- Jeudi 13 janvier 2022
- Étude sur la place des outre-mer dans la stratégie maritime nationale - Audition de MM. Charles Giusti, préfet, administrateur supérieur des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) et Paco Milhiet, chercheur au Centre de recherche de l'école de l'air (CREA)
- Étude sur la place des outre-mer dans la stratégie maritime nationale - Audition de M. Élie Tenenbaum, directeur du centre des études de sécurité de l'Institut français des relations internationales (IFRI)
Jeudi 13 janvier 2022
- Présidence de M. Stéphane Artano, président -
Étude sur la place des outre-mer dans la stratégie maritime nationale - Audition de MM. Charles Giusti, préfet, administrateur supérieur des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) et Paco Milhiet, chercheur au Centre de recherche de l'école de l'air (CREA)
M. Stéphane Artano, président. - Mes chers collègues. À l'occasion de cette première réunion plénière de la Délégation sénatoriale aux outre-mer, permettez-moi tout d'abord de vous présenter mes voeux les plus chaleureux et de vous souhaiter, ainsi qu'à vos proches, une heureuse année 2022.
Comme vous le savez, le déplacement prévu cette semaine à La Réunion et à Mayotte a dû être annulé compte tenu de l'aggravation de la situation sanitaire dans ces départements.
Nous reprenons donc notre travail d'auditions sur l'étude relative à la place des outre-mer dans la stratégie maritime nationale, avec nos trois rapporteurs Philippe Folliot, Annick Petrus et Marie-Laure Phinera-Horth.
Le 16 décembre dernier, nous avions abordé la stratégie indopacifique, lors d'une réunion conjointe avec la Délégation sénatoriale à la prospective, au cours de laquelle nous n'avions fait qu'effleurer la question des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF). Or ces territoires, restés longtemps en marge de la mondialisation, sont peut-être en train de basculer au coeur du nouvel échiquier géopolitique mondial. Nous pensons en particulier à l'intérêt croissant des grandes puissances pour l'Antarctique.
Nous y reviendrons donc aujourd'hui de manière plus approfondie compte tenu de leur spécificité. Nous devons nous interroger notamment sur le choix de notre diplomatie de lier ces territoires disparates à la stratégie indopacifique de la France.
Pour nous éclairer, nous accueillons ce matin Charles Giusti, préfet, administrateur supérieur des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF), qui recouvrent cinq districts : l'archipel Crozet, l'archipel Kerguelen, les îles Saint-Paul et Amsterdam, la Terre Adélie en Antarctique et les îles Éparses. Ces dernières rassemblent elles-mêmes différentes îles tropicales situées dans le canal du Mozambique, à savoir les îles des Glorieuses, Juan de Nova, Europa, et Bassas da India ainsi que Tromelin au nord de La Réunion.
Monsieur le préfet, nous vous remercions vivement de votre disponibilité et de nous permettre de mieux appréhender l'intérêt stratégique de ces terres bien méconnues, y compris de nos compatriotes. Les TAAF sont certes de taille modeste et sans population permanente ni élus, mais recouvrent des enjeux très forts et actuels, dont une zone économique exclusive (ZEE) étendue, équivalente à 20 % de l'espace maritime français.
Pour évoquer ces questions, nous avons également sollicité un jeune chercheur du Centre de recherche de l'école de l'air (CREA), Paco Milhiet, qui est notamment l'auteur d'une étude de l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) intitulée « Les Terres australes et antarctiques françaises, une polarité géopolitique de la stratégie française en Indopacifique ». Il pointe, pour sa part, un décalage entre la stratégie nationale affichée et le contexte géopolitique local.
Nous avons donc matière à un échange nourri et enrichissant.
Avant de vous donner la parole, je précise que nous recevrons ensuite Élie Tenenbaum, directeur du Centre des études de sécurité de l'Institut français des relations internationales (IFRI) qui abordera les outre-mer comme points d'appui de la stratégie française de présence et de souveraineté.
Je cède à la parole au préfet Charles Giusti puis à Paco Milhiet pour leurs propos liminaires.
M. Charles Giusti, préfet, administrateur supérieur des Terres australes et antarctiques françaises. - Les TAAF se divisent en cinq districts et trois grandes zones géographiques.
Les Terres australes françaises (composées des archipels de Kerguelen et Crozet ainsi que des îles Saint-Paul et Amsterdam) sont les plus connues et constituent l'image de marque des TAAF. Ces territoires, extrêmement importants, représentent un espace maritime de 1,6 million de kilomètres carrés et un espace terrestre conséquent. Notons que l'île de Kerguelen est aussi vaste que la Corse et trois fois plus grande que l'île de La Réunion. Les Terres australes françaises ne sont pas au coeur de conflits de souveraineté et se situent en marge des voies de navigation (hormis le nord de la ZEE de Saint-Paul et Amsterdam).
La Terre Adélie, autre district historique, ne figure pas en tant que telle dans les cartes évoquant la stratégie indopacifique. Ce territoire est situé à 9 000 kilomètres de l'archipel des Glorieuses dans les îles Éparses, ce qui montre l'étendue géographique couverte par les TAAF. Concernant le positionnement de la France ou de l'Europe dans cette partie du monde, intégrer la terre Adélie à la question de l'Indopacifique me semble extrêmement important.
Les îles Éparses constituent le district le plus récent puisque leur rattachement officiel aux TAAF date de 2007, bien qu'elles soient sous administration des TAAF depuis 2005. Ce district, éminemment stratégique, représente un peu moins de 700 000 kilomètres carrés de ZEE et est au coeur de deux conflits de souveraineté, principalement avec Madagascar et Maurice. Les îles Éparses sont situées sur l'une des voies maritimes les plus importantes du monde.
Les TAAF sont effectivement des territoires géostratégiques extrêmement importants. Le positionnement des îles Éparses permet à la France d'être présente dans le canal du Mozambique.
Les Terres australes françaises sont, quant à elles, quelque peu en marge mais constituent un exemple homogène vis-à-vis de ce bassin du sud de l'océan Indien où la France est extrêmement présente.
La souveraineté française, assurée par une présence permanente, est particulièrement importante et constitue l'un des enjeux majeurs des TAAF.
La protection du patrimoine naturel est l'une des deux autres missions assurées par la présence française sur ces territoires. En effet, la réserve naturelle des Terres australes françaises est l'un des plus grands biens inscrits à la liste du patrimoine mondial de l'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO) et l'une des plus vastes aires protégées du monde. Avec l'extension de cette réserve à l'intégralité de l'espace maritime au début de l'année 2022, elle deviendra vraisemblablement la plus grande aire protégée du monde.
Cet élément essentiel de l'action des TAAF concerne également les îles Éparses. En effet, l'archipel des Glorieuses a été classé « réserve naturelle » en juin dernier. Nous travaillons à l'extension de cette réserve à l'intégralité des îles Éparses, faisant des Terres australes françaises un espace exclusivement composé de réserves naturelles.
La recherche est une autre mission extrêmement importante pour les TAAF, qui constituent des laboratoires à ciel ouvert du fait de leur riche biodiversité et de la mesure des effets du changement climatique qu'elles permettent.
Les TAAF sont intégrées à trois des quatre grands piliers de la stratégie indopacifique, même si cette intégration n'est pas évoquée dans le document de présentation de cette stratégie.
L'un des piliers de la stratégie concerne la sécurité et la défense. Le dimensionnement des forces militaires et de sécurité de La Réunion et de Mayotte porte, non seulement sur la protection de ces deux territoires mais aussi, et en grande partie, sur les îles Éparses. Ce dimensionnement concerne les moyens maritimes puisque les deux frégates, le patrouilleur Malin et le bâtiment de soutien Champlain patrouillent régulièrement dans les Terres australes françaises et dans les îles Éparses. À ces moyens s'ajoute l'Astrolabe, bâtiment propriété des TAAF mais armé par la Marine nationale, qui effectue des missions de souveraineté. Le dimensionnement de ces moyens maritimes est très clairement lié à l'importance de la ZEE et des espaces maritimes des TAAF.
Un enjeu de sécurité très important existe actuellement et posera la question des moyens de surveillance accordés non seulement aux ZEE mais aussi aux extensions du plateau continental. En effet, entre Kerguelen et les îles Saint-Paul et Amsterdam, il existe 520 000 kilomètres carrés d'extension du plateau continental, avec un droit sur l'exploitation des ressources ou sur le fond de ces espaces, ce qui constitue un nouvel enjeu pour la France et ses moyens maritimes.
Un autre aspect très important en matière de sécurité et de défense est le positionnement géostratégique crucial de ces territoires. En effet, des activités stratégiques sont effectuées sur les Terres australes françaises et en Antarctique. Une station Galileo, située à Kerguelen, sera très prochainement intégrée au réseau des stations terrestres. Une station est en cours d'études en Terre Adélie et remplacera au moins l'une des deux stations démantelées dans les anciens territoires britanniques à la suite du Brexit. En outre, une activité de suivi satellitaire du Centre national d'études spatiales (CNES) est finissante sur l'île de Kerguelen mais le futur schéma directeur du spatial pourrait remettre cette île sur la liste des territoires sur lesquels l'activité spatiale pourrait être accueillie. Enfin, le Commissariat à l'énergie atomique (CEA) entretient, dans le cadre du traité d'interdiction complète des essais nucléaires, un réseau d'observatoires, qui comporte des installations dans les trois districts austraux et en Terre Adélie.
