- Mercredi 2 février 2022
- Désignation d'un rapporteur
- Audition de M. Antoine Petit, candidat proposé par le Président de la République aux fonctions de président du Centre national de recherche scientifique (CNRS)
- Vote sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Antoine Petit aux fonctions de président du Centre national de recherche scientifique
- Dépouillement du scrutin sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Antoine Petit aux fonctions de président du Centre national de recherche scientifique
Mercredi 2 février 2022
- Présidence de M. Laurent Lafon, président -
La réunion est ouverte à 9 heures.
Désignation d'un rapporteur
M. Laurent Lafon, président. - Nous sommes réunis ce matin pour auditionner M. Antoine Petit, que le Président de la République propose de nommer, pour un second mandat de quatre ans, en qualité de président du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), en application des dispositions de deux lois - l'une organique, l'autre ordinaire - du 23 juillet 2010 relatives à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution.
Conformément aux dispositions de cet article, les commissions compétentes des deux assemblées sont appelées à formuler un avis sur cette nomination et à désigner un rapporteur. Je vous propose de confier cette charge à notre collègue Laure Darcos.
La commission désigne Mme Laure Darcos rapporteur sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Antoine Petit aux fonctions de président du CNRS.
Audition de M. Antoine Petit, candidat proposé par le Président de la République aux fonctions de président du Centre national de recherche scientifique (CNRS)
M. Laurent Lafon, président. - À l'issue de cette audition, nous nous prononcerons sur cette candidature par un vote à bulletin secret, sans délégation de vote. Nous procéderons au dépouillement de ce vote à l'heure du déjeuner, simultanément avec nos collègues de l'Assemblée nationale qui entendront M. Petit à 11 heures.
Je précise à toutes fins utiles que le Président de la République ne pourrait procéder à la nomination envisagée si l'addition des votes négatifs de chaque commission représentait au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés.
Cette audition fait l'objet d'une captation vidéo, disponible en ligne sur le site du Sénat.
Je vous rappelle que le CNRS, établissement public à caractère scientifique et technologique placé sous la tutelle du ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, est le plus grand organisme de recherche français. Avec plus de 32 000 personnels, un budget de 3,4 milliards d'euros, une implantation sur l'ensemble du territoire national, il exerce son activité dans tous les champs de la connaissance, en s'appuyant sur plus de 1 000 unités de recherche.
Monsieur Petit, président-directeur général du CNRS depuis janvier 2018, pouvez-vous nous dresser un bilan de votre premier mandat, marqué notamment par la promulgation, en décembre 2020, de la loi de programmation de la recherche, mais aussi par la crise sanitaire qui a posé de nombreux défis au monde de la recherche ? Quels sont vos projets pour ce second mandat ?
M. Antoine Petit, candidat désigné par le Président de la République aux fonctions de président du Centre national de recherche scientifique. - Je vous remercie de me permettre de vous présenter ma candidature à un second mandat à la tête du CNRS.
Diriger le CNRS pendant quatre ans a été à la fois un honneur et un plaisir, même si les contextes ont varié du tout au tout, de l'anniversaire de nos 80 ans en 2019 à la crise sanitaire actuelle. Le CNRS est une institution unique, une chance pour notre pays. Bénéficiant d'une reconnaissance internationale exceptionnelle, le CNRS doit plus que jamais jouer son rôle, dans une période où la société a besoin de davantage de science.
Un bref regard sur ses 82 années d'existence doit appeler à une grande humilité : chacun doit apporter sa petite pierre à la construction de ce bel édifice qui est avant tout une oeuvre collective. Je ne minimise cependant pas le rôle du président-directeur général, qui doit fixer les grandes orientations, créer des dynamiques, mobiliser les énergies, représenter et faire rayonner l'institution et décider, en recherchant l'adhésion.
C'est dans cet esprit que j'ai présenté ma candidature à un second mandat de président-directeur général. Elle s'inscrit dans la continuité de la politique menée depuis quatre ans, mais sans stagnation, car les chantiers ne manquent pas. Le CNRS d'aujourd'hui n'a plus grand-chose à voir avec celui de Jean Perrin et de Jean Zay. Ces évolutions doivent tenir compte des priorités de l'établissement, en interaction constante avec l'État et en veillant à la complémentarité et aux synergies avec les autres acteurs nationaux et internationaux.
