Jeudi 25 novembre 2021
- Présidence de M. Vivette Lopez, secrétaire -
Étude sur la place des outre-mer dans la stratégie maritime nationale - Table ronde sur les spécificités des ports maritimes ultramarins (grands ports maritimes, ports autonomes et ports d'intérêt national)
Mme Vivette Lopez, présidente. - Monsieur le président, chers collègues. Dans le cadre de la préparation du rapport de notre délégation sur la place des outre-mer dans la stratégie maritime nationale, la délégation tient ce matin une table ronde sur les spécificités des ports maritimes ultramarins.
Pour conduire cette table ronde, j'ai l'honneur de remplacer le président Stéphane Artano, qui vous prie de l'excuser, car il est actuellement à Saint-Pierre-et-Miquelon. Il participe néanmoins à nos travaux en visioconférence.
Nous vous remercions très vivement d'avoir répondu à notre invitation afin de nous permettre de mieux saisir les enjeux et les problématiques particulières qui sont les vôtres.
Sophie Brocas, directrice générale de la DGOM, que nous avons auditionnée le 4 novembre dernier, a en effet regretté que, concernant la stratégie portuaire, les outre-mer aient été oubliés, en soulignant que le réflexe ultramarin faisait parfois défaut dans certains ministères.
Vous aurez la parole sur la base de la trame indicative, préparée par nos trois rapporteurs, Philippe Folliot, Annick Petrus et Marie-Laure Phinera-Horth. Cette trame vous a été adressée en amont.
Nous aurons le plaisir d'entendre Daniel Houmbouy, directeur du port autonome de Nouméa en Nouvelle-Calédonie, Nicolas Allemand, directeur adjoint de la Direction des territoires, de l'alimentation et de la mer (DTAM) pour le port d'intérêt national de Saint-Pierre-et-Miquelon et Mansour Kamardine, président du conseil portuaire, député de Mayotte, accompagné de François Marendet, chargé de mission auprès du Conseil départemental de Mayotte pour le port de Mayotte.
Au sujet de la situation des grands ports maritimes (GPM), nous aurons le plaisir d'entendre Jean-Pierre Chalus, président de l'Union des ports de France et directeur du grand port maritime (GPM) de la Guadeloupe, Jean-Rémy Villageois, président du grand port maritime (GPM) de la Martinique, Philippe Lemoine, directeur général du grand port maritime (GPM) de la Guyane et enfin Éric Legrigeois, président du directoire du grand port maritime (GPM) de La Réunion.
Dans un second temps, nos rapporteurs et nos autres collègues pourront vous interroger, messieurs, s'ils souhaitent des éclairages complémentaires sur certains points.
Messieurs, je vous cède la parole. Daniel Houmbouy ne pouvant intervenir pour des raisons techniques, nous commencerons ce premier tour de table par Jean-Pierre Chalus, président de l'Union des ports de France et directeur du GPM de la Guadeloupe.
M. Jean-Pierre Chalus, président de l'Union des ports de France et directeur du GPM de la Guadeloupe. - L'Union des ports de France est constituée de 46 membres actifs. Ces derniers sont des grands ports maritimes (GPM), des ports autonomes et des ports concédés et délégués, tant dans l'Hexagone qu'en outre-mer.
Notre association professionnelle exerce trois missions essentielles. La première est relative au dialogue social et à la convention collective de l'ensemble des personnels de nos adhérents. La deuxième concerne la représentation des intérêts des ports français au niveau national. Enfin, la troisième consiste à oeuvrer avec nos amis des ports européens au sein de l'association European Sea Ports Organisation (ESPO), afin de travailler sur l'ensemble des textes pouvant nous concerner.
Les ports français sont des infrastructures et des organisateurs de services, avec des activités liées aux trafics maritimes interocéaniques et/ou régionaux. Ce sont également des noeuds multimodaux, avec des réseaux transeuropéens de transport ainsi que des carrefours logistiques, industriels, énergétiques et numériques.
Les ports sont intégrés dans des espaces urbains mais également naturels, leur conférant un rôle privilégié d'acteurs en termes de préservation de l'environnement, de la lutte contre le changement climatique et du développement d'une économie circulaire. Ce sont aussi des moteurs de croissance et des accélérateurs de transition écologique, énergétique et numérique.
En outre-mer, huit ports figurent parmi les adhérents de l'Union des ports de France : le port de Saint-Martin, les GPM de Guadeloupe, Martinique, Guyane, La Réunion, le port de Mayotte, les ports autonomes de Nouvelle-Calédonie et de Papeete.
Le trafic de ces ports varie entre 500 000 tonnes et 6 millions de tonnes. Ces quantités les placent à un niveau de trafic métropolitain. Le transport de passagers est souvent extrêmement important. Hormis en Guyane, l'ensemble de nos ports accueille entre 100 000 et 1,3 - voire 1,4 - million de passagers.
Je vous remercie d'avoir invité l'ensemble de nos adhérents. Je les prie de bien vouloir m'excuser car nous n'avons pas eu l'occasion de travailler ensemble depuis quelque temps. Cette table ronde nous donne l'occasion d'échanger.
Des outils de coopération ont souvent été mis en place. Par exemple, le port de Haropa a été créé récemment, le 1er juin 2021, et fusionne les ports du Havre, de Rouen et de Paris. Des outils de coordination interportuaire ont également été créés, comme le conseil de coordination interportuaire Antilles-Guyane regroupant les ports de Guadeloupe, de Martinique et de Guyane.
Des défis importants (environnementaux, économiques et numériques) nous attendent. Pour les ports ultramarins, les modalités de réponse sont parfois différentes de celles des ports métropolitains.
J'ai noté dans votre introduction une interrogation sur l'intégration des ports ultramarins dans la stratégie nationale portuaire. Nous la partageons. Néanmoins, nous nous reconnaissons dans nombre de thématiques et d'ambitions portées par la stratégie nationale portuaire même si nous relevons que les ports ultramarins ne sont pas véritablement cités. Nous constatons que nous sommes parfois éloignés des attentions de l'Hexagone.
Les ports ultramarins ont chacun leurs forces et leurs faiblesses.
Au sein du GPM de la Guadeloupe, la fiabilité est assurée depuis plus d'une dizaine d'années. Dans cette période un peu difficile, le port parvient à travailler dans des conditions parfois très particulières. Nous remplissons nos missions concernant l'accueil des navires au sein de nos installations. Toutefois, dans ce contexte de crise sociale, l'enjeu majeur est d'assurer la possibilité, pour nos personnels, de pouvoir rejoindre leur lieu de travail en toute sécurité.
Le GPM de la Guadeloupe est doté d'un projet stratégique comme l'ensemble des GPM. Ce projet est voté pour une durée de cinq ans et a identifié les principales actions et ambitions à porter sur notre territoire.
Concernant la gouvernance, nous avons basculé dans le statut de GPM lors de la réforme de 2012.
Le premier apport de cette réforme est une clarification en matière de gouvernance. Au sein du conseil de surveillance sont présents des acteurs qui ne sont pas directement liés à l'activité du GPM. Cette organisation permet d'éviter les difficultés liées aux conflits d'intérêts, ayant fait l'objet de nombreuses recommandations de la Cour des comptes ces dernières années. Cette gouvernance est aujourd'hui totalement distincte des intérêts en jeu pour l'exploitation en direct du port.
Le deuxième intérêt - dont nous verrons les fruits à l'avenir - est d'avoir permis aux ports d'être propriétaires de leur terrain. Du temps des ports autonomes, ces derniers n'étaient qu'affectataires du domaine public de l'État. Un des volets de la réforme portuaire a été de transférer la propriété des terrains de l'État vers les GPM, transformant les terrains en actifs pouvant être utilisés au service de leurs ambitions.
Le troisième intérêt est la réaffirmation du rôle des ports en matière environnementale et de protection de la biodiversité. Les ports sont devenus gestionnaires de leurs espaces naturels. Combiner cette mission essentielle avec les missions à caractère économique me semble important car cela permet une véritable politique de développement durable au sein d'un territoire, parfois significative. Les sujets autour de la transition énergétique et numérique nous concernent au premier plan et des actions sont actuellement menées au sein des ports, montrant que les ports ultramarins sont extrêmement engagés dans ces grandes orientations.
Concernant le développement régional et international, la plupart de nos ports sont clairement au service de nos territoires. L'essentiel de leur activité est lié à l'importation de produits de consommation, dans un modèle extrêmement linéaire. Compte tenu du faible niveau d'industrialisation au sein de nos îles, nous sommes essentiellement marqués par des trafics de consommation, tels que le tourisme, avec l'activité de croisières. Cette dernière est perturbée actuellement. En Guadeloupe, cette année sera une deuxième saison blanche car aucune escale ne se produira cette saison.
En Guadeloupe, l'un des chantiers prioritaires est l'adaptation de nos infrastructures à l'évolution de la flotte de navires. Nous observons une tendance lourde qui est l'augmentation de la taille des navires. En Martinique comme en Guadeloupe, nous avons connu avec une soudaineté assez forte l'accueil de grands navires, notamment sur la ligne Medcar (Méditerranée-Caraïbes). Le volume de ces grands navires est de 6 900 tonnes, équivalents vingt pieds (EVP). Nous notons un changement de stratégie de certains acteurs maritimes. Nous devons donc à la fois augmenter nos infrastructures et disposer d'équipements de chargements et de déchargements adaptés. En effet, les navires augmentent en longueur mais aussi en largeur.
