jeudi 27 janvier 2022
- Présidence de M. Stéphane Artano, président -
Étude de la délégation sur la place des outre-mer dans la stratégie maritime nationale - Table ronde sur les câbles sous-marins
M. Stéphane Artano, président. - Mes chers collègues, mesdames, messieurs. Comme vous le savez, la Délégation sénatoriale aux outre-mer a engagé depuis octobre dernier une étude sur la place des outre-mer dans la stratégie maritime nationale, dont Philippe Folliot, Annick Petrus et Marie-Laure Phinera-Horth sont les rapporteurs.
Nous avons déjà procédé à une quinzaine d'auditions ou de tables rondes en vue de la restitution de leurs travaux le 24 février prochain. Nous achevons ce cycle ce matin, en organisant une table ronde dédiée aux câbles sous-marins, compte tenu de leur importance croissante et des défis qu'ils représentent sur de très nombreux plans : techniques, financiers, économiques, géopolitiques.
Je suis particulièrement heureux d'accueillir les membres de la Mission d'information sur l'exploration, la protection et l'exploitation des fonds marins présidée par Michel Canévet, et dont le rapporteur, Teva Rohfritsch, est également vice-président de notre délégation.
Cette invitation traduit la complémentarité de nos travaux - et je m'en félicite - sur des enjeux essentiels pour l'avenir de notre pays. La mission d'information qui s'est constituée ce mois-ci a en effet prévu d'achever ses travaux en juin prochain.
Je vous rappelle que l'étude de notre délégation porte sur les liens étroits entre nos outre-mer et la stratégie maritime nationale, les atouts qu'ils représentent pour la France, et les perspectives qui s'offrent à nous au cours de ce siècle, dont on dit qu'il sera maritime.
La présidence française du Conseil de l'Union européenne qui vient de commencer doit aussi être l'occasion de mieux intégrer cette dimension maritime et ultramarine dans les politiques communautaires ainsi que la dimension stratégique des câbles sous-marins.
Dans le cadre de la présente table ronde, nous allons entendre successivement : Camille Morel, chercheuse en relations internationales à l'Université Jean-Moulin-Lyon 3, Alain Biston, président d'Alcatel Submarine Networks, Stéphane Lelux, président du groupe Tactis-Innopolis, Jean-Luc Vuillemin, vice-président exécutif d'Orange Marine, qui est accompagné de Carole Gay, responsable des relations institutionnelles.
Pour le bon déroulement de notre table ronde, nous procéderons en deux temps. Chacun d'entre vous disposera d'une dizaine de minutes pour un propos introductif, puis nos rapporteurs vous interrogeront pour obtenir des éclairages complémentaires en s'appuyant sur le questionnaire qui vous a été transmis. Enfin, nous aurons un temps d'échange avec nos collègues qui souhaiteraient vous poser d'autres questions. Je vous précise que cette table ronde est diffusée en direct sur le site Internet du Sénat et sur Facebook.
Je donne la parole au président Michel Canévet pour compléter mon propos introductif.
M. Michel Canévet. - Merci monsieur le président. Le Sénat est préoccupé par les questions maritimes. Le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants (RDPI) du Sénat a ainsi initié la création d'une mission d'information sur l'exploration, la protection et l'exploitation des grands fonds marins. Nous avons engagé notre dialogue avec des scientifiques, après avoir auditionné les autorités nationales la semaine dernière. Le sujet important des câbles sous-marins a déjà été évoqué. La France dispose en la matière d'opérateurs de très haut niveau, qui peuvent contribuer à enrichir nos connaissances des fonds sous-marins. Nos précédentes auditions nous ont permis de prendre conscience des nombreux éléments qui restent méconnus dans ce domaine. Nous comptons sur votre expertise et le potentiel de vos installations pour nous éclairer.
Nous pouvons nous appuyer ici sur deux leaders mondiaux avec Alcatel Submarine Networks (ASN) et Orange Marine. Nous sommes attentifs à leur place face aux GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft), qui souhaitent investir dans ce secteur grâce à leurs moyens considérables, dans le but d'obtenir de la data. Nous souhaitons également bénéficier de votre regard sur les perspectives ouvertes par le plan France 2030. Celui-ci a en effet érigé les fonds marins comme l'une des priorités vers lesquelles notre pays doit accroître son effort.
Par ailleurs, Teva Rohfritsch, rapporteur de la Mission et sénateur de Polynésie, qui n'a pu nous rejoindre, souhaitait évoquer le droit applicable aux câbles sous-marins, régi par la Convention internationale pour la protection des câbles sous-marins de 1884, et par la Convention de Montego Bay de 1982. Cet encadrement juridique est-il adapté à vos besoins et contraintes ?
À la différence de la France, les États-Unis et Hong Kong ont mis en place une autorité unique, compétente pour les enjeux liés aux câbles sous-marins (prévention des risques, coordination en cas d'accident, conseil aux acteurs). Peut-on retenir pour la France des leçons de cette méthode ?
M. Stéphane Artano, président. - Je ne doute pas que cette Mission mettra à profit les travaux qui pourraient être engagés. Nous pouvons commencer notre tour de table, avec Camille Morel.
Mme Camille Morel, chercheuse en relations internationales à l'Université Jean-Moulin-Lyon 3. - Je vous remercie de m'avoir invitée à partager avec vous mes travaux de recherche. Je suis honorée d'être présente en tant que chercheuse, mais aussi en tant que citoyenne.
Le sujet qui nous occupe aujourd'hui est présent dans l'actualité, les îles Tonga ayant été récemment déconnectées de l'Internet à la suite d'un tsunami découlant d'une éruption volcanique. Cet événement nous amène à plusieurs réflexions :
- les territoires isolés, notamment du Pacifique, sont vulnérables quand il s'agit des communications internationales ;
- nos sociétés sont très dépendantes au numérique, particulièrement pour solliciter des secours ;
- il est difficile de confronter les besoins identifiés de résilience et de connectivité supplémentaires à la réalité économique.
Le sujet des câbles sous-marins est de plus en plus présent dans l'actualité, car notre société se révèle de plus en plus dépendante à ces câbles dans ses activités quotidiennes (économiques, bancaires, financières, sociales, administratives, militaires). Cette dépendance accroît notre vulnérabilité et suscite des intérêts grandissants, comme le montre l'arrivée des géants de l'Internet sur ce marché. Les révélations de « l'affaire Snowden » en 2013 ont également démontré leur importance économique, quand a été mise en évidence la captation d'informations à partir de ces infrastructures stratégiques.
Ce renouveau d'attention se concrétise par la politisation du sujet sur la scène internationale, mais aussi au niveau régional. Celui-ci est abordé dans les débats des Nations Unies sur les questions environnementales et le partage des activités maritimes, dans les discussions menées au sein de l'OTAN sur les questions de défense, mais aussi dans les échanges entre membres de l'Union européenne sur des thèmes comme la souveraineté ou la protection des infrastructures critiques.
La politisation du sujet provoque l'intérêt des médias, ce qui permet de combler certaines lacunes, mais attire aussi l'attention sur des infrastructures jusqu'ici protégées par leur invisibilité.
L'autre point que je souhaitais aborder concerne l'état général de la connectivité des outre-mer, qui se révèle très hétérogène. La résilience et la vulnérabilité des différents câbles sont très disparates. En 2022, Wallis-et-Futuna, la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française et Saint-Pierre-et-Miquelon disposent chacun d'un câble sous-marin, la Guyane de deux câbles actifs, la Guadeloupe, La Réunion et Mayotte de trois câbles, et la Martinique de quatre.