La plupart des pays ont trois types d'acteurs : des universités, des organismes de recherche nationaux - l'institut Max-Planck en Allemagne, l'Académie des sciences en Chine, les National Labs aux USA, le Riken au Japon - et des agences de financement. N'opposons pas les uns aux autres : ils ne sont nullement concurrents, mais doivent au contraire coopérer. Il importe cependant de préciser clairement leurs missions, leurs rôles et leurs périmètres respectifs, pour bâtir un système d'enseignement supérieur, de recherche et d'innovation efficace, reconnu et attractif sur la scène internationale. C'est dans cet esprit que j'ai établi ma proposition de programme pour un éventuel second mandat : la recherche fondamentale au service de la société.
La mission première du CNRS est de conduire des recherches fondamentales et de faire avancer les connaissances. La recherche fondamentale est tout sauf un luxe. La direction doit tout mettre en oeuvre pour que, a minima, le CNRS se maintienne à son niveau international actuel. Pour cela, je propose avant tout de recruter et d'accompagner des talents au meilleur niveau international : c'est vital. Ce meilleur niveau international ne se décrète pas, il se constate. À cet égard, les résultats du CNRS au sein de l'European Research Council (ERC) sont remarquables. Sur l'ensemble du programme « Horizon 2020 », plus de la moitié des lauréats et lauréates exerçant en France sont des salariés du CNRS, alors que nos chercheurs et chercheuses ne représentent qu'un peu plus de 11 % de la communauté académique. Le CNRS est attractif : près d'un tiers des chercheurs et chercheuses permanents que nous recrutons chaque année ont une autre nationalité que la nationalité française ; le brain drain fonctionne bien dans les deux sens.
La plupart des grands pays scientifiques ont des statuts de chercheurs et chercheuses permanents et ceux et celles qui le souhaitent peuvent bien sûr aussi enseigner sur la base du volontariat. C'est ainsi que plus de la moitié des chercheurs du CNRS enseigne. Mais il est essentiel de travailler à la notion de « package d'accueil », au-delà du seul salaire.
Notre politique volontariste visant à offrir aux femmes scientifiques des carrières comparables à celles de leurs collègues masculins devra également être poursuivie.
Le monde international de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation est un savant mélange de coopération et de compétition. La compétition mondiale pour attirer les talents est de plus en plus forte, notamment car les acteurs sont désormais plus nombreux. Regarder ces enjeux à travers le seul prisme de la France ou de l'Europe serait une grave erreur.
Le CNRS doit également jouer un rôle moteur dans l'élaboration et la mise en oeuvre de la feuille de route pluriannuelle des infrastructures de recherche.
Enfin, il faut poursuivre, sans relâche, la promotion de la science ouverte, en sachant faire des différents niveaux de maturité des communautés une opportunité. Je crois aussi qu'il est noble et valorisant d'avoir l'ambition de mettre cette recherche fondamentale au service de la société, qui bénéficie ainsi de l'avancée des connaissances et du progrès. Nous pourrions y travailler selon trois axes.
Tout d'abord, les défis sociaux. Ils font l'objet de beaucoup d'attention et de préoccupation et la science doit contribuer à identifier les pistes les plus prometteuses et à faire émerger des solutions pertinentes. À cet égard, le très large spectre thématique du CNRS est une chance. Il faut mobiliser l'ensemble des instituts du CNRS autour de questions et de projets concrets pour apporter des contributions substantielles aux défis sociaux. C'est ce que nous avons fait en proposant, pour la première fois en 2020, dans le contrat d'objectifs et de performance signé avec l'État, six défis sociaux auxquels nous revendiquons de contribuer : le changement climatique, la transition énergétique, la santé-environnement, les inégalités éducatives, les territoires du futur et l'intelligence artificielle. Nous devons poursuivre cette démarche, en lien notamment avec les objectifs de développement durable des Nations unies ou les priorités de « France 2030 ».
