Jeudi 20 janvier 2022
- Présidence de M. Serge Babary, président -
La réunion est ouverte à 9 heures.
Table ronde sur le commerce extérieur avec MM. Guillaume Vanderheyden, sous-directeur au commerce international de la Direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI), Pedro Novo, directeur exécutif de Bpifrance en charge de l'export, et Jean-Marc Daniel, économiste, professeur émérite de l'ESCP Business School
M. Serge Babary, président de la Délégation aux entreprises. - Je vous remercie d'avoir accepté notre invitation pour poursuivre nos travaux consacrés aux difficultés des PME et ETI en matière de commerce extérieur. La dégradation continue de la balance commerciale française et la comparaison avec notre voisin allemand nous ont amenés à nous saisir du sujet. En outre, la crise sanitaire a révélé notre état de dépendance dans la production de nombreux biens. Comment expliquer le déficit commercial français et comment améliorer la situation ? Plusieurs thèmes sous-jacents sont au coeur de nos interrogations : la souveraineté économique de la France, la compétitivité hors coût, les paramètres économiques pouvant guider la décision politique, etc. Enfin, je précise que les PME et ETI sont en effet les « cibles » privilégiées des travaux la Délégation aux entreprises, instance parlementaire unique en France, créée à l'initiative du Président du Sénat, Gérard Larcher, en 2014.
Monsieur Guillaume Vanderheyden, comment est établie la balance commerciale, quels éléments sont-ils pris en compte dans le calcul du solde commercial en France et dans les autres pays européens, ainsi que les principaux indicateurs de risque ? Pourriez-vous nous éclairer sur la « granularité » des statistiques dont nous disposons pour évaluer nos vulnérabilités ? D'après les économistes de la direction générale du trésor entendus mardi dernier, nous ne pouvons pas savoir si les biens importés de pays européens sont produits essentiellement sur leur territoire ou si les composants viennent de pays tiers, ce qui complique l'appréhension du risque dans notre stratégie d'approvisionnement.
Monsieur Pedro Novo, comment votre stratégie d'assurance, de financement et d'accompagnement des entreprises, en particulier des PME et ETI, est-elle définie ? Quels sont vos critères de sélection des demandes ? Intervenez-vous là où les banques classiques ne sont pas suffisamment présentes pour soutenir les entreprises à l'export ? Que manque-t-il pour favoriser l'export, par exemple en termes d'articulation des actions entre acteurs publics et acteurs privés de l'accompagnement des entreprises ?
Enfin, M. Jean-Marc Daniel, comment analysez-vous la situation française en matière de commerce extérieur ? Quel jugement portez-vous sur les études qui fleurissent sur le sujet, celles du Conseil d'analyse économique (CAE), de la direction générale du Trésor, ou celle du Haut-Commissaire au Plan ? Comment orienter la décision politique face à ces analyses dont les conclusions sont parfois aux antipodes et selon quels critères ? Que pensez-vous de l'enseignement et des compétences des Français en matière de commerce international ?
M. Guillaume Vanderheyden, sous-directeur au commerce international de la Direction générale des douanes et droits indirects. - La douane établit en effet les statistiques du commerce extérieur, mais elle est aussi un témoin particulier des échanges internationaux, soit entre les pays tiers à l'Union européenne, soit entre eux-mêmes. Depuis une vingtaine d'années, notre pays connaît un déficit de la balance commerciale des biens qui a atteint près de 65 milliards d'euros en 2020 et en novembre dernier, le niveau le plus bas jamais atteint sur un seul mois, avec un déficit de 9 milliards d'euros. Une partie de ce déficit est circonstancielle et s'explique par la hausse des prix des matières premières et des produits industriels. En 2021, les importations n'ont augmenté que de 2,6 % en volume mais de 20 % en valeur. Le déficit lié aux hydrocarbures s'élève à lui seul à près de 50 milliards, clairement accentué par la conjoncture. Par ailleurs, nous sommes aussi exposés par notre spécialisation sectorielle : l'aéronautique et le tourisme ont été frappés de plein fouet par la crise du Covid. Cependant, l'impact négatif de l'énergie et des matières premières ne saurait masquer les problèmes structurels. La désindustrialisation de la France a certainement participé à l'aggravation de notre déficit commercial.
La balance commerciale est un compte qui retrace la valeur des biens exportés et la valeur des biens importés, et qui exclut les services. La comptabilité nationale procède à l'évaluation des importations et des exportations de biens à partir des statistiques douanières de marchandises. Lorsque les biens sont échangés avec les 26 autres pays membres de l'Union européenne, les données sont recueillies sur la base d'une enquête mensuelle. Lorsqu'ils sont échangés avec les autres pays, ce sont les déclarations en douane qui font foi. Chaque mois, les informaticiens et statisticiens de la douane traitent près de 20 millions d'articles de déclaration, puis le service statistiques des douanes présente et commente les derniers résultats de la balance commerciale.
Les échanges de services sont collectés tous les mois par la Banque de France et sont publiés le même jour que les statistiques douanières afin qu'il n'y ait pas de décalage : ainsi, les dernières informations se rapportant au mois de mars 2021 sont disponibles.
Au niveau européen, la balance des biens et des services est calculée selon des méthodes qui sont harmonisées par Eurostat pour la balance des biens et par la Banque centrale européenne pour celle des services. Ces méthodes communes assurent la comparabilité des résultats a minima entre les pays européens, et avec les pays de l'Association européenne de libre-échange, l'Islande, la Norvège, la Suisse et le Liechtenstein, et il est donc tout à fait possible de comparer sans biais les balances commerciales française et allemande, même si une harmonisation des termes au niveau européen serait souhaitable.