La fonction de hub constitue un sujet régulièrement évoqué dans la Caraïbe, expliquant en général la différence de trafic d'une année sur l'autre.
Il existe trois niveaux de coopération régionale.
Le premier est la coopération prévue par le conseil de coordination Antilles-Guyane. Cette coopération fonctionne. Personnellement, j'ai été quelque peu surpris par le rapport de la Cour des comptes. Ce rapport, rendu public au mois de juillet 2021 pour le GPM de la Guadeloupe, considère que la coopération Antilles-Guyane ne fonctionne pas en matière portuaire. Selon moi, le programme de travail est ambitieux. Avec mes collègues Jean-Rémy Villageois et Philippe Lemoine, nous sommes totalement investis dans ce travail, sans doute en phase de démarrage et contrarié par les vagues successives de Covid-19 mais je dirais que ce travail est plutôt sur de bons rails.
Le deuxième niveau de coopération se situe à l'échelle de la Caraïbe. Nous menons différentes actions, parmi lesquelles le projet Cariport. Au travers de l'association Caribbean Shipping Association, regroupant les acteurs maritimes et portuaires de la Caraïbe, nous avons prévu de partager la manière dont nous menons nos politiques en matière environnementale et de protection de la biodiversité. Notre idée est de réfléchir, à l'échelle de la Caraïbe, à un label commun. Un relationnel très fort s'est développé avec l'ensemble de nos collègues à l'échelle de la Caraïbe.
Le troisième niveau est national. Faire exister les outre-mer vis-à-vis des ministères est très important ainsi que de réactiver notre coopération et notre commission des ports d'outre-mer au travers de notre association professionnelle.
Concernant la compétitivité, les réserves foncières sont très faibles. Le GPM de la Guadeloupe est une installation multisite. L'ensemble de nos cinq sites représentent seulement 180 hectares terrestres, ce qui semble peu comparé aux 5 000 hectares que nous possédons sur le plan d'eau maritime. La question de la réserve foncière est donc particulièrement importante et doit faire l'objet de réflexions sur les développements à venir. Quelques exemples d'installations de pépinières d'entreprises existent néanmoins.
Concernant les objectifs de verdissement, le sujet majeur de l'électrification de quais se pose, comme c'est le cas pour les ports métropolitains. Nous sommes mobilisés sur ce sujet, ainsi que sur la numérisation des ports, pour laquelle nous avons conclu un certain nombre de partenariats avec des ports métropolitains.
En Guadeloupe, la volonté de développer l'économie bleue est aussi à noter. Des associations sont importantes. Le cluster maritime de Guadeloupe s'investit sur les sujets de la formation aux métiers de la mer et de sensibilisation sur l'importance de la mer en matière d'économie et de développement de l'emploi.
Enfin, la croisière est un axe de développement. Même si depuis deux ans, nous ne recevons plus de bateaux de croisière, nous portons, au niveau du GPM de la Guadeloupe, le projet Karukéra Bay, qui devrait permettre une amélioration significative de notre capacité d'accueil, grâce à l'aménagement du front-de-mer pointois.
M. Jean-Rémy Villageois, président du Grand port maritime (GPM) de la Martinique. - Les ports de la Martinique et de la Guadeloupe opèrent tous deux dans la zone Caraïbe. Nous servons les mêmes clients.
Le port de la Martinique a effectué le grand saut en 2012, en passant d'un port concédé à un GPM, sans passer par la case port autonome. Ainsi, la réforme portuaire a été pleinement absorbée, en un temps record. Le bilan de cette réforme est très positif. En effet, en quelques années, les indicateurs financiers et les ratios se sont redressés, permettant au port d'assurer la soutenabilité financière de ses investissements.
Le pilotage a été resserré autour d'une équipe restreinte. Nous sommes passés d'une gestion bicéphale à une gestion directe de l'ensemble de l'exploitation portuaire. Comme le soulignait mon collègue de la Guadeloupe, ce changement de gestion a permis une très bonne fiabilité. Depuis quelques années, le port assure l'ensemble de ses missions sans difficulté. L'ensemble de la classe portuaire s'est retrouvée fédérée autour de ce projet, avec de bons résultats en termes financiers, de fiabilité et de fonctionnement.
Les crises sanitaires et économiques que nous affrontons permettent de resserrer notre action autour des activités essentielles du port. Force est de constater que le grand port de la Martinique a pu assurer l'ensemble de ses missions, dans un environnement quelques fois très complexe, au service de l'économie et de la vie du territoire.
Souligner le contexte dans lequel évoluent les ports d'outre-mer, et celui de la Martinique en particulier, est intéressant. Nous sommes dotés de conditions nautiques très favorables, avec un accès direct à la mer, ce qui nous permet d'accueillir de plus grands navires à l'abri de la houle et des vents.
Nous traitons des activités très diversifiées sur quatre systèmes principaux : les hydrocarbures, les marchandises, les passagers et la réparation navale.
Ces activités ont un lien avec les problématiques d'économie bleue et d'emplois. Une estimation fait état de 7 500 emplois liés à l'activité portuaire, soit 6 % des emplois salariés en Martinique.
Le GPM détient un rôle moteur dans l'économie locale, en tant que véritable poumon économique. En effet, nous concentrons à peu près 98 % des échanges de marchandises en tonnage. En outre, la moitié des visiteurs accèdent à l'île par voie maritime. Nous exerçons donc un levier très fort sur l'ensemble de l'économie insulaire à travers notre projet.
Toutefois, nous évoluons dans un environnement naturel exceptionnel, ce qui nous impose de mettre en oeuvre des solutions techniques innovantes pour le préserver. Dans les années à venir, l'enjeu principal du port sera d'assurer notre transition énergétique et écologique, tout en participant au développement économique. L'équilibre entre environnement et économie est absolument prégnant. Il nécessite la mise en oeuvre de solutions innovantes et constitue l'enjeu principal du projet stratégique. Des actions ont déjà été réalisées et des actions clés sont à venir.
Nous nous reconnaissons tout à fait dans la stratégie nationale portuaire, bien que nous y soyons peu cités. Les grands thèmes sont bien présents, avec des points de cristallisation sur la Martinique, la Guadeloupe et les autres territoires d'outre-mer. Il nous reviendra de la décliner en tenant compte de notre environnement.
L'enjeu principal est d'assurer la transition énergétique et écologique dans un contexte de changement climatique. Nous évoluons dans un environnement où la dynamique économique et écologique est très forte, peut-être un peu plus que dans l'Hexagone. Nous devons tenir compte des évolutions. En effet, dans nos investissements, nous devons intégrer des éléments qui ne sont pas encore à l'ordre du jour, à savoir la montée des eaux et les phénomènes brutaux que sont les cyclones ou les tsunamis. Ces phénomènes sont propres à l'outre-mer et leurs effets sont extrêmement structurants et coûteux. Ils pèsent sur la soutenabilité financière de l'établissement.
Les ports d'outre-mer, en particulier celui de la Martinique, sont de petite taille. Nous sommes 115 salariés, avec un chiffre d'affaires de 25 à 27 millions d'euros et des actifs à 330 millions d'euros. Nous pouvons à peine assumer les amortissements des infrastructures dont nous sommes chargés. Ces infrastructures devront évoluer. La problématique principale du port est d'assurer la soutenabilité de ces investissements, qui devront être significativement revus à la hausse pour assurer la survie du port et du territoire qu'il dessert.
Un autre enjeu est l'évolution des cycles économiques. Concernant les évolutions de taille, en 2015-2016, nous avons vécu une massification très forte des transports. En termes de marchandises, les navires ont triplé de taille en l'espace d'une année sans que les volumes traités ne triplent eux aussi de taille. Nous sommes donc obligés d'adapter nos infrastructures à des évolutions exogènes sans pour autant augmenter, dans les mêmes ratios, l'activité économique. Un décalage existe entre l'environnement économique, la taille des navires, la fréquence des navires et les ports, et donc l'organisation des lignes. Les ports d'outre-mer doivent s'adapter à ces bateaux afin d'assurer la continuité territoriale et l'approvisionnement essentiel. Cette adaptation est aussi valable pour la croisière, où la taille des navires augmente rapidement. De même, les modes de motorisation évoluent.
Les ports doivent donc augmenter leur capacité en termes de tirant d'eau, de longueur de quais, d'outillage mais aussi de dispositifs de bunkering, c'est-à-dire d'approvisionnement en combustibles. Nous approvisionnons actuellement les navires en gasoil. Demain, nous devrons les approvisionner en liquefied natural gas (LNG). Ces éléments changent complètement le positionnement des ports, et cela dans des cycles très rapprochés. Si nous connaissions habituellement des cycles de vingt ans, les outre-mer sont actuellement confrontés à des cycles de deux ans.
En conclusion, le bilan de la gouvernance est très favorable, avec des résultats probants. Le travail doit se poursuivre dans les années à venir. En effet, des transitions doivent être gérées sur le temps long. De grands enjeux sont à venir, avec un fort engagement de l'État et de la collectivité. Les ports sont présents au rendez-vous, dans un contexte plutôt compliqué.