Ensuite, le monde économique. Il a été une priorité de mon premier mandat. Je souhaite poursuivre et accélérer cette politique volontariste, avec, notamment, l'amplification du programme de prématuration. La prématuration est une étape clé pour le transfert qui peut déboucher sur un projet de création de start-up, un projet de valorisation avec une entreprise existante, ou sur rien..., car il faut accepter un taux d'arrêts significatif dans ce type de processus. Il convient également de développer la quantité et la qualité des start-up issues du CNRS - une centaine par an. À cette fin, je propose de créer un « CNRS start-up studio » pour mieux identifier et accompagner les start-up à fort potentiel. Enfin, je souhaite encourager et promouvoir les laboratoires communs avec des industriels - nous en sommes au 200e - : le CNRS continue à y faire de la recherche fondamentale, mais sur des sujets définis avec nos partenaires industriels. Ces laboratoires communs sont un outil essentiel qui contribue à la capacité d'innover des entreprises françaises et à la souveraineté de notre pays.
Enfin, l'aide à la compréhension et à la décision. La crise sanitaire a rappelé l'importance de pouvoir s'appuyer sur la science pour les décideurs et décideuses comme pour les citoyens et citoyennes qui doivent pouvoir se forger une conviction ou simplement mieux comprendre. Je souhaite ainsi rendre pleinement opérationnelle la mission à l'expertise scientifique que nous venons de créer, mais aussi développer les partenariats avec l'ensemble des ministères et autres instances nationales. L'opportunité de créer une chaîne CNRS TV se pose.
Pour relever ces défis, le CNRS doit pouvoir s'appuyer sur trois atouts qui font sa force et qui doivent être soigneusement valorisés.
Premier atout, notre interdisciplinarité. Les grands défis industriels et les grands enjeux sociaux ne peuvent être traités par des approches purement disciplinaires. Or le CNRS couvre tous les champs du savoir. Je souhaite ainsi favoriser les projets et objets d'étude interdisciplinaires, sans création de structure nouvelle. Je propose ainsi un programme transversal sur les données, en tirant parti des expériences et du savoir-faire des instituts.
Deuxième atout, un exceptionnel réseau de partenariats académiques. Le CNRS est le premier partenaire des universités en matière de recherche. Les chercheuses et chercheurs du CNRS contribuent largement au succès des universités françaises dans les classements internationaux. Je souhaite aborder une nouvelle phase des relations avec les universités, avec des partenariats plus individualisés et des stratégies partagées. Il faut notamment veiller aux plus-values résultant de la coopération entre un organisme national d'une part et une université ancrée dans son territoire d'autre part, les deux ayant l'ambition naturelle de rayonner internationalement.
Troisième atout, un ensemble remarquable de coopérations internationales. Le CNRS est un centre de recherche profondément international. Au-delà des recrutements déjà évoqués, je propose de privilégier les coopérations institutionnelles avec un certain nombre d'universités et organismes étrangers de renommée internationale, en nous appuyant notamment sur nos centres de recherche internationaux et nos programmes communs de doctorat PhD. Je propose également de mettre en oeuvre le plan de coopération avec l'Afrique que nous avons finalisé fin 2021. Enfin, il convient de poursuivre notre feuille de route intitulée « Stratégie européenne du CNRS », adoptée en mai 2021 et dont l'objectif est de nous rendre plus performants dans le cadre des quatre piliers d' « Horizon Europe ».
Ce programme vise aussi à recentrer le CNRS sur les activités pour lesquelles son statut d'organisme national est une réelle valeur ajoutée.
De mon point de vue, le CNRS n'est pas là pour permettre aux bons de devenir très bons, mais pour aider les très bons à devenir encore meilleurs au niveau international. Il est certes important d'aider les bons à devenir très bons, mais ce n'est pas le rôle du CNRS : il ne s'agit pas d'obtenir une qualification aux jeux Olympiques, mais d'aider les qualifiés à obtenir une médaille et dans le domaine de la recherche, les jeux Olympiques sont permanents...
