Mercredi 5 janvier 2022
- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -
La réunion est ouverte à 10 h.
Enjeux de la présidence française de l'Union européenne en matière environnementale : comment la France peut-elle impacter le Green deal - Audition
M. Jean-François Longeot, président. - Avant d'ouvrir notre table ronde, permettez-moi de vous adresser mes meilleurs voeux pour cette nouvelle année.
Lancé en décembre 2020, le Pacte vert constitue un ensemble d'initiatives politiques et législatives visant notamment à accompagner l'Europe sur le chemin de la neutralité climatique d'ici 2050 avec un objectif intermédiaire de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 55 % d'ici 2030 par rapport à 1990. Il se compose de stratégies transversales ainsi que d'un paquet climat de règlements et de directives présenté en juillet, puis complété en novembre et décembre 2021. Cette initiative politique inédite doit connaître des avancées décisives au cours de l'année 2022, notamment lors du premier semestre, période pendant laquelle la France assure la présidence du Conseil de l'Union européenne.
Le Pacte vert va considérablement influencer les politiques environnementales de notre pays et les législations nationales à venir. Par son ampleur et son caractère systémique, il devrait marquer en profondeur la vie de nos concitoyens.
Le rôle que la France est susceptible de jouer dans l'avancée du Pacte vert constitue notre point d'attention. Pour aborder ce sujet, nous accueillons : Pascale Joannin, directrice générale de la Fondation Robert Schuman, Nicolas Berghmans, chercheur sur l'énergie et le climat à l'Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI) et Phuc-Vinh Nguyen, chercheur sur les politiques énergétiques françaises et européennes à l'Institut Jacques Delors que je remercie vivement de leur présence.
Cette table ronde ouvre un cycle d'auditions consacrées au Pacte vert et à la présidence française de l'Union européenne qui se poursuivra cet après-midi par une audition de la ministre de la transition écologique. Cette réflexion est menée en lien avec la commission des affaires européennes dont les travaux devraient aboutir au dépôt d'une proposition de résolution européenne consacrée au volet climat du Pacte vert. Je salue tout particulièrement Marta de Cidrac et Jean-Yves Leconte désignés par la commission des affaires européennes pour travailler sur cette proposition de résolution. Notre commission sera naturellement étroitement associée à sa rédaction et à son adoption prévue pour la fin du mois de février. À cet effet, un rapporteur sera désigné à la fin de cette table ronde.
Les enjeux de la présidence française de l'Union européenne en matière environnementale sont au coeur du sujet qui nous réunit ce matin.
J'aimerais tout d'abord vous interroger sur l'approche française dans le cadre de ces négociations. Un rapport d'expert remis au Gouvernement en novembre dernier recommandait à la France de faire preuve de plus d'humilité et de concertation pendant sa présidence. Le rapport préconisait en résumé de faire « plus de Robert Schuman et moins de Victor Hugo ». Comment la France peut-elle continuer à être force de proposition, comme elle l'a souvent été dans l'histoire de la construction européenne, sans provoquer de tensions ou de ressentiments chez ses partenaires, ce qui serait évidemment très préjudiciable à l'avancée du Pacte vert ?
Sur le fond, les points d'attention sont très nombreux et vous pourrez y revenir plus en détail en réponse aux questions posées par les membres de notre commission.
Dans un premier temps, focalisons-nous sur la clé de voûte de l'édifice : la réforme du marché carbone européen et la mise en place d'un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières. La réforme du système d'échange de quotas d'émissions (SEQE ou European Union Emission Trading Scheme - EU ETS en anglais) passe par la fin progressive de l'allocation des quotas gratuits et répond à une attente forte tendant à ce qu'un signal d'ampleur européenne soit enfin donné. En revanche, plusieurs pays, mais aussi de nombreuses organisations non gouvernementales (ONG), s'opposent actuellement à l'extension de l'ETS au bâtiment et au transport, en raison des risques importants que cette extension ferait peser sur les ménages les plus précaires. Si l'ETS venait à ne pas être étendu au bâtiment et au transport routier, quelles pourraient être les solutions alternatives afin d'accélérer la décarbonation de ces deux secteurs qui sont aujourd'hui les plus émetteurs dans notre pays ?
La mise en place d'un mécanisme d'ajustement aux frontières préconisée par la France depuis de nombreuses années doit être accueillie comme une excellente nouvelle, mais, pour garantir son effectivité et sa pérennité, l'Union européenne doit maintenant s'assurer de sa compatibilité avec les règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et plus largement de son acceptation par ses partenaires. Comment la France peut-elle accompagner l'avancée de ce dossier et lever les réticences de plusieurs États fortement exportateurs tout en s'assurant de l'ambition du mécanisme ?
Madame, messieurs, je vous laisse la parole.
M. Nicolas Berghmans, chercheur, énergie et climat, IDDRI. - Tout d'abord, je vous remercie pour cette invitation.
La présidence française du Conseil de l'Union européenne arrive à un moment clé pour le Pacte vert. Avec celui-ci, douze dossiers législatifs sont sur la table pour transformer l'économie européenne. Un des objectifs de la présidence française sera de faire avancer certains de ces dossiers, peut-être même tous. La France a fait du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières une priorité, mais il conviendra d'avancer sur l'ensemble des dossiers pour parvenir à trouver le compromis européen nécessaire. Cette situation invite à réfléchir à l'ambition à se fixer.
En ce domaine, il faut rester raisonnable et parvenir à des avancées concrètes sur le plan diplomatique au cours des six prochains mois plutôt que de viser une victoire sur un seul dossier. Néanmoins, il faudra avancer et avancer vite. L'Union européenne s'est engagée à Glasgow, lors de la 26e conférence des parties à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (COP 26) à revenir en 2025 avec un nouvel objectif climat pour 2035. Le temps est donc compté puisque le paquet climat, qui est la mise en oeuvre de l'objectif renforcé à 2030, devra être fini pour laisser la place à la discussion sur les mesures à prendre pour la période 2030-2035.
Que doit faire la France pour trouver des compromis européens ? Elle peut tout d'abord former des alliances. La solution peut sembler banale, mais les positions des États membres au Conseil offrent une diversité suffisamment large pour en créer de nouvelles. De plus, sur le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, les positions ont évolué depuis la première mise en débat de cette proposition en 2017. À cette époque, beaucoup de pays y étaient réticents ; aujourd'hui, beaucoup s'y intéressent. Lors des dernières élections outre-Rhin, les principaux partis allemands se sont, par exemple, prononcés en faveur de ce mécanisme. Pour autant, beaucoup de points de détail restent à régler, notamment concernant les exportations et l'épineuse question du périmètre de secteurs couverts par le mécanisme. Pour ces raisons, il sera essentiel d'animer une discussion ouverte sur ces points.
La position de l'Europe vis-à-vis de l'extérieur sera aussi un point clé. Pour le moment, l'Europe n'est pas arrivée avec une position forte vis-à-vis de ses partenaires extraeuropéens concernant la mise en place de ce mécanisme d'ajustement. Trouver des alliés en dehors de l'Europe est pourtant primordial. Par exemple, les pays les moins avancés ou les pays en développement pourraient tirer bénéfice d'un accès privilégié ou d'une mise en place progressive de ce mécanisme pour leurs exportations, voire d'un fléchage de l'utilisation des recettes de ce mécanisme vers des politiques de décarbonation ou d'aide à la décarbonation sur leurs territoires.
Par ailleurs, vis-à-vis des règles de l'OMC, si le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières se met en place, il faudra prouver qu'il s'agit d'un mécanisme environnemental, ce qui suppose de réduire les allocations gratuites dans le système européen d'échange de quotas carbone. Le dossier des exportations sera également à analyser puisque, selon l'OMC, toute subvention aux exportations est considérée incompatible avec le droit de l'OMC. La mise en place de ce mécanisme soulève aussi la question de la compétitivité de certaines productions industrielles en dehors de l'Europe, argument avancé par certains pays qui voient venir avec crainte la mise en place de ce mécanisme.
Je propose à ce stade de laisser la parole aux autres intervenants avant d'enchaîner sur d'autres points.
M. Phuc Vinh Nguyen, chercheur sur les politiques énergétiques et environnementales françaises et européennes, Institut Jacques Delors. - Je tiens tout d'abord à vous remercier pour l'organisation de cette table ronde qui s'inscrit à un moment crucial dans le cadre des négociations climatiques à l'échelle de l'Union européenne.
Avant de répondre à votre question demandant comment la France peut continuer à être force de proposition, rappelons tout d'abord que la présidence française du Conseil de l'Union européenne ne veut pas dire que nous arriverons à trouver des compromis en six mois ni que nous arriverons à solutionner l'ensemble des dossiers sur la table. En revanche, il appartient à la France de continuer à faire avancer les négociations le plus rapidement possible dans une logique d'ensemble, car le Pacte vert constitue un ensemble très cohérent. Il existe en effet des interdépendances fortes entre chacun des dossiers. En effet, à partir du moment où vous décidez de placer la priorité sur le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, d'autres dossiers avanceront mécaniquement comme celui du marché carbone européen ou encore celui du Fonds social pour le climat.
En appui de ma démonstration, je souhaite vous projeter un document qui rend compte des instruments climatiques dont dispose l'Union européenne aujourd'hui et qui liste les propositions mises en avant par la Commission européenne. Ce panorama illustre la densité du paquet et rend compte du fait que nous ne pourrons pas obtenir des résultats concrets sur l'ensemble des dossiers. C'est aussi pour cela que la priorité devra être placée sur certains dossiers, ce qui leur conférera une visibilité et offrira la possibilité de faire avancer le paquet de manière cohérente.
L'ETS permet de renchérir les émissions de CO2 des industries électro-intensives et des industries productrices d'électricité. Le marché carbone européen fixe actuellement un prix proche de 80 euros la tonne de CO2, ce qui est une excellente chose, car cette mesure a permis d'encourager nos voisins européens à décarboner la production d'électricité. L'Allemagne, par exemple, est passée d'une forte consommation de charbon à une très forte consommation d'énergies renouvelables (plus de 40 % du mix électrique).
Pour autant, le marché carbone européen n'est pas parfait, car les industriels bénéficient d'un système d'allocations gratuites, aujourd'hui trop importantes, qui ne les incitent pas à décarboner leur mode de production. L'ambition est donc de réformer ce système et de réduire progressivement le nombre d'allocations gratuites. La France, qui promeut une politique industrielle à l'échelle de l'Union européenne, doit faire entendre sa voix pour pousser les industriels à s'orienter vers une économie décarbonée. Aujourd'hui, les pays représentant plus de 80 % du PIB mondial se sont engagés sur l'objectif de neutralité carbone, c'est-à-dire que le marché de l'acier de demain sera celui de l'acier vert, que le marché futur du ciment sera celui du ciment bas carbone. En prévision de ces mutations, la réforme doit inciter les industriels à changer progressivement leurs modes de production via une réduction des allocations gratuites pour que ces industries s'inscrivent en cohérence avec la demande future, sans que les futures productions d'acier, de pâte à papier, de ciment ne soient importées de pays qui n'auraient pas d'ambitions aussi fortes en matière environnementale.
La Commission européenne propose également une extension du marché carbone au secteur du transport routier et au bâtiment. Cette orientation signifie que les consommateurs paieront plus cher leur litre de carburant à la pompe ou leur facture du chauffage en vertu du principe pollueur/payeur.
L'Institut Jacques Delors a commencé à approfondir ces sujets. Nous sommes très sceptiques quant à la mise en place d'une telle réforme, car, en France, la crise des « Gilets jaunes » a montré que toute réforme doit être acceptable socialement. La question sociale est par conséquent un des points que la France doit mettre en avant, car la mise en oeuvre du marché carbone européen doit s'accompagner d'une redistribution sociale. Pour cela, l'allocation des nouveaux revenus issus du marché carbone, directement tirés des particuliers, devra favoriser une transition plus juste, notamment pour permettre l'acceptation de la réforme.
Quant à l'alternative à l'extension du marché carbone européen, elle passe par une réglementation plus forte. C'est tout l'enjeu des négociations : soit l'on mettra « tous ses oeufs dans le panier » du marché, soit dans celui de la réglementation. Les propositions actuelles de la Commission européenne sont très ambitieuses, mais les États membres, dont la France, ont la possibilité de pousser à davantage d'ambitions. Or si cette ambition accroît la réglementation (comme la rénovation des bâtiments, le déploiement de la mobilité électrique, etc.), il sera possible de ne pas mettre en place le marché carbone européen. C'est aussi une solution qui permettra de ne pas faire supporter le coût de la transition énergétique directement sur les factures des particuliers et c'est certainement un des points qui sera discuté lors de la présidence française de l'Union européenne.
Mme Pascale Joannin, directrice générale de la Fondation Robert Schuman. - Je vous remercie pour votre invitation. Je ne reviendrai pas sur les propos tenus par les deux précédents orateurs, mais j'insisterai sur deux points essentiels pour la présidence française du Conseil de l'Union européenne.
Premièrement, cette présidence est celle du Conseil de l'Union européenne qui est la chambre haute de l'organisation européenne. Toutefois, il faudra rechercher aussi des conciliations avec le Parlement européen, qui en est la chambre basse. Il conviendra donc de trouver un consensus entre les 27 États membres au niveau du conseil et, parallèlement, négocier avec le Parlement européen puisque tout règlement ou directive a besoin des deux chambres dès lors que l'on se place dans le cadre de la procédure législative ordinaire.
La transition verte est la priorité affichée depuis décembre 2019 par la présidente Ursula von der Leyen. Cette transition touchera tous les secteurs, dont l'énergie. Je me réjouis donc que l'Union européenne ait fait un pas le 1er janvier pour réintégrer le nucléaire, qui est une énergie bas carbone, dans la taxonomie même si certains de nos partenaires européens demeurent très effrayés par ce mode de production. Rappelons cependant que le nucléaire permet à la France de jouir d'une certaine autonomie énergétique tout en proposant une énergie peu chère et bas carbonée.
La transition verte touche aussi à la mobilité et aux transports. Nous avons parlé du transport routier, mais nous pouvons parler aussi du transport maritime et aérien. Tous les secteurs du transport doivent se questionner sur les transformations à opérer. Air France a lancé de premières initiatives avec un avion utilisant un carburant alternatif. Plusieurs solutions sont sur la table et il faudra déterminer quelles solutions répondent le mieux aux besoins.
La transition verte vise aussi l'agriculture et je sais que l'agriculture est un thème cher aux sénateurs ici présents. Dans ce secteur d'activité, l'arrêt de l'utilisation des pesticides est louable, mais il ne faudrait pas que la conséquence soit de mettre à mal notre agriculture exportatrice dès lors que les autres pays ne seraient pas soumis à la même réglementation. Il faut plutôt faire en sorte que les autres rejoignent les positions qui sont les nôtres pour que la concurrence soit juste, libre et non faussée.