M. Philippe Lemoine, directeur général du grand port maritime (GPM) de la Guyane. - Avec la Martinique et la Guadeloupe, la Guyane fait partie des trois GPM de l'espace caribéen, et même atlantique. Les forces de nos ports résident dans leur qualité d'infrastructure essentielle, au sens européen du terme. En effet, chaque GPM constitue la porte d'entrée et de sortie principale de nos territoires. Cette force peut aussi être considérée comme une faiblesse car, en cas de difficulté, il n'existe pas d'alternative à l'utilisation du port, comme dans l'Hexagone.
Une faiblesse de la Guyane vient du fait que le volume des marchés n'est pas encore suffisant pour accompagner les lourds investissements nécessaires pour être à la hauteur d'une bonne desserte maritime. J'imagine qu'il en est de même pour d'autres infrastructures en Guyane. Investir pour accompagner le développement est nécessaire. Or investir est parfois compliqué lorsque les ressources ne sont pas suffisantes.
Un autre point faible de la Guyane est que les conditions nautiques n'y sont pas très favorables. Certes, nous ne connaissons pas de saisons cycloniques comme aux Antilles. Toutefois, nous connaissons un phénomène d'envasement, dû au rejet du fleuve Amazone. La conséquence directe est la limitation de nos tirants d'eau. Malgré des efforts permanents de dragage, nous restons très limités dans nos capacités d'accueil. Aujourd'hui, les tirants d'eau pour entrer dans le port de Dégrad des Cannes, site principal du GPM de la Guyane, sont limités à sept mètres, à condition d'entrer à marée haute. À ce jour, nous n'avons pas de perspective pour nous dégager de cette forte contrainte, hormis des projets d'implantation d'un port très au large. Je ne sais pas si nous pourrons accompagner ces projets jusqu'au bout.
En outre, un autre point faible, inhérent au peu de volume des échanges, est la difficulté à encourager la concurrence. La desserte de la Guyane pour le trafic de conteneurs, qui compose l'essentiel du trafic d'approvisionnement de la consommation locale, est assurée par deux compagnies maritimes. Ces dernières, en vessel sharing agreement (VSA), ne sont pas véritablement en concurrence. Nous cherchons les moyens de mettre en place une concurrence mais pour le moment, les faibles volumes ainsi que nos infrastructures qui doivent encore être modernisées, ne le permettent pas vraiment.
En Guyane, le premier de nos grands objectifs est la réhabilitation de nos ouvrages. Quand le GPM s'est vu attribuer l'ensemble des ouvrages, notamment sur le site de Dégrad des Cannes, nous avons constaté que ces ouvrages étaient vieillissants et ne répondaient pas vraiment aux besoins d'un trafic portuaire modernisé. Depuis 2013, nous poursuivons de grands efforts d'investissements pour renouveler nos ouvrages et, en même temps, les adapter aux normes environnementales.
Nous devons faire face à un autre enjeu : étendre notre foncier disponible et l'aménager. Ce port avait été principalement concentré sur l'accueil des navires, ce qui est sa fonction essentielle. Néanmoins, nous voyons bien qu'un port ne peut se développer que s'il offre un foncier, afin de permettre l'installation d'entreprises ayant besoin de la proximité du port pour se développer elles-mêmes. En s'installant, les entreprises accompagnent elles aussi le développement du port.
L'autre enjeu que nous essayons de relever est l'ouverture du territoire de la Guyane aux pays voisins. La Guyane a la particularité d'être une portion d'Europe en Amérique du Sud. C'est notre devise. Nous présentons le GPM de la Guyane comme « l'Europe au carrefour des Amériques ». Cette caractéristique constitue certainement une force. Cependant, nous devons savoir comment nous nous ancrons définitivement dans cette Amérique du Sud. Les pays voisins tels que le Brésil, le Suriname et le Guyana ne parlent pas la même langue que nous. Nous sommes dans un environnement hétérogène. Ces pays appartiennent à des espaces économiques différents. La Guyane est bien entendu rattachée au marché européen et aux règles communautaires. Le Brésil est plutôt rattaché au Mercosur tandis que le Suriname et le Guyana sont rattachés au CARICOM. Échanger avec ces pays est compliqué. Malgré tout, nous devons réaliser cet effort si nous voulons, entre autres, diminuer les coûts d'approvisionnement pour la Guyane et mieux ancrer ce territoire dans son environnement.
Concernant la gouvernance, l'ensemble des acteurs de la place portuaire guyanaise évalue positivement l'évolution que constitue par la création des GPM. Cette dernière a mis fin à une dualité de gouvernance entre l'État, dont les activités étaient régaliennes, et les concessionnaires, dont les activités étaient plus commerciales ou gestionnaires. Une seule voix parle au nom du port, ce qui est vécu très positivement.
Concernant la prise en compte des outre-mer dans la stratégie nationale portuaire, tous les ports, de l'Hexagone comme d'outre-mer, partagent l'objectif d'accompagner le développement économique de nos territoires. Ce point est sans doute plus saillant en outre-mer que dans l'Hexagone. Il constitue l'un de nos objectifs prioritaires. Cet accompagnement du développement économique de nos territoires ne peut avoir lieu que si nous relevons le défi des transitions écologique et numérique. Cette dernière est déjà bien avancée.
Le positionnement de la Guyane est un peu particulier. En raison des contraintes nautiques, nous ne pouvons pas accueillir de gros navires. Ce fait nous pénalise beaucoup pour offrir une possibilité de hub. Par ailleurs, je ne sais pas si devenir un hub est vraiment un but que nous visons. Mieux nous inscrire au sein de notre territoire est par contre essentiel. Nous devons donc plutôt parvenir à lever toutes les contraintes qui entravent nos échanges avec les autres.
Par exemple, nous construirons l'année prochaine un poste communautaire frontalier. Celui-ci nous permettra d'assurer en Guyane le contrôle de tous les produits venant de pays hors de l'Europe. Ce poste marquera le franchissement d'une belle étape car nous pourrons contrôler et tester directement les produits provenant du Brésil, de la Caraïbe ou d'Amérique centrale. Aujourd'hui, si nous souhaitons importer des produits de pays tiers en Guyane, nous devons nécessairement les faire passer par l'Hexagone.
Une fois cette première étape franchie, nous devrons parvenir à trouver, d'une part, des flux d'échanges avec nos pays voisins et, d'autre part, le vecteur qui les transportera, à savoir mettre en oeuvre une ligne maritime. Le GPM de la Guyane déploie beaucoup d'effort pour promouvoir une telle ligne. Ce n'est pas facile car les espaces économiques ne sont pas les mêmes et les volumes d'échanges ne sont pas encore très élevés. Nous devons être persévérants quant à cet objectif.
Dans le même ordre d'idée que la création d'un hub, suivre l'évolution du trafic de conteneurs est déjà une étape importante pour la Guyane. Cependant, nous n'assistons pas non plus à une explosion des trafics dans la mesure où celle-ci suit l'évolution de la démographie. Nous parlons d'une évolution de l'ordre de 2 ou 3 % par an qui s'accompagne relativement facilement, bien que nos infrastructures doivent être modernisées et réhabilitées.
Jean-Pierre Chalus a noté que la Cour des comptes avait été un peu critique par rapport au fonctionnement de notre conseil de coordination interportuaire Antilles-Guyane. Certes, nous pourrions toujours souhaiter que ce conseil soit encore plus actif. Toutefois, je pense aussi que ce conseil produit de bons résultats. Entre la Martinique, la Guadeloupe et la Guyane, de nombreux travaux ont été menés en commun, notamment des thèmes de réflexion sur la modernisation de la manutention.
Actuellement, nous construisons une plateforme informatique de données portuaires commune à l'ensemble des ports de la Caraïbe, voire au-delà. Cette plateforme constitue un beau défi que, je l'espère, nous relèverons.
En outre, nous partageons des expériences. Nous devons être encore plus actifs. Le contexte de la pandémie ne facilite toutefois pas les échanges.
Nous projetons de construire un port flottant, qui nous affranchirait de ces problèmes de tirants d'eau et pourrait constituer une plateforme commune à l'ensemble des pays du plateau des Guyanes. Cet objectif est ambitieux. Nous devons regarder comment nous faire accompagner pour véritablement étudier la faisabilité de ce type de projet.
Enfin, l'activité de croisière est moindre en Guyane qu'en Guadeloupe ou en Martinique. Malgré tout, en dehors de la période de pandémie, une croisière « de niche » que nous pourrions qualifier de « tourisme amazonien » se développe. En Guyane, nous avons tout intérêt à essayer de nous positionner afin d'accueillir, ne serait-ce qu'une fois par mois, des petits navires de croisière. Ce sujet doit faire l'objet d'un travail car quelques points faibles doivent encore être surmontés, notamment concernant les structures d'accueil (conditions de transport et de déplacement à l'intérieur de la Guyane).
M. Éric Legrigeois, président du directoire du grand port maritime (GPM) de La Réunion. - La Réunion présente quelques particularités par rapport aux Antilles et à la Guyane mais également des points communs évidents, à savoir une insularité et un environnement régional ne répondant pas aux règles européennes. Ce dernier point est d'autant plus vrai dans l'océan Indien car notre concurrent principal, l'île Maurice, n'obéit pas aux mêmes règles que nous.