S'agissant des moyens, la période 2010-2020 doit nous amener à réfléchir. Mon propos n'est absolument pas polémique, la période couvrant plusieurs gouvernements. La subvention pour charges de service public octroyée au CNRS est certes conséquente - plus de 2,7 milliards d'euros en 2021 -, mais la part prise par la masse salariale limitative est trop importante - 2,3 milliards d'euros en 2021, soit plus de 84 % de la subvention. Cette part n'a cessé d'augmenter depuis 2010 - elle était alors de 80 % -, mais, paradoxalement, le nombre d'emplois est en baisse régulière sur la période. Le CNRS a ainsi perdu, en dix ans, près de 11 % de ses effectifs rémunérés par la subvention pour charges de service public, soit 3 000 postes. Le système actuel n'est ni vertueux ni incitatif : il serait logique qu'une baisse des effectifs se traduise par une hausse de l'enveloppe disponible pour le fonctionnement de la recherche ; or il n'en est rien. Bien au contraire, les marges de manoeuvre du CNRS se sont significativement réduites depuis dix ans et sont aujourd'hui très limitées. Cette situation ne peut évidemment perdurer sur le long terme : le CNRS ne peut voir baisser continuellement à la fois ses effectifs et son budget de fonctionnement et d'investissement, chacun de plus de 1 % par an. Dans le même temps, les ressources propres ont augmenté de plus de 10 %, ce qui démontre le dynamisme de l'établissement et de ses personnels.
La loi de programmation de la recherche a été une première étape dont il convient de se féliciter, mais le compte n'y est pas encore. Notre dépense intérieure de recherche et développement (DIRD) stagne depuis vingt-cinq ans à 2,2 % du PIB, fait unique parmi les grands pays scientifiques. Cela doit nous interpeller, car les activités de recherche et développement (R&D) sont de plus en plus concurrentielles. Cela ne concerne pas uniquement les dépenses publiques : le fameux objectif de Lisbonne prévoyait une DIRD à 3 %, dont 1 % pour les dépenses publiques et 2 % pour les dépenses privées. Que ce soit pour les unes comme pour les autres, seulement trois quarts du chemin ont été accomplis. C'est donc tous ensemble, acteurs publics et privés, que nous devons trouver des solutions, sous peine de voir notre pays perdre son statut de grand pays de science et d'innovation ainsi que sa souveraineté remise en cause. Si je suis renommé à la tête du CNRS, je proposerai aux tutelles d'aborder cette question des moyens dans une perspective pluriannuelle dès le début de mon mandat. Le CNRS a besoin d'un véritable contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens.
Le CNRS est un organisme au meilleur niveau scientifique, reconnu et respecté ; pour autant, il doit continuer à évoluer, comme il le fait depuis sa création. Mon programme s'inscrit clairement dans cette volonté d'évolution, qui s'appuie sur une histoire exceptionnelle. Le CNRS est un acteur unique à bien des égards : il jouit d'une réputation internationale méritée sans égale dans notre pays. Il est une réelle chance pour la France, à une époque où la société a besoin de science. La science peut et doit aider la France à rester une nation prospère et qui compte sur la scène internationale. Avec humilité, conviction et enthousiasme, le CNRS doit contribuer à cet objectif.
Mme Laure Darcos, rapporteur. - Vous avez indiqué vouloir mettre la recherche fondamentale au service de la société. Or la crise sanitaire a distendu le lien entre l'opinion publique et ses savants. La création d'une chaîne CNRS TV permettra-t-elle de lutter contre la désinformation ? Quel est le rôle du CNRS dans les controverses scientifiques ?
Quels changements attendez-vous de la loi de programmation de la recherche ? Quels éventuels manques identifiez-vous ?
Vous avez largement évoqué les liens entre la recherche publique et les entreprises. Quel regard portez-vous sur les instituts Carnot ?
Comment la Fondation CNRS, créée en 2020 pour développer le mécénat scientifique, accompagne-t-elle l'établissement dans ses missions, sachant que la crise sanitaire a profondément affecté tout le secteur du mécénat?
Alors que s'ouvre la présidence française de l'Union européenne (PFUE), quelle est votre conception de la politique de recherche à l'échelle européenne ? Comment envisagez-vous le rôle du CNRS dans ce domaine ?
Sachez que nous soutenons avec force vos initiatives visant à promouvoir les femmes scientifiques.
M. Antoine Petit. - La science est là pour apporter des éclairages. La crise sanitaire doit nous conduire à réfléchir à la place accordée aux scientifiques. Nous avons malheureusement observé une confusion entre science et médecine. Le rôle du scientifique est de nous expliquer ce que nous savons, mais aussi de nous dire ce que nous ne savons pas.