Les dossiers sur la table concernent aussi la finance verte et ses conséquences sur l'investissement dans les industries comme le ciment ou l'acier qui ne sont pas encore bas carbone.
Face à tous ces enjeux, il faut aller vite, mais de manière raisonnable - je dirai même - de manière pragmatique et réaliste pour embarquer tous les Européens, citoyens et parties prenantes, pour que tous acceptent cette transformation de l'économie. En effet, il ne s'agit pas d'une transition qu'il faut réussir, mais bel et bien d'une transformation. Pour la mener à bien, il faudra faire preuve de pédagogie et associer le maximum pour ne pas courir le risque d'une non-acceptabilité des changements. Si tel n'est pas le cas, il sera avancé le fait que la transformation coûte cher, que les ménages n'en ont pas les moyens. Dans ce mouvement, il faudra résolument veiller à éviter toute fracture énergétique ou fracture verte entre les différentes populations.
Mettre en place un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières suppose de parler avec les autres parties, comme l'ont dit mes collègues avant moi. L'Union européenne a certes dessiné un projet très ambitieux, mais il n'est pas partagé par tous à travers le monde. Si nous visons la neutralité carbone en 2050, les Chinois l'ambitionnent en 2060 et les Indiens en 2070. L'enjeu de la présidence française du Conseil sera donc de discuter aussi avec nos partenaires extraeuropéens, dont nos partenaires africains lors du sommet qui se tiendra au mois de février, mais aussi nos partenaires asiatiques pour que les décisions qui seront prises par les Européens soient le plus possible partagées. L'enjeu des prochains mois sera donc aussi de convaincre nos partenaires non européens lors des prochaines discussions internationales qui vont s'ouvrir. Plusieurs rendez-vous sont déjà programmés sur toute l'année 2022 et les Français, dans un premier temps, puis les Tchèques qui nous succéderont au deuxième semestre, auront à préparer des positions. Dans ce domaine, la France devra tirer profit de son statut, de son influence au niveau international, de sa position de membre permanent au Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations unies (ONU) pour faire entendre nos arguments et faire en sorte que nos partenaires rejoignent les positions européennes.
Ce sont donc ces deux volets - les négociations au sein de l'Union européenne, au Conseil d'abord, puis au Parlement européen, et celles en dehors de l'Union européenne - qu'il faudra viser afin que les dossiers puissent avancer, même si les discussions ne sont pas finalisées dans les six mois à venir.
M. Jean-François Longeot, président. - Je vous remercie. Je vais donner la parole à mes collègues qui ont des questions à vous poser.
M. Jean Bacci. - Nous envisageons d'investir des milliards d'euros pour décarboner notre économie et nous comptons beaucoup sur la forêt pour stocker le carbone et produire des matériaux décarbonés, mais encore faudrait-il consacrer quelques millions d'euros pour protéger notre forêt ! Sur la base de l'exploitation des données portant sur les derniers incendies ayant eu lieu dans le Var en 2021, le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et AtmoSud ont estimé que l'incendie d'un hectare de forêt méditerranéenne dégageait 46 tonnes de CO2. Or, pendant la reconstitution de cette forêt, ce sont entre 80 à 100 tonnes de CO2 qui ne sont pas stockées. Cet été, 7 000 hectares ont brûlé en quatre jours, soit environ l'équivalent des émissions dégagées par la circulation dans l'agglomération marseillaise pendant un an et demi. Au niveau du pourtour méditerranéen, toutefois, ce ne sont pas 7 000 hectares qui ont brûlé, mais 220 000 hectares. Il est donc important d'agir au niveau de l'Union européenne pour que soit constituée une force aérienne d'intervention qui pourrait venir en appui des forces nationales, d'autant que nos canadairs ont aussi été utilisés, pendant l'été 2021, en Grèce comme en Algérie et en Espagne. De plus, sans être dans un état critique, force est de reconnaître que la maintenance de nos avions devient difficile et que les lignes de production de canadairs sont arrêtées et ne pourraient être réactivées que si un marché important est lancé. Je pense que l'Europe a un rôle à jouer.
M. Jean-Michel Houllegatte. - Vous n'avez pas répondu à la question posée par le président Longeot dans son introduction lorsqu'il vous interrogeait sur la création d'un nouveau marché carbone en 2026 pour le transport routier et le chauffage des bâtiments, proposition qui soulève aussi des interrogations de la part des ONG et même de certaines personnalités politiques. Pascal Canfin, député européen, pointait en effet lui-même que le gain pour le climat serait très faible pour un coût politique certainement très élevé. Certes, des mécanismes de compensation vont être mis en place, mais quels sont selon vous les critères d'une transition juste ? La transition juste touche à la fois des territoires, qui peuvent être touchés par des mutations comme ceux qui accueillent les centrales à charbon, mais aussi les populations, et souvent les plus fragiles. Aussi que pensez-vous du Fonds social pour le climat ? Comment faudra-t-il l'activer et l'alimenter ? Comment est-il possible de dépasser ce paradoxe qui fait que les mécanismes de redistribution sont plutôt situés au niveau des États membres tandis que les décisions sont prises au niveau de l'Union européenne ? Comment favoriser une bonne articulation entre ces mécanismes ?
M. Éric Gold. - La France affiche certaines ambitions de réduction dans l'utilisation des produits phytosanitaires. Le Président de la République a d'ailleurs affirmé vouloir une sortie accélérée des pesticides dans le cadre de la présidence française. Il fait référence notamment à la directive européenne sur l'utilisation durable des pesticides qui prévoit que les États membres adoptent des plans d'action nationaux pour fixer leur objectif quantitatif, leur cible, leurs mesures et le calendrier. Ce sujet est bien sûr source de tensions dans le secteur agricole ainsi que chez les producteurs de produits phytosanitaires qui comprennent mal que la France puisse interdire seule la production sur son territoire quand les produits sont facilement disponibles de l'autre côté de nos frontières. Comment analysez-vous la position de la France à ce sujet ? Sous quel angle la France pourrait-elle porter cette question comme une priorité avec des chances de réelles avancées ?
M. Jean-François Longeot, président. - Je vous invite à répondre à cette première salve de questions.
M. Nicolas Berghmans. - Le paquet « Fit for 55 » propose une modification sur les puits de carbone dont font partie les forêts. Jusqu'à maintenant, les États membres devaient maintenir leur niveau de carbone séquestré dans leurs puits naturels alors que le paquet « Fit for 55 » les engagera à séquestrer une quantité supérieure. D'ici 2030, 2,2 % de la réduction des émissions de gaz à effet de serre de 55 % devront être portés par les puits de carbone naturels. Cette ambition soulève des questions, tout d'abord celle de la répartition de l'effort pour parvenir à cet objectif. Certains États membres sont inquiets, en particulier ceux de l'est et du sud de l'Europe alors qu'ils voient se multiplier les incendies. Cependant, la présidence française de l'Union européenne pourra aussi jouer le rôle de mettre sur le devant de la scène de nouveaux sujets pour inspirer ensuite des législations et réglementations, mais aussi inciter à la mise à disposition de moyens, notamment pour la protection des forêts. Dans ce domaine, la Commission européenne a déjà commencé à travailler sur un mécanisme incitatif visant à renforcer la séquestration carbone dans les puits carbone naturels. À cette fin, nous pourrions imaginer réutiliser les revenus issus des mécanismes existants pour inciter à la séquestration carbone dans des puits naturels. Cependant, un objectif ambitieux a été posé et il faut s'interroger sur les moyens de l'atteindre.
Concernant le mécanisme ETS, lors de sa deuxième phase, une crainte importante était l'incapacité du marché à donner un prix suffisant au carbone. En effet, le prix de la tonne de CO2 a longtemps été bas avant d'atteindre un prix de 80 euros la tonne, aujourd'hui. Ce prix à la tonne correspond à un équivalent de 25 ou 30 centimes sur le litre de carburant en cas d'extension du marché au transport. Face à cela, la question de la redistribution se pose. Ce que propose l'Europe, c'est d'utiliser une partie des recettes du mécanisme pour que les États les redistribuent à leur guise. Les États pourront alors redistribuer cet argent directement à leur population ou financer des actions de plus long terme. À mon avis, c'est cette dernière option qu'il faut favoriser, notamment pour financer la rénovation énergétique qui est une solution de long terme pour lutter contre la variation des prix de l'énergie. Ces revenus peuvent aussi servir à financer l'électrification des transports, pas nécessairement en accordant une aide pour chaque achat, mais en soutenant un mécanisme de prêt dès lors que l'accès au crédit pour l'achat d'un véhicule automobile électrique est le premier frein à l'équipement. Par ailleurs, le Fonds social climat doit entrer en vigueur en 2025, avec le marché carbone, alors qu'il faut encourager dès maintenant la rénovation énergétique comme l'évolution du parc automobile sachant que ces deux mutations s'inscrivent sur un temps long. Une option serait peut-être alors d'avancer certains financements en puisant dans les recettes générées par le marché carbone existant qui offre des moyens compte tenu de la hausse du prix de la tonne de carbone.
Lors de sa présidence, la France peut aussi impulser une réflexion sur l'après-Plan de relance européen. En effet, faut-il relancer un deuxième endettement européen en commun ? Faut-il exclure les dépenses climat du calcul des déficits publics ? La France dans le cadre de sa présidence pourrait se saisir de toutes ces questions pour envisager les voies et moyens d'investir après la fin du plan de relance en 2023.
M. Phuc Vinh Nguyen. - Le Fonds social pour le climat a vocation à entrer en vigueur en 2025, soit un an avant la possible extension du nouveau marché carbone européen, ce qui permet de dire que la Commission européenne a cerné le potentiel abrasif de cette extension puisqu'elle tente de limiter l'impact d'une éventuelle hausse des prix sur les consommateurs. Nous pensons qu'il faut adopter le Fonds social pour le climat le plus rapidement possible, et ce même si nous venions à abandonner l'idée d'une extension du second marché carbone, car les recettes de l'actuel marché carbone européen sont beaucoup plus importantes, grâce notamment à l'ambition déployée dans le Green Deal, ce qui doit permettre de financer une partie du Fonds social pour le climat et d'utiliser ces recettes pour financer des politiques ambitieuses et adaptées aux besoins de chaque État membre. En effet, ce n'est pas la Commission européenne qui dictera à chaque État membre quoi faire, mais chaque État pourra prendre ses propres décisions en fonction de sa situation propre. Par exemple, la Suède qui est très peu concernée par la pauvreté énergétique car les bâtiments y sont très bien isolés pourrait utiliser ces fonds pour investir sur les interconnexions permettant d'exporter son électricité. Chaque État membre devra être libre dans sa manière de redistribuer ces sommes dans une logique de compensation sociale.
La communication de la Commission européenne du 14 décembre 2021 à destination des États membres les invite aussi à apporter une réponse sur le front social dans la perspective du Conseil européen de mars 2022. Cette communication aborde le thème de la transition juste et souligne que de nouveaux dispositifs de formation devront être mis en place au bénéfice des travailleurs des industries polluantes dont les métiers vont être supprimés ou réduits en nombre, comme l'industrie automobile qui va perdre une partie de ses emplois. Dans le cadre de la présidence française de l'Union européenne, la France aura un rôle à jouer pour que les conclusions du Conseil européen de mars soient ambitieuses sur le plan social et que la transition juste ne soit pas un voeu pieux, mais une réalité.
Vous avez aussi évoqué les propos de Pascal Canfin sur la possible extension du mécanisme, mais les discussions en cours n'aboutiront pas avant juillet au sein du Parlement européen. Ce calendrier permettra peut-être à la position française d'être prise en compte, mais les trilogues n'interviendront pas avant septembre. Il faut rappeler aussi qu'il existe un trio de présidences, qui suppose que la France travaille de concert avec les Tchèques, puis avec les Suédois, et c'est en cela que la Présidence française de l'Union européenne ne se limite pas à six mois. Elle se poursuivra aussi dans la manière dont nous pourrons accompagner nos partenaires. Alors que la présidence française sera marquée par des élections nationales importantes, il faudra aussi s'appuyer sur l'administration et les hauts fonctionnaires pour assurer une continuité ainsi que sur le Sénat qui pourra être le garant d'un suivi de la présidence française de l'Union européenne.
Mme Pascale Joannin. - La forêt représente environ 43 % de la superficie de l'Union européenne, mais, aujourd'hui, seuls sept États ont une politique forestière compatible avec les engagements pris par l'Europe. Il existe en revanche un mécanisme de sécurité civile au niveau européen et une solidarité qui se met en place lorsque des États membres connaissent des cataclysmes. Il faudra peut-être renforcer ce mécanisme et densifier le corps de sécurité civile d'autant plus que, comme l'a souligné le sénateur Bacci, nos canadairs quasiment en fin de vie devront être remplacés.
La transformation de l'économie par le numérique et par l'écologie doit être acceptée par le plus grand nombre et le Fonds social européen pour le climat doit s'assurer que des populations ne soient pas les laissées pour compte de la transition et deviennent ainsi de fervents opposants aux transformations. Au contraire, ces mutations doivent être partagées et non imposées.
Je souhaiterais répondre aussi à la question posée sur l'utilisation des produits phytosanitaires, car il s'agit là d'une vraie compétence de l'Union européenne. Il a été fait référence à une directive en vigueur, la directive Sud. Il convient de faire en sorte que l'agriculture soit la plus verte possible par l'intermédiaire notamment de la nouvelle politique agricole commune (PAC). Ces réformes vont dans le bon sens, mais nous devons discuter avec nos partenaires européens, car les questions agricoles figurent parmi les questions les plus sensibles et les agriculteurs ne doivent pas se sentir lésés, car on leur imposerait des règles qui ne seraient pas celles des Américains ou des Chinois. En effet, la non-utilisation des produits phytosanitaires ne doit pas conduire à fausser la concurrence ni à offrir les marchés à d'autres pays, alors même que l'agriculture européenne est exportatrice dans des pays qui luttent contre la malnutrition. C'est ce point qui m'amène à dire que l'orientation prise dans le domaine des produits phytosanitaires est vertueuse, mais tout en prenant garde à ses répercussions.
M. Jean-François Longeot, président. - Cette précision est en effet importante.
Mme Marta de Cidrac. - La France a fait de l'ajustement carbone aux frontières une priorité de sa présidence. C'est un changement significatif en Europe et une véritable avancée diplomatique. Cependant, trouver un accord sur le sujet en six mois paraît très ambitieux, a fortiori avec nos échéances électorales nationales. En réalité, ces six mois d'action seront raccourcis. De plus, certains États européens souhaiteraient revoir ces ambitions à la baisse et nous ne pouvons pas dire qu'il existe un consensus autour de ces avancées.