Une éventuelle stratégie maritime portant sur ces câbles sous-marins ne pourrait donc suivre qu'une réflexion plurielle, au cas par cas, qui intégrerait les atouts et les faiblesses locaux, qu'ils soient économiques, environnementaux, géopolitiques ou sociaux.
La question de la vulnérabilité des câbles sous-marins recouvre plusieurs aspects : le nombre de câbles, la diversité des fournisseurs, des pays reliés et des points d'arrivée, pour favoriser la résilience des territoires concernés.
Concernant les menaces qui pèsent sur les câbles sous-marins et leur protection - des enjeux qui vous intéressent particulièrement - il me paraît important de prendre en compte la dualité de cette infrastructure. Il faut penser les menaces internes en termes de contenant et de contenu, le contenant renvoyant à l'intégrité physique de ces câbles (coupures, endommagements, détournements d'usage), et le contenu à l'intégrité des données transportées (problématiques de la souveraineté, du renseignement, de la collecte, de la censure, de la saturation du réseau).
Plusieurs axes d'amélioration sont envisageables, comme le renforcement des partenariats public-privé sur le plan de la recherche et du développement, le partage capacitaire, la coordination des moyens, et la compréhension de ce système très complexe qui relève aujourd'hui du privé.
La problématique de la souveraineté en matière numérique, en particulier pour les câbles sous-marins, est délicate. Elle doit être abordée dans un système global de communications internationales comprenant les data centers, les infrastructures terrestres, les satellites, etc.
Les câbles sous-marins présentent une dimension internationale évidente : ils relient au moins deux États l'un à l'autre. La réflexion doit donc porter sur l'origine de ces câbles (initiateur, fabricant), aux pays reliés, aux routes suivies, à leur capacité.
S'agissant de la coordination institutionnelle, je rappellerai que le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), tout comme le Secrétariat général de la mer (SGMer) jouent un rôle de coordinateur sur différentes problématiques. Ces fonctions de coordination sont naturelles et historiques : elles remontent à l'époque du télégraphe pour leurs prédécesseurs. Seules ces entités semblent aptes à monter en puissance sur le sujet des câbles sous-marins, ce qui ne prive pas de leurs prérogatives les différents ministères ou services qui peuvent continuer à travailler sur ce domaine. Cette coordination existe aujourd'hui, et donne au Gouvernement une impulsion qui permet de combler le retard que nous accusons par rapport à d'autres États.
Cette coordination est d'autant plus importante que le sujet prend toujours plus d'ampleur sur la scène internationale et qu'il est nécessaire de dépasser le simple cadre national.
M. Stéphane Artano, président. - Merci Madame. Je laisse maintenant la parole à Alain Biston.
M. Alain Biston, président d'Alcatel Submarine Networks (ASN). - Nous avons la chance de posséder en France et en Europe le leader mondial des câbles sous-marins, ce qui nous assure la connaissance technique de leur réalisation, de leur installation et de leur maintenance. Sur ces deux derniers points et pour plusieurs projets, nous travaillons avec Orange Marine.
Il est essentiel de rester vigilant sur la problématique de la souveraineté et de s'assurer, au regard de l'importance des demandes d'évolution technologique, qu'ASN demeure le leader mondial, en part de marché mais aussi en termes de compétences techniques. Quel que soit le projet, nous disposons, en France et en Europe, des compétences pour le réaliser.
Concernant les territoires d'outre-mer, j'ai connaissance de dix-huit programmes de câbles sous-marins, dont quinze ont été réalisés par ASN, en grande partie en collaboration avec Orange Marine pour la pose. Il faut être attentif au sujet de la redondance de ces infrastructures sur chacun des territoires, mentionné par Camille Morel : nous avons en effet constaté avec l'exemple des Tonga que disposer d'un seul câble s'avère insuffisant.
En tant qu'équipementiers, nous souhaitons évoquer un certain nombre de procédures communes. Aujourd'hui, chaque pays s'est doté de sa propre réglementation pour la pose d'un câble, y compris au sein de l'Europe. De plus, les enjeux écologiques et environnementaux se traduisent dans certains pays par des procédures qui peuvent durer deux ou trois ans. Ainsi, lorsqu'il faut prendre en compte les autorisations nécessaires, les périodes à respecter ou encore les zones protégées (par exemple, pour la ponte des tortues), il peut ne rester qu'une « fenêtre » d'un mois pour poser le câble. Si l'on manque ce créneau, le projet peut se retrouver reporté d'un an.
Simplifier tous ces aspects administratifs constitue donc pour un équipementier comme ASN un point important si nous souhaitons accélérer l'installation d'un certain nombre de câbles. Certains projets menés conjointement avec Orange Marine sont réalisés au bout de trois ou quatre ans après avoir été planifiés.
Par ailleurs, ASN travaille avec le ministère de la mer sur le projet Grands Fonds marins. Nous collaborons notamment avec Ifremer pour étudier la possibilité d'utiliser ces câbles sous-marins dans le cadre de la recherche sur le changement climatique. Ces câbles étant en place dans toutes les mers du globe, nous réfléchissons à l'opportunité de poser des capteurs pour récupérer des informations (températures, pressions, échanges sismiques) sur des endroits aujourd'hui inaccessibles.
M. Stéphane Artano, président. - Merci monsieur Alain Biston. Je laisse maintenant la parole au président du groupe Tactis, Stéphane Lelux.
M. Stéphane Lelux, président du groupe Tactis-Innopolis. - Je vous remercie de me donner la parole au titre de Tactis, mais aussi en tant que président du groupe de travail international du Comité stratégique de filière des infrastructures du numérique. Ce comité, dont font partie ASN et Orange Marine, se consacre à la promotion internationale du savoir-faire français. Nous oublions parfois que les industries françaises des télécommunications demeurent des puissances européennes.
Je rappelle dans un premier temps, et nous l'avons constaté avec la crise sanitaire, que nous faisons face à une transformation numérique de nos sociétés. Cependant, comme l'ont précisé Camille Morel et Alain Biston, nous sommes également confrontés à une nette disparité entre les différents territoires, et notamment ultramarins.
On compte aujourd'hui près de cinq milliards d'internautes, soit un milliard de plus qu'il y a trois ans. En raison de la crise sanitaire, les prévisions ont été dépassées de douze mois : la croissance dans ce domaine est beaucoup plus importante que prévu, et cette accélération se poursuit. La vidéo représente plus de 80 % du trafic mondial sur Internet. Ces vidéos sont consultées principalement sur des smartphones et des téléphones, qui sont plus de onze milliards à être connectés dans le monde. D'autres usages sont très sensibles (santé, sécurité, développement économique, etc.).
Le trafic Internet à l'échelle mondiale est devenu le pétrole des temps actuels. Ces transmissions de données présentent en effet des enjeux équivalents à ceux qui portaient sur les approvisionnements carbonés du XIXe siècle. Un pays en incapacité d'approvisionner son industrie peut fragiliser son économie. Ces infrastructures, que nous cherchons à protéger, peuvent être comparées, de par leur importance, aux ports pétroliers ou gaziers du XIXe siècle.
Cette constatation contrebalance mon propos liminaire sur un usage principalement récréatif de l'Internet. Pourtant, nous parlons bien d'une transformation profonde de nos sociétés. Les câbles sous-marins constituent les clés de cette transformation, puisqu'ils acheminent près de 99 % du trafic mondial, contre 1 % seulement pour les satellites, même si ces derniers sont également utiles.
Nous ne disposons pas d'une capacité suffisante de résilience en cas de coupure totale d'un câble. Si ces câbles deviennent des éléments structurants du développement de nos sociétés, leur caractère indispensable constitue aussi une fragilité.