Concernant le positionnement des TAAF dans la stratégie indopacifique, je souhaite citer le troisième pilier de la stratégie française, et notamment l'objectif de favoriser une forte implication et une meilleure visibilité de l'Union européenne. Nous sommes ordonnateurs, pour la région, des crédits de la coopération régionale dans le cadre de l'instrument Pays et territoires d'outre-mer (PTOM). Dans le cadre du dixième Fonds européen de développement (FED), cet instrument a financé des études extrêmement importantes sur la connaissance des milieux maritimes dans les îles Éparses. Le onzième FED, en cours, soutient une opération particulièrement importante d'éradication des espèces invasives, l'un des enjeux majeurs de protection de la biodiversité dans ces territoires.
En outre, les TAAF participent au programme de coopération Interreg. Mentionnons, par exemple, des financements pour des patrouilles conjointes à bord de l'Osiris II destinées à la surveillance des pêches dans la zone sud de l'océan Indien, et notamment dans le canal du Mozambique.
Le quatrième pilier de la stratégie indopacifique, particulièrement important, est relatif aux changements climatiques, à la biodiversité et à la gestion durable des réseaux. Les TAAF sont des réservoirs exceptionnels de biodiversité. Ainsi, ces territoires se sont mis en ordre de bataille afin de répondre à ces enjeux et assumer les tâches de gestion des grandes réserves.
Si les Terres australes sont isolées, les îles Éparses sont, quant à elles, situées dans un bassin où l'activité humaine est importante. Ces zones et espaces maritimes constituent des sanctuaires de biodiversité et des refuges pour des espèces pouvant assurer une forme de régénération de la biodiversité face aux pressions anthropiques dans ces territoires.
Concernant le quatrième pilier, j'ajouterais le caractère exemplaire de la présence française. En effet, dans les bases de nos districts, nous mettons en oeuvre des actions de transition écologique afin de travailler sur la réduction des déchets, l'utilisation d'énergies renouvelables et sur les initiatives liées aux divers enjeux de la transition écologique. Notons également que nous avons mis en place une stratégie d'alimentation qui répond au programme national nutrition santé (PNNS) de la loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (loi EGalim).
M. Paco Milhiet, chercheur au centre de recherche l'école de l'air (CREA), auteur de l'étude de l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) : « Les Terres australes et antarctiques françaises, une polarité géopolitique de la stratégie française en Indopacifique ». - L'administration des collectivités d'outre-mer n'est ni simple ni uniforme. Les TAAF en constituent probablement le cas le plus singulier et original.
Créées en 1955, elles sont aujourd'hui composées de cinq districts.
Si les cinq districts partagent les caractéristiques communes de ne pas être occupés de manière permanente par des populations civiles et d'être difficilement accessibles car très isolés, leur appartenance à un même espace administratif ne se justifie a priori ni par l'histoire - leur découverte et rattachement à la France différant dans le temps - ni par la géographie. Cette singularité administrative avait amené le romancier et haut fonctionnaire français François Garde à parler de « fiction juridique ».
Les TAAF sont pourtant à la confluence d'intérêts stratégiques bien réels. Les cinq districts peuvent ainsi être classifiés en trois régions géopolitiques aux enjeux spécifiques.
La première région géopolitique est composée des îles Éparses (soit des îles d'Europa, de Juan de Nova et de Bassas da India dans le canal du Mozambique, de l'archipel des Glorieuses, ainsi que de l'île Tromelin au nord de l'île de La Réunion).
Les îles Éparses sont confrontées à deux enjeux majeurs.
Une première problématique concerne l'affirmation de la souveraineté française, contestée par plusieurs pays. En effet, les îles du canal du Mozambique sont revendiquées par Madagascar, l'île Tromelin est revendiquée par la République de Maurice et l'archipel des Glorieuses est revendiqué par l'Union des Comores.
Rappelons que l'Assemblée générale des Nations Unies a, par une résolution du 12 décembre 1979, invité la France à engager des négociations en vue de la réintégration des îles Éparses au sein de la République de Madagascar.
À plusieurs reprises, la diplomatie française a tenté d'apaiser ses relations avec ses voisins de l'océan Indien, qui sont d'ailleurs ses partenaires dans le cadre de la Commission de l'océan Indien. En 2010, un accord de cogestion a été signé avec l'île Maurice concernant l'île de Tromelin. Cet accord n'a d'ailleurs jamais été ratifié par la représentation nationale française. En 2019, à l'initiative du Président de la République, Emmanuel Macron, et de son homologue malgache Andry Rajoelina, une commission mixte avait été lancée en prévision d'un accord bilatéral franco-malgache à l'horizon 2020 au sujet des îles contestées. La pandémie de Covid-19 a repoussé cette échéance mais l'activité de cette commission est à suivre. Les îles Éparses sont donc un espace de confrontation politique entre la France et ses voisins de l'océan Indien.
La seconde problématique est énergétique. Sans mauvais jeu de mots, il y a du gaz dans l'eau entre la France et ses voisins de l'océan Indien. Plusieurs études scientifiques estiment les réserves sous-marines de gaz au large du Mozambique à plusieurs centaines de milliards de mètres cubes. Une étude du United States Geological Survey (USGS) désigne même le canal du Mozambique comme la future mer du Nord.
Ce potentiel énergétique suscite d'ailleurs les convoitises d'États étrangers : la Chine a réalisé des études sismiques dans cette zone et la Russie soutient officiellement, de manière intéressée, les revendications malgaches sur les îles Éparses. Du côté de l'État, conformément à la loi Hulot de 2017 sur la transition énergétique, le Gouvernement a entériné la fin du forage en mer en refusant de prolonger un permis d'exploration de recherche au large de Juan de Nova.
La deuxième région géopolitique est composée des îles subantarctiques, soit les archipels Crozet et Kerguelen ainsi que les îles Saint-Paul et Nouvelle-Amsterdam.
Leurs positions géographiques à mi-chemin entre l'Afrique du Sud et la côte est australienne ont, un temps, laissé supposer un éventuel point d'appui stratégique. Ainsi, les baies de Kerguelen ont servi de port d'escale aux navires allemands pendant la Seconde Guerre mondiale et l'armée australienne a songé, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, à y construire un aérodrome tandis que la France a, un temps, réfléchi à y réaliser des essais nucléaires. La très officielle Revue Défense nationale publia même, en 1955, un article intitulé « Le rôle stratégique de l'île de Kerguelen ».
Aujourd'hui ces îles conservent un rôle stratégique tout à fait important. Sur l'île de Kerguelen est installée une station de contrôle satellitaire, indispensable pour l'observation et l'écoute électronique des satellites Hélios, Pléiades, SMOS, et bientôt Galileo, ainsi que pour suivre le lancement des fusées Ariane depuis Kourou.
En outre, une station du commissariat à l'énergie atomique (CEA) est implantée sur les îles de Crozet et Kerguelen. Des stations de surveillance des essais nucléaires dans le cadre du Traité d'interdiction complète des essais nucléaires (TICE) y sont installées.
Enfin, selon plusieurs rapports de l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (IFREMER), la ZEE des îles subantarctiques regorgerait de matières premières, et notamment d'un potentiel considérable de minerais sous différentes formes de minéralisation (sulfures hydrothermaux, encroûtements cobaltifères et nodules polymétalliques).
La troisième région géopolitique concerne la Terre Adélie.
L'Antarctique constitue un espace unique au regard du droit international. Depuis un traité sur l'Antarctique signé à Washington en 1959, les pays signataires de cette convention s'engagent à ce que toute activité humaine en Antarctique soit exclusivement réalisée à des fins pacifiques, pour le bien de la science.
Néanmoins, le « continent blanc » n'échappe pas aux défis géopolitiques imposés par l'Homme, tels que l'exploration des fonds marins, l'observation spatiale, la logistique incessante pour ravitailler les hivernants des quelques cinquante bases permanentes et même, désormais, le tourisme de luxe.
La République populaire de Chine y développe particulièrement son influence depuis les années 1980 et utilise différents stratagèmes pour développer son influence.
Tout d'abord, la Chine exerce une activité scientifique importante. Près de six cents chercheurs chinois se relaient en permanence au sein des quatre stations scientifiques existantes. La construction d'une cinquième station scientifique chinoise en Antarctique s'achèvera avant la fin de l'année 2022.
De plus, la Chine opère une montée en puissance logistique, avec un avion polaire Xueying 601 - surnommé « l'aigle des neiges » - capable de se poser à plus de 4 000 mètres d'altitude et deux navires brise-glace de classe Xue Long - surnommés, quant à eux, « dragons des neiges ».
La Chine est également l'auteur d'un activisme diplomatique important. Le pays a signé le traité sur l'Antarctique en 1983. Il est également l'un des membres fondateurs du Forum Asiatique des sciences polaires. En 2017, le quarantième Antarctic Treaty Consultative Meeting (ATCM) s'est tenu à Pékin. De plus, la République populaire de Chine multiplie les accords bilatéraux avec des acteurs polaires historiques, et notamment des États possessionnés comme le Chili ou l'Argentine.
Derrière ce volontarisme politique, diplomatique et logistique se cachent peut-être des objectifs moins avouables. Certains évoquent l'augmentation des prises annuelles de pêche de krill. Ce sont, probablement, surtout la prospection énergétique et le positionnement stratégique de l'Antarctique qui intéressent le gouvernement de Pékin. Selon la chercheuse Anne-Marie Brady, pas moins de dix-sept agences gouvernementales se coordonnent sur la politique polaire chinoise, parmi lesquelles l'Armée populaire de Libération et différents organismes rattachés au ministère de la défense.
