mme Béatrice Angrand. - Concernant la question de la qualification, précisons aussi que le fait de prendre des jeunes issus du service civique dans un contexte de tension des ressources humaines au sein d'une collectivité territoriale, pour accomplir le travail qui est normalement effectué par des agents territoriaux, est formellement interdit. Comme je vous le disais tout à l'heure, je me félicite de l'augmentation du nombre de collectivités territoriales qui recourent au service civique, mais il convient de se laisser du temps pour le déploiement et pour l'accroissement des missions confiées à des volontaires du service civique dans les collectivités territoriales.
Concernant les contrôles, je précise aussi que nous avons contrôlé 11 % des organismes d'accueil en 2021. En 2020, le taux de contrôle s'établissait à 8 %. Je crois que la formation des tuteurs, le bon déroulement des formations civiques et citoyennes et le respect des droits des volontaires du service civique sont des éléments pertinents pour apprécier le bon déroulement des missions.
Au sujet de la concentration des acteurs, elle comporte certains risques et peut poser un problème. Je suis tout à fait sensible à votre remarque sur la question de la qualification, Monsieur le Sénateur.
J'ai aussi été interrogée sur la retraite : je vous confirme que le service civique donne accès à des points retraite. Sur les profils des jeunes accueillis au sein du service civique, 43 % présentent un niveau baccalauréat, 35 % présentent un niveau Bac+ et 22 % ont un niveau CAP ou BEP.
M. David Knecht. - Nous avons aussi 17 % de décrocheurs scolaires, c'est-à-dire des jeunes qui ne sont ni en emploi, ni en formation. Cette proportion est le double de celle que l'on observe dans la population générale. Nous comptons en outre 7 % de mineurs.
Mme Béatrice Angrand. - Je voudrais évoquer aussi un point important : l'articulation entre le SNU et le service civique. Au cours des séjours de cohésion, les jeunes doivent tous être informés de l'existence du service civique. L'idéal serait qu'ils puissent, en conséquence, à cette occasion, rencontrer des jeunes effectuant un service civique.
Les jeunes du Service national universel (SNU) sont âgés en moyenne de 16 ans. Il conviendrait qu'ils se « souviennent » du service civique suffisamment longtemps pour que, le moment venu, ils s'engagent dans cette expérience. Nous devons savoir comment nous pouvons garantir cette cohésion entre le SNU et l'Agence du service civique. Inversement, le SNU pourrait faire venir au service civique des mineurs : la transition entre ces deux formules va être un point crucial.
Vous m'avez également interrogée sur d'éventuelles pistes relatives au développement de la culture citoyenne et de l'engagement des jeunes. Il convient que l'Agence du service civique soit davantage soutenue et qu'elle puisse « inciter plus fortement » les organismes à organiser des missions, à recruter des jeunes en binôme et à favoriser l'organisation de missions collectives, afin que la mixité sociale soit privilégiée. L'organisation de la formation civique et citoyenne de manière à regrouper des volontaires effectuant leur service civique dans des organismes différents, dont j'ai parlé tout à l'heure, s'inscrit dans cette logique de cohésion que nous encourageons. Enfin, la citoyenneté consiste à respecter les autres. Nous devons, à cette fin, nous appuyer sur des tuteurs mieux formés et peut-être plus motivés. Je note que le dispositif actuel ne prévoit aucun dispositif de reconnaissance pour ces tuteurs. Il serait intéressant de réfléchir à un mode de reconnaissance.
Enfin se pose la question de la reconnaissance des expériences et des compétences ayant été acquises grâce à l'engagement dans le service civique et dans le cadre d'activités bénévoles. Nous avons à cette fin engagé un très important travail avec l'Association nationale des DRH et je dois rencontrer prochainement la commission « Jeunesse » du Medef. La reconnaissance du service civique dans le monde du travail et la prise en compte des compétences ayant été acquises par les jeunes dans le cadre du service civique sont aussi des éléments de motivation.
M. Stéphane Piednoir, président. - Je vous remercie, Madame la Présidente, Monsieur le Directeur général.
Audition de Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur, chargée de la citoyenneté
M. Stéphane Piednoir, président. - Madame la Ministre, merci de vous être rendue disponible malgré un agenda que je sais extrêmement contraint.