Mme Laure Darcos, rapporteur. - C'est la même chose lorsqu'on demande aux parlementaires de prendre position pour ou contre tel ou tel médecin...
M. Antoine Petit. - La mission de l'expertise scientifique a cet objectif : ramener la parole scientifique à son bon niveau et tâcher de la désindividualiser.
Peut-être la chaîne CNRS TV ne verra-t-elle jamais le jour, mais je constate qu'il manque une chaîne porteuse de saines controverses scientifiques. La science n'est pas de la croyance.
La loi de programmation de la recherche constitue une première étape extrêmement importante, mais le compte n'y est pas ; même le Président de la République l'a reconnu en présentant le plan « France 2030 ». Notre terrain de jeu, c'est le monde : il est indispensable de regarder ce qui se passe à l'étranger. Je pense notamment au nouveau gouvernement allemand, qui s'est fixé un objectif de 3,5 % du PIB pour la DIRD. Point positif, le budget de l'Agence nationale de la recherche (ANR) a régulièrement augmenté.
Mme Laure Darcos, rapporteur. - Tout particulièrement les deux premières années de la programmation, grâce au Sénat !
M. Antoine Petit. - La revalorisation des carrières va également dans le bon sens. Désormais, un Bac + 14 pourra être embauché à deux fois le SMIC : c'est mieux qu'avant, sans être extraordinaire... Or les jeunes scientifiques sont beaucoup plus mobiles qu'avant : c'est pourquoi j'insiste sur la nécessité de construire des « packages d'accueil ».
Nous avons créé des laboratoires communs avec, à parts égales, de grands groupes, des entreprises de taille intermédiaire, et aussi avec de petites entreprises. Mais rassurez-vous, le CNRS continue à y faire de la recherche fondamentale : un problème industriel, c'est souvent une belle question scientifique. Ces laboratoires, complémentaires des start-up, mériteraient d'être encouragés.
L'institut Carnot est un label, apposé sur un laboratoire du CNRS ou d'une université. L'idée est très bonne et pourrait être généralisée, mais le processus est si lourd qu'il exclut certains laboratoires qui entretiennent pourtant des relations avec l'industrie : sa mise en oeuvre pourrait être utilement fluidifiée.
La Fondation CNRS a rencontré un succès qui nous a surpris par son ampleur. Elle abrite de nombreuses petites fondations à vocation scientifique. Je suis optimiste sur son avenir, même si son développement prendra du temps.
Le CNRS est le premier organisme de recherche bénéficiaire des fonds européens, à raison de sa taille, mais aussi de ses résultats. Il est l'un des acteurs majeurs de la construction de l'Europe de la recherche, en partenariat avec ses homologues italien, espagnol et allemand et en lien très régulier avec la Commission européenne. Nous encourageons les mobilités de personnel entre nous.
S'agissant des femmes scientifiques, nous faisons face à deux défis : recruter plus de femmes scientifiques - l'intérêt pour ces carrières doit être préparé dès le plus jeune âge - et, au sein même du CNRS, veiller à ce que leurs carrières soient comparables à celles des hommes. C'est pourquoi nous nous sommes fixé comme objectif de promouvoir non pas autant de femmes que la proportion de candidates, mais autant que leur proportion dans le vivier, afin de lutter contre l'autocensure féminine. Nous avons également installé un search committee qui va aller susciter des candidatures féminines pour prendre la direction des unités.
M. Stéphane Piednoir. - Merci pour ces propos francs et transparents. La recherche est cruciale dans notre société qui a besoin de plus de faits avérés, et moins de discussions de comptoir.
Quels sont les freins au développement du mécénat scientifique ?
La tutelle des unités mixtes de recherche ne mériterait-elle pas d'être simplifiée ? Ne faudrait-il pas en limiter le nombre ?
Mme Sylvie Robert. - La réforme du lycée a fait disparaître les mathématiques du tronc commun. Or la culture mathématique est une culture active qui nécessite d'être entretenue. Quelles peuvent être les conséquences d'une telle réforme sur le nombre de femmes scientifiques ?
Les laboratoires communs permettent à des équipes de recherche de travailler avec des industriels. On pourrait y voir un paradoxe - les uns travaillent sur le long terme, les autres attendent un résultat plus immédiat -, mais je suis convaincue que la recherche fondamentale peut s'inscrire dans un contexte industriel. Néanmoins, quelles en sont les contreparties pour le CNRS ?
