Mardi 18 janvier 2022
- Présidence de M. Michel Canévet, président -
La réunion est ouverte à 17 heures.
Audition de Mme Annick Girardin, ministre de la mer
M. Michel Canévet, président. - Madame la ministre, merci de votre présence à la première audition de la mission mise en place à l'initiative du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants (RDPI) sur l'exploration, la protection et l'exploitation des fonds marins.
Le ministère de la mer n'est pas une nouveauté dans notre pays. Il fut créé en 1981, et dirigé par Louis Le Pensec, élu du Finistère, avant d'être abandonné durant un certain nombre d'années.
Nous sommes heureux qu'un ministère de la mer ait été reconstitué et doté d'une compétence réelle. Le fait que son titulaire connaisse bien les questions maritimes nous réjouit.
La mer joue un rôle essentiel dans notre pays. La France a la chance de posséder le deuxième espace maritime le plus étendu au monde. Encore faut-il pouvoir utiliser cet atout ; or si l'on explore aujourd'hui l'espace, on n'explore sans doute pas encore suffisamment les grands fonds. Il reste beaucoup à faire en la matière.
Nous sommes également sensibilisés aux questions de protection de l'environnement, qu'il s'agisse des coraux, de la question halieutique, ou dans d'autres dimensions que nous devrons examiner.
En matière d'exploitation, nous souhaitons par ailleurs que les ressources des fonds marins puissent servir notre avenir, ainsi que le développement et le rayonnement de la France dans le monde.
Voilà quelques perspectives que nous allons examiner durant cette mission, qui va durer six mois, de façon à formuler un certain nombre de propositions. Nous espérons aussi pouvoir analyser ce qui a été fait sur les questions relatives au code minier. Le Gouvernement a la main sur le sujet grâce aux ordonnances qu'il a décidé de mettre en oeuvre dans le cadre de la loi sur le climat. Il convient donc que nous nous penchions sur la manière dont vous appréhendez les choses.
Je laisse la parole au rapporteur, Teva Rohfritsch, sénateur de Polynésie française, afin qu'il nous présente les objectifs de cette mission et commence à vous interroger.
M. Teva Rohfritsch, rapporteur. - Monsieur le président, madame la ministre, c'est avec beaucoup d'enthousiasme que nous entamons, avec l'ensemble des membres de cette mission d'information, ce long parcours qui va nous mener, pendant six mois, dans les profondeurs des fonds marins.
La stratégie française pour les grands fonds marins date de 2015. Elle a été relancée il y a un an, à partir du rapport de Jean-Louis Levet, qui a fixé des orientations afin d'impulser une nouvelle dynamique.
Ce rapport évalue les besoins financiers sur dix ans à 313 millions d'euros. Compte tenu du caractère interministériel et pluriannuel de cette stratégie, l'objectif est loin d'être inatteignable, d'autant que les enjeux sont majeurs. Comme l'a souligné le président Canévet, l'existence même de ce ministère de la mer nous réjouit et nous conforte en ce sens.
Les fonds marins représentent une richesse exceptionnelle encore mal connue en termes miniers, mais aussi en termes de biodiversité. Les perspectives sont séduisantes, mais les incertitudes et les inquiétudes nombreuses. Nous avons déjà reçu un certain nombre de réactions sur l'intitulé même de cette mission d'information lorsque celle-ci a été portée à la connaissance du public.
Les ONG réclament déjà un moratoire sur l'exploitation minière au nom de la protection de l'environnement. Elles craignent que l'exploration ne cède très rapidement la place à l'exploitation à des profondeurs où tout contrôle paraît illusoire - ou non maîtrisable aujourd'hui.
Le Parlement européen a adopté, en juin dernier, une résolution allant dans le même sens et demandant à la Commission de mettre fin au développement des technologies d'exploitation minière des grands fonds marins.
Quelle stratégie adopter dans ce contexte au plan national et au plan international ? C'est toute la question à laquelle nous devons répondre dans le cadre de cette mission. C'est pourquoi il nous a paru logique de démarrer nos travaux en nous entendant, madame la ministre. J'aurai bien entendu d'autres questions plus précises à vous poser après votre intervention. Merci d'avoir accepté notre invitation.
Mme Annick Girardin, ministre. - Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs, depuis la rentrée, c'est la quatrième fois que je suis auditionnée par le Sénat. Il y eut préalablement le Brexit, la place des outre-mer dans la stratégie maritime nationale, puis les enjeux de souveraineté. Aujourd'hui, il s'agit des grands fonds marins. Le fait maritime reprend la place qu'il mérite dans nos débats, et j'en suis ravie.
Cela dépasse le simple fait maritime. On peut en effet parler de rêve, d'aventure, d'horizons inconnus, mais il s'agit aussi d'immenses responsabilités, tant la voix de la France compte dans ce dossier.
Votre mission pose une question : quelle est la stratégie française relative à l'exploration, la protection et l'exploitation des fonds marins ? J'ai pris connaissance des questions que vous m'avez transmises : nous y reviendrons après mon intervention.
Pour reprendre les mots que le Président de la République a prononcés le 12 octobre 2020, au moment de la présentation du plan France 2030, la connaissance des grands fonds marins, dixième objectif de ce plan, constitue une grande odyssée d'exploration et une aventure humaine et intellectuelle, mais aussi en matière de recherche.
Comment la France, deuxième espace maritime au monde, pourrait-elle être simple spectatrice de cet épisode de l'Histoire ? La Chine, les États-Unis, l'Inde et le Japon y sont pleinement engagés.
En Europe, la Norvège ou le Portugal le sont également. Comme l'a dit le Président de la République, nous parlons bien, à ce stade, d'exploration. Il est prématuré de parler d'exploitation, pour une raison simple : nous ne connaissons encore que 2 % du plancher océanique et de ses écosystèmes. Avant même d'exploiter, nous avons encore beaucoup à découvrir, à inventorier et à comprendre.
Je tiens à le préciser immédiatement : l'exploration ne se fera pas à n'importe quel prix. Il est important qu'on puisse le réaffirmer. Il faut d'abord inventorier et comprendre.
Le triptyque à bien garder en tête est clair : il s'agit d'explorer, de comprendre et d'innover. Je tiens là aussi à en reparler régulièrement, et répéter que les espaces maritimes sont un trésor de la nature, profondément liés aux sociétés humaines et aux populations qui les entourent et qui en vivent. Beaucoup de parlementaires représentent ici ces territoires et ces populations.
Je commencerai par dresser un état des lieux de ces fonds marins. Ceux-ci commencent à environ 1 000 mètres de profondeur et ne sont évidemment pas uniformes. Ils offrent des diversités géologiques et un écosystème phénoménal, avec des plateaux continentaux, des montagnes sous-marines, des canyons, des zones de résurgence thermale.
La profondeur des océans est encore aujourd'hui une donnée mal connue. Pourtant, les plus grandes montagnes, sur terre, sont en fait sous-marines, et on estime à plusieurs milliers le nombre de monts sous-marins qui restent à découvrir.
Les travaux de reconnaissance et d'exploration des fonds marins sont un préalable essentiel à la pose des câbles sous-marins.
Dans les grands fonds, les espèces sous-marines se sont adaptées à des conditions extrêmes, de pression, d'absence de lumière et d'oxygène. C'est fascinant, mais il est d'autant plus compliqué pour les biologistes de pouvoir les observer, et c'est ce que nous voulons faire en priorité.
Vous l'aurez compris, il nous faut mieux connaître ce milieu. C'est la mission qui nous a été confiée. Il est important aussi de le délimiter, en rapport notamment avec la convention des Nations unies sur le droit de la mer, qui permet d'étendre notre juridiction sur les fonds marins, au-delà de la zone économique exclusive (ZEE), quand il est possible de définir une extension du plateau continental. C'est ce que nous appelons le programme Extraplac.
Les outre-mer sont au premier plan dans cet enjeu de souveraineté. Je reviendrai en détail sur ces points dans la discussion qui va suivre.
Mieux connaître les grands fonds, c'est aussi faire preuve d'humilité. Il nous faut développer une approche méthodique, en se basant sur trois principes.
En premier lieu, nous n'avons encore aucune idée des connaissances que nous allons acquérir. Par ailleurs, on ne peut le faire à la vitesse de l'avion ou du satellite, comme sur la terre ferme. Enfin, cette connaissance va permettre d'agir et de protéger.
Nous devons bien sûr mesurer tous les défis technologiques à surmonter dans le cadre des actions que nous devons mener.
Un chiffre pour illustrer mon propos : si douze humains se sont rendus sur la Lune, seulement quatre ont plongé à plus de 10 000 mètres de profondeur.
À ce sujet, l'accélération du progrès des engins d'exploration autonomes annonce une rupture à l'horizon 2030 - et c'est bien le programme qui est le nôtre.
La France est un des leaders dans le domaine de l'exploration des grands fonds : il s'agit donc de maintenir ce leadership. Ceci est extrêmement important sur le plan industriel. Des pays comme la Norvège ou les États-Unis détiennent des parts importantes du marché des nouveaux engins autonomes pour l'exploration des fonds marins. Leur industrie s'appuie sur des programmes importants d'exploration et de caractérisation de leur zone économique exclusive (ZEE). La Chine, le Japon ou, plus récemment, l'Inde ont lancé des plans de développement des technologies robotiques pour l'exploration des fonds marins.
Il nous faut donc réagir - et vite. Quelles sont les compétences françaises dans le domaine de l'exploration des grands fonds ? C'est la première question. Je reste quant à moi profondément optimiste : la capacité d'innovation de nos entreprises et laboratoires peut et doit nous placer au premier rang dans l'exploration des fonds marins.
Un espace considérable s'ouvre pour nos talents en matière de technologie, de robotique, d'intelligence artificielle, d'ingénierie de systèmes complexes ou de big data.
Les besoins en outils de recherche sont criants. Je pense notamment à l'IFREMER, notre fleuron. Nous avons un savoir-faire reconnu, mais il est nécessaire de passer à l'échelle industrielle. C'est l'enjeu qui est le nôtre aujourd'hui pour conserver notre leadership.
Je souhaiterais enfin soulever un point crucial, qui concerne les craintes pour l'environnement, soulevées par l'exploration des fonds marins.
Je les résumerai en me référant au concept d' « agir sans nuire » mais cela ne doit pas nous brider dans l'exploration qui est aujourd'hui nécessaire.
