Mardi 30 novembre 2021
La réunion est ouverte à 15 h 20.
Perspectives d'évolution de l'épidémie de covid-19 - Audition de Mme Dominique Costagliola, épidémiologiste, directrice de recherche Inserm à l'Institut Pierre Louis d'épidémiologie et de santé publique, de la professeure Karine Lacombe, infectiologue, professeure de maladies infectieuses à la faculté de médecine Sorbonne Université, cheffe de service hospitalier des maladies infectieuses à l'hôpital Saint-Antoine (AP-HP) et du professeur Yazdan Yazdanpanah, directeur de l'ANRS, professeur en maladies infectieuses à la faculté de médecine de l'Université de Paris, chef du service des maladies infectieuses et tropicales de l'hôpital Bichat (AP-HP), membre du Conseil scientifique
- Présidence de M. Bernard Jomier, président -
M. Bernard Jomier, président. - Mes chers collègues, au terme des derniers travaux consacrés à la situation spécifique de l'outre-mer, notre mission commune d'information a souhaité effectuer un point plus global sur la situation de l'épidémie de covid en France et sur les perspectives à court et moyen termes.
Cette situation évolue très rapidement, avec la montée de la cinquième vague et l'apparition d'un nouveau variant préoccupant, dont les caractéristiques sont en cours d'évaluation. Elle a d'ores et déjà des implications en termes de politique sanitaire, avec l'accélération du calendrier de rappel vaccinal. Elle pourrait en avoir également - comme c'est le cas dans certains pays voisins - sur les conditions d'accès aux lieux publics.
Les membres de la commission des affaires sociales, qui entendra la semaine prochaine le président du Conseil scientifique, ont été conviés à notre réunion.
Je remercie vivement de leur présence nos trois invités, Mme Dominique Costagliola, épidémiologiste, directrice de recherche Inserm à l'Institut Pierre Louis d'épidémiologie et de santé publique, Mme Karine Lacombe, infectiologue, professeure de maladies infectieuses à la faculté de médecine Sorbonne Université, cheffe de service hospitalier des maladies infectieuses à l'hôpital Saint-Antoine, à Paris, et le professeur Yazdan Yazdanpanah, directeur de l'ANRS Maladies infectieuses émergentes, professeur en maladies infectieuses à la faculté de médecine de l'Université de Paris, chef du service des maladies infectieuses et tropicales de l'hôpital Bichat et membre du Conseil scientifique.
Je vais leur donner successivement la parole, pour qu'ils nous livrent brièvement leur appréciation générale de la situation, avant que nous leur posions nos questions. Je précise que cette réunion est diffusée en direct sur le site du Sénat.
Je rappelle que, en juillet dernier, les rapporteurs de notre mission commune d'information, Roger Karoutchi et Jean-Michel Arnaud, ont rendu un rapport assorti d'une série de recommandations visant à limiter l'impact d'une probable quatrième vague à l'automne. Cette pandémie nous a appris l'humilité...
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales, est présente parmi nous.
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. - Je vous remercie d'avoir convié notre commission à cette audition. Les données évoluent si rapidement que cela incite à la prudence et suscite des interrogations de la part de nos concitoyens. Nous aurons donc beaucoup de questions à poser à nos intervenants.
Mme Dominique Costagliola, épidémiologiste, directrice de recherche Inserm à l'Institut Pierre Louis d'épidémiologie et de santé publique. - Je précise que, depuis le mois de septembre, je suis directrice de recherche émérite, c'est-à-dire que je suis retraitée, mais que je poursuis mes recherches sur le VIH et sur le covid. Je précise également que mes liens d'intérêts sont consultables en ligne sur le site du ministère des solidarités et de la santé.
J'articulerai mon propos autour de quatre points : le futur de l'épidémie, les mesures de contrôle, la situation dans les écoles, et les conditions qui permettraient de dire que l'épidémie est durablement sous contrôle.