Tout d'abord, la force de La Réunion est sa position géographique. Nous sommes au croisement de grandes lignes maritimes : Europe-Australie, Asie-Afrique australe et Asie-Afrique de l'Ouest. Cette position nous donne une opportunité de capter certains flux qui ne sont pas forcément destinés à La Réunion.
Une autre force du port est le dynamisme de l'économie réunionnaise. Le volume import de La Réunion dépassera cette année le record de 2019. Le marché est intéressant et nous sommes desservis par les trois grands armements. Certaines lignes sont gérées en vessel sharing agreement (VSA) tandis que d'autres le sont en direct. Cette capacité de desserte des trois armements constitue évidemment un enjeu important.
Chaque armement dispose de son manutentionnaire, ce qui constitue plutôt une faiblesse. La présence de trois aconiers sur un seul quai sous portique d'un peu plus de 600 mètres est bénéfique pour la concurrence, mais moins bénéfique pour l'optimisation des surfaces et des modalités d'exploitation.
De ce fait, le grand port reste le propriétaire de tous les gros outillages. Deux portiques sont en cours d'acquisition. À partir du deuxième trimestre 2022, nous possèderons six portiques récents, dont cinq de dernières générations et un sixième un peu plus ancien. Cinq portiques traitent la vingtième ou vingt-et-unième rangée, ce qui nous permet de traiter des bateaux jusqu'à 12 000 EVP. Au-delà, il est clair que nous serons limités.
Avec des travaux d'infrastructures portuaires raisonnables, nous pouvons imaginer accueillir des navires jusqu'à 366 mètres, soit la taille des navires traversant le jeu d'écluses du Panama. Cependant, accueillir des bateaux de 18 000 EVP ou plus paraît assez inconcevable. Pour le moment, la question ne se pose pas car l'effet de cascading entre les très gros bateaux mis en ligne ces derniers mois sur les lignes Europe-Amérique du Nord et Asie-Pacifique n'a pas induit de tendance forte. Néanmoins, nous voyons, dans la tension actuelle sur le transport maritime, que les bateaux qui desservent aujourd'hui La Réunion sont saturés.
Depuis plusieurs mois, un chargeur souhaitant effectuer de l'importation à La Réunion n'aura pas de place sur les bateaux s'il ne s'y prend pas entre six à huit semaines à l'avance. La raison est que l'augmentation de la taille des bateaux n'est pas facile. Le coût des affrètements est devenu exorbitant ces derniers mois, ce qui explique que ces grands armements ont racheté plusieurs dizaines de navires de tailles variées, en général anciens et avec, souvent, une durée de vie résiduelle assez faible. Ces navires leur permettent de desserrer les contraintes sur certains services secondaires.
Un autre point fort de La Réunion est que l'île constitue un petit coin d'Europe dans l'océan Indien. Nous sommes parfois oubliés. Pourtant, nous sommes capables de regarder l'Afrique australe, qui représente un enjeu pour demain, de manière un peu différente. Il existe des réflexions sur des routes de la soie situées plus au Sud, avec des investissements chinois, notamment sur des ports kenyans ou tanzaniens, pouvant modifier la géostratégie globale dans un contexte indopacifique assez sensible. La rivalité économique Inde-Chine a tendance à migrer vers le Sud. Nous le constatons au travers de certaines décisions, notamment d'implantation des bases navales.
Parmi les faiblesses, le contexte insulaire nous contraint à nous adapter au changement climatique. Nous devons nous préoccuper de ce sujet aujourd'hui. Le problème n'est pas immédiat mais les travaux à imaginer pour sécuriser certaines infrastructures, avec les hypothèses d'augmentation du niveau de la mer à l'horizon de 2050, s'avèrent extrêmement coûteux. Ces éléments doivent être anticipés.
Une autre faiblesse est que nous sommes situés dans des zones non interconnectées. Nous sommes évidemment extrêmement tributaires de l'électricité pour nos opérations. Étant un point d'importance vital, nous devons être capables de suppléer, avec deux ou trois redondances, à tout évènement majeur. Cette caractéristique engendre des investissements qui ne sont pas générateurs de recettes.
Lors du dernier conseil de surveillance, nous avons d'ailleurs validé une opération d'investissement de 5,5 millions d'euros visant uniquement à sécuriser le terminal à conteneurs en créant un nouveau transformateur clonant le premier, avec une boucle de 5 000 volts, pour assurer une alimentation sécurisée de tous les équipements.
La petite taille des marchés constitue également une faiblesse. Lorsque nous parlons de transition énergétique, il n'est pas évident de savoir si certaines pistes sont viables compte tenu de la taille du territoire. Par exemple, il existe aujourd'hui des démarches extrêmement volontaristes sur le développement des filières hydrogènes. Entre la capacité de production d'hydrogène vert ou bleu, la capacité de stockage - avec les zones de danger qui peuvent être générées - et la capacité de concevoir tous les mécanismes de distribution en aval de cette production, savoir si ces filières représentent une piste fiable pour des territoires comme les nôtres n'est pas évident. Cette notion de taille critique interférera avec beaucoup de nos politiques.
Concernant la gouvernance, je rejoins mes collègues. J'ajoute qu'il existe, encore, aujourd'hui, quelques acteurs portuaires un peu nostalgiques des concessions portuaires. Ces concessions donnaient sans doute le sentiment de pouvoir peser plus fortement sur certaines décisions intéressant des secteurs bien précis. La neutralité garantie par cette nouvelle gouvernance ne fait pas plaisir à tout le monde. De manière récurrente, nous constatons des velléités de faire entrer au conseil de surveillance des membres de la communauté portuaire. Nous pouvons entendre le reproche déplorant le faible nombre de spécialistes du domaine maritime dans les conseils de surveillance. A contrario, la présence, dans ce conseil de surveillance, des collectivités et des acteurs économiques de nature diverse constitue aussi la garantie que les grands ports servent l'intérêt général et sont en phase avec le territoire. Ces acteurs contribuent ainsi au développement économique des îles.
Il apparaît clairement que la stratégie nationale portuaire n'a pas été construite autour des outre-mer. Pour autant, dans de nombreux domaines il n'existe pas de raison d'effectuer des spécificités pour les outre-mer. Nous sommes évidemment complètement en phase avec les enjeux d'environnement, de développement durable et d'économie circulaire.
Notons que, dans nos territoires, 100 % du trafic par conteneurs transite déjà par nos ports. En revanche, si nous voulons que notre situation de monopole soit efficace économiquement, amortir certains gros investissements sur un trafic plus large que le seul trafic import est nécessaire. J'évoquais l'acquisition de deux portiques. Le port de La Réunion n'a pas besoin de six portiques pour gérer le trafic import mais grâce à ce transbordement, nous pouvons en bénéficier ainsi que d'une connectivité supplémentaire, offrant des atouts aux chargeurs pour se greffer sur différents marchés et exporter plus largement. Ce mécanisme permet au GPM d'accompagner le développement économique.
Concernant la massification, l'hinterland de nos ports est exclusivement desservi par du trafic routier. En revanche, de vraies optimisations de la chaîne logistique sont envisageables. Sur ce point aussi, nous devons apporter notre pierre à l'édifice, en particulier sur la zone arrière portuaire où nous devons concilier des fonctions directement liées au trafic maritime et des fonctions d'optimisation de cette chaîne logistique réunionnaise.
Concernant le développement régional et international, La Réunion est un hub régional grâce à CMA CGM qui, depuis 2015, a pris cette position stratégique au départ risquée. Le résultat me semble plutôt positif. En effet, les deux autres armements, Maersk et MSC, ont également mis en place du transbordement à La Réunion. Les proportions sont moindres mais les armements testent cette opportunité.
La contrainte de la surface de terre-plein empêche d'imaginer, au-delà du raisonnable, le développement du transbordement. Toutefois, l'objectif de La Réunion n'est pas de disposer de 300 000 ou 400 000 EVP de transbordement. En effet, l'objectif est de trouver l'optimum économique entre offrir à La Réunion des moyens très performants pour optimiser le coût du passage portuaire et offrir des facilités aux armements.
Notre idée n'est pas de transférer de Maurice des flux importants de conteneurs. Le bipôle La Réunion-Maurice est un atout même si nous sommes en concurrence sur certains trafics. En effet, les armements savent que, dans l'hypothèse où un port serait inopérant pendant quelque temps, le second permet de décharger sans avoir à envoyer des conteneurs en Australie.
Afin de pérenniser le transbordement, notre enjeu est de fidéliser les armements. Une de nos pistes est de pouvoir, grâce à la zone arrière portuaire, investir à La Réunion sur toutes les prestations en aval du post-acheminement des conteneurs. En immobilisant davantage de capital, nous pensons qu'une structure intégrée à La Réunion créera, pour les armateurs, un lien plus fort avec l'île.
L'autre enjeu de développement est l'élargissement de l'offre de services. Le développement de la réparation navale constitue un exemple. Notre idée n'est pas d'intervenir de manière lourde sur un gros porte-conteneurs à La Réunion. Toutefois, développer des compétences de réparation navale constitue un vrai atout à l'échelle de l'océan Indien. L'an dernier, un navire de 300 mètres de la compagnie MSC a cogné un quai et a déchiré sa coque. La maîtrise des compétences pour intervenir à flots et l'obtention des certifications de navigabilité après une semaine de travaux ont été appréciées par l'armement. En outre, cette activité de réparation navale aurait un impact évident sur l'emploi. En effet, nous espérons la création d'une bonne centaine d'emplois. Nos atouts existent aussi en matière de transition écologique si, pour certains bateaux basés à La Réunion, des modifications de motorisation sont à effectuer. Nous disposerons des outils et des compétences pour les gérer.