Nous courrions d'ailleurs, si nous ne le faisions pas, le risque de nous priver d'une connaissance indispensable pour être un acteur de la protection. Sinon, d'autres vont s'en charger pour nous, et vous savez combien la question de la norme est essentielle en la matière. Là encore - et je sais que vous y veillez -, c'est une question de souveraineté.
Mesdames et messieurs les sénateurs, voilà l'état des lieux que je tenais à dresser.
Notre stratégie sur les grands fonds repose bien sur les trois piliers que sont les besoins impérieux de connaissance, les moyens actuels et à venir concernant l'exploration et notre politique de protection, tout cela en gardant bien à l'esprit la nécessité de conforter notre souveraineté en clarifiant la gouvernance de ces espaces, tant au niveau national - répartition des compétences - qu'international - directive sur les gestionnaires de fonds d'investissement alternatifs (AIFM).
Je vous remercie de votre attention. Je sais que nos débats vont être passionnants.
M. Michel Canévet, président. - Merci. La parole est au rapporteur.
M. Teva Rohfritsch, rapporteur. - Madame la ministre, mes questions sont de cinq ordres.
La première concerne la gouvernance des fonds marins. L'annonce de la création de la direction générale de la mer porte en elle beaucoup d'espoirs en matière de gestion de ces sujets. Se pose plus précisément la question de la prise en charge des fonds marins au sein de cette direction. Y aura-t-il un service spécifique, un référent particulier ?
Vous l'avez évoqué, le Président de la République a insisté, le 12 octobre dernier, sur l'importance stratégique des fonds marins. Quels sont les principes qui, sous juridiction française, vont encadrer la gouvernance des fonds marins ? Peut-on considérer que le ministère de la mer sera chef de file en la matière ?
La loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets comporte, dans son article 81, une vaste réforme du code minier, y compris s'agissant des enjeux maritimes, qui est attendue depuis de nombreuses années. Elle va être réalisée par voie d'ordonnances, qui devraient être publiées au plus tard en novembre 2022. Le Gouvernement sera ainsi habilité à prendre des mesures relevant du domaine de la loi pour clarifier les dispositions du code minier, en précisant le cadre juridique qui s'appliquera à la recherche et à l'exploitation des granulats marins et des substances de mines dans les fonds marins du domaine public, notamment pour garantir un haut niveau de projection des écosystèmes marins et en assurer une meilleure connaissance scientifique.
Le ministère de la mer est-il associé à la rédaction de ces ordonnances, qui concernent directement le régime juridique qui s'appliquera à l'exploration, l'exploitation et la protection des fonds marins ? Comment est assurée la coordination entre les différents acteurs institutionnels de votre ministère concernés par cette réforme ?
À mi-chemin du délai d'habilitation, où en est-on de la rédaction de ces ordonnances, et quelles sont les lignes directrices que vous pouvez partager avec nous ?
En deuxième lieu, la circulaire du Premier ministre en date du 5 mai 2021 détaille la stratégie nationale d'exploration et d'exploitation des ressources minérales dans les grands fonds marins et a désigné le ministère de la mer comme porteur de deux des huit projets annoncés. Il s'agit du projet 5, qui prévoit l'élaboration d'une étude pluridisciplinaire destinée à fournir une compréhension globale de l'ensemble des enjeux relatifs aux fonds marins, et du projet 8, qui vise à étudier et à échanger sur les expériences en matière de gouvernance et de participation des populations locales réalisées dans les autres pays.
La mise en oeuvre de ces projets a-t-elle été réalisée par le ministère de la mer ? Quelles actions concrètes ont-elles été lancées ? Quels sont les premiers constats qui en ressortent ?
Troisièmement, le Président de la République a également annoncé, le 12 octobre dernier, le plan d'investissement France 2030. L'exploration de l'espace et des grands fonds marins en constitue le dixième objectif. C'est un objectif qui doit être atteint grâce à une enveloppe de 2 milliards d'euros. Comment cette somme est-elle répartie, et quelles actions financera-t-elle ? Doit-elle permettre de financer la stratégie nationale d'exploration et d'exploitation des ressources minérales dans les grands fonds marins, dont le coût a été estimé à 310 millions d'euros d'ici 2031, ou ces deux budgets seront-ils indépendants ?
Le quatrième et avant-dernier point que je souhaiterais évoquer à ce stade concerne la France et les fonds marins dans l'environnement international. En juin, la France a engagé une stratégie multipartenaire au niveau européen et mondial. Le ministère de la mer soutient-il la proposition de règlement d'exploitation présentée par l'Autorité internationale des fonds marins ?
Dans le cadre de la présidence française de l'Union européenne, des actions spécifiques sur les fonds marins ont-elles été prévues par le ministère de la mer ou, plus globalement, par le Gouvernement ?
Enfin, le dernier domaine concerne la protection des fonds marins. Le 8 septembre 2021, nous étions présents au congrès mondial de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), à Marseille. Une motion en faveur d'un moratoire sur l'ouverture des grands fonds au secteur minier a été adoptée par 81 % des participants. La délégation française s'est abstenue et le Gouvernement, par la voix de la secrétaire d'État chargée de la biodiversité, Mme Abba, s'est positionnée en défaveur de tout moratoire, au motif que cela pourrait freiner la recherche.
Si la position du Gouvernement est claire, pourriez-vous cependant préciser les garanties apportées face à l'inquiétude compréhensible de nombreuses associations de protection de l'environnement, qui se sont saisies de ce vote pour évoquer le danger éventuel d'une telle exploitation ?
Mme Annick Girardin, ministre. - Merci, monsieur le rapporteur.
Je connais votre implication sur ces sujets depuis de nombreuses années, et je sais combien cela vous tient à coeur s'agissant du Pacifique, votre territoire. Je suis ravie de ces travaux, car nous avons besoin d'être nourris de toutes les réflexions, et c'est ensemble que nous allons porter ces dossiers.
Au 1er mars, mon ministère disposera de sa propre direction générale consacrée à la mer. Elle prendra le nom de direction générale des affaires maritimes, de la pêche et de l'aquaculture, et s'organisera autour de trois services, le service des pêches maritimes et de l'aquaculture durable, le service des flottes et des marins et le service des espaces maritimes et littoraux.
Je vous confirme dès aujourd'hui qu'il est prévu, au sein de cette nouvelle direction générale, une sous-direction de la planification maritime qui sera chargée de suivre les questions relatives aux fonds marins.
S'agissant de votre deuxième question, la gouvernance des fonds marins sous juridiction nationale s'inscrit dans un cadre qui combine plusieurs dimensions nationales et internationales, sous l'égide de la convention des Nations unies, qui donne un droit exclusif à la France sur les ressources vivantes et minérales dans sa mer territoriale et dans sa ZEE.
Au-delà, la reconnaissance de l'extension de notre plateau continental par les Nations unies nous confère des droits sur les espèces vivantes sédentaires et sur le sous-sol.
Il existe un outil spécifique de gouvernance pour les aires marines protégées qui s'inscrit dans une stratégie nationale, qu'il s'agisse de la métropole et des outre-mer, à terre et en mer. Celle-ci vise à restaurer les équilibres entre nature préservée et activités humaines.
En mer, le coeur de la planification de l'espace maritime repose sur les documents stratégiques de façade en métropole, appelés documents stratégiques de bassins maritimes dans les territoires ultramarins.
Cette gouvernance a une spécificité pour les collectivités du Pacifique. Les compétences sur les ressources vivantes et minérales de la ZEE ou du plateau continental sont du ressort des collectivités, à l'exception des matières premières stratégiques. La réglementation des aires marines protégées est également du ressort de ces deux grandes collectivités du Pacifique que sont la Polynésie et la Nouvelle-Calédonie.
Quant aux ordonnances sur le code minier, elles sont portées par le ministre de la de transition écologique, mais mon ministère est bien entendu totalement associé à son élaboration.
Mes services travaillent sur ce sujet avec la direction de l'eau et de la biodiversité du ministère de la transition écologique, plus précisément avec le bureau de la politique des ressources minérales non énergétiques et la sous-direction de la protection et de la restauration des écosystèmes littoraux et marins.
Le Conseil national de la mer et du littoral, via son bureau, dont vous faites partie, monsieur le rapporteur, sera consulté fin février sur ces projets de textes.
À mi-chemin du délai d'habilitation, les novations essentielles intéressant le domaine océanographique ultramarin introduites par le projet d'ordonnance sont de deux ordres. Il est précisé que seules les substances minérales non énergétiques, c'est-à-dire à l'exception des hydrocarbures et les granulats marins, peuvent être exploitées en mer dans le cadre d'autorisations d'exploitation.
Le second point concerne la levée de l'interdiction d'accorder une autorisation d'exploitation sur le plateau continental ou la zone économique. Il n'y a pas de changement concernant la compétence des collectivités territoriales en Guadeloupe, Guyane, Martinique, à La Réunion ou encore à Mayotte en matière de délivrance des titres miniers. Les collectivités du Pacifique disposent bien entendu de leur propre code minier.
La mise en oeuvre des projets de la stratégie nationale d'exploration et d'exploitation des ressources minérales dans les grands fonds marins a bien été réalisée par mon ministère, en liaison étroite avec le secrétariat général à la mer. Je crois d'ailleurs que vous auditionnez le SG mer dès demain. Cela se fait aussi bien entendu avec l'Institut de recherche pour le développement (IRD), qui va réaliser deux études.
L'une porte sur l'état des lieux pluridisciplinaire des enjeux liés à l'exploitation des ressources minérales des grands fonds marins. Cet état des lieux s'accompagnera de recommandations pour éclairer la prise de décisions sur ces sujets.
La seconde étude porte sur la construction d'un cadre de gouvernance participative en matière d'exploration et d'exploitation des grands fonds marins. Ce projet comprendra, vous l'avez dit, une analyse des expériences passées ou en cours incluant une revue de la littérature et de la documentation, ainsi que l'organisation d'ateliers d'échanges.
Le coût de ces études s'élève à 1,25 million d'euros. Il reste un arbitrage à réaliser pour pouvoir rapidement les lancer.
Il faut être clair s'agissant du plan d'investissement France 2030 : les 2 milliards d'euros correspondent à l'ordre de grandeur des crédits publics pour les deux objectifs que sont l'espace et les fonds marins. Pour les fonds marins, l'ordre de grandeur sera d'environ 300 millions d'euros. Dans les grandes lignes, il va s'agir de financer les missions d'exploration, qui seront l'occasion d'accroître notre connaissance des fonds marins de manière significative et de développer des systèmes innovants d'exploration.