Rappelons que l'Antarctique constitue un espace privilégié pour l'observation spatiale et un territoire idoine pour installer des stations de contrôle satellitaire afin de suivre, par exemple, les satellites météorologiques Feng-Yun ou les satellites de navigation Beidou, concurrents du Global Positioning System (GPS). De plus, l'Antarctique est également un territoire adapté pour le suivi de missiles balistiques.
Si les TAAF constituent, certes, une collectivité atypique, les cinq districts sont des territoires stratégiques confrontés à des enjeux géopolitiques et suscitent l'intérêt d'acteurs étatiques, parmi lesquels la Chine. Ces éléments expliquent peut-être la décision du Président de la République Emmanuel Macron d'intégrer les TAAF à l'ensemble régional indopacifique. Les cinq districts constituent ainsi une polarité géopolitique de cette stratégie indopacifique. Reste à savoir si ce discours volontariste sera suivi de mesures concrètes pour intégrer ses territoires à l'architecture régionale de l'Indopacifique français.
M. Stéphane Artano, président. - Merci. Je cède la parole à Annick Petrus afin qu'elle vous interroge sur des aspects plus généraux.
Mme Annick Petrus, rapporteure. - Vous avez répondu à une grande partie de mes questions. Toutefois, pouvez-vous me réexpliquer comment s'insèrent les TAAF dans la stratégie indopacifique initiée par la France ? En outre, quel pourrait être l'impact de la présidence française de l'Union européenne sur la prise en compte des enjeux que représentent les TAAF ?
M. Charles Giusti. - Dans le document de présentation de la stratégie indopacifique, les TAAF sont mentionnées parmi les territoires intégrés dans l'ensemble Indopacifique. Toutefois, aucun détail n'est apporté sur l'implication des TAAF dans les différents aspects de cette stratégie, en matière de protection du patrimoine naturel ou de place de l'Europe.
Il n'en demeure pas moins que le dimensionnement des moyens dans la zone sud de l'océan Indien repose de manière importante sur l'enjeu attaché aux TAAF. La Marine nationale rappelle que La Réunion constitue le troisième port militaire français. Les moyens susmentionnés seront rejoints, dans deux ou trois ans, par des patrouilleurs d'outre-mer, ce qui permettra la présence, au large de l'île de La Réunion, de moyens très conséquents. Ces éléments sont bien liés à la parfaite intégration des TAAF dans la partie océan Indien de l'axe indopacifique.
Bien évidemment, le réseau d'aires protégées que constituent les TAAF fait partie de cette stratégie - c'est indubitablement le cas dans les îles Éparses -, avec un enjeu majeur lié à la connectivité entre ces aires. Travailler à la protection de l'intégralité du canal du Mozambique serait beaucoup plus efficace que la seule protection des îles Éparses. Sur ce point, nous travaillons sur un troisième consortium de recherche dans les îles Éparses autour des questions de biodiversité et des effets du changement climatique, qui aura un volet régional et international affirmé.
L'aire protégée des Terres australes françaises marque très clairement les engagements de la France pour défendre la protection de ces espaces, notamment en lien avec le traité subantarctique dans le cadre de la Commission pour la conservation de la faune et de la flore marine de l'Antarctique (CCAMLR).
M. Paco Milhiet. - Lors des différents discours fondateurs du Président de la République au sujet de la stratégie indopacifique (notamment à Garden Island en Australie et à Nouméa), les TAAF étaient systématiquement incluses parmi les territoires de l'Indopacifique français. Au-delà du discours volontariste, les trois régions géographiques des cinq districts s'insèrent, selon moi, à différents degrés dans la stratégie indopacifique.
Les îles Éparses sont une zone de conflictualité politique et pourraient, à terme, compliquer la diplomatie indopacifique française. En 2019, la visite du Président de la République Emmanuel Macron sur l'île Grande Glorieuse a permis de réaffirmer, de manière symbolique, la souveraineté française sur ces îles.
Dans une moindre mesure, les îles subantarctiques peuvent contribuer au rayonnement scientifique français. La Terre Adélie appartient à une région géopolitique distincte.
De manière générale, l'ensemble de ces territoires est plutôt connecté à l'océan Indien et assez peu à l'océan Pacifique. Il me semble que le discours n'a pas encore été suivi de réalisations concrètes, à l'exception des missions de souveraineté effectuées par les bâtiments de la Marine nationale dans les différents territoires.
Concernant l'impact de la présidence française de l'Union européenne sur la prise en compte des enjeux que représentent les TAAF, notons tout d'abord que ces territoires constituent un PTOM. Depuis le Brexit, il n'existe plus que 13 PTOM, contre 25 auparavant.
Il me semble que, vis-à-vis de nos partenaires européens, un important effort de pédagogie est à effectuer pour une meilleure compréhension des politiques françaises ultramarines. En effet, nos partenaires européens perçoivent souvent l'outre-mer français comme une réminiscence de la politique coloniale française. À cet égard, la politique scientifique menée par l'État dans les TAAF peut être un atout car d'autres pays européens (tels que la Pologne, l'Italie, la Belgique, l'Espagne ou encore la Suède) s'intéressent à ces régions, et notamment à l'Antarctique. Nous savons que la France a été diplomatiquement à l'initiative de l'adoption, par l'Union européenne, de sa propre stratégie indopacifique. Un effort de lobbying et de mise en valeur de ces territoires pourrait être réalisé au niveau européen.
M. Charles Giusti. - Indépendamment du statut juridique des TAAF et des collectivités du Pacifique, l'Europe s'appuie, notamment avec son système stratégique Galileo, sur les territoires d'outre-mer. En effet, la très grande partie des stations terrestres de Galileo sont situées sur des territoires de l'outre-mer français. Il s'agit d'une preuve flagrante de la mise à disposition des territoires français d'outre-mer dans une Europe puissante qui manifeste sa souveraineté.
Afin de faire le lien avec la présidence française de l'Union européenne, notons qu'en Antarctique, les nations européennes vont en ordre dispersé. Parmi les presque 80 stations implantées en Antarctique par une trentaine de pays, 16 stations sont européennes, avec 11 pays représentés. L'Europe est donc extrêmement présente sur ce sixième continent, à la fois historiquement et plus récemment pour certains pays.
La construction d'un positionnement européen sur ce continent stratégique n'a pas échappé aux États-Unis, historiquement présents en Antarctique, à la Russie, qui remonte en puissance, et à la Chine, qui développe très fortement sa politique antarctique. Il existe donc une place en Antarctique pour une coordination et une voie de l'Europe, pouvant s'appuyer notamment sur la France.
M. Stéphane Artano, président. - Je vous propose de continuer notre cheminement en abordant les aspects de souveraineté. Je cède la parole à notre collègue Philippe Folliot.
M. Philippe Folliot, rapporteur. - J'ai l'honneur d'être membre du conseil consultatif des TAAF, dont il convient de rappeler tout l'enjeu stratégique.
Je distinguerai les îles Éparses, situées dans une zone stratégique, des Terres australes, dont le positionnement est intéressant - particulièrement pour Saint-Paul et Amsterdam - mais qui ne sont pas situées sur des axes maritimes premiers.
Le préfet Charles Giusti a rappelé que La Réunion est le troisième port militaire français. Pourtant, au sein de la Délégation sénatoriale aux outre-mer, nous constatons l'existence d'un déphasage entre les moyens, de la Marine nationale notamment, mobilisés dans l'Hexagone et ceux mobilisés dans les outre-mer. Rappelons que 97,5 % des ZEE sont liées aux outre-mer. Or environ 90 % des moyens de la Marine nationale sont mobilisés dans l'Hexagone. Monsieur le préfet, que manquerait-il pour que nous puissions mieux assurer notre souveraineté ?
Paco Milhiet a souligné que le Président de la République a tenu plusieurs discours au sujet de la stratégie indopacifique mais que ces derniers doivent être suivis de mesures concrètes. Quelles seraient ces mesures concrètes à mettre en oeuvre ?
Dans cette zone, des revendications étrangères menacent la souveraineté française. Je ne reviendrai pas sur l'inique traité de cogestion de l'île de Tromelin, signé mais heureusement non ratifié par le Parlement. Quels sont les enjeux en matière de souveraineté sur ces territoires ?
Le passage du Président de la République, en 2019, sur les îles Glorieuses était un signal positif. Toutefois, l'engagement de discussions avec Madagascar peut interpeller à certains égards, même si le Président de la République a indiqué que ces échanges ne présentent aucun risque de remettre en cause la souveraineté française.
M. Charles Giusti. - Dans cette zone, nous avons travaillé de manière fonctionnelle sur les enjeux de protection environnementale et de protection de la ressource, notamment halieutique. En effet, des milieux récifaux peuvent être perturbés par des pressions, notamment en raison des pêches illégales. Au tournant des années 2000, la ressource halieutique a pu susciter un fort intérêt de pêcheurs illégaux dans les Terres australes. Ces problématiques ont été éradiquées grâce à une action extrêmement forte des moyens de l'État, avec 34 déroutements et confiscations de navires. Ainsi, la pression de la pêche illégale est presque inexistante, ou en tout cas non détectée, dans les Terres australes.
Les enjeux sont spatiaux mais aussi temporels. Ces zones sont certes éloignées mais des bâtiments de la Marine nationale, le patrouilleur Osiris II, des bateaux de pêche sous licence et le navire ravitailleur Marion Dufresne y sont présents. De plus, des bases françaises sont implantées dans les Terres australes. Notons également des détachements militaires dans les îles Éparses et une présence très importante de la Marine nationale, effectuant des missions de surveillance ou des passages logistiques dans l'espace maritime durant environ 300 jours par an.
