Mardi 25 janvier 2022

La réunion est ouverte à 17 h 35.

- Présidences de MM. Pascal Allizard, vice-président de la commission des affaires étrangères, Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes, et Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques -

Audition de M. Franck Riester, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé du commerce extérieur et de l'attractivité

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - Monsieur le ministre, la France préside pour six mois le Conseil de l'Union européenne. Dans le cadre de cette présidence, vous avez organisé dès le 10 janvier une conférence sur les relations commerciales entre l'Union européenne et l'Afrique, afin de mettre l'accent sur les nouveaux partenariats envisageables. Ce choix revêt une portée politique et symbolique évidente : vous pourrez nous exposer comment la Commission entend le rendre opérationnel, puisque le commissaire en charge du commerce, M. Valdis Dombrovskis, a déclaré approuver le fait que la France ait fait de ce thème une priorité de sa présidence. Dans quelques jours, les 13 et 14 février, vous recevrez également à Marseille l'ensemble de vos homologues, à l'occasion d'une réunion informelle des ministres chargés du commerce.

Je souhaiterais donc que vous nous présentiez les priorités de la France en matière de commerce, votre méthode et les objectifs qui vous paraissent atteignables dans le cadre de cette présidence du Conseil.

Je voudrais en particulier vous entendre sur certaines positions fortes exprimées par la France au cours de ces derniers mois, notamment sur les enjeux liant commerce et développement durable, sujet qui a récemment fait l'objet d'une consultation publique à laquelle notre commission a contribué.

Je pense aussi à la rénovation des outils permettant à l'Europe de s'assumer comme une puissance commerciale et de faire face à des pratiques déloyales ou à des pressions extérieures par le biais de sanctions extraterritoriales : c'est notamment l'enjeu du projet de règlement anti-coercition présenté le 8 décembre dernier. Pensez-vous être en mesure d'aboutir à de premières orientations du Conseil en la matière d'ici à la fin du semestre ?

Je pense également à l'accent mis par la France sur les clauses miroirs dans les accords commerciaux, concept très populaire dans notre pays, mais qui rencontre des résistances dans d'autres États membres et doit faire l'objet d'une analyse très précise pour être compatible avec les règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Pouvez-vous nous préciser votre stratégie en la matière ?

Je pense enfin à un dossier phare dans le cadre du paquet « Ajustement à l'objectif 55 » : celui du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF). Le Sénat en soutient fortement le principe, mais sa mise en oeuvre s'avère complexe dans le respect des règles de l'OMC. Or il apparaît qu'en l'état, les entreprises européennes exportatrices couvertes par ce mécanisme seraient pénalisées, ce qui ne serait absolument pas acceptable. La direction générale du Trésor y travaille : pouvez-vous nous faire le point sur ses réflexions et nous assurer que vous n'accepterez pas un dispositif qui pénaliserait in fine une partie de notre industrie ?

Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. - À mon tour de vous remercier d'être venu débattre avec nous des enjeux du commerce extérieur dans le cadre de la présidence française du Conseil de l'Union européenne. S'agissant du commerce extérieur français, permettez-moi de relever un paradoxe : vous êtes chargé du commerce extérieur et de l'attractivité ; or si la France est le pays le plus attractif d'Europe pour les investissements étrangers, elle est aussi championne d'Europe du déficit commercial ! Selon les chiffres publiés en janvier, ce déficit a atteint 9 milliards d'euros en novembre 2021, soit, selon les douanes, le « solde mensuel le plus bas jamais atteint ». Sur 12 mois, le déficit cumulé s'élève à 78 milliards d'euros, quand l'Allemagne connaît un excédent de 180 milliards d'euros. Ces chiffres sont alarmants pour les élus attachés à la prospérité de nos territoires que nous sommes.

Vous justifiez ces résultats, tout d'abord, par la hausse de la facture énergétique, qui a indéniablement contribué à augmenter la valeur de nos importations, mais qui n'explique pas tout. Ajoutons que ce n'est pas une fatalité qui s'abat sur nous sans que nous ne puissions rien y faire. En novembre, alors que l'électricité est d'habitude l'un de nos principaux postes excédentaires, nous avons été déficitaires en ce domaine, du fait de la politique énergétique du Gouvernement et de l'Union, qui est difficile à suivre, particulièrement en matière nucléaire. Or une électricité peu chère et décarbonée est un élément majeur de compétitivité et d'attractivité, car elle bénéficie de façon transversale à de nombreux secteurs. Quelle est la stratégie du Gouvernement pour réduire la dépendance de notre appareil productif vis-à-vis des hydrocarbures, des énergies carbonées et des fluctuations des marchés internationaux, et comment cela s'intègre-t-il à la présidence du Conseil de l'Union européenne ?

Vous avez également argué que la dégradation de notre balance commerciale serait uniquement conjoncturelle : nos entreprises augmentent leurs importations de biens intermédiaires aujourd'hui pour pouvoir produire et exporter demain. On ne peut pourtant pas se satisfaire de cette réponse : serions-nous si dépendants que, pour exporter demain, nous serions obligés de creuser notre déficit commercial aujourd'hui ? Quelles conclusions tirez-vous de ce déficit pour votre stratégie de réindustrialisation et, dans certains cas, de relocalisation ?

Outre la recherche d'une plus grande maîtrise des différents segments de la chaîne de valeur, l'une des priorités de la politique commerciale est la conquête de marchés extérieurs, dans une logique bien sûr de réciprocité. Je voudrais donc vous interroger sur les dispositifs de soutien à l'export : Team France Export, le chèque relance export ou encore le chèque VIE. Les restrictions aux échanges liées à la pandémie ont ralenti leur déploiement, mais pouvez-vous déjà distinguer ceux qui ont donné les meilleurs résultats pour l'internationalisation de nos entreprises ?

M. Pascal Allizard, vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. - Nous avons bien noté les priorités de la présidence française du Conseil de l'Union européenne en matière de politique commerciale, notamment l'adoption du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières et l'instauration dans les accords commerciaux de clauses miroirs imposant à nos partenaires une réciprocité en matière de normes. Nous ne doutons pas que tout sera fait pour faire avancer ces objectifs dans la fenêtre de tir réduite qui nous est impartie.

Je voudrais exprimer mon inquiétude quant au niveau historique atteint par notre déficit commercial. Cela vient d'être dit, la France a souvent été un pays exportateur, mais nous sommes maintenant dans la situation d'un pays massivement importateur net, ce qui nous inquiète dans un contexte de tensions internationales toujours croissantes. Relevons en outre que certains de nos voisins - l'Allemagne, mais aussi l'Italie, les Pays-Bas ou l'Irlande - ne connaissent pas le même déséquilibre. Je souhaiterais donc moi aussi entendre votre réaction sur ce point.

Je souhaiterais, au nom de la commission, que vous reveniez sur les accords commerciaux conclus par l'UE avec des pays tiers, en particulier l'accord avec le Mercosur. Vous nous aviez fait part lors de votre audition l'année dernière de votre détermination à « obtenir des engagements concrets et vérifiables » des pays partenaires en matière de déforestation et d'application des normes sanitaires et phytosanitaires. Avez-vous avancé en ce sens depuis lors ? C'est un enjeu tout à fait essentiel, car la déforestation ne fait que s'accélérer : la forêt amazonienne brésilienne continue de régresser à un rythme effrayant ; d'après les scientifiques, on s'approche dangereusement du point de bascule où elle ne sera plus qu'une savane, avec des conséquences irréparables sur le climat et la biodiversité.

S'agissant des relations transatlantiques, vous aviez évoqué certains signaux positifs envoyés par l'administration Biden, comme la réintégration des États-Unis dans l'accord de Paris, la reprise des négociations à l'OCDE sur l'imposition minimale des entreprises et la taxation des entreprises numériques, ou encore les moratoires sur les taxes sur l'aéronautique. Cette tendance se confirme-t-elle ? A-t-on progressé quant au blocage de l'organe d'appel de l'OMC par les États-Unis ?

Enfin, quelles sont les pistes pour mieux contrecarrer à l'échelle européenne l'application extraterritoriale du droit américain, arme brutale et pénalisante pour nos entreprises ? Avez-vous l'intention de vous pencher sur ce sujet au cours de la présidence française ? Enfin, où en sommes-nous quant aux accords commerciaux avec le Canada ?

M. Franck Riester, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé du commerce extérieur et de l'attractivité. - Merci pour votre invitation ; c'est toujours un plaisir de faire le point avec vous, notamment aujourd'hui sur les enjeux commerciaux liés à la présidence française du Conseil de l'Union européenne. J'étais hier au Parlement européen pour répondre aux questions de sa commission du commerce international. Le Président de la République a exprimé la triple intention de la présidence française : relance, puissance, appartenance. Nous portons donc trois ambitions très claires : une Europe plus souveraine, capable de maîtriser ses frontières tout en renforçant les liens avec ses voisins ; une Europe qui valorise de nouveaux modèles de croissance, par l'innovation et l'excellence technique et numérique ; enfin, une Europe plus humaine, qui incarne l'État de droit, la culture, la confiance en la science et la lutte contre les discriminations.

En cohérence avec cet agenda, nous avons défini trois axes principaux pour la politique commerciale européenne : continuer de créer des occasions pour nos entreprises sur les marchés étrangers par une politique d'ouverture ; promouvoir une politique commerciale plus durable, à la hauteur de nos standards sociaux et environnementaux ; enfin, défendre avec fermeté et sans naïveté nos entreprises contre les pratiques déloyales et coercitives. Ces trois axes rejoignent les priorités identifiées par la Commission européenne dans sa stratégie pour une politique commerciale ouverte, durable et affirmée, publiée le 18 février 2021.

Concernant le premier axe, le maintien de notre ouverture aux échanges est plus que jamais indispensable pour que notre économie tire tout le bénéfice de la reprise économique. Je visitais aujourd'hui l'entreprise Tractel, implantée dans l'Aube, qui exporte 50 % de sa production en volume ; pour elle, les occasions d'exporter se multiplient : c'est le moment d'oser l'international ! La France tire profit de cette ouverture, plus de 4 millions d'emplois en dépendent. La diversification de nos partenariats commerciaux est aussi une manière de renforcer la résilience de nos chaînes de valeur et d'approvisionnement qui, lorsqu'elles étaient trop concentrées auprès d'un faible nombre de pays fournisseurs, ont été soumises à des tensions importantes durant la crise sanitaire. C'est un enjeu européen, mais aussi national : le Gouvernement a donc choisi d'accompagner nos entreprises, notamment petites et moyennes, en intégrant un ambitieux volet export dans le plan France Relance.

Le déficit commercial de la France est structurel pour les biens, mais la conjoncture aggrave aussi la situation. Même si nous avons globalement retrouvé une activité exportatrice supérieure à nos performances d'avant la crise, certains secteurs traditionnellement forts sont toujours affectés, notamment l'aéronautique. En outre, la très forte croissance observée en France en 2021 a conduit à une demande très forte de biens de consommation importés, mais aussi de biens nécessaires à la fabrication de produits finaux dans nos usines, conduisant à une forte hausse conjoncturelle des importations.