Ces missions concerneront l'outre-mer et la métropole. France 2030 va offrir aux industriels une véritable opportunité de mettre au point des solutions particulièrement innovantes, à un moment où, vous le savez, beaucoup de pays souhaitent se doter d'une capacité d'exploration de leur milieu sous-marin.
Les 310 millions d'euros que vous mentionnez pour la stratégie nationale d'exploration et d'exploitation des ressources minérales dans les grands fonds marins correspondent à une évaluation du coût total des actions à entreprendre, qui n'ont pas vocation à être entièrement financées par des crédits publics. Il s'agit d'y associer aussi des crédits privés et faire en sorte que l'ensemble des entreprises nous accompagnent dans cette recherche.
Il est important de le rappeler : France 2030 prendra en charge deux actions importantes, le programme de recherche scientifique, destiné à étudier le fonctionnement des écosystèmes des grands fonds et évaluer leur fragilité face à des interventions humaines, et le programme d'exploration que la France s'est engagée à mener dans le cadre des permis d'exploration de l'Autorité internationale des fonds marins.
Je précise à ce stade qu'il n'est pas question d'exploitation. C'est un sujet qui sera traité dans un deuxième temps.
Concernant les conventions internationales, le travail sur le règlement d'exploitation proposé par l'AIFM a pris du retard avec la pandémie, qui a bloqué de nombreuses réunions et rencontres. Ce règlement comportera une partie consacrée à la préservation de l'environnement marin. La France avait fait des commentaires sur la dernière version du projet, qui date de 2019. Nous attendons un nouveau projet de règlement dans les prochaines semaines.
Le règlement devrait être adopté au plus tard en 2023 et être complété par plusieurs dispositifs, en particulier par des normes et des directives, dont certaines ont été élaborées par la commission juridique et technique au cours de ces deux dernières années, et ont fait l'objet d'un appel à commentaires auprès des États et des parties prenantes. Ces projets conviennent dans leur ensemble aux services techniques français. C'est l'avis que nous avons rendu.
Notre priorité porte sur les normes et directives sur la protection de l'environnement, qui doivent être adoptées avant l'entrée en vigueur du règlement d'exploitation. Nous l'avons validé. Chaque région susceptible d'accueillir des projets d'exploitation devra faire l'objet d'un plan régional de gestion de l'environnement. Ce travail est en cours pour développer ces plans ainsi qu'une méthodologie commune.
Concernant l'Union Européenne, les discussions avec la Commission sont assez avancées pour lancer une initiative globale sur le futur traité pour la protection de la biodiversité marine (BBNJ), qui intéresse aussi les fonds marins. Il s'agit d'arriver, dans les conditions les plus favorables, à la dernière conférence de négociation sur le traité, programmée fin mars. La France est particulièrement mobilisée par cette échéance, et nous en reparlerons - du moins je le souhaite - lors du sommet « Un océan », à Brest.
Enfin, vous avez parlé de la position de la France à propos du moratoire proposé lors du congrès de l'UICN à Marseille. Je crois que le Gouvernement a été clair sur ce point. Les missions d'exploration de France 2030 ont précisément pour objet d'enrichir considérablement nos observations sur les fonds marins et d'inventorier notre patrimoine naturel. Sans cette connaissance, qui constitue la première phase, il n'y aura pas de protection crédible.
Le développement des systèmes autonomes d'exploration viendra bien entendu renforcer la capacité de recueil de données de nos organismes scientifiques. Nous en avons besoin, et France 2030 va permettre de réaliser un bon dans la connaissance des fonds marins, en nous replaçant sans doute au premier niveau mondial. C'est ce que je souhaite. Il ne faut pas fragiliser le cadre multilatéral de l'AIFM. C'est ce que nous avons dit à Marseille.
M. Michel Canévet, président. - La parole est aux commissaires.
M. Jean-Michel Houllegatte. - Madame la ministre, pour protéger, explorer et exploiter les fonds marins, il faut des vocations maritimes. J'appartiens à une génération qui a grandi avec les épopées du commandant Cousteau et qui a suivi régulièrement Thalassa à la télévision. Vous parliez de la plongée profonde : le record de plongée du bathyscaphe dans la fosse des Mariannes date de 1960.
Je ne veux pas dire que la conquête spatiale a pris le dessus, mais nos jeunes concitoyens sont enthousiasmés - et ils ont tout à fait raison - par les exploits de Thomas Pesquet. Qu'en est-il de la vulgarisation des potentiels de la mer auprès des jeunes ?
En deuxième lieu, ne pensez-vous pas que nos formations maritimes - transports, cultures, pêches, yachting, constructions navales, etc. - sont émiettées et manquent de lisibilité ?
Enfin, l'exploration réclame des investissements considérables et nécessite d'être dotée de flottes hauturières. L'IFREMER le fait, et les nouvelles technologies recourant aux drones ou au sous-marin Ulyx constituent des prouesses, mais la France n'est-elle pas un peu seule à l'échelon européen ? Comment renforcer les coopérations européennes entre les instituts de recherche afin de bénéficier d'une flotte européenne ? Ne s'agit-il pas d'un axe sur lequel il faudrait travailler ?
M. Philippe Folliot. - Madame la ministre, le 31 décembre dernier, dans le cadre de la stratégie dite de la taxonomie pour une finance durable, la Commission européenne a envoyé aux États membres des propositions assorties de deux objectifs notables, rendre le nucléaire et le gaz éligibles au titre des financements dits verts en matière d'économie durable et de transition énergétique.
Est-ce pertinent selon vous au regard de notre besoin en connaissances et des nécessités d'exploration des fonds marins que vous avez évoquées dans le cadre de la stratégie française ?
La France a accordé des permis d'exploration pour cinq ans dans le golfe du Mozambique qui, pour beaucoup d'observateurs sera, en matière gazière, la mer du Nord du XXIe siècle - pour ne pas dire le golfe persique. Total engage d'ailleurs l'exploitation du gisement de gaz au Mozambique. Le Conseil consultatif des terres australes et antarctiques françaises (TAAF), dont je suis membre, a d'ailleurs été consulté pour rendre un avis à ce sujet.
Il est dommage de ne pas être allé jusqu'au bout de la perspective d'exploration, une éventuelle phase d'exploitation n'étant pas à négliger pour Mayotte, au regard des enjeux économiques et sociaux.
Par ailleurs, sur le plan international, nous disposons d'un permis de recherche dans la zone Clarion-Clipperton. Pouvez-vous nous faire le point sur ce sujet ?
Je ne vous poserai pas de question à propos d'Extraplac et du surprenant retrait de la demande de la France, ces événements s'étant déroulés bien avant votre arrivée au ministère. Votre directeur de cabinet connaît bien le sujet.
Quel est l'état des recherches ? Plus globalement, quelle est votre position en matière de recherche et d'exploitation portant sur les métaux critiques ? On sait que les grands fonds en contiennent. Comment s'affranchir de notre dépendance en matière de métaux rares vis-à-vis d'un certain nombre de pays, notamment la Chine ?
M. Jacques Fernique. - Madame la ministre, vous avez utilisé l'expression d'agir pour ne pas nuire, en présentant l'exploration comme une préalable nécessaire en matière de protection. Je ne crois pas que notre pays soit sur la même ligne que le Parlement européen ou que la Commission européenne à ce sujet.
Lors du congrès de l'UICN, l'abstention de la France au moment du vote sur le moratoire a été comprise comme une volonté d'affirmer une stratégie d'exploration à des fins d'exploitation en eaux profondes, objectif affiché de France 2030.
La Commission européenne semble plus prudente. Elle entend ralentir et fortement conditionner ces démarches. Le pacte vert plaide pour une plus grande défense de la biodiversité, afin que l'exploitation des fonds ne soit pas une priorité européenne.
Comment ajuster ces lignes divergentes ? Ne pensez-vous pas que la position de la Commission, qui n'a pas retenu l'exploration et l'exploitation des grands fonds pour les ressources minérales au titre de ces cinq priorités, soit plus raisonnable ?
Mme Annick Girardin, ministre. - Monsieur Houllegatte, la vocation maritime de la France est essentielle. Vous avez regretté qu'on ne la mette pas suffisamment en avant.
J'ai été, il y a très longtemps, en tant que députée des territoires ultramarins, moi aussi très concernée par les questions maritimes. Aujourd'hui, il existe une volonté de retrouver une part de rêve, d'aventure et d'horizons inconnus, en amenant les jeunes à s'impliquer sur cette question.
France 2030 prévoit d'inclure un volet de valorisation des explorations auprès des Français. Les explorateurs font toujours rêver, et il est vrai qu'on s'est plutôt tourné vers l'espace que vers la mer. Or on a besoin d'images et de récits, et il faut arriver à mettre tout cela en route. Nous disposons de nombreux partenariats avec l'éducation nationale sur le sujet, ainsi qu'avec le ministère des sports. L'objectif du Gouvernement est d'attirer les jeunes vers la mer. France 2030 inclut donc bien un volet de valorisation.
Vous avez raison d'insister sur les formations maritimes, qui ont besoin d'être repensées au vu de nos besoins futurs en matière de métiers de la mer. On ne peut y répondre aujourd'hui. On doit donc accentuer, dans les années qui viennent, les formations touchant aux activités de la mer.
Il convient, en matière d'exploration, d'arriver aussi à créer une dynamique. Nous y travaillons avec tous les organismes de formation pour être au rendez-vous. Les entreprises ont joué le jeu et se sont largement impliquées dans la formation d'ingénieurs ou de chercheurs. Elles portent ces aventures et ont envie d'en faire partie.
S'agissant de la flotte océanographie française, nous avons réalisé un travail d'évaluation depuis plusieurs mois. C'est un élément clé de l'ambition de la France en matière de grands fonds. Nous avons également réalisé un inventaire de tous les outils et techniques possibles pour mener à bien ces missions. Vous avez cité quelques exemples : le nouveau sous-marin autonome Ulyx sera mis en service dans le milieu de cette année. Grâce à lui, la France rejoint le club très fermé des pays disposant d'un engin capable de descendre à 6 000 mètres.
On a également modernisé des robots téléopérés, comme Victor 6000. Un second robot, le Nautile, est prévu pour l'intervention profonde, en remplacement des sous-marins habités, à l'horizon 2025. C'est une question d'échelle. Il convient d'être aux côtés de ceux qui investissent.