Le futur de l'épidémie dépend de l'apparition de variants. Il semblerait que le variant Omicron soit plus transmissible, mais, compte tenu des proportions de personnes immunodéprimées et de personnes vaccinées en Afrique du Sud, très différentes des nôtres, il est trop tôt pour faire des projections en Europe et en France. On ne sait pas non plus s'il est associé à des formes plus graves.
Il sera peut-être nécessaire d'adapter les vaccins, mais nous ne le saurons pas avant plusieurs semaines. De même, certains traitements, notamment les anticorps monoclonaux, ou les antiviraux, plus faciles d'accès puisqu'il s'agit de comprimés, seront peut-être moins efficaces sur le variant Omicron.
J'en viens aux mesures de contrôle. Compte tenu du taux de reproduction du virus, la fermeture des frontières paraît peu utile, car le plus probable est que ce variant circule déjà. L'isolement strict des personnes qui arrivent des zones infectées semble plus pertinent.
Par ailleurs, le vaccin protège des formes graves, mais pas de la transmission. Pour réduire la circulation du virus, nous devons renforcer toutes les mesures qui sont à notre disposition et qui sont les moins contraignantes : le port du masque à l'intérieur, la mesure du CO2, l'aération et la ventilation, et, enfin, le télétravail.
S'agissant des écoles, sur les 357 classes fermées la semaine dernière à Paris, seulement 8 étaient des classes de collège ou de lycée, ce qui est tout à fait logique, puisque les enfants de moins de douze ans ne sont pas vaccinés. De ce point de vue, la décision d'alléger le protocole sanitaire alors que le taux d'incidence est supérieur à 1 000 dans certaines écoles élémentaires montre bien que le contrôle de l'épidémie n'est pas l'objectif prioritaire. Cela revient à donner au variant Omicron une excellente opportunité de se répandre rapidement dans l'ensemble de la population, ce qui me paraît une très mauvaise idée.
Par ailleurs, nous devons développer les tests répétés dans les écoles élémentaires. Une expérimentation commence à Paris cette semaine, mais ce n'est pas à la hauteur de ce qu'il faudrait faire.
Enfin, 69 enfants de zéro à neuf ans étaient hospitalisés hier, et 53 de dix à dix-neuf ans. Depuis le début de l'épidémie, on déplore 13 décès d'enfants et de jeunes adultes de moins de dix-neuf ans, dont 9 depuis mi-juin et 3 dans les dix derniers jours. Personnellement, je ne vois pas pourquoi on devrait accepter que des enfants meurent, même s'ils sont peu nombreux. Les enfants souffrent eux aussi de covids longs, qui laissent des séquelles. Ils peuvent s'inquiéter de contaminer des personnes fragiles de leur entourage et, même si les écoles restent ouvertes, la situation n'y est pas tout à fait normale.
La vaccination des enfants de 5 à 11 ans a été approuvée par l'Agence européenne des médicaments (EMA), et la Haute Autorité de santé (HAS) recommande la vaccination des enfants de cette tranche d'âge présentant des risques de développer des formes graves, en adoptant une définition assez large de ces risques. Il me semble donc qu'il faut rendre cela possible, ce qui ne veut pas dire obligatoire.
Enfin, quand pourrons-nous considérer que la situation est durablement sous contrôle ? Nous avons connu plusieurs accalmies, chacune suivie d'une nouvelle vague, et ce, quelle que soit la saison. La difficile leçon que nous devons en tirer est que, lors de la prochaine accalmie, il nous faudra attendre plusieurs mois avant de lever progressivement les mesures de freinage. À défaut, le moindre élément nouveau nous exposerait à une reprise : c'est ce que nous observons aujourd'hui.
M. Yazdan Yazdanpanah, directeur de l'ANRS Maladies infectieuses émergentes, professeur en maladies infectieuses à la faculté de médecine de l'Université de Paris, chef du service des maladies infectieuses et tropicales de l'hôpital Bichat (AP-HP), membre du Conseil scientifique. - Je m'exprimerai en tant que directeur de l'ANRS Maladies infectieuses émergentes, mais aussi en tant que médecin hospitalier, chercheur et membre du Conseil scientifique. Mes liens d'intérêt sont consultables en ligne sur le site du ministère des solidarités et de la santé.