On peut relever ce défi commercial en s'aidant de quatre leviers. Premièrement, il convient d'améliorer la compétitivité de notre pays, longtemps faible du fait que les gouvernements précédents ont manqué de prendre les décisions nécessaires ; en 2019 et 2020, la France a été le pays le plus attractif d'Europe grâce à la baisse de l'impôt sur les sociétés passé de 33 % à 25 % et des impôts de production de 10 milliards d'euros en 2021 et d'autant en 2022, à l'assouplissement des contraintes administratives ou encore à une négociation sociale replacée au plus près de l'entreprise. Deuxièmement, il faut engager la réindustrialisation de notre pays ; à cette fin, une politique ambitieuse a été placée au coeur du plan de relance pour décarboner, numériser et automatiser notre industrie et investir dans les secteurs d'avenir, avec notamment France 2030. Les résultats du plan de relance et du « quoi qu'il en coûte » sont déjà visibles : la croissance est très forte, car on a pu maintenir les talents dans nos entreprises et éviter à celles-ci les défaillances. Troisièmement, notre politique commerciale doit être moins naïve. Enfin, il faut accompagner les entreprises à l'international, notamment les PME, pour qu'elles exportent davantage. Depuis vingt ans, nous n'avions jamais eu autant d'entreprises exportatrices qu'aujourd'hui : elles sont 136 000, contre 123 000 en 2017. On est encore loin des Italiens qui sont à 220 000 et des Allemands qui sont à 300 000, mais on progresse !

Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. - Peut-être, mais le déficit est de plus de 77 milliards...

M. Franck Riester, ministre. - Certes, les difficultés sont structurelles avec les quatre leviers sur lesquels nous travaillons, mais il ne faut pas nier non plus les réalités conjoncturelles qui expliquent largement la détérioration de court terme de notre balance commerciale ! Ajoutons à celles que je viens d'évoquer l'accroissement du coût de l'énergie. Notre politique énergétique est simple à comprendre : elle est fondée sur le nucléaire et les énergies renouvelables.

Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. - C'est nouveau !

M. Franck Riester, ministre. - Absolument pas : le Président de la République a été très clair à ce sujet depuis le début de son quinquennat.

Au sein du plan de relance, nous avons fait du sur-mesure pour nos entreprises exportatrices. Le chèque relance export permet de couvrir une partie de leurs coûts de prospection et les chèques VIE aident les jeunes volontaires internationaux en entreprise. Bpifrance organise par ailleurs un renforcement de l'assurance prospection-accompagnement pour les TPE et PME. Les crédits du Fonds d'études et d'aide au secteur privé (Fasep) ont également été renforcés. Les mesures du plan de relance export ont été prolongées jusqu'au 30 juin 2022 et adaptées pour répondre aux demandes des entreprises : les coûts de formation des chefs d'entreprise et de leurs équipes et les coûts d'interprétariat et traduction pourront être pris en charge.

Les barrières à l'export liées à la pandémie se lèvent progressivement : c'est le moment de repartir de l'avant ! Pour donner aux entreprises françaises et européennes les meilleures chances de prospérer sur les marchés étrangers, la présidence française défend un principe clair : tout le monde doit jouer selon les mêmes règles. Le système commercial multilatéral doit donc être remis en état de marche ; la tâche est rude, mais nous nous sommes attelés à une revitalisation et une réforme de l'OMC. Nous veillerons à ce que l'Union européenne s'engage pleinement dans les négociations de la douzième conférence ministérielle de l'OMC. Je rencontrerai sa directrice générale, Dr Ngozi Okonjo-Iweala, à Paris ce vendredi.

L'agenda bilatéral de l'Union est également important pour nos entreprises ; l'accord économique et commercial global (CETA) avec le Canada ou encore l'accord avec le Japon sont très favorables à nos intérêts économiques.

Quant au projet d'accord avec le Mercosur, notre position n'a pas changé : il ne peut être signé en l'état, nous attendons que la Commission européenne nous indique quelles garanties elle demandera en matière de déforestation, de lutte contre le changement climatique et de normes sanitaires et phytosanitaires, et quels instruments autonomes européens elle compte mettre en place pour répondre à ces préoccupations ; je pense notamment à un instrument de lutte contre la déforestation importée, qui pourra concerner cette zone économique.

Les accords commerciaux profitent à nos exportations et ont permis d'amortir l'impact de la crise sanitaire sur nos échanges. Le CETA avait déjà permis avant la crise une augmentation importante de nos exportations, notamment dans le secteur agroalimentaire. Les exportations de biens ont moins baissé vers les pays ayant conclu un accord commercial avec l'Union européenne que vers les autres pays.

Promouvoir l'ouverture, c'est aussi renforcer nos relations économiques avec certains partenaires clés, notamment sur le continent africain. Nous avons l'ambition de refonder en profondeur la relation UE-Afrique. Nous soutenons l'intégration continentale africaine, au travers notamment d'une aide à la zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf). Nous encourageons aussi la conclusion et l'approfondissement d'accords économiques régionaux ou bilatéraux pour favoriser le développement durable des pays africains et renforcer nos chaînes de valeur. Nous travaillons avec l'Agence française de développement (AFD) et les acteurs de la diplomatie économique française pour accompagner l'entrepreneuriat africain et former les jeunes entrepreneurs. Après la conférence du 10 janvier, ce sujet sera à l'ordre du jour de la réunion informelle des ministres du commerce de l'UE qui se tiendra les 13 et 14 février à Marseille, ville de commerce international tournée notamment vers l'Afrique. Ces discussions prépareront la tenue du sommet Union européenne-Union africaine qui se tiendra quelques jours plus tard.

Le second axe de travail prioritaire de la présidence française est la contribution de la politique commerciale à nos objectifs de développement durable. L'Union est pionnière en matière de lutte contre le changement climatique ; nous pouvons en être fiers. Nous avons décidé de réduire nos émissions de gaz à effet de serre de 55 % par rapport à 1990 d'ici à 2030. Une telle ambition nécessite la mobilisation de toutes les politiques de l'Union. Nous travaillons déjà à une telle cohérence, notamment dans le cadre du plan d'action pour la mise en oeuvre du CETA.

Notre présidence est l'occasion de redoubler d'efforts au travers de trois textes législatifs en cours d'examen au Conseil qui doivent inciter nos partenaires à relever leurs ambitions en matière de développement durable et garantir que les efforts consentis par l'UE ne conduiront pas à une dégradation de la situation dans des régions moins-disantes.

Le premier de ces textes est la révision du système de préférences généralisées (SPG), qui permet à des pays en développement d'accéder de manière préférentielle au marché européen. La Commission a fait une proposition, nous travaillons à l'adoption d'un compromis au Conseil afin de renforcer certains de ces volets, notamment en conditionnant l'accès à ces préférences à des actions de protection de l'environnement.

Le second texte porte sur le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF), qui permettra de réduire les « fuites » de carbone et d'assurer l'efficacité environnementale du système européen d'échange de quotas d'émission. Annoncé le 14 juillet dernier, ce mécanisme est conçu pour être conforme aux règles de l'OMC et cohérent avec l'accord de Paris. Plusieurs points demeurent sensibles dans les discussions actuelles au Conseil : l'accompagnement des exportateurs, les filières aval et les produits qui, sans être directement ciblés par le MACF, contiennent des produits qui le sont ; sur ce dernier aspect, il ne faudrait pas qu'un contournement du dispositif soit possible. Nous souhaitons aboutir à une position commune sous la présidence française.

Le dernier texte auquel nous travaillons est le projet de règlement européen sur la déforestation. Un texte a été proposé par la Commission en novembre dernier ; nous voulons aboutir à une orientation générale du Conseil. Ce texte vise à interdire la mise sur le marché européen de matières premières sensibles ayant contribué à la déforestation ou à la dégradation des forêts, ou issues d'une extraction illégale. Café, cacao, huile de palme et bois seraient les principaux produits concernés. Nous attendons d'ici à la mi-février une proposition de la Commission sur le devoir de vigilance des entreprises. La France est pionnière en la matière, grâce à la loi Potier du 20 mars 2017. Nous souhaitons que soient présentées au plus vite, dans ce texte ou par un dispositif juridique ad hoc, des dispositions visant à empêcher les produits issus du travail forcé d'entrer sur le marché intérieur. Nous soutenons aussi le principe de clauses miroirs insérées dans les réglementations agricoles, sanitaires ou environnementales européennes permettant d'appliquer lorsque c'est pertinent aux produits importés certains standards européens, de manière compatible avec les règles de l'OMC. Nous attendons le rapport de la Commission sur ce sujet, ainsi qu'un acte délégué sur l'utilisation d'antibiotiques comme facteurs de croissance.

Au-delà des initiatives législatives, nous soutiendrons une révision de l'approche européenne sur le contenu des chapitres sur le commerce et le développement durable des futurs accords commerciaux de l'Union, en cohérence avec nos préoccupations environnementales, sociales et relatives aux droits humains. Il faut que ces dispositions soient crédibles et prennent en considération la pratique et les outils développés par nos principaux partenaires, y compris en matière de sanction des engagements.

Le troisième axe de notre stratégie est la mise en oeuvre d'une politique commerciale plus affirmée et moins naïve. Nous souhaitons bâtir une politique plus ferme qui contribue à notre souveraineté et accroître la capacité de l'Union européenne à défendre ses intérêts et ceux de ses entreprises contre les pratiques déloyales et abusives, au travers de trois instruments.

Nous travaillerons d'abord à la finalisation de l'instrument de réciprocité dans les marchés publics, actuellement en discussion en trilogue ; ce levier doit encourager l'ouverture des marchés publics dans les pays qui les ferment aujourd'hui à nos entreprises en permettant le blocage des produits issus de tels pays.

Nous entamons aussi au Conseil des discussions sur l'instrument anti-coercition, sur la base de l'excellente proposition de la Commission en décembre dernier. Ce nouvel outil, compatible avec nos engagements internationaux, doit dissuader les pays tiers d'adopter des pratiques coercitives, y compris des sanctions extraterritoriales, par la menace crédible d'une réponse proportionnée. Les entreprises européennes, en première ligne, seraient ainsi mieux protégées. Nous voulons un outil dont le spectre soit le plus large possible et qui soit suffisamment dissuasif pour les pays tiers.

Nous poursuivrons enfin les discussions entamées en vue de l'adoption d'un instrument permettant de mieux lutter contre les distorsions générées par les subventions étrangères sur le marché intérieur, afin que les entreprises européennes jouent à armes égales avec leurs concurrents étrangers. L'actuelle politique européenne de la concurrence ne permet pas d'encadrer pleinement les effets de ces soutiens étrangers, notamment en matière de marchés publics et de fusions-acquisitions.