Concernant les chantiers prioritaires pour adapter les infrastructures à l'explosion du trafic par conteneurs, de gros efforts doivent être réalisés sur l'outillage. Nous avons un important handicap sur les terre-pleins. En effet, nous sommes extrêmement contraints en termes d'extension, sauf dans la zone arrière portuaire, qui n'est pas notre propriété. Le département est réticent à céder ces hectares et envisage plutôt une mise à disposition de longue durée, assez peu adaptée aux contraintes d'amodiation que nous sommes amenés à effectuer sur les ports.
Au niveau du complexe industrialo-portuaire, en 2019, nous avions mené avec l'INSEE une étude montrant que le complexe représente environ 4 300 emplois. Le potentiel de la zone arrière portuaire est estimé à 1 800 emplois supplémentaires. Il existe de vrais enjeux en faveur du développement de cette activité. L'autre chiffre intéressant est que 2 % des emplois génèrent 7 % de la valeur ajoutée réunionnaise.
Concernant la coopération régionale, nous avons peu de contacts avec Mayotte. L'association des ports des îles de l'océan Indien s'attache à faciliter les échanges, à travailler sur des sujets neutres mais porteurs de progrès. Il y a quelques années, la thématique était la sûreté portuaire, en fait comment harmoniser les pratiques et faire monter en compétences les ports de Madagascar, des Comores et des Seychelles sachant que La Réunion et Maurice étions dans les standards ISPS.
Plus récemment nous avons travaillé sur une approche visant à identifier les segments les plus pertinents pour la croisière dans l'océan Indien. Ce secteur ne manque pas de notoriété. En revanche, la capacité d'accueil touristique est limitée. En outre, les caractéristiques des ports sont, elles aussi, limitées. Imaginer la venue de megaships dans ces territoires est déraisonnable. De plus, les distances sont longues. La Réunion ne se situe pas dans la cible de ce type de croisiéristes.
Cependant, les segments « luxe, expéditions et découvertes » sont beaucoup plus adaptés au territoire. L'avantage est que cela permet de relativiser l'ampleur des travaux d'infrastructures à réaliser pour accueillir les bateaux correspondants.
La pandémie de Covid-19 est évidemment venue perturber toutes les perspectives de développement. Nous avons donc réorienté la fin de notre étude sur la garantie de conditions sanitaires satisfaisantes pour les armements. Nous avons utilisé une approche extrêmement méthodique pour montrer que nous sommes capables d'identifier des niveaux d'exposition pandémique. Définir le niveau pour chaque île revient bien sûr aux autorités gouvernementales. En fonction du niveau, nous disposons d'une grille de lecture permettant aux armements de savoir à quoi s'attendre lorsqu'ils demanderont une escale. Permettre que chaque autorité locale s'approprie la démarche et accepte d'entrer dans cette logique constitue un travail de longue haleine qui n'est pas encore achevé.
En Afrique australe, et en particulier au Mozambique, les exploitations oil and gaz sont pour le moment suspendues en raison de l'insécurité liée aux mouvements radicaux islamistes du nord du Mozambique. Néanmoins, l'activité devrait certainement redémarrer. Évidemment, Mayotte est plus proche de ce site et a un rôle à jouer par rapport à la logistique de ces installations.
Toutefois, La Réunion s'est positionnée en complémentarité sur différentes thématiques. L'une de ces thématiques est l'emploi et la formation. Le gouvernement du Mozambique exige qu'au bout d'un certain temps, plus de 90 % de la masse salariale de ses activités soient servies à des Mozambicains. Afin que les Mozambicains n'assurent pas que des métiers non qualifiés, nous essayons de construire, avec l'appui de la région, un mécanisme nous permettant d'améliorer les relations avec le Mozambique. À travers ce soft power, nous espérons avoir des échanges matériels plus importants.
Pour ce qui est de notre foncier, il est exigu, d'où cet enjeu de zone arrière portuaire de 85 hectares. Nous espérons qu'une quarantaine d'hectares soient directement affectés au trafic portuaire. Les cinquante autres hectares seraient alors impliqués dans une articulation avec le tissu industriel local afin d'optimiser la chaîne logistique réunionnaise.
Du fait du caractère exigu de notre foncier, faire évoluer nos installations au gré des besoins constitue un fort enjeu. Les ateliers de l'océan, qui abriteront les entreprises de la filière réparation navale, seront aménagés à l'intérieur de l'ancien terminal céréalier. Une opération est financée par le plan de relance afin de mettre aux normes le bâtiment existant par rapport aux exigences de l'arrêté ICPE (Installations classées pour la protection de l'environnement).
L'étape suivante sera possiblement le terminal sucrier. En effet, compte tenu de l'évolution tendancielle de la filière canne et de la production du sucre en vrac, nous disposons aujourd'hui d'installations très excédentaires en capacité par rapport aux flux. Puisque l'opérateur unique, Tereos, se refuse de payer le « juste prix » de ce confort, nous ne pouvons pas nous satisfaire d'une activité trop déficitaire pour le port. Nous réfléchissons donc à une refonte partielle de ce terminal sucrier.
La Réunion présente une caractéristique particulière concernant la numérisation. Un cargo community system maison, nommé SIMAR, a été co-construit avec les acteurs de la place portuaire. Ce système est interopérable avec les autres. Le fait que nous puissions en faire un outil de coopération est intéressant. Une autre convention interrégionale, avec les Seychelles, vise à leur présenter la démarche. Il ne s'agit pas de leur vendre un logiciel clé en main mais de leur présenter la démarche afin qu'ils puissent développer un outil dimensionné à leur échelle. Leurs flux sont modestes, rendant les gros outils inadaptés.
Nous mettons en place une logique de passerelles entre numérisation et transition écologique. Nous menons des réflexions de type smart grid (réseaux intelligents) sur la manière de concilier la production photovoltaïque, l'autoconsommation avec nos chambres froides et les branchements à quai. Ces éléments nécessitent des outils de pilotage assez fins. Nous sommes tout de même l'un des plus gros consommateurs d'électricité de l'île et maîtriser notre dépense énergétique constitue donc un véritable enjeu. D'autres projets sont en cours, tels que le remplacement du chauffage au fioul par de la cogénération de biomasse.
Enfin, le projet d'un lycée de la mer à La Réunion existe depuis longtemps mais peine à se concrétiser. Nous essayons de faire passer le message que le périmètre des métiers de la mer n'est pas seulement lié à la pêche. Par exemple, les métiers de la réparation navale doivent également être inclus.
M. Mansour Kamardine, député de Mayotte et président du conseil portuaire de Mayotte. - De manière générale, Mayotte arrive toujours en retard. Mayotte n'a non seulement pas été associée à la stratégie nationale portuaire mais elle n'a pas non plus bénéficié des transformations des ports. Au contraire, l'État a décidé en 2012 de lui impulser le mouvement inverse. Plutôt qu'un GPM, on a choisi de créer un petit port, pour des raisons que seul l'État peut expliquer. Dès qu'il nous a été transféré, nous avons cru recevoir un cadeau, qui était en réalité empoisonné. Nous avons organisé une délégation de service public (DSP). Tous les acteurs s'accordent actuellement sur le fait que cette DSP ne fonctionne pas.
Ainsi, au moins par deux fois, les élus de Mayotte, les parlementaires, le président du conseil départemental et le président de l'association des maires ont été amenés à écrire au Gouvernement pour leur demander de faire évoluer le statut de ce port.
À l'occasion d'une audition au Sénat, Annick Girardin, ministre de la mer et ancienne ministre des outre-mer, a évoqué la possibilité d'une évolution de ce statut, sans doute attendue.
D'une manière générale, la France est experte en matière de management des ports. En même temps, nous ne savons pas capitaliser cette compétence pour rendre nos ports plus attractifs. Un État tel que Malte, dont le territoire est plus petit que celui de Mayotte, gère 2,7 millions de conteneurs tandis que Mayotte n'en gère que 75 000.
La position de Mayotte, au nord du canal de Mozambique, est très privilégiée. Elle est en relation directe avec l'Est africain qui est en plein essor. Nous ressentons un manque de prise de conscience de l'opportunité que cela représente pour la Nation tout entière. Ce port devrait être utilisé comme un point d'appui ou une rampe de lancement de nos grandes entreprises, qui ont des opérations sur place. Ces actions sont à mener rapidement et ont été sollicitées par ces acteurs économiques, tels que la société Total, qui nous demandent de leur offrir les capacités de faire de Mayotte une base arrière. Nous pourrions par exemple construire un hôpital et aménager l'aéroport afin qu'il soit possible de se déplacer facilement entre Mayotte et le Mozambique.
La réflexion que vous menez tombe à point nommé pour faire en sorte, avec l'État, que cet outil puisse se développer, pour accompagner nos entreprises et pour créer de l'emploi. Rappelons que Mayotte est le territoire le plus pauvre de la République, voire de l'espace européen. Mayotte est le territoire où le chômage est la règle et l'emploi l'exception. C'est ce manque d'ambition que je me suis permis de venir vous exposer afin de vous y sensibiliser.