Je pensais naïvement que votre contrat d'objectifs et de moyens vous donnait de la visibilité sur trois ou cinq ans. Ne faudrait-il pas demander un contrat pluriannuel afin de vous permettre de vous projeter plus sereinement ?
M. Jean Hingray. - Lors de votre audition il y a quatre ans, vous aviez établi six priorités. Les travaux engagés sur la pluridisciplinarité ont-ils abouti ? Vous aviez alors défini des indicateurs précis : en disposez-vous toujours ?
En 2020, la loi de programmation de la recherche a créé les chaires de professeur junior afin d'améliorer l'attractivité des carrières. Un budget de 150 000 euros doit y être consacré. Selon quel calendrier ces postes seront-ils créés ?
Quel impact la crise a-t-elle eu sur votre gestion des ressources humaines et vos actions de coopération internationale ?
M. Pierre Ouzoulias. - Le Sénat s'est prononcé en faveur de l'intégrité scientifique et de la prévention des potentiels conflits d'intérêts : je tiens donc à préciser que je suis au CNRS, mais que je n'en perçois aucun émolument.
La compétence du CNRS sur l'ensemble des champs disciplinaires est cruciale : des recherches en grammaire latine peuvent contribuer aux réflexions sur l'intelligence artificielle. Comme on dit en rugby, les ailiers et l'arrière ont besoin du pack des avants... Le CNRS, ce sont 41 sections qui fournissent une expertise unique en France. Je vous invite à consulter les publications du CNRS sur l'état de l'art dans chaque discipline qui, tous les cinq ans, font le point sur les avancées de la recherche.
Le débat sur un éventuel transfert des équipes de recherche du CNRS aux universités a récemment ressurgi à la faveur de travaux de la Cour des comptes. C'est un débat très ancien qui remonte à la fondation du CNRS, le 19 octobre 1939... Mais comment un tel transfert permettrait-il au CNRS d'assumer son rôle majeur de coordination, de planification et de programmation de la recherche nationale ? Nous avons besoin d'un État pilote.
M. Laurent Lafon, président. - Comment approfondir le travail commun entre le CNRS et les entreprises privées ?
M. Antoine Petit. - Je précise que nous n'avons pas un contrat d'objectifs et de moyens, mais un contrat d'objectifs et de performance. La différence est importante, or nous avons besoin d'une vision pluriannuelle : de nombreux départs à la retraite sont programmés et la configuration scientifique du CNRS devra changer. Mais un consensus semble se dégager.
La concurrence internationale est réelle et nous devons attirer les meilleurs. Les chaires de professeur junior ont l'avantage de proposer un package de 200 000 euros fourni par l'ANR. Idéalement, un tel package devrait être également attribué aux jeunes recrutés du CNRS : à raison de 200 000 euros pour 250 nouveaux recrutés chaque année, c'est un budget annuel supplémentaire de l'ordre de 50 millions d'euros qu'il faudrait y consacrer. C'est à la fois beaucoup et peu au regard du budget du CNRS. Nous avons choisi d'abonder les chaires en partenariat sous la forme d'une allocation de thèse, pour un budget de 150 000 euros.
L'interdisciplinarité et la pluridisciplinarité doivent être fondées sur des disciplines de grande valeur. Les questions posées par la société ne sont jamais purement disciplinaires, c'est le cas du changement climatique ou des problèmes industriels de matériau. Il revient à la direction générale d'éviter la tendance naturelle au travail en silos thématiques. Le CNRS pilote ou copilote d'ailleurs deux tiers des programmes et équipements prioritaires de recherche (PEPR). Nous travaillons par exemple sur le stockage post-silicium qui implique des biologistes, des chimistes, des mathématiciens, des informaticiens, des traiteurs de signaux, etc.
Nous ne sommes pas prestataires de services pour le secteur industriel. Nous travaillons par exemple sur l'atténuation du bruit avec réutilisation de l'énergie absorbée.
Mme Sylvie Robert. - Les durées de partenariat sont-elles contractuelles ?