En parallèle de ces travaux législatifs, nous souhaitons que la Commission poursuive les efforts qu'elle déploie sous l'égide du responsable européen du respect des règles du commerce, véritable procureur commercial européen auquel il incombe d'assurer la pleine mobilisation des outils commerciaux existants, en particulier nos instruments de défense commerciale. Une boîte à outils beaucoup plus ambitieuse ne suffit pas : il faut ensuite s'assurer que ces outils sont utilisés. Il doit aussi lever les barrières injustifiées auxquels nos exportateurs sont confrontés sur les marchés tiers et faire en sorte que les accords commerciaux soient pleinement respectés.

Je suis conscient que les attentes n'ont jamais été aussi fortes en matière d'évolution de la politique commerciale européenne. Il nous faut trouver un juste équilibre entre ouverture, défense des intérêts de l'Union et satisfaction de nos objectifs de développement durable pour que le commerce international de l'Union soit conforme à la fois aux valeurs européennes et à nos intérêts. Nous saisirons pleinement l'occasion offerte par la présidence française du Conseil pour y parvenir.

M. Alain Cadec. - Sur l'ensemble de l'année 2021, le déficit commercial de la France dépasse 77,6 milliards d'euros. Les exportations ne progressent pas assez pour compenser la hausse des importations. Certes, celle-ci s'explique en partie par la hausse des prix des matières premières énergétiques et des produits industriels, mais il faut relever que la France, traditionnellement exportatrice d'électricité, a été importatrice nette en novembre et décembre à la suite de l'arrêt de quatre réacteurs nucléaires. Selon le ministre de l'économie et des finances, il nous faudra dix ans pour retrouver une balance commerciale excédentaire. Le Haut Commissaire au plan déplore quant à lui une « dégringolade » du commerce extérieur. Depuis cinq ans, le Gouvernement n'a rien fait pour préserver notre capacité de production, y compris dans des domaines où nous étions leaders. Pour réduire le déficit commercial, il faut recommencer à produire en France. Avez-vous réellement la volonté de relancer la production nationale ? Si tel est le cas, quelles mesures mettez-vous en place ?

M. Jean-Yves Leconte. - L'attractivité se construit sur le long terme. Or, au cours des dernières années, la France est passée de la troisième à la sixième place en matière d'accueil des étudiants étrangers. On ne peut pas non plus construire l'attractivité sans mobilité : notre politique en matière de visas est donc cruciale en la matière. Enfin, la recherche de l'attractivité doit se traduire par des investissements utiles à la balance commerciale. Beaucoup d'entreprises rencontrent des entraves pendant cette crise sanitaire : faire venir des clients s'avère souvent impossible faute de délivrance des visas ; le passe vaccinal peut aussi s'avérer problématique ; enfin, les « motifs impérieux » d'entrée sur notre territoire sont étudiés par un « cabinet noir » au ministère de l'intérieur... Comment expliquez-vous notre politique dogmatique en la matière, qui bloque toutes les mobilités, alors que l'Allemagne s'est montrée extrêmement pragmatique pour continuer d'accueillir ses clients ? Vous n'avez rien fait pour favoriser nos exportations !

M. Philippe Bonnecarrère. - Vous avez évoqué l'effort de notre pays en matière de compétitivité extérieure et votre ambition de réindustrialisation. Certains économistes expliquent que l'enjeu n'est pas tant la compétitivité, en attestent nos résultats dans les secteurs de l'aéronautique et du luxe, que la capacité de l'industrie française à produire des biens attendus par les Français. Pourriez-vous nous dire quelle est votre priorité, entre la compétition avec l'extérieur et la production nationale de ces biens ?

Mme Marie Evrard. - Un sommet entre l'Union africaine et l'Union européenne doit se tenir les 17 et 18 février à Bruxelles. Le Président de la République a évoqué une refonte en profondeur de la relation selon lui « un peu fatiguée » entre les deux continents. Dès 2017, dans son discours à la Sorbonne, il avait déclaré vouloir relancer la taxe sur les transactions financières européennes pour financer la politique de développement, notamment en direction de l'Afrique. Pouvez-vous nous éclairer sur le bilan de ces initiatives et sur les perspectives commerciales qui se dessinent entre l'Europe et l'Afrique, alors que les investissements chinois y sont dominants, ce qui pose des défis redoutables aux acteurs économiques occidentaux ?

M. Franck Riester, ministre. - Il faut savoir que, en novembre 2021, 50 % du creusement du déficit commercial provenait de l'augmentation de la facture énergétique qui constitue bien évidemment une problématique mondiale. J'y insiste, c'est l'augmentation du prix des hydrocarbures qui a un très fort impact conjoncturel sur le déficit du commerce extérieur de notre pays.

Pendant le même mois de novembre, les exportations françaises étaient supérieures de 5 points à ce qu'elles étaient en novembre 2019. J'ajoute qu'au même moment, les exportations liées au secteur de l'aéronautique étaient, quant à elles, inférieures de moitié à celles qu'elles étaient, là encore, en novembre 2019.

Il y a donc bien, dans de nombreux secteurs, une dynamique des exportations. D'ailleurs, les entreprises exportatrices sont elles-mêmes plus nombreuses.

D'un point de vue conjoncturel, nous sommes confrontés, je le répète, à une très forte augmentation des prix des hydrocarbures qui a évidemment un impact sur notre déficit commercial. Et nous connaissons parallèlement un niveau élevé de la consommation, de la part tant des entreprises que des particuliers.

Je vous rappelle les quatre leviers que j'ai évoqués tout à l'heure pour faire face au problème structurel que nous connaissons. Il y a d'abord l'amélioration de la compétitivité. Contrairement aux majorités précédentes - pardon de le dire ! -, nous avons baissé la fiscalité qui pèse sur notre compétitivité...

Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. - C'était aussi votre majorité à une époque, monsieur le ministre !

M. Franck Riester, ministre. - Je vois plusieurs d'entre vous faire non de la tête, mais là encore, c'est simplement la réalité !

La politique ambitieuse d'amélioration de la compétitivité coût et hors coût que nous menons depuis quatre ans paye aujourd'hui. Des industries se réinstallent dans nos territoires, elles investissent.

Nous connaissons un formidable dynamisme des investissements étrangers en France, ce qui signifie bien que les grands groupes internationaux font aujourd'hui - ce n'était pas le cas auparavant - le choix de la France, y compris en matière industrielle. Ces groupes voient dans notre pays des opportunités importantes de développement, plus qu'en Allemagne.

De nombreux facteurs y contribuent : la baisse de la fiscalité, l'augmentation de la souplesse accordée aux entreprises pour s'organiser, la présence de talents et de compétences, etc. Sur le temps long, ces entreprises vont nous permettre d'augmenter nos capacités exportatrices.

D'ailleurs, je crois que les Français se rendent compte de ce changement sur le terrain.

Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. - Vraiment ?

M. Franck Riester, ministre. - Il n'y a jamais eu autant d'emplois créés en France ! Nous devons continuer dans ce sens.

La question de la relocalisation d'une partie des chaînes de valeur nécessite un travail en profondeur et du temps. Dans le cadre du plan de relance, nous avons mobilisé des lignes de crédits pour accompagner les entreprises qui relocalisent en France. Des centaines de projets sont en cours, notamment dans des secteurs stratégiques.

Je crois qu'il faut aussi inciter les consommateurs à acheter français. Chacun sait bien que de nombreux restaurants achètent du boeuf argentin, australien ou brésilien plutôt que de la viande d'Aquitaine, du Limousin ou de l'Aubrac ! Nous devons accompagner les changements de comportements afin de favoriser le made in France.

En ce qui concerne la question de M. Leconte sur la mobilité pendant la crise du covid, je vous rappelle que plusieurs pays - je pense évidemment aux États-Unis, avec le travel ban, ou à la Chine - se sont complètement fermés durant cette période. Cela n'a pas été le cas de la France, mais nous assumons d'avoir pris des mesures restrictives temporaires pour des pays où le virus circulait de manière particulièrement importante. Dire que nous n'avons rien fait pour faciliter la mobilité des chefs d'entreprises ou de leurs équipes est donc tout simplement exagéré !

Sur l'Afrique, je l'ai dit, c'est pour nous une zone prioritaire et nous soutenons le projet de zone de libre-échange à l'échelle du continent, la Zlecaf. Nous avons l'ambition de nouer à terme des accords de continent à continent plus intégrés. D'ici là, nous travaillons à la signature, ou à la modernisation lorsqu'ils existent, d'accords commerciaux régionaux ou bilatéraux - je pense par exemple au Kenya.

Pour que ces accords soient gagnants-gagnants, nous réfléchissons à la question des chaînes de valeur : les relocalisations que nous souhaitons pour notre pays peuvent aussi s'appuyer sur des colocalisations dans des pays proches de l'Europe, que ce soit d'un point géographique, culturel ou linguistique, afin d'améliorer les chaînes d'approvisionnement. Je pense notamment à la réussite du développement des secteurs aéronautique et automobile au Maroc et en Tunisie.

Dans le secteur agroalimentaire, il n'est quand même pas normal que des produits bruts, par exemple le chocolat ou la noix de cajou, soient expédiés d'Afrique en Asie pour revenir ensuite transformés en Europe...

Mme Colette Mélot. - Le Gouvernement s'est attelé à rendre notre pays plus compétitif et à récompenser le travail - c'est un constat. Cependant, la compétitivité de nos entreprises est mise à mal par les impôts de production, qui sont assis non sur le bénéfice, mais sur le chiffre d'affaires ou sur les facteurs de production. Ils sont d'un montant supérieur à celui de nos voisins. Le Gouvernement a fait le choix de les réduire significativement ; ils ont ainsi baissé de 10 milliards d'euros depuis 2020.

Ma question est double. Cette réduction a-t-elle eu des conséquences positives sur l'attractivité de notre pays ? Dans la mesure où nos impôts de production sont encore supérieurs à la moyenne européenne, est-il envisageable de les réduire jusqu'à atteindre cette moyenne ?

M. Jacques Fernique. - Pour autant que notre politique commerciale vise à être plus durable et plus conforme aux exigences environnementales et sociales, deux aspects me semblent importants.

Je veux d'abord évoquer le devoir de vigilance des multinationales. En présentant le programme de la présidence française du Conseil de l'Union européenne, le Président de la République a dit que ce sujet ferait partie de ses priorités. Notre pays a été, d'une certaine façon, pionnier en la matière, mais la loi française n'a de sens que si elle s'appuie sur une politique forte à l'échelon européen. Or il y a déjà eu de multiples reports sur le projet de texte communautaire sur le devoir de vigilance. Où en est-il précisément ?

Je veux aussi parler de la préparation de la mise en place effective du fameux mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF), qui pourrait entrer progressivement en vigueur à partir de 2023. Cette échéance sera-t-elle tenue ? Il serait désastreux, autant pour le climat que pour les perspectives de remboursement de l'emprunt commun, qu'elle soit repoussée.

Par ailleurs, il n'est pas envisageable de maintenir à terme les quotas gratuits alloués aux entreprises les plus polluantes, si nous voulons que ce mécanisme soit efficace et cohérent au regard des règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). En outre, la Cour des comptes européenne a montré combien l'efficacité de ces quotas est discutable. Si on peut comprendre la préoccupation liée à la compétitivité de nos exportations, on ne peut pas, pour autant, céder à toutes les pressions destinées au maintien de ces avantages. L'action de la France aura-t-elle la détermination qui s'impose ?