S'agissant de l'abandon du permis gazier de Juan de Nova, la loi de décembre 2017 a mis fin à la recherche et à l'exploitation des hydrocarbures. C'est conforme à notre ambition climatique. Le permis était valable jusqu'au 31 décembre 2018. Vous pouvez le regretter pour d'autres raisons. La connaissance des grands fonds viendra compléter le travail qui a été lancé.
En matière de taxonomie, le gaz est une énergie de transition. CMA-CGM développe d'ailleurs la propulsion au gaz naturel liquéfié (GNL) et se prépare dès à présent au biométhane liquéfié (BioGNL) ou à le GNL synthétique. Cet engagement est porté par nos industriels et nos transporteurs, il faut le répéter.
Pour ce qui est des métaux de la transition écologique, nous devons réduire nos émissions de carbone. Nous serons au rendez-vous. Pour ce faire, nous voulons augmenter notre production électrique. Ce qui se joue, c'est la capacité à mettre en oeuvre rapidement la transition énergétique en disposant des métaux présents dans les grands fonds. C'est ce qu'on appelle l'indépendance économique. L'inventaire complet de ces ressources reste à dresser. C'est l'exploration des fonds marins qui nous permettra de mieux connaître nos ressources.
Je le répète, les possibilités de les exploiter sont aujourd'hui inconnues. Elles devront être précisées. L'un des objectifs du programme consacré aux grands fonds est d'acquérir les connaissances nécessaires à leur protection.
Concernant l'Extraplac, la Commission a validé sept de nos dossiers, pour un total de 725 000 kilomètres carrés, aux Antilles, en Guyane, à La Réunion, dans les TAAF et au large de la Nouvelle-Calédonie.
Quatre dossiers vont être inscrits par ailleurs. Il s'agit de Crozet, Wallis et Futuna, Saint-Pierre-et-Miquelon et la Polynésie française. La seule demande déposée en 2009 qui a été retirée est celle de Clipperton. Le temps qui nous était imparti est désormais clos. On peut avoir des regrets. Je ne connais pas la totalité de l'histoire. Je vais m'intéresser à ce qui s'est passé à l'époque. En 2009, on avait déposé toutes les lettres d'intention nécessaires à l'étude de ces dossiers.
Nous renouvelons le permis Clarion-Clipperton. Nous prévoyons des campagnes d'exploration liée à France 2030. Le permis Atlantique a été également renouvelé. Je crois qu'on peut dire que les campagnes d'exploration vont nous être utiles.
La dernière question portait sur l'Europe. Monsieur Fernique, le Parlement européen ne s'engage pas sur l'exploration des grands fonds, à la différence de notre pays. Innover pour explorer, explorer pour comprendre, c'est la vision de la France sur ce sujet. France 2030 va travailler sur ces métaux stratégiques et sur notre approvisionnement. Nous en avons besoin. Des orientations sont données en matière de recyclage. Pas d'action d'exploitation immédiate dans les grands fonds, donc, mais une recherche et une meilleure connaissance de ce qui fera notre richesse, en toute connaissance de cause. On verra plus tard pour l'exploitation.
M. Michel Canévet, président. - Madame la ministre, vous avez, me semble-t-il, éludé la question de Jean-Michel Houllegate concernant la flotte européenne. Quelle est la stratégie française et l'éventuelle approche européenne ? Existe-t-il des orientations en la matière ?
Mme Annick Girardin, ministre. - En l'état, je ne les connais pas. Je vérifierai. S'il en existe, ce que je ne crois pas, je vous en ferai part. Ce travail n'a en effet pas encore été fait.
M. Alain Cadec. - Madame la ministre, quelle est votre position sur les extractions de maërl sur le plateau continental ? Celui-ci constitue une véritable nurserie pour les poissons et contient de nombreuses espèces. On a connu quelques interdictions en la matière, dans la baie de Lannion notamment.
Par ailleurs, quand on revendique, comme c'est votre cas me semble-t-il, la protection des fonds marins, comment peut-on soutenir les projets éoliens off-shore, comme dans la baie de Saint-Brieuc qui, incontestablement, détruit la biodiversité, alors que l'éolien flottant est bien moins traumatisant pour les fonds marins et pourrait remplacer ce qui est proposé autour des gisements de coquilles Saint-Jacques ?
M. Didier Mandelli. - Madame la ministre, c'est le ministère de l'économie et des finances qui délivre les permis exclusifs de recherche en matière de granulats marins, sans que le ministère de la transition écologique soit informé. Je l'ai vécu dans le cadre d'un projet de 432 kilomètres carrés au large de Noirmoutier concernant quelques millions de tonnes. À l'époque, il n'y avait pas de ministère de la mer.
Aujourd'hui, trois ministères seraient concernés par ces questions. Comment envisagez-vous l'articulation ? Cela a-t-il déjà été négocié avec vos homologues ? Avez-vous une perspective qui pourrait permettre de trouver un équilibre entre des intérêts parfois divergents ?
Mme Vivette Lopez. - Madame la ministre, il me semble que vous avez dit qu'aucun pays européen ne souhaite être partenaire de la France dans l'exploration des fonds marins. Ai-je bien compris ?
D'autre part, les populations ultramarines sont-elles consultées avant que l'on explore les fonds marins ? Nous sommes certes le deuxième territoire maritime au monde, mais c'est grâce aux outre-mer, qui sont je pense très attachés à leurs fonds marins. De quelle manière la population et les acteurs ultramarins sont-ils intégrés dans ces projets ?
Mme Annick Girardin, ministre. - Monsieur Cadec, concernant le maërl, il est indispensable d'agir sans endommager. Nous avons tous besoin de connaissances complémentaires. Ces décisions sont obligatoirement fondées sur des bases scientifiques. On n'a pas assez d'éléments en la matière.
Je regrette que nous n'ayons pas jusqu'à présent davantage investi dans le domaine de la connaissance maritime. Le programme France 2030 donne un autre élan au souhait que nous avons de mieux connaître pour mieux protéger ou exploiter, selon les choix que nous arrêterons - mais j'avoue ne pas être une spécialiste en la matière.
À ce sujet, Extraplac est un programme essentiel pour la France, qui donne la possibilité d'exploiter le sous-sol, le sol et les espèces sédentaires qui vivent au fond. C'est sur ces sujets que nous travaillons.
S'agissant de la baie de Saint-Brieuc et de l'éolien, le Premier ministre a souhaité mettre en place une enveloppe de 50 millions d'euros afin de mener des études plus approfondies avant d'implanter des éoliennes.
Ces sujets comportent un stock et un flux. Certains projets ont été validés et vont se mettre en place. Pour l'avenir, nous travaillons beaucoup sur l'éolien flottant. Existe-t-il des effets sur la biodiversité, que les installations soient fixes ou flottantes ? On a besoin d'études complémentaires. Il est évident que la phase de travaux bouleverse l'écosystème. Cela empêche aussi les pêcheurs d'exercer leur activité. C'est pourquoi il existe des clauses d'indemnisation. Ces projets industriels sont généralement négociés avec les pêcheurs et les acteurs des bassins maritimes concernés.
Le problème vient du fait que certains de ces projets ont plus de dix ou douze ans. Les jeunes pêcheurs d'aujourd'hui n'étaient donc pas autour de la table à l'époque. Les projets réclament beaucoup trop de temps, et les partenaires d'hier ne sont pas ceux d'aujourd'hui. C'est donc extrêmement compliqué. On n'a pas de preuves en matière de destruction de la biodiversité. Il existe quelques inquiétudes. Après la pose, normalement, d'après tout ce que l'on peut voir ailleurs, les écosystèmes se régénèrent extrêmement vite.
C'est un sujet sur lequel nous travaillons, en lien à l'ensemble des acteurs de la mer. Ce ministère est celui des usages et des usagers. Même si tout ne dépend pas du ministère de la mer, je veille qu'un vrai débat soit instauré avec l'ensemble des acteurs.
Depuis que je suis là, nous veillons, avec Barbara Pompili, à ce que chacun puisse s'exprimer. Il est vrai qu'il est compliqué pour moi de vous répondre sur des projets déjà actés, dont certains sont déjà en partie réalisés.
Monsieur le sénateur Mandelli, l'adaptation législative consistant à faire en sorte que les travaux miniers relèvent du régime de l'autorisation environnementale est aujourd'hui assurée en partenariat avec d'autres ministères. Je ne suis pas la première en ligne sur ce sujet. Il est important qu'on y travaille, mais ce sont d'autres directions qui donnent ensuite les autorisations et mettent en place les projets.
Comment les populations sont-elles impliquées dans ces sujets ? Il est essentiel que les populations soient associées, que ce soit en matière d'éoliennes, de granulats ou, demain, d'autres types d'exploitations.
La métropole et les départements et régions d'outre-mer (DROM) ont des statuts qui peuvent se ressembler. Les territoires du Pacifique ont des compétences et décideront eux-mêmes des choix qu'ils souhaiteront faire en la matière. Les populations sont associées. Il existe une véritable demande des territoires ultramarins. C'est la première fois que l'on reconnaît la richesse que les territoires ultramarins apportent à notre pays. C'est une vraie reconnaissance de leur positionnement géographique et de ce qu'ils sont.
On a vu à Wallis et Futuna comment les choses se passent lorsque ce n'est pas bien fait. Il est indispensable d'associer les populations afin qu'elles soient parties prenantes de ces débats, puissent s'exprimer et que des compromis interviennent avant toute décision. Cela n'a peut-être pas toujours été fait dans tous les domaines, je le reconnais, mais c'est ma méthode.
Pour ce qui est de nos partenaires européens, l'Allemagne et la Norvège manifestent un intérêt pour la recherche et l'exploration des grands fonds. La France n'est donc pas seule en Europe. Nous avons des partenaires, mais la haute mer relève de l'AIFM, et c'est bien ainsi que nous devons fonctionner.
M. Didier Mandelli. - Madame la ministre, ma question portait sur le fait de savoir quels seront, demain, les ministères qui délivreront une autorisation d'exploration ou d'exploitation.
Mme Annick Girardin, ministre. - Ce ne sera pas directement le mien. Nous sommes associés à toutes les questions maritimes, notamment les services qui seront créés au sein de notre nouvelle direction générale, au mois de mars. Ce sont Bercy et le ministère de la transition écologique qui pilotent ce sujet, auquel nous sommes associés.
M. Didier Mandelli. - Je posais la question à dessein. J'ai souvenir, dans le projet que j'évoquais, que le ministère de la transition écologique n'avait pas été informé de la décision. Ce sont les élus qui se sont opposés au nouveau permis exclusif de recherches. Nous avons rencontré à l'époque Bruno Le Maire, et j'ai informé Nicolas Hulot de la décision qui a été prise. Il n'en savait rien, ce qui me paraît complètement ahurissant !