Des solutions et des propositions existent. Bien évidemment, l'aspect management, avec la DSP, trouvera des solutions. Pendant très longtemps, le conseil départemental a été absent de la gestion de la DSP. Dorénavant, il est de plus en plus présent. Nous devrons sans doute réfléchir à l'idée exprimée par Annick Girardin quant à l'évolution du statut du port.
Nous pensons très sérieusement que nous pouvons mener les mêmes actions que les autres territoires. Pour inciter le développement (notamment social) aux Canaries, région ultrapériphérique comme Mayotte, un régime fiscal dérogatoire a été développé. Ce régime fiscal dérogatoire, qui permet aux opérateurs économiques de venir avec des obligations d'investir et de créer des emplois, a réduit la quasi-totalité du chômage.
Face à cette situation, je crois que des solutions existent pour inciter les partenaires privés à venir et investir à Mayotte sans que nous allions directement chercher les ressources budgétaires de l'État. Ces investissements des partenaires privés pourraient créer les ressources dont le territoire a grandement besoin.
En termes de positionnement géographique, Mayotte a la capacité de constituer un sous-hub, en complément avec La Réunion. Toutefois, je dois avouer ma surprise lorsque le directeur du port de La Réunion a évoqué l'accompagnement de l'évolution technique des ports de la zone en oubliant Mayotte. Nous pouvons participer, à partir du positionnement qui est le nôtre, au projet du Président de la République de développer un axe indopacifique. Notre idée n'est pas de contourner La Réunion. Toutefois, permettons à Mayotte de jouer aussi, notamment à travers son port, ce rôle de point d'appui du développement de notre politique indopacifique.
Chers amis, je suis profondément français. Je m'interroge beaucoup sur les actions de notre État. Nous avons eu une chance exceptionnelle d'être partout en Afrique. Or, plus nous avançons dans le temps, plus j'ai l'impression que nous nous recroquevillons sur la France continentale européenne. Pendant ce temps, nous laissons la place aux Chinois, qui n'étaient pas présents il y a encore quelques années. Tous les jours, nous reculons et nous applaudissons ou nous nous étonnons ! De grâce, s'agissant de Mayotte, soyons fiers de ce territoire français et de ce qu'il peut apporter à la Nation, notamment dans le domaine du développement économique à travers nos ports. Nous disposons d'atouts, que beaucoup nous envient. Malheureusement, nous ne savons pas les exploiter.
Mme Vivette Lopez, présidente. - C'est pour cette raison que nous menons cette réflexion sur les ports ultramarins au sein de notre délégation. Croyez bien que nous y sommes particulièrement attentifs.
M. François Marendet, chargé de mission auprès du Conseil départemental de Mayotte pour les affaires du Port de Mayotte. - Les actions prévues dans le schéma national portuaire ne sont absolument pas adaptées au territoire de Mayotte. Le financement du verdissement envisagé par l'État ne concerne que les GPM. Il ne concerne pas les ports décentralisés ni les ports ultramarins, et encore moins les ports qui sont les deux.
En outre, la présence des outre-mer sur tous les continents et le fait qu'ils représentent environ 2,7 millions d'habitants ne sont pas assez valorisés sur le plan européen.
Le problème du foncier n'est pas réglé à Mayotte, y compris pour le port. Concernant le portuaire, le foncier reste la propriété de l'État, géré par le département. Ce point pourra constituer un avantage ou un inconvénient suivant l'évolution que prendra le statut du port. Il est important que les collectivités maîtrisent le foncier en vue de nouveaux projets concernant les ports, notamment le développement de ports secs permettant le stationnement des bateaux à terre. Ces initiatives doivent être maitrisées par la puissance publique d'une certaine façon.
L'adaptation au changement climatique constitue aussi un point important, d'autant plus à Mayotte qui s'enfonce par endroit à cause de l'apparition du volcan sous-marin. Les conséquences sur les infrastructures portuaires ne sont pas étudiées actuellement et constituent l'une des questions spécifiques qui se poseront à Mayotte.
À Mayotte, certains navires sont gréés tandis que d'autres sont non gréés. Ceux qui le sont permettent d'effectuer un déchargement direct. Cependant, l'évolution des navires tend à une diminution du nombre de navires non gréés sur le marché, d'autant plus que le taux d'affrètement augmente très fortement. Le principal armateur qui gère des navires non gréés n'est pas propriétaire des bateaux qu'il envoie à Mayotte. Ces éléments montrent la nécessité que la puissance publique maîtrise encore plus fortement, quel que soit le statut, cette porte d'entrée stratégique qu'est le port de Mayotte.
La maîtrise du foncier par la puissance publique est très importante car Mayotte a des problèmes d'engorgement routier, comme beaucoup d'îles d'outre-mer. La possibilité d'effectuer de la desserte maritime de passagers ou de fret sur le pourtour de l'île de Mayotte est un point relativement important, nécessitant une véritable maîtrise par la collectivité de l'île.
Mme Vivette Lopez, présidente. - Notre collègue Thani Mohamed Soilihi, sénateur de Mayotte, souhaite ajouter quelques mots.
M. Thani Mohamed Soilihi. - Je voudrais poser une question un peu naïve, à laquelle les intervenants ont en partie répondu. Le président Jean-Pierre Chalus a évoqué une coopération régionale à trois échelles (antillaise-guyanaise, caribéenne et nationale). Je ne l'ai pas entendu parler d'une coopération dans le bassin de l'océan Indien. Qu'en est-il ? J'interroge M. Jean-Pierre Chalus en sa qualité de président de l'Union des ports de France.
Pour être constructif, je souhaite savoir pourquoi il n'existe pas davantage de coopération, d'abord entre les Français. Nous parlons des ports français, quel que soit leur statut. Éric Legrigeois a insisté sur le fait qu'il fallait aider les ports de l'océan Indien à monter en puissance. Or il a évoqué tous les ports étrangers et non celui de Mayotte. Pourquoi cette sorte d'ostracisme à l'égard de la collectivité la plus en difficulté ?
Je rappelle que l'absence de résolution des difficultés socio-économiques de Mayotte aura pour conséquence un exode vers les autres territoires, et notamment vers La Réunion.
Le sujet du port n'échappe pas à la règle. Ce manque de considération est d'autant plus dommageable et frustrant que Mayotte se trouve au milieu d'un bassin, à proximité de plusieurs régions et pays. Améliorer la coopération entre les départements serait beaucoup plus constructif que de chercher à coopérer avec des pays tiers, même s'il ne faut pas négliger la coopération à l'endroit des pays tiers.
Mme Vivette Lopez, présidente. - Messieurs, avant de vous donner la parole pour répondre, nous allons entendre le dernier intervenant.
M. Nicolas Allemand, directeur adjoint de la Direction des territoires, de l'alimentation et de la mer (DTAM) de Saint-Pierre-et-Miquelon. - Je m'adresse à vous en tant que directeur adjoint du service d'État chargé du dernier port d'intérêt national, à savoir le port de Saint-Pierre-et-Miquelon.
Évidemment, du fait de la taille de l'archipel, nous n'avons pas les mêmes caractéristiques en termes de trafic ou d'enjeux de volume que les ports ayant été présentés jusqu'ici. Toutefois, pour l'archipel, le port constitue une porte d'entrée stratégique. Hormis les passagers aériens, tout entre et sort par le port. Sa spécificité est de disposer de deux bassins distants de 40 kilomètres. En effet, le port est à la fois celui de Saint-Pierre et celui de Miquelon. Le bassin de Saint-Pierre est une infrastructure relativement étendue par sa superficie, avec une polyvalence d'activités (port de commerce, de pêche, de plaisance, de transport de passagers et bientôt de croisière).
Pour autant, les infrastructures dont nous disposons sont vieillissantes, bien qu'elles aient fait l'objet d'investissements importants de la part de l'État lors de ces cinq dernières années. Nous avons encore des besoins structurels importants, notamment sur les activités de commerce, aussi bien à Saint-Pierre qu'à Miquelon. Avant même de parler de développement, la réparation ou la rénovation substantielle doit s'inscrire dans un futur immédiat pour des raisons de sécurisation. Ces éléments constituent selon moi une des principales difficultés.
Néanmoins, ces bassins portuaires présentent de nombreux atouts. En effet, leur position géographique est stratégique. Nous nous situons à proximité immédiate d'un axe majeur Europe-Amérique du Nord. Nous disposons d'un grand bassin, avec des possibilités d'extension bien que les volumes de trafic soient faibles.
Les difficultés que nous observons sont liées à notre statut actuel. Le port est géré en direct par un service déconcentré de l'État, dont ce n'est pas la seule mission ni forcément le métier. Il est difficile de disposer d'équipes dédiées uniquement à l'activité portuaire. C'est pourquoi nous accueillons actuellement une mission préfiguratrice, présente sur l'archipel pour conduire la transformation du port d'intérêt national en établissement public portuaire. Cette mission rendra bientôt ses conclusions. Il n'est pas question de décentraliser le port : celui-ci restera un établissement public national. Ce changement devrait permettre d'engendrer des recettes. Notre port est l'un des rares à ne pas dégager de recettes, du moins pour l'exploitant. C'est une difficulté supplémentaire.