Mme Marta de Cidrac. - Monsieur le ministre, vous venez de rappeler un certain nombre de priorités de la présidence française du Conseil de l'Union européenne, comme la prise en compte de l'enjeu environnemental et la nécessaire fermeté en matière de politique commerciale. Vous avez même dit que nous ne devons pas faire preuve de naïveté...

Mais force est de constater que la voix de la France n'est pas toujours entendue à l'échelle de l'Europe. Peut-être en sera-t-il différemment avec le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières ? Les appétences des États membres vis-à-vis de ce dispositif sont diverses : les pays ayant une balance commerciale excédentaire - je pense évidemment à l'Allemagne - sont particulièrement attentifs aux mesures potentielles de rétorsion commerciale.

La question se pose également pour nos entreprises exportatrices. Elles sont nombreuses malgré notre déficit commercial, qui est à un niveau abyssal, jamais atteint. Or le mécanisme qui a été conçu pour assurer une neutralité au sein de l'Union européenne pourrait pénaliser les entreprises européennes exportatrices, dès lors qu'elles ne bénéficieraient plus de l'allocation de quotas gratuits.

Monsieur le ministre, comment comptez-vous procéder pour que le mécanisme ne pénalise pas nos exportations et ne conduise pas à créer des filiales à l'extérieur de l'Union européenne ?

Mme Hélène Conway-Mouret. - Monsieur le ministre, vous êtes également chargé de « l'attractivité » de la France qui dépend grandement de l'image de notre pays.

Il y a très longtemps, notre pays a fait le choix de l'universalité de ses réseaux à l'étranger. Nous sommes donc présents d'un point de vue économique ou culturel dans la majorité des pays. Pourtant, le budget du ministère de l'Europe et des affaires étrangères n'a cessé de diminuer année après année. Dans l'ensemble de nos réseaux, les crédits diminuent ; certes, ils stagnent cette année, mais cela est dû à la pandémie. Cela pose la question de notre perte d'influence et de la diminution de notre attractivité économique et culturelle.

Nous disposons pourtant d'un réseau dont peu d'autres pays disposent : je ne citerai, sur le plan économique, que Business France, les conseillers du commerce extérieur, les chambres de commerce ou encore les services économiques et, sur le plan culturel, les instituts français, les alliances françaises et les établissements scolaires.

Certains pays ont bien compris l'atout que constitue un réseau culturel et ils y investissent massivement. De notre côté, nous avons aussi un réseau, mais il a finalement beaucoup moins d'influence, parce qu'il n'a pas la chance de bénéficier du même soutien que ses concurrents.

Alors que le ministère de l'Europe et des affaires étrangères chapeaute désormais l'ensemble des politiques d'attractivité, comment défendre et développer notre attractivité économique, si la diplomatie d'influence, qui est essentielle à celle-ci, ne bénéficie pas de moyens suffisants ? Avez-vous une stratégie globale, dans laquelle tous nos réseaux seraient coordonnés pour éviter le fonctionnement en silos ? Quels en sont les objectifs ?

Je vous donne un exemple : les Irlandais travaillent chaque année sur une telle stratégie, appelée Global Ireland, et l'ensemble de leurs réseaux à l'étranger, qu'ils soient diplomatiques, culturels ou économiques, est focalisé sur les objectifs ainsi fixés. Je sais que vous connaissez bien ce pays. Que pensez-vous de ce mode de fonctionnement ?

M. Franck Riester, ministre. - Nous avons pris des décisions très importantes pour faire baisser les impôts de production et je peux vous dire qu'elles sont reconnues comme tel : j'ai visité lundi dernier une usine du groupe Mars installée dans le Loiret et son dirigeant m'a clairement dit que, si son groupe avait décidé d'investir 50 millions d'euros en France, c'est parce que les impôts de production et sur les sociétés avaient baissé.

Pour autant, il existe encore un décalage avec certains pays européens, dont l'Allemagne. Continuer de faire baisser les impôts de production pour améliorer encore plus notre compétitivité fait partie de nos pistes de réflexion.

Un autre levier qui nous a permis d'améliorer notre compétitivité a été la baisse des cotisations sociales ; ainsi, le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) a été transformé en un allègement pérenne de cotisations sociales. Il est vrai que cela concernait d'abord les bas salaires et que nous devons regarder la question des salariés plus qualifiés.

En tout cas, la France a créé 140 000 emplois industriels en 2021 et il y a eu deux fois plus d'usines ouvertes que d'usines fermées. Il existe donc une réelle dynamique en matière industrielle.

En ce qui concerne le devoir de vigilance, c'est une fierté pour la France d'avoir été pionnière en la matière avec la loi de 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre, dite loi Potier, dont d'autres pays se sont inspirés, à commencer par l'Allemagne. Nous devons maintenant travailler sur ce sujet au niveau européen. Le commissaire Didier Reynders devrait proposer une législation dans les semaines à venir et nous estimons qu'il est très important qu'un cadre européen soit fixé. Nous souhaitons que cette proposition intègre la question du travail forcé ; si ce n'était pas le cas, nous serions favorables à ce que l'Union européenne se dote d'un instrument spécifique sur ce sujet, comme l'a évoqué la présidente de la Commission.

Je peux vous dire, madame la sénatrice de Cidrac, que la voix de la France est de plus en plus suivie, y compris sur les questions commerciales. La Commission européenne a présenté une révision de sa stratégie commerciale dans laquelle la France se retrouve en très grande partie et qu'elle a d'ailleurs influencée. Des pays comme les Pays-Bas, traditionnellement éloignés de la France sur les sujets commerciaux, ou l'Allemagne, en particulier depuis l'entrée en fonction de la nouvelle coalition, sont dorénavant beaucoup plus en phase avec nous.

En ce qui concerne le MACF, de nombreux pays soutiennent un tel mécanisme et nous devons continuer de travailler à un consensus pour éviter les délocalisations et les « fuites » de carbone à l'extérieur de nos frontières. Nous devons protéger nos producteurs, auxquels nous demandons des efforts importants en matière de décarbonation, tout en évitant de pénaliser nos exportateurs. De ce point de vue, le dispositif précis n'a pas encore été identifié. Pour l'instant, il est proposé de réduire les quotas gratuits de 10 % par an sur une période de dix ans. Je rappelle que la Commission européenne a proposé une période à blanc pour le MACF de 2023 à 2025. Nous aurons des discussions avec nos partenaires sur tous ces sujets pour trouver un mécanisme qui soit solide et qui ne puisse pas être contourné.

S'agissant du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, son budget global a augmenté de 32 % sur le quinquennat.

Mme Hélène Conway-Mouret. - Ce chiffre me surprend !

M. Franck Riester, ministre. - Jean-Yves Le Drian a précisé une nouvelle fois en décembre dernier notre stratégie d'influence qui passe par la marque France. Nous travaillons d'ailleurs à une campagne de communication dans un certain nombre de pays pour valoriser les entreprises françaises. Pour cela, nous rassemblons les différents leviers que vous avez évoqués.

Vous avez raison de dire, madame Conway-Mouret, que le soft power, comme on dit en franglais, est une question très importante. Je m'y suis beaucoup intéressé, lorsque j'étais ministre de la culture. Nous avons un très grand potentiel en la matière et cela reste au coeur de nos priorités.

M. Bruno Sido. - Cela a été dit, le déficit commercial français atteint un niveau abyssal. Certes, la hausse des prix de l'énergie et des matières premières et la pandémie ont un impact, mais ce qui est très inquiétant, c'est que traditionnellement les ventes d'armement permettent à la France de tirer vers le haut sa balance commerciale. Par ailleurs, la croissance du marché de l'armement atteint des records, ce qui devrait créer une dynamique favorable pour l'industrie française.

Or force est de constater que les achats d'équipements militaires par les membres de l'Union européenne se font de plus en plus auprès d'acteurs hors de l'Union européenne. Neuf pays membres de l'Union européenne ont acheté des F35 américains. L'exemple de la Pologne est criant, puisqu'elle a consacré 10 milliards d'euros pour des F16, des missiles antichars et des F35 américains. L'exemple allemand vis-à-vis des avions Poseidon n'est pas sans poser d'importantes interrogations, alors même que nous redoublons d'efforts pour la réalisation du système de combat aérien du futur (SCAF) avec eux. Ces achats concernent également les munitions, les avions de transport, les hélicoptères, etc.

C'est donc l'ensemble de notre industrie de défense qui en pâtit. Cela a des conséquences sur la construction de la défense européenne qui doit s'appuyer sur une interopérabilité des matériels et sur notre souveraineté, car les exportations d'armement permettent à notre industrie de défense de maintenir ses capacités de recherche et de production, sur lesquelles repose notre modèle d'armée, le seul, dans l'Union européenne, à être autonome et complet.

Monsieur le ministre, quels actes forts allez-vous engager dans le cadre de la présidence française du Conseil de l'Union européenne pour favoriser la mise en place d'un marché commun européen de la défense, favorable à la France et à ses exportations ?

M. Rémi Cardon. - Monsieur le ministre, je suis désolé, mais je vais évoquer de nouveau la question du déficit de notre balance commerciale. En novembre dernier, notre déficit en la matière a bondi de 9,7 milliards d'euros, un niveau jamais atteint. Ce phénomène a eu un impact direct sur les factures énergétiques des Français, cela a été dit. La France s'est retrouvée en position d'importatrice nette en novembre au moment où les cours s'envolaient. Les déficits sur les produits énergétiques se creusent considérablement.

Comment comptez-vous remédier à ce problème pour l'année 2022 ? Si vous estimez que la moitié du déficit est due à la hausse des prix des carburants, dont acte ! Personnellement, je pense que c'est surtout dû un manque de capacité de production électrique. Quelle est la stratégie de la France pour rattraper ce manque ?

Quelles filières devons-nous renforcer pour équilibrer notre balance commerciale ? Je ne suis ni pessimiste ni naïf, mais quand le plan France Relance s'arrêtera, c'est-à-dire après la campagne présidentielle, dans quel état sera notre pays en matière commerciale ?

M. Olivier Cadic. - Monsieur le ministre, en septembre 2013, à Londres, Nicole Bricq, alors ministre du commerce extérieur, annonçait qu'elle devait équilibrer la balance commerciale de la France, hors énergie, d'ici à la fin du quinquennat de François Hollande. Son objectif : combler le trou de 15 milliards d'euros créé sous Nicolas Sarkozy. Raté ! Le gouvernement socialiste a renouvelé la performance de ses prédécesseurs et doublé le déficit dans ce domaine avec 36,2 milliards d'euros en 2017 - un record ! Match nul donc entre les protagonistes des deux quinquennats dans tous les sens du terme.