Nous avons beaucoup parlé ces derniers jours du variant Omicron, mais j'insisterai pour ma part sur le fait que nous sommes en pleine phase de croissance de l'épidémie en France. Or cette croissance du taux d'incidence est imputable au variant Delta.
L'augmentation des hospitalisations est, certes, moins forte que lors des vagues précédentes, grâce à la vaccination, mais elle se situe tout de même autour de 700 hospitalisations par jour, et les modélisations indiquent que ce phénomène devrait s'accentuer.
Il n'est pas trop tard pour ralentir le rythme des hospitalisations. Une vigilance accrue en matière de respects des gestes barrières peut avoir un impact important si elle est combinée au rappel vaccinal, à la ventilation des locaux et au télétravail.
S'agissant du variant Omicron, il nous faut rester humbles, car nous avons peu d'éléments : s'il semble plus transmissible, nous ne connaissons pas son impact sur la sévérité de la maladie ni sur l'efficacité des vaccins et des traitements. Quoi qu'il en soit, les mesures de prévention pour lutter contre l'infection - à l'exception du vaccin, qu'il faudra peut-être adapter - sont les mêmes que pour le variant Delta.
Un cas de variant Omicron a déjà été identifié à La Réunion. Il y aura sans doute des cas en France, de même qu'il y en a en Europe. En Afrique du Sud, ce variant a émergé à un moment où l'incidence était basse. Il est donc difficile de faire des projections sur la circulation de ce variant en Europe, où l'incidence est actuellement élevée.
Mais, puisque cette pandémie touche le monde entier, il faut y répondre à l'échelon international, notamment en aidant les pays dont les ressources sont limitées à vacciner leurs populations. Une faible couverture vaccinale favorise l'émergence de variants.
Par ailleurs, l'ANRS lancera prochainement un appel à projets afin de promouvoir la recherche autour du covid long, qui, à ce stade, reste un mystère.
Plus largement, il ne faut pas minimiser l'impact à long terme du covid sur notre organisation de soins, non plus que sur le traitement des maladies chroniques. À la veille de la journée mondiale de lutte contre le sida, il me semble important d'indiquer que nous observons une baisse du nombre de dépistages du VIH.
Mme Karine Lacombe, infectiologue, professeure de maladies infectieuses à la faculté de médecine Sorbonne Université, cheffe de service hospitalier des maladies infectieuses à l'hôpital Saint-Antoine (AP-HP). - Mes liens d'intérêt sont consultables en ligne sur le site du ministère des solidarités et de la santé.
Depuis dix-huit mois, nous avons vu le profil des patients changer. Aujourd'hui, 80 % des patients admis à l'hôpital pour le covid ne sont pas vaccinés. Ils constituent la majorité des patients pris en charge en réanimation et des décès. Les 20 % restants sont des patients présentant des facteurs de risques, en particulier des comorbidités, et qui ont souvent reçu leur deuxième dose depuis un certain temps - en moyenne cinq ou six mois, et parfois davantage. La vaccination est donc efficace.
D'ailleurs, malgré l'augmentation très brutale de la transmission, nous ne sommes pas submergés. Sans l'apparition du variant Omicron, tout laissait espérer que l'hôpital aurait pu faire face à cette cinquième vague.
La détérioration de la situation se traduit notamment par une augmentation du nombre de transmissions nosocomiales, qu'elles touchent les familles de patients hospitalisés ou des membres du personnel soignant, même si nous sommes loin des niveaux que nous avons connus, ce qui prouve encore une fois l'efficacité de la vaccination. Malgré tout, l'hôpital est en tension en raison de toutes les pathologies hivernales, qui touchent notamment des personnes âgées, déjà fragilisées par la pandémie.