Pour votre information, je précise que notre mission est composée de 21 sénateurs issus de tous les groupes politiques. Elle doit sa création à l'initiative du groupe RDSE, qui a désigné comme rapporteur l'un de ses membres, Henri Cabanel. Notre rapport, avec ses préconisations, sera rendu public au mois de juin.
Les sujets que nous avons abordés à ce jour concernent l'éducation à la citoyenneté, plus particulièrement dans le cadre scolaire, mais aussi lors de la Journée défense citoyenneté. Nous nous intéressons notamment au rôle de la transmission de la mémoire dans l'éducation des futurs citoyens : nous avons ainsi entendu votre collègue Geneviève Darrieussecq et nous accueillerons prochainement la directrice générale de l'ONAC.
Parallèlement à l'éducation des futurs citoyens, nous attachons beaucoup d'importance aux politiques publiques susceptibles d'encourager l'engagement des jeunes. Le service civique occupe une place décisive dans notre réflexion. Nous avons échangé hier avec des jeunes volontaires accompagnés par Unis-Cité et nous entendions tout à l'heure la présidente de l'Agence du service civique (ANSC). D'autres séquences suivront sur le service national universel.
Enfin, le troisième axe de notre réflexion est lié à l'abstention, qui concerne tout particulièrement les jeunes électeurs.
M. Henri Cabanel, rapporteur. - Madame la Ministre, je joins mes remerciements à ceux du président pour votre disponibilité.
Il existe de nombreuses actions en faveur des jeunes dans un objectif de citoyenneté : le Service national universel (SNU), le service civique, les conseils de jeunes auprès des collectivités territoriales et l'enseignement moral et civique. Ne serait-il pas possible de coordonner toutes ces actions au sein d'un même ministère, ce qui offrirait davantage de lisibilité ?
Estimez-vous envisageable, voire souhaitable, de valoriser l'engagement citoyen des jeunes en leur attribuant des avantages dans le cadre de leurs études, tels que des points supplémentaires aux examens, une baisse des droits d'inscription dans l'enseignement supérieur... ?
Pouvez-vous présenter un bilan du dispositif d'accès à la nationalité pour les ressortissants étrangers mobilisés pendant la crise Covid et nous parler des cérémonies de naturalisation qui ont été organisées dans ce contexte ?
Nous entendions la semaine dernière la sociologue Anne Muxel sur la perception de la vie politique par nos jeunes concitoyens. Selon certaines analyses sociologiques, les jeunes sont particulièrement concernés par l'abstention, mais ils ne sont pas pour autant dépolitisés. Ils sont très intéressés par des engagements au profit de la collectivité, par exemple dans le cadre associatif. Les jeunes que nous avons entendus hier nous l'ont confirmé. Comment, selon vous, donner envie à cette génération de participer davantage aux élections, tant nationales que locales ?
Enfin, êtes-vous en mesure d'évoquer avec nous les conseils de jeunes ? D'après les témoignages d'élus locaux, les remontées de terrain sont pour la plupart positives en termes d'éducation citoyenne. Ces dispositifs offrent aux jeunes une bien meilleure connaissance des institutions que ce qu'ils apprennent en éducation morale et civique dans le cadre scolaire. Toutefois, il semble que dans ce domaine, la marge de progrès soit considérable. Avez-vous des pistes pour encourager ces conseils qui peuvent, s'ils sont bien accompagnés, jouer un rôle très positif pour donner envie aux jeunes de participer à notre vie démocratique ?
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur, chargée de la citoyenneté. - Je suis très heureuse d'être auditionnée dans le cadre de votre mission sur la culture citoyenne. Les actions de culture citoyenne qui sont menées au ministère de l'intérieur s'inscrivent pleinement dans la feuille de route que j'ai présentée lors de ma nomination, notamment sur l'incarnation de la République qui protège et la manière de faire vivre les valeurs de la République. Ce sont deux fondamentaux qui se répondent et qui sont extrêmement importants. Incarner cette République qui protège, c'est aussi affirmer à chacun que sa citoyenneté constitue une part de son identité et lui garantit un socle important de droits et de devoirs. Nous avons la chance, en France, d'avoir une citoyenneté qui a du sens et qui peut s'incarner par des accomplissements concrets.
Toutes et tous, ici, nous sommes engagés. J'ai présidé une association pendant dix ans puis j'ai été élue locale avant d'être membre du Gouvernement. Ce sont des actions de citoyenneté. Nous devons pouvoir transmettre aux jeunes cette envie de s'engager dans la vie démocratique.