M. Pedro Novo, directeur exécutif de Bpifrance en charge de l'export. - Dans le portefeuille de nos outils, nous avons tant des grands comptes industriels que des ETI familiales, des PME, des TPE et des start-up. Ce que les flux de biens ne traduisent pas, c'est une accélération de l'internationalisation de nos entreprises Nous avons dans notre portefeuille d'actions à la fois des activités sur bilan et des activités de soutien hors bilan, c'est-à-dire des activités de gestion des garanties publiques pour le compte et sous le contrôle de l'État : assurance-crédit volumétrique et assurance prospection notamment, en direction des TPE, PME et ETI. Les chiffres sont en très forte progression, tant pour le recours à l'assurance - assurance-crédit, assurance-prospection - que pour les outils de financement. La politique d'assurance est définie par l'État dans le cas d'une politique de financement export révisée annuellement - la prochaine le sera au mois de février - et elle oriente la capacité de soutien aux entreprises à l'étranger. Nous intervenons avec des assurances-crédits moyen et long termes : cette année, leur volume atteint 17,3 milliards d'euros, soit une progression de 37 %, essentiellement due à la conclusion de grands contrats industriels du secteur de la défense. L'assurance prospection a progressé de 23 % : malgré l'atonie sanitaire, nos entreprises se sont adaptées en digitalisant leurs démarches de prospection, en maintenant un lien commercial. Leurs implantations territoriales dans le monde leur ont donné une forme d'agilité là où elles étaient implantées, et les prospections ont pu continuer. Le volume de l'assurance-prospection a atteint près de 287 millions d'euros, en progression de 23 %, et concerné 1 375 entreprises, majoritairement des PME.
Les garanties de prêts et de cautions sont l'un des dispositifs que nous mettons à la disposition des PME. En période de tension, elles rassurent la banque qui émet une caution au bénéfice d'un importateur à l'étranger qui souhaite avoir une garantie. Les préfinancements ont été peu utilisés du fait de la distribution massive de prêts garantis par l'État qui ont injecté beaucoup de trésorerie dans les entreprises françaises, autour de 135 milliards d'euros. Ces prêts ont permis de préserver la trésorerie de production à l'export de nombre de PME. Les activités en complément de crédits, c'est-à-dire l'activité de financement international du marché bancaire français comme du marché de BPI France n'a pas ralenti : nous avons augmenté notre activité de 84 % sur l'année 2021 en financement de crédit-export, une ingénierie particulière rendant accessible un marché réservé aux grands industriels à de nombreuses PME françaises. Ces dernières en ont ainsi bénéficié à hauteur de 400 millions d'euros.
Enfin, notre troisième levier d'action consiste à répondre à l'immense besoin d'accompagnement de soutien des PME à l'international. Notre arsenal financier est d'un bon niveau, comparativement à ceux de nos compétiteurs britanniques, allemands ou autres. Les enjeux sont à la fois culturels, de préparation, d'accompagnement, de formation, de coaching. Les entrepreneurs et chefs d'entreprise sont débordés et ont du mal à se projeter dans une dimension stratégique internationale. Or, dans ce domaine, nous héritons d'une gestion par à-coups, par intermittence, avec un marché domestique et une demande intérieure très forte, qui expliquent notamment le déficit commercial français. Cette demande intérieure n'a pas incité nos entreprises à aller chercher des parts de marché à l'international et a joué tant sur l'appétit au risque que sur l'organisation que demande la projection internationale d'une PME.
M. Jean-Marc Daniel, économiste, professeur émérite de l'ESCP Business School. - L'enjeu du commerce extérieur n'est pas tant le commerce extérieur en tant que tel que la politique budgétaire qui est menée. Au-delà des douanes, l'ensemble de nos relations avec le reste du monde se traduisent dans la balance des paiements courants. Or, la balance des paiements courants est moins détériorée que notre balance commerciale, notamment parce que nos entreprises, comme aux États-Unis, ont beaucoup exporté de capitaux et produisent beaucoup à l'étranger. Nous récupérons cela sous forme de retour de dividendes. L'enjeu est donc davantage de savoir si la balance des paiements courants est déficitaire : si oui, depuis combien de temps et comment la corriger ? Au sein du G7, trois pays sont en excédent de balance des paiements courants : l'Allemagne, le Japon et l'Italie. Deux pays sont en train de redresser leur situation : le Canada, parce qu'il produit du pétrole, et le Royaume-Uni, parce qu'il mène une politique plutôt d'austérité. Enfin, la France et les États-Unis creusent le déficit de la balance des paiements courants : 9 milliards de déficit de la balance commerciale en novembre pour la France, 80 milliards de dollars pour les États-Unis. Cela ne nous concerne pas directement, mais c'est assez symptomatique parce que le déficit des États-Unis ressemble à celui de la France : on y trouve un énorme déficit commercial ainsi qu'une partie de la balance des paiements courants nourrie par des placements. Nous sommes en déficit extérieur depuis 2001-2002, et deux écoles existent parmi les économistes : pour les uns, 2001-2002, c'est le passage à l'euro, nous avons donc un problème de compétitivité lié à une rupture dans notre politique économique. Nous avons vécu jusque dans les années 90 sur la base d'un mécanisme qu'on appelait le dirigisme inflationniste : l'interventionnisme étatique élevé se traduisait par de l'inflation et de la dévaluation. L'adhésion à l'Europe a maintenu une forme de dirigisme, donc une forme d'inefficacité productive, mais n'a plus la correction de la dévaluation.
La deuxième interprétation est que nous sommes en déficit parce que 2001, c'est les 35 heures, c'est-à-dire que nous avons une très forte demande intérieure qui n'a pas en regard le niveau de production suffisant. À partir de ce moment-là, non seulement les entreprises n'exportent pas, mais en plus, elles ne sont pas en capacité de satisfaire la demande intérieure et donc l'enjeu est un déficit de la balance des paiements courants essentiellement dû à un excès de demande intérieure lié à une absence de mobilisation de l'offre.
Le FMI a une collection qui s'appelle les « ABC de l'économie » qui comporte un chapitre sur le déficit extérieur et sa conclusion est que le déficit peut résulter assez souvent d'un manque de compétitivité mais en général, il ne faut pas se leurrer, le déficit est le produit d'une politique budgétaire inconsidérée ou d'une fringale de consommation. Je pense que nous subissons les deux : une politique budgétaire inconsidérée et une fringale de consommation.
Nous sommes bien obligés de financer ce déficit et donc, comme nous n'arrivons pas à vendre, nous nous vendons. Concrètement, notre avoir extérieur net devient de plus en plus négatif. L'année dernière, il a dépassé 700 milliards d'euros. Or, nous sommes engagés auprès de nos partenaires : notre avoir extérieur net doit rester inférieur à 35 % du PIB, alors qu'il atteint 32 %. L'alerte a sonné ! Dans cet avoir extérieur net, vous avez 1 200 milliards d'euros de dette publique détenue par l'étranger et 500 milliards d'excédents extérieurs nets du secteur privé. Cela confirme que nos entreprises ont clairement fait le choix d'investir à l'étranger pour contourner les contraintes de production en France. Le fait que la dette publique soit détenue par l'étranger n'est pas grave sur un plan théorique et sur le plan économique, même si certains partenaires s'agacent de notre situation, mais cette situation n'est pas durable et ne peut pas durer. Deux solutions : soit on dévalue, soit on abandonne les 35 heures. Comme on ne peut pas dévaluer, il faut augmenter la durée du temps de travail, qui permettra d'augmenter la production et de répondre à la demande intérieure excessive. Un des enjeux du débat sur l'âge de départ à la retraite est notre commerce extérieur, notre capacité à produire et à satisfaire la demande intérieure, et à se projeter à l'exportation.