J'en viens à l'actualité thérapeutique. Nous disposons aujourd'hui de molécules dont l'efficacité a été prouvée dans le cadre d'essais rigoureux. Les immunomodulateurs permettent d'améliorer la prise en charge des personnes hospitalisées présentant des formes graves. Ces traitements permettent de diminuer la mortalité, mais ils sont, bien sûr, sans effet sur la dynamique épidémique.
Nous avons également développé toute une panoplie de médicaments antiviraux qui sont en cours d'évaluation. Si leur efficacité se confirme, ils nous permettront de doter la médecine ambulatoire d'un outil pour le traitement de la maladie à un stade précoce.
Par ailleurs, depuis plusieurs semaines, nous disposons d'anticorps monoclonaux, qui sont indiqués pour des patients présentant des risques de développer une forme grave de la maladie, pour des patients ayant des symptômes modérés, ou encore en cas d'échec de la vaccination. Ces traitements sont pour l'instant sous-utilisés, car ils sont surtout administrés à l'hôpital, en ambulatoire, alors qu'ils étaient initialement destinés à la médecine de ville. Nous avons un effort particulier à faire pour en faciliter l'accès.
Les patients non vaccinés ne sont pas tous, loin s'en faut, opposés à la vaccination. Beaucoup indiquent avoir sous-estimé l'importance de l'infection, d'autres attendaient d'être contactés par leur médecin traitant, d'autres encore se trouvent en situation de vulnérabilité.
Nous devons donc poursuivre la politique du « aller vers ».
Je salue l'extension de la troisième dose à tous les adultes, car l'efficacité du vaccin diminue avec le temps. Cela réduira les symptômes et la réplication virale.
Il convient, parallèlement, de développer la recherche sur les traitements et sur le séquençage, afin d'identifier les souches plus rapidement.
Les variants Delta et Omicron sont apparus dans des pays dont la population était peu vaccinée et plus immunodéprimée qu'ailleurs. En moyenne, le taux de vaccination s'élève à 65 % sur l'ensemble des continents, hormis l'Afrique, où il ne dépasse pas 10 %. Or nous ne pourrons pas vaincre la pandémie sans l'Afrique.
M. Bernard Jomier, président. - Je vous remercie.
Ma première question concerne les enfants. Dominique Costagliola a indiqué que l'absence de contrôle de l'épidémie chez les plus jeunes relevait d'un choix délibéré des autorités. Pourtant, trois enfants sont décédés des suites de la covid ces dix derniers jours. Cela interpelle... Comment expliquer un tel choix ? Tandis que l'Agence européenne des médicaments a autorisé la vaccination des enfants de cinq à onze ans et que 3 à 4 millions d'entre eux sont déjà vaccinés aux États-Unis, pourquoi cela demeure-t-il interdit en France ?
Ma seconde interrogation porte sur la situation de l'hôpital, lequel, selon Karine Lacombe, peut faire face à une nouvelle vague. Pourtant, 1 700 lits de réanimation, soit 30 % de nos capacités, sont déjà occupés par des personnes malades de la covid. N'existe-t-il pas un risque de saturation ?
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. - Lorsque nous l'avons auditionné, le ministre des solidarités et de la santé a indiqué que la France avait commandé du Molnupiravir en quantité. Pourtant, un article récent faisait état d'incertitudes quant à son efficacité. Que pensez-vous de ce traitement ?
M. Roger Karoutchi, rapporteur. - Disposons-nous de suffisamment de doses de vaccin dans la perspective de la campagne de rappel ?
Incontestablement, la lassitude gagne nos concitoyens, qui respectent moins les gestes barrières, faisant, à tort, comme si l'épidémie avait cessé. Une réflexion sur l'équilibre entre la protection sanitaire et la reprise de la vie sociale ne devrait-elle pas être menée, parallèlement aux actions en faveur de la vaccination et du développement de traitements ? Certes, le télétravail réduit le temps de transport et le risque de contact, mais il affaiblit aussi beaucoup le lien social. La lassitude qui en découle peut conduire à un relâchement de la prudence et, partant, à un regain des contaminations.