Concernant les disparités qui peuvent exister dans ce domaine, nous avons mené en 2014 et 2015 une étude sur la continuité territoriale numérique pour l'Agence du numérique et la Caisse des Dépôts. Nous avons ainsi constaté que le consentement à payer d'un opérateur pour la bande passante correspond environ à 5 % du revenu moyen mensuel d'un abonné, soit approximativement deux euros. Le service Internet dépend donc de la capacité du fournisseur d'accès à Internet (FAI) à acheter à bon marché de la bande passante issue des câbles sous-marins. Si l'opérateur peut investir ces 5 % dans les câbles sous-marins, il ne bénéficie pas du même tarif d'achat de la bande passante à Nouméa, Papeete ou Paris.
Les GAFAM investissent en surcapacité. Dans ces conditions, les prix devraient baisser en conséquence. Tel est le cas, mais ce constat ne se vérifie pas dans toutes les régions du monde. Nous estimons aujourd'hui que seuls 30 % des câbles sont utilisés. Nous avons comme défi de sécuriser ces routes, les approvisionnements, d'assurer des prix compétitifs, mais nous devons également être attentifs aux routes qu'empruntent ces données et à leur sécurisation.
La fragilité des câbles a été mise au jour avec les révélations d'Edward Snowden en 2012 et 2013. Rien n'est en effet plus simple que de couper un câble sous-marin. Aujourd'hui, des pylônes de téléphonie mobile sont incendiés, des noeuds de réseau fibre sont coupés. Certes, les câbles ne sont pas attaqués, mais ils sont très fragiles. Il serait ainsi très facile pour une puissance étrangère ou un groupe malveillant de couper un câble. Pour prévenir de possibles incidents, il convient de diversifier les câbles et multiplier les routes. Si le fait de disposer de deux câbles peut procurer un sentiment de sécurité, la réalité est tout autre.
Par ailleurs, au regard des menaces représentées par les écoutes menées depuis 15 ou 20 ans, ces routes sont problématiques. Aujourd'hui, l'Angleterre possède une cinquantaine de câbles sous-marins, soit deux fois plus que la France. Le même constat prévaut pour les data centers. Les États-Unis, avec 40 % des data Internet, sont les leaders mondiaux en la matière. Ils hébergent également dix des treize serveurs de route Internet. Nos données transitent ainsi par les États-Unis ou l'Angleterre : environ 80 % des échanges intra-européens passent par l'Amérique du Nord. L'enjeu géopolitique est donc considérable. Les Américains se sont dotés d'une « Team Telecom » qui examine avec attention les projets de routes transitant par les États-Unis, pour vérifier la présence éventuelle d'intérêts chinois. Une autorisation est donnée ensuite en fonction de cet examen.
Nous devons donc à la fois être ouverts sur le monde et ne pas faire preuve de naïveté, accepter de commercer avec le monde entier tout en restant vigilants sur les règles. Or l'Europe a parfois tendance à oublier cette vigilance. Le sommet Afrique-Europe prévu à Bruxelles en février peut se révéler intéressant sur ce point. Alors que l'Afrique a vécu une décolonisation politique à partir des années 1950, les deux continents connaissent aujourd'hui une situation comparable de « colonisation numérique » et ont ainsi perdu une partie de leur souveraineté.
En outre-mer, les territoires ont joué un rôle important, notamment dans les échanges entre public et privé. Je citerai deux exemples. À la fin des années 1990, l'île de La Réunion n'était pas incluse dans le projet SAFE pour lequel il n'était pas prévu de branching unit pour raccorder le territoire. Il a fallu une mobilisation politique des autorités réunionnaises pour convaincre l'opérateur historique de relier l'île dans le cadre de ce projet. Autre exemple à Mayotte, avec un projet lancé par des opérateurs privés il y a quelques années : là encore, il n'était pas prévu de relier l'île, mais l'intervention des autorités locales a permis de prolonger ce projet privé jusqu'à Mayotte.
L'action public-privé peut donc aider à désenclaver des territoires mal desservis, tout en travaillant sur une dimension géostratégique. Par exemple, les Caraïbes sont aujourd'hui au coeur de batailles stratégiques et techniques. La Martinique, avec ses sept câbles, peut devenir un hub de la région. La Guadeloupe est partie prenante d'une concession, Global Caribbean Network, dont le contrat arrive à terme fin 2022. Dans ce cadre, quelles actions peuvent mener ces territoires, parallèlement aux acteurs privés, dans une sous-région où les relations avec l'Amérique du Nord sont quelquefois difficiles ? Les territoires français possèdent le potentiel pour agréger des projets dans le domaine, et ce jusqu'à la Guyane et l'Amérique du Sud.
Ces câbles sont devenus des éléments essentiels de notre économie. Nous devrons donc travailler plus efficacement dans les prochaines années avec les écosystèmes privés, car nous disposons de moyens peu nombreux, et nous devons les utiliser pour agir de manière optimale avec des partenaires régionaux. Il existe des projets de routes directes vers l'Afrique, mais aussi dans le Pacifique sud entre l'océan Indien et l'Amérique du Sud sans passer vers les routes du Nord, considérées comme sécuritairement sensibles. Ces programmes peuvent constituer des opportunités importantes pour la Nouvelle-Calédonie ou la Polynésie française, et peuvent accorder à l'Europe un rôle pivot auprès de partenaires sud-américains sensibles aux questions d'indépendance et d'approvisionnement numérique.
M. Stéphane Artano, président. - Merci monsieur Lelux. Nous allons terminer ce premier tour de table avec Jean-Luc Vuillemin, vice-président exécutif d'Orange Marine.
M. Jean-Luc Vuillemin, vice-président exécutif d'Orange Marine. - Merci de me donner l'occasion d'évoquer la problématique globale des câbles sous-marins dans le domaine des outre-mer français, et du rôle majeur qu'y joue Orange. Je rappelle que ce rôle est double, puisque qu'Orange est un opérateur qui finance la réalisation d'infrastructures, leur mise en service et leur exploitation, mais aussi un acteur industriel avec Orange Marine, opérateur maritime qui dispose de sa propre flotte au service des infrastructures d'Orange.
Je souhaite en préambule dissiper quelques idées préconçues. La problématique est complexe, mêlant aspects politiques, économiques et de souveraineté. Un câble sous-marin est une infrastructure, mais surtout un moyen de mise en relations d'utilisateurs d'un service numérique et de contenus, chacun localisé sur des territoires distincts. Pour qu'un câble sous-marin ait une efficacité opérationnelle et économique, il faut que ce besoin de connectivité existe. Je rappelle que 80 % du trafic généré par les internautes français métropolitains est à destination des États-Unis. Les données, applications, services, sont en effet localisés majoritairement en Amérique du Nord. Nous pouvons à cet égard regretter le manque d'ambition politique nationale concernant le stockage des données des internautes français. Ce constat s'applique également aux outre-mer, avec des chiffres identiques : 80 % du trafic des internautes guyanais est à destination des États-Unis, 20 % seulement à destination de la métropole. Vouloir renforcer la compétitivité économique de la Guyane en augmentant le nombre de câbles entre le territoire et la métropole est donc une idée simpliste. En revanche, il existe un besoin important de connectivité vers les États-Unis, qui doit être fortifié.