Je tire de mon expérience d'enseignant plusieurs éléments. Désormais, les étudiants parlent anglais et les professeurs eux-mêmes commencent à parler anglais. Deuxièmement, l'enseignement supérieur est un enjeu d'exportation. Nos écoles sont encore bien notées mais le problème est de maintenir cette image. Les quatre principales puissances scolaires en ce moment sont les États-Unis, le Royaume-Uni, l'Australie et la France. En termes de nombres d'étudiants étrangers accueillis, l'Australie vient de nous dépasser, ce qui n'a rien d'étonnant compte tenu de leur avantage linguistique. Un des enjeux pour nous est donc à la fois de préserver notre langue et d'en faire un avantage comparatif. Or, il arrive que des étudiants chinois corrigent et l'anglais de leur professeur, et leur français ! Il faut faire attention car une image peut se détériorer très vite. Troisièmement, il faut préserver et développer au niveau européen le programme Erasmus, d'autant que le retrait britannique nous offre une opportunité. L'enjeu de l'enseignement est capital : il y a plus d'avenir dans l'enseignement supérieur que dans le fait de se remettre à produire des chaussettes ou de ré-ouvrir des mines.
Mme Florence Blatrix Contat, co-rapporteure. - Comment jugez-vous la soutenabilité de nos comptes publics et de notre dette publique, compte-tenu notamment du « quoi qu'il en coûte » sanitaire ? Quelle est la part des dettes souveraines sur les 65 % de dette publique détenue par des investisseurs étrangers et y-a-t-il un risque lié à la dépendance à ces pays ? Enfin, le niveau de dépenses contraintes étant élevé, comment serait-il possible de diminuer la consommation pour importer moins ?
M. Jean-Marc Daniel. - Ce qu'il se passe en ce moment est crucial sur les rapports entre les banques centrales et les États parce que le financeur en dernier ressort des États, c'est la Banque centrale. Dans le traité de Maastricht, il était prévu que la détention de dettes publiques par la Banque centrale serait l'exception ; aujourd'hui, la Banque centrale européenne détient 20 % de notre dette publique. Cela vient du premier « quoi qu'il en coûte », de 2012, celui de Mario Draghi. Toutes les banques centrales ont mis en place des politiques dites « non conventionnelles » de quantitative easing, sur le modèle de la Banque centrale du Japon, reposant sur deux piliers : des taux d'intérêt très bas et l'acquisition systématique d'une partie de la dette publique avec restitution des intérêts perçus aux États, c'est-à-dire la transformation d'une partie de la dette publique en dette publique gratuite.
Or, ces politiques se sont installées dans la durée, et en septembre dernier, le gouverneur de la Banque d'Angleterre, Andrew Bailey, a déclaré que le maintien de taux d'intérêt artificiellement bas, voire négatifs, était malsain et qu'ils allaient augmenter les taux. La BCE va donc être obligée de faire de même, ce que les marchés anticipent déjà, puisque le taux d'intérêt sur la dette allemande est repassé en territoire positif hier pour la première fois.
Concernant le volet acquisition de dette publique, la crédibilité et l'indépendance des banques centrales dépendra de leur capacité, d'une part, à obtenir des États des stratégies de désendettement et, d'autre part, à sanctionner, sans aller toutefois jusqu'à la mise en cessation de paiement d'un État ou la banqueroute telle qu'on la pratiquait au 19e siècle.
En résumé, tout repose sur les rapports de force entre les quatre banques centrales de référence : l'Angleterre, qui a défini la règle du jeu, le Japon, qui s'interroge sur l'évolution des taux d'intérêt, la BCE, la Réserve fédérale. Le seuil d'insoutenabilité sera le fruit du bras de fer entre ces quatre pays et de la capacité de l'État à préserver la crédibilité de sa banque centrale. La difficulté qu'il y a en Europe, c'est que notre banque centrale est partagée. Parmi les huit pays frugaux, il y a maintenant la Slovaquie et les Pays baltes qui trouvent invraisemblable, ayant été victimes pendant 40 ans d'un système qui les a appauvris, que les Français ne soient pas capables de faire des efforts. Il y a donc une composante politique à prendre en compte.
Il est difficile de connaître dans le détail les détenteurs de la dette publique, puisque la banque achète la dette publique et puis la replace sur le marché via des produits structurés ; mais les opérateurs qui interviennent beaucoup sur la dette publique sont en général des institutionnels. Le principal détenteur de notre dette publique est le fonds souverain norvégien, qui risque de basculer sa dette publique vers l'Allemagne si elle se remet à avoir des taux positifs. Les banques centrales d'Europe de l'Est détiennent une partie importante de notre dette publique car elles préparent leur entrée dans la Zone euro : c'est le cas de la Hongrie, de la Pologne et de la République tchèque. Mais là encore, elles vont prendre en considération notre différence avec l'Allemagne. Ces investisseurs ne vont pas nous quitter, mais ils vont être plus exigeants, c'est-à-dire que les taux d'intérêt sur la dette française seront plus élevés, ce qui ne sera supportable que si la Banque centrale européenne accepte d'augmenter la part de dette publique française qu'elle détient.