Le redressement de notre commerce extérieur sera une opération de longue haleine que chacun devrait aborder avec beaucoup d'humilité. Président du groupe d'amitié France-Pays du Golfe, j'ai eu le privilège de faire partie de la délégation qui accompagnait Emmanuel Macron pour ses visites de travail aux Émirats arabes unis, au Qatar et en Arabie saoudite en novembre dernier.

Trente-six ans après avoir travaillé sur le démonstrateur du Rafale A, j'étais comblé d'assister à la signature à Dubaï d'un contrat historique pour la livraison de 80 Rafale. Par ailleurs, les Émirats ont signé un contrat pour l'acquisition de 12 hélicoptères H225M Caracal auprès d'Airbus Helicopters, qui seront entièrement produits et assemblés à Marignane.

Ce voyage a permis de concrétiser des résultats économiques spectaculaires qui renforceront l'emploi en France. L'étape de Djeddah, en Arabie Saoudite, où vous nous avez rejoints, m'a permis d'y retrouver beaucoup d'entreprises françaises qui vous accompagnaient.

Pouvez-vous nous parler des résultats obtenus en Arabie Saoudite, qui ont été moins médiatisés que ceux obtenus aux Émirats, mais qui m'ont semblé réjouir nos entrepreneurs ?

Mme Marie-Christine Chauvin. - La proposition de mécanisme d'ajustement carbone aux frontières constitue une avancée considérable, même si le chemin à parcourir pour le concrétiser sera sans doute long et certainement semé d'embûches. On peut donc comprendre pourquoi la Commission européenne n'a proposé d'inclure, dans un premier temps, qu'un nombre restreint de secteurs.

Il en est toutefois un qui est absent à ce stade et qui mériterait d'être intégré le plus tôt possible : il s'agit évidemment de l'agriculture. Vous allez sûrement me dire là encore que c'est un secteur où tout va bien... Toutefois, nous mesurons chaque jour les effets délétères de son exposition à la concurrence internationale déloyale.

Dans un récent avis sur le mécanisme d'ajustement carbone, la commission agriculture du Parlement européen a plaidé pour que le dispositif soit étendu au plus vite aux produits agricoles. La commission souligne que cette intégration est d'autant plus importante que, malgré les compensations promises en cas de perte de rentabilité, le secteur agricole sera directement touché par l'inclusion d'autres produits, notamment les engrais.

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous indiquer la position du Gouvernement sur cette question et, le cas échéant, nous préciser si la présidence française entend préparer dès maintenant, par exemple via une étude d'impact ou une consultation intersectorielle, le terrain à l'extension de ce mécanisme aux produits agricoles ?

M. Franck Riester, ministre. - Je reviens rapidement sur l'attractivité pour vous dire que 700 projets de relocalisation sont en cours dans le cadre du programme France Relance. Une fois ce programme terminé, monsieur Cardon, c'est France 2030 qui sera le dispositif d'accompagnement des différents secteurs.

Quelqu'un a évoqué tout à l'heure les universités. Je crois qu'il faut avoir un peu d'objectivité en la matière et je vous rappelle que la France se situe en 2021 au troisième rang mondial du classement de Shanghai.

Sur l'énergie, la stratégie est claire : elle vise à développer à la fois les énergies renouvelables et le nucléaire. Ainsi, le Président de la République a annoncé la construction à terme de six centrales EPR. Pour diminuer la consommation d'hydrocarbures - je rappelle que nous avons décidé de stopper leur exploration en France, si bien que nous devons les importer -, il nous faut aussi - c'est ce que nous faisons - accompagner la transformation de notre parc automobile vers l'électrique.

Aujourd'hui, l'agriculture ne fait pas partie du champ des quotas carbone du système de permis d'émissions négociables (ETS) ; c'est la raison pour laquelle ce secteur n'a pas été intégré à ce stade au MACF. Nous devons continuer de discuter de l'ensemble de ces questions ; c'est ce que fait le ministre concerné, Julien Denormandie, avec les filières agricoles. Nous devrons aussi être attentifs sur la question des engrais pour éviter les « fuites » de carbone dont je parlais tout à l'heure et pour évaluer correctement les conséquences de l'intégration de ces produits sur la filière aval, c'est-à-dire l'agroalimentaire. Plus globalement, la politique agricole commune permet d'accompagner les filières et les exploitants dans la modernisation de leurs exploitations.

Nous gardons une forte ambition internationale pour le secteur agroalimentaire, que ce soit pour maintenir les marchés ouverts ou pour en ouvrir de nouveaux. C'est un secteur très concurrentiel. J'ai récemment eu d'importantes discussions avec les responsables algériens sur ces questions, par exemple.

Pour nous protéger des pratiques déloyales, nous soutenons la mise en place de clauses miroirs. Je pense notamment à l'utilisation des antibiotiques comme facteurs de croissance ou à la déforestation importée, mais les ministres Julien Denormandie et Barbara Pompili travaillent aussi sur d'autres clauses miroirs dans leurs secteurs respectifs, l'agriculture et l'environnement. Dans le même temps, nous devons continuer d'améliorer la compétitivité de l'agriculture française et européenne, ce qui est difficile, il faut le reconnaître, en raison de nos engagements en matière de développement durable.

Nous mobilisons beaucoup d'énergie sur le Moyen-Orient comme nous le faisons sur l'Afrique, l'Asie du Sud-Est ou encore l'Amérique. J'ai fait de nombreux déplacements depuis un an et demi. L'Arabie saoudite, pays sur lequel vous m'interrogez, monsieur Cadic, a adopté un plan stratégique, Vision 2030, qui prévoit de très importants investissements. Il faut savoir que le fonds souverain saoudien, le Public Investment Fund (PIF), va investir 40 milliards de dollars par an en Arabie saoudite d'ici à 2025. Or nombre de nos entreprises ont un savoir-faire formidable pour se positionner sur ces projets : je pense aux entreprises des secteurs de la ville durable, des énergies renouvelables, de la santé, du tourisme, de l'industrie, de la finance verte, des transports urbains ou encore de l'hydrogène. Nous devons continuer de nous mobiliser pour accroître notre présence en Arabie saoudite ; c'est pour cette raison que j'ai organisé dans ce pays, vous l'avez dit, un forum d'affaires, où 80 entreprises françaises étaient présentes. D'importants contrats ont été signés, par exemple une commande à hauteur de 400 millions d'euros auprès d'Airbus Helicopters, l'achat de fournitures pour des moteurs destinés à l'aéronautique à hauteur de 11 milliards pour Safran ou encore un contrat de gestion des eaux pour la ville de Riyad à hauteur de 80 millions pour Veolia. D'autres négociations sont en cours. Une vingtaine de contrats de coopération ont été signés avec ce pays, touchant différents secteurs d'activité. La confiance se renforce entre opérateurs français et saoudiens.

Enfin, une question m'a été posée concernant le secteur de l'armement. Ce secteur relève plus directement du champ du ministère des armées, mais il s'agit évidemment d'une question stratégique pour notre pays. L'Union européenne devrait adopter prochainement sa « boussole » stratégique. La complémentarité entre l'OTAN et l'Union européenne est absolument nécessaire. Nous devons prendre en compte l'aspect industriel de cette stratégie, parce que, si nous voulons être souverains, nous devons maîtriser les technologies et la production des matériels nécessaires à notre défense. La France a évidemment un savoir-faire particulièrement reconnu en la matière. Nous avons obtenu des résultats positifs, par exemple avec le Rafale en Grèce, en Croatie ou dans les Émirats arabes unis, mais aussi des déceptions comme avec les sous-marins. En tout cas, la souveraineté européenne passe nécessairement par une souveraineté en matière industrielle et technologique.

Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. - Pour conclure, je voudrais vous dire, monsieur le ministre, que le Sénat ne vous a jamais manqué, quand il s'est agi de travailler sur la compétitivité des entreprises. Je trouve donc assez déplacés les propos que vous avez eus - je préfère vous le dire. Nous avons toujours travaillé sur la compétitivité des entreprises à vos côtés, avec les territoires, et nous considérons qu'il y a encore du chemin à faire, comme vous l'avez vous-même indiqué tout à l'heure.

Je crois que nous avons des approches différentes sur l'énergie et la politique commerciale extérieure. En particulier, pour reprendre les propos de M. Cardon, je pense que nous n'aurions pas un tel déficit en matière énergétique, si nous n'avions pas été dans l'obligation d'acheter autant d'énergie en cette période. En tout cas, le déficit aurait été probablement moins lourd, même si nous savons bien que les tarifs sont en hausse.

Nous avons beaucoup parlé de politique commerciale internationale et des initiatives qui sont prises en Europe, en particulier en ce qui concerne le mécanisme d'ajustement aux frontières, le MACF. En revanche, nous ne vous avons pas interrogé sur la question de la concurrence déloyale intra-européenne, notamment en matière agricole. Or environ 80 % de notre déficit commercial est intra-européen et il est largement dû à des concurrences déloyales en termes de pratiques, que ce soit d'un point de vue environnemental ou social - on peut au minimum dire que ces pratiques ne sont pas homogènes... Il me semble que c'est une question très importante.

Par ailleurs, nous sommes assez inquiets en ce qui concerne la politique européenne de l'espace. Ce sujet fera l'objet de débats lors des conférences parlementaires organisées dans le cadre de la présidence française du Conseil de l'Union européenne. Nous sommes inquiets, là aussi, de la concurrence déloyale intra-européenne en termes de bases de lancement, mais aussi de l'absence de vision d'ensemble sur ce sujet. Il me semble que ce secteur doit concourir à l'attractivité de notre pays et que nous devons créer un marché unique européen en la matière.

Enfin, vous nous avez indiqué que vous aviez les meilleures relations avec le nouveau gouvernement allemand. Nous en sommes très heureux, car nous avons besoin de convergences entre nos deux pays, mais nous ne devons pas être naïfs au regard de l'importance de l'influence allemande en Europe.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 19 heures.

Mercredi 26 janvier 2022

- Présidence de M. Christian Cambon, président -

La réunion est ouverte à 10 heures.

Hommage au brigadier Alexandre Martin

M. Christian Cambon, président. - Mes chers collègues, je souhaite rendre hommage au brigadier Alexandre Martin, mort pour la France au Mali dimanche à la suite d'un tir de mortier sur le camp de Gao. C'est le 53ème soldat français qui meurt au Sahel depuis 2013.

Je vous propose d'observer une minute de silence en hommage au brigadier Alexandre Martin.

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées observe une minute de silence.

Proposition de loi visant à faire évoluer la gouvernance de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE) et à créer les instituts régionaux de formation - Examen des amendements au texte de la commission

M. Christian Cambon, président. - Nous examinons maintenant les amendements de séance déposés sur la proposition de loi visant à faire évoluer la gouvernance de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger et à créer les instituts régionaux de formation.

Nous commençons par l'examen des amendements du rapporteur.

EXAMEN DES AMENDEMENTS DU RAPPORTEUR

Article 2

M. Bruno Sido, rapporteur. - L'article 2 a pour objet d'assurer une meilleure représentation des parents d'élèves au conseil d'administration de l'AEFE. Cet objectif est légitime : les parents d'élèves financent en effet 80 % de l'enseignement français à l'étranger. La réforme proposée permettra d'assurer la présence de quatre représentants des parents d'élèves, contre deux actuellement, au sein du conseil d'administration de l'AEFE.