Camille Morel a mentionné la diversité des situations des territoires ultramarins. Nous pouvons néanmoins distinguer grossièrement les départements et les régions d'outre-mer (DROM) d'un côté, et les autres territoires de l'autre. Je rappelle l'engagement très fort d'Orange auprès des DROM d'assurer, en tant qu'opérateur local, la connectivité de ces territoires, et de maintenir pour chacun au minimum deux câbles actifs en permanence. C'est le cas en Martinique, en Guadeloupe, en Guyane, à La Réunion et à Mayotte. Ces investissements sont très importants, comme pour le câble Kanawa reliant la Martinique et la Guyane, entièrement financé par Orange à hauteur de près de 60 millions d'euros.
Il n'existe pas de modèle économique du câble sous-marin en tant que tel. Il ne peut se concevoir qu'en complément d'une activité d'opérateur de services sur un territoire. Orange intègre ainsi la problématique de la connectivité internationale, qui représente un coût additionnel, neutralisé pendant un certain temps par des subventions publiques. Je regrette que ce dernier mécanisme, particulièrement efficace, ait été abandonné ces dernières années.
S'agissant de la problématique de la souveraineté, il nous faut également nous méfier des idées préconçues. Alain Biston a rappelé que la France était un pays leader de l'industrie des câbles sous-marins. Nous possédons en effet les capacités nécessaires pour fabriquer nos câbles, pour les installer grâce aux flottes d'ASN et d'Orange Marine, et pour en assurer la maintenance. Nous bénéficions également d'une politique très forte d'attractivité du territoire national, grâce au travail remarquable mené par le SGDSN. Je pense néanmoins que des actions complémentaires peuvent être envisagées, notamment sur les procédures administratives. Ces dernières sont par ailleurs coûteuses, l'atterrissage d'un câble sous-marin sur le territoire national étant soumis à une redevance, quand d'autres pays le subventionnent.
La flotte constitue une autre problématique. L'âge moyen des navires câbliers dans le monde est de 34 ans. Chaque unité coûte entre 50 et 70 millions d'euros. Les contraintes opérationnelles pour ces navires sont de plus en plus complexes compte tenu des problématiques environnementales. Orange a lancé la construction d'un nouveau navire câblier conçu pour opérer en Méditerranée, mer fermée et très sensible aux pollutions. Ce bateau répond donc dans sa conception à des contraintes environnementales très fortes.
L'activité des câbles sous-marins nécessite une politique de soutien, avec des dispositifs d'incitation, de simplification administrative, d'attractivité du territoire, voire de financement sur des destinations où le modèle économique n'est pas viable. Il convient de ne pas oublier l'enjeu maritime avec les problématiques du renouvellement de la flotte et de l'attractivité du pavillon français. Je rappelle cette phrase un peu provocante : armer un navire sous pavillon français est, certes, un acte de patriotisme, mais non un acte en accord avec la réalité économique. Certains pavillons, y compris en Europe, sont de 30 à 40 % moins onéreux que le pavillon français.
M. Stéphane Artano, président. - Merci à vous tous. Je propose maintenant aux rapporteurs de poser leurs questions. Je laisse la parole à Annick Petrus.
Mme Annick Petrus, rapporteure. - Merci à nos invités d'avoir accepté de participer à nos travaux et de nous porter leur éclairage.
Vous avez évoqué les difficultés liées aux aspects administratifs.
Quels problèmes particuliers, en plus de celles-ci, rencontrez-vous pour la pose de câbles sous-marins outre-mer ?
Quels peuvent être les projets pour réduire la vulnérabilité des territoires, la Nouvelle-Calédonie n'étant par exemple desservie que par un seul câble ?
Quelle évaluation faites-vous de la connectivité des outre-mer français au sein de leur bassin océanique ?
La présidence française du Conseil de l'Union européenne, et plus largement une stratégie européenne dans ce domaine, peut-elle offrir de nouvelles opportunités dans ce domaine à travers par exemple des actions communes d'exploration ?
M. Stéphane Artano, président. - Merci, je vais laisser la parole librement aux interlocuteurs qui souhaitent apporter une contribution aux questions posées.
M. Jean-Luc Vuillemin. - Un câble sous-marin, au regard de la législation administrative française, est un objet non identifié. Dans l'eau, il relève des juridictions des directions régionales de la mer ; sur terre, il dépend des directions de l'équipement ou de celles qui ont pris leur relais, avec des points de vue quelquefois très contradictoires. Je me souviens de la problématique d'atterrissage d'un câble en Martinique, où une administration nous demandait d'enfouir le câble pour ne pas perturber les activités de pêche, quand une autre souhaitait ne pas l'enfouir pour ne pas détruire les plantations d'algues. À ma question visant à savoir comment résoudre cet imbroglio, j'ai obtenu comme réponse : « le préfet tranchera ». J'en ai déduit que les préfets constituaient des autorités référentes pour la protection des algues dans les outre-mer.
Concernant la problématique de connectivité dans les territoires qui ne font pas partie des DROM, cette compétence relève des Offices des postes et télécommunications (OPT) ou de leurs successeurs - des organismes sensibles quant à leur autonomie et à leur capacité décisionnelle. Cependant, leur capacité d'investissements est souvent limitée, et des mécanismes d'incitation et de développement seraient donc souhaitables pour y pallier.
Il convient d'examiner cette problématique au niveau local. J'ai tenté, avec peu de succès, de sensibiliser le ministère des affaires étrangères au problème du câble SAFE qui relie aujourd'hui plusieurs territoires français ultramarins de l'océan Indien à l'Hexagone mais aussi à l'Asie, et notamment Singapour. Cette route ne possède pas de légitimité économique, mais elle est cruciale au regard de l'intégration de nos territoires dans la zone Asie. Ce câble va être bientôt démonté car il atteint ses limites techniques, et il me semblerait intéressant que la France prenne l'initiative de la constitution d'un consortium d'États intéressés par le renouvellement de cette route. Malheureusement, le ministère n'a pas été sensible à mes arguments. Pour autant, je suis persuadé que la Chine va réaliser un investissement étatique sur cette zone. Nous n'avons jamais vu l'exemple d'un câble sous-marin démonté et non remplacé dans une zone économiquement intéressante. Il s'agit d'une situation emblématique où la France pourrait intervenir de manière bien plus volontariste et active qu'aujourd'hui.
M. Alain Biston. - En tant qu'équipementier, ASN a connaissance de nombreux projets. Nous constatons qu'avec une participation publique, il est possible d'imposer certaines règles pour le tracé. En témoigne l'exemple du Canada, qui a imposé l'obligation de desservir les communautés inuites, dans des zones très peu habitées et a priori peu favorables à l'atterrissage d'un câble. L'intérêt économique d'un projet n'est donc pas incompatible avec un intérêt public, comme évoqué précédemment dans les partenariats public-privé.
On peut citer autre exemple avec le câble Southern Cross qui relie l'Australie aux États-Unis. ASN, qui en est le fabricant, a pour la première fois mis en place une connexion avec l'île de Kiribati, où vivent seulement 1 000 personnes.
M. Stéphane Lelux. - Pour compléter les propos des précédents intervenants, nous constatons que la capacité à traiter rapidement la demande est essentielle. Je rappelle que Google, Facebook, etc., ont décidé ces dernières années de financer seuls certains câbles, avec comme argument la réduction de la durée des projets de 18 mois, sans devoir faire appel à d'autres partenaires compte tenu de leur capacité financière. Ils gardent ainsi la maîtrise de leurs investissements, sans exclure de partager ces câbles quand ils seront installés. Des projets ont ainsi été lancés dans l'Atlantique Nord et vers l'Afrique. Il ne faut donc pas négliger l'impact des procédures et des délais qui handicapent nos territoires. Nous l'avons expérimenté avec le câble reliant Saint-Pierre-et-Miquelon et le Canada, pour lequel deux ans d'études ont été nécessaires, pour seulement 80 kilomètres de tracé. Cette complexité était équivalente à celle que l'on peut rencontrer dans le cas d'un câble transatlantique.