L'un des points d'achoppement au Parlement comme au Conseil concerne la fin des quotas gratuits, corollaire à l'introduction de l'ajustement carbone aux frontières afin de rester conforme aux règles de l'OMC. La France, comme d'autres pays, plaide pour une extinction progressive jusqu'en 2030, mais tous les acteurs ne sont pas sur la même ligne. Est-il réaliste de penser qu'un accord sera trouvé sur l'ajustement carbone aux frontières lors de la présidence française ? Précipiter les négociations ne conduira-t-il pas à un accord a minima et donc à de très nombreux « trous dans la raquette » ? Quel est l'état des positions et des négociations sur la fin des quotas gratuits au Conseil et au Parlement ?
M. Gilbert-Luc Devinaz. - La volonté de produire de l'énergie décarbonée a remis sur le devant de la scène l'énergie nucléaire. Si les centrales nucléaires produisent de l'énergie décarbonée, elles ont des conséquences sur l'environnement, avec le réchauffement des cours d'eau et la question du traitement des déchets nucléaires. Aussi comment remettre la question de la biodiversité au coeur de l'accord vert européen qui est aujourd'hui très climatico-centré ?
Alors que nous arrivons en France à la fin d'un quinquennat, je souhaiterais aussi pouvoir profiter de votre éclairage pour mesurer l'écart entre déclaration et action. Selon vous, le Président de la République fait-il partie des dirigeants qui ont freiné l'ambition de l'accord vert européen ou a-t-il été l'un des moteurs de la transition écologique en Europe ?
M. Joël Bigot. - Vous annoncez que la présidence française arrive à un moment clé pour décarboner notre économie, mais aussi qu'il faut privilégier une logique d'ensemble et embarquer tous les Européens. Après la crise des « Gilets jaunes », la France est consciente que l'enjeu climatique ne peut pas ignorer l'enjeu social. La lutte contre le réchauffement climatique ne peut donc s'envisager sans prendre en compte la précarité des ménages, comme vous l'avez rappelé concernant la mobilité et la rénovation énergétique des logements. Quelles sont, selon vous, les pistes que la France doit faire valoir pour une ambition écologique articulée à la lutte contre les inégalités ?
Monsieur Nguyen a aussi indiqué plus tôt qu'il faudrait peut-être envisager une réglementation plus forte. Le règlement européen établissant le cadre requis pour parvenir à la neutralité climatique du 30 juin 2021 édicte vouloir atteindre « de manière juste, socialement équilibrée, équitable et efficace en termes de coûts l'objectif de température à long terme fixé par l'Accord de Paris ». La formule est à mon sens trop floue et ne garantit pas une prise en compte optimale de l'enjeu social. Pour vous, quelles sont les garanties qu'il faut accoler à ces déclarations ? Pensez-vous que des mesures contraignantes peuvent être adoptées ? Je rappelle que le haut conseil a plaidé pour que soit réalisé un suivi des engagements internationaux afin de mieux orienter les investissements et offrir une visibilité aux acteurs. Comment passer de l'incitation à une réglementation plus forte sur la base d'un cahier des charges permettant de mesurer l'état des lieux ?
M. Guillaume Chevrollier. - Le Pacte vert a pour ambition d'opérer une transformation de l'économie européenne et de permettre une réindustrialisation de l'Europe, et en particulier de la France. Pour cela, vous dites que la France doit nouer des alliances, cependant qu'en est-il de l'alliance entre la France et l'Allemagne ? Comment pourrons-nous trouver des convergences sur la politique énergétique, et notamment sur la taxonomie ?
Dans le domaine de l'agriculture, le Pacte vert prévoit une initiative dite « de la ferme à la table », mais cette ambition ne s'est pas accompagnée d'une étude d'impact sur les conséquences de ces orientations sur l'agriculture européenne, ce qui soulève des inquiétudes notamment chez les agriculteurs français. Il avait notamment été évoqué une baisse de 10 % de la production agricole européenne. Avez-vous des informations à ce sujet ?
Par ailleurs, quel impact aura, selon vous, l'élection présidentielle en France pendant la Présidence française du Conseil de l'Union européenne ?
M. Jean-Yves Leconte. - Est-il raisonnable d'envisager la rénovation thermique sans mettre en place parallèlement un marché carbone pour le bâtiment ?
Les outils pour réduire les émissions de gaz à effet de serre de 55 % et au-delà sont d'agir sur les coûts, notamment via le marché carbone, et de créer de la norme. Ce sont des compétences européennes, mais les États membres souhaitent garder la main sur les compensations sociales, c'est-à-dire que nous avons des politiques européennes pour atteindre des objectifs tandis que les compensations restent nationales. Est-il raisonnable de poursuivre dans ce schéma déséquilibré ? Au contraire, faut-il envisager des politiques de compensation plus européennes ?
Lors des auditions que nous organisons avec Marta de Cidrac, nous nous sommes rendu compte que beaucoup d'acteurs considéraient que l'ensemble des propositions est un bloc interdépendant sans possibilité de négocier de manière isolée. Cependant, pourrons-nous réellement avancer si nous considérons que le tout forme un bloc que l'on ne peut pas dissocier ?
M. Nicolas Berghmans. - Sans dire qu'il faut tout traiter d'un bloc, je pense qu'il fait sens de regarder ensemble quelques mesures. Par exemple, le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, la réforme du marché carbone et l'extension à de nouveaux secteurs forment sans doute un ensemble à étudier conjointement, ne serait-ce que parce que les paramètres sont liés entre eux. En effet, la fin des allocations gratuites doit aller de pair avec l'entrée en vigueur du mécanisme d'ajustement carbone.
Cependant, peut-être des choix sont-ils à effectuer pour faire avancer certains dossiers quitte à traiter les autres dans une autre temporalité. Pour autant, les 12 dossiers présentés en juillet dernier, puis ceux présentés en décembre, devront être passés en revue.
Concernant la rénovation énergétique, vous avez raison : pour investir dans la rénovation énergétique, il faut un signal prix. Ce signal existe déjà puisqu'il existe des taxations sur l'énergie, mais la question est de savoir s'il faut inclure l'habitat dans le marché carbone et ainsi renchérir le prix payé par le consommateur final. Un équilibre est à trouver : on ne peut pas faire simplement de la réglementation ou simplement de la tarification carbone, mais viser une combinaison des instruments.
En outre, il faudra aussi placer l'effort pour orienter en priorité les actions vers la rénovation des passoires thermiques et vers l'aide aux ménages les plus modestes. C'est une politique que l'Europe essaie de mener depuis longtemps, mais il n'en demeure pas moins vrai que 7 millions de logements restent des passoires thermiques en France, même si ce nombre est une estimation. Bien évidemment, la rénovation thermique des bâtiments prend du temps. De plus, l'objectif est que ces logements ne puissent plus être loués sur le long terme. Aussi, si le signal prix n'est pas suffisant et n'incite pas les citoyens à mener des travaux de rénovation, alors il faudra peut-être renforcer les moyens alloués à la rénovation énergétique via les revenus carbone ou d'autres ressources. C'est une vraie question de politique publique qui se pose à l'échelle des États membres.
J'ajouterai aussi quelques mots sur l'alliance franco-allemande. La question de la part du nucléaire dans la production d'électricité est certes en débat entre les partenaires. À mon sens, ce qui est proposé par la Commission européenne est une recherche de compromis entre les points de vue français et allemand. Je regrette pour ma part l'inclusion du gaz dans la taxonomie, car nous savons que le gaz naturel est un moyen de produire de l'électricité qui émet à long terme des gaz à effet de serre. Toutefois, il faut relativiser le poids de la taxonomie, car celle-ci vise à orienter les investissements vers des fonds durables, mais elle ne guidera qu'une partie des financements. Que la taxonomie inclue le nucléaire et le gaz ou non n'empêchera pas certains pays d'investir dans le nucléaire ou le gaz. Ce qui importera en revanche, ce sont les règlements, le niveau du prix carbone, la réforme du marché carbone, mesures qui auront des impacts directs sur la production d'électricité et sur les productions industrielles. Ces éléments seront ceux qui seront cruciaux pour la décarbonation de l'économie européenne.
Concernant la fin des quotas gratuits, une position a été prise au niveau du Parlement européen à la suite du rapport d'initiative qui défend le maintien des allocations gratuites. À mon sens, cette position est problématique, car elle mettrait le système en porte à faux par rapport aux règles de l'OMC avec un cumul entre les allocations gratuites et un prix payé par les importateurs, c'est-à-dire la mise en place d'une double mesure pour lutter contre les fuites de carbone. J'espère que cette position sera revue. Hormis quelques pays à l'est de l'Europe, je n'ai pas entendu beaucoup d'États membres soutenir fortement le maintien des allocations gratuites. C'est aussi la position française qui a été très claire dès le début et qui a joué un rôle important en proposant le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières. C'est un sujet dont il faudra suivre l'évolution des discussions au niveau du Parlement européen et qui doit inviter le Conseil de l'Union européenne à tenir sur cette question pour ne pas ajouter de difficultés, car il faudra bien réduire les allocations gratuites en parallèle de la mise en place du mécanisme.
M. Phuc Vinh Nguyen. - Vous nous interpellez sur le fait que la compensation reste au niveau national et non européen, mais il est difficile pour la Commission européenne, notamment pour des questions de moyens humains, mais aussi pour des questions d'acceptabilité, de prendre en compte toutes les considérations nationales. Les États membres veulent aussi garder la main sur ces questions. À terme, devrons-nous viser une plus forte intégration sur ces questions ? Je pense que la question pourra se poser lorsque nous aurons un retour sur les politiques mises en place. À mon avis, une telle mesure sera difficile avant 2030.
Concernant les conséquences des élections présidentielles, je rappelle que le code électoral dispose que les ministres devront respecter un devoir de réserve à partir de la fin du mois de mars. La représentation permanente de la France à Bruxelles devra prendre le relais dans les négociations. À partir de là, nous n'aurons plus de figures médiatiques pour incarner la présidence française, mais le travail de fond se poursuivra. De plus, il faut rappeler que la précédente présidence française de l'Union européenne avait déjà eu à traiter d'un paquet climat, c'est-à-dire que la France dispose d'ores et déjà d'une expérience sur ces questions. Par conséquent, même si le pilotage ne sera plus aussi visible, la haute administration et les fonctionnaires resteront aux manettes.
Sur la taxonomie, je partage le point de vue exprimé par Nicolas Berghmans. La taxonomie suscite aujourd'hui le débat, car elle confronte deux modèles de mix de production électrique. Cependant, la taxonomie est une « goutte d'eau » dans la lutte contre le changement climatique. Si le nucléaire avait été exclu de la taxonomie, les États membres auraient quand même eu la possibilité d'investir dans le nucléaire. La taxonomie va donc potentiellement faciliter ces investissements, mais elle n'est en rien un blanc-seing et chaque État membre restera maître de son mix électrique en vertu des dispositions des traités.
Une question a également été posée sur le suivi des mesures. À ce sujet, je rappelle que la loi Climat européenne propose la mise en place de l'équivalent d'un Haut conseil pour le climat au niveau européen. Cette instance permettra un meilleur suivi des réglementations. Le modèle qui pourrait être utilisé comme source d'inspiration est le modèle mis en place au Royaume-Uni où le Haut conseil, créé il y a une dizaine d'années, dispose de fonds et peut contrôler l'impact environnemental des législations. En France, le Haut conseil pour le climat est de création beaucoup plus récente. L'initiative prise au niveau européen peut être jugée pertinente, car elle permettra de faire remonter l'ensemble des préconisations nationales des États membres et d'émettre des recommandations au travers d'un comité d'experts désignés pour quatre ans. Ces recommandations pourront être reprises par le Parlement européen. C'est donc un garde-fou sur le contrôle démocratique et la bonne prise en compte de la dimension environnementale dans toutes les futures réglementations.
Vous nous interpellez aussi sur la manière dont nous pouvons juger de l'action du Président de la République sur ces questions. De manière impartiale et apolitique, je commencerai par souligner les avancées qui sont faites sur ces questions. Est-ce que toutes ces avancées sont imputables au président Macron ? Non. Est-ce qu'une partie peut être mise à son crédit ? Certainement. L'emprunt européen en réponse à la crise sanitaire a notamment permis d'esquisser une plus grande intégration européenne. Par ailleurs, l'objectif de réduction de 55 % a été poussé par Emmanuel Macron pour avancer une position pour la COP 26. Au niveau national, en revanche, nous pouvons relever que l'ambition européenne n'a pas été reprise dans la loi issue des travaux de la convention citoyenne pour le climat, ce qui est dommageable. Nous pouvons espérer que le futur président ou la future présidente de la République retiendra cet objectif de réduction de 55 %, ramené en France entre 43 et 50 % selon les modélisations actuelles, pour lancer diverses mesures.
Enfin, je pense qu'il est raisonnable de viser un accord sur le mécanisme d'ajustement carbone pendant la présidence française de l'Union européenne, mais cet accord pourrait être accolé de certains astérisques. En fait, ce mécanisme d'ajustement est intimement lié à la réforme du marché carbone européen. Nous pourrions donc viser un wording, c'est-à-dire des conclusions d'ensemble, qui permette d'esquisser un accord modulo certaines questions plus épineuses qui pourraient être tranchées dans le cadre de négociations ultérieures sur le marché carbone européen puisque ces négociations seront plus longues notamment, car plusieurs États membres y émettent des réserves. Pour autant, un accord semble accessible d'autant que la France qui affiche cette ambition depuis longtemps a préparé le terrain en commençant les négociations en amont et a annoncé vouloir faire de ce mécanisme d'ajustement - appelé taxe carbone à tort - son ambition. Il ne serait donc pas incongru de voir émerger un accord sur ces questions.
Mme Pascale Joannin. - Le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières fait partie des négociations importantes pour l'Union européenne, car les revenus tirés de ce mécanisme doivent à terme constituer une nouvelle source de ressources pour l'Union européenne et ainsi affaiblir le poids des contributions nationales au budget européen. Il apparaît donc important de trouver une solution, mais je ne suis pas certaine que nous puissions parvenir à un accord pendant la présidence française. Cela étant dit, il existe manifestement une volonté politique du côté du Président de la République française qui est le plus européen de tous les dirigeants.
Concernant nos alliances, nous n'aurons pas d'autres choix que de nous entendre avec nos amis allemands. Ce n'est pas sur le climat que nos antagonismes sont les plus forts ; les discussions pourraient être plus vives sur d'autres dossiers comme ceux portant sur la stratégie de défense ou l'économie et les règles budgétaires. Toutefois, le nouveau chancelier allemand Olaf Scholz a réalisé son premier voyage en France ainsi que la ministre des affaires étrangères, qui avait initialement envisagé d'autres destinations. Ce symbole démontre que le couple franco-allemand reste déterminant. Si l'on souhaite une position commune du Conseil face au Parlement européen, il faut que la France et l'Allemagne soient dans le même camp, sinon aucun accord ne sera possible.