Comment devrait communiquer le Gouvernement dans ce contexte ? En 2020, nous étions interpellés quotidiennement sur la conduite à tenir ; les messages sanitaires sont désormais fort rares.
M. Jean-Michel Arnaud, rapporteur. - Pourriez-vous nous apporter des précisions sur l'émergence de nouveaux médicaments contre la covid ?
Certains pourraient préférer les attendre plutôt que de se faire vacciner. Quel impact cela aurait-il sur la pandémie ?
Vous avez évoqué, madame Lacombe, les nécessaires efforts de recherche en matière de séquençage. Disposons-nous des moyens humains et financiers pour les mener ? Cela ne risque-t-il pas de léser les recherches réalisées sur d'autres pathologies ?
L'idée qu'il y aurait désormais une vague par saison, selon l'expression utilisée par Dominique Costagliola, ne va-t-elle pas conduire à relativiser la maladie et, de ce fait, l'intérêt pour la vaccination ?
Mme Laurence Cohen. - Comme Roger Karoutchi, je m'interroge sur le nombre de doses dont nous disposons pour faire face à la campagne de vaccination. À titre d'illustration, une dame de quatre-vingt-onze ans, que son médecin traitant n'avait nullement sollicitée, a tenté hier de prendre un rendez-vous, qu'elle n'a obtenu que pour le 23 décembre. Cela me semble tardif !
En quoi le séquençage contribue-t-il à la lutte contre la pandémie ? Les moyens qui y sont affectés sont-ils suffisants ?
Les experts qui se succèdent dans les médias y exposent des avis parfois contradictoires. L'opinion s'en trouve troublée, notamment s'agissant du protocole appliqué en milieu scolaire.
Mme Émilienne Poumirol. - Si l'Afrique reste à un taux de vaccination de 10 %, des variants ne cesseront d'apparaître. Existe-t-il une volonté véritable de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et des pays riches d'aider ce continent ? Au-delà de la levée des brevets, il faut développer une production locale et renforcer parallèlement les exportations de vaccins.
M. Jean-Luc Fichet. - Conseillez-vous la vaccination aux femmes enceintes ?
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Les informations fournies me paraissent trop souvent contradictoires. Il convient d'améliorer la communication. Par exemple, certains médecins déconseillent l'injection d'une troisième dose en cas de taux d'anticorps élevé, tandis que d'autres n'en tiennent pas compte.
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. - La troisième dose doit-elle être réalisée avec un autre type de vaccin ?
Quelle est votre opinion sur l'efficacité du passe sanitaire ?
M. René-Paul Savary. - En Afrique, où le taux de vaccination ne dépasse pas 10 %, ne faudrait-il pas plutôt miser sur l'envoi de médicaments contre la maladie ?
Mme Dominique Costagliola. - Plus de 3 millions d'enfants américains sont d'ores et déjà vaccinés, sans myocardie déclarée. Ce résultat pèsera certainement sur les décisions à venir en France.
Le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC) a mis en ligne hier les premiers résultats d'une étude menée dans plusieurs pays européens indiquant que, si le nombre d'enfants hospitalisés en raison de la covid reste faible, 83 % d'entre eux ne présentent aucun facteur de risque. Sur le sujet, la Société française de pédiatrie demeure divisée...
Le protocole sanitaire applicable à l'école dépend, à mon sens, des objectifs recherchés. Nous avons choisi de limiter les fermetures de classes. Certains élèves, malades, n'en restent pas moins exclus, ce qui perturbe la continuité pédagogique. Je suis, pour ma part, favorable à la minimisation du risque sanitaire à l'école.
La campagne de rappel souffre non pas d'un manque de doses, mais de problèmes liés à la réorganisation du système, notamment à la réouverture des centres de vaccination. Le plus urgent reste la primo-vaccination, en particulier des personnes à risque. Il faut poursuivre le « aller vers ».
Monsieur Fichet, la vaccination des femmes enceintes doit être encouragée, car elles risquent davantage de développer des formes graves, sans compter la possibilité de transmission au foetus.