Au regard d'une situation plutôt rassurante dans les Terres australes françaises mais tendue dans les îles Éparses en matière de pêche illégale, les moyens de surveillance satellitaire pourraient être développés. Des contrevenants sont régulièrement interpellés lors de patrouilles de la Marine nationale ou de l'Osiris II dans les îles Éparses. Bien qu'il s'agisse de petits navires de pêche, leurs effets sont particulièrement mauvais pour les milieux récifaux, très fragiles.
Le dispositif d'intervention pourrait être adapté en fonction de ces éléments. Les moyens de la Marine nationale sont très conséquents. Toutefois, savoir, en fonction de ce renforcement de la surveillance, si les moyens doivent être accrus constituera un enjeu.
Concernant les conflits de souveraineté dans les îles Éparses, il existe une double approche.
La première approche est relative à une souveraineté totalement assumée. Ainsi, dans les îles Éparses, nous manifestons clairement notre souci de la souveraineté par la présence de détachements militaires, la surveillance de ces territoires et l'interpellation de pêcheurs illégaux.
La seconde approche concerne cette offre d'un travail en commun à l'échelle du bassin sur la protection des espaces, avec la collaboration entre les aires protégées des différents pays, et le développement de la recherche sur la biodiversité et les effets du changement climatique. L'enjeu du troisième consortium de recherche sera d'impliquer des partenaires riverains, notamment ceux qui sont en conflits de souveraineté avec la France, dans ces travaux au sujet de la protection du canal du Mozambique.
M. Paco Milhiet. - Concernant les menaces militaires, nous pouvons évidemment évoquer l'insurrection islamique actuelle au Mozambique, menée par le groupe Al-Shabab (lié à l'État islamique) dans la province de Cabo Delgado, qui pourrait devenir un facteur de déstabilisation pour les collectivités françaises de la zone. Je pense évidemment davantage à Mayotte qu'aux îles Éparses avec, peut-être, des flux migratoires importants.
Par ailleurs, concernant les ressources halieutiques, un facteur à ne pas négliger est le phénomène des chinese militia - auxiliaires civils des forces de police chinoises ou de l'Armée populaire de libération -, qui sévissent en mer de Chine mais également à travers toutes les mers du monde. Récemment, elles ont été retrouvées dans l'espace maritime des Galapagos. Ces chinese militia sont souvent constituées d'anciens bateaux de la garde côtière chinoise ou de la marine nationale chinoise, reconvertis en bateaux de pêche pour défendre les intérêts nationaux en mer de Chine mais aussi sur d'autres bassins. Notons que la Chine est à la fois la première productrice et la première consommatrice de ressources halieutiques. La mer reste un espace de projection important pour le gouvernement chinois, avec une marge de croissance immense.
Si, dans son ensemble, la ZEE française est plutôt bien protégée, quelques faits divers survenus en Polynésie française peuvent interpeller, comme les échouements de plusieurs bateaux chinois sur des récifs des îles Tuamotu. Les cales de ces bateaux contenaient plusieurs espèces protégées. Certains pêcheurs polynésiens accusent les bateaux chinois d'utiliser les dispositifs de concentration de poissons flottants, largués à proximité de la ZEE française. Cette problématique pourrait concerner les TAAF à l'avenir.
Lors d'une audition à l'Assemblée nationale en 2017, Patrick Boissier, président du Groupement des industries de construction et activités navales (Gican), avait rappelé « que le nombre de patrouilleurs destinés à la protection de la ZEE française est équivalent à deux voitures de police pour surveiller le territoire métropolitain ».
M. Stéphane Artano, président. - Je cède la parole à Marie-Laure Phinera-Horth afin que nous revenions sur les aspects d'exploration et d'exploitation économique.
Mme Marie-Laure Phinera-Horth, rapporteure. - J'aimerais connaître la place des TAAF dans le cadre de la stratégie France 2030. La France a-t-elle suffisamment conscience de leur richesse marine ? Comment mieux faire connaître et valoriser les TAAF ?
J'ai beaucoup apprécié vos éclaircissements, notamment sur la souveraineté de la France. En Guyane, nous rencontrons des difficultés pour faire respecter nos règlements, surtout s'agissant de la pêche illégale. J'ai apprécié, monsieur le préfet, que vous manifestiez votre intérêt à surveiller notre souveraineté dans vos îles.
M. Charles Giusti. - Concernant la prise en compte des TAAF dans la stratégie 2030, il est encore un peu tôt pour préciser la matérialisation du dixième objectif au sujet des investissements dans les grands fonds marins. J'ai récemment échangé avec le président de l'Ifremer, qui travaille sur cette question importante, cet axe « original », et cette manifestation d'intérêt pour les grands fonds marins est extrêmement satisfaisante.
Les fonds marins des TAAF sont peu connus, en tout cas dans les Terres australes françaises. Les études réalisées dans le cadre du programme d'extension du plateau continental ou de l'extension des réserves naturelles fournissent très peu d'informations sur les potentiels dans ces fonds marins. Dans le cadre de l'extension de la réserve naturelle des Terres australes françaises, la possibilité d'une exploration - et non d'une exploitation - est clairement affichée dans le décret d'extension.
Les quelques études effectuées donnent peu d'informations, hormis la présence de panaches hydrothermaux et de panaches de minéraux, susceptibles de donner des sédiments exploitables.
Concernant les hydrocarbures dans les îles Éparses, Paco Milhiet mentionnait une étude américaine de géologie, complétée en 2014 par un document de l'IFP Énergies nouvelles (IFPEN) évoquant la présence d'hydrocarbures, avérée sur la côte Est du Mozambique et plus incertaine au Nord-Ouest de Madagascar. Des permis de recherche avaient été accordés sur l'île de Juan de Nova mais ils ont été arrêtés en raison d'études sismiques.
Notons que, selon les estimations, l'île de Juan de Nova représenterait 14 % de la potentialité de présence d'hydrocarbures dans la zone allant de Majunga à Morondava. Madagascar dispose donc déjà de 86 % de la potentialité d'exploitation de ressources hydrocarbures. Ces éléments permettent de relativiser l'enjeu minier des îles Éparses, et particulièrement de Juan de Nova, dans le canal du Mozambique.
M. Philippe Folliot, rapporteur. - Je regrette que notre pays ait choisi de manière unilatérale, avec des décisions venant d'en haut, d'arrêter les permis d'exploration avant que nous sachions si des réserves existent et si elles sont exploitables. J'avais dénoncé ce choix à l'Assemblée nationale et au sein du conseil consultatif des TAAF. Sur ce sujet, notre vision relevait d'une idéologie environnementaliste, et non d'une recherche de connaissance. Notez que je distingue bien la partie exploration de la partie exploitation.
Je rappelle que, le 31 décembre, la Commission européenne a envoyé aux États membres une proposition de directive visant à classer le nucléaire et le gaz parmi les énergies vertes. Nul ne sait quelle sera la situation géostratégique dans les années et décennies à venir. Ne pas disposer de connaissances concernant l'étendue et les potentialités d'exploitation de ces ressources semble dommageable.
J'ajouterai que l'exploitation d'éventuelles ressources sur Juan de Nova aurait offert une opportunité économique tout à fait intéressante pour Mayotte, dont la situation économique est particulièrement sinistrée. Les personnes ayant effectué les premières recherches évoquaient des éléments - certes à vérifier - très prometteurs.
M. Paco Milhiet. - Je perçois parfois un décalage entre, d'une part, les politiques de préservation de l'environnement et les lois adoptées et, d'autre part, les discours sur le potentiel incroyable que pourraient contenir les fonds marins de notre ZEE.
Il faut savoir que les techniques d'extraction (aspirateurs, chaines à godets ou encore râteaux sous-marins) sont plutôt bien connues. Toutefois, la rentabilité demeure très incertaine. Si l'exploitation apparait comme technologiquement possible, elle est pour le moment économiquement improbable car non rentable. Les contraintes géophysiques sont très importantes, avec des gisements souvent situés à plusieurs milliers de mètres de profondeur.
Par ailleurs, le risque écologique de ce type d'extraction est décuplé en mer. Par exemple, le ramassage par aspiration soulève des poussières qui restent en suspension et qui impactent l'ensemble de la chaine alimentaire. Les effets peuvent être catastrophiques sur l'environnement, voire définitifs.
D'ailleurs, dans certains pays du Pacifique, la société civile s'est mobilisée en faveur de l'interdiction de ce type d'exploitation. En Nouvelle-Zélande, un moratoire sur l'extraction du fer en mer est organisé. En Nouvelle-Calédonie, l'implantation des zones protégées empêche toute exploitation. Enfin, aux Tuvalu et aux îles Fidji, il existe une obligation de consulter la population avant tout projet d'extraction.
Par ailleurs, le seul projet concernant les nodules polymétalliques, lancé par la société canadienne Nautilus Minerals en Papouasie Nouvelle-Guinée, a fait faillite.
S'il existe bien un discours sur l'extraordinaire potentiel que pourraient receler les fonds marins français, il faut bien comprendre que l'extraction soulève une série de problématiques écologiques.
M. Stéphane Artano, président. - Je cède la parole à Thani Mohamed Soilihi, Vivette Lopez et Nassimah Dindar, qui souhaitent poser des questions.
M. Thani Mohamed Soilihi. - Quelle est la place de Mayotte, qui est géographiquement proche des îles Éparses, dans cette stratégie maritime nationale ? Mayotte est, elle aussi, revendiquée par une puissance étrangère. La différence est que les habitants de Mayotte se sont prononcés sans aucune ambiguïté sur leur destinée.
Mme Vivette Lopez. - Thani Mohamed Soilihi n'a pas évoqué le volcan sous la mer qui menace d'entrer en éruption et d'engendrer de lourds dégâts pour Mayotte. L'éruption de ce volcan présenterait-elle un risque pour les îles Éparses ?