L'augmentation du nombre de représentants des parents pose la question de la mesure de la représentativité des fédérations d'associations de parents d'élèves. Les deux fédérations actuellement représentées sont reconnues d'utilité publique et disposent d'une légitimité incontestable. Il conviendra de s'assurer que les fédérations représentées continueront toutes à disposer d'une légitimité suffisante et d'éviter la présence de fédérations marginales ou à vocation purement locale, tout en permettant aux parents d'élèves d'être représentés dans leur diversité.

L'amendement ETRD.1 met l'accent sur la notion de représentativité, sans se prononcer sur les critères de cette représentativité, qu'il reviendra au Gouvernement de fixer.

M. Jean-Marc Todeschini. - Parler des fédérations d'associations de parents d'élèves « les plus » représentatives est particulièrement vague. Comment mesurer cette représentativité ? Doit-on se limiter aux associations existantes ?

M. Bruno Sido, rapporteur. - Il reviendra au Gouvernement de fixer par décret les critères de représentativité.

M. Jean-Marc Todeschini. - C'est là que le bât blesse...

L'amendement ETRD.1 est adopté.

Article 3

M. Bruno Sido, rapporteur. - L'amendement ETRD.2 tend à répondre à l'objection légitime formulée par l'amendement n° 13 de Mme Conway-Mouret, tout en préservant la portée de la disposition insérée par la commission qui précise que les formations dispensées par les instituts régionaux de formation sont francophones.

Ces formations doivent avoir lieu en français, si l'on souhaite que les instituts régionaux de formation contribuent réellement à notre diplomatie culturelle et d'influence, c'est-à-dire que l'AEFE reste dans son rôle. Cette disposition nous a paru d'autant plus nécessaire que ces formations seront ouvertes à un large public.

Il me semble toutefois qu'il est important d'introduire une certaine souplesse. C'est pourquoi je vous propose de prévoir la possibilité d'exceptions dûment motivées.

L'amendement ETRD.2 est adopté.

EXAMEN DES AMENDEMENTS AU TEXTE DE LA COMMISSION

M. Christian Cambon, président. - La parole est à Mme Hélène Conway-Mouret pour un propos liminaire.

Mme Hélène Conway-Mouret. - Je souhaite présenter les amendements du groupe SER en quelques mots, ainsi que nos réactions aux amendements proposés par nos collègues.

Nos amendements tendent à défendre l'équilibre au sein du collège des usagers, tel qu'il est actuellement fixé par le code de l'éducation, même si de nouveaux membres devaient intégrer le conseil d'administration, par exemple un représentant des associations de français langue maternelle (FLAM) comme nous le proposons. Nous sommes également plutôt favorables, sur le principe, à l'intégration de nouveaux élus au conseil d'administration à condition que cela ne se fasse pas au détriment d'autres représentants, notamment des personnels.

Un deuxième groupe d'amendements est d'ordre financier. Ces amendements ne se rattachent pas directement aux deux objectifs de ce texte, mais ils sont, pour nous, essentiels pour répondre au besoin criant de moyens dans la perspective du doublement du nombre des élèves qui semble dicter aujourd'hui toutes les orientations prises par l'AEFE. Ce point a d'ailleurs été soulevé par le rapporteur lors de la présentation du texte en commission et dans l'excellent rapport sur le contrat d'objectifs et de moyens de l'AEFE de nos collègues André Vallini et Ronan Legleut. Il nous parait urgent d'apporter des solutions, en tout cas avant le prochain projet de loi de finances.

Le troisième groupe d'amendements touche à la formation. Nous sommes défavorables à la proposition d'exclusion des personnels exerçant dans les systèmes éducatifs étrangers, car cela reviendrait à supprimer la mission de coopération éducative à laquelle l'AEFE contribue, même si ce n'est pas sa mission première. En revanche, nous sommes favorables à tous les amendements qui demandent la suppression de l'accès à la formation de personnels « ayant vocation » à exercer dans le réseau : cet ajout pose trop de questions sans réponses et risque de déboucher sur de nouveaux problèmes pour l'AEFE.

Enfin, nous souhaitons profiter de ce texte pour enrichir les missions de l'Agence et nous sommes favorables à tous les amendements qui vont dans ce sens.

Dernier point, les demandes de rapports ne sont pas populaires auprès du Gouvernement, mais parfois elles sont absolument nécessaires pour obtenir des informations que nous ne pouvons pas avoir autrement, notamment de la part du ministère des finances.

Avant l'article 1er

M. Bruno Sido, rapporteur. - La loi dispose que le conseil d'administration de l'AEFE comprend des représentants de l'Assemblée des Français de l'étranger (AFE), qui se compose de 90 conseillers élus parmi les 442 conseillers des Français de l'étranger.

L'amendement n°  30 introduit le chiffre d'« un » conseiller des Français de l'étranger, là où la loi fixe de grands équilibres, ce qui introduit une incohérence. Sur cet amendement, comme sur plusieurs autres qui proposent d'élargir le conseil d'administration de l'AEFE, je suggère de nous en tenir à l'objectif de la proposition de loi : améliorer la représentation des parents d'élèves. À chaque fois que l'on ajoute un membre, il faut en ajouter d'autres, notamment des représentants de l'État, pour maintenir les équilibres. Un conseil d'administration est une instance de pilotage, non une assemblée représentative.

S'agissant de cet amendement en particulier, il évoque la nécessité d'une représentation proche du terrain : il me semble que cet objectif est rempli grâce à la participation accrue des parents d'élèves. Les Français établis hors de France y sont également représentés par des parlementaires et par un membre de l'Assemblée des Français de l'étranger.

L'avis est donc défavorable.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 30.

Article 1er

M. Bruno Sido, rapporteur. - L'amendement n°  3 tend à ajouter au conseil d'administration de l'AEFE un représentant des associations de français langue maternelle (FLAM). Je rappelle qu'un représentant de ces associations participera au conseil en qualité d'expert sans voix délibérative. Avis défavorable.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 3.

M. Bruno Sido, rapporteur. - L'amendement n°  22 va dans le même sens que les précédents, en tendant à ajouter au conseil d'administration de l'AEFE un représentant des élèves scolarisés. C'est une idée intéressante, mais elle pose d'importantes questions pratiques. Je propose de nous en remettre à la sagesse du Sénat.

La commission s'en remet à la sagesse du Sénat sur l'amendement n° 22.

M. Bruno Sido, rapporteur. - L'amendement n°  21 vise également à modifier les équilibres au sein du conseil d'administration de l'AEFE. Avis défavorable.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 21.

Article 2

M. Bruno Sido, rapporteur. - L'amendement n°  31 vise à supprimer l'article 2 de la proposition de loi. Il est donc contraire à la position de la commission. Avis défavorable.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 31.

M. Bruno Sido, rapporteur. - L'amendement n°  23 tend à retirer aux représentants de l'État la majorité dont ils disposent au sein du conseil d'administration. Or je rappelle que l'État abonde le budget de l'Agence de 520 millions d'euros par an. Il me semble donc normal qu'il ait la majorité au conseil d'administration. Avis défavorable.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 23.

M. Bruno Sido, rapporteur. - L'amendement n°  29 soulève légitimement la question de la représentativité des fédérations d'associations de parents d'élèves qui siégeront au conseil d'administration de l'AEFE. Toutefois, les critères de représentativité proposés sont très exigeants.

L'amendement ETRD.1 que je vous ai proposé et que vous avez adopté répond à cette problématique et ferait en tout état de cause tomber cet amendement s'il était adopté. L'avis est donc défavorable.

M. Jean-Marc Todeschini. - Nous sommes également défavorables à cet amendement qui tend à favoriser une association en particulier.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 29.

M. Bruno Sido, rapporteur. - L'amendement n°  5 tend à augmenter encore le nombre de membres du conseil d'administration de l'AEFE. J'y suis défavorable.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 5.

M. Bruno Sido, rapporteur. - L'amendement n°  4 est une conséquence de l'amendement n° 3 à l'article 1er sur lequel nous avons donné un avis défavorable. Par cohérence, nous en demandons le retrait.

La commission demande le retrait de l'amendement n°4 et, à défaut, y sera défavorable.

Après l'article 2

M. Bruno Sido, rapporteur. - La loi de finances pour 2021 a mis en place un dispositif de garantie qui se substitue à l'Association nationale des écoles françaises de l'étranger. Ce nouveau dispositif est - hélas - moins favorable que le précédent. Il prévoit en particulier une rémunération de la garantie par une commission variable en fonction des risques encourus, alors que cette commission était auparavant unique et mutualisée (0,4 %).

Dans ce contexte, la proposition de loi donne à l'AEFE un rôle d'instruction des dossiers de demande de garantie de l'État. Elle joue donc déjà un rôle d'expertise, qui sera utile pour déterminer le taux de la commission. Aller plus loin, comme le prévoit l'amendement n°  10, ne me semble pas pertinent.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 10.

M. Bruno Sido, rapporteur. - L'amendement n°  6 ne me semble pas opérant. Avis défavorable.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 6.

M. Bruno Sido, rapporteur. - L'amendement n°  7 concerne les concours financiers reçus par l'AEFE de la part des organismes et établissements qui dispensent l'enseignement français à l'étranger. L'avis est défavorable.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 7.

Article 3

M. Bruno Sido, rapporteur. - L'article 3 complète la liste des missions confiées à l'Agence en application du principe de spécialité des établissements publics, mais il n'a pas vocation à hiérarchiser ces missions, comme tend à le faire l'amendement n°  12. Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.

La commission demande le retrait de l'amendement n° 12 et, à défaut, y sera défavorable.

M. Bruno Sido, rapporteur. - Les amendements identiques nos  11 et 24 posent une question importante qui se situe au coeur de la réforme prévue dans ce texte. En effet, l'AEFE se voit confier une mission de formation qui va au-delà de la seule formation continue de ses personnels. Les instituts régionaux de formation seront en effet habilités à former non seulement les personnels du réseau, mais aussi des personnels « ayant vocation » à exercer au sein de l'AEFE - ces amendements proposent de supprimer ce point - et des personnels de systèmes éducatifs étrangers au titre de la coopération éducative.

Le ministère de l'éducation nationale promet 1 000 détachements supplémentaires d'ici à 2030, mais ce ne sera pas suffisant pour soutenir la croissance du réseau. Il s'agit donc ici de créer des cursus diplômants qui garantiront l'existence d'un vivier de personnel disposant d'un niveau de qualification conforme aux exigences de qualité des enseignements et aux critères de l'homologation.

Dans ces conditions, il me semble préférable de conserver la possibilité pour l'AEFE de contribuer à la formation de personnels ayant vocation à exercer dans les établissements d'enseignement français à l'étranger. Pour autant, je vous proposerai un avis favorable à l'amendement n° 16 à l'article 4 qui fait de la formation des personnels une priorité.