Sur le pouvoir d'achat, il y a deux solutions : contraindre la fringale de consommation selon les méthodes du FMI ou augmenter la production. Lorsque le FMI arrive dans un pays, il ne lui demande pas de se mettre au travail, mais lui dit : « Je vais vous empêcher de consommer ». C'est un discours qui ne passerait pas en France, surtout en période de campagne électorale, où tout le discours politique tourne autour de l'augmentation du pouvoir d'achat. Il ne reste donc qu'une option, celle d'augmenter la capacité productive, ce qui passe par une augmentation de la durée du temps de travail. À ce sujet, je suis frappé par la contradiction entre les discours et les actes. Malgré les déclarations du Président Macron : « Je suis toujours très surpris de considérer qu'on ait pu imaginer le fait qu'en réduisant la durée du temps de travail, on allait augmenter le bien-être et la richesse du pays » ou les slogans du Président Sarkozy : « Travailler plus pour gagner plus », les 35 heures sont toujours là. Le décrochage de nos comptes extérieurs s'étant produit avec les 35 heures sans perte de pouvoir d'achat, soit on les abandonne, soit on dévalue, et comme on ne peut pas dévaluer, si on ne les abandonne pas, il faut augmenter le volume du travail.
M. Jean Hingray, co-rapporteur. - Faut-il revenir aux 39 heures ? Quel serait le temps de travail idéal pour rééquilibrer notre commerce extérieur ? Au-delà du manque de courage, pourquoi les politiques ne sont-ils pas revenus sur les 35 heures ?
M. Jean-Marc Daniel. Les 35 heures, dans leur conception rigide originelle, n'existent plus vraiment : elles n'ont cessé d'être aménagées. L'idéal serait de raisonner en termes de cycle économique.
Il y a toujours eu des cycles économiques. Dans la production industrielle, le cycle se gérait par le stock : quand vous êtes dans une phase de ralentissement économique, vous stockez et quand vous êtes dans une phase d'accélération de l'économie vous déstockez. Or, l'économie moderne ne se gère plus par les stocks, mais par l'utilisation des capacités de production, donc de la main d'oeuvre. Un des enjeux serait donc d'évaluer la durée du temps de travail non pas sur une base hebdomadaire ou même annuelle, ce qu'on fait de plus en plus, mais sur une base de la durée du cycle. La difficulté est que le cycle économique n'a pas la régularité calendaire de l'année, mais je pense qu'il faut néanmoins, à l'exemple de ce qui se passe en Allemagne, organiser le fait qu'il y a des périodes où l'on travaille moins, en accumulant du temps qui va être utilisé par la suite en heures supplémentaires.
Une deuxième solution a été évoquée par notre Président de la République : il s'agirait d'échanger des heures de travail entre 25 et 50 ans, au moment où, selon les statistiques, on est le plus productif, contre des droits de départ à la retraite. Ce schéma de réorganisation du temps de travail a l'avantage d'éviter la remise en cause frontale des 35 heures.
Enfin, le travail non-salarié s'est considérablement développé : avant la pandémie, 50 000 microentreprises se créaient par mois ; ce chiffre a atteint 75 000 à 80 000. Il faut mieux le considérer et l'encadrer, notamment en garantissant un certain nombre de droits sociaux. Une vraie réflexion est à mener sur ce que sera le travail de demain, à l'aune de l'autoentreprise et du télétravail.
M. Vincent Segouin, co-rapporteur. - Monsieur Novo, vous nous expliquez que la balance commerciale est déficitaire mais ne tient pas compte de toutes les entreprises françaises qui investissent à l'étranger. Si ces entreprises françaises qui investissent des capitaux étrangers ne figurent pas dans la balance commerciale, cela signifie-t-il qu'elles font leur déclaration fiscale à l'étranger, et donc qu'elles n'apportent aucune recette à la France ?
M. Pedro Novo. - Pas tout à fait, puisque ce stock d'IDE, d'environ 513 milliards en 2019, produit annuellement un retour sur investissement d'une cinquantaine de milliards par an qui bénéficie à l'économie française. Fiscalement, il faudrait faire un travail de fléchage du circuit de remontées de dividendes, de fiscalité autour du dividende sur cette activité-là.
M. Vincent Segouin, co-rapporteur. - Dans le calcul, faites-vous la comparaison entre une entreprise qui est implantée à l'étranger et qui rapporte des dividendes à la France et une entreprise implantée en France qui paye de la TVA et l'ensemble des taxes ?
M. Pedro Novo. - Nous n'avons pas fait cette analyse mais nous pourrions le faire.
M. Vincent Segouin, co-rapporteur. - Pour certains de vos confrères, certes, la balance commerciale est déficitaire, certes, on donne de l'argent à des entreprises étrangères, mais ces entreprises étrangères viennent réinvestir en France, et donc c'est une histoire de ligne comptable. Nous ne partageons pas cette vision, parce que nous avons l'impression que nous ne savons plus vendre, mais qu'en revanche nous vendons nos entreprises. Partagez-vous notre analyse ?
M. Pedro Novo. - Le décrochage des années 2000 a dessiné depuis vingt ans une trajectoire avec des paliers et une accélération ces deux dernières années. Il y a un sujet dans le sujet, c'est la relation à l'Allemagne. À l'intérieur de ce déficit, il y a un décrochage assez considérable avec notre voisin, notamment sur les dix dernières années. Ce décrochage survient avec les 35 heures, avec un régime général de fiscalité sur l'entreprise, et puis une compétitivité coût qui nous a mis sur des trajectoires différentes.
C'est un peu moins vrai aujourd'hui, les coûts salariaux allemands s'étant rapprochés des coûts salariaux français mais cela a amorcé ce mouvement d'arbitrage pour les entreprises françaises qui, pour pénétrer par exemple le marché allemand, sont devenues allemandes en achetant une entreprise allemande, en s'implantant en Allemagne. Ce mouvement a été très significatif.
Au-delà des 35 heures, la fiscalité sur la succession a freiné la construction d'ETI dites françaises sur des modèles allemands, familiales. La fiscalité sur les impôts de production a également été identifiée comme une des causes de frein à l'investissement et à l'attractivité. Ces dernières années, les efforts consentis sur les impôts de production se sont traduits par une dynamique d'innovation dans la technologie, concernant des industries à très forte valeur ajoutée dans des domaines comme le digital, l'écosystème tech français, et les licornes digitales françaises - nous en sommes à la vingt-cinquième-. C'est une partie de l'attractivité de notre économie qui traduit des flux d'investissements en France non seulement sur l'industrie, mais également sur les entreprises plus jeunes dans le domaine des technologies en matière d'attractivité du capital.
Dans les propos que vous rapportez, il faudrait vérifier s'il est question des flux d'investissement sur le territoire français dans un domaine purement industriel ou s'ils incluent les investissements dans les services, les start-up, le digital, le numérique et la deep tech.