M. Antoine Petit. - Certains partenariats ont plus de vingt-cinq ans. Je pense à notre travail avec Thalès sur le plateau de Saclay. Le CNRS n'est pas sur un modèle court-termiste : l'ARN messager a été découvert en 1961 ; le deep learning s'appuie sur des découvertes d'il y a trente ans... Le retour est indirect : si l'industriel gagne un marché, le retour à la collectivité nationale se fera via les impôts, qui abondent le budget du premier actionnaire du CNRS.
Nous devons rester vigilants sur la nature de ces recherches partenariales. Mais si nos chercheurs s'y investissent, c'est qu'il s'agit le plus souvent de jolies questions scientifiques. Si la science, via ces recherches, réalise des innovations de rupture qui seront différenciantes pour l'industrie française, nous sommes dans notre rôle.
Mme Sylvie Robert. - Je ne pensais pas forcément à un retour financier, mais plus largement à la question des brevets et des licences. Je sais que la recherche s'inscrit dans le temps long. Mais les attentes des acteurs sont de nature différente.
M. Antoine Petit. - Le CNRS est le premier co-dépositaire de brevets avec des industriels. Mais cela n'est pas la mission première du CNRS de déposer des brevets, car il ne dispose pas de l'assise financière suffisante pour les défendre. En revanche, le brevet est souvent codéposé avec l'industriel, qui en assume la prise en charge financière. Aucune grande université ne tire de revenus significatifs de ses licences. Mais ces brevets créent de la valeur et des emplois, c'est un retour indirect.
Jamais nous n'avons eu autant besoin des mathématiques, notamment pour la modélisation. Nous observerons les conséquences des décisions prises dans cinq ou dix ans. Tâchons de conserver la renommée internationale de notre école mathématique, c'est un atout.
Le comité national de la recherche scientifique est effectivement une chance. L'excellence scientifique est déterminée avant tout par l'évaluation par les pairs. La qualité scientifique d'un travail est décrétée par la communauté. Il faut se méfier des indicateurs trop quantitatifs.
Le mécénat est empêché quant à lui pour des raisons principalement culturelles. Même si le Sénat proposait un abattement fiscal spécial pour le mécénat scientifique, cela ne suffirait pas à débloquer la situation ! La mobilisation de chacun est requise pour défendre ce mécénat. La situation est complexifiée en outre par le fait que de nombreuses entreprises disposent de leur propre fondation. Il convient également de préciser l'offre que la Fondation CNRS peut proposer aux industriels.
L'intégrité scientifique est par ailleurs un élément clé. La société doit avoir confiance en la science. Nous nous devons donc d'être intègres, ce n'est pas une option. Une certaine vigilance est donc de mise en la matière, ainsi qu'une réelle sévérité à l'égard des tricheurs - peu nombreux, mais qui existent.
Lorsqu'un directeur de recherche au CNRS s'exprime en tant que tel, son discours est écouté d'une façon particulière. Il est donc dangereux pour lui de parler, à ce titre, de sujets qui ne relèvent pas de sa compétence. Nous nous efforçons de sensibiliser les jeunes chercheurs à cette question déontologique.
Les tutelles sont effectivement nombreuses en France. Cependant, le paysage n'est guère plus simple à l'étranger, comme en témoigne l'exemple de l'Allemagne. La question des tutelles des unités mixtes de recherche (UMR) n'est par ailleurs pas nouvelle : François d'Aubert avait rédigé un rapport à ce sujet en 2008. Au-delà des UMR, la montée en puissance des universités nous pousse à réfléchir à la meilleure façon d'élargir la palette de nos outils de coopération. Or le système actuel souffre en la matière d'une certaine lourdeur, particulièrement au niveau européen, du fait du grand nombre de tutelles impliquées. Nous nous efforçons de simplifier ce dispositif. À ce titre, il serait bon que le CNRS intervienne davantage en tant que tutelle secondaire, sur des plateformes ou des secteurs particuliers. Des progrès ont été réalisés dans ce domaine, mais ce n'est pas simple.
M. Stéphane Piednoir. - Cela devrait pouvoir se faire progressivement.
M. Antoine Petit. - Effectivement. Il faut poursuivre la simplification du paysage universitaire, dans la ligne de la création de l'université Paris-Saclay, première université française au classement de Shanghai, et encourager la confiance entre les différents acteurs.