Toutefois, au-delà de la rénovation des infrastructures, des leviers de croissance se profilent. Bientôt, nous réceptionnerons un nouvel ouvrage dédié à l'activité de croisière. Ce type d'activité est assez important dans le bassin du Saint-Laurent. Cet ouvrage devrait nous permettre d'accueillir, dans de meilleures conditions, des bateaux de croisière. Une vingtaine d'escales sont déjà à l'ordre du jour pour l'année prochaine.
Un autre levier concerne le développement du trafic de ferries. La collectivité territoriale a fait l'acquisition de deux navires, à la fois pour la desserte inter-îles et le rattachement maritime du territoire à l'île de Terre-Neuve. Cette activité de ferries est amenée à se développer fortement une fois la crise sanitaire passée. Elle produit aussi des impacts sur les infrastructures portuaires dans la mesure où les ferries de la collectivité se doivent d'opérer dans de meilleures conditions qu'actuellement au sein des ports de Saint-Pierre et de Miquelon.
Nos échanges ont lieu presque exclusivement avec notre voisin canadien. Tous les bateaux (de commerce, de transport de passagers ou de croisière) opèrent à partir des ports canadiens. Nous sommes peu dans une dynamique française de lien ultramarin.
Même si des projets de transbordement existent, les autres points du questionnaire ne semblent pas adaptés à notre taille si particulière. Notre trafic de conteneurs est vraiment très limité par rapport à ce qui peut exister ailleurs.
Mme Vivette Lopez, présidente. - La parole est aux rapporteurs afin qu'ils posent leurs questions complémentaires.
Mme Annick Petrus, rapporteure. - Je vous remercie d'avoir accepté cette invitation afin d'éclairer nos travaux.
J'ai une pensée particulière pour la Guadeloupe et la Martinique qui traversent en ce moment une période difficiles. J'espère pour ces départements un rapide retour à la normale.
Concernant les forces, faiblesses et actions prioritaires pour le futur, vous avez répondu au questionnaire de manière assez précise. Concernant la gouvernance, le bilan de la réforme portuaire de 2012 semble vous satisfaire, à part Mayotte. Que vous a apporté l'acquisition du statut de GPM ?
En outre, concernant la stratégie nationale portuaire de janvier 2021, êtes-vous satisfaits de l'avancée des mesures spécifiques dans vos ports respectifs ?
Mme Marie-Laure Phinera-Horth, rapporteure. - Lors de vos introductions, vous avez répondu en partie à certaines questions, notamment concernant la transformation des ports ultramarins en hub régional.
Mais dans quelle mesure l'exemple du GPM de La Réunion peut-il servir de modèle pour les autres GPM ? Quels sont les chantiers prioritaires à mener pour adapter les infrastructures portuaires à l'explosion du trafic par conteneurs ? Comment améliorer la coopération régionale des ports ultramarins ? Quelle est l'efficacité du conseil de coordination interportuaire Antilles-Guyane ? Je sais que certains intervenants ont évoqué ces points mais des compléments seraient les bienvenus, notamment par rapport à l'intervention de Mansour Kamardine, député de Mayotte.
Notre collègue Philippe Folliot ne pouvant être présent, je voudrais vous poser trois questions supplémentaires.
Quelles initiatives peuvent être mises en oeuvre pour participer concrètement aux objectifs de verdissement et de numérisation des ports ? Comment expliquer l'échec observé en matière de formation aux métiers de la mer en outre-mer et comment y remédier ? Quelles sont les perspectives de développement pour le secteur de la croisière en outre-mer ?
Mme Gisèle Jourda. - Je vous remercie de la clarté de vos explications.
Pour ma part, je souhaiterais poser une question d'ordre géostratégique. Monsieur Legrigeois, vous avez évoqué l'ampleur prise par la Chine et l'opposition avec l'Inde. Je souhaite connaître l'incidence de ce changement géostratégique sur la ligne indopacifique et nos ports ultramarins ? Percevez-vous une incidence directe ?
M. Jean-Pierre Chalus. - Je n'ai pas beaucoup abordé la question des coopérations de manière générale, y compris vis-à-vis de l'océan Indien et je m'en excuse.
J'ai évoqué la fusion Haropa entre les trois grands ports d'État du Havre, de Rouen et de Paris, devenus un grand port fluviomaritime.
J'ai mentionné le conseil de coordination interportuaire Antilles-Guyane, qui est limité aux trois GPM d'État. Nous menons quelques travaux complémentaires avec le port de Saint-Martin, à l'échelle de la Caraïbe. Cette coopération prend plutôt la forme d'une déclinaison de ce qui est prévu dans les textes et le code des transports.
Nous pouvons également citer d'autres types de coopération telle que Medlink Ports, composée des ports de l'axe Méditerranée-Rhône-Saône. Cette coopération porte notamment sur des sujets transversaux tels que la transition énergétique et l'alimentation électrique des quais. Nous pouvons également citer la fédération Nordlink, un peu plus politique. La région Hauts-de-France a mobilisé l'ensemble de ces acteurs logistiques, en incluant les ports et la plateforme logistique de Dourges.
Il existe des coopérations différentes avec des thèmes transversaux. Aujourd'hui se tient, à Bruxelles, l'assemblée générale de l'association internationale des ports. Cette association est importante dans notre paysage portuaire. D'ailleurs, l'ancien Premier ministre Édouard Philippe en prendra prochainement la présidence.
En général, les ports fonctionnent de façon satisfaisante lorsqu'il existe une volonté politique en faveur de leur avancée. L'exemple montre que les ports ayant bien fonctionné sont des ports qui ont été portés au plus haut niveau politiquement. Le couple politique et outil portuaire permet de créer un outil économique performant.
Concernant les questions liées au hub régional, soulignons d'abord que les ports ne sont jamais propriétaires de leur trafic. Nous sommes souvent tributaires des politiques des grands armements. Par exemple, CMA CGM vient de réorganiser, pour des raisons qui lui sont propres, un certain nombre de ses lignes qui desservent notamment la Méditerranée et l'Afrique.
Très souvent, les lignes maritimes suivent une certaine logique. Nous ne pouvons pas tous être des hubs régionaux. Néanmoins, nous devons travailler avec les armements et notre territoire. Une activité économique existe autour des ports, engendrant des possibilités.
En particulier dans nos outre-mer, nous devons être extrêmement vigilants sur la question des routes de la soie. L'Europe a contraint la Grèce à vendre une partie de ses actifs, et notamment le port du Pirée. En moins de cinq ans, ce dernier est devenu le premier port de Méditerranée. La Chine a racheté quasiment l'ensemble de l'autorité portuaire. Ces questions concernent également le port de Djibouti ou, plus près de nous, les ports de Trieste ou Zeebrugge. La Chine a une logique extrêmement poussée en matière de maillage des dessertes.
La question des routes de la soie concernera - et concerne déjà - les outre-mer et leur environnement proche. Elle peut changer la donne sur nos différents territoires. L'Europe permet une protection par les textes concernant les actifs stratégiques, notamment pour les ports. Un certain nombre d'autorisations doivent être recueillies avant d'intervenir sur ces questions.
Par ailleurs, nos amis de Mayotte font partie de notre système. J'ai eu l'occasion de rencontrer une délégation du conseil départemental de Mayotte à l'occasion du Salon euromaritime. Ce salon constitue une institution qui prend place dans notre paysage portuaire et permet à l'ensemble des acteurs de se rencontrer.
Afin de créer ces systèmes de coopération, nous devons effectivement nous déplacer, ce qui représente un effort particulier, notamment en termes de coûts. Nous sommes tous ouverts à des systèmes de coopération renforcés. Rester seul dans notre environnement engendre un appauvrissement.
Les ports sont totalement engagés au sujet du verdissement. Nous saurons trouver les financements en vue des investissements nécessaires. Le plus compliqué est de trouver un modèle économique de fonctionnement autour de ces installations. Quels navires pourront se brancher à ces dernières ? À quel prix seront-elles vendues ?
La question du financement de la transition énergétique constitue un vrai sujet pour les ports. Elle s'annonce coûteuse et ne sera pas source de richesses et de revenus supplémentaires. Jouer collectif sur l'ensemble du territoire est donc nécessaire.
M. Éric Legrigeois. - Je n'ai peut-être pas été assez clair à propos de Mayotte. Dans le cadre de l'association des ports des îles de l'océan Indien, Mayotte est effectivement présente. D'ailleurs, la vice-présidente de l'association appartient au conseil départemental de Mayotte. Toutefois, nous pouvons effectivement regretter que, depuis deux ans, Mayotte n'ait pas directement contribué au travail de l'association. Pour autant, quand j'évoquais les réflexions sur les croisières et dans le cadre d'un programme Fexte (Fonds d'expertise technique et d'échange d'expériences) de l'AFD sur les ports verts, Mayotte bénéficiait, dans les deux cas, des études de consultants et des restitutions d'études à l'échelle de l'océan Indien, avec un zoom sur l'île. Nous n'oublions pas Mayotte. Toutefois, sur des logiques plus opérationnelles, nous ne recevons pas de sollicitation du concessionnaire actuel. Nous n'avons donc pas de légitimité à imposer la coopération.