En France, des élections législatives suivront les élections présidentielles de 2022. Il a cependant été fait le choix de ne pas modifier le calendrier de la présidence tournante après le Brexit, alors qu'il était possible de l'amender. La présence des Français sera donc intense jusqu'au 25 mars 2022 avant les élections du mois d'avril. Cependant, il faut rappeler que la France n'est pas le seul État concerné par des élections. La Hongrie, le Portugal, mais aussi d'autres pays organiseront des élections au premier semestre et les discussions pourront en être plus difficiles à planifier. Ce calendrier électoral entraînera des pauses liées aux élections ou à la formation des gouvernements. Je rappelle ici que les Néerlandais ont mis neuf mois à former leur gouvernement.
Une question a été posée plus tôt sur l'impact des orientations prises en matière agricole. Une étude des services de la Commission européenne montre que l'application de la réglementation européenne impacterait très fortement les producteurs céréaliers, notamment de blé. Je pourrai faire suivre cette étude à la commission, le si vous le souhaitez. Bien entendu tous les céréaliers sont montés au créneau pour dire que ce n'était pas acceptable. L'Europe existe depuis 71 ans et constitue un modèle qui fonctionne, mais ce modèle exige un travail constant puisqu'il faut travailler avec les 26 autres États membres qui ont d'autres particularités et d'autres besoins.
Je souhaite aussi rappeler, concernant la concomitance de la présidence française du Conseil et les élections, que la présidence française de 1995 s'était tenue lors d'une alternance électorale de même nature sans empêcher sa bonne tenue.
Enfin, concernant la taxonomie, il me semble heureux que le nucléaire y soit intégré. Ce n'est peut-être pas si important, mais l'exclure aurait obéré beaucoup de choses. La France n'a pas été la seule à pousser cette décision, mais 14 autres pays ont signé une tribune en ce sens. Le premier EPR qui verra le jour en Europe est situé en Finlande. Des centrales nucléaires sont installées à la frontière slovène et croate. Pour ne pas être tributaires du gaz russe ou d'Asie centrale, beaucoup de pays préfèrent disposer d'une autonomie énergétique avec le nucléaire. Cette question est plus large que la question environnementale, car elle pose la question de l'autonomie stratégique, géopolitique et géoéconomique. Elle pose aussi la question de la place de l'Europe dans le monde face à des partenaires chinois et américains qui proposent d'autres modèles. La question posée est de savoir ce que nous devons faire pour que le modèle qui est le nôtre, dans toutes ses dimensions, puisse être valorisé pour que les citoyens européens soient fiers. Rappelons en effet que le triptyque de la présidence française repose sur ces trois mots : relance, puissance et appartenance.
Mme Angèle Préville. - Il est annoncé que le marché carbone européen générera de belles ressources propres. Cependant, qui établit ces principes, si ce n'est des experts économiques ? Pourquoi ne pas prendre en compte la dimension sociale dès la conception du dispositif ? En procédant de la sorte, il nous est demandé de tenir compte après coup de l'acceptabilité, de la redistribution sociale, alors que nous devrions le faire à la base. De plus, lorsque la redistribution intervient dans un second temps, elle n'est jamais complètement opérante compte tenu du non-recours aux droits. Cette mécanique risque finalement d'accroître les inégalités. En tout cas, c'est le cas en France où la pauvreté a progressé ainsi que la précarité énergétique qui est une réalité vécue par des millions de Français.
Concernant la taxonomie, j'ajouterai que le gaz n'est pas une énergie verte et ne le sera jamais, car il est émetteur de gaz à effet de serre. Cette question renvoie aussi à la définition d'une « énergie verte » : est-ce une énergie qui ne pollue pas l'environnement ? Auquel cas, l'énergie nucléaire pose la question de la gestion des déchets issus du cycle nucléaire sur des milliers d'années.
M. Rémy Pointereau. - Que pense Madame Joannin de ces entreprises hollandaises ou allemandes qui viennent solliciter des agriculteurs français ayant des terres à faible potentiel céréalier pour leur proposer de louer leurs terres pour du reboisement pour des sommes allant de 1 000 à 2 000 euros l'hectare ? Ces propositions vont à l'encontre de la préservation des terres agricoles. Certains agriculteurs indiquent qu'ils sont intéressés par ces propositions, mais ces reconversions se feront aussi au détriment de notre autonomie alimentaire. Certes, ces opérations concernent des terres à faible potentiel, mais elles gardent quand même un intérêt économique.
M. Jean-François Longeot, président. - Ces approches ne sont pas uniquement du fait des pays membres de l'Union européenne, mais également d'entreprises chinoises qui approchent les agriculteurs français.
M. Ronan Dantec. - Comment les Chinois et les Américains vont-ils se positionner face au mécanisme d'ajustement carbone aux frontières ? Rappelons-nous que, sur l'ETS Aviation, la mobilisation des Chinois avait été très forte.
Le Pacte vert aborde-t-il la question des marchés publics qui sont totalement encadrés par la législation européenne et qui sont un outil très puissant de transition, notamment les marchés publics passés par les collectivités ? Ces marchés publics sont-ils inclus dans l'agenda européen ?
Mme Pascale Joannin. - La France défend mieux son agriculture que nos partenaires néerlandais ou allemands, par exemple, et nous devons veiller à ce que notre choix d'une agriculture forte et exportatrice ne soit pas entravé par les pays qui soldent leur agriculture. Je suis disposée à vous rencontrer pour regarder ce dossier.
Comme je l'ai indiqué plus tôt, nous devrons avoir une position commune pour échanger avec nos partenaires extérieurs. Nous pourrons défendre les intérêts qui sont les nôtres et obtenir une réciprocité de nos interlocuteurs. Ce sera « donnant donnant ». La négociation devra être équilibrée et prendra peut-être du temps, mais elle est à portée de main, car nous avons déjà obtenu des avancées dans le passé. Les Chinois revendiquent d'être la première puissance du monde en 2049 selon leur modèle. De plus, leur calendrier n'est pas le nôtre sur la neutralité carbone. Il faudra donc être vigilant et ne pas être naïf pour garantir que nous ne serons pas les seuls à faire des efforts.
M. Phuc Vinh Nguyen. - Il me semble nécessaire d'éviter de dire que l'on va créer de nouvelles ressources propres pour rembourser la dette covid, ce qui reviendrait à taxer à cette fin les consommateurs européens. La création éventuelle de ressources propres doit permettre de favoriser la transition énergétique.
Beaucoup d'ONG, d'associations de consommateurs et certains industriels étaient opposés au marché carbone européen, mais la Commission européenne a néanmoins pris la décision d'emprunter cette voie et c'est ici qu'est intervenue la création du Fonds social pour le climat. Cette genèse montre que la Commission ne prend pas en compte ces questions de manière systémique, mais qu'elle est néanmoins à l'écoute. De plus, la présidence de la France peut être l'occasion de mettre au coeur la question sociale.
Concernant la pauvreté énergétique, la crise des prix des énergies fossiles, et notamment du gaz, a des conséquences importantes sur les factures payées par les ménages, mais cette crise ne peut pas être résolue dans l'immédiat au niveau européen. Ce sont les États membres qui disposent des moyens pour atténuer les effets de cette hausse. En France, le gel des tarifs réglementés de ventes (TRV) poursuit cet objectif ainsi que la distribution du chèque inflation. Certains pays comme la Grèce subventionnent les premiers kilowattheures d'électricité, d'autres comme l'Italie suppriment certaines taxes. L'Union européenne n'a pas la compétence pour agir directement, mais le Pacte vert est le moyen de résoudre cette crise sur le moyen terme parce que, en développant massivement les énergies renouvelables, en accélérant la rénovation des bâtiments, en proposant des moyens de transport alternatifs, nous pourrons sortir de cette dépendance aux énergies fossiles.
S'agissant enfin du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, les États-Unis et la Chine ne seront pas les seuls pays à prendre en compte, mais il faudra regarder aussi du côté des principaux exportateurs des produits et services - aluminium, fer, électricité, engrais, ciment - concernés par le mécanisme. Par exemple, l'acier peut être importé de Turquie, d'Ukraine ou de Russie. Ce sont donc bien tous nos partenaires internationaux avec lesquels il faudra discuter.
M. Nicolas Berghmans. - Certes, il ne faut pas regarder uniquement vers les États-Unis et la Chine, car la Chine, ou d'autres États, pourront former des alliances avec des États qui nous sont proches, d'où l'intérêt de parler avec des pays en développement et avec nos voisins. Nous pensons ici naturellement à la Turquie ou à la Russie.
Par ailleurs, le mécanisme d'ajustement carbone prévoit des exemptions pour les pays qui mettent en place des mesures équivalentes. Aujourd'hui, les seules mesures équivalentes sont des mesures de tarification carbone. Or la Chine a déjà mis en place un marché carbone, ne couvrant pas tous les secteurs industriels visés par l'Europe, mais qui pourrait s'étendre à terme, et pourrait prétendre à être exemptée du mécanisme d'ajustement au prétexte qu'elle met en place une taxation carbone sur ses émissions industrielles au niveau domestique. Aux États-Unis, en revanche, il n'existe pas de mesures fédérales de tarification carbone, mais uniquement des mesures dans certains États. La situation politique est très bloquée et laisse peu d'espoir à l'avènement d'une telle tarification aux États-Unis sous l'administration Biden. Pour autant, les États-Unis, mais aussi le Canada ont fourni des signaux laissant entendre qu'ils seraient prêts à travailler sur un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières à plus long terme, ce qui suppose qu'ils arrivent à résoudre la question de la tarification carbone sur leurs territoires.
Les marchés publics constituent un levier intéressant, notamment pour faire émerger les matériaux bas carbone de rupture, puisque la commande publique peut permettre à certaines industries de franchir une étape. Je pense notamment à la production d'acier bas carbone ou de ciment bas carbone. Il est essentiel d'enclencher dès maintenant ces nouvelles technologies pour parvenir à la neutralité d'ici 2050 sachant que les cycles de l'industrie sont très longs. Il n'existe pas un agenda européen sur cette question de la commande publique, mais l'Europe ne fixerait pas de barrières à la possibilité de lancer des commandes publiques dédiées pour avantager les matériaux bas carbone. Dans ce domaine, certains pays avancent vite, en particulier l'Allemagne où l'accord de coalition affirme clairement que la commande publique sera le premier marché des investissements dans l'acier vert ou les cimenteries vertes. Au-delà des textes législatifs en discussion, il faudra favoriser un alignement européen sur les standards pour créer une dynamique et un marché unifié. En effet, si nous partons avec des standards différents, un blocage sera à attendre avec des pays et industriels qui défendront des modèles différents.
M. Olivier Jacquin. - Avec une présidence française de l'Union européenne pendant une élection de premier plan, le temps utile dont la France disposera sera de fait limité à deux ou trois mois.
Je souhaite également en écho aux propos du président revenir sur le sujet de dissertation proposé également aux étudiants de Sciences Po de Nancy et qui porte sur l'intérêt de s'inspirer de Robert Schuman plutôt que de Victor Hugo. Je trouve cette mise en perspective assez intéressante d'autant plus que la France apparaît souvent, vu de l'étranger, comme une donneuse de leçons.
M. Étienne Blanc. - Dans le grand enjeu de la décarbonation de l'économie, il me semble que la place du nucléaire est prépondérante, mais cette filière pose la question majeure du traitement des déchets. Le Centre européen de recherche nucléaire, situé en partie en Suisse, mais aussi en France, développe des technologies nouvelles, notamment autour du thorium et du refroidissement au plomb. Les Américains et les Russes considèrent que c'est une filière essentielle. Elle peut permettre notamment de produire des réacteurs nucléaires de petite dimension mieux adaptés à une couverture de l'ensemble du territoire. À l'occasion de la présidence française, des programmes de recherche spécifiques et des accompagnements seront-ils proposés autour de ces technologies nouvelles afin de relancer notamment une filière nucléaire française qui est aujourd'hui un peu en panne ? Au début de sa mandature, le Président de la République annonçait la fermeture de réacteurs nucléaires, mais il termine cette même mandature en annonçant qu'il va relancer une filière nucléaire, notamment sur de petites unités de production. Nous aimerions donc des éclaircissements et savoir si une stratégie européenne sera mise en place au service d'une dynamique nouvelle.
M. Phuc Vinh Nguyen. - Sur le nucléaire, nous pouvons imaginer au mieux qu'une coalition d'États membres se mette en place pour faire émerger un programme de recherche nucléaire, car nous n'arriverons jamais à un accord unanime des 27 États membres. La France envisage d'organiser en mars 2022 un sommet sur la finance durable, portant notamment sur le rôle qu'occupera le nucléaire dans l'économie de demain et dans la décarbonation de l'industrie. En revanche, nous ne devons pas nous attendre à une prise de position ou à un consensus quand on voit comment le dossier de la taxonomie a été repoussé de plus d'un an compte tenu des divergences entre les États membres.
Une autre remarque était relative à la qualité de la parole de la France lors de l'élection présidentielle. Nos partenaires européens sont déjà au fait d'une éventuelle instrumentalisation et le président du Conseil européen, Charles Michel, a indiqué qu'il serait vigilant pour éviter une instrumentalisation de la présidence française de l'Union européenne à des fins électorales. Nous pouvons aussi compter sur l'expérience des représentants français à Bruxelles pour tenter d'adoucir ou de tempérer une image qui est bien souvent jugée arrogante vis-à-vis de nos partenaires. Cette question renvoie aussi à celle de la promotion de la langue française au sein de l'Union européenne. À ce sujet, je précise que le Pacte vert européen a été publié le 14 juillet 2021 en anglais, mais la traduction française n'a été disponible que le 19 septembre. Le français comme langue officielle a donc encore du chemin à parcourir pour être reconnu comme l'équivalent de l'anglais. Un des axes de la présidence française de l'Union européenne sera peut-être aussi de relancer l'usage du français dans les institutions européennes.
En revanche, je ne me risquerai pas de disserter sur la question posée comparant une position « à la Schuman » ou une position « à la Victor Hugo ».
Mme Pascale Joannin. - Je souhaite ajouter quelques mots sur l'approche Schuman en ma qualité de directrice de la Fondation qui porte son nom. Sa méthode est celle des petits pas, des avancées concrètes, des solidarités de fait. Certes, ces progrès se font pas à pas, mais sans rupture. Cette méthode Schuman a peut-être été oubliée ces derniers temps par volonté d'aller vite et d'embarquer tout le monde. Cependant, l'Europe, depuis sa création, avance à petits pas et doit continuer à le faire sans exclure ni mettre de côté. Cette méthode mérite donc d'être davantage mise en application en 2022, car les pas concrets sont aussi un moyen d'emporter l'adhésion et de démontrer que l'Europe est utile. Nous fêterons d'ailleurs le 9 mai prochain le 72e anniversaire de sa déclaration fondatrice. Plus globalement, nous pouvons peut-être nous inspirer de cette méthode sur la question nucléaire. Il existe un important programme de recherche Horizon Europe développé dans le cadre pluriannuel et il n'est donc pas exclu que l'Europe soutienne la recherche.