La France et l'Europe devraient jouer un rôle moteur pour mettre en place des processus en partenariat avec les pays concernés à l'échelle des régions. Avant tout, nous devons prendre conscience que ces câbles sont des infrastructures stratégiques et examiner quels obstacles ou résistances doivent être supprimés.
Je pense que l'intérêt est grand pour la France et l'Europe de jouer un rôle majeur dans les Caraïbes, l'une des zones où il est encore possible de bénéficier d'une influence dans ce domaine, grâce aux infrastructures et aux partenaires déjà présents. La situation est identique dans l'océan Indien, autour de La Réunion et de Madagascar.
Néanmoins, nous ne devons pas être naïfs : nous avons parfois apporté des financements à des États sans contrepartie, pratique à laquelle il faut mettre un terme. Pour ces financements, nous devons en réalité édicter un cahier des charges, des règles précises. Nous avons, avec le futur sommet Afrique-Europe, l'opportunité de renforcer certains projets dans cette zone.
Par ailleurs, nous avons évoqué la continuité territoriale numérique subventionnée, et nous devrions réaliser un bilan sur les mesures mises en place il y a sept ans. En effet, nous ne disposons pas d'études sur leur efficacité. Des mécanismes européens pourraient venir abonder la dynamique portée à l'époque par la France.
Mme Camille Morel. - Au-delà de la problématique des permis d'autorisation administrative, je souhaite rappeler le rôle important du politique sur la question du financement. Comme Alain Biston l'a évoqué, l'installation de câbles sur des territoires isolés ne peut s'effectuer sans une part de capitaux publics. Il faut également anticiper, inscrire ces projets dans une stratégie plus globale, pour permettre le dialogue avec d'autres acteurs comme les géants du Net. L'objectif est de profiter de certaines opportunités existantes, comme pour la Nouvelle-Calédonie, avec le projet d'un câble sous-marin intelligent et utile à la recherche, dans une zone à l'écosystème très riche.
Concernant la coordination possible des États dans le cadre de la présidence française du Conseil de l'Union européenne, je pense que ce sujet est soumis à des problèmes de souveraineté. Il est toutefois possible d'envisager une coordination des États sur l'interconnexion terrestre, quels que soient les lieux d'atterrissage des câbles sous-marins. Avec l'arrivée des géants du Net sur le marché, nous assistons à une mise en concurrence. Les États vont être amenés dans les prochaines années à développer leur propre politique pour bénéficier de connexions plus nombreuses. Pour assurer la continuité du réseau, la logique imposera aux États européens de se coordonner.
M. Stéphane Artano, président. - Je vais laisser la parole à Philippe Folliot pour les questions de souveraineté.
M. Philippe Folliot, rapporteur. - Je remercie tout d'abord les intervenants pour leur participation et la qualité des éléments apportés. Avant d'aborder les questions de souveraineté, je souhaite évoquer un point souvent négligé. Je suis élu d'un département hexagonal, le Tarn, au coeur du territoire, et je vois des opérateurs qui estiment que, dès lors que des villes comme Albi ou Castres sont desservies, leur travail est terminé. Pourtant, l'objectif est d'aller jusqu'à l'usager.
Il en va de même pour les territoires ultramarins : quand vous arrivez à Pointe-à-Pitre, vous n'êtes pas à Saint-Martin. Quand vous arrivez à Papeete, vous n'êtes pas aux îles Marquises. Tous les propos tenus sur les accords public-privé confirment la nécessité d'une coordination entre les différents partenaires pour aboutir à un réseau satisfaisant. À cet égard, nous bénéficions de leaders mondiaux qui possèdent toutes les compétences pour y parvenir.
Je souhaiterais soulever plusieurs questions. Concernant les enjeux de souveraineté, pouvez-vous nous éclairer sur les détériorations qui peuvent affecter les câbles, comme les éléments naturels, et sur les actions de maintenance mises en place par les opérateurs ?
Par ailleurs, comment la France se protège-t-elle contre les menaces pesant sur la sécurité de ces infrastructures et émanant de groupes publics ou privés, voire mafieux ?
À l'instar des actions menées par notre pays en matière de cybersécurité, peut-on bénéficier de capacités offensives dans le domaine face à des acteurs ou puissances qui souhaiteraient porter atteinte à nos câbles ?
Par ailleurs, faut-il craindre « la route de la soie digitale » chinoise dans la zone indopacifique ?
Enfin, quelle appréciation portez-vous sur la coordination assurée par le SGDSN pour les enjeux de sécurité et de défense, et par le SGMer pour les autres enjeux ?
M. Jean-Luc Vuillemin. - Aujourd'hui, la très grande majorité des coupures constatées sur les câbles sont dues à des interventions humaines involontaires : activités de pêche, ancres, etc. Ces aspects sont pris en compte lors de la conception des câbles : pour déterminer leur trajet, nous examinons la nature des activités humaines de la zone. Si cette zone semble trop risquée, elle sera évitée, ou le câble sera renforcé, voire enterré jusqu'à trois mètres de profondeur.
Les mouvements telluriques sous-marins constituent le deuxième risque le plus important. L'exemple récent des îles Tonga en atteste. Le premier grand crash de câbles sous-marins a eu lieu en 1929 au large de Terre-Neuve à la suite d'un mouvement tellurique. Comme l'a rappelé Camille Morel, nous maîtrisons les problèmes de réparations des câbles.
Par ailleurs, il n'existe pas d'exemple de coupures volontaires de câbles sous-marins en temps de paix, pratique en revanche très courante en temps de guerre, comme en 1914 ou en 1939 où les câbles de l'adversaire ont été rapidement arrachés. Nous savons que les marines américaines ou russes sont dotées de moyens permettant d'intervenir sur ces infrastructures, même s'il est assez simple d'arracher un câble : une simple ancre suffit, car les trajets sont connus.
Il est impossible de protéger physiquement un câble sous-marin. On recense environ 1,2 ou 1,3 million de kilomètres de câbles (6 000 kilomètres pour un câble transatlantique, 9 000 pour un câble transpacifique). La Marine nationale a la charge de leur défense, mais elle ne peut pas, avec ses moyens, veiller à la protection de toutes les routes câblières. La seule solution logique consiste donc en la multiplication et en la résilience de ces câbles. Par ailleurs, les stations d'atterrissage, vulnérables, sont connues, puisqu'elles font l'objet d'enquêtes administratives publiques.
Mme Camille Morel. - Concernant les enjeux de vulnérabilité et les menaces potentielles, les États sont très interdépendants de ces flux transnationaux, tandis qu'une action offensive sur un câble entraînerait des répercussions non maîtrisées. Seuls des États peu dépendants de ces câbles ou bénéficiant de systèmes territoriaux souverains sur le numérique, comme la Chine ou la Russie, pourraient constituer des menaces réelles. Ce qui était valable à l'époque des câbles télégraphiques ou coaxiaux ne l'est plus avec la fibre optique : une action forte revendiquée par un État constituerait un symbole très offensif, qui engendrerait des conséquences particulièrement importantes.
Des actions non étatiques sur ces infrastructures sont possibles, avec la démocratisation de certaines techniques, comme les drones sous-marins. Les infrastructures maritimes deviennent de plus en plus cartographiées et plus visibles.