Mme Florence Blatrix Contat, co-rapporteure. - La durée effective du travail s'établit plutôt au-delà de 37 heures et je ne crois pas que mettre fin aux 35 heures serait la solution. Paradoxalement, la France est attractive pour les investissements à l'étranger, ce qui prouve une forme de compétitivité. Celle-ci est-elle sectorielle et si oui, dans quels secteurs trouve-t-on les écarts de compétitivité ? La dynamique de la compétitivité hors coûts, avec l'innovation me semble également extrêmement importante.
Vous évoquez aussi un vrai point de rupture. Depuis 70 ans, on comptait 9 salariés sur 10 emplois, et le succès de l'auto-entreprenariat est en train de bouleverser la donne. Comment accompagner cette dynamique ? Le succès de la microentreprise doit beaucoup à ses faibles charges sociales - 20 à 22 % -, mais peut-il se poursuivre avec des taux autorisant une vraie protection, notamment en matière de retraite ?
M. Jean-Marc Daniel. Il y a aussi un enjeu particulier des 35 heures dans le secteur public.
La façon la plus simple et la plus radicale d'augmenter la durée du temps de travail est de reporter l'âge de départ à la retraite, mais cela mobilise une tranche de population qui n'est pas la plus productive. L'enjeu est donc d'arriver à mobiliser la population qui est la plus productive.
Notre compétitivité, effectivement, s'est améliorée dans les années 2000, mais la réponse par la dévaluation n'étant pas au rendez-vous, il a fallu un certain temps avant que ne soit imaginé le CICE (crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi). On rejoint là le problème des autoentrepreneurs : la réponse systématique par la baisse des cotisations sociales ruine la sécurité sociale. Je rappelle que la CADES avait été créée à l'époque du plan Juppé avec une date limite, que nous n'avons guère de chance de connaître.
Je vous rejoins au sujet des autoentrepreneurs. Comment répondre à cette dérobade de la productivité qui rend difficile le financement du système social sans porter atteinte à la compétitivité ? Nous sommes face à un dilemme entre compétitivité ou faillite de la Sécurité sociale ou de l'État providence, et cela suppose une réponse autant en termes de compétitivité qu'en termes de gestion de l'État providence.
Si la productivité n'est pas au rendez-vous, c'est parce que le niveau d'investissement a eu tendance à se réduire. L'investissement étranger nous a-t-il apporté quelque chose ? L'essentiel de l'investissement fait par des opérateurs étrangers est de l'achat de dette publique. Pourquoi acheter de la dette publique aussi peu rémunérée ? Les opérateurs tablent sur une appréciation de l'euro, c'est-à-dire que ce que vous ne gagnerez pas en rémunération, vous allez le gagner par l'appréciation de l'euro contre toutes les devises. Pour le fonds souverain norvégien, le fait de détenir de l'euro n'est pas le fait de détenir quelque chose qui est rémunéré 1 %, mais quelque chose qui vaudra 10 % de plus dans 5 ou 6 ans, parce que l'euro se sera apprécié par rapport à la couronne norvégienne. Ce qui constitue encore un dilemme pour l'économie française, puisque si sa devise s'apprécie, ses parts de marchés à l'export seront menacées.
Un des enjeux pour l'économie française, c'est de bien intégrer qu'elle est dans une zone qui est en excédent extérieur et que si elle est en déficit, elle a une monnaie qui a vocation à s'apprécier. Il y un donc véritable enjeu de réorganisation, non seulement de la compétitivité mais de la compétitivité hors coûts, c'est-à-dire de la capacité à générer une appétence pour nos produits, et pas uniquement une appétence pour notre territoire. En dehors de la dette, les principaux investisseurs dans notre appareil productif sont les États-Unis qui, eux, ont une composante « taux de change ». Une des raisons de notre attractivité est l'anticipation d'une augmentation de notre taux de change dans une circonstance où celui-ci ne devrait pas s'apprécier parce que nous sommes en déficit extérieur ! Ce dilemme nécessiterait des décisions un peu tranchées.
M. Serge Babary, président. - Je vais vous demander de recentrer les questions sur le déficit commercial commerce international.
M. Vincent Segouin, co-rapporteur. - Monsieur Vanderheyden, est-il possible de faire une différence auprès des douanes entre les produits fabriqués à l'extérieur par des entreprises d'origine française et les autres ?
M. Guillaume Vanderheyden. - Hélas, non. Pour les importations de pays tiers à l'Union européenne, on connaît simplement l'origine du bien, mais nous n'avons pas l'information sur la nationalité d'origine de l'entreprise qui aura exporté depuis un pays tiers jusqu'en Europe. Nous ne l'avons pas davantage pour les importations en provenance de l'Union européenne : il serait impossible de remonter la chaîne depuis l'origine pour un bien qui serait importé par l'Allemagne de Chine et qui serait ensuite exporté vers la France. La Commission européenne pourrait peut-être le faire puisqu'elle a une vision plus complète, mais pour nous, ce bien provient d'Allemagne. En plus, la déclaration d'échanges de biens intra-Union européenne est beaucoup moins précise que les déclarations qui viennent de pays tiers à l'Union européenne. La granularité est donc beaucoup plus faible, et il faudrait des études très poussées pour remonter une chaîne qui peut être très longue.
M. Vincent Segouin, co-rapporteur. - On a le sentiment qu'on incite nos entreprises françaises exporter, et quand elles le font, elles s'aperçoivent qu'elles peuvent construire un site à l'étranger où elles vont être libérées des normes françaises et de coûts salariaux plus élevés, ce qui les incite à transférer leur production dans ce pays. Partagez-vous ce constat ?
M. Guillaume Vanderheyden. - Il est vrai que du côté de la douane, on voit plutôt des entreprises qui exportent, mais au-delà du mythe selon lequel « ailleurs on paye moins d'impôts et le droit du travail est plus flexible », ce qui est sans doute vrai dans nombre de pays, les entreprises s'implantent ailleurs aussi pour des raisons économiques, comme la volonté de se rapprocher des fournisseurs.
D'un point de vue douanier, on constate une certaine fragilité des entreprises qui souhaitent exporter parce qu'on a affaire à beaucoup de PME et TPE, contrairement à l'Allemagne, qui a des ETI.