À la demande de notre collègue sénateur de la Polynésie française Teva Rohfritsch, une mission d'exploration des fonds marins vient d'être mise en place hier au Sénat.
Je suppose que vous suivez avec beaucoup d'intérêt le projet de Polar Pod de Jean-Louis Étienne dans l'Antarctique, qui doit débuter à la fin de l'année.
Par ailleurs, la France est-elle suffisamment prudente vis-à-vis de la Chine, qui s'implante sur de nombreux territoires ?
Mme Nassimah Dindar. - Je regrette que les collectivités territoriales concernées ne soient pas impliquées sur des enjeux partagés, en termes de biodiversité, d'aires marines, de politique de la pêche, de présence militaire ou d'aires protégées. Concernant nos cinq districts, l'enjeu de gouvernance ne devrait-il pas être revu afin d'y impliquer les collectivités territoriales françaises concernées ? En effet, nous avons des interlocuteurs qui partagent avec nous des visions sur les risques majeurs à venir ou encore sur la protection. Gagnerions-nous politiquement à poser véritablement l'enjeu de gouvernance afin de sortir des discours, entendus et partagés, qui peinent à trouver une réalité d'application et de lecture pour les élus que nous sommes et pour les citoyens français installés sur nos territoires ?
Mme Gisèle Jourda. - Vous avez indiqué que, depuis le Brexit, l'Union européenne compte 13 PTOM, contre 25 auparavant. Que peut changer le Brexit à notre vision de nos souverainetés ?
Que peut changer le Brexit dans les enjeux géostratégiques ? Des renversements d'alliance se produisent, comme lors de l'épisode des sous-marins. Nous avons parlé des territoires français situés dans l'Indopacifique. Toutefois, qu'en est-il de nos relations avec les autres pays, et notamment avec les membres de l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est (ASEAN) ?
M. Charles Giusti. - Concernant l'exploitation des fonds marins, la stratégie nationale des aires protégées 2030 vise à concilier la protection de l'environnement et les activités économiques. C'est dans cet esprit que j'ai travaillé avec mes équipes sur l'extension de la réserve naturelle, notamment afin d'éviter que l'activité halieutique, qui est le deuxième secteur pour La Réunion, ne puisse être remise en cause.
L'expérience a montré que nous pouvions avoir une activité économique parfaitement compatible avec la protection de l'environnement, ce qui est, certes, plus contraignant. Cette activité nécessite alors des moyens et les marges des bénéficiaires peuvent être réduites.
Le noeud de la question relative à une exploitation potentielle des fonds marins est la souveraineté française sur la ZEE ou sur les extensions du plateau continental. Notre souveraineté vise à protéger l'environnement mais elle peut également permettre, à terme, de mener des activités économiques durables.
Par ailleurs, il existe clairement un continuum entre les TAAF et Mayotte dans les îles Éparses. Nous travaillons très étroitement avec Mayotte sur trois sujets.
Le premier sujet de nos échanges avec Mayotte est l'archipel des Glorieuses, transformé en réserve naturelle attenante au parc naturel marin de Mayotte. Nous avons monté une mission conjointe du parc et de la réserve afin de travailler sur des outils et actions de gestion communs et coordonnés.
Le deuxième sujet de nos échanges est le FED. En effet, les interventions des crédits européens pour les dixième et onzième FED ont été effectuées en collaboration avec Mayotte. Nous travaillons étroitement et de longue date avec ce territoire au sujet de l'éradication des rongeurs sur l'îlot M'bouzi.
Le troisième sujet de nos échanges est l'initiative de développement de la recherche. Effectivement, le troisième consortium est organisé avec le Centre universitaire de formation et de recherche (CUFR) de Mayotte et l'Université de La Réunion, ce qui montre une implantation régionale de ces développements.
Mayotte constitue un partenaire extrêmement important, ne serait-ce que par cette proximité géographique avec les îles Éparses.
M. Thani Mohamed Soilihi. - Je voulais vous l'entendre dire, monsieur le préfet. Je vous en remercie.
M. Charles Giusti. - Les impacts directs de l'éruption du volcan sont peu probables sur les îles Éparses. Toutefois, l'effondrement d'une réserve magmatique pourrait déclencher un tsunami dangereux pour Mayotte et les îles Éparses, notamment pour l'archipel des Glorieuses. Nous suivons évidemment de près le sujet des conséquences éventuelles des perturbations géologiques que l'éruption du volcan pourrait entraîner.
Par ailleurs, j'ai rencontré Jean-Louis Étienne pour évoquer son projet de Polar Pod, qui s'appuiera en partie sur les TAAF et La Réunion. Le bâtiment de soutien, Persévérance, suivra sa longue pérégrination autour de l'océan Austral. Des bases arrière seront positionnées à La Réunion. Pour cette expérimentation, Jean-Louis Étienne pourra également bénéficier d'une proximité avec les TAAF.
La Chine constitue en effet un point d'attention particulièrement important. Je pense que la présence française dans les Éparses vise à pouvoir préserver ces espaces. Nous pouvons nous demander, dans le cas où la France n'assurerait plus la souveraineté sur la ZEE, ce qu'il adviendrait de cette zone et quelle serait la capacité des pays riverains de continuer à préserver ces espaces.
Concernant la gouvernance, le préfet de La Réunion a mis en place, conjointement avec les préfets de Mayotte et des TAAF, une conférence de coopération régionale afin d'échanger sur les problématiques internationales de la zone avec tous les acteurs. Certes, cette conférence n'a pas lieu mensuellement mais une réunion est organisée au moins tous les six mois. Ces réunions constituent peut-être un embryon de ce qu'évoquait Nassimah Dindar quant à la possibilité de faire participer les collectivités territoriales à ces questions éminemment sensibles de coopération ou, à l'inverse, de conflits de souveraineté.
Pour deux bassins, l'impact du Brexit est très faible. En effet, les TAAF étaient le seul PTOM dans l'océan Indien et les îles Pitcairn constituaient le seul PTOM britannique dans le Pacifique. L'enjeu du Brexit est essentiellement concentré dans la zone atlantique, et notamment dans la zone Antilles-Guyane.
Je pense que ces plateformes essentielles et majeures de puissance ou de projection de l'Europe que sont les outre-mer doivent être défendues à la lumière de leur valeur.
M. Paco Milhiet. - Il existe une vraie prise de conscience quant à la montée en puissance de la Chine. J'ai défendu dans mes recherches l'idée que la stratégie indopacifique était avant tout politique et visait à répondre au développement de l'influence chinoise. La stratégie indopacifique n'est d'ailleurs pas une invention française. Elle a été développée dans sa version moderne depuis 2007 par des pays ayant tous des antagonismes avec la Chine.
Les collectivités d'outre-mer françaises qui disposent d'un statut d'autonomie assez élargi développent parfois une relation spécifique avec la République populaire de Chine, sans nécessairement y associer l'État. C'est particulièrement vrai en Polynésie française, où se trouvent un consulat, un Institut Confucius et un projet de ferme aquacole qui pourrait devenir à terme un sujet de contradiction entre l'État et la collectivité. Notons notamment ces propos du président de la République en juillet dernier : « on ne peut pas être Français un jour et Chinois le lendemain ».
Concernant les PTOM, la France reste la dernière puissance européenne présente en Indopacifique, même si d'autres pays tels que l'Allemagne et les Pays-Bas ont développé leurs propres stratégies. La diplomatie française a effectué du lobbying à Bruxelles pour que l'Union européenne adopte une stratégie indopacifique. Malheureusement, l'alliance Aukus (Australie-États-Unis-Royaume-Uni), partenariat trilatéral qui exclut quelque peu la France de la région, a été annoncée le même jour que la stratégie indopacifique européenne, ce qui constitue un camouflet diplomatique.
Des marges de manoeuvre s'ouvrent pour que la France renforce ses relations avec d'autres pays de la zone, tels que l'Inde, les pays de l'ASEAN, le Japon ou la Corée du Sud. Ces partenariats seront-ils alors toujours indopacifiques ou plutôt indoasiatiques ? En tout cas, la détérioration de la relation franco-australienne, à laquelle s'ajoute une critique générale dans l'ensemble régional océanien par rapport au processus référendaire calédonien, semble isoler quelque peu la France diplomatiquement dans le Pacifique.
M. Stéphane Artano, président. - Je remercie Paco Milhiet et le préfet Charles Giusti pour la qualité de ces échanges.
Étude sur la place des outre-mer dans la stratégie maritime nationale - Audition de M. Élie Tenenbaum, directeur du centre des études de sécurité de l'Institut français des relations internationales (IFRI)
Dans le cadre de la préparation du rapport de la délégation sur la place des outre-mer dans la stratégie maritime nationale, nous poursuivons nos auditions avec Élie Tenenbaum, directeur du centre des études de sécurité de l'Institut français des relations internationales (IFRI) et auteur d'une étude stratégique publiée en février 2020 intitulée « Confettis d'empire ou points d'appui ? L'avenir de la stratégie française de présence et de souveraineté ».
Élie Tenenbaum interviendra le 25 janvier à la Maison de l'Océan à Paris lors d'une journée de conférences et de débats organisée par l'hebdomadaire Le Point sur les outre-mer aux avant-postes. Le thème sera : « Indo-Pacifique : les atouts de la France dans la guerre Chine-États-Unis ».
Monsieur le directeur, nous vous remercions de votre présence et de votre contribution à nos travaux. C'est l'occasion pour nous d'approfondir la passionnante table ronde, sur l'Indopacifique précisément, que nous avons tenue le 16 décembre dernier avec les membres de la Délégation à la prospective présidée par notre collègue Mathieu Darnaud.