Aujourd'hui, les routes de la soie digitales concernent surtout les connexions au départ de l'Asie vers l'Europe et l'Afrique. La volonté politique chinoise de développer ces routes est très forte, grâce notamment à des partenariats public-privé considérables. L'arrivée d'industriels chinois sur le marché des câbles sous-marins sous-entend une stratégie de conquête mondiale dans ce domaine. Pour l'instant, ces industriels ont réussi à s'emparer de liaisons courtes, mais non sur une échelle internationale. Les craintes ne sont donc pas encore justifiées.
M. Stéphane Lelux. - Comme l'a dit Jean-Luc Vuillemin, la meilleure solution consiste en la multiplication des routes. Un câble est par nature vulnérable, quelle que soit sa conception. Aujourd'hui, nos territoires ultramarins sont relativement bien raccordés, avec un à deux câbles au minimum, mais est-ce suffisant pour remédier à un incident ? En Somalie, la coupure d'un câble a engendré pour la sous-région un coût de 10 millions de dollars par jour, et elle a duré plusieurs semaines. Les pertes finales ont ainsi représenté plusieurs centaines de millions de dollars pour un seul câble.
Outre la multiplication des câbles, l'autre solution consiste en une réactivité de projection importante en cas d'incident. Lorsqu'un câble est endommagé, il faut espérer que le ou les autres ne le soient pas. Les bateaux de maintenance sont en attente dans des ports, mais si l'un d'eux est parti pour une opération à 5 000 kilomètres, les autres câbles éventuellement endommagés devront attendre longtemps avant d'être réparés. La capacité de projection constitue donc un vrai sujet, d'autant plus si le nombre de câbles augmente.
Concernant les routes de la soie, le terrain de jeu le plus stratégique pour l'Europe est l'Afrique. La zone indopacifique l'est toutefois également, et nous devons mener une réflexion géostratégique sur une route indépendante, reliant la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française à l'Amérique du Sud, même si nous savons qu'il n'existe pas de modèle économique. L'investissement en question représenterait de 150 à 200 millions d'euros. D'autres routes directes, ne passant pas par l'Amérique du Nord, existent entre Brésil et Angola, ou entre Europe et Amérique du Sud. En Afrique, le problème de la présence chinoise ne concerne pas les câbles sous-marins, mais le réseau terrestre, où les Chinois sont très présents. De plus, les projets d'infrastructures sous-marines commencent à surgir.
Par ailleurs, les États-Unis sont également très sensibles aux projets réalisés en direction de leur territoire, comme le prouve la « Team Telecom » mentionnée plus tôt. Ils ont ainsi bloqué un projet les reliant à Hong Kong, avant de l'accepter après des modifications sécuritaires. La bataille stratégique autour des câbles a donc commencé, mais elle concerne pour l'instant la conception.
M. Jean-Luc Vuillemin. - Pour conclure, je souhaite saluer l'action du SGDSN, exemplaire, surtout au sein de l'écosystème français dont la complexité n'est plus à prouver. Concernant le SGMer, je suis toujours très sensible à la question de la protection de la flotte. Les câbliers ont été intégrés dans la flotte stratégique, mais malgré de nombreuses recherches, je ne comprends toujours pas la signification de cette décision. Une action plus vigoureuse en faveur du pavillon français ne serait que bénéfique pour l'industrie.
M. Stéphane Artano, président. - Je propose de terminer le tour de table des rapporteurs, avant une série de plusieurs questions posées par Victoire Jasmin, Gérard Poadja et moi-même.
Mme Marie-Laure Phinera-Horth, rapporteure. - Je confirme les réflexions de mon collègue Philippe Folliot : vos propos liminaires ont enrichi ma réflexion. En tant que maire de Cayenne, j'ai eu l'occasion de discuter avec Chantal Maurice, directrice régionale d'Orange dont j'ai apprécié l'action. Les câbles sont des outils modernes indispensables aux collectivités locales et aux citoyens, même si des déséquilibres numériques subsistent en Guyane.
Selon vous, comment les câbles sous-marins peuvent-ils améliorer concrètement le développement économique et l'intégration des collectivités et territoires d'outre-mer dans leur bassin océanique respectif ?
Comment renforcer les partenariats stratégiques entre les grands groupes privés français, les forces militaires et les organismes publics de recherche, notamment pour faire face à la concurrence des GAFAM ?
Comment mieux accompagner les collectivités ultramarines dans les projets de câblage de leur territoire ?
Comment renforcer l'appui de l'État français dans les négociations avec les acteurs privés et les États voisins ?
Mme Camille Morel. - Je pense que nous avons déjà répondu à votre question sur l'accompagnement des collectivités. Il faut, comme nous l'avons dit, renforcer l'intégration d'un besoin identifié de résilience et de redondance en termes de connectivités, dans des stratégies plus globales. La Réunion, qui se dote d'un écosystème de data centers, en est l'exemple typique. L'île souhaite émerger en tant que hub régional, et les GAFAM qui ont installé des câbles au large de l'Afrique auraient intérêt à participer à cette stratégie de développement.
Concernant la question des partenariats stratégiques, il est délicat de répondre en ces termes, sachant que la concurrence des GAFAM n'entraînera pas obligatoirement de renforcement de ces partenariats. En revanche, le partenariat entre les entreprises, les forces militaires et les organismes de recherche serait pertinent, sur un plan cartographique, ou pour accompagner l'État français dans les négociations, en poursuivant le travail initié par le SGDSN en matière de coordination.
M. Jean-Luc Vuillemin. - Je pense en effet qu'il est nécessaire de réfléchir sur la problématique globale. Un câble sous-marin ne constitue qu'une partie de la solution à tous les problèmes posés à une collectivité. Aujourd'hui, l'ensemble formé par les data centers et les câbles est indissociable. La question de l'accès et du stockage des contenus est essentielle : les câbles permettent une partie de l'accès, mais il ne faut pas oublier de s'interroger sur l'origine de ces données.
La problématique suivante concerne la diffusion à l'intérieur du territoire. Nous avons ainsi lancé en Afrique le premier réseau de fibre optique. Nous avons évoqué la Martinique ou la Polynésie française, mais les problèmes sont identiques en République démocratique du Congo. Nous devons englober dans notre réflexion le câble, le stockage des données, la diffusion à l'intérieur du territoire et l'accès de l'utilisateur au réseau d'acheminement. C'est ainsi que nous parviendrons à résoudre les problèmes de développement économique des territoires.
M. Stéphane Lelux. - J'abonde dans ce sens tout en ajoutant d'autres problématiques, dont celle de la consommation d'énergie des data centers. Nous devons réfléchir à la production énergétique propre dans les territoires ultramarins, ainsi qu'au « cooling » lié à ces data centers. Il faut en effet refroidir ces sites. À La Réunion, nous avons étudié la possibilité d'utiliser des boucles d'eau de mer froide.
Par ailleurs, pour bénéficier des fruits de ces infrastructures, nous devons pouvoir compter sur une filière locale capable d'offrir des débouchés à nos entreprises et des perspectives d'emplois. Une nouvelle fois, la vision doit être globale. Nous ne pouvons pas agir efficacement sans projet territorial de développement économique et de transformation numérique, dans une approche de smart territories comme les nomment les Anglo-Saxons - peu importe le nom donné, même si nous adorons en France les batailles terminologiques, pendant que les autres pays avancent. Comme dit précédemment, cette stratégie globale doit concerner les routes internes aux territoires.
Encore une fois, les Caraïbes me semblent constituer un enjeu stratégique important pour la France et l'Europe, tant au niveau insulaire que continental : certaines régions septentrionales du Brésil sont plus liées à la Guyane qu'à Brasilia. Ces bassins représentent des zones d'attractivité potentielles importantes : Saint-Laurent-du-Maroni va devenir la plus grande ville ultramarine à l'horizon 2050.