M. Jean-François Longeot, président. - Au nom de la commission, je remercie nos invités pour la qualité de leurs réponses. Nous mesurons toute l'ampleur du travail qui est à réaliser et la volonté farouche qu'il faudra pour faire avancer ce Pacte vert. À l'aube d'une échéance électorale importante, la présidence française intervient à un moment crucial.
La réunion est close à 11 h 50.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Désignation de rapporteurs
M. Jean-François Longeot, président. - Nous devons à présent désigner un rapporteur sur les travaux préparatoires de la commission des affaires européennes à la proposition de résolution européenne sur le paquet « Climat », ainsi que je l'ai évoqué à l'ouverture de notre réunion. Cette proposition de résolution devrait être adoptée par la commission des affaires européennes à la fin du mois de février. D'ici là, notre commission, ainsi que celle des affaires économiques sur les champs relevant de sa compétence, seront étroitement associées à son élaboration. À cette fin, j'ai reçu les candidatures de M. Guillaume Chevrollier et de Mme Denise Saint-Pé.
Il n'y a pas d'opposition ?
Je vous propose donc de les désigner co-rapporteurs.
La réunion est close à 12 h.
La réunion est ouverte à 17 h 30.
Audition de Mme Barbara Pompili, ministre de la Transition écologique
M. Jean-François Longeot, président. - Madame la Ministre, je me réjouis que votre gouvernement fasse de l'environnement et du climat une priorité de la présidence française du Conseil de l'Union européenne (PFUE). Le « Pacte vert » européen doit connaître des avancées décisives au cours de l'année 2022. La France pourrait jouer un rôle moteur dans sa destinée.
À l'aube de cette PFUE, nous devons à tout prix respecter nos engagements climatiques pour maintenir en vie l'Accord de Paris. La réduction des émissions de gaz à effet de serre de 55 % en 2030 par rapport à 1990 est primordiale. Dans le même temps, si notre pays doit faire preuve d'ambition et d'innovation dans l'élaboration de ses propres politiques publiques, l'échelle européenne est sans doute la plus pertinente pour fixer un cadre et des règles qui ne pénalisent pas notre propre économie. L'ambition du « Pacte vert » est à cet égard essentielle pour que les pays européens avancent de concert, en conciliant préservation du climat et protection de la souveraineté économique.
Notre commission a formulé de nombreuses propositions ayant vocation à être portées et reprises à l'échelle européenne. Parmi celles-ci, je peux évoquer la fin de l'allocation progressive des quotas gratuits sur le marché carbone ETS, notamment pour le transport aérien, l'instauration d'un prix carbone aux frontières de l'Union européenne, la révision de la directive TVA, ou encore la mise en place d'un cadre de régulation environnementale du numérique, notamment par le renforcement des obligations d'écoconception.
Ces dernières années, le Gouvernement a rejeté certaines propositions sénatoriales au motif qu'elles étaient contraires au droit de l'Union européenne. Je pense par exemple à la fixation d'un prix plancher sur les billets d'avion ou à l'instauration d'un taux de TVA réduit sur les biens reconditionnés. L'heure est venue de porter au niveau européen les nombreuses propositions formulées par les parlementaires de l'ensemble des bords politiques, que nous vous rappellerons dans une résolution européenne que le Sénat devrait adopter le mois prochain.
Certaines initiatives dont le Sénat est à l'origine pourraient être transposées au niveau européen. L'esprit du règlement de lutte contre la déforestation importée est proche du dispositif dont nous avons inspiré l'inscription dans la loi « Climat et résilience », sur la proposition du rapporteur Pascal Martin. La Commission européenne a annoncé en décembre dernier envisager une définition ambitieuse de la compensation carbone, à l'instar du dispositif adopté dans la loi Climat à l'initiative de Philippe Tabarot. La Commission européenne s'intéresse également au déploiement du fonds de réparation, inscrit dans la loi AGEC sous l'impulsion de Marta de Cidrac.
Comment la France peut-elle faire fructifier ces initiatives et faire de sa présidence de l'Union européenne un moment d'impulsion décisif pour atteindre l'objectif de baisse de 55 % de ses émissions ?
Enfin, la COP26 s'est conclue récemment à Glasgow. Merci à vous et à l'ambassadeur Crouzat d'avoir consacré du temps à notre délégation transpartisane, qui y était présente. J'aimerais connaître votre appréciation du résultat des négociations. Comme l'a rappelé notre rapport paru le mois dernier, les inquiétudes restent fortes sur un certain nombre de sujets : la somme des contributions nationales est toujours largement insuffisante, tout comme les financements vers les pays du Sud. Par ailleurs, la France nous a semblé un peu en retrait, notamment concernant la fin des garanties publiques à l'export pour les énergies fossiles. Nous n'avons rejoint cet accord qu'en fin de COP. Comment expliquer ce contretemps qui nuit au leadership climatique de notre pays ?
Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique. - Tous mes voeux pour cette année qui, j'en suis sûre, sera pleine de beaux débats et de surprises. Je souhaite que nous puissions continuer à travailler comme nous le faisons depuis de nombreux mois, ensemble et dans une atmosphère extrêmement constructive. Celle-ci a permis, notamment par le biais de la loi « Climat et résilience », d'aboutir à un certain nombre d'avancées dont nos concitoyens nous remercieront à l'avenir.
Jean Monnet écrivait dans ses mémoires que l'Europe se ferait dans les crises, et qu'elle serait la somme des solutions apportées à celles-ci. Au début de cette PFUE, je crois que nous vivons un tel moment. Face à la crise climatique qui se fait chaque jour plus pressante, l'Europe est devenue le premier ensemble pluriétatique à se fixer un objectif de neutralité carbone en 2050. La France sera en première ligne pour concrétiser cette ambition en organisant les négociations sur les textes d'application de cette loi-cadre.
Cette présidence permettra aussi de participer au renouvellement du projet politique européen. Nous construisons une nouvelle compétitivité de notre économie, fondée sur la décarbonation et la performance environnementale. Nous renforçons notre souveraineté européenne et consolidons notre sentiment d'appartenir à un même projet, celui d'un nouveau modèle de développement reposant sur une autre approche de la croissance économique, sur de nouvelles règles commerciales et sur une nouvelle forme de coexistence entre l'Homme et la nature. Nous souhaitons profiter de la présidence française pour franchir un cap au profit d'une Europe plus verte et plus durable.
Notre action est marquée par une priorité essentielle, celle d'accélérer la décarbonation de nos économies et de nos sociétés pour nous mettre sur le chemin de la neutralité carbone. Pour ce faire, nous devrons procéder à une négociation rapide et soutenue des textes du « Fit for 55 », ou « ajustement à l'objectif de - 55 % ». Ils comprennent de nombreuses mesures ambitieuses, dont celle du marché carbone européen. L'ETS, outil le plus vaste et le plus ambitieux de cette nature au monde, couvre 45 % des émissions de gaz à effet de serre de l'Union. Il sera renforcé et étendu à de nouveaux secteurs. La France a dès le départ soutenu activement l'extension du marché carbone au secteur maritime, qui représente près de 3 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Nous serons toutefois attentifs à ce que cette transition soit soutenable et juste, notamment dans le cadre de la possible extension du marché carbone à d'autres secteurs, tels que le transport et le logement.
Nous aurons pour défi de concilier l'acceptabilité sociale et la solidarité avec l'ambition écologique du « Pacte vert », sans laisser personne de côté.
Réduire nos émissions de 55 % implique aussi de répartir cet effort collectivement et équitablement entre les États membres. C'est tout l'objet de la proposition de règlement dit ESR. Nous n'avons ni les mêmes points de départ ni les mêmes marges de progression. La somme de nos objectifs nationaux devra bien être égale à une réduction de 55 % des émissions du continent d'ici 2030. Ce sont des engagements fermes, dont les conséquences économiques sont très concrètes. Il s'agit donc d'une négociation à forte sensibilité politique, sur laquelle nous avons déjà progressé ces derniers mois. La PFUE devra être l'occasion d'aboutir à un compromis sur cette répartition.
Cette équité sur l'effort climatique devra également s'appliquer entre l'UE et le reste du monde. Nous défendons donc le volet extérieur du « Pacte vert » européen, indispensable pour garantir la pleine efficacité de notre action. Je pense avant tout à la création d'un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, priorité majeure de notre présidence. La France a été à l'origine de cette proposition. Nous le concevons comme la clé pour limiter le risque de fuite de carbone et encourager nos partenaires commerciaux à accélérer leur transition écologique. La France cherchera donc à aboutir rapidement à un accord sur ce mécanisme, le pendant du marché ETS pour nos importations. Nous voulons aussi travailler avec nos partenaires européens à la transformation de nos mobilités. Les moyens de transport, au coeur de notre économie, représentent un important levier de décarbonation. Ils sont le seul secteur dont les émissions n'ont pas diminué depuis 1990 dans l'Union. Cette dynamique doit impérativement être inversée.
La décarbonation de nos mobilités passera par plusieurs évolutions fondamentales : l'accélération du déploiement des véhicules faiblement émetteurs, notamment électriques ; le développement de carburants alternatifs et d'infrastructures de recharge pour tous les modes de transport, et le report modal, avant tout vers le rail.
Pour accompagner ces évolutions indispensables, nous souhaitons avancer sur plusieurs chantiers, dont la négociation du règlement AFIR sur les infrastructures de recharge, notamment sur le transport routier, de loin le plus émetteur. Il importe d'adopter rapidement des objectifs contraignants en la matière. Ensuite, nous devrons faire aboutir la négociation sur le règlement « Batteries », texte essentiel pour la décarbonation des transports, mais aussi dans une perspective d'économie circulaire, pour construire une nouvelle autonomie industrielle sur cette technologie stratégique. À l'échelle mondiale, la demande devrait au moins être multipliée par dix d'ici 2030, notamment sous l'effet de l'électrification du parc automobile. Nous devons donc renforcer le cadre réglementaire applicable sur l'ensemble de la chaîne de valeur pour limiter l'impact écologique des batteries que nous utilisons, en encadrant spécifiquement la gestion des déchets pour favoriser le réemploi des ressources rares. Sur ce texte très important, nous souhaitons finaliser les négociations au conseil d'ici mars.
En parallèle, je veillerai à la bonne avancée du volet énergétique du paquet législatif « Fit for 55 ». Ce sera l'occasion d'accélérer le déploiement de toutes les énergies renouvelables en renforçant les objectifs européens pour 2030. Nous soutenons dans l'ensemble la proposition de la Commission en la matière, notamment le relèvement à 40 % de l'objectif de la part d'énergies renouvelables dans les consommations d'énergie d'ici 2030. En parallèle, réduire efficacement notre consommation d'énergie est primordial si nous voulons baisser nos émissions de 55 %. Nous devons garder cette piste en tête, car il s'agit d'un angle mort des politiques françaises ou européennes. Moins nous aurons besoin d'énergie, moins il nous faudra en produire. La France fera de son mieux pour aboutir à un accord sur la directive relative à l'efficacité énergétique.
Ensuite, on sous-estime l'importance des puits de carbone en Europe. Ils peuvent pourtant contribuer significativement à l'atteinte de notre objectif de neutralité carbone. Cela implique une action résolue pour mieux prendre en compte les enjeux de la forêt et du bois dans l'équation générale. La mobilisation de ces solutions pour contrer le changement climatique sera ainsi une priorité de négociation pour la France. Pour autant, le « Pacte vert » ne se limite pas à la lutte contre le réchauffement climatique. La transformation de notre économie et de notre société passe également par des efforts en matière de préservation de la biodiversité et de lutte contre les pollutions.
Nous pousserons ces autres priorités à travers des négociations sur des textes législatifs, mais aussi via l'organisation d'événements destinés à favoriser la compréhension commune des enjeux avec mes homologues européens. Je pense notamment à la réunion informelle des ministres de l'environnement et de l'énergie qui aura lieu à Amiens dans deux semaines. Elle sera l'occasion d'évoquer un grand nombre de ces problématiques pour ensuite élaborer des compromis de négociation.
Le semestre à venir permettra d'avancer sur les « clauses miroirs », qui obligent les produits importés à respecter des normes environnementales et sanitaires aussi exigeantes que les nôtres. Nous souhaitons plus largement promouvoir l'insertion d'exigences environnementales et sociales dans nos accords commerciaux. Là encore, c'est une question d'équité pour nos acteurs économiques européens par rapport à leurs concurrents étrangers. D'ailleurs, au-delà du cadre de la PFUE, la France se mobilise pour que l'agenda environnemental et social soit intégré dans la réforme à venir de l'organisation mondiale du commerce. Nous attendons notamment des avancées en matière de prise en compte de notre combat contre la perte de biodiversité dans notre politique commerciale, en complément des enjeux climatiques. Aujourd'hui, une grande partie du combat pour protéger la biodiversité se joue en dehors de nos frontières. Les importations de l'UE sont ainsi responsables de 16 % de la déforestation importée au niveau mondial. C'est pourquoi nous souhaitons faire progresser les négociations sur la mise en place d'un instrument européen de lutte contre la déforestation importée, sur le fondement de la proposition de règlement publiée par la Commission européenne le 17 novembre 2021. La France possède une solide expertise en la matière, par sa stratégie nationale adoptée en 2018. Une fois encore, notre expérience devra nous permettre de faciliter les discussions à Bruxelles. Cet instrument visera à interdire l'importation dans l'UE de soja, de boeuf, d'huile de palme, de bois, de cacao ou de café quand il aura été prouvé que ces importations contribuent à la déforestation. La logique à l'oeuvre est la même que celle du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières. Elle consiste à se servir de la puissance du marché européen comme levier pour favoriser les pratiques vertueuses partout dans le monde.
Au-delà de notre politique commerciale en matière de biodiversité, je souhaite que nous puissions adopter une position ambitieuse de l'Union européenne pour la COP15, afin de réaffirmer le leadership européen en la matière et de relancer la dynamique d'engagement au niveau mondial. En parallèle, nous devrons définir les objectifs juridiquement contraignants pour la restauration de la biodiversité, même si le texte législatif de la commission sera publié plus tard que prévu.
Enfin, nous attendons beaucoup de la proposition de révision de la directive sur la protection de l'environnement par le droit pénal, publiée le 15 décembre dernier. Elle vise à contraindre les États membres à intégrer des sanctions plus dissuasives dans leur droit interne et à élargir le champ des incriminations.
Ce programme de travail est vaste, complexe et ambitieux, mais le jeu en vaut la chandelle. La mise en oeuvre du « Pacte vert » européen n'est pas une option, mais un enjeu d'avenir et une nécessité vitale. La France porte cette ambition depuis bien longtemps. Dès 2017, le Président de la République indiquait que l'Europe devait être à l'avant-garde d'une transition écologique efficace et équitable. Aujourd'hui, à l'ouverture de cette PFUE, nous sommes au rendez-vous pour faire plus que jamais de cette ambition une réalité, en aidant à forger les meilleurs compromis possible au sein du conseil des ministres.