M. Olivier Cadic. - Le ministère de l'éducation nationale ne sera pas en capacité de fournir un nombre suffisant d'enseignants pour faire face aux besoins d'un réseau qui se développe. C'est pourquoi nous avons besoin de dispositifs complémentaires de formation. Je remercie le rapporteur pour sa position qui va dans ce sens.

La commission émet un avis défavorable aux amendements identiques nos 11 et 24.

M. Bruno Sido, rapporteur. - L'amendement n°  26 tend à supprimer la possibilité pour l'AEFE de former des personnels de systèmes éducatifs étrangers au titre de la coopération éducative. Avis défavorable.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 26.

M. Bruno Sido, rapporteur. - L'amendement n°  13 tend à vider de sa portée la disposition introduite par la commission. C'est pourquoi je demande le retrait de cet amendement ; à défaut, l'avis serait défavorable.

La commission demande le retrait de l'amendement n° 13 et, à défaut, y sera défavorable.

M. Bruno Sido, rapporteur. - Les auteurs de l'amendement n°  32 contestent le rôle de conseil de l'Agence auprès des candidats à l'homologation. Or, depuis 2019, l'homologation des établissements accompagnés par l'AEFE a permis de faire entrer 9 000 nouveaux élèves dans le réseau. Une cinquantaine d'établissements sont actuellement accompagnés. Ce rôle doit donc être conforté, en étant inscrit dans la loi. Avis défavorable.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 32.

M. Bruno Sido, rapporteur. - L'amendement n°  2 propose de compléter les missions de l'AEFE. C'est une idée intéressante, mais elle figure déjà à l'article L. 452-2 du code de l'éducation. Avis défavorable.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 2.

M. Bruno Sido, rapporteur. - L'amendement n°  14 entend faire de l'AEFE un « laboratoire d'innovation pédagogique pour l'éducation nationale ». C'est une idée très intéressante. Avis favorable.

La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 14.

Article 4

M. Bruno Sido, rapporteur. - Les amendements nos  33 rectifié, 16, 25 et 27 concernent le public des formations proposées par l'AEFE dans le cadre des instituts régionaux de formation. La rédaction de l'amendement n° 16 s'inscrit dans le prolongement de celle que nous avons adoptée lors de l'élaboration de notre texte. C'est pourquoi j'y suis favorable. Par conséquent, l'avis est défavorable sur les trois autres amendements.

La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 16 et un avis défavorable aux amendements nos 33 rectifié, 25 et 27.

M. Bruno Sido, rapporteur. - L'amendement n°  28 concerne la gouvernance des instituts régionaux de formation. Avis favorable.

La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 28.

Après l'article 4

M. Bruno Sido, rapporteur. - L'amendement n°  17 tend à confier à l'AEFE une mission de coordination des détachements des fonctionnaires de l'éducation nationale. C'est une question complexe ; je propose de demander l'avis du Gouvernement.

La commission demande l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 17.

M. Bruno Sido, rapporteur. - L'amendement n°  20 concerne le rapport annuel remis par l'AEFE à l'Assemblée des Français de l'étranger. Il me semble que la modification proposée qui concerne le sujet des bourses scolaires aurait utilement sa place dans le rapport annuel que l'AEFE transmet au Parlement. Tel est l'objet du sous-amendement ETRD.4 que je vous propose.

L'avis sera favorable à l'amendement n° 20 sous réserve de l'adoption de ce sous-amendement.

M. Jean-Marc Todeschini. - Nous sommes d'accord avec le sous-amendement proposé par le rapporteur.

La commission adopte le sous-amendement ETRD.4.

La commission émet ensuite un avis favorable à l'amendement n° 20 ainsi sous-amendé.

M. Bruno Sido, rapporteur. - L'amendement n°  18 est une demande de rapport au Gouvernement sur le recours à l'emprunt par l'AEFE. Ce rapport me semble bienvenu. Avis favorable.

La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 18.

M. Bruno Sido, rapporteur. - L'amendement n°  19 est également une demande de rapport au Gouvernement ; elle porte sur la question de la laïcité. Avis favorable.

La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 19.

M. Bruno Sido, rapporteur. - L'amendement n°  34 prévoit que le Gouvernement remet un rapport au Parlement sur la question de la mixité sociale dans le réseau d'enseignement français à l'étranger.

Je suis favorable à cet amendement sous réserve de le compléter par un point sur l'accueil, dans les établissements français à l'étranger, des enfants de fonctionnaires et militaires en poste à l'étranger. Tel est l'objet du sous-amendement ETRD.3.

La commission adopte le sous-amendement ETRD.3.

La commission émet ensuite un avis favorable à l'amendement n° 34 ainsi sous-amendé.

Déplacement à l'ONU du 12 au 15 décembre 2021 - Communication

M. Cédric Perrin. - Quelques mots tout d'abord sur la situation actuelle de l'ONU et sur celle de la France au sein de l'organisation.

Il faut d'abord souligner que les Nations unies restent le seul endroit au monde où n'importe quel pays peut parler à n'importe quel pays, et de n'importe quel sujet ou presque : en effet l'ONU a eu tendance à élargir en permanence son champ d'action, s'emparant de nouveaux défis comme le terrorisme, les pandémies, le climat, etc.

La France tient à l'ONU son rôle de membre permanent du Conseil de sécurité aux côtés des grandes puissances. Un membre du P5 très actif, souvent à l'initiative sur le développement, l'environnement, la lutte contre les inégalités, la pandémie, avec un positionnement qui se veut ouvert à la discussion avec tous. Le fait qu'Antonio Gutterres ait été réélu Secrétaire général constitue par ailleurs plutôt un point positif car nous avons avec lui une identité de vue sur plusieurs sujets.

Ceci étant dit, les équilibres au sein du Conseil de sécurité ont beaucoup évolué ces dernières années. Alors que le P5 était traditionnellement la principale source d'impulsion, il est aujourd'hui plus divisé que jamais. La Russie, la Chine et les États-Unis ne privilégient pas la coopération multilatérale, c'est un euphémisme ! La progression de l'antagonisme entre la Chine et les États-Unis menace de déboucher sur une forme de paralysie.

La France s'efforce quand même de trouver des consensus. Cela passe souvent par un travail sur les formats, afin d'identifier la stratégie de négociation la plus efficace, notamment au sujet du renouvellement des résolutions sur le Mali, la RCA, la RDC, ou encore le Liban. Elle s'efforce ainsi de préserver le rôle d'instance décisionnelle du Conseil de sécurité, ce qui implique souvent de privilégier les consultations fermées par rapport aux exercices de diplomatie publique.

Il faut par ailleurs noter que les projets de réforme du Conseil de sécurité, visant à nommer de nouveaux membres permanents européens, africains ou autres, ont en l'état peu de chances d'aboutir, car elles supposent un consensus plus qu'improbable. La seule manière de réformer, ce serait peut-être que les pays du G20 parviennent à s'entendre entre eux à ce sujet, mais ce n'est pas à l'ordre du jour.

Si l'on élargit le tableau à l'Assemblée générale, il est évident que l'agenda occidental hérité des années 90 est clairement contesté. Les « valeurs occidentales » sont remises en cause par les grandes puissances, mais aussi de plus en plus par des pays émergents. Nos amis des pays en développement ne convergent plus aussi souvent qu'autrefois, avec les positions européennes notamment les pays d'Afrique subsaharienne.

La présidence Trump a aussi laissé des traces. En particulier, sur la question des droits de l'homme ou de l'égalité femmes/hommes, nous sommes maintenant à contre-courant. Il faut lutter non pour avancer, mais pour ne pas reculer ! La Chine et la Russie s'efforcent ainsi de mobiliser les pays membres sur des contre-projets en matière de droits de l'homme, en utilisant une rhétorique anti-néocolonialiste. Même le socle minimal que constitue le droit international humanitaire (ou droit de la guerre) est contesté par la Chine et la Russie. La Chine a ainsi commencé à présenter des textes au Conseil des droits de l'homme, avec des formules floues qui constituent en réalité des régressions.

Dans ce contexte difficile, la France cherche des alliances en « trans-régional » avec des représentants de pays d'Amérique du Sud, ou d'Asie. Elle a aussi lancé avec l'Allemagne l'« Alliance pour le multilatéralisme » pour défendre sa posture d'ouverture.

À la fois indispensable et en difficulté dans de nombreux domaines : ce constat sur l'état de l'ONU est ainsi celui que nous faisons depuis de nombreuses années. Avec une teinte peut-être un peu plus sombre encore cette fois-ci du fait des tensions croissantes entre grandes puissances, qui se reflète dans les crises actuelles en Ukraine ou en mer de Chine.

M. Hugues Saury. - Avec le représentant russe, la discussion a été assez franche, avec évidemment de nombreux points de désaccord, mais aussi des espaces de discussion sur certains sujets.

Globalement, les Russes distinguent entre, d'une part, la relation bilatérale franco-russe, bonne selon eux, avec des échanges de qualité entre ministres des affaires étrangères et de la défense, et, d'autre part, les mauvaises relations qui découlent de l'appartenance de la France à l'UE et à l'OTAN. Notre interlocuteur a par ailleurs déclaré sans ambages que l'entrée de l'Ukraine dans l'OTAN constituerait un casus belli.

Au niveau des Nations unies, la Russie est défavorable à notre initiative d' « Alliance pour le multilatéralisme ». Notre interlocuteur a également estimé que les États-Unis avaient plus de postes qu'il n'était équitable et qu'il était donc normal que la Chine, deuxième contributeur, s'efforce d'en avoir davantage, tout comme la Russie elle-même.

La Russie a par ailleurs fait quelques annonces importantes en matière de lutte contre le changement climatique à Glasgow, mais notre interlocuteur a déclaré être, à titre personnel, climato-sceptique.

En revanche, nous avons constaté des points de convergence possible sur quelques sujets. Ainsi, sur le Haut-Karabakh, les Russes sont, comme nous, inquiets de la persistance des affrontements dans un contexte de « paix froide ». Toutefois, notre interlocuteur a surtout évoqué le format 3+3 qui associe aux trois républiques du Caucase la Russie, la Turquie et l'Iran. En revanche, la Russie soutient bien le groupe de Minsk, que nous privilégions, s'agissant des discussions sur le statut final du Haut-Karabakh.

Sur la question du Sahel, la Russie nous apporte un soutien ambigu. D'un côté notre interlocuteur affirme qu'il n'y a pas d'espace pour la compétition en Afrique ; de l'autre il nous dit qu'il comprend très bien la déception des Maliens vis-à-vis de la France. D'ailleurs, au Mali, Moscou critique ouvertement la posture française, sans parler, bien entendu, du déploiement de Wagner. Il faut également avoir à l'esprit que l'engagement de la Russie en RCA s'était traduit par une attitude particulièrement offensive contre la France au Conseil de sécurité.

S'agissant enfin de la Biélorussie, notre interlocuteur a rejeté la responsabilité des événements sur l'intransigeance de l'Union européenne et accusé les gardes-frontières polonais d'exactions.