Je vous cède donc la parole pour votre propos liminaire.
M. Élie Tenenbaum, directeur du centre des études de sécurité, Institut français des relations internationales (IFRI). - C'est un honneur d'intervenir devant vous sur ce sujet qui nous tient à coeur, à l'IFRI et notamment au sein du Centre des études de sécurité que je dirige. En effet, ce sujet fait l'objet d'une réflexion continue depuis quelques années déjà.
Nous avons assisté à un retour des travaux sur la place des armées sur le territoire national dès 2015, à la suite des attentats et du déclenchement de l'opération Sentinelle. Ces événements avaient donné à de nombreux métropolitains l'impression d'un retour des armées sur le territoire national alors même qu'une mise en perspective globale, incluant nos outre-mer, soulignait à quel point celles-ci ne l'avaient jamais quitté et y jouaient un rôle clé.
La carte de l'état-major des armées sur les forces déployées à travers le monde montre que les forces dites prépositionnées (dont les cinq forces de souveraineté situées aux Antilles, en Guyane, dans le sud de l'océan Indien, en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française ainsi que des cinq forces de présence au Sénégal, au Gabon, en Côte d'Ivoire, à Djibouti et aux Émirats arabes unis) représentent un effectif bien supérieur à celui de l'ensemble des opérations extérieures (OPEX) réunies.
Les seules forces de souveraineté présentes dans nos départements, régions et collectivités d'outre-mer représentent aujourd'hui 7 000 hommes et femmes assurant des missions clés et contribuant aux cinq fonctions stratégiques définies par le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale et reconduites par la revue stratégique de défense et de sécurité nationale de 2017.
La première fonction stratégique est la protection du territoire national, avec la protection de la souveraineté territoriale (parfois fortement contestée comme dans le cas des îles Éparses) et économique (régulièrement mise au défi par la pêche illégale dans la ZEE ou l'orpaillage clandestin). Cette fonction concerne également la protection de certaines emprises stratégiques, telles que le centre spatial guyanais de Kourou.
La deuxième fonction stratégique concerne la prévention des conflits, qui relève à la fois des forces de présence et des forces de souveraineté. Depuis les territoires d'outre-mer, les forces de souveraineté rayonnent sur l'ensemble des zones de responsabilité permanente (ZRP). Ainsi, les forces armées de la zone sud de l'océan Indien (FAZSOI) ne concernent pas seulement La Réunion, Mayotte et les TAAF mais aussi une coopération avec toute la Southern African Development Community (SADC), les forces armées de Polynésie française et l'ensemble de la zone Pacifique.
La troisième fonction stratégique porte sur la connaissance et l'anticipation - qui ne se limite pas aux enjeux de renseignement -, avec la capacité à offrir un point d'observation permanent sur des zones souvent mal suivies par nos services et nos armées. Je pense par exemple à l'expertise que peuvent apporter les FAZSOI sur les évolutions des mouvements djihadistes au Mozambique ou sur les événements dans la zone caraïbe, dans des pays en crise grave comme le Venezuela.
La quatrième fonction stratégique est relative à l'intervention. Cette fonction concerne souvent les forces de présence prépositionnées à l'étranger mais aussi les forces de souveraineté ainsi que les opérations de soutien et d'assistance aux populations, comme à la suite du cyclone Dorian en 2019 et de l'ouragan Irma en 2017. Cette fonction concerne également les exercices effectués en zone indopacifique tels que l'exercice Croix du Sud en Nouvelle-Calédonie. À l'avenir, si cela était nécessaire, des opérations d'évacuation de ressortissants du Mozambique pourraient avoir lieu depuis La Réunion et Mayotte.
La cinquième fonction stratégique concerne la dissuasion, souvent méconnue, surtout depuis la fin du centre d'expérimentation du Pacifique (CEP). Il existe pourtant des capacités d'escale et de déploiement de nos forces stratégiques. Nos forces aériennes stratégiques ont par exemple participé l'année dernière à l'exercice Heifara-Wakea avec Haiwaï.
Dans la Revue stratégique de défense et de sécurité nationale, ce dispositif est présenté comme à la fois rare et envié, offrant à la France « des plateformes sûres de projection de puissance partout dans le monde et la possibilité de se redéployer militairement au gré de l'évolution de la situation stratégique ».
Les pays disposant d'une présence militaire globale constituent à ce jour un club extrêmement restreint, davantage même que celui des puissances nucléaires. La France se positionne à la troisième place, derrière les États-Unis et la Russie mais devant le Royaume-Uni. Ce club tend cependant à s'agrandir, avec l'entrée de la Chine, la Turquie ou encore les Émirats arabes unis. Dans la compétition de puissance actuelle, cette capacité à disposer de points d'appui dans un certain nombre d'endroits du monde attire.
Dans ce cadre, la force du dispositif français réside - outre son histoire - dans le fait qu'il s'appuie, pour la majorité des 10 700 militaires qui y participent, sur un ancrage territorial et souverain. Ce dernier est par définition inaliénable et n'est donc pas soumis aux aléas d'un accord de défense avec un État étranger susceptible d'être dénoncé.
Malgré le caractère unique de cet outil multidimensionnel, force est de constater qu'au cours des trois dernières décennies - et même auparavant -, les forces prépositionnées dites « de présence et de souveraineté », et singulièrement les forces des outre-mer, ont systématiquement été placées au bas de la liste des priorités des développements capacitaires, des armées, du renouvellement de matériel et même de la gestion des ressources humaines, avec des effectifs en décroissance presque continue depuis la fin de la guerre froide.
Le dispositif est aujourd'hui taillé au plus juste, encore davantage que pour le reste des armées. Il peine à remplir ses contrats opérationnels et son renouvellement, à périmètre de missions et de menaces constant, n'est nullement garanti à l'horizon 2030.
Or précisément, les mutations géopolitiques qui s'annoncent changeront le périmètre des menaces. Les tensions sino-américaines dans l'Indopacifique en constituent un exemple. Mentionnons également les évolutions climatiques (avec des risques accrus de catastrophes naturelles), les pressions migratoires dues aux différentiels démographiques (tels qu'à Mayotte et en Guyane) et l'émergence de nouvelles puissances économiques se traduisant par un nouveau rapport de forces politique et géopolitique. Cinq des sept pays émergents les plus avancés se trouvent en effet dans les aires régionales immédiates de nos départements, régions et collectivités d'outre-mer (DROM-COM). Croire que, dans le monde de 2030, nous pourrons effectuer, avec autant - voire moins - de moyens, ce que nous pouvions faire en 1980 parait présomptueux.
Les forces aériennes semblent être une composante fortement anémiée. Sa capacité de transport se limite, pour les forces de souveraineté, à neuf avions Casa, huit hélicoptères Puma et cinq hélicoptères Fennec. Les forces de souveraineté ne disposent d'aucun appareil de combat.
Les C-160 Transall vieillissants, devenus trop couteux à entretenir, ont été retirés ces dernières années et remplacés par les Casa CN-235, dont la charge utile est moitieì moindre que celle du C-160 Transall. Avec les deux Casa dévolus aux FAZSOI, il faudrait 36 heures pour projeter en plusieurs rotations les 150 militaires aÌ Mayotte et 114 heures pour les projeter au Mozambique, alors même que le contrat opérationnel prévoit cette projection en 24 heures.
Il n'existe évidemment pas de solution facile. Si nous voulions revoir à la hausse nos ambitions et nos capacités, le déploiement d'un ou deux avions A400M par bassin océanique transformerait radicalement les capacités d'action et les activités des forces de souveraineté.
Un enjeu concerne les courtes distances. La disponibilité technique des hélicoptères Puma est encore insatisfaisante même si elle s'est améliorée, avec des réflexions sur le maintien en condition opérationnelle (MCO). L'achat d'hélicoptères lourds ou de manoeuvre de type Caracal ou NH90 changerait largement la donne.
Les infrastructures des forces aériennes ont un cruel besoin de modernisation, notamment concernant leur protection. En effet, aucune force de souveraineté ne dispose de capacité de défense aérienne à ce jour, à l'exception des Mistral du Centre spatial guyanais de Kourou et de Djibouti. Pourtant, la question de la défense aérienne mérite d'être posée, y compris sur des théâtres qui n'avaient pas l'habitude d'être menacés par les airs.
Par ailleurs, une présence aux antipodes du système Grand réseau adapté à la veille spatiale (GRAVES) et un commandement de type Centre opérationnel de surveillance militaire des objets spatiaux (COSMOS) pourraient être très intéressants pour la valorisation des outre-mer concernant l'observation de l'espace depuis la terre.
La problématique capacitaire principale des forces navales est le remplacement des patrouilleurs P400 par les Patrouilleurs outre-mer (POM). La question est a priori réglée à ce jour. Nous sommes entrés, l'année dernière, dans la phase de rupture temporaire de capacité, qui devrait être pleinement comblée avec la livraison, finalisée en 2025, des six POM à La Réunion, en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française. Espérons que nous ne vivrons pas de situation trop critique avant 2025. Il conviendra de vérifier ensuite que ces POM pourront évoluer au gré des standards et des besoins pendant quelques décennies.
Nous pouvons nous demander si nous souhaitons redensifier ce réseau, à partir du moment où le travail de conception a été effectué, ou coupler ces bâtiments avec d'autres appareils, comme des petits drones de surface qui pourraient sillonner la ZEE. Rappelons que le nombre de patrouilleurs destinés à assurer la protection de la ZEE française est à peu près équivalent à deux voitures de police surveillant l'ensemble du territoire métropolitain, comme l'avait souligné Patrick Boissier susmentionné.