Vous vous intéressez au rôle de la transmission de la mémoire dans l'éducation des futurs citoyens : la transmission des mémoires est en effet fondamentale. À mon niveau, j'ai organisé un certain nombre d'évènements mémoriels qui ont permis de travailler sur le sujet. Je pense notamment à l'hommage que j'ai rendu récemment à Renée Périni-Pagès, qui a été la première femme élue dans un conseil municipal après avoir été engagée dans la Résistance pendant la Seconde Guerre mondiale. Il est important de rendre hommage à ces héros et héroïnes que l'histoire a parfois oubliés.
Concernant les atteintes aux élus, je déplore que l'expression métaphorique selon laquelle un maire doit être « à portée de baffe » soit de plus en plus souvent prise au pied de la lettre. Je pense à la violence physique, mais également aux menaces sur les réseaux sociaux ou aux courriers racistes, misogynes et menaçants. Cette violence contribue à détourner un certain nombre de générations du combat public. Beaucoup de jeunes femmes qui sont engagées dans des associations me disent qu'elles n'ont pas envie de cette vie de violence. Elles estiment que le jeu n'en vaut pas la chandelle. Je rencontre beaucoup de personnes qui ne veulent pas s'engager dans la vie démocratique en raison de cette violence. C'est pour cela que nous sommes mobilisés, avec le ministre de l'intérieur, pour lutter contre ces actes inqualifiables. Beaucoup d'élus sont sous protection policière : je le déplore ! Nous ne devrions pas avoir à en arriver là. Le débat, y compris vigoureux, fait partie de la vie politique, mais pas la violence. Il est important de le rappeler et de s'indigner à chaque fois.
Vous connaissez mon attachement à la laïcité en tant que principe structurant qui permet d'être citoyen. Nous avons voulu, avec le Premier Ministre et le Président de la République, développer cette culture de la laïcité, avec notamment des référents laïcité, la création d'un bureau de la laïcité au ministère de l'intérieur, conjoint du bureau des cultes, et un comité interministériel à la laïcité. La laïcité n'a pas la définition que certains lui donnent. Il s'agit d'un principe lié à la citoyenneté qui nous permet d'être ensemble et de partager un même espace de vie.
Pour diffuser la culture de la citoyenneté, nous avons créé une Unité de contre-discours républicain (UCDR), qui permet à la fois de lutter contre les discours islamistes et, surtout, de partager les valeurs de la République sur les réseaux sociaux. Lancée en septembre dernier sur toutes les plateformes, cette unité permet, par exemple, de rappeler comment la Constitution a été construite, de présenter les coulisse du Sénat, de l'Assemblée nationale ou de l'Élysée, d'expliquer comment on fabrique une loi. Nous avons demandé à des associations de nous accompagner. J'ai créé le fonds Marianne, doté de deux millions d'euros. Il nous permet de diffuser ces discours d'adhésion à ce qu'est la République avec dix-sept acteurs associatifs.
Vous avez évoqué la naturalisation des travailleurs étrangers ayant été en première et deuxième ligne pendant le confinement : ce sujet me tient particulièrement à coeur. Pour des raisons qui m'échappent, la presse ne s'en empare pas du tout. Nous avons du mal à mettre en avant ces beaux parcours d'intégration, alors que ces personnes ont permis au pays de tenir ! Plus de 17 000 personnes ont obtenu la nationalité française par ce biais. Nous avons organisé quelques cérémonies. Je pense notamment à la cérémonie au Panthéon présidée par le Président de la République. Une nouvelle cérémonie de naturalisation sera bientôt organisée avec le ministre de l'intérieur à Paris, dans un lieu culturel éminent.
Dans le même état d'esprit visant à valoriser des beaux profils citoyens, j'ai créé le programme des « 109 Mariannes ». Y participent, notamment, une générale de gendarmerie, une astrophysicienne candidate pour une expédition sur la Lune, une jeune pompière volontaire le jour et aide-soignante la nuit, une maire, une intervenante sociale en gendarmerie, une auxiliaire en EHPAD ou encore une avocate en droits humains. On s'inspire en général, pour incarner Marianne, de visages d'actrices : ces femmes disent quelque chose du visage de la France d'aujourd'hui. Marianne est aujourd'hui plurielle. Ces portraits, visibles sur le site du ministère de l'intérieur, ont été exposés devant le Panthéon, où j'ai accompagné les visites de plusieurs groupes scolaires afin que des jeunes puissent s'identifier à ces modèles positifs. C'était très émouvant. J'ai également accompagné un certain nombre d'associations issues de quartiers difficiles à l'occasion de leur visite du Panthéon.