Les entreprises françaises sont difficiles à conseiller parce qu'elles sont plus nombreuses et plus petites et il leur faut un accompagnement très fin, vraiment sur mesure, qui nécessite évidemment des effectifs, que ce soit de Business France ou de la douane. Or, dans cette fonction, malgré les enjeux stratégiques, la douane est considérée comme une simple formalité par les entreprises. On voit fréquemment des entreprises qui n'ont pas pris en compte la dimension douanière, et qui ne comprennent pas lorsqu'on vient leur réclamer de la TVA ou des droits de douane. Quand on a une entreprise, on se tourne naturellement vers la BPI parce qu'on veut des financements, vers Business France parce qu'on veut un accompagnement particulier (connaître les normes, les enjeux locaux), vers la douane parce qu'on imagine qu'il peut y avoir des problèmes. C'est tout cet écosystème public qui n'est pas facile à harmoniser. La Team France Export a permis d'avoir un guichet unique et de fédérer un peu les énergies, mais il est difficile en France d'accompagner les entreprises parce qu'elles sont petites et peu structurées. S'il n'y avait que des ETI ou des grands groupes, ce serait beaucoup plus simple.
M. Serge Babary, président. - Monsieur Novo, sur ce sujet des implantations d'entreprises françaises à l'étranger, avez-vous connaissance d'une façon régulière de ce qui motive leur stratégie et, deuxièmement, comment intervenez-vous en accompagnement sur ce type de décision ?
M. Pedro Novo. - La motivation est prioritairement le maintien de la compétitivité-prix dans un marché sur lequel la variabilité du taux de change n'est plus un enjeu, et sur lequel les autres leviers sont difficiles à actionner. Aujourd'hui, la logique brutale de délocalisation cède du terrain. Cela n'est pas du tout notre action, mais plutôt un enjeu de proximité avec des marchés de plus en plus exigeants. S'agissant de l'internationalisation des entreprises, elle est souvent imposée par les autorités locales : marchés de défense en Inde, marchés en Afrique, et même marchés européens. Pour remporter un contrat, les parties demandent de s'implanter et de transférer une partie de l'activité et du savoir- faire. C'est le jeu du business et c'est devenu la principale motivation d'implantation des entreprises. La crise a par ailleurs accéléré un phénomène de concentration du marché des entreprises à l'échelle européenne, voire même mondiale. Grâce au « quoi qu'il en coûte », qui a protégé les entreprises françaises depuis deux ans, celles-ci ont fait preuve d'une forte résilience et sont en capacité d'être offensives sur les marchés internationaux pour faire des acquisitions, plus que leurs compétiteurs fragilisés car moins soutenus qu'ils ne l'ont été en France. Même les PME que nous accompagnons se montrent offensives, en Italie, en particulier en Lombardie, en Espagne, même en Afrique. Il y a un intense besoin d'accompagnement, l'ingénierie financière vient après. Il faut s'assurer que l'internationalisation répond à une stratégie durable et que la création de valeur dans l'entreprise aille dans la bonne direction, versus une délocalisation brutale. L'accompagnement, ce sont des accélérateurs, c'est une école pour entrepreneurs : nous remettons les chefs d'entreprise à l'école, tant à l'ESCP que dans des écoles d'ingénieur. Ensuite, seulement, nous mettons en place les outils de financement. 3 000 entreprises ont été accompagnées l'année dernière, avec 2 000 chefs d'entreprise formés à l'internationalisation. Pour les financements, lorsqu'on parle d'internationalisation, on parle de besoins de trésorerie en masse et donc beaucoup d'immatériel à financer : parfois, c'est du recrutement et donc des salaires, une dépense immatérielle forte et une création de valeur en capital humain ; c'est également des prêts sans garantie qui viennent compléter l'ouverture du capital. Les entreprises qui ont « cramé » beaucoup de capital pendant la crise, depuis ces deux dernières années, reconstituent une capacité d'investissement en ouvrant davantage leurs fonds propres à des intervenants publics ou privés.
M. Vincent Segouin, co-rapporteur. - Avez-vous un indice de suivi du type « combien rapporte un euro investi en richesse de PIB » ? Le cas échéant, comment est-il calculé et quel est son résultat ?
M. Pedro Novo. - Nous avons différents indicateurs en fonction de la nature de nos interventions. Le premier correspond à ce que nous appelons la « lecture de la subsidiarité », c'est-à-dire notre capacité à entraîner et à faire levier sur l'écosystème. À cet égard, nous savons qu'un euro investi par BPI France génère 2 euros minimum et cela peut aller jusqu'à 10 ou 15 en fonction des secteurs. À titre d'exemple, 1 euro investi en assurance-prospection génère 9 euros de chiffre d'affaires à l'export. Je pourrai vous fournir, par écrit, des éléments sur l'effet de levier et de création de valeur sur le PIB dans d'autres secteurs : le tourisme, la réindustrialisation par exemple.
M. Vincent Segouin, co-rapporteur. - Avez-vous des indicateurs de suivi sur le plan de relance de 350 milliards, qui donneraient une idée de la richesse qui sera créée, ne serait-ce qu'en termes d'objectifs et de potentiel ?
M. Pedro Novo. - Sur le sujet du commerce extérieur, nous savons à peu près où nous en sommes en termes de créations d'emplois, en termes de chiffre d'affaires à l'export, en termes de leviers sur la mobilisation des banques et sur la création de PIB. Mais chaque secteur a sa propre feuille de route et ses objectifs. France 2030 doit connaître un déploiement extrêmement rapide et nous sommes dans une phase d'injection massive. L'effet de levier d'injection de liquidités sur le marché des PME, sur le secteur du nucléaire ou sur le secteur de l'hydrogène n'est pas le même, et une réponse générale serait inappropriée.
Mme Florence Blatrix Contat, co-rapporteure. - Si nos entreprises ont été renforcées par le soutien de l'État, peut-on escompter un retour à terme sur notre commerce extérieur ?