J'ose espérer que vous serez informée, ainsi que le ministère de la transition écologique. Je formule même le voeu que vous preniez les décisions ensemble !
Mme Annick Girardin, ministre. - Je crois avoir été associée à toutes les décisions depuis mon arrivée.
M. Didier Mandelli. - C'était il y a quatre ans. Votre ministère n'existait pas.
Mme Annick Girardin, ministre. - Je m'assurerai que le mécanisme fonctionne bien et que le ministère de la mer est totalement associé. Lorsque je suis arrivée, nous avons été associés assez rapidement. La création de ce ministère résulte de la volonté du Président de la République et du Premier ministre.
La machine peut prendre un peu plus de temps pour être rodée. J'ose croire que c'est le cas au bout de deux ans, et que ce qui s'est passé n'arrivera plus.
M. Gérard Lahellec. - Je ne veux pas paraître trop insistant, mais je voudrais revenir sur la question d'Alain Cadec. On ne peut laisser les choses en l'état. Les pressions sont intenses, vous le savez bien. Vous êtes venue sur place, et vous avez entendu les pêcheurs.
Je vous concède volontiers que les procédures ont débuté en 2011. Beaucoup de choses ont changé depuis en matière institutionnelle, d'habitudes, de conditions de rachat de l'énergie, etc. Le contexte n'est plus le même, et ceci ajoute peut-être à la confusion.
À l'époque, on avait misé sur les appels à manifestation d'intérêts pour régler nos problèmes énergétiques. Je reste convaincue qu'il y a lieu d'en douter car, depuis, d'autres problèmes se posent à nos populations en matière de fourniture et de coût de l'énergie.
Il serait donc peut-être bon que l'on puisse disposer d'une évaluation financière du coût d'un renoncement à ce projet. On l'a déjà fait pour des projets d'utilité publique bien engagés, peu éloignés de la Bretagne d'ailleurs.
Je ne suis pas sûr que toutes les évaluations financières aient été réalisées à l'époque, car il en coûte à tout le monde ! Une telle évaluation serait de nature à renforcer la responsabilité de chacune et de chacun. Je crains en effet que ceux qui pourraient vouloir renoncer à ce projet ne soient appelés autour de la table pour en financer le coût. C'est un élément dont on aurait besoin, et qui ne serait pas superflu selon moi.
C'est un point particulier qui mérite un débat plus profond. Pardonnez-moi de l'avoir limité à ce sujet, mais je pense qu'il est important de disposer d'éléments d'appréciation.
Mme Annick Girardin, ministre. - Ce quinquennat, avec la loi pour un État au service d'une société de confiance (ESSOC), a remis les choses en ordre. C'est pourquoi je parlais du flux et du stock. Le stock a été traité, les projets ont été lancés, les piliers posés - je pense à Saint-Brieuc. Aujourd'hui, le temps est aux études. C'est ainsi que nous allons fonctionner avec Barbara Pompili.
Vous avez parlé de renoncement. Il n'y a aucun renoncement ! Notre besoin en électricité est extrêmement important dès à présent. Il faut donc être rapidement au rendez-vous. Le prix du gaz augmente, entraînant des difficultés pour de nombreux Français. Il faut que nous progressions sur l'ensemble de ces projets, en appliquant la nouvelle méthode, avec des études, des débats dans chaque bassin maritime. On ouvre ces débats en Méditerranée. C'est indispensable.
À Saint-Brieuc, la procédure relative aux éoliennes remonte à 2011. C'est ce que j'appelle le stock. Le coût du renoncement n'a pas été étudié, et n'a pas à l'être. Nous voulons la transition énergétique. Les gouvernements précédents ont fait des choix. Ils ont été confirmés et complétés par ce Gouvernement. Il ne me revint pas ici de parler de renoncement.
M. Michel Canévet, président. - Merci, Madame la ministre.
Vous l'avez compris, les membres de la mission d'information souhaitent une meilleure cohérence de l'action de l'État. Les questions maritimes ont relevé pour un grand nombre de décisions de ministères différents, que ce soit l'économie, la transition écologique, voire les outre-mer. Nous avons aussi besoin de la marine nationale pour la protection des océans.
Il y a une action cohérente à mener, et nous comptons sur le ministère de la mer pour qu'il en soit ainsi, tout comme il nous faut également avoir une approche européenne. Nous avons en effet, avec nos partenaires européens, des intérêts convergents.
Notre préoccupation vise aussi à associer le plus étroitement possible l'ensemble des territoires ultramarins, qui constituent l'une des richesses de la France, mais qui ont eu parfois tendance à considérer que leur avis n'était pas suffisamment pris en compte. C'est une dimension qu'il faudra pleinement intégrer. Vous l'avez dit, associer l'ensemble des usagers et des parties prenantes est important.
Nous vous remercions pour cette audition et pour les réponses que vous avez bien voulu apporter à nos questions.
La réunion est close à 18 h 10.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Mercredi 19 janvier 2022
- Présidence de M. Michel Canévet, président -
La réunion est ouverte à 17 heures.
Audition de MM. Thierry de la Burgade, Secrétaire général de la mer adjoint, Nicolas Gorodetska, conseiller économie maritime et portuaire et Xavier Grison, chargé de mission schéma directeur de la fonction garde-côtes et conseiller grands fonds marins
La séance est ouverte à 17 heures.
M. Michel Canévet, président. - Je vous remercie d'avoir accepté notre invitation.
La mission d'information du Sénat sur les grands fonds marins a été instituée la semaine dernière. Issue d'une initiative du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants (RDPI), elle conduira pendant six mois un travail d'investigation sur la manière dont la France envisage sa stratégie pour les grands fonds marins. Notre pays dispose du deuxième espace maritime le plus étendu dans le monde et il est important de s'approprier l'ensemble des sujets liés à cet espace.
La mission porte sur l'exploration, la protection et l'exploitation des fonds marins. Je donne la parole au rapporteur, Teva Rohfritsch, pour qu'il vous présente le contexte dans lequel elle s'inscrit et commence à vous interroger. Par la suite, nos collègues sénateurs vous poseront d'autres questions.
Cette audition est la deuxième organisée par notre mission puisque nous avons déjà reçu la ministre de la Mer, Mme Annick Girardin.
M. Teva Rohfritsch, rapporteur. - Cette mission d'information me tient particulièrement à coeur en tant que sénateur de Polynésie française, territoire où nous réfléchissons beaucoup à la problématique des grands fonds marins. Si l'intitulé de la mission a perdu le terme « grands », nous nous intéresserons bien aux grands fonds marins. Bien entendu, nos collègues pourront vous interroger sur les fonds marins de manière plus globale.
Ces grands fonds appellent une multitude de questions et suscitent des attentes que nous avons déjà pu mesurer hier, au cours de la première audition.
Nous avons noté que le Secrétariat général de la mer (SGMer) avait animé et coordonné le travail préparatoire à l'origine de la stratégie nationale d'exploration et d'exploitation des ressources minérales dans les grands fonds marins qui repose sur cinq priorités et huit projets concernant sept ministères.
À la suite de la définition de cette stratégie, le SGMer a été chargé par le Premier ministre de mettre en place une mission interministérielle. Cette mission a-t-elle clos ses travaux ? Quel bilan pouvez-vous en tirer à ce stade ? Pouvez-vous nous présenter un état des lieux de l'avancement de la mise en oeuvre de la stratégie nationale pour les fonds marins ? Un bilan d'étape nous serait en effet très utile.
Le Président de la République a présenté le 12 octobre dernier le plan d'investissement France 2030, dont l'exploration de l'espace et des grands fonds marins constitue le dixième objectif. Quelles sont les complémentarités entre France 2030 et la stratégie nationale d'exploration et d'exploitation des ressources minérales dans les grands fonds marins ? Les temporalités de ces deux volets sont en effet assez proches.
La seconde thématique porte sur l'action de l'État pour les grands fonds marins. Le Secrétariat général de la mer est chargé d'animer et de coordonner l'action des préfets maritimes et des délégués du gouvernement dans les outre-mer. Sont-ils sensibilisés aux enjeux spécifiques des grands fonds marins ? Sont-ils concernés par la stratégie nationale d'exploration et d'exploitation des ressources minérales ? Des objectifs locaux ont-ils été définis ? Nous aurons également l'occasion d'évoquer les liens avec les exécutifs locaux dans les territoires du Pacifique.
Il est régulièrement rappelé que les fonds marins sont largement inconnus, à environ 80 %. L'une des priorités de la stratégie nationale est d'accroître nos connaissances en matière de ressources minérales et de biodiversité. Qu'en est-il des 20 % cartographiés ? Les résultats des récentes campagnes d'exploration tendent-ils à confirmer la richesse de nos fonds marins ou bien est-il possible que celle-ci soit surestimée ? Quels sont les fonds marins sous juridiction française qui ont déjà fait l'objet d'une cartographie ?
La stratégie nationale d'exploration et d'exploitation des ressources minérales a prôné la création d'un démonstrateur destiné à tester l'impact, le cadre et la faisabilité d'une exploitation minière durable des grands fonds marins. La norme et le modèle doivent être définis. Trois hypothèses ont été identifiées pour la localisation de ce démonstrateur : la Nouvelle-Calédonie ou la Polynésie française ; la Zone internationale ; la zone économique exclusive (ZEE) d'un pays européen, en partenariat avec celui-ci. Le lieu de l'expérience a-t-il été défini ? Si ce n'est pas le cas, quels sont les critères qui vous permettront de choisir parmi ces trois hypothèses ? Quelle est l'avancée globale du projet ? Enfin, ces hypothèses peuvent-elles se combiner ?
Selon le SGMer, le secteur de l'économie de la mer représente un chiffre d'affaires agrégé de 91 milliards d'euros et 360 000 emplois. Disposez-vous d'estimations sur le nombre d'emplois et le chiffre d'affaires que pourrait représenter l'exploitation durable des ressources minérales des fonds marins français ?
Enfin, le SGMer est l'animateur et le coordinateur de l'action répressive en mer. L'arsenal juridique pour lutter contre les atteintes à l'environnement marin et plus spécifiquement aux grands fonds marins est-il suffisant ? Malgré les difficultés techniques de tels délits, avez-vous recensé des trafics illicites de ressources issues de nos fonds marins ?