La question de la jeunesse est fondamentale. Les jeunes sont très engagés dans leur vie quotidienne. Pourtant, ils ne se rendent pas aux urnes. Nous avons créé le dispositif Les prodiges de la République dans l'objectif de valoriser des citoyens, jeunes et moins jeunes, qui se sont engagés et ont incarné la citoyenneté, notamment pendant la crise sanitaire. Il m'a semblé important de récompenser le meilleur de la nature humaine. Je pense à une couturière qui a confectionné des masques pour tout son village lorsqu'il était difficile d'en trouver, à un jeune homme qui s'est présenté spontanément pour être bénévole à l'hôpital, à un autre jeune homme qui s'est organisé pour monter leurs courses aux personnes âgées qui vivaient à des étages élevées, à des étudiants qui ont mis en place une épicerie solidaire ouverte... Ce sont quelques exemples parmi beaucoup d'autres. À la suite de l'appel à candidatures que j'ai lancé, 20 000 dossiers nous ont été proposés par les préfets et les services de préfecture. Cela démontre à quel point il existe, dans notre pays, une force vive qui a envie de s'engager pour les autres, au service du bien commun. Les « prodiges » ont été sélectionnés par un jury. Là encore, cela n'a pas beaucoup intéressé la presse nationale et les chaînes de télévision, au contraire de la presse quotidienne régionale. Ce dispositif montre pourtant un autre modèle de jeunesse, engagé, loin des clichés que l'on peut parfois présenter.
Il est tout à fait possible de repenser les périmètres ministériels afin de couvrir l'entièreté des sujets même si, dans le même temps, les sujets liés à la citoyenneté sont profondément interministériels. Ils sont liés au ministère de la culture, au ministère de la jeunesse, au ministère chargé de la mémoire et des anciens combattants, au ministère de l'éducation nationale... Cette politique est profondément interministérielle, comme l'est d'ailleurs le SNU, dont les objectifs consistent à renforcer la cohésion nationale, à garantir un brassage social et territorial de l'ensemble des jeunes d'une classe d'âge, à accompagner l'insertion sociale et professionnelle des jeunes et à valoriser les territoires et le patrimoine culturel. Le ministère de l'intérieur participe activement à ce dispositif, qui est piloté par la secrétaire d'État en charge de la jeunesse et de l'engagement. Les policiers et les gendarmes sont pleinement mobilisés. Plus de 2 000 missions d'intérêt général ont été proposées aux jeunes dans des services de police, de gendarmerie et d'incendie et de secours. En 2021, 15 000 jeunes, dont 56 % de jeunes filles, ont été accueillis dans les 122 centres de cohésion. Ils y ont vécu une expérience unique qui leur a permis de sortir de leur vie habituelle. Je pense à un jeune homme harcelé au quotidien qui s'est, pour la première fois, senti valorisé et considéré par un groupe.
La citoyenneté passe aussi par le respect et la reconnaissance de celles et ceux qui risquent leurs vies tous les jours pour nous protéger. Nous avons soutenu et financé des initiatives qui visent à faire se rencontrer les policiers et le reste de la population, notamment dans des quartiers prioritaires de la politique de la ville. Ces actions sont fondamentales car elles contribuent à déconstruire les stéréotypes de part et d'autre.
Les taux de participation aux élections sont en baisse, ce qui est dramatique. Il est essentiel que la démocratie ne soit pas un privilège. Il y a deux générations encore, les femmes ne pouvaient pas voter. Des femmes se sont battues pour obtenir ce droit. Célébrer les combats féministes implique aussi d'aller voter. Cela illustre les avancées qui ont été réalisées pour les droits des femmes en matière de citoyenneté. Les jeunes s'engagent mais cet engagement ne se traduit pas toujours par un vote. Cette situation est préoccupante. Nous devons absolument identifier les ressorts de l'abstention et les mesures qui permettraient de la réduire.