Avec le remplacement du bâtiment de transport léger (BATRAL) de classe Champlain par les bâtiments de soutien et d'assistance Outre-mer (BSAOM), la Marine nationale a perdu la capacité de transport amphibie. Des moyens peuvent toujours être déployés depuis la métropole mais les capacités amphibies et hauturières seraient importantes en cas de catastrophes naturelles. Pourquoi ne pas reconstruire quelques BATRAL ou acquérir d'autres moyens tels que des hydroglisseurs, dont s'est dotée la Marine japonaise ?
Un autre sujet est le renouvellement, à l'horizon 2035, des frégates de surveillance, avec le besoin clair de bâtiments plus crédibles face à des enjeux et à un environnement opérationnel plus exigeants. Les frégates de surveillance sont héritées d'un monde où le pavillon français suffisait à défendre essentiellement le bâtiment. Les nouvelles frégates, qui appartiendront aux moyens permanents, devront être d'autant plus crédibles qu'elles sont utilisées au-delà de l'aspect purement souverain.
Pour renouveler ces frégates, il serait possible d'utiliser le schéma des frégates de défense et d'intervention (FDI) destinées à remplacer, notamment, les frégates Lafayette. Toutefois, l'option privilégiée semble être le programme European Patrol Corvette, qui pourrait recevoir un dock hélicoptère, des mini drones de surveillance et un système d'armes.
En Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie, disposer d'une seule frégate de surveillance ne permettrait pas d'assurer la permanence à la mer dans le cas où le bateau présenterait une avarie. Il serait donc préférable de posséder deux frégates mais les arbitrages sont à effectuer en fonction des enjeux budgétaires.
Concernant les moyens de surveillance aérienne maritime, la loi de programmation militaire prévoit 12 avions de patrouille maritime PATMAR Futur pour remplacer les 18 Atlantique 2 (ATL 2), dont aucun n'est actuellement déployé en outre-mer. Nous voyons difficilement comment il sera possible d'affecter des moyens de patrouilles maritimes aux outre-mer, qui en ont considérablement besoin. Le déploiement du P8 Poséidon indien à La Réunion montre que la France essaie de compenser ses difficultés avec des partenariats internationaux. Toutefois, nous ne pouvons pas nous satisfaire que des moyens indiens aident à protéger notre ZEE.
Le spatial et la dronisation offriraient sans doute des options particulièrement intéressantes - et pas forcément très coûteuses - concernant les capacités de surveillance et de patrouille maritime.
Les infrastructures navales jouent un rôle essentiel. Je pense plus particulièrement au dock flottant de Papeete, construit en 1975, que nous espérons prolonger jusqu'en 2030 même si la limitation en termes de tonnage et de tirant d'eau des navires qu'il peut accueillir pose question.
Les enjeux des forces terrestres sont d'une moindre dimension en termes d'infrastructures. La grande question est celle des effectifs, souvent précarisés par un passage en missions de courte durée. Pourtant, l'atout de ces forces permanentes est l'ancrage dans l'environnement sur une longue durée. L'état-major spécialisé pour l'outre-mer et l'étranger (EMSOME) ressent profondément cet atout, de même que l'importance de regagner des missions de longue durée, y compris en travaillant à l'attractivité des territoires pour les militaires.
Un projet de montée en gamme des capacités terrestres, au défi de la haute intensité, avait été lancé par le général Burkhard lorsqu'il était chef d'état-major de l'Armée de Terre, avec le déploiement de véhicules blindés, y compris en Nouvelle-Calédonie.
Le dispositif outre-mer est un bijou de famille qu'il convient de valoriser. Les défis qui se présentent sont si conséquents, par leur taille et leur nature, que les armées doivent éviter le péché d'orgueil de croire qu'elles pourront les relever seules.
Ainsi, il est important d'intégrer ce dispositif en interministériel et à l'international.
Les ministères de l'intérieur et des outre-mer doivent développer de la synergie et de la convergence dans leur vision de la valorisation stratégique des DROM-COM. Il me semble que les visions de Balard (ministère de la défense), Beauvau (ministère de l'intérieur et du ministère des outre-mer sont encore trop différentes.
En outre, le dispositif doit être intégré à l'international avec les Européens. Beaucoup d'actions sont à conduire pour emmener les pays européens, via nos outre-mer, à s'ouvrir sur des espaces, tels que l'Indopacifique ou encore la zone Antilles-Guyane. Les partenaires extra-européens, comme l'Inde, l'Australie ou, dans une moindre mesure, le Brésil, ont également une place.
M. Stéphane Artano, président. - Merci. Je cède la parole à mes collègues rapporteurs Annick Petrus, Philippe Folliot et Marie-Laure Phinera-Horth.
Mme Annick Petrus, rapporteure. - Jusqu'à quand la Marine nationale doit-elle faire face à des ruptures temporaires de capacité ? Quelles solutions pouvons-nous apporter face à l'insuffisance de ces moyens ? La coopération entre les Marines européennes peut-elle être une réponse ? Que pouvons-nous attendre de la présidence française de l'Union européenne en la matière ?
M. Philippe Folliot, rapporteur. - Que pensez-vous des arguments en faveur d'un redéploiement significatif de nos moyens militaires par rapport aux forces de souveraineté ?
Je partage tout à fait votre analyse quant au fait que les forces de souveraineté sont au bas de la liste des priorités depuis la fin de guerre froide. Comment remédier à cela ? Existe-t-il des arguments qui justifieraient un déploiement permanent d'une de nos frégates de premier rang dans l'océan Indien et d'une autre dans l'océan Pacifique ?
Existe-t-il des éléments techniques rédhibitoires qui nous empêcheraient de disposer en permanence d'avions de combat et d'avions de transport A400M sur l'île de La Réunion, en Polynésie française ou en Nouvelle-Calédonie ?
Le déploiement de deux avions de transport A400M sur l'océan Indien et de deux autres avions sur l'océan Pacifique - auxquels j'ajouterais deux avions dans la zone Antilles-Guyane - constituerait un signal fort.
Ne faudrait-il pas passer d'un Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale à un Livre bleu sur la défense et la sécurité en outre-mer, prenant réellement en compte l'intérêt géostratégique de faire de notre pays une puissance mondiale et maritime, et non pas une puissance européenne et continentale ?
Mme Marie-Laure Phinera-Horth, rapporteure. - Pourquoi ces mesures de sécurité ne sont-elles pas applicables sur le territoire guyanais, hormis la surveillance du Centre spatial guyanais (CSG), afin de faire respecter notre souveraineté malgré les relations de coopération avec les pays voisins tels que le Suriname, le Brésil et le Guyana dans le domaine de la pêche ? Les pêcheurs guyanais souffrent de cette carence de protection et de respect de nos zones territoriales.
J'ai bien compris que les outre-mer sont délaissés et que nos territoires ne constituent que des « bijoux de famille » sans importance. Pourtant, les outre-mer font la force et la puissance de la France.
Je suis interpellée sur ces sujets tous les jours. Une réunion est prévue la semaine prochaine avec le préfet de la Guyane, justement sur ces aspects sécuritaires en mer.
M. Élie Tenenbaum. - Ces questions attestent de la convergence de nos vues ou, au moins, de nos préoccupations sur ces problématiques.
Nous entrons dans la période difficile des ruptures temporaires de capacité, avec le retrait des patrouilleurs P400 et l'attente de la livraison des POM. Cette rupture avait été anticipée sur la zone Antilles-Guyane, avec la livraison de patrouilleurs spécifiques permettant de réduire l'ampleur du gouffre. Ces ruptures attestent de la difficulté à gérer les besoins et de la priorité relativement faible attribuée aux outre-mer dans les choix capacitaires effectués, toujours cornéliens.
Nous pouvons nous demander si les neufs POM et patrouilleurs Antilles-Guyane suffiront à répondre aux demandes. La question d'une redensification de ces moyens de patrouilles maritimes dans les airs et sur les flots, notamment en Guyane, se pose à la mesure des menaces. La pêche illégale ne se maintiendra pas au niveau où elle était il y a quarante ans. Nous resterons, à mon sens, sur un dispositif taillé au plus juste.
L'augmentation, à l'horizon 2030, de chacune des forces avec un patrouilleur supplémentaire est à prendre en compte dans le vote d'une éventuelle prochaine loi de programmation militaire (LPM) ou d'une actualisation de la LPM lors de la prochaine législature.
Le développement de moyens aériens de surveillance maritime en Guyane devrait également être considéré, au-delà du CSG qui ne doit pas accaparer toutes les ressources militaires. Les forces armées savent que la Guyane ne se limite pas au CSG de Kourou. Dans le cadre de l'opération Harpie, un travail considérable est réalisé à terre. Un travail doit être également effectué en mer, avec des moyens navals mais aussi aériens et spatiaux.
L'intérêt de l'utilisation des signaux d'identification automatique (AIS) par les POM ne doit pas être surestimé dans la mesure où les embarcations de fortune de type brésiliennes ou surinamiennes, souvent qualifiées de « tapouilles », ne fonctionnent pas avec les réseaux AIS. Ce point montre l'importance d'autres formes de repérage, via l'imagerie par exemple, et d'une capacité d'analyse fine pour renforcer l'efficacité.