M. Pedro Novo. - Nos entreprises ont été moins dégradées que leurs compétiteurs mais n'ont pas été renforcées par rapport à la situation pré-crise. Le déséquilibre joue en ce moment en la faveur de certaines de nos entreprises qui se montrent offensives sur les marchés internationaux pour saisir des positions. Le retour sur investissement n'est pas le même selon que l'on reprend d'une activité industrielle locale existante pour pénétrer un marché ou une activité de distribution. Aux États-Unis, un constructeur français de pièces d'aéronautique qui souhaite profiter du plan de relance américain devra produire majoritairement localement. Certaines entreprises saisissent l'occasion pour se projeter sur le marché américain et achètent une unité industrielle. Les retours sont importants également sur le capital humain : une entreprise internationalisée, qu'elle exporte ou qu'elle ait des filiales, est beaucoup plus attractive pour la jeunesse. S'agissant des rendements, les IDE en stock - 500 milliards qui produisent ces 50 milliards d'euros de revenus pour l'économie française -, vont être probablement renforcés par ces nombreuses opportunités d'investissement. Le marché africain attire de plus en plus de PME. Pour ces pays-là, une partie de l'activité devra être faite sur place avec de la formation, du transfert de compétences et de savoir-faire. Nous escomptons donc beaucoup de rendement pour l'économie française sur l'emploi en termes d'attractivité, sur les rendements de ces investissements à moyen long terme.
M. Michel Canévet. - La plus grande part de notre déficit commercial vient-elle pays tiers à l'Europe, ce qui nous rendrait beaucoup plus vulnérables ? La fraude est-elle bien identifiée et maîtrisée ? Le problème de l'accès aux ressources naturelles et en matières premières ne risque pas d'être une difficulté pour relancer la capacité productive de la France, de même que l'extrême financiarisation de ce secteur, avec les ventes à terme notamment ? N'y a-t-il pas un risque à transférer notre savoir-faire à l'étranger, comme nous l'avons fait en Chine avec les ventes d'Airbus ? Quelles sont les capacités budgétaires de Bpifrance pour accompagner les entreprises à l'export ? Enfin, la souveraineté alimentaire de la France a tendance à se réduire, y-a-t-il des opportunités à saisir dans ce secteur ?
M. Guillaume Vanderheyden. - Je vous transmettrai l'ensemble des chiffres de l'exportation entre l'intra-communautaire et l'extérieur. Le déficit avec la Chine est évidemment très important. L'émergence de produits électroniques a aggravé la situation, et pendant la crise, 98 % de masques chinois ont été importés. Les entreprises françaises exportent plus massivement en intra-européen, mais l'Union européenne est la zone du monde qui est le moins en croissance. BpiFrance, Business France et la Team France sont là aussi pour accompagner les entreprises à exporter vers des zones plus dynamiques. Concernant la fraude à la TVA ou aux droits de douane, la Commission européenne est très pointilleuse sur le sujet, et nous sommes régulièrement audités par la Direction Générale du budget de la Commission. L'avènement du e-commerce ne facilite pas notre tâche car les flux se sont morcelés. Auparavant, il y avait des containers qui arrivaient par l'eau, c'était simple. Le contrôle du fret express s'avère beaucoup plus difficile : si vous avez l'occasion d'aller à Roissy voir les hubs de FedEx et le nombre de colis qui arrivent chaque jour, c'est terrifiant ! Dans le domaine du fret express, la minoration de valeur est très importante. La France a été redressée à hauteur de 70 millions d'euros par l'Union européenne, le Royaume-Uni à hauteur de 3 milliards. Nous sommes en train de nous doter de nouveaux outils pour lutter contre cette fraude.
M. Jean-Marc Daniel. - Nos fournisseurs pourraient-ils couper l'approvisionnement ? Tout le débat sur le commerce extérieur naît cette question : au début du 19ème siècle, les Anglais sont inquiets de dépendre des Français et des Américains pour la fourniture de blé. Sur les six pays ayant fait la course en tête depuis, trois pays avaient du charbon et de l'énergie gratuite ou très bon marché - les États-Unis, le Royaume-Uni et l'Allemagne -, et trois pays ont réussi à décoller sur le plan économique sans ressources énergétiques naturelles : le Japon, l'Italie et la France. La réponse à ce problème d'énergie a été formulée dans les années 70 au moment du choc pétrolier : « On n'a pas de pétrole mais on a des idées ». La première idée a été le développement du nucléaire, la deuxième, d'améliorer notre compétitivité pour que les gens aient envie d'acheter des produits français. La question se pose toujours dans les mêmes termes, à ceci près que l'énergie va durablement coûter de plus en plus cher - la facture pétrolière s'élève à de 30 à 35 milliards d'euros par an, et que le déficit devenu structurel doit éventuellement être compensé par de nouvelles énergies. Pendant très longtemps, la France a été une puissance agricole exportatrice. Elle perd de plus en plus de parts de marché, alors qu'elle a toujours le même territoire, le même type de produits : c'est tout à fait sidérant. Nos produits agricoles sont relativement chers, et le monde agro-alimentaire a du mal à se projeter à l'export. Même les succès sont fragiles : les vins et spiritueux font désormais face à l'apparition d'une concurrence internationale. Pour résumer mon propos, la nature ne nous a pas favorisés en terme d'énergie, la nature nous a favorisés en termes d'agriculture et mais nous n'en tirons pas le bon profit. Par rapport à tout cela, nous n'avons pas de pétrole mais nous devons avoir des idées.
M. Pedro Novo. Le transfert de savoir-faire est assez systématiquement doublé d'un effort d'innovation sur ces mêmes savoir-faire, et la réalité est que l'entreprise française conserve toujours une avance technologique significative. Sur le soutien à l'export, notre capacité d'intervention n'a pas de limite, si ce n'est celle du budget de l'État. Il est un sujet, en revanche, d'adaptation de l'ingénierie. Se projeter sur des plans plutôt triennaux ou quinquennaux plutôt que sur une lecture annuelle du déficit budgétaire apaiserait nos relations à la tutelle, et notamment à Bercy. Ce fonctionnement crée inutilement un stress annuel, et parfois des arbitrages qui freinent le déploiement d'un secteur ou le soutien d'un projet particulier. BpiFrance a beaucoup grandi en dix ans, notamment en termes de bilan ; son organisation et son poids économique nous permettent très largement d'agir en matière de crédits de financement et d'accompagnement sur le territoire français en matière de soutien au commerce extérieur. Depuis 20 ans, malgré un solde positif sur les produits agricoles et sur l'industrie agroalimentaire, les situations sont très disparates selon les segments agricoles, selon les produits, et selon les industriels. Une dynamique d'accords bilatéraux très offensive est amorcée par le ministre du commerce extérieur avec certaines zones de commerce dans le monde, notamment avec le Japon et le Canada. Ces accords bilatéraux sont une des réponses pour essayer de créer des opportunités de marché.
Le prix est un sujet de fond. Trouver des débouchés est une chose, encore faut-il que les coûts de production soient compétitifs tout en garantissant aux agriculteurs un niveau de vie raisonnable.