Concernant les partenariats entre les grands groupes publics, privés et les forces militaires, il convient de mentionner l'Institut de recherche pour le développement (IRD), un acteur très structurant. Autre exemple avec la Direction générale de l'armement (DGA) et le projet de câble militaire reliant Menton à Solenzara en Corse. Ce câble présentant une surcapacité, nous avons réussi à négocier trois paires de fibre optique totalement dédiées au civil. Nous avons ainsi réussi, avec un coût marginal, à renforcer le développement numérique de l'île. En revanche, nous n'avons jamais pu convaincre la gendarmerie et la préfecture de Saint-Pierre-et-Miquelon d'utiliser les fibres déployées par la collectivité territoriale pour interconnecter Saint-Pierre avec Miquelon. Il est donc tout à fait nécessaire de rassembler dans les négociations autour d'un projet les services de l'État et les collectivités. Nous réemploierons ainsi plus efficacement l'argent de nos impôts au bénéfice des utilisateurs que sont les services de l'État, et nous pourrons, après les avoir sécurisés, utiliser les câbles portés par les collectivités.
M. Alain Biston. - Je compléterai en évoquant ce paradoxe : avant l'arrivée des GAFAM, nous observions une cyclicité de l'industrie du câble sous-marin, alors qu'aujourd'hui, 70 % des projets dans le monde sont financés par les GAFAM. Il va donc devenir de plus en plus complexe de bénéficier de routes sans s'appuyer sur ces derniers. Au lieu d'un projet tous les quinze à dix-huit mois, nous avons aujourd'hui quatre programmes tous les douze mois. Les GAFAM sont moteurs dans la mise en place des nouveaux projets, qu'ils soient seuls commanditaires ou en partenariat, comme pour le câble 2Africa. Ce dernier n'est pourtant pas connecté aux États-Unis. Nous devons donc examiner paradoxalement la possibilité de partenariats avec ces GAFAM qui n'ont aucun problème de trésorerie.
M. Philippe Folliot, rapporteur. - Quelle est la durée de vie d'un câble sous-marin ?
M. Alain Biston. - Les câbles sous-marins ayant une durée de vie de 25 ans, nous ne nous autorisons qu'une panne pendant cette période. Les composants intégrés dans la partie électronique d'un câble sous-marin sont plus complexes que ceux présents dans un satellite.
M. Philippe Folliot, rapporteur. - Que devient un câble en fin de vie ? Est-il retiré ? Est-il remplacé ?
M. Jean-Luc Vuillemin. - Je souhaite moduler les propos d'Alain Biston : un câble présente une durée de vie technique, mais aussi économique. Il est rare qu'un câble parvienne à la fin de sa durée de vie technique. Lorsqu'il est posé, un câble possède un coût fixe, lié aux équipes de maintenance, à l'assurance payée aux opérateurs de navires de réparation. Avec une nouvelle génération de câbles aux débits 100 fois supérieurs à la génération précédente, il est plus économique de réinstaller un nouveau câble. En effet, ce dernier fonctionnera aux mêmes coûts que le précédent, mais avec des capacités beaucoup plus importantes. Aujourd'hui, les câbles installés dans les années 2000 sont dépassés par la nouvelle génération des méga-câbles, eux-mêmes bientôt remplacés par les téra-câbles.
La notion de durée économique est donc la plus importante. Par ailleurs, les câbles en fin de vie sont récupérés par l'opérateur, car ils possèdent une valeur due notamment au cuivre qu'ils contiennent.
M. Stéphane Lelux. - Nous pouvons comparer avec l'industrie aérienne : pour être compétitive, une compagnie doit acheter de nouveaux avions, même si elle ne dégage pas de bénéfices avec sa flotte actuelle. Ce pourrait être un paradoxe économique, mais les nouveaux avions, consommant beaucoup moins, seront bien plus rentables.
Dans l'industrie câblière sous-marine, les charges fixes comparées au nombre de térabytes transportés définissent le coût et la rentabilité, ce qui aura un impact important sur la qualité du service délivré à l'usager final. Si le mégabyte transporté est 100 fois moins cher à Paris qu'à Papeete, il est fort probable que le service sera de moins bonne qualité en Polynésie française que dans la capitale française. Le prix de revient de la matière première est en effet beaucoup plus élevé, et le service ne pourra pas être identique pour un prix équivalent.
Cette constatation confirme la nécessité de moderniser les réseaux, même si je conçois qu'il est difficile de comprendre pourquoi il faut remplacer un câble qui peut encore vivre 10 ou 15 ans.
M. Stéphane Artano, président. - J'ai eu la chance de visiter l'usine Alcatel de Calais, où sont démantelés et recyclés les câbles sous-marins récupérés. Ne pas laisser ces câbles au fond des mers permet également de protéger l'environnement.
Je vous propose maintenant d'écouter les questions de nos collègues, Victoire Jasmin et Gérard Poadja.
Mme Victoire Jasmin. - Merci à tous les intervenants et aux collègues qui ont pris la parole. Certaines de mes questions ont déjà obtenu des réponses.
En matière de souveraineté, il me semble incohérent pour la France qu'une grande partie de nos données sensibles soient confiées aux GAFAM. Nous comprenons par ailleurs que ces derniers sont de plus en plus présents dans l'industrie câblière. Ils disposeront donc à la fois du véhicule et du contenu.
Par ailleurs, une commission d'enquête du Sénat étudie actuellement le rôle de plus en plus important de certains cabinets de conseil qui orientent les politiques publiques. Là aussi, la problématique de la souveraineté est posée. En outre, la présence chinoise dans les Caraïbes est toujours plus importante, comme à Antigua, où le français est détrôné par le mandarin à l'école.
Nous devons affirmer nos positions sur les plans géopolitique et géostratégique. Aujourd'hui, nous essayons de nous déployer tout en succombant au nombrilisme. Nous devrions en réalité accorder notre confiance au potentiel des Français. Par ailleurs, comment optimiser la ressource énergétique que constitue la géothermie en Guadeloupe ?
Vous avez évoqué les back-ups : sont-ils réalisés selon des modalités liées à la qualité d'un prestataire donné, ou entre plusieurs prestataires ?
Quelles sont vos relations avec les GAFAM, dont la place est de plus en plus considérable, voire envahissante ? Nous devons mener une réflexion globale sur les actions à mener par la France avec ses universités, ses chercheurs, ses scientifiques pour garder sa compétitivité.
M. Gérard Poadja. - Mes questions sont proches de celles de Victoire Jasmin. Je m'interroge également sur la coopération entre opérateurs et constructeurs. En effet, chaque territoire d'outre-mer dispose de ses propres opérateurs pour la téléphonie, ce qui entraîne des coûts exorbitants en Nouvelle-Calédonie ou en Polynésie française comparativement à la métropole. Je souhaiterais donc une concertation plus complète entre les différents opérateurs, les constructeurs et les collectivités.
Ce sujet est très important pour les outre-mer, et particulièrement dans le Pacifique. Nous devons impérativement réussir à travailler avec nos pays voisins de la zone indopacifique, malgré les craintes que suscite la présence à quelques kilomètres du récif d'une puissance étrangère connue. Nous souhaiterions également mener un partenariat dans le domaine sécuritaire, entre les collectivités ultramarines et les entreprises de l'Hexagone.