Lorsque le CNRS se voit confier deux tiers des PEPR, il agit davantage comme une « agence de programmes » que comme l'agence de financement qu'est l'ANR. Il joue alors pleinement son rôle, car il dispose d'une vision nationale essentielle pour la conduite de ces programmes.
Enfin, au-delà du niveau national, une réflexion européenne est requise sur plusieurs sujets porteurs de grands enjeux, comme la physique quantique, compte tenu des investissements nécessaires.
M. Yan Chantrel. - Merci pour la clarté de vos propos. Quelle politique partenariale pourriez-vous développer pour renforcer les coopérations du CNRS avec les établissements scientifiques des pays du Sud ?
La ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation a diligenté une enquête auprès du CNRS visant à distinguer « ce qui relève de la recherche académique et ce qui relève du militantisme et de l'opinion ». « Fliquer » les chercheuses et les chercheurs, est-ce une philosophie à laquelle vous adhérez ?
M. Antoine Petit. - À question sans nuance, réponse sans nuance : « non » !
La question de la séparation entre science et opinion est complexe. Les chercheurs ont des opinions, comme tout un chacun. Ils doivent donc savoir s'arrêter pour ne pas mélanger leur discours scientifique et leur parole de simple citoyen, car ils n'ont pas le droit d'entretenir à cet égard une confusion. Il est néanmoins difficile d'y parvenir. Sur de nombreux sujets - le réchauffement climatique, par exemple -, une certaine vigilance est de mise, car il n'appartient pas aux scientifiques de prendre des décisions.
La reconnaissance dont le CNRS, fort de son ancienneté, bénéficie à l'international lui permet de construire des partenariats avec les meilleurs établissements à travers le monde. Il est vrai toutefois qu'il enregistre en la matière un déficit à l'égard des pays d'Afrique. Un plan pluriannuel de coopération avec l'Afrique a d'ailleurs été présenté au conseil d'administration en décembre dernier. Il recouvre plusieurs enjeux : la coconstruction avec les partenaires africains - il ne nous revient pas de leur expliquer ce dont ils ont besoin -, la nécessité d'une plus large couverture thématique - des sujets comme le numérique ou les matériaux pourraient par exemple être davantage traités - et enfin la nécessité de mettre la recherche au service des sociétés africaines, ce qui implique de travailler avec les industriels afin de créer de la valeur et des emplois sur le sol africain. Ce dernier point ne constitue pas la mission première du CNRS, mais nous devons travailler aussi dans cet esprit.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Vote sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Antoine Petit aux fonctions de président du Centre national de recherche scientifique
M. Laurent Lafon, président. - Nous avons procédé à l'audition de M. Antoine Petit, dont la nomination est envisagée par le Président de la République pour exercer les fonctions de président du CNRS.
Nous allons désormais procéder au vote.
Le vote se déroulera à bulletin secret, comme le prévoit l'article 19 bis du Règlement du Sénat, et les délégations de vote ne sont pas autorisées, en vertu de l'article 1er de l'ordonnance n° 58-1066 du 7 novembre 1958 portant loi organique autorisant exceptionnellement les parlementaires à déléguer leur droit de vote.
Le dépouillement se déroulera de manière simultanée avec la commission des affaires culturelles et de l'éducation de l'Assemblée nationale, à l'issue de l'audition de M. Petit à l'Assemblée nationale.
L'article 13 de la Constitution dispose que le Président de la République ne pourrait procéder à la nomination de M. Petit, si l'addition des votes négatifs de chaque commission représentait au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés dans les deux commissions.
Il est procédé au vote.
La réunion est close à 10 h 30.
Dépouillement du scrutin sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Antoine Petit aux fonctions de président du Centre national de recherche scientifique
La réunion est ouverte à 12 h 10.
La commission procède au dépouillement du scrutin sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Antoine Petit, aux fonctions de président du Centre national de recherche scientifique, simultanément à celui de la commission des affaires culturelles et de l'éducation de l'Assemblée nationale.
Les résultats du vote à bulletin secret, dépouillé à l'issue de l'audition de M. Petit par la commission des affaires culturelles et de l'éducation de l'Assemblée nationale, sont les suivants :
- nombre de votants : 30
- nombre de suffrages exprimés : 28
- pour : 28
- contre : 0
La réunion est close à 12 h 20.