En revanche, il ne sert à rien de mesurer le taux d'anticorps, car en l'état actuel, il ne permet pas de prédire le niveau de réaction à l'infection. C'est un sujet de recherche, mais une dépense inutile pour le patient.
M. Bernard Jomier, président. - Ce type de test n'est réalisé pour aucun vaccin...
Mme Dominique Costagliola. - Concernant les traitements, nous réfléchissons à des combinaisons, comme contre d'autres maladies infectieuses. Quoi qu'il en soit, le vaccin demeure moins cher et plus efficace : les anticorps restent hors de prix et les antiviraux coûtent de 600 à 700 euros la cure. Il faut donc plutôt favoriser la vaccination.
En Afrique, le problème réside davantage dans les faiblesses de l'organisation et l'hésitation vaccinale que dans le manque de doses, notamment en Afrique du Sud.
Mme Karine Lacombe. - Nous n'avons pas accès à suffisamment de données, hors celles, parcellaires, qui sont issues des communiqués de presse, pour juger de l'efficacité du Molnupiravir. Les experts de la Haute Autorité de santé et de la Food and drug administration (FDA) devraient cependant en disposer prochainement pour pouvoir se prononcer. Nous espérons un retour positif, afin d'améliorer la prise en charge ambulatoire des malades de la covid.
L'équilibre entre la sécurité sanitaire et la vie sociale, comme entre la liberté individuelle et la protection collective, est effectivement essentiel. Mais, quelle que soit la position du curseur, il existera toujours des mécontents...
Les Britanniques ont choisi de préserver leur vie sociale en laissant le virus circuler. Mais à quel prix ? Celui d'une mortalité plus élevée qu'en France et d'un système hospitalier - le National health service (NHS) - sous tension, avec des listes d'attente pour être opéré. Au reste, ils commencent à changer de stratégie et viennent de rendre obligatoire le port du masque dans le métro. La population vulnérable a été sacrifiée. Dans le système français, cela serait inconcevable : nous prenons soin des plus fragiles.
L'enjeu est donc véritablement de placer le curseur au bon endroit. Dans notre société, il n'y a pas que des gagnants qui vont de l'avant. Nous devons prendre soin les uns des autres. À cet égard, nous avons essayé, depuis dix-huit mois, de faire en sorte qu'une balance ne soit pas trop déséquilibrée, et il me semble que nous y sommes parvenus.
Mme Dominique Costagliola. - C'est aussi pour cela que j'ai essayé de ne proposer que des mesures qui, malgré leur caractère contraignant, n'empêchent pas totalement les activités. Je pense que la combinaison de ces différentes mesures peut réussir et qu'il n'est pas nécessaire de remettre en place certains dispositifs qui ont été extrêmement difficiles à supporter pour la population.
S'agissant des médicaments, les résultats diffèrent d'un communiqué de presse à l'autre, sans que l'on comprenne bien pourquoi pour l'instant.
Les traitements dont nous parlons, comme le Molnupiravir, devront être administrés dans les cinq jours suivant le début de l'apparition des symptômes. À l'heure actuelle, les personnes qui se présentent pour un test PCR en France le font environ 2,2 jours après le début de cette apparition. Dans l'essai Coverage, qui a coordonné toutes les équipes qui souhaitaient faire des essais en ville grâce à l'ANRS, les personnes étaient incluses, en médiane, quatre jours après le début de l'apparition des symptômes.
Dans l'arbitrage avec le vaccin, il faut aussi prendre en compte la prescription par le médecin, la délivrance et, bien entendu, le coût. Il sera toujours positif que certaines personnes aient accès aux traitements, mais cela ne va pas tellement changer la donne, sauf si l'on se donne les moyens de mettre au point une organisation très efficace. En général, cela coûte moins cher de prévenir que de guérir...
