- Mercredi 10 novembre 2021
- Projet de loi de finances pour 2022 - Audition de Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, et de M. Joël Giraud, secrétaire d'État chargé de la ruralité
- « Accès aux services essentiels à la population et lutte contre la déprise commerciale en milieu rural » - Audition
- Projet de loi de finances pour 2022 - Audition de Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité
Mercredi 10 novembre 2021
- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -
La réunion est ouverte à 08 h 30.
Projet de loi de finances pour 2022 - Audition de Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, et de M. Joël Giraud, secrétaire d'État chargé de la ruralité
M. Jean-François Longeot, président. - C'est un plaisir de vous retrouver aujourd'hui pour évoquer le budget 2022 de votre ministère, ainsi que le plan de relance du Gouvernement. Comme chaque année, nous évoquerons les crédits du programme 112 « Impulsion et coordination de la politique d'aménagement du territoire », de la mission « Cohésion du territoire », ainsi que les programmes 119 et 122 de la mission « Relations avec les collectivités territoriales ».
L'an dernier, nous nous inquiétions du fait que le programme 112 soit dépouillé au profit de la mission « Plan de relance ». Vous nous aviez assuré avoir fait inscrire dans vos négociations avec le ministère de l'économie, des finances et de la relance, le fait que le niveau de départ du programme soit bien celui de 2020. Nous pouvons donc dire que cette parole a été respectée et c'est un point positif même si nous aimerions avant tout que ce programme dépasse largement le niveau qui est le sien depuis le début du quinquennat et porte une ambition encore plus forte pour la ruralité et notre politique d'aménagement du territoire.
Je note également une stabilité bienvenue de dotations importantes pour nos collectivités, comme la Dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR).
Par ailleurs, le plan de relance comporte cette année encore des crédits qui intéressent votre ministère, que ce soit au sein du programme « Cohésion », du programme « Écologie », ou du programme « Compétitivité ».
Nous pourrons enfin évoquer plusieurs sujets qui nous tiennent à coeur : je pense aux zones de revitalisation rurale (ZRR), aux différents programmes nationaux territorialisés que pilote l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), au plan « Avenir Montagne », bien sûr à l'aménagement numérique du territoire et à l'inclusion numérique ou encore aux contrats de relances et de transition écologique (CRTE).
Mes collègues vous interrogeront plus en détail sur ces points, en particulier nos deux rapporteurs pour avis, Louis-Jean de Nicolaÿ et Jean-Michel Houllegatte.
Pour ma part, j'aurais quelques questions générales à vous poser avant de vous laisser la parole : d'abord, pouvez-vous nous présenter vos priorités budgétaires pour 2022 et les évolutions qui sont traduites dans ce projet de budget, à la fois dans les programmes que j'ai cités et dans la mission « Plan de relance » ?
Ensuite, pouvez-vous faire le point sur l'évolution des principales dotations à destination des collectivités territoriales ? Je pense à la DETR, à la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) mais aussi à la dotation globale de fonctionnement (DGF). L'article 47 du projet de loi de finances modifie les conditions de répartition de la DGF entre communes, EPCI à fiscalité propre et départements : qui sont les gagnants et qui sont les perdants ? Je pense enfin à la dotation de soutien aux communes pour la protection de la biodiversité, que l'article 46 du PLF prévoit de réformer. Enfin, pouvez-vous nous indiquer comment vous compter poursuivre la mise en oeuvre de l'Agenda rural, qui comporte des mesures intéressantes mais qui, pour être efficaces, nécessitent des financements ?
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. - Je suis heureuse de vous retrouver pour échanger sur le volet « Cohésion des territoires » du projet de loi de finances pour 2022, avec, notamment, les crédits au programme 112.
Cette audition est l'occasion de vous présenter les priorités du Gouvernement pour 2022 sur ces sujets, comme vous me l'avez demandé, mais aussi de revenir sur le bilan de l'année