Un autre aspect du renforcement de la résilience est le renforcement de la filière pêche. La difficulté de développer une telle filière sur Mayotte explique aussi la pression pouvant exister sur nos ZEE, dans le canal du Mozambique ou ailleurs. En effet, la filière pêche des outre-mer n'est pas développée à la hauteur des atouts de la ZEE. Or ce qui est peu exploité attire d'autant plus les convoitises de l'extérieur. Un vrai travail est à effectuer en interministériel afin de renforcer la capacité d'exploitation, dans le cadre de notre travail de protection de la biodiversité de ces espaces incroyables.
La création d'un Livre bleu sur la défense et la sécurité en outre-mer est envisageable mais la rédaction d'un document distinct du Livre blanc constituerait une forme d'aveu qu'il a été impossible de convaincre la Communauté de défense de l'importance des outre-mer.
La place du dispositif prépositionné, au-delà d'une simple fonction de prévention ou de protection, doit être revalorisée dans le prochain Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale ou dans la prochaine revue stratégique de défense et de sécurité nationale.
Je pense que la Communauté de défense n'est pas loin d'être convaincue que le dispositif prépositionné, davantage encore que le modèle des opérations extérieures, est adapté à la géopolitique et à la géostratégie du XXIe siècle. Nous avons entendu, dans la vision stratégique du Chef d'état-major des armées, l'importance de « gagner la guerre avant la guerre » et du continuum entre compétition stratégique, contestation et confrontation.
Plus qu'aucun autre, le dispositif prépositionné est un dispositif permanent, contrairement au modèle d'intervention hérité des années 1990. Or la compétition stratégique ne s'arrête jamais. Le seul équivalent de la permanence de ce dispositif en outre-mer et à l'étranger est la permanence des forces de la dissuasion. Nous parviendrons à redensifier le dispositif en travaillant sur sa place et sa contribution au regard des enjeux et défis du XXIe siècle.
L'absence d'infrastructures satisfaisantes bloque aujourd'hui le déploiement permanent de frégates de premier rang ou d'avions de combat dans le dispositif. Baser des avions Rafale en Polynésie française demanderait une infrastructure et des capacités de soutien, qui nécessitent des investissements. Ces équipements peuvent être très intéressants dans la revalorisation économique de ces territoires car ils amènent forcément des compétences techniques et industrielles. Je pense donc que nous devrions travailler d'abord sur les infrastructures avant de chercher le déploiement des moyens militaires.
Concernant les partenariats à l'international, l'alliance Aukus a été un signal fort des limites de l'approche qui a été celle de la France durant les dernières années. En effet, nous nous sommes peut-être trop payés de mots en voyant les partenariats stratégiques comme des démultiplicateurs de nos moyens, voire comme des palliatifs à la faiblesse de nos moyens permanents sur place.
Comme le disait le général de Gaulle, les États sont des « monstres froids » ayant des intérêts davantage que des amis. Même si la France dispose de partenariats solides, notamment avec l'Australie, l'annulation du contrat pour les sous-marins montre bien que nous ne pouvons pas nous reposer sur des alliances pour la protection de nos territoires. Pouvoir mutualiser et bénéficier de partenariats, notamment avec l'Inde dans l'océan Indien, est une excellente chose mais nous ne pouvons pas fonder la protection de notre souveraineté économique sur des moyens étrangers.
M. Stéphane Artano, président. - Je cède la parole à Vivette Lopez qui souhaite poser une question.
Mme Vivette Lopez. - La délégation sénatoriale aux outre-mer n'a pas de pouvoir législatif mais elle peut être force de proposition. Pensez-vous qu'une étude approfondie, par notre délégation, sur l'évolution et le développement des infrastructures portuaires en outre-mer pourrait vous apporter une aide efficace et un soutien sur vos besoins indispensables, même si cela entraine des investissements ?
Je ne suis pas tout à fait d'accord avec notre collègue Marie-Laure Phinera-Horth qui disait que les outre-mer sont des bijoux de deuxième catégorie. Ces territoires doivent être considérés comme des acteurs de première ligne indispensables. Pour la France, chaque territoire d'outre-mer est un porte-avion incontournable. Chers collègues, nous ne devons pas baisser les bras. Je considère que vos territoires sont tout aussi importants que les territoires métropolitains.
Quels territoires connaissent le plus de tensions ? Quels sont nos adversaires les plus virulents ? Sur quel pays européen pouvons-nous compter le plus pour nous aider et nous soutenir ?
M. Élie Tenenbaum. - La réalisation d'une étude sur les infrastructures, notamment portuaires, dans les outre-mer me semble absolument pertinente.
Notamment, une réflexion sur les synergies entre la revalorisation d'une industrie portuaire et de la pêche dans ces espaces - raisonnable et raisonnée - et des moyens militaires montrerait à la fois l'ampleur du travail à fournir et toutes les retombées positives en termes d'emplois, d'économie et d'appropriation de la mer dans les outre-mer.
Si les recommandations - dont je ne présume pas - étaient appliquées, la revalorisation d'une industrie portuaire et de la pêche pourrait profiter aux collectivités et aux populations tout en renforçant la posture stratégique et souveraine de la France dans ces zones.
Les menaces sont diverses et dépendent évidemment de chacun des territoires.
Tout d'abord, nous n'observons fort heureusement pas, dans l'immédiat, de menaces étatiques directes pesant sur ces territoires.
Toutefois, des menaces étatiques indirectes sont présentes. Il s'agit de ce que certains spécialistes appellent des « menaces hybrides », à travers des actions informationnelles de déstabilisation et des actions d'ingérence économiques. Je citerai par exemple l'appétence montrée par la Chine en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie pour des formes d'ingérence pouvant être préoccupantes.
Un travail a été réalisé sur les licences de pêche pouvant être accordées - avec une convergence entre des revendications locales et des partenariats internationaux - avec des pays n'étant pas forcément des adversaires mais avec lesquels nous pouvons avoir des divergences.
Je pense par exemple à Madagascar, avec laquelle nous sommes en désaccord sur la question des îles Éparses. Madagascar ne présente évidemment aucunement une menace. En revanche, il existe des réflexions sur la vente de licence de pêche à des opérateurs privés chinois, dont nous supposons qu'ils peuvent être utilisés par l'État dans des intérêts stratégiques.
La reproduction de ce type de réflexion ou d'activité au-delà des zones d'action traditionnelles - pas forcément du fait de la Chine mais du fait d'autres acteurs, avec un partenariat incluant des acteurs étatiques locaux, que nous considérions jusqu'à présent comme faiblement dotés - changerait considérablement la donne.
Nous avons rédigé différents scénarios. Je ne peux pas entrer dans les détails car la plupart d'entre eux sont protégés. Je me tiens toutefois à votre disposition pour en discuter. Un certain nombre de scénarios ou d'hypothèses sont à considérer avec sérieux.
En outre, il existe de véritables risques transnationaux tels que le risque djihadiste au Mozambique, présentant de réels enjeux de diffusion de cette idéologie et de cette mouvance tout le long de la côte swahili. Une telle diffusion engendrerait forcément un impact, direct ou indirect, sur notre sécurité. Le développement du trafic de drogue à des échelons considérables, notamment dans la zone Antilles-Guyane et dans le Pacifique, doit être inclus.
Nous vivons dans un monde de plus en plus interconnecté, avec des outre-mer ayant l'habitude d'évoluer dans un espace stratégique à part alors même que la survenue d'un contentieux en Europe pourrait donner lieu à une volonté de réponse d'un adversaire sur ces territoires. Nous avons des adversaires ou compétiteurs stratégiques marqués par une forme d'opportunisme stratégique et qui cherchent les endroits les moins bien défendus de nos intérêts. Les outre-mer peuvent malheureusement parfois être perçus comme des proies alléchantes dans cette logique de compétition stratégique.
Nous avons fort heureusement beaucoup de partenaires. La France est clairement le pays le plus ultramarin d'Europe mais les Pays-Bas, le Danemark ou encore l'Espagne ont également des territoires d'outre-mer, répondant chacun à des problématiques spécifiques. Cette liste dessine une petite géographie des pays européens qui seront les plus sensibles à ces questions.
Les pays européens sont dépendants d'un certain nombre de zones. La question indopacifique occupe une place de plus en plus prépondérante pour les pays européens dans leur relation avec les États-Unis.
Un véritable travail de conviction est à mener pour convaincre les Européens de l'importance de ces zones pour l'environnement, la stratégie, la stabilité internationale et la revalorisation de l'Alliance transatlantique, qui nous tient tant à coeur (et qui tient particulièrement à coeur à un certain nombre d'États d'Europe centrale et orientale).
La meilleure manière d'ouvrir les voies et de développer ces partenariats est sans doute de commencer à réfléchir à partir de bases d'infrastructures et de forces françaises existantes puis, peu à peu, d'amener ces pays européens dans l'Indopacifique en intégrant des officiers sur des états-majors des officiers de liaison ou encore en déployant des moyens navals, pouvant être réduits mais intégrés au sein d'une task force ou d'un task group. Je suis convaincu qu'avec un peu de temps, de détermination et de renforcement de nos propres moyens, nous pouvons y parvenir.
M. Stéphane Artano, président. - Je cède la parole à Philippe Folliot.
M. Philippe Folliot, rapporteur. - J'ajouterais le Portugal à la liste des partenaires européens présents dans les outre-mer.
Je partage votre analyse sur le fait que nous possédons des atouts et que, compte tenu de la nécessité de permanence qui est la nôtre, nous devons essayer de les valoriser.
M. Stéphane Artano, président. - Je vous remercie. Votre étude est presque une étude de prospective. Je vous rejoins sur la nécessité d'une intégration de la dimension ultramarine dans la politique nationale et dans les documents, notamment de stratégie, afin de ne pas faire des outre-mer une exception à la française. Au sein de la délégation, nous sommes habités par cette volonté.