M. Yazdan Yazdanpanah. - La question des enfants est extrêmement délicate. Au mois de juin dernier, nous avons réalisé, pour le Sénat, une étude sur le dépistage répété des enfants - elle a été effectuée par Vittoria Colizza. L'ANRS est vraiment favorable au dépistage répété des jeunes enfants non vaccinés. Le Conseil scientifique s'est aussi exprimé en ce sens. Il est important d'y insister, même si la faisabilité pose question.
Sur la vaccination, je suis plutôt sur la même ligne que Dominique Costagliola. En revanche, la Société française de pédiatrie n'est pas sur cette ligne, non plus que la Société française de l'infectiologie, dont Karine Lacombe et moi-même faisons partie. De fait, il faut savoir que les données ne sont pas toujours robustes et que les choses bougent dans le temps. Il n'est donc pas toujours simple de répondre aux questions. Il faut parfois accepter qu'il y ait une incertitude autour de nos recommandations, et il faut que nous le disions.
Vous avez posé la question de l'hôpital. Pour y travailler, je pense qu'il y a actuellement à l'hôpital un problème qui n'est pas lié au covid ; je veux y insister. Il est absolument nécessaire, à côté d'une réflexion de court terme sur la gestion du covid à l'hôpital, d'entamer rapidement une réflexion de long terme sur celui-ci. De fait, les problèmes que rencontre l'hôpital sont beaucoup plus importants que le problème du covid ; nous le vivons au quotidien.
Nous manquons de données sur les médicaments : un communiqué de presse évoquait une efficacité de 50 % du Molnupiravir ; un autre parlait de 30 %... Au reste, les données sont fragiles, notamment parce que l'étude a été menée dans différents pays. Nous devons donc être très prudents dans leur interprétation, mais, comme l'a dit Karine Lacombe, nous nous dirigeons probablement vers une stratégie consistant à tester et traiter les patients.
De la même façon qu'existent des stratégies combinées de prévention, il y a des stratégies combinées pour arrêter la maladie. Je pense que vaccin et traitement vont bien ensemble. Il faut avoir les deux, comme pour n'importe quelle maladie, et ne pas oublier les anticorps monoclonaux, qui coûtent cher, mais qui sont les seuls à avoir démontré leur efficacité.
2 000 séquençages ont été effectués en France en 2020. À ce jour, on en recense 242 000. Leur nombre a donc été multiplié par 100 en quelques mois, grâce à l'action de Santé publique France et de l'ANRS, et à une utilisation du réseau des virologues spécialistes du VIH et des plateformes de séquençage, à savoir les Centres nationaux de référence de l'Institut Pasteur et l'AP-HP. L'ensemble des territoires sont couverts. S'il reste des progrès à effectuer, cela ne marche donc pas si mal.
Il ne sert à rien de multiplier les séquençages si les séquences viennent toujours du même endroit. Il faut que la diffusion du variant soit importante. Il faut également étudier les significations d'un variant. Nous avons mis en place une plateforme pour étudier cette significativité. Il s'agit, par exemple, d'étudier l'impact du vaccin sur la souche de La Réunion, l'impact des traitements... Bien sûr, nous pouvons toujours faire mieux, mais nous avons d'ores et déjà bien progressé.
Il n'existe pas de contre-indications à la vaccination pour les femmes enceintes. Jusqu'en mars dernier, la HAS ne visait que les femmes ayant dépassé le premier trimestre de grossesse. Désormais, toutes les femmes enceintes sont concernées.
Pour ce qui concerne les tests sérologiques, j'ai moi-même eu le covid et j'ai reçu une dose de vaccin. Mon taux d'anticorps est probablement élevé ; malgré tout, je recevrai la troisième dose. En effet, pour l'instant, on ne connaît pas la significativité d'un taux d'anticorps élevé. Ce point relève de la recherche.