Les cérémonies de remise officielle de la carte d'électeur à 18 ans pourraient être systématisées. D'ailleurs, nous avons fait évoluer les cartes électorales, puisqu'elles contiennent désormais un QR Code qui permet notamment de s'assurer de son inscription et de connaître les dates des prochaines élections. Cela ne suffit évidemment pas pour convaincre d'aller voter. L'engouement pour le vote relève du rôle des candidats et des partis politiques. J'ai aussi demandé aux plateformes de se mobiliser pour communiquer les dates des élections ou en diffuser les résultats. Cela contribuera à installer le vote et la démocratie comme faisant partie de la vie quotidienne. Nous avons repoussé la date limite d'inscription sur les listes électorales au début du mois de mars. Il n'est donc pas trop tard pour s'inscrire !
J'ai toujours un peu de mal lorsque j'entends des gens dire qu'ils ne seront pas disponibles pour aller voter parce qu'ils ont prévu autre chose. Le vote est un droit civique, mais c'est également un devoir citoyen. Malheureusement, ce discours est difficile à transmettre à une partie de la population.
Enfin, le Président de la République a souhaité faire de la lecture une grande cause nationale de cette année. J'ai saisi cette occasion pour créer, en partenariat avec le ministère de la culture, le premier festival du livre citoyen. Il se tiendra le vendredi 11 février à la Bibliothèque nationale de France. Il s'agit d'un événement gratuit, ouvert à tous, qui a pour but de faire se rencontrer les idées autour du livre et de valoriser le rôle de la lecture dans la construction citoyenne. Nous avons constitué un jury afin de remettre un prix du livre citoyen. Beaucoup de Français possèdent des manuscrits dans leurs tiroirs, mais ne savent pas comment les soumettre à un éditeur. Ce festival leur permettra d'en rencontrer. Enfin, des tables rondes rassembleront des écrivains et des jeunes pratiquant l'art oratoire.
Je suis à votre disposition pour répondre à vos questions.
Mme Martine Filleul. - J'ai vous ai écoutée avec beaucoup d'intérêt présenter toutes les initiatives que vous avez prises pour accompagner des jeunes sur le chemin de la citoyenneté. Compte tenu des constats très alarmants que nous faisons tous, d'une véritable « sécession » de certains jeunes vis-à-vis de la démocratie, au point qu'ils verraient de manière presque naturelle un régime autoritaire s'installer dans notre pays, ne pensez-vous pas qu'il est temps de reprendre à la base et de manière systématique une véritable éducation à la citoyenneté, pour tous les jeunes et dans la durée ? Ne pensez-vous pas que l'école est la mieux placée pour mener à bien cette mission ?
Les nombreuses auditions que j'ai menées sur ce sujet me font dire que cette éducation à la citoyenneté ne représente qu'une portion congrue de l'enseignement de l'Histoire. Ne pensez-vous pas qu'il s'agit d'une carence importante de notre système éducatif ? Ne conviendrait-il pas de mettre en place quelque chose de solide au sein de l'Éducation nationale, de manière complémentaire à votre ministère ou aux associations ?
Mme Marie-Pierre Richer. - Nous avons tous fait le même constat que vous dans nos différents territoires. Nous l'avons également entendu au cours de nos auditions.
Souvent, les enfants qui sont récompensés dans le cadre des diverses initiatives qui sont mises en place pour encourager l'engagement citoyen ont des parents déjà engagés. Ils ont donc déjà été imprégnés de la notion de citoyenneté. Ce sont ces jeunes que nous retrouvons dans le SNU. Comment entraîner les autres jeunes, ceux qui ne sont pas entourés de familles investies, que ce soit au niveau politique ou associatif ? La communication que nous mettons en place n'arrive pas jusqu'aux jeunes. Les interventions de deux heures dans les missions locales pour parler de citoyenneté ne suffisent pas. Il existe un éloignement entre ce qu'est un homme ou une femme politique et ce que ces jeunes en perçoivent.