Concernant la stratégie indopacifique et le positionnement de la Chine, nous avons effectivement l'impression d'observer une partie de jeu de go à l'échelle de l'océan Indien. L'Inde, la Chine et les Émirats arabes unis, avec DP World, sont en concurrence. L'Afrique est évidemment un continent qui aiguise un certain nombre d'appétits. Le continent compte déjà des corridors ferroviaires, dont certains sont contrôlés par des intérêts chinois. Le changement du chef d'État en Tanzanie permet à la Chine de redémarrer un projet de 10 milliards de dollars à Bagamoyo afin d'améliorer la capacité d'import-export depuis cette côte. Dans ce contexte et selon la stratégie du « collier de perles », l'Inde tente de s'affranchir un peu de cette emprise chinoise. Elle discute, par exemple, avec Maurice pour aménager une base sur un des archipels au nord de Maurice. Elle a aussi des contacts avec Madagascar.
Ce contexte géostratégique peut nous concerner. Aujourd'hui, La Réunion n'a pas été sollicitée par des armements chinois pour effectuer du transbordement. En effet, la logique de la Chine n'est pas d'investir en territoire européen dans l'océan Indien mais plutôt d'investir dans des pays à risque fort et connaissant une forte croissance. Or, nous sommes situés dans une zone à risque faible, avec une croissance modérée. Pour autant, la Chine ne peut pas se désintéresser des ressources de l'océan Indien et du positionnement stratégique de La Réunion. Elle cherche donc à trouver les bons relais.
Mme Gisèle Jourda. - Au sein de la commission des affaires étrangères, nous travaillons, avec l'un de mes collègues, depuis pratiquement cinq ans sur la stratégie chinoise. Notre première étude parlementaire portait sur les routes de la soie. Les nouvelles routes se croisent. Ces routes ont surtout une portée économique et non historique. Notre seconde étude concerne la puissance chinoise en Europe. Nous observons, dans les ports européens, cette politique de marquage de la Chine, avec une incidence directe sur laquelle nous devons être vigilants. Je reprends votre image du jeu de go. La Chine avance et la réponse est de notre ressort, tant sur le plan européen que sur le plan de notre politique ultramarine, afin que l'Europe ne soit plus prise au dépourvu. Nous nous sommes laissé dépasser, car il n'existait pas de réponse européenne à cette influence chinoise.
M. Jean-Rémy Villageois. - Concernant l'activité de croisière, les perspectives sont plutôt bonnes pour la Martinique et la Guadeloupe, qui constituent les deux hubs principaux.
La croisière est le secteur à plus fort développement dans la Caraïbe sud, et en particulier dans les deux îles françaises, puisqu'en 2018, il avait augmenté de plus de 700 % au cours des six dernières années. Les retombées socio-économiques sont très importantes. En effet, des mesures d'impacts socio-économiques mentionnent le chiffre de 40 %.
Je rappelle que la zone caraïbe est la première zone de croisière au monde, largement devant l'Asie et l'Europe. Les deux îles évoluent dans l'environnement de la Caraïbe sud, légèrement excentrées par rapport aux îles du Nord et de Miami. Néanmoins, nous nous situons dans l'un des premiers marchés au monde.
Les perspectives sont bonnes, en particulier sur la croisière « tête de ligne », qui concerne les îles capables d'offrir une liaison aérienne et donc une terre d'accueil pour les passagers.
En Guadeloupe et en Martinique, une population locale est également très consommatrice de croisière. Ces marchés sont extrêmement intéressants pour les compagnies de croisière. Les fondamentaux sont donc réunis pour une forte croissance.
Néanmoins, le secteur connaît une grande rapidité de cycles. Les navires de croisière qui accostent dans nos ports sont presque neufs. Ainsi, dans deux ou trois ans, la majorité des navires devraient fonctionner au gaz naturel liquéfié. Cet enjeu est primordial pour la capacité de nos îles à accueillir ce type de navires.
Les infrastructures sont plutôt bien dimensionnées, donc nous ne connaissons pas de problème de taille. En revanche, nous devons accepter l'émergence de nouvelles technologies. Les deux îles se trouvent dans une situation plutôt favorable par rapport aux marchés voisins grâce aux compétences françaises en matière de maîtrise du gaz naturel liquéfié et aux capacités d'alimentation pouvant être mises en place.
M. Jean-Pierre Chalus. - Les ports ne sont sans doute pas en tête de ligne sur la question de la formation, même si la Guadeloupe, par exemple, accueille très régulièrement des apprentis et des contrats en alternance. Nous sommes aussi partie prenante, avec une attention particulière sur les sujets d'insertion au travers de nos marchés et des commandes que nous passons.
La région Guadeloupe a une politique extrêmement ambitieuse en matière d'économie bleue, qui inclut un volet formation. La première étape est aussi de faire connaître le potentiel en termes d'emplois et d'intéresser nos jeunes aux métiers proposés qui ne concernent pas uniquement les métiers de la pêche.
Il est aussi essentiel de faire connaître les ports. Ces derniers sont d'autant plus inconnus du grand public qu'il y a une vingtaine d'années, à la suite des mesures de sûreté imposées (code international pour la sûreté des navires et des installations portuaires, ISPS), nous avons physiquement éloigné la population de l'activité portuaire. Travailler sur ces sujets de connaissance réciproque est important. L'association internationale villes et ports a pour objectif de rapprocher les villes et les ports et de montrer que les ports, avec leur écosystème, sont pourvoyeurs d'emplois.
Mme Vivette Lopez, présidente. - Je suis auditrice de l'Institut des hautes études de la défense nationale (IHEDN). L'une de nos collègues auditrices nous a convaincus de créer des classes « enjeux maritimes ». Une première classe vient d'être inaugurée à Barcelone par le ministre de l'éducation nationale, Jean-Michel Blanquer. L'éducation nationale est tout à fait favorable à ce genre de formation. Effectivement, les jeunes ignorent bien souvent tous les métiers liés à la mer, mis à part la pêche. Ce projet concernerait les élèves de quatrième et troisième, en accord avec le directeur de l'établissement.
Notre première réunion s'est tenue hier avec un inspecteur d'académie. Nous cherchons des personnes spécialisées dans le domaine de la mer, qui pourraient intervenir dans les écoles bénévolement afin d'expliquer certains enjeux maritimes. Nous savons bien que l'avenir appartient à la mer.
J'ai l'impression que les jeunes ultramarins sont peu tournés vers la mer. Je suis favorable à la création d'une classe « enjeux maritimes » dans chacun des territoires ultramarins. Ce projet ne donne pas de travail supplémentaire à l'enseignant. Deux thèmes seraient abordés essentiellement : la piraterie ainsi que le changement climatique et la pollution des océans. Nous nous tenons à votre disposition si certains de vos départements sont intéressés ou si vous connaissez des personnes prêtes à intervenir bénévolement dans le cadre de ce projet.
M. Éric Legrigeois. - Nous connaissons un problème d'attractivité. Nous avons construit, depuis quelques années, une plateforme féminine car nous constatons que nombre de jeunes femmes ne pensent pas aux métiers maritimes, alors qu'elles sont souvent plus qualifiées que les hommes. Nous essayons donc de changer l'image de ces métiers auprès des jeunes femmes.
Par ailleurs, depuis un an, dans le cadre du conseil de développement et de la commission des relations sociales, un diagnostic a été établi auprès des entreprises de la place portuaire. Souvent, les métiers en tension concernent de faibles effectifs. Cette réalité pose la question de la dimension des formations. Très souvent, le plus simple est d'accueillir les quelques jeunes sur des formations qualifiantes dans l'Hexagone (pour un ou deux ans). Sur ce point, l'Agence de l'outre-mer pour la mobilité (LADOM) doit jouer pleinement son rôle. Les retours montrent que cet accueil n'est pas simple. Les dispositifs existants de continuité territoriale doivent être efficaces par rapport à ces formations qualifiantes dans l'Hexagone.
Mme Vivette Lopez, présidente. - Je cède la parole à M. le président Stéphane Artano pour conclure cette table ronde.
M. Stéphane Artano. - Lors de l'audition de la semaine dernière, nous avons également évoqué l'expérimentation des classes « enjeux maritimes ».
J'aimerais remercier tous les intervenants pour la qualité et la précision de leurs propos.
Le succès des développements portuaires passe avant tout par un portage politique. Ainsi, le rapport de la délégation visera à comprendre la place donnée, sur le plan politique, au développement ultramarin. Notre idée est de comprendre comment les outre-mer sont pris en considération et s'intègrent dans la politique nationale afin d'éviter que nos territoires respectifs ne soient oubliés dans la stratégie nationale.
Nous devons rappeler constamment l'intérêt que représentent les ports ultramarins. La France a longtemps tourné le dos à la mer. Nous nous rendons maintenant compte que les ports sont des atouts d'attractivité fondamentaux pour les territoires ultramarins, que ces derniers soient continentaux ou insulaires. Notre délégation se demande comment valoriser et prendre en considération les outre-mer dans cette politique. Surtout, nous devons dire au niveau central et national que les stratégies économiques passeront forcément par les outre-mer et l'intégration, dans leur région, des différents ports ultramarins que vous représentez.
Les membres de la délégation sont preneurs de vos contributions afin d'alimenter la réflexion des trois rapporteurs.
Mme Vivette Lopez, présidente. - Je vous remercie, messieurs, de vos explications claires et complètes.