Nous regrettons tous qu'il n'y ait pas eu, pour de nombreuses raisons, une plus grande implication des citoyens dans la lutte contre le covid. Cependant, je pense que le passe sanitaire a aidé. La France a actuellement une couverture vaccinale importante - elle compte 10 à 15 % de vaccinés de plus que l'Autriche ou l'Allemagne. En cette période de forte augmentation de l'incidence, nous avons besoin que la population adhère à un certain nombre de règles, notamment la vaccination. Les modélisations montrent que les rappels ont un impact très important, en tout cas sur le variant Delta. Il est donc important de poursuivre l'effort en ce sens, parallèlement au respect des gestes barrières. Au reste, le nombre de vrais anti-vaccins est extrêmement faible.
La recherche se penche sur la question de la vaccination hétérologue. Comme pour d'autres stratégies vaccinales, la réponse est peut-être plus élevée et plus durable quand on recourt à deux vaccins différents. À ce jour, tous les rappels se font avec des vaccins ARN, mais l'intérêt de procéder à des rappels hétérologues, s'agissant notamment du vaccin de Sanofi, est une hypothèse de recherche.
M. René-Paul Savary. - Il semble que, sur le terrain, un certain nombre de médecins affirment que ceux qui ont eu la covid et ont un taux d'anticorps élevé n'ont pas besoin de la dose de rappel, alors même que celle-ci sera obligatoire dès janvier pour conserver le passe sanitaire.
La doctrine gouvernementale consiste à dire qu'il faut recevoir la dose de rappel dans toutes les situations - c'est ce qui figure dans les consignes de la direction générale de la santé (DGS).
Or vous nous dites que, scientifiquement, il n'est pas prouvé qu'il faille faire le rappel - ni, du reste qu'il ne faille pas le faire...
M. Yazdan Yazdanpanah. - Ce que vous dites est vrai. Je suis intervenu la semaine dernière à ce sujet auprès des médecins généralistes de Senlis. Des médecins généralistes commencent à faire des sérologies. Le problème, c'est que l'on ne sait pas du tout interpréter les taux.
J'ai entendu que des patients avaient fait une infection sévère malgré des taux d'anticorps élevés. Dans le doute, il ne faut pas, pour le moment, tenir compte de la sérologie. Au reste, cela changera peut-être quand la recherche aura avancé...
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. - Fin septembre, j'ai interrogé la présidente de la HAS sur le cas d'une personne qui, plusieurs mois après contracté le covid, se demandait si elle devait recevoir une dose de vaccin, son taux d'anticorps étant élevé. La HAS m'a répondu, comme vous, que l'on ignore si un taux élevé d'anticorps protège réellement de la covid et qu'il vaut mieux, dans ces conditions, faire le vaccin. Y a-t-il des recherches en cours sur ce sujet ?
M. Yazdan Yazdanpanah. - Oui, mais, pour l'instant, nous n'avons pas de réponse. On dit qu'il n'existe pas de « corrélat de protection » : on ne sait pas à partir de quel taux il y a une vraie protection.
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. - La présidente de la HAS m'a également indiqué que certaines personnes qui n'étaient plus positives aux tests, mais présentaient encore des symptômes de covid ont vu ces symptômes disparaître sous l'effet de la vaccination.
M. Yazdan Yazdanpanah. - Cela aussi est très discuté. Un article est même paru dans Nature sur le sujet. Je pense également à l'impact des vaccins sur le covid long. Il ne faut pas trop s'avancer sur cette question de recherche.
Cette crise nous aura aussi appris à avouer que l'on ne sait pas.
M. René-Paul Savary. - Il faut vraiment faire passer le message auprès des médecins généralistes, car c'est contre-intuitif. Je me permets d'insister, parce que cela remonte régulièrement du terrain.
M. Yazdan Yazdanpanah. - Je suis entièrement d'accord.
M. Bernard Jomier, président. - Je remercie les intervenants de leurs réponses aux nombreuses questions qui leur ont été posées.
Pour information, la commission des affaires sociales auditionnera, demain matin, la directrice de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) sur les traitements anti-covid et la pharmacovigilance sur les vaccins et, mercredi 8 décembre, le professeur Jean-François Delfraissy, président du Conseil scientifique.
La réunion est close à 16 h 35.