M. Didier Mandelli. Les services constituent une composante importante du commerce extérieur. Nous avons en France des fleurons dans différents domaines : Véolia et Suez pour l'eau, les déchets et les questions d'environnement ; Transdev, SNCF, RATP qui sont très présents à l'international, avec un avantage, celui de contrats de très longue durée. Quelle part du commerce extérieur cela représente-t-il ? Comment conforter leur présence et comment inciter d'autres acteurs à s'implanter ?
M. Guillaume Vanderheyden. - De mémoire, les services représentent 80 % du PIB français, et nous sommes légèrement excédentaires en termes de commerce extérieur. Les services permettent effectivement de « limiter la casse » en matière de commerce extérieur. À côté des grandes entreprises symboliques, beaucoup d'entreprises arrivent notamment dans les domaines financiers - conseil, assurance -, et des start-up émergent dans des domaines pourtant très concurrentiels - les licornes par exemple -. Il est vrai que nous pourrons capitaliser sur les services à défaut de pouvoir reconstruire une industrie.
M. Pedro Novo. Les services présentent un solde excédentaire historique extrêmement significatif sur les filières d'excellence française précédemment citées : transport, eau, énergie. Au fil des dix dernières années, l'excédent commercial sur les services s'est amélioré : si on remonte à 2011, il a atteint 25 milliards d'euros, avec une moyenne sur ces dix ans d'environ 16 milliards. Les services financiers, bancaires et assurantiels constituent, avec les télécoms, un savoir-faire à la française particulièrement compétitif et efficace sur les marchés. Quant aux activités de transport, leurs contrats de prestation de services - le TER de Dakar, le futur métro d'Abidjan... - génèrent de très nombreux emplois. L'excédent commercial de l'année 2000-2021 devrait en outre être supérieur à la moyenne puisqu'un excédent de 5 milliards a été dégagé sur le seul mois de novembre.
M. Daniel Salmon. - Quid de l'éco-conditionnalité dans le commerce international ? Comment est-ce que l'on organise ce commerce international sans rester dans cette logique de compétitivité et de guerre commerciale permanente ? Comment lutter contre la fragilité qui s'installe dans notre société avec ce manque de souveraineté mis en évidence par la pandémie ? Comment construire le monde d'après ? Cette pandémie n'est peut-être qu'un signe précurseur de choses qui vont se déclencher encore plus profondément dans les années à venir. La taxe carbone et les clauses miroirs permettraient de réorienter le commerce international.
M. Jean-Marc Daniel. - Pour l'économiste que je suis, la pandémie est ce que l'on appelle un choc exogène, c'est-à-dire un événement qui était imprévisible. Les problèmes du monde d'après seront les mêmes que celui du monde d'avant. Pour l'instant, la communauté internationale se penche essentiellement sur le réchauffement climatique, et là, l'outil est clair, c'est une taxe carbone aux frontières, mais la France est plutôt en retard en la matière. La taxe carbone est en effet définie en fonction du prix de référence du carbone : en France, il s'élève à 44 euros la tonne, à comparer à la Suède (180 euros), ou à la Norvège, qui veut le relever à 200 euros. Une remarque : on assiste en ce moment à des choses qu'on n'avait pas vues précédemment. Depuis deux siècles, les pays cherchent à se préserver des importations qu'ils considèrent comme de la concurrence déloyale. On assiste maintenant à des situations où les pays cherchent à garantir que les importations vont arriver. Il y a ce moment un bras de fer entre l'Indonésie et la Chine : l'Indonésie, qui est un des principaux fournisseurs de charbon à la Chine, a arrêté de fournir la Chine pour lui imposer d'être plus rigoureuse en gestion de l'environnement. Les Chinois ont répliqué : « Votre dette à notre égard est de tant, nous allons apprendre à être plus rigoureux sur le plan financier ». Deux bateaux viennent donc de partir d'Indonésie pour aller au port de Shanghai ... « Business as usual » restera la règle !
M. Guillaume Vanderheyden. - Le sujet des mécanismes d'ajustement carbone aux frontières est assez délicat dans une économie mondialisée. Imaginons un producteur français qui exporte aux États-Unis, il sera taxé à l'entrée aux États-Unis. Si le produit est transformé aux États-Unis et réimporté parce que l'industrie française en a besoin, il aura été taxé deux fois. Au niveau de l'Union européenne, tous les sujets environnementaux prennent de l'ampleur. Le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF), les sujets de déforestation importée, et les questions relatives aux déchets sont bien pris en compte au niveau de l'Union européenne, avec en plus une logique de souveraineté européenne qui est nouvelle - le terme de souveraineté européenne a longtemps été quasiment un gros mot. Ces sujets-là seront portés par la France dans le cadre de la présidence française de l'Union européenne (PFUE). Nous avons beaucoup d'atouts à mettre sur la table en matière de normes environnementales et sociales, qui peuvent paraître défensives bien sûr, mais sont autant d'outils de guerre commerciale et d'enjeux importants pour l'avenir. La France peut notamment porter sa parole pour les inclure dans les accords commerciaux.
M. Serge Babary, président. - Cet aspect-là existe bien entendu dans un certain nombre de contrats bilatéraux mais aussi dans nos discussions avec le Mercosur.
M. Pedro Novo. Nous avons mis en place un programme de verdissement et de transition de l'export français. Nous sortirons du soutien à la filière charbon dès 2025, au pétrole dans la foulée, et nous visons un équilibre de transition pour le gaz. Cette politique définie par l'État vise à mettre en place des bonus climatiques favorisant les filières qui améliorent la performance ou qui agissent sur le réchauffement climatique, et à contraindre les industriels qui ont une activité polluante.
Mme Florence Blatrix Contat, co-rapporteure. - Il y a un paradoxe s'agissant des services puisqu'ils contribuent au PIB à hauteur de 20 % et aux échanges internationaux à hauteur de 30 %. Dans une économie qui va être de plus en plus contrainte par les normes environnementales, comment travailler mieux sur cet enjeu de demain que constituent les services ?
M. Serge Babary, président. - Nous ferons une table ronde spécifique sur le sujet des services, qui constituent une partie très importante des échanges internationaux et de notre balance commerciale. Je vous remercie tous de ces échanges enrichissant notre réflexion pour la suite de nos travaux.
La réunion est close à 11 h 05.