Monsieur le Président, vous m'interrogiez sur la COP26. Mon évaluation est plus nuancée que ce que j'ai pu entendre dans la presse. Elle a été contrastée, mais utile. Des progrès significatifs ont été réalisés pour renforcer le cycle d'ambitions de l'Accord de Paris. Nous avons finalisé ses règles d'application, et avons introduit pour la première fois dans un texte de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) un accord sur la nécessité de sortir du charbon et réduire les énergies fossiles. Tout cela peut paraître théorique, mais depuis 2015, nous n'arrivions pas à nous accorder sur l'application de l'Accord de Paris. Nous avons enfin adopté ces règles, après sept ans. Elles nous permettront de disposer de grilles communes d'appréciation sur les engagements pris par les pays. Personne ne pourra plus objecter que nous ne nous fondons sur aucune base légale pour signaler qu'un pays n'est pas à la hauteur de ses engagements. Nous ne pouvons bien juger que ce que nous mesurons bien.
Certains points n'ont pas été conclusifs, notamment sur la question des financements. Nous ne pouvons pas nous réjouir de la non-tenue des engagements à propos des 100 milliards de dollars pour les pays du Sud. Sous l'ère Trump, les États-Unis ont pris beaucoup de retard. Nous aurions probablement atteint ces 100 milliards de dollars dans une autre configuration politique. Nous nous sommes fixés des règles pour y arriver. Nous pouvons espérer rattraper ce retard dans l'année ou les deux ans à venir. Cette situation a toutefois créé des problèmes de confiance de la part de pays faisant face aux effets du réchauffement climatique, qui nous ont demandé des engagements supplémentaires. D'importants dossiers devront être traités, comme ceux des pertes et dommages, grande revendication portée par les pays ne demandant plus à être résilients au changement climatique, mais à faire face aux catastrophes qu'ils gèrent tous les jours. Les discussions seront longues, mais nous en prendrons notre part.
La question d'une réduction ou d'une sortie des énergies fossiles constitue une avancée, bien que le coup d'arrêt auquel nous avons fait face à cause de la Chine et de l'Inde a été très difficile à accepter. Enfin, un texte de la CCNUCC mentionne clairement le fait que le charbon est un des principaux ennemis du climat, et qu'il va falloir en sortir. Nous avons réussi à obtenir l'accord de tous les pays membres pour qu'il figure dans le texte.
D'autres avancées ont également eu lieu en parallèle de cette COP. Je pense au rehaussement des ambitions d'un certain nombre de pays, aux engagements pris sur le non-financement des nouveaux projets fossiles. La France a rallié la coalition sur les garanties publiques à l'export sur les énergies fossiles un peu plus tard que les autres, simplement parce que nous avions déjà adopté une législation très ambitieuse. Nous voulions prendre le temps d'analyser la proposition, pour savoir si elle était compatible avec les engagements que nous avions pris. Nous ne voulions pas prendre le risque d'amoindrir nos ambitions.
M. Didier Mandelli. - Le Sénat a en partie évoqué l'objectif de 55 % de réduction des émissions à l'occasion du projet de loi « Climat et résilience ». Nous avions d'ailleurs intégré un article additionnel avant l'article 1er, indiquant que ce texte ne permettrait pas de l'atteindre. Le Haut Conseil pour le climat ainsi que d'autres acteurs et ONG ont rejoint nos propos.
Pourquoi n'avez-vous pas eu cette ambition, que vous souhaitez pour l'Europe, pour notre pays dans le cadre du projet de loi Climat ? Quelle crédibilité avons-nous de proposer un objectif pour nos partenaires sans avoir été capables de l'appliquer à notre propre pays ? Sommes-nous suffisamment exemplaires pour conduire ces démarches ?
M. Stéphane Demilly. - Sur le terrain, certains projets environnementaux subissent de plein fouet les lourdeurs bureaucratiques françaises. Nous nous demandons parfois si tout n'est pas fait pour anesthésier les bonnes volontés. J'illustrerai mon propos par un exemple de projet de méthanisation : 23 agriculteurs de mon secteur ont eu à déposer un dossier ICPE de 300 pages donnant lieu à autorisation. Cinq bureaux d'études ont été nécessaires pour remplir ce document, pour un montant de 120 000 euros. Une analyse de sol est également imposée tous les vingt hectares, soit plus de 30 000 euros pour les 4 000 hectares concernés. Les terrains des agriculteurs sont situés sur le ressort territorial de 78 communes. Une enquête publique a été demandée sur chacune d'entre elles, comme si les déchets étendus pouvaient être nocifs, alors même qu'un digestat issu de la méthanisation peut être utilisé en agriculture biologique.
Le site sera construit en amont d'un bassin versant. Il faudra construire des bassins de rétention, c'est normal. Il est toutefois demandé de les dimensionner non pas en fonction d'une pluie décennale, mais d'une pluie centennale, alors même que le bassin en question est de nature crayeuse. Cela accroît considérablement les emprises, et impose la construction d'un véritable quai capable d'accueillir l'arche de Noé, le cas échéant.
Enfin, la difficulté la plus récente que ces agriculteurs ont à affronter, qui pourrait remettre en cause le projet, concerne les conséquences de la crise sanitaire. Après le télétravail, les travaux des bureaux d'études et donc les dépôts de dossiers ont fortement été retardés. Entre-temps, une réforme sur les installations de méthanisation a contraint les porteurs de projet à revisiter le projet initial. Tous ces mois perdus nécessitent de revoir le contrat de rachat de gaz et la rentabilité des investissements effectués.
La chambre d'agriculture m'indiquait récemment que deux tiers des projets de méthanisation ne vont pas au bout, car c'est un parcours du combattant.
Dans ce contexte, comment faciliter concrètement et pratiquement l'action de nos acteurs locaux, qui s'engagent eux aussi dans la transition écologique de nos territoires ?
M. Jacques Fernique. - Une délégation de notre commission se rendra à Stocamine à la fin du mois de janvier. En Alsace et dans l'ensemble du bassin Rhénan, les élus s'inquiètent fortement pour l'intégrité de la nappe phréatique transfrontalière commune, menacée par les dizaines de milliers de tonnes de déchets toxiques enfouis dans la mine. L'État n'a pas mesuré la défiance et la réticence engendrée par ce dossier depuis plus de 20 ans. Votre parti pris unilatéral, qui voudrait laisser les déchets au fond de la mine, et les colmater à jamais avec du béton, en pariant sur une étanchéité incertaine, s'est heurté à la décision de la cour administrative d'appel de Nancy, puis à la censure du Conseil constitutionnel, à la suite d'un amendement introduit à l'Assemblée nationale et censuré comme cavalier législatif. Ces revers ne peuvent-ils pas être l'opportunité de changer de méthode et d'associer les responsables des différentes collectivités pour co-construire une solution qui ne mette pas en péril notre bien commun ?
M. Bruno Belin. - J'aimerais connaître votre position sur l'éolien, sujet qui fracture le monde rural. Les élus se trouvent entre pressions, dépression, colère et frustration.
Ensuite, j'ai lu les propos du Président de la République concernant le nucléaire. Quelle est votre position ? Confirmez-vous ces annonces dans votre choix ?
M. Pierre Médevielle. - Dans le cadre du « Pacte vert » européen, le vote du programme Farm to fork a été fait avant que la commission ne consulte le résultat du bureau d'études. Les céréaliers, la FDSEA et l'Inrae sont très inquiets par les prévisions climatiques mondiales. Nous allons vers une baisse de production de 15 % des céréales, qui déséquilibrerait tous les marchés. La France passerait d'exportateur à importateur, et notre souveraineté alimentaire serait mise en danger. La crise nous a pourtant montré combien elle était importante. Le programme part certainement d'un bon sentiment, mais les conséquences ont peut-être mal été évaluées.
Ensuite, nous avons participé hier à un débat sur l'agrivoltaïsme, grâce à une proposition de résolution dont le Président de la commission était le premier auteur. Il représente une solution intéressante dans les régions à faible productivité, comme l'Occitanie. Si la production alimentaire doit rester prioritaire, il me semble tout de même qu'il serait temps de donner une définition à ce sujet, et de l'intégrer à la PAC. Qu'en pensez-vous ?
M. Jean Bacci. - Quelques chiffes peuvent nous amener à réfléchir sur la forêt. Nous avons vécu un grand incendie dans le Var. Le CNRS estime qu'un hectare de forêt méditerranéenne qui brûle dégage non seulement 46 tonnes de CO2 dans l'atmosphère, mais ce sont en outre 80 tonnes qui ne sont pas captées durant les 20 ans de sa reconstitution. Nous devrions penser à affecter quelques millions des milliards d'euros visant à décarboner notre économie à l'amélioration de la surveillance de nos forêts.
Les 7 000 hectares brûlés dans le Var cet été ont provoqué autant de dégâts en termes de CO2 qu'un an et demi de circulation de l'agglomération marseillaise. Sur le pourtour méditerranéen, ce sont 220 000 hectares qui ont brûlé, soit 10 millions de tonnes de CO2 dégagées dans l'atmosphère, et 20 millions de tonnes de CO2 qui ne seront pas stockées dans les vingt ans à venir. Je ne parle même pas des particules fines, qui participent fortement à la fonte des glaces lorsqu'elles s'y posent.
Sur place, il faut travailler le terrain, et donner aux pompiers locaux les moyens et formations pour combattre le feu. Ensuite, nous avons besoin de moyens aériens. Chez nous, ils deviennent vieillissants. L'UE devrait envisager une flotte mobile capable de venir appuyer les flottes locales. Une commande groupée permettrait en outre de remobiliser Canadair pour remettre en service sa ligne de fabrication.
Pour l'instant, la Méditerranée est touchée. Avec le réchauffement climatique, les feux concerneront également des zones plus septentrionales.
Mme Barbara Pompili. - Nous avons discuté à de nombreuses reprises de la loi « Climat et résilience » et de sa capacité à atteindre les objectifs fixés. Un certain nombre de rapports indiquent qu'elle peut nous aider à atteindre une réduction de 40 % des émissions si tous ses aspects sont mis en oeuvre. Sur certains points, les remontées de terrain me laissent attendre des difficultés. Des élus, parmi lesquels certains adoptent des discours très verts, me demandent plus de temps et m'assurent que ce sera compliqué.
Ensuite, au niveau de l'UE, nous devons définir notre part au titre du règlement de répartition de l'effort (ESR), et voir ce que nous pourrons mettre en place en nous appuyant sur les mesures déjà à l'oeuvre telles que le plan de relance ou la pérennisation du fonds friches. S'y ajoutent des questions sur les transports et leur verdissement.
Les premières rencontres avec mes homologues européens ne m'ont pas laissé l'impression que nous ayons à rougir de ce que nous mettons en place, au contraire. Nous sommes considérés comme ambitieux. Des éléments sur la loi « Climat et résilience » nous sont demandés. La PFUE est vue comme un vecteur d'avancées.
Monsieur Demilly, nous travaillons sur le sujet de la méthanisation. Une mission d'information sénatoriale visait justement à améliorer notre réglementation en la matière. De nouveaux dispositifs de soutien entreront cette année en vigueur en termes d'appels d'offres, de soutien au biogaz injecté en GNV dans les véhicules ou d'application de la loi « Climat et résilience ».
Nous avons dans le même temps à gérer des oppositions similaires à celles que nous rencontrons sur tout nouveau projet d'énergie. Nous devons en tenir compte en essayant d'appliquer et adapter la réglementation, pour éviter des erreurs qui sont le lot de toute nouvelle filière. L'accident de Châteaulin a fait beaucoup de mal à la méthanisation, parce que les bassins de rétention n'étaient pas faits correctement, et qu'ils ont entraîné des pollutions très lourdes. Certains projets surdimensionnés perdent en outre leur intérêt environnemental. Nous devons en tirer toutes les leçons et trouver le meilleur équilibre pour que la réglementation reste exigeante d'un point de vue environnemental, sans pour autant empêcher la montée de projets.
Monsieur Fernique, les décisions concernant Stocamine sont reportées depuis vingt ans. La situation s'est aggravée. Lorsque j'ai récupéré ce dossier, je ne pouvais plus agir comme je l'aurais fait il y a cinq ou dix ans. Aujourd'hui, une partie des déchets les plus dangereux a été enlevée. Les expertises m'indiquent que nous n'avons plus le temps de retirer l'intégralité de ce qu'il reste. Nous ne pouvons en outre plus les trier. Nous retirerions donc des déchets dangereux, mais aussi des déchets n'ayant pas d'influence sur la nappe phréatique.
Voilà la situation actuelle. Je ne peux pas attendre, tergiverser, nommer de nouvelles commissions. Les collectivités, sénateurs et députés ont tous été associés. De nombreux rapports ont été établis sur le sujet. Ma responsabilité est-elle de différer encore une échéance qui rend la situation de plus en plus dangereuse ? Attendre de prendre une décision qui reste inéluctable mettrait en danger les gens qui travaillent dans la mine, qui est aujourd'hui en train de se refermer sur elle-même. Les travaux indispensables de confinement ne pourraient alors pas être réalisés correctement. Ce serait dans ce cas problématique pour la nappe d'Alsace.
Je me bats depuis vingt ans pour l'écologie. Croyez-vous que je prendrais la responsabilité d'engager un risque pour cette nappe ? Nous travaillons pour les générations futures, sur une fuite qui pourrait arriver dans 600 ans. Toutes les décisions prises aujourd'hui par les élus d'Alsace pour repousser l'inévitable nous font perdre du temps. Elles engendrent un peu plus de risques pour les gens de la mine et pour l'environnement. Si j'avais le moindre doute, je n'aurais jamais pris cette décision. Elle me semble être la moins mauvaise dans la situation actuelle. J'assume d'avoir déposé un amendement dans le projet de loi de finances pour répondre aux objections, notamment sur les questions financières. J'en prends la responsabilité devant la Nation, devant nos enfants, devant l'Alsace et sa nappe dont nous avons tous besoin. Si vous voulez vraiment la protéger, le sujet ne porte à mon avis pas sur Stocamine. C'est aussi pour cette raison que j'ai pris des engagements et levé des fonds pour que nous engagions enfin des travaux qui attendaient depuis des années sur des sites industriels qui polluent actuellement la nappe d'Alsace.
Monsieur Belin, j'aimerais que nous puissions sortir des questions « pour » ou « contre » le nucléaire ou l'éolien. En tant que ministre chargée de l'énergie, j'ai pour préoccupation de baisser nos émissions de gaz à effet de serre pour remplir nos obligations et nos engagements, tout en assurant à nos concitoyens un apport suffisant en électricité. Pour baisser nos émissions de gaz à effet de serre, nous devons d'abord réduire notre part de consommation d'énergie fossile, qui représente aujourd'hui deux tiers de notre consommation d'énergie. Nous devons améliorer notre efficacité énergétique en isolant nos logements, par exemple, et faire passer notre consommation du fossile vers l'électrique, presque entièrement décarbonée en France.