Nous sommes preneurs de votre expertise et je vous remercie d'ores et déjà pour vos réponses.
M. Thierry de la Burgade, Secrétaire général de la mer adjoint. - Je vous remercie de nous accueillir. Je tiens à excuser le préfet Denis Robin, retenu par une contrainte d'ordre privé et qui a tenu à ce que nous honorions votre invitation.
La France s'est dotée en 2021 d'une nouvelle stratégie nationale des grands fonds marins. Une première ébauche avait été lancée par le Comité interministériel de la mer (CIMER) en 2015 mais elle n'avait pas été concrétisée.
En 2018, sous l'impulsion du Premier ministre, le Secrétaire général de la mer a été invité à reprendre cette initiative, à comprendre les raisons de l'échec et à relancer, avec le secteur privé, une stratégie bien plus ambitieuse.
Le CIMER du 20 janvier 2021 a validé une stratégie nationale d'exploration et d'exploitation des ressources minérales des grands fonds marins. Elle fixe 5 priorités pour les 10 prochaines années. Par rapport à la stratégie de 2015, elle comporte 4 nouvelles caractéristiques :
- La concertation a été bien plus large pour son élaboration : pendant plus d'un an, nous avons dialogué avec les industriels et avec toutes les administrations concernées, y compris la défense ;
- Elle tient compte de la dimension environnementale ;
- Elle s'attache à son acceptabilité par les populations concernées, notamment avec le retour d'expérience de la tentative de déclinaison de la stratégie de 2015 à Wallis-et-Futuna qui montre qu'il est indispensable de dialoguer avec les populations pour qu'elles y voient leur intérêt ;
- Elle met en avant huit projets bien définis.
L'intérêt pour les fonds marins a été réaffirmé par le Président de la République à travers les priorités retenues pour les financements de France 2030 avec un financement fléché pour les filières professionnelles stratégiques. L'exploration des grands fonds marins bénéficiera de financements publics complémentaires en synergie avec la stratégie minière.
Le plan d'investissement France 2030 a trois objectifs :
- Constituer des champions nationaux ;
- Développer des innovations de rupture ;
- Accroître les connaissances sur des écosystèmes largement méconnus.
Ces 3 objectifs sont des préalables nécessaires si nous voulons envisager l'exploitation des ressources des grands fonds.
En plus de la stratégie minière et de France 2030, il existe un troisième axe, développé par le ministère des armées qui finalise une stratégie complémentaire de maîtrise des fonds marins sous l'angle de la défense.
Ce sont ces trois volets qui constituent la stratégie complète française sur les fonds marins couvrant les aspects scientifiques, environnementaux, industriels et de défense.
La France fait partie du groupe très restreint des pays capables d'intervenir dans les grands fonds marins. L'objectif de cette stratégie complète est d'assurer notre maintien dans ce groupe de pays. Nous disposons pour cela de plusieurs atouts. Nous sommes la deuxième puissance océanique du monde avec des ZEE dont les typologies sont très variées. Par ailleurs, la France a investi dans des permis délivrés par l'Autorité internationale des fonds marins (AIFM). Elle bénéficie de deux des trente-et-un permis délivrés : l'un porte sur la zone de Clarion-Clipperton dans le Pacifique et l'autre se situe dans l'Atlantique Nord. Nous avons également des opérateurs historiques dotés de moyens technologiques et scientifiques pour descendre dans les grands fonds, notamment l''Institut Français de Recherche pour l'Exploitation de la Mer (IFREMER). Celui-ci doit veiller à entretenir ses flottes de surface et sous-marine et ses moyens d'investigation sous-marins. Enfin, notre pays dispose d'une marine océanique présente sur toutes les mers qui s'appuie sur une base industrielle et technologique de défense qui lui permet de bénéficier d'une autonomie en termes d'équipement.
Cette stratégie complète répond à quatre enjeux :
- Il s'agit d'acquérir des connaissances sur les ressources minérales, mais aussi biologiques et génétiques, importantes pour alimenter la recherche médicale ;
- Il faut apprendre à évaluer l'impact de l'intervention humaine sur les grands fonds ;
- Sur le plan technologique et industriel, l'enjeu est de constituer un écosystème d'entreprises capables de répondre aux défis de l'exploration des grands fonds et de fournir les prestations et les équipements nécessaires ;
- Enfin, la stratégie répond à un enjeu de positionnement international de la France, au sein des institutions multilatérales et et vis-à-vis d'États très entreprenants.
M. Nicolas Gorodetska, conseiller économie maritime et portuaire. - Sur l'avancement global de la mission interministérielle, la stratégie se déclinait en quatre priorités : acquisition de connaissances, amplification des efforts de protection, valorisation des ressources des grands fonds en lien avec le potentiel industriel français, renforcement du partenariat avec les collectivités d'outre-mer et les partenaires internationaux.
Sur la première priorité, l'objectif était de disposer de deux projets. Un programme de recherche sur les grands fonds marins a été confié à l'IFREMER. Ce PEPR (programmes et équipements prioritaires de recherche exploratoires) a été réorienté après l'annonce du plan France 2030 pour trouver la meilleure articulation entre les différentes actions. Le deuxième projet consistait à utiliser et à renouveler les permis accordés par l'AIFM.
Sur la deuxième priorité, l'objectif était de réaliser une cartographie des espaces à protéger et des espaces éventuellement ouverts à une exploitation durable. Le travail amorcé par le ministère de la transition écologique se poursuit.
La troisième priorité consistait à créer un pilote pour tester l'impact et la faisabilité d'une exploitation minérale et donc de connaître les interactions avec le milieu, avec un dispositif de go/no go, chaque étape étant assortie d'un verrou permettant d'arrêter l'expérimentation en cas de dommages. Dans le cadre du PIA4, il s'agira pour les industriels de constituer un consortium pour bâtir un projet.
Enfin, la quatrième priorité vise à associer au mieux les populations et les collectivités. Le ministère de la mer a caractérisé un cahier des charges. Il en est de même pour la stratégie internationale multi-partenaires (projet n°6). Quant au projet n° 7 de cette priorité - réalisation d'une veille sur l'évolution des besoins et des ressources et capitalisation des informations sur les grands fonds marins - il est piloté par la DGALN (direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature).
Je vous fournirai un document récapitulant cet état d'avancement.
M. Thierry de la Burgade - Un an s'est écoulé depuis la définition de la stratégie nationale et il est encore trop tôt pour la faire évoluer.
M. Xavier Grison, chargé de mission schéma directeur de la fonction garde-côtes et conseiller grands fonds marins. - La stratégie nationale d'exploration et d'exploitation des ressources minérales dans les grands fonds marins et France 2030 partagent un objectif d'acquisition de connaissances dans le domaine minier, étendu, dans France 2030, aux ressources biologiques à la fois sur les fonds, la colonne d'eau et sous les fonds.
France 2030 dispose d'un axe de soutien à l'émergence de champions industriels capables de fournir des équipements ou des prestations pour agir sur les fonds marins, dont ne dispose pas la stratégie minière ; inversement, France 2030 n'a pas d'objectif d'exploitation minière. Les ressources biologiques sont extrêmement intéressantes et riches.
M. Thierry de la Burgade - Vous avez rappelé que le SGMer était chargé d'animer l'action de l'État en mer. Les préfets maritimes et les délégués du gouvernement outre-mer sont associés et sont gardiens de l'usage de la colonne d'eau et de la surface de l'eau. Si l'exploitation du sol et du sous-sol est autorisée, ils devront donner leur agrément pour permettre l'utilisation de la colonne d'eau et de la surface de l'eau.
Pas une goutte d'eau salée n'échappe au regard des représentants de l'État qui suivront avec attention l'utilisation des permis de l'AIFM. Les préfets maritimes de la Manche ou de l'Atlantique s'intéressent tous les jours à l'engagement de la colonne d'eau au titre de la préservation des ressources halieutiques mais aussi au titre de l'exploitation des granulats marins ou de l'immersion de déblais de dragage issus de l'activité portuaire.
La stratégie ne définit pas d'objectifs locaux mais certaines zones semblent plus propices pour envisager une exploitation responsable avec une logique de bassin en fonction de l'activité humaine et industrielle.
M. Xavier Grison - Vous avez évoqué le chiffre de 20 % des océans cartographiés. Ce chiffre varie énormément en fonction de la résolution retenue. L'intégralité des océans a été cartographiée en utilisant des satellites et la gravimétrie mais avec une résolution très faible, de l'ordre du kilomètre voire de la dizaine de kilomètres de côté. Si les Alpes étaient cartographiées avec la même résolution, les vallées n'apparaîtraient pas.
Les 20 % annoncés s'inscrivent dans le cadre du projet de l'ONU Seabed 2030 visant à cartographier l'intégralité des océans d'ici 2030 avec une résolution de 100 mètres de côté jusqu'à une profondeur de 1500 mètres, de 400 mètres de côté entre 3000 et 6 000 mètres de profondeur et d'un kilomètre en-deçà. Ces résolutions restent insuffisantes pour de l'exploration fine. Les données fournies se limitent à la profondeur grâce à la bathymétrie, sans apporter d'information sur la nature du sol, la présence de poissons dans la colonne d'eau ou l'existence de végétation, comme le ferait une cartographie multi-paramètres.
Seuls 1 à 5 % des océans ont bénéficié d'une cartographie multi-paramètres et cette proportion est la même dans les zones françaises.
Quant à la zone explorée biologiquement, elle se limite à 0,0001 %, soit une part par million. Nous connaissons donc très peu les fonds marins. À chaque plongée en zone profonde, l'IFREMER remonte une centaine d'espèces biologiques inconnues.
Aucune zone n'a encore été choisie pour le démonstrateur. Avant de déterminer une zone, nous devrons l'explorer de façon détaillée pour choisir un site disposant d'un potentiel d'exploitation mais pour lequel les dégâts causés resteront faibles. Parmi les trois hypothèses envisagées, la dernière s'inscrirait dans une coopération avec un pays européen disposant de grands fonds, comme la Norvège mais l'hypothèse qui est aujourd'hui privilégiée est celle de la Zone internationale, plus précisément la dorsale médio-atlantique. Elle cumule à la fois l'intérêt des industriels et l'absence d'essais à ce jour. Il reste toutefois un certain nombre d'explorations détaillées à conduire avant de savoir si ce prototype d'exploitation est envisageable.
M. Michel Canévet. - Qui conduit ces opérations de cartographie des espaces marins ? L'ONU a-t-elle lancé des appels d'offres ?