M. Stéphane Piednoir, président. - J'ai entendu au cours d'une de nos auditions un jeune dire qu'il ne voyait pas l'intérêt de déposer un « bout de papier » dans une urne. Or le vote ne se résume pas à cela, il n'est que l'issue d'un processus nettement plus long. Les jeunes savent s'engager pour des causes de manière ponctuelle, mais ils voient moins d'intérêt à s'engager sur le long terme. C'est probablement une culture à faire acquérir dès le plus jeune âge par l'Éducation nationale. Il y a quelque chose à reconstruire dans ce domaine. Il y a quelques décennies, les jeunes étaient extrêmement mobilisés politiquement parce qu'il existait des ennemis communs et ils s'identifiaient par rapport à eux. Aujourd'hui, ces repères se sont effondrés et nous vivons dans un certain confort. Pourtant, la démocratie peut disparaître ! Nous avons presque l'impression que certains jeunes aspirent à des régimes autoritaires. Je trouve cela dramatique, alors même qu'il y a quelques décennies, des jeunes se sont battus pour la démocratie.
M. Henri Cabanel, rapporteure. - Les jeunes ne sont pas désintéressés de la politique. Ils ne sont pas dépolitisés. Nous voyons, dans les expériences que nous menons dans nos territoires, l'intérêt qu'ils ont à rencontrer des élus. Vous avez évoqué le rôle des partis politiques. Souvent, les jeunes y trouvent porte close, alors qu'ils attendent d'être écoutés. Cela fait longtemps que les partis politiques ne jouent plus le jeu. Ils sont devenus des machines électorales. Ils ne cherchent plus à attirer les jeunes à eux. Les partis politiques ont oublié leur rôle fondamental, qui est le débat d'idées afin de tendre vers un idéal de société. Comment intégrer les jeunes si nous ne les regardons même pas ?
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. - Je partage votre constat. Au-delà des partis, c'est aux candidats de faire voter. Je peux mettre des choses en place en tant que ministre chargée de la citoyenneté, mais ce n'est pas mon rôle de donner aux électeurs envie de voter pour quelqu'un. Si aucun candidat n'est en capacité de donner envie aux gens d'aller voter, alors la question de l'utilité des élections se pose...
En 2017, j'ai fait partie de celles et ceux qui ont estimé nécessaire de construire une nouvelle offre politique, plus à l'écoute des uns et des autres. Nous avons ouvert la représentation à de nouvelles personnes, qui n'étaient pas engagées précédemment. Nous sommes allés chercher de nouvelles personnes, y compris des jeunes. 30 000 jeunes ont été mobilisés par le parti politique auquel j'appartiens. C'est colossal ! De nouvelles personnes ont ainsi été attirées vers la vie politique. Une amorce a été réussie. L'Assemblée nationale a été considérablement renouvelée, féminisée et rajeunie en 2017. Cela suffit-il à reconstruire le lien entre les citoyens et le politique ? Évidemment non. Je n'ai pas la réponse pour lutter contre l'abstention, personne ne l'a ! En revanche, il est important que nous nous posions cette question et que nous menions un travail de conviction.
Entre la sécurité routière, la sensibilisation à l'écologie, les séances d'égalité femmes-hommes et la prévention du Covid, on en demande beaucoup à l'école, comme le dit souvent à juste titre ministre de l'éducation nationale. Dans le même temps, ces sujets permettent de faire évoluer les jeunes, mais aussi leurs parents. Je pense donc qu'il serait très positif de dispenser une éducation à la citoyenneté qui permette au moins de rappeler le rôle et les missions des institutions. Je suis étonnée du nombre de personnes qui, après une décision de justice, écrivent à un membre du Gouvernement pour demander de la casser. Ces citoyens en détresse pensent, probablement de manière très sincère, qu'un ministre a le droit de faire cela, ce qui n'est évidemment pas le cas ! L'éducation à la citoyenneté serait également très utile pour les adultes... Au-delà, les responsables politiques ont probablement des efforts à faire pour retisser un lien de confiance avec les jeunes, dont beaucoup se sentent éloignés de leurs représentants.
Il existe 200 000 sapeurs-pompiers volontaires : je veux les saluer car, il s'agit d'une manière, très belle et très forte, de s'engager pour les autres. D'ailleurs, il existe des personnes « multi-engagées ». Cette culture de l'engagement doit être davantage partagée. Toutes les actions que je vous ai présentées y contribuent modestement. Toutefois, la vraie question que nous devons nous poser est celle de l'avenir de la démocratie.
Nous devons pouvoir poser cette question lucidement aux nouvelles générations, et j'espère que leur réponse sera positive.
M. Stéphane Piednoir, président. - Nous l'espérons aussi. Je vous remercie.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.