Pour baisser notre consommation d'énergie globale, nous aurons paradoxalement besoin d'augmenter notre consommation électrique de 15 à 20 % d'ici 2035, et 40 % d'ici 2050, comme l'a montré RTE. Ce dernier a proposé six scénarios allant d'une part nulle à une part bien plus importante de nucléaire, permettant de répondre à cet objectif en tenant nos engagements de neutralité carbone en 2050. Ils comportent tous une baisse de notre demande d'électricité couplée à une meilleure efficacité énergétique et à des mesures de sobriété, ainsi que le développement massif des énergies renouvelables. Nous avons besoin d'un équilibre. Nous ne sommes en outre pas capables, en France, de construire de nouveaux réacteurs nucléaires d'ici quinze ans.
Je ne suis pas dogmatique, et je veux répondre aux besoins. Ce besoin d'électricité supplémentaire n'était pas envisagé jusqu'à il y a un an. Pour y répondre, nous ne pouvons pas nous passer d'un développement massif des énergies renouvelables sur tout le territoire. Nous avons engagé un certain nombre d'évolutions et de réformes sur la concertation, la planification et la cartographie.
Trois des six scénarios de RTE n'impliquent pas de développer de nouvelles installations nucléaires. C'est donc possible. S'en passer présente des avantages en termes de déchets et de sûreté, mais s'accompagne d'un besoin très fort de stockage d'électricité, et donc d'investissements très lourds sur les réseaux. C'est une question de choix politiques et de réduction des incertitudes. Le Président de la République a fait part de sa préférence sur les scénarios prévoyant un volet de nouveau nucléaire, dont il n'a pour l'heure pas précisé les tenants et les aboutissants.
Dans ces débats, certains peuvent être aveuglés par leur idéologie. Moi, je suis pragmatique. Je veux que nos concitoyens aient de l'électricité pour répondre à leurs besoins, et que nous puissions répondre à nos objectifs climatiques. Dès lors, je peux m'intéresser à toutes les réponses entrant dans ces critères.
Monsieur Médevielle, j'ai vu les différents débats en cours sur la stratégie de la ferme à la table. Celle-ci porte une ambition forte pour assurer la transformation de notre modèle agricole et une transition vers un système alimentaire plus juste, sain et respectueux de l'environnement. Le rapport du centre de recherches de la commission a suscité de nombreux questionnements. Il ne constitue pas une étude d'impact de la stratégie. Les écueils méthodologiques du modèle utilisé ont été reconnus. Ils ne permettent pas d'appréhender l'ensemble des effets attendus de la stratégie et de la vision systémique qu'elle porte. Cette première étude doit être complétée par d'autres analyses.
Ce rapport rappelle tout de même l'importance d'une bonne articulation de la stratégie Farm to Fork avec les autres politiques de l'Union, notamment la PAC et la politique commerciale visant à assurer des standards sanitaires et environnementaux ambitieux. D'autres études du CNRS ou de l'Inrae démontrent que l'Europe pourrait nourrir sa population par une agriculture agroécologique d'ici 2050, en agissant sur différents leviers complémentaires tels qu'une évolution des habitudes alimentaires vers moins de produits carnés, le rapprochement entre culture et élevage et le développement de légumineuses pour optimiser la fertilisation. Évidemment, les efforts demandés aux producteurs ne doivent pas être amoindris par une augmentation des importations de produits depuis des zones appliquant des standards environnementaux moins ambitieux que les nôtres. Il apparaît donc indispensable d'introduire les mesures miroir dans la législation européenne et toutes les législations pertinentes, en conformité avec les règles de l'OMC. Leur insertion devrait être systématique lors de l'élaboration ou de la révision d'une législation sectorielle destinée à répondre aux préoccupations en matière de santé animale, humaine et végétale.
Ensuite, l'agrivoltaïsme est selon moi une technologie vertueuse, qui contribue au développement des énergies renouvelables et à l'adaptation de l'agriculture au changement climatique. Le ministère de la transition écologique a déjà soutenu des projets innovants au travers de quatre périodes d'appels d'offres spécifiques depuis 2017. L'agrivoltaïsme doit bien être distingué des installations photovoltaïques au sol installées sur terrain agricole. De telles installations peuvent contribuer à l'atteinte de nos objectifs énergétiques en représentant une opportunité économique pour les agriculteurs. Nous devons trouver l'encadrement adéquat pour que nos agriculteurs puissent profiter de cette opportunité, sans perdre de vue le fait qu'ils doivent vivre de leur travail, qui consiste en premier lieu à nous nourrir.
Enfin, j'entends les propositions de Monsieur Bacci. Vous avez raison, le risque de feu de forêt va rapidement dépasser la ceinture méditerranéenne. D'ici la moitié du siècle, environ la moitié de la France sera à un niveau de risque équivalent à celui de cette zone actuellement. Se posent alors beaucoup de questions en matière de prévention ou de lutte. Des assises bois-forêts traitent actuellement de ces questions et des actions à mettre en oeuvre pour que la forêt s'adapte aux changements climatiques et soit plus résiliente, et qu'elle joue son rôle de puits de carbone et de source d'approvisionnement en bois. Les travaux en cours fourniront, je l'espère, des livrables intéressants. Concernant la lutte contre les feux de forêt, le ministre de l'Intérieur est en charge de la formation des pompiers. Votre proposition d'une flotte mobile européenne et d'une commande groupée me semble intéressante.
M. Guillaume Chevrollier. - Je voudrais vous interroger sur le système d'échanges de quotas et sur la nécessité d'une tarification assurant une visibilité aux acteurs concernés. L'instauration d'un corridor de prix avec un prix plancher et un prix plafond sur le marché du carbone européen a été évoquée. Est-ce encore d'actualité ? Plus largement, comment comptez-vous garantir une stabilité du prix du CO2 sur le marché des systèmes d'échanges de quotas ?
Concernant la mise en place du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF), quelle est la position de la France sur la transition entre le MACF et les quotas gratuits ? La transition doit-elle être immédiate, ou les quotas gratuits doivent-ils être retirés progressivement ? Comment la France compte-t-elle appréhender les risques de perte de compétitivité associés au renchérissement de certaines matières premières importées ? Pour résoudre ce problème, le mécanisme d'ajustement pourrait-il également couvrir les biens manufacturés, et pas uniquement les matières premières telles que l'acier ou le ciment ?
Enfin, la commission européenne propose aujourd'hui que 75 % des revenus du mécanisme soient alloués au budget général de l'UE. Compte tenu des difficultés à mobiliser des financements climatiques pérennes pour les pays en voie de développement, et des risques d'accroissement des tensions entre pays du Nord et du Sud, ne faudrait-il pas plutôt flécher ces recettes vers les pays les plus vulnérables, notamment en Afrique ?
Mme Marta de Cidrac. - Au sein du « Pacte vert », la Commission européenne a proposé un vaste paquet d'économie circulaire visant à améliorer la prévention et la gestion des déchets au sein de l'UE. Nous espérons particulièrement que le développement du réemploi et de la réparation se traduira dans la législation communautaire. Sur certains points, nous avons aujourd'hui besoin d'une modification du cadre européen pour avancer. Je pense notamment à l'instauration du taux réduit de TVA sur les biens reconditionnés ou sur la réparation. Nous espérons par ailleurs que les innovations de la loi AGEC pourront inspirer nos partenaires. Notre commission est à l'origine de la mise en place de fonds de réparation ou de réemploi. Le Gouvernement s'engage-t-il à appuyer ces initiatives dans le cadre de la présidence française du conseil ?
Permettez-moi ensuite d'évoquer la mise en place du fonds de réparation dans la filière des déchets d'équipements électriques et électroniques (DEEE), ajournée par le Gouvernement. L'État considère que les garanties données par les éco-organismes ne sont pas suffisantes. Il préfère attendre quelques mois pour renouveler leur agrément de six ans. Pourriez-vous nous présenter les principaux points d'achoppement ?
Le groupe d'études économie circulaire, que je préside, réunira très prochainement le président de la commission des filières REP et les éco-organismes de la filière DEEE pour identifier les points de blocage et les voies de sortie d'une situation préjudiciable au développement de l'économie circulaire en France.
M. Louis-Jean de Nicolaÿ. - Je souhaite remercier votre ministère pour le décret du 14 décembre 2021. Il concerne le problème du bruit, sur lequel nous attirons l'attention du Gouvernement depuis un moment. Il est enfin pris en compte dans le cadre de ce que souhaitait l'OMS. Le sujet avançait sur les infrastructures aéroportuaires ou autoroutières, mais pas sur les lignes ferroviaires, notamment à grande vitesse, à part peut-être dans le sud-ouest. Aucune réunion n'est à ce jour organisée par les préfets des Pays de la Loire ou de Bretagne avec les élus et les associations concernées au sujet des applications d'indemnisation - d'ailleurs faibles - sur ce problème. Je formule le voeu que vous puissiez une nouvelle fois relancer les préfets pour que ces réunions soient rapidement mises en place.
Enfin, dans le cadre de la PFUE, le problème global de ces infrastructures et du bruit peut-il être pris sur un plan d'aménagement, dans une perspective de développement plus important du ferroviaire ? J'espère que le Gouvernement pourra prendre en compte cette problématique pour les populations qui en subissent fortement les impacts, phénomène qui risque de continuer à s'accroître à l'avenir.
M. Ronan Dantec. - Un certain nombre de points me semblent essentiels si nous voulons tenir nos objectifs quantitatifs. Vous parlez d'efficacité énergétique, notamment pour le bâtiment. Aujourd'hui, les modèles économiques ne permettent pas de réaliser des investissements. La disponibilité de l'argent à long terme et à des taux très bas constitue un point de blocage. La Caisse des Dépôts ne propose pas de modèle de retour d'investissement sur la réhabilitation du stock de bâtiments publics. Dans votre feuille de route, est-il imaginable d'inclure une possibilité d'avoir, de la part de la BCE, des taux à très long terme et très bas, qui permettraient d'accélérer fortement l'effort de réhabilitation des logements ? Nous pouvons y lier la question des fameux 3 % et de Maastricht, investissements ayant un impact positif de long terme, bloqués par nos taux d'endettement. Il me paraît important que la présidence française de l'UE réfléchisse sur ce point.
Ensuite, la commande publique des collectivités est un levier essentiel en termes d'enjeux de relocalisation et de transition. Le cadre européen ne permet pas d'aller aussi loin que ce que nous voudrions en termes de clauses sur les marchés publics. Il me semble ici aussi essentiel de pouvoir intégrer plus de questions liées à la transition, à la relocalisation et à la qualité des matériaux dans les appels d'offres.
Enfin, vous présentez un durcissement de la position européenne à l'échelle internationale sur les questions environnementales. Nous voyons se dessiner une Europe qui taperait un peu plus du poing sur la table. Elle avait jusque-là, si ce n'est fait preuve de naïveté, au moins fait passer d'autres intérêts économiques que l'environnement en priorité. Nous observons une volonté de la présidence française d'avancer sur ces sujets, mais nous ne pouvons pas le faire seuls. Nous avons besoin d'un soutien de l'ensemble des pays européens, ou du moins d'une majorité très forte.
Certains pays ont aujourd'hui des liens très privilégiés avec la Chine. Ils ne soutiendront donc pas fortement ces durcissements qui pourraient entraîner des réactions. Vos propres échanges vous laissent-ils penser que les grands émergents, voire les États-Unis, sont prêts à ces discussions sur des normes environnementales plus fortes de régulation des échanges économiques ? La réponse ne me semble pas si nette. Lorsque l'Europe a essayé d'étendre le marché carbone au transport aérien, la Chine est immédiatement montée au créneau, de manière très virulente, en rappelant les principes de la contribution nationale déterminée et de la responsabilité différenciée. Je ne vois pas pourquoi elle ne reviendrait pas avec les mêmes arguments sur le transport maritime. Comment sentez-vous les rapports de force internes à l'Europe et par rapport aux grandes économies mondiales face à votre volonté d'une régulation plus forte ?
Mme Angèle Préville. - Jusqu'à présent, nous avons mis en place des actions sur le marché carbone, notamment concernant le transport, sans nous préoccuper de la question sociale en amont. La pauvreté et la précarité énergétique sont pourtant de vrais sujets dans notre pays. Nous devrions peut-être les prendre en considération d'emblée.
Ensuite, la pollution plastique a un impact sur la biodiversité. Elle est responsable d'émissions de gaz à effets de serre dans sa fabrication, le transport des matériaux ou les emballages. Quelles actions comptez-vous mener ? Tout est importé, notamment les vêtements, qui sont très peu portés, puis jetés en créant de la pollution importante. Des actions particulières sont-elles à mettre en place ? L'Union européenne peut-elle être embarquée de façon plus volontariste ? Je ne le répéterai jamais assez, la pollution plastique est massive et insidieuse dans notre environnement. Ses effets sur la biodiversité sont très importants.
Enfin, je formule le voeu que les pays européens soient plus volontaristes au côté des pays en première ligne du réchauffement climatique, alors qu'ils n'en sont pas à l'origine.
M. Rémy Pointereau. - Nous n'avons pas discuté de l'eau et de la disponibilité de la ressource. Un débat est prévu avec les agences de l'eau la semaine prochaine au Sénat. Je ne sais pas s'il aura lieu, compte tenu du décalage de l'actualité législative.
Le sujet des réserves de substitution est réel, compte tenu du changement climatique. Les pluies tombent globalement en quantités similaires chaque année, mais pas au bon moment. Des averses importantes sont suivies de sécheresses qui durent. Pour faire de l'agriculture, même biologique, et pour conserver notre souveraineté alimentaire, nous avons besoin d'eau. Il me semble que le Gouvernement est favorable à ces réserves de substitution. Nous avons toutefois l'impression que le ministère de l'agriculture appuie sur l'accélérateur, et que votre ministère appuie sur le frein, au regard des difficultés pour monter les dossiers. Quelle est votre position ? Comment pouvez-vous nous aider à accélérer les procédures ?
M. Étienne Blanc. - La présidence française est l'occasion, pour la France comme pour l'Europe, de bâtir une nouvelle stratégie sur la décarbonation de notre économie et de nos activités. Nous ne pouvons éluder la question du nucléaire. Vous y avez très bien répondu, en indiquant que les courants de pensée et les formations politiques évoluaient considérablement sur le sujet. Le dogmatisme connu durant des années est aujourd'hui dépassé. Nous acceptons d'aborder ces questions de manière beaucoup plus ouverte, d'autant plus que l'acte délégué du 31 décembre, pris par l'UE en application de l'article 10 de la législation Taxonomie, intègre le nucléaire et le gaz dans des dispositifs désormais vertueux pour décarboner l'économie. Nous avons aujourd'hui dans le domaine du nucléaire deux filières technologiques sur lesquels des progrès considérables sont effectués.