Ce fut donc un entretien assez franc, donc intéressant, malgré des désaccords sur les principaux sujets.

Je voudrais par ailleurs évoquer brièvement l'intéressant entretien que nous avons eu avec Mme Izumi Nakamitsu, Haute représentante du Secrétaire général des Nations Unies pour les affaires de désarmement. Elle a insisté sur la montée en puissance de la Chine, qui accroît son arsenal nucléaire, et sur la nécessité qui en résulte de développer un canal de dialogue bilatéral sino-américain, sur le modèle du dialogue sur la stabilité stratégique entre la Russie et les États-Unis.

Nous avons aussi évoqué le forum de la Convention sur certaines armes classiques, actuellement présidé par la France et qui travaille à un texte sur les systèmes d'armes létales autonomes (SALA), pour le moment bloqué par les Russes. C'est un domaine important de discussion puisqu'il inclut aussi la question de l'utilisation de l'intelligence artificielle, notamment dans le domaine du nucléaire. S'agissant des drones armés, des discussions sont également en cours pour renforcer la transparence des exportations. Ce sont des sujets que nous devons suivre attentivement.

Nous avons bien entendu également parlé de la crise iranienne et des conséquences très importantes si l'Iran parvenait à se doter de l'arme nucléaire. En particulier, la prolifération nucléaire induite risquerait de ne pas se limiter à ce pays.

Il a enfin été question de la Corée du Nord. Alors qu'il y avait auparavant une unité de vue au sein du P5, désormais la Russie et la Chine veulent une levée des sanctions. Notre interlocutrice espérait que l'approche des JO de Pékin amènerait la Chine à modérer sa voisine, on voit ce qu'il en est, avec le tir récent d'un missile par la Corée du Nord.

Plus globalement, il y a lieu de s'inquiéter du délitement de l'architecture de sécurité, avec la fin du Traité sur les forces nucléaires intermédiaires (FNI), les violations de la Convention sur l'interdiction des armes chimiques (CIAC) et le retour de la course aux armements. La Conférence d'examen du traité de non-prolifération (TNP), actuellement en cours, pourrait cependant contribuer à freiner cette dégradation...

M. Rachid Temal. - S'agissant des enjeux de développement, nous avons rencontré M. Courtenay Rattray, Haut-Représentant du Secrétaire général des Nations Unies pour les pays les moins avancés.

Rappelons que la politique de développement constitue l'un des trois piliers des Nations Unies, aux côtés du maintien de la paix, et des affaires humanitaires et des droits de l'Homme.

Notre interlocuteur a mis l'accent sur la nécessité d'avoir davantage de financements pour l'adaptation au changement climatique, de manière à ce que les pays les plus exposés et leurs économies puissent continuer à progresser. Il a aussi beaucoup insisté sur la nécessité de simplifier l'accès à ces financements.

S'agissant des secteurs prioritaires, nous avons notamment échangé sur l'impératif d'améliorer l'éducation. Selon notre interlocuteur, l'éducation primaire a bien progressé pendant la période précédente, mais le secondaire s'est effondré, en particulier pour les filles. Par ailleurs il est impératif d'avoir une croissance riche en emploi compte tenu de l'accroissement naturel de ces pays.

Nous avons enfin évoqué la question épineuse de la dette et du financement des économies africaines.

Le FMI estime à 285 milliards de dollars, soit 10% du PIB africain, les besoins de financement des États africains pour faire face aux conséquences de la pandémie. Plus de 60 millions d'Africains seraient tombés dans l'extrême pauvreté. Si l'APD s'est maintenue en 2020, la part des prêts demeure trop importante par rapport à celle des dons. En outre, 50% des 46 PMA sont déjà surendettés, ce qui fait craindre une nouvelle crise de la dette. La suspension du service de la dette par le G20 ne va pas assez loin à cet égard.

Il est donc impératif d'innover. Nous avons ainsi évoqué des swaps de dette contre un réinvestissement dans des infrastructures, ou encore des mécanismes de suspension automatique en cas de catastrophe naturelle. La présidence de l'Union européenne peut constituer une opportunité pour aller plus loin avec nos partenaires européens sur ces sujets.

Notre interlocuteur a également évoqué la conférence de Doha, 5ème Conférence des Nations Unies sur les pays les moins avancés, qui doit apporter des solutions dans ce domaine des financements. Elle se tient en ce moment même et constitue l'occasion d'adopter un nouveau programme d'action sur 10 ans pour les PMA. Il s'agit de mobiliser des financements aussi bien publics que privés, en réunissant tous les acteurs concernés par le développement des PMA : secteur privé, avec un forum présidé par le président de Microsoft, sociétés civiles, jeunes, etc.

Les propositions présentées par les Nations unies lors de ce sommet nous ont semblé intéressantes. Notre interlocuteur a ainsi beaucoup insisté sur la création d'une Université en ligne devant permettre à davantage de jeunes d'accéder à des formations ; ou encore de la mise en place d'un centre international d'investissement destiné à donner aux entrepreneurs des pays les moins avancés les clefs pour obtenir des financements. La conférence devrait également travailler sur les effets de seuil qui font qu'un pays perd beaucoup d'aides lorsqu'il quitte la catégorie de PMA.

Il serait sans doute d'ailleurs intéressant d'auditionner le ministre des affaires étrangères sur les résultats de cette conférence de Doha.

Tout ceci représente des axes de progression indispensables, mais il faudra mobiliser les pays donateurs à une échelle suffisante pour que les financements soient réellement à la hauteur des défis !

Par ailleurs, nous avons pu faire le point sur les crises au cours d'un déjeuner avec notre compatriote Jean-Pierre Lacroix, le directeur des opérations de maintien de la paix de l'ONU.

Actuellement, les 12 opérations de maintien de la paix (OMP) déployées dans le monde mobilisent près de 75 000 casques bleus, principalement en Afrique. Le budget des OMP est de 6,4 milliards de dollars, la France étant le sixième contributeur. Au Conseil de sécurité, la France est « plume » de quatre des principales OMP qui interviennent dans des pays francophones : la MINUSMA au Mali, la MINUSCA en République centrafricaine, la MONUSCO en République démocratique du Congo et la FINUL au Liban.

Les OMP sont souvent critiquées pour leur efficacité inégale. Elles restent toutefois un outil difficilement remplaçable. Elles font par ailleurs actuellement l'objet d'une réforme, visant notamment le renforcement des relations avec les organisations régionales (Union Africaine, ASEAN, Ligue arabe, etc).

Nous avons bien entendu évoqué la situation du Mali. Les Nations unies essaient de mettre la pression sur la junte pour qu'elle mette un contenu politique dans la transition. D'un point de vue sécuritaire, la situation est grave car tant que la junte est au pouvoir, il n'y a de facto plus vraiment de G5 Sahel ! Notre entretien avec le représentant permanent malien sur ces sujets a constitué un moment un peu étrange. D'un côté, il s'est montré extrêmement amical envers la France. De l'autre, il a, contre toute évidence, totalement nié la présence de Wagner au Mali et affirmé qu'il n'y avait aucun sentiment anti-français.

Depuis notre déplacement, la situation a continué à se dégrader au Mali. Les nouvelles sanctions prises par la CEDEAO risquent d'avoir de conséquences graves pour l'économie malienne et les relations avec la France en sont arrivées à un point critique.

M. François Bonneau. - Nous avons débuté notre parcours par un entretien avec M. Jeff DeLaurentis, Conseiller principal à la Mission américaine pour les affaires politiques spéciales aux Nations Unies, numéro 2 de la représentation permanente américaine.

Nous espérions évoquer avec lui des sujets tels que les conséquences de l'arrivée de Joe Biden sur le fonctionnement du multilatéralisme ou l'avenir de la relation franco-américaine après l'affaire Aukus. Or notre interlocuteur est apparu extrêmement réservé.

Il a certes indiqué que les États-Unis étaient bel et bien de retour après les errements de la précédente administration ; il a aussi admis que, compte tenu de ces errements, il faudrait des actes tangibles pour que les alliés des États-Unis ne craignent pas un nouveau retour en arrière de leur part au bout de deux ans. Cela dit, dans la forme, nous n'avons pas perçu de volonté très forte de redonner un nouvel élan à la relation franco-américaine.

Sur le sujet de l'indopacifique, alors que nous l'avions interrogé de manière prudente, notre interlocuteur s'est ainsi montré très évasif. Sans jamais évoquer, même indirectement, Aukus ou l'Australie, il a estimé que nous pouvions aller plus loin dans la coopération sur la Birmanie et que la France avait un rôle particulier à jouer avec le Cambodge.

Concernant l'Ukraine, le message est apparu à la fois ferme et un peu ambigu, puisque M. de Laurentis a déclaré que si les Russes entraient en Ukraine, il y aurait un coût très élevé, mais qu'il revenait à la Russie d'interpréter ce que les Américains entendaient par « coût très élevé ». On a vu depuis lors que les discussions n'ont pas permis d'avancée décisive.

Sans surprise, notre interlocuteur a également défendu le retrait d'Afghanistan en faisant valoir que les Talibans auraient aimé voir les États-Unis s'embourber dans ce pays. Il a souligné que les États-Unis avaient travaillé étroitement avec la France au sein du Conseil de sécurité pour l'adoption de la résolution 2593 adoptée après la prise de Kaboul par les Talibans.

Nous avons ensuite fait le tour des crises en constatant une relative identité de vue, notamment sur le Sahel.

Au total, il y a certes bien un retour des États-Unis dans le multilatéralisme par rapport à la période précédente où Trump voulait tout « faire sauter », ne payait plus les contributions américaines et sortait des traités. Les USA se sont réengagés sur le soutien de la Charte, sur le climat, sur les droits des femmes, sur l'OMS, etc., et ils viennent de commencer à payer leurs arriérés. Mais la période Trump a laissé des traces.

S'agissant de nos autres alliés, nous avons également eu des échanges très chaleureux avec le représentant permanent adjoint allemand, Günter Sautter, qui nous a indiqué que la coopération franco-allemande restait une priorité absolue pour le nouveau gouvernement allemand. Il nous a cependant mis en garde sur la crise malienne : l'un des premiers points qui sera soumis à la nouvelle majorité au Bundestag sera en effet la poursuite de l'intervention allemande au Mali. Or les débats seront fortement influencés par l'échec afghan. Le Gouvernement devra répondre à des questions difficiles sur l'existence d'un processus politique digne de ce nom et sur l'existence ou non d'une stratégie de sortie. Malheureusement, ces propos ont été confirmés depuis par Christine Lambrecht, la ministre allemande de la Défense, et Eva Högl, la commissaire parlementaire auprès de la Bundeswehr.

Je rappelle que l'Allemagne compte environ 1350 soldats au Mali, répartis entre l'EUTM Mali et la MINUSMA. Les propos de Mmes Lambrecht et Högl risquent au minimum de se traduire par un redéploiement vers le Niger des missions de formation effectuées par les Allemands, mais il est clair que cela pourrait aller plus loin. Ce serait évidemment très regrettable de notre point de vue