M. Xavier Grison. - Dans le cadre de Seabed 2030, chaque pays peut conduire des explorations dans ses espaces et dans la ZEE d'autres pays, sous réserve de les en informer. Dans les eaux internationales, il existe des missions d'exploration ponctuelles, toutes les données étant mises en commun.
M. Michel Canévet. - Pour la France, cette mission est-elle systématiquement confiée à l'IFREMER ?
M. Xavier Grison. - Elle est confiée à l'IFREMER et au SHOM.
M. Nicolas Gorodetska - Il est très difficile de répondre à votre question sur le nombre d'emplois et le chiffre d'affaires que pourrait représenter l'exploitation durable des ressources minérales des fonds marins français. Cependant, l'industrie s'est emparée de ce sujet depuis le CIMER de janvier 2021 qui a envoyé des signaux positifs.
Le comité stratégique de filière des industries de la mer qui regroupe EVOLEN, le GICAN, la fédération des industries nautiques et le syndicat des énergies renouvelables, a inscrit dans sa feuille de route technologique l'exploration des grands fonds : caractérisation de la biodiversité et monitoring, engins d'intervention sous-marine, méthode systématique de détection de sites d'amas sulfurés inactifs.
Nous disposons également du rapport de M. Varin, vice-président du Conseil national de l'industrie, dans lequel il décrit les besoins industriels en matière de ressources minérales et l'extrême dépendance de la France vis-à-vis de ces ressources. Pour une voiture électrique, il faut six fois plus de matière critique que pour une voiture thermique et une éolienne comprend une demi-tonne d'aimants. Le marché du cuivre devrait doubler, celui du nickel tripler et celui du lithium quadrupler. L'Europe est très dépendante de pays tels que la Chine. Les ressources minérales terrestres et marines ont donc une grande importance dans la transition éco-énergétique.
M. Thierry de la Burgade - Vous nous avez interrogés sur l'arsenal juridique dont dispose la France pour lutter contre les atteintes aux grands fonds marins.
Dans les eaux de souveraineté, cet arsenal juridique est suffisant et adapté aux menaces d'aujourd'hui. Les atteintes à l'environnement liées aux immersions ou à la pollution de la colonne d'eau sont réprimées par des juridictions spécialisées. Cela n'exclut pas un besoin d'évolution en fonction des menaces.
À ce jour, le seul trafic illicite, c'est la pêche INN (illégale, non déclarée et non réglementée). L'exploitation des ressources minérales est encore trop complexe pour faire l'objet de trafics illicites. La rentabilité de cette exploitation n'a pas encore été démontrée mais nous suivrons l'évolution des menaces pour nous adapter. Dans le cadre de l'objectif n°10 de France 2030, une action est prévue pour la surveillance des zones protégées, incluant la capacité d'aller surveiller le fond de la mer.
M. Michel Canévet. - Nous menons des actions sur l'exploration, sur la protection et sur l'exploitation. Dans ses objectifs, le CIMER du 21 janvier 2021 a abordé la question du partenariat et de l'association des acteurs locaux. Comment les décideurs des territoires ultramarins sont-ils associés à la délivrance des autorisations d'exploration ou d'exploitation ?
M. Xavier Grison - Tout dépend des territoires. En Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie, les ressources des fonds marins sont de la compétence des gouvernements locaux. C'est à eux que reviendra la responsabilité de donner ou non l'autorisation d'exploration ou d'exploitation.
M. Michel Canévet. - Pour les autres territoires ultramarins, les élus seront-ils consultés ?
M. Xavier Grison. - Nous n'avons pas d'exemple car aucun processus d'autorisation n'a été lancé. Cependant, nous retenons de l'expérience de Wallis-et-Futuna que l'adhésion locale est une étape indispensable.
M. Michel Canévet. - Il me semble préférable de définir a priori le processus formel de décision.
M. Philippe Folliot. - Vous avez indiqué que les fonds marins faisaient partie du dixième objectif de France 2030. Certains observateurs disent que cet objectif est le « pâté de l'alouette et du boeuf », avec le boeuf spatial et l'alouette maritime ! Quel est votre avis sur cette analyse ?
Vous nous avez dit que l'objectif était de créer des champions français de l'exploration maritime et de mettre en oeuvre des innovations de rupture. Quelles seraient ces innovations de rupture ?
Enfin, quelle serait la bonne répartition des crédits et des moyens entre l'hexagone et les outre-mer ? Vous avez dit que l'IFREMER représentait un atout important. Or, si 97,5 % de notre ZEE relèvent des outre-mer, plus de 95 % des effectifs de l'IFREMER sont dans l'hexagone. Y a-t-il, avec France 2030, des opportunités de développement pour les économies ultramarines ?
M. Xavier Grison - Le Président de la République a choisi de faire figurer dans le même objectif de la stratégie France 2030 le spatial et les fonds marins. Il existe des ressemblances, même si les investissements à réaliser ne sont pas du même ordre. Nous connaissons moins bien les fonds marins que la surface de Mars. Les missions d'exploration spatiales et sous-marines présentent des ressemblances et des différences. Elles sont très robotisées, très autonomes mais si nous pouvons facilement communiquer avec une sonde spatiale, il est très difficile de communiquer avec une sonde sous l'eau.
Les principales innovations de rupture envisagées concernent la robotisation et l'autonomisation. Nous n'avons exploré qu'une très faible surface des grands fonds marins et pour progresser, nous devons démultiplier les capacités d'exploration. Pour ce faire, nous ne pouvons pas multiplier les expéditions humaines : il nous faut utiliser des drones et des robots. Le degré d'autonomisation peut varier, avec des drones accompagnant un navire ou des drones complètement autonomes transmettant leurs observations par satellite.
Par ailleurs, cette autonomisation est obligatoire pour obtenir une cartographie détaillée qui nécessite des engins descendant à 6 000 mètres de profondeur. En effet, il est très compliqué et très coûteux d'envoyer des humains à cette profondeur.
Sur la répartition des moyens entre l'hexagone et les outre-mer, le rattachement des personnels de l'IFREMER n'est pas significatif, seule compte la zone sur laquelle le bateau opère.
Enfin, il est essentiel que les territoires ultramarins bénéficient de retombées économiques liées à l'exploration et à l'exploitation de leurs fonds marins. Avoir une base locale simplifie la maintenance des matériels. Les territoires d'outre-mer bénéficieront donc de retombées que nous ne pouvons pas encore chiffrer.
M. Gérard Lahellec. - Je vous remercie de vous livrer à cet exercice qui nous apporte des éclairages importants et démontre l'atout de disposer de services de l'État qui se préoccupent de ces questions.
En vous écoutant attentivement, j'ai beaucoup pensé à Paul Valéry et à son regard sur le monde. Il écrivait que « le temps du monde fini commence » et que l'avenir serait « cognitif ». Il pointait la question des fonds marins comme une grande inconnue qui méritait que nous nous y attardions. C'est ce que nous faisons aujourd'hui avec notre mission d'information.
Je m'interroge sur l'objectivation des connaissances. Quand on cherche, on ne trouve pas toujours et on ne trouve pas toujours ce qu'on cherche mais on trouve parfois autre chose. Nous ne savons donc pas ce que nous allons trouver et peut-être trouverons-nous des ressources répondant à des besoins des sociétés d'aujourd'hui et de demain.
Il ne faudrait pas que l'ambition d'exploiter nous fasse aller trop vite en perdant de vue toutes les implications et en nous jetant à corps perdu dans des démarches utilitaristes. J'identifie beaucoup de bonnes intentions mais aussi des risques.
Je viens de Bretagne où nous n'avons pas beaucoup de grands fonds marins mais nous avons l'IFREMER et le SHOM. Ce sont deux structures d'excellence qui ont néanmoins besoin de prospective et peut-être d'une redéfinition de leurs missions.
Tout éclairage sur la manière de s'assurer de l'exhaustivité de la connaissance m'apparaît comme stratégique.
M. Xavier Grison. - Je vous rejoins : si nous cherchons nous allons trouver, mais certainement pas ce que nous étions venu chercher. C'est le propre de la recherche et nous avons beaucoup d'explorations à mener. Nous avons déjà quelques idées qui seront ou non confirmées.
Souvent, la cartographie détaillée d'une zone ne correspond pas à la cartographie à faible résolution et les différences sont parfois extrêmement importantes. C'est l'intérêt de la démarche incrémentale suivie par la France.
Certains États s'inscrivent dans la même démarche. D'autres, comme Nauru, ont déclenché la procédure dite des deux ans à l'AIFM. Nauru est un État acculé économiquement qui prendra moins de précautions que nous. Deux ans, c'est très court dans ce type d'institution internationale. Si l'AIFM n'a pas défini de règles d'ici deux ans, Nauru pourra explorer et exploiter ses fonds marins comme souhaité. La course internationale est donc lancée.
Mme Angèle Préville. - Je vous remercie pour le temps que vous nous consacrez.
En quoi consistent les permis déjà octroyés à la France par l'AIFM ? Vous nous avez dit que la stratégie de la France était de constituer des champions industriels. Quelles sont les contreparties économiques dont bénéficieront ces champions qui auront investi dans l'exploration ? Quels retours attendons-nous de cette phase d'exploration : quels sont les métaux identifiés et leur quantité prévisible ? Y a-t-il une zone dans laquelle des métaux ont déjà été identifiés ?
Il existe des pollutions diffuses et insidieuses des océans, notamment la pollution par le plastique. Je pense à une photo montrant un sac plastique dans la fosse des Mariannes. La stratégie d'exploration prévoit-elle des prélèvements pour mesurer les micropolluants qui ont un impact significatif sur la biodiversité ?
M. Xavier Grison. - Nous ne savons pas exactement quels matériaux nous allons trouver au fond des océans mais des nodules ont déjà été ramassés dans la zone de Clarion-Clipperton ou encore des encroûtements cobaltifères sur la dorsale médio-Atlantique. Nous devrions trouver des terres rares comme le cuivre, le cobalt, le manganèse et des matériaux plus rares dont nous avons besoin en électronique. Ces matériaux sont assez peu présents dans la croûte terrestre et peuvent être plus concentrés dans des zones d'épanchement du magma. Quelques prélèvements ont été réalisés mais nous ne savons ni dans quelle mesure la concentration des métaux varie ni si leur exploitation est rentable.
Une expédition allemande a relevé des nodules dans le Pacifique mais il est trop tôt pour en tirer des conclusions sur la rentabilité d'une exploitation. Cette expédition a également mesuré l'impact de cette activité.