M. Jean-Luc Vuillemin. - Certains regrettent l'importance prise par les GAFAM ; d'autres s'en réjouissent, mais nous ne pouvons que la constater. Leur puissance financière est considérable. Leurs investissements réalisés dans le domaine des câbles sous-marins représentent environ 10 milliards de dollars. Aucun opérateur public ou privé n'est capable aujourd'hui d'engager ces sommes et de rivaliser avec ces acteurs. Mon rôle est d'assurer l'interconnectivité de la France et des territoires français à l'international. Pour remplir cette mission il y a quelques années, je m'associais avec d'autres opérateurs. Aujourd'hui, je suis obligé de m'associer aux GAFAM. Ils sont les acteurs majeurs du domaine, et ils agrègent tous les autres acteurs autour de leur politique. Au niveau économique, nous n'avons pas d'autres choix. Les autres aspects de souveraineté ou de politique publique dépassent les compétences de l'opérateur que je représente.
M. Alain Biston. - Nous constatons aujourd'hui que les opérateurs ou les GAFAM décident des points de départ et d'arrivée des routes, avant d'examiner les étapes potentielles. C'est seulement à ce moment qu'ils nous consultent pour la mise en application. Nous travaillons uniquement avec l'opérateur, nous ne sommes pas moteurs. Néanmoins, nous pourrions réfléchir à faciliter proactivement certaines relations, pour réduire le délai de mise en place de ces câbles.
Comme il est difficile d'engager un certain nombre d'activités administratives sans bénéficier d'un projet concret, nous devons réussir à dépasser et améliorer ce processus qui ralentit considérablement toutes les opérations.
Mme Camille Morel. - Concernant la question de l'indépendance et de la souveraineté numérique, nous devons distinguer les enjeux de résilience avec la multiplication des lignes, et la partie stratégique. Nous craignons aujourd'hui que des câbles soient posés par certains industriels, mais les dépendances existent déjà pour certains territoires du Pacifique vis-à-vis des États-Unis. La majorité des câbles reliant les outre-mer du Pacifique passent par Hawaii, et donc par les États-Unis. Quant aux routes de la soie, pour l'instant émergentes, elles constituent des étapes supplémentaires de la conquête chinoise dans le domaine.
Avec les GAFAM, nous sommes dépendants de ces géants du Net. Pour dépasser ce débat, nous devons travailler sur les usages numériques des citoyens, et sur des plateformes autres qu'américaines.
M. Stéphane Lelux. - Certains emploient le terme de « décolonisation numérique ». Le sujet est donc tout sauf anodin.
Tout comme dans le domaine spatial, l'enjeu est également industriel, comme le prouve la présence des acteurs de cette table ronde. La puissance économique nord-américaine permet aux GAFAM d'étouffer le marché. Nous ne pouvons cependant pas demeurer observateurs et durablement colonisés. Nous pouvons maintenir une collaboration, tout en travaillant sur un temps long : une solution à court terme n'est pas possible, puisque nous évoquons ici des cycles de 20 ans. Nous sommes capables de corriger la trajectoire sur ces temps longs, notamment à la faveur du Brexit. En effet, le Royaume-Uni, un acteur puissant, jouait un double jeu. L'Europe continentale doit reprendre en main son destin digital et développer ses data centers : les États-Unis possèdent 40 % de ces sites, contre 4 % pour l'Allemagne et 3,5 % pour la France.
L'autarcie numérique n'est pas recherchée, mais nous devons travailler pour corriger les disparités actuelles. Les GAFAM sont incontournables, mais si nous investissons de l'argent de nos impôts en partenariat avec les opérateurs, nous pouvons avoir comme objectif un niveau d'autonomie renforcé. Dans le cas contraire, nous allons devenir des inféodés du numérique. La bataille se joue à l'échelle de l'Europe, et la prise de conscience doit être collective. Nos territoires ultramarins constituent des terrains d'expérimentations pour atteindre cet objectif. L'écosystème régional peut être intéressé pour suivre une autre voie que celle imposée par les puissances nord-américaine ou chinoise. L'Europe doit travailler intelligemment avec ces dernières, en investissant dans des projets d'infrastructures, tout en visant une plus grande autonomie. Nous ne devons pas être naïfs, ni dépendants, ni isolés, en étant beaucoup plus déterministes pour l'avenir.
Mme Camille Morel. - Les modèles de concession des domaines publics établis pour les câbles sous-marins prévoient, dès la signature, l'obligation pour les opérateurs de retirer les câbles dans les eaux souveraines. La question se pose pour la haute mer, où cette obligation n'existe pas, et de nombreux câbles sous-marins n'ont pas été retirés à ce niveau. La politique des États est très variable : l'obligation de retrait concerne la France et non tous les pays.
M. Philippe Folliot, rapporteur. - Quel est le poids de la filière française du câble sous-marin dans l'économie bleue, de la construction des bateau à la mise en place des câbles, en passant par leur fabrication, la fibre optique, la maintenance, etc. ? Parmi les emplois, quels pourcentages de vos activités sont situés dans nos départements ou collectivités d'outre-mer ?
M. Stéphane Lelux. - L'ensemble de la filière Infrastructures du numérique regroupe aujourd'hui environ 13 000 entreprises et 150 000 salariés.
M. Jean-Luc Vuillemin. - Au sein de cette filière, le chiffre d'affaires du câble sous-marin atteint en France entre 1,8 et 2 milliards d'euros, et concerne environ 3 000 personnes. La quasi-totalité de nos activités est située en France, à l'exception de la moitié de la flotte, positionnée à l'étranger pour être au plus près des terrains de maintenance.
M. Stéphane Artano, président. - Je conclus cette audition en vous remerciant, mesdames et messieurs, pour la qualité de vos apports.
Plusieurs questions qui ne pourront être traitées aujourd'hui vous seront envoyées par écrit :
Les premières émanent de Catherine Procaccia, sénatrice du Val-de-Marne : peut-on imaginer un second câble pour sécuriser les zones Pacifique reliées par un seul câble, alors qu'il s'agit d'une zone tellurique ? La solution ne consisterait-elle pas à doubler le réseau par des constellations en orbite basse ?
Je vous rappelle les questions soulevées par Teva Rohfritsch, sénateur de la Polynésie française et rapporteur de la Mission présidée par Michel Canévet : le cadre international avec la convention sur la protection des câbles sous-marins de 1884, et celle de Montego Bay de 1982, est-il suffisant au regard des menaces d'aujourd'hui ? Hong Kong et les États-Unis ont installé une autorité unique de gestion des enjeux autour des câbles sous-marins : doit-on en tirer des leçons, et cet exemple peut-il inspirer la France ou l'Europe ?
Nous vous invitons par ailleurs, si vous le souhaitez, à apporter des contributions qui permettraient d'enrichir les réflexions des rapporteurs dans la perspective de la rédaction du rapport.
Ce sujet passionnant sera sans doute abordé dans d'autres cadres que celui de cette mission, ou du groupe d'études permanent sur les questions du numérique présidé par Patrick Chaize.
Les travaux de notre délégation amènent par ailleurs à se poser la question du pilotage : doit-il relever d'une autorité interministérielle, d'une autorité unique ? Nous sommes en effet confrontés à des conflits de compétences.
Je rappelle par ailleurs à tous mes collègues ultramarins qu'il est de notre responsabilité en tant qu'élus des territoires de donner l'impulsion quand elle ne vient pas du haut. De nombreux projets ont été initiés dans les territoires, avant que le Gouvernement ne prenne le relais. Comme l'ont répété les intervenants, nous devons réfléchir de manière globale : le câble seul n'a pas d'intérêt si nous ne menons pas par ailleurs une réflexion sur l'aménagement du territoire qui inclut les usages.
Merci encore de la qualité de ces échanges.