Nous apprenions voici 48 heures qu'en Chine avait été réussie une expérience de fusion nucléaire pendant plus de 17 minutes. En même temps, des technologies nouvelles se développent notamment autour du thorium au centre européen de recherche de Genève. Sur ces deux filières scientifiques, y aura-t-il des prises de position très claires pour mettre en oeuvre des programmes de recherche à l'occasion de cette présidence française, pour développer une technologie nucléaire européenne efficace ?
Mme Barbara Pompili. - Sur la question du marché carbone européen et de la stabilité des prix, le sujet des corridors des prix avait été poussé par la France. Il n'apparaît pas dans les propositions de la commission. Il est complexe, car l'ETS est un mécanisme de marché. La question se pose moins aujourd'hui, dans la mesure où les prix ont fortement augmenté.
Nous ne sommes plus le seul pays à proposer de revoir les prix du marché de l'énergie. Avec l'Espagne, l'Italie, la Roumanie, Malte et la Grèce, nous avons insisté auprès de la Commission européenne pour indiquer que nous ne pouvions plus nous contenter du statu quo sur cette question. Nous ne voulons pas revenir sur l'architecture du marché de gros dans son ensemble, puisqu'il est protecteur vis-à-vis des industries et des consommateurs. Nous voyons pourtant bien qu'un certain nombre de mécanismes sont à revoir au niveau du marché de détail. La commission était très réticente jusqu'au début du mois de décembre. À la suite de nos initiatives, des évolutions commencent pourtant à voir le jour. Pendant la réunion ministérielle informelle d'Amiens, nous aurons une discussion avec nos collègues des autres États membres et avec la Commission, afin d'aboutir à une évolution un peu plus en adéquation avec l'évolution que nous vivons actuellement. Cela ne signifie pas que nous révolutionnons le marché des prix de l'énergie qui est, je le rappelle, protecteur.
Ensuite, nous considérons que les quotas gratuits doivent s'éteindre au fur et à mesure de la mise en place du MACF. Sous réserve de son adoption, nous envisageons une mise en place progressive avec un certain nombre de filières concernées. À mesure de la montée en puissance, les quotas gratuits correspondants doivent s'éteindre, sous peine de perdre toute la logique.
Nous avons pour l'instant décidé d'une restriction à certains secteurs fortement émetteurs, en ayant bien conscience qu'il ne s'agit que d'une première étape nous permettant de faire le travail que vous évoquiez vis-à-vis des pays tiers. Sur l'acier et le ciment, nous menons des discussions avec un certain nombre de pays tiers partenaires, très impactés. Nous voulons d'abord montrer que nous y parvenons sur ces secteurs afin d'élargir la mesure. Nous devons éviter la précipitation dans ce domaine, puisque les autres pays observent nos initiatives en la matière. Nous avons discuté avec les États-Unis, qui s'intéressent au sujet, mais qui attendent de voir comment il se met en place. La Chine est très réticente à ce système. Pourtant, un marché carbone s'y met tout de même en place de manière très prudente. Un basculement est en cours. L'accès au marché européen est un outil puissant et une arme que nous devons utiliser.
Le fléchage des recettes est encore en cours de discussions. D'une manière générale, des recettes existent déjà dans le paquet « Fit for 55 ». D'autres outils sont en réflexion, dont la création d'un fonds social. Conserverons-nous une partie des recettes du MACF pour les pays en développement, qui font d'ailleurs déjà l'objet de politiques d'aides ? Ces discussions sont en cours. Nous avons commencé à utiliser un accord global, du type de celui que nous avons conclu entre l'Union européenne, la France et l'Allemagne, le Royaume-Uni et les États-Unis, et l'Afrique du Sud. Il porte sur la refonte globale de la politique énergétique de cette dernière pour qu'elle sorte de sa politique du charbon, représentant 90 % de son mix électrique. Il concerne plusieurs aspects, et fera l'objet d'une évolution dans le temps. C'est sur ce type d'accords que nous pouvons arriver à une véritable efficacité.
J'évoquais l'économie circulaire parmi les quatre grandes priorités de la PFUE au conseil de l'environnement. Les négociations actuelles sur les règlements relatifs aux batteries sont à mes yeux emblématiques. Nous pouvons aboutir à une position du Conseil en mars. Ce sujet représente un échantillon de ce que nous pouvons faire en matière d'économie circulaire, d'approvisionnement des matières, de fabrication, de récupération et de développement de la mobilité électrique. S'y ajoutent des négociations très importantes sur la refonte complète du règlement sur les transferts transfrontaliers de déchets, dont l'ambition du contenu nous convient. D'autres négociations sont malheureusement différées du fait du décalage des publications de textes par la Commission européenne. Je pense notamment aux propositions sur les produits durables et l'écoconception, attendus en mars. Nous avancerons autant que nous le pouvons sur ces sujets, sachant que la France dispose d'une expérience forte en la matière avec la loi « AGEC » et la loi « Climat et résilience ».
Je mentionne par ailleurs un texte très révélateur des avantages du marché intérieur en termes d'échelle opportune pour les politiques publiques. Il porte sur les chargeurs téléphoniques uniques, qui permettront de réduire les pollutions tout au long du cycle de vie. La fin des négociations devrait intervenir pendant la PFUE.
J'organiserai par ailleurs une conférence ministérielle les 1er et 2 mars à Bruxelles sur l'économie circulaire.
La question du fonds réparation pour la filière des déchets d'équipements électriques ou électroniques (EEE) a fait couler beaucoup d'encre. Une enveloppe de 70 millions d'euros a été évoquée lors des débats parlementaires. Les montants finalement annoncés ne sont donc pas un recul par rapport à l'intention du législateur au moment du vote de la loi. 100 millions d'euros, c'est 20 à 25 % des écocontributions actuelles. Je note par ailleurs que le montant des fonds de réemploi est très supérieur aux prévisions. Le premier décret sur les filières REP a été adopté fin 2020. Il prévoyait un abondement du fonds de réparation à hauteur de 20 % des coûts de réparation. La DGPR s'était basée sur une étude de l'Ademe de 2014, estimant que ces 20 % conduiraient à une enveloppe de 70 millions d'euros. Or, une étude réactualisée de l'Ademe a réévalué cette enveloppe à 220 millions d'euros, bien au-delà de ce que nous avions envisagé. Nous allons corriger le décret en ramenant le taux plancher à 10 % des coûts. En contrepartie, nous avons obtenu une revalorisation de l'enveloppe à 102 millions d'euros d'ici six ans pour la seule filière EEE. Les moyens consacrés au fonds de réparation seront donc plus importants que ce qui avait été annoncé lors des débats parlementaires.
Monsieur de Nicolaÿ, je n'ai pas grand-chose à ajouter à vos propos sur le bruit, préoccupation très forte du Gouvernement. Nous avons sorti le décret. J'ai entendu votre sollicitation sur les deux préfets qu'il s'agira de relancer.
Au niveau de l'UE, la question de la pollution par le bruit est certainement encore trop peu prise en compte. Je ne connais pas nos moyens d'action en la matière. Je vais approfondir ce point. Vous le savez, nous travaillons aussi au niveau français sur la réduction de la pollution sonore des véhicules. Nous venons de lancer l'expérimentation des radars bruit, pour pénaliser automatiquement ceux qui dépasseraient les normes de bruits autorisées. Les conséquences sanitaires du bruit sont depuis trop longtemps négligées.
Monsieur Dantec, je crois que nous avons déjà avancé sur les financements de long terme. D'abord, la BEI est devenue la Banque du Climat. Aujourd'hui, le changement climatique représente 30 % de ses prêts. Nous travaillons sur différentes actions pour déclencher un effet levier avec le cofinancement d'investisseurs privés et publics sur les projets risqués. Elle prévoit de consacrer 50 % de son activité globale de prêts à l'action climatique et au développement durable d'ici 2025, et de mobiliser 1 000 milliards d'euros du Groupe BEI au cours de la décennie à venir. Elle a aligné toutes ses activités de financement sur les objectifs et les principes de l'Accord de Paris. Nous constatons tout de même une évolution très importante sur le secteur. Des dispositions sur la rénovation des bâtiments du secteur public sont prévues dans la révision de la directive relative à l'efficacité énergétique. Nous devons donner de la visibilité à ce sujet, tant au niveau des États que de l'UE.
Vous évoquez un durcissement de l'Union européenne au travers du MACF et des clauses miroirs. Je parlerais plutôt de réalisme. Rassurez-vous, plus personne, dans les États membres, ne conteste les objectifs pris par l'UE, y compris la diminution de 55 % des émissions de gaz à effets de serre. Des discussions portent sur les moyens d'y parvenir, mais c'est déjà une évolution majeure. Le « Pacte vert » me semble être la preuve que nous nous donnons les moyens de préserver notre souveraineté. Nous portons une vision écologique n'opposant plus le développement économique et l'écologie. Nous irons plus loin dans cet esprit avec nos partenaires, avec la Chine et les États-Unis. Nous travaillons aussi avec les Indiens, les Indonésiens et autres. Nous sommes encore loin du but, mais l'accélération que nous vivons est à souligner.
Madame Préville, la France a adopté une position prudente sur l'extension de l'ETS aux transports, mais aussi au logement. Nous savons que si nous n'emmenons pas tout le monde à bord, nous n'y arriverons pas. Les débats se posent entre pays européens. Ce que nous avons vécu avec les Gilets jaunes se retrouve également au sein de pays partis de plus loin, dont la transition est très lourde à amorcer. Ils nous demandent comment faire en sorte d'éviter trop de dégâts. Nous avions développé le fonds de transition juste, permettant d'avancer sur ces questions. Aujourd'hui, les débats sur l'extension de l'ETS portent notamment sur le nouveau fonds social européen, sur son abondement et sur la façon dont il peut permettre de financer des mesures d'accompagnement essentielles. Ces débats auront lieu lors de la PFUE. Nous avons pour préoccupation essentielle de faire en sorte que cette acceptabilité sociale nous permette d'avancer ensemble.
La question de la pollution plastique est très importante. L'Assemblée des Nations unies pour l'environnement (ANUE) se réunira à Nairobi fin février, début mars. Nous en aurons la vice-présidence à travers Bérangère Abba. Elle porte un projet de résolution sur la pollution plastique et les déchets marins. Ce texte est proposé par le Rwanda et le Pérou, et est concurrencé par un autre texte du Japon. Nous devrons prendre une position. Nous le soutenons, car la pollution y est étudiée à travers son cycle global, et non uniquement sur son impact final, dans la mer. Nous espérons avancer sur ce projet de résolution, notamment à l'occasion du One Ocean Summit qui se tiendra du 9 au 11 février à Brest.
Au niveau de l'UE, la révision d'une directive sur les emballages sera présentée en juillet 2022. Nous souhaitons évidemment que les emballages incorporent plus de matières recyclées, avec une proportion minimale, notamment pour les produits en plastique. La stratégie sur les textiles devrait quant à elle être publiée en mai 2022. Nous sommes favorables à cette initiative visant à réduire l'impact environnemental de la filière textile. Avec les Pays-Bas, l'Autriche, la Belgique, le Danemark, l'Allemagne, la Finlande, la Norvège, le Luxembourg, l'Espagne et la Suède, nous avons adressé un courrier à la commission reprenant les grandes lignes de nos positions sur le principe d'une stratégie ambitieuse et globale prenant en compte les aspects environnementaux et sociaux. Y figuraient la complémentarité de la stratégie avec l'initiative produit durable, la réduction ou la suppression des substances dangereuses dans les textiles, la prise en compte de l'ensemble du cycle de vie, des objectifs sur la réutilisation et le recyclage du textile, la fixation d'objectifs obligatoires en termes de contenus recyclés, l'interdiction de destruction des biens invendus, la mise en place d'une filière REP, le développement des marchés publics verts, un passeport produits numériques, une obligation d'information du consommateur ainsi qu'un devoir de diligence raisonné.
Monsieur Pointereau, le Varenne agricole de l'eau et de l'adaptation au changement climatique se tient en ce moment même. Les retours que j'en reçois sont positifs. Nous espérons qu'il générera des propositions intéressantes d'ici le début du mois prochain.
Sur la question des réserves de substitution, le ministre de l'agriculture et moi-même travaillons ensemble pour essayer d'arriver aux solutions les plus adaptées. Personne n'appuie sur le frein ou sur l'accélérateur. Un décret ou un arrêté sur le sujet est sorti cet été.
Nous essayons de trouver des procédures pour que les Projets de territoire pour la gestion de l'eau (PTGE) puissent être mis en place le plus rapidement possible. Ils peuvent ouvrir la possibilité d'installer des retenues de substitution. Pour autant, tout le monde doit se mettre d'accord sur ses besoins, mais aussi sur la nécessité de les réduire au maximum. L'eau n'est pas une ressource inépuisable. Cet enjeu est globalement compris par l'ensemble des acteurs, bien que des tensions se fassent parfois jour. Le monde agricole a bien intégré le fait que l'époque des arrosages à outrance était révolue.
Mon avis personnel est pragmatique. Là où tout le monde a fait des efforts, et où le besoin de bassin de retenue se fait ressentir, installons-le. Là où d'autres exagèrent et ont mal fait le travail, approfondissons le sujet. Une retenue de substitution n'est jamais anodine. L'eau qui s'y trouve ne poursuit pas son cycle. Il faut donc agir intelligemment.
Concernant le nucléaire, nous devons tous sortir du dogme selon lequel une solution miraculeuse pourra résoudre tous nos problèmes. Le renouvelable ne réglera pas tout. Le nucléaire non plus. Une stratégie est aujourd'hui mise en place. Elle nécessite que nous gérions la question des déchets. Certains me demandent si nous avons besoin d'un deuxième Cigéo, où nous l'installerions, comment gérer la question du retraitement. Je dois y apporter une réponse.
Aujourd'hui, le problème de vieillissement de nos centrales nous demande d'arrêter des réacteurs pour des raisons de sûreté. Nous avons donc moins d'électricité disponible.
Lorsque nous traitons de ces questions, nous sortons du simplisme.
Enfin, le Président de la République a annoncé mettre une grande part d'investissement en recherche et développement sur des technologies pour réduire la production de déchets. Je ne sais plus si un projet concerne spécifiquement le thorium, mais toutes les technologies affichant un potentiel d'avenir sont regardées avec attention pour être financées. Un programme plus général porte sur la sûreté des installations nucléaires. Un autre porte sur la formation et l'amélioration des compétences.
Dans le cadre du plan de relance et de France 2030, nous avons investi plusieurs milliards d'euros pour donner des perspectives de développement et de diversification à la filière nucléaire.
M. Jean-François Longeot, président. - Merci pour ces deux heures de débats enrichissants.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 19 h 30.