Vous avez raison, ce n'est pas parce que nous n'allons pas dans les grands fonds que nous ne les polluons pas. Il y a en effet de la pollution diffuse, notamment par les microplastiques. Le programme scientifique des explorations n'est pas encore finalisé mais je ne doute pas que la communauté scientifique prévoira des capteurs ou des prélèvements d'échantillons pour mesurer ce type de paramètre.
Pour l'AIFM, le terme de « contrat » est plus approprié que celui de « permis » car les engagements sont réciproques. L'AIFM a délivré 31 contrats d'exploration, dont deux à la France. Ces contrats engagent les titulaires à réaliser des explorations et à en transmettre les résultats. À ce jour, aucune exploitation n'a été autorisée.
Les industriels sont aujourd'hui assez réticents à consentir des investissements. Non seulement ils ne savent pas quelle sera la rentabilité des sommes investies mais une interdiction d'exploitation peut leur être notifiée sans préavis. Il revient à l'État de se substituer au secteur privé et de porter une partie du risque. Les industriels augmenteront leurs investissements avec la diminution du risque. Il y a d'autant moins d'engagement, concernant l'exploitation, que c'est l'État qui paie l'exploration.
M. Nicolas Gorodetska. - Je tiens à souligner que l'AIFM est une structure originale, créée dans l'après-guerre et qui a imaginé des dispositifs de régulation avant même que nous ne disposions des capacités techniques pour aller au fond des océans. Elle s'inscrit dans un cadre multilatéral visant à organiser l'exploration des grands fonds de façon concertée. La prochaine étape sera de mettre en place un règlement d'exploitation. Si la France veut peser dans ces négociations, elle doit absolument acquérir des connaissances
Mme Vivette Lopez. - Je vous remercie pour toutes les informations que vous nous avez communiquées.
Je pense que nous devons être très prudents dans les explorations. Nous ne savons pas ce que nous allons trouver. Je pense par exemple à ce volcan sous-marin au large de Mayotte. S'il y a, par la suite, une exploitation des fonds marins, il s'agira d'éviter la destruction des écosystèmes et de préserver un capital pour les générations futures.
Allez-vous suivre la mission de Jean-Louis Etienne et de son Polar Pod dans l'Antarctique ?
M. Xavier Grison. - Pour vous rassurer, les missions d'exploration sont menées avec des robots qui tiendraient sur la table centrale de cette salle. Nous ne risquons donc pas de réveiller un volcan.
Il faut cependant en effet être extrêmement prudent pour ne pas perturber les écosystèmes, notamment les écosystèmes uniques. Peut-être peut-on faire preuve de plus de souplesse pour les écosystèmes existant à plusieurs endroits. Pour le savoir, nous devons améliorer notre connaissance des fonds marins.
M. Nicolas Gorodetska. - Outre la négociation du règlement d'exploitation de l'AIFM, la négociation de la conférence intergouvernementale sur la biodiversité marine des zones de relevant pas de la juridiction nationale (BBNJ) est en cours sous l'égide de l'ONU. Il s'agit de l'instrument international qui permettra de définir les mécanismes de gouvernance pour créer et gérer des aires marines protégées et qui imposera des études d'impact à toute activité. Ces deux outils internationaux entrent en résonance.
Mme Catherine Procaccia. - Nous avons à plusieurs reprises évoqué un parallèle entre les fonds marins et l'espace. Quelles sont les raisons expliquant l'absence de robots sous-marins pilotables à distance alors que nous pilotons facilement des satellites depuis la terre ? Les industriels ont-ils commencé à travailler sur ce sujet ? Il y a cinquante ans, ouvrir un télescope dans l'espace ou déplacer un satellite risquant d'être atteint par une météorite devait sembler extrêmement compliqué. Quelles sont les raisons de ce retard technologique ?
M. Xavier Grison. - Des plongées profondes ont eu lieu il y a cinquante ans. En revanche, nous ne savons pas les réaliser à des coûts raisonnables. L'objectif est de rendre cette exploration plus abordable.
L'exploration des fonds marins est compliquée en raison de la très forte pression. À 6 000 mètres de profondeur, la pression est équivalente à 600 fois la pression atmosphérique. Il est donc compliqué de disposer de matériel capable de fonctionner dans ces conditions. Ce matériel existe mais il est très coûteux puisqu'il faut le renforcer par exemple avec du titane.
Par ailleurs, il est difficile de communiquer à travers l'eau. Soit le robot est relié au bateau par un fil de 6 kilomètres, ce qui est complexe en raison des courants sous-marins, soit il est autonome. Pour une sonde spatiale, les informations sont transmises en quelques minutes. Sous l'eau, nous ne savons pas comment faire et nous avons peu de pistes pour communiquer avec des débits importants avec une sonde au fond de l'océan.
Les évolutions portent sur des robots plus intelligents dotés de capacités de décision pour explorer les différentes zones en fonction de leurs observations.
M. Teva Rohfritsch. - La stratégie France 2030 et la stratégie nationale d'exploration et d'exploitation des ressources minérales des grands fonds marins sont chacune dotées de 300 millions d'euros. Ces enveloppes s'additionnent-elles ? Pouvez-vous préciser l'effort public d'investissement consenti jusqu'en 2030 ?
L'État a obtenu des permis d'exploration dans la Zone internationale et peut mandater un opérateur industriel pour la réaliser. Quelle sera la marge de manoeuvre de l'État vis-à-vis de cet opérateur en cas de découverte intéressante ?
Enfin, le rapport de M. Levet évoque des zones prioritaires d'exploration. Quelles sont-elles ? Pourquoi la France privilégie-t-elle la Zone internationale et non ses propres zones ?
M. Thierry de la Burgade. - La France a lancé il y a 20 ans le programme EXTRAPLAC pour revendiquer des extensions légitimes du plateau continental en application du droit international. Certaines de ces revendications sont toujours en cours d'instruction mais une bonne partie de ses extensions nous a déjà été accordée. Il n'y a pas d'urgence à travailler sur ces zones sur lesquelles nous disposons d'une souveraineté absolue.
Nous nous sommes attachés à des zones pour lesquelles nous avions des retours encourageants sur la constitution des sols et des sous-sols et auxquelles d'autres États s'intéressaient. C'est donc aussi par précaution que nous avons négocié des contrats sur des fonds particuliers. Nous avons renouvelé le permis d'exploration Clarion-Clipperton fin 2021 pour continuer à occuper le terrain pendant les cinq prochaines années.
M. Xavier Grison. - Les contrats AIFM créent une obligation d'exploration. C'est aussi pourquoi, dans un contexte de ressources limitées, nous avons priorisé ces zones. L'objectif est bien d'explorer à terme l'ensemble des zones françaises et donc les zones ultramarines, sous réserve de l'accord des gouvernements locaux.
Les deux stratégies sont effectivement chacune évaluées à 300 millions d'euros mais la somme des deux ne fait pas 600 millions, peut-être 500 millions, même s'il est un peu tôt pour se prononcer.
N'oubliez pas qu'une troisième stratégie, dans le domaine de la défense, mobilise également des financements non comptabilisés ici. Ces trois stratégies déployées en parallèle créeront des synergies.
M. Michel Canévet. - 310 millions d'euros sont alloués aux grands fonds marins dans le cadre de France 2030 et autant pour le PIA ?
M. Xavier Grison. - Le PIA comprend une part d'investissements privés mais l'ordre de grandeur que vous avez évoqué est le bon.
M. Michel Canévet. - Pouvez-vous préciser ce qui s'est passé à Wallis-et-Futuna ?
M. Xavier Grison. - Wallis-et-Futuna avait été identifié comme une zone d'intérêt majeur pour l'exploration des fonds marins avec un objectif ultérieur d'exploitation. Les explorations ont été menées sans grande concertation avec les instances locales de gouvernement. Celles-ci et la population ont craint des atteintes à l'environnement et à leur cadre de vie et ont décrété un moratoire sur l'exploration et l'exploitation des fonds marins.
M. Michel Canévet. - Il est donc indispensable d'associer au plus près l'ensemble des forces vives des territoires ultramarins concernés par l'exploration, la protection ou l'exploitation des fonds marins.
M. Teva Rohfritsch. - En Polynésie et en Nouvelle-Calédonie, les mouvements politiques se positionnent sur l'exploration et l'exploitation des fonds marins. L'exploration nécessite des moyens financiers et techniques dépassant les capacités d'une collectivité territoriale mais l'exploitation offre des perspectives de retombées économiques locales. Les autorités locales ont besoin de clarifications sur le risque de captation des richesses par les industriels qui ont financé l'exploration. Une partie de la réponse est sans doute que l'État est à l'origine de ces financements mais le schéma juridique reste méconnu et nourrit des craintes.
M. Thierry de la Burgade. - Nous avons conscience qu'un engagement contractuel devra être construit avec les industriels pour que les retombées soient partagées et pour éviter toute captation mais nous ne sommes pas encore parvenus à ce stade.
M. Teva Rohfritsch. - Confirmez-vous que les retombées dans les outre-mer font partie des axes fixés par la stratégie nationale ?
M. Xavier Grison - Le titulaire des permis français délivrés par l'AIFM est l'IFREMER et non un industriel. Par ailleurs, l'exploration et l'exploitation ne seront peut-être pas menées par la même entité.
Il est néanmoins possible que de grands industriels internationaux, issus du monde pétrolier, se positionnent sur ce créneau et cherchent à convaincre les autorités en charge de la délivrance des autorisations d'exploitation moyennant des redevances et des retombées locales.
J'ajoute cependant que nous serions heureux si au moins un industriel se positionnait sur ce créneau.
Mme Angèle Préville. - Vous avez dit qu'un cadre devait être défini pour les permis AIFM. Pouvez-vous préciser votre propos ?
M. Xavier Grison. - Il existe un cadre réglementaire pour l'exploration et c'est le cadre de l'exploitation qui reste à écrire.
Mme Angèle Préville. - Pensez-vous que sa rédaction présentera des difficultés ?
M. Thierry de la Burgade. - Je ne pense pas. La France fait en sorte que tout se passe bien. Elle a désigné comme ambassadeur à Kingston un ancien sous-directeur du droit de la mer expert du sujet.
M. Michel Canévet. - Je vous remercie d'avoir participé à cette audition. Le Sénat est attaché à la bonne coordination de l'action de l'État et nous constatons avec satisfaction que vous appréhendez bien l'ensemble des dimensions liées aux fonds marins.
La séance est close à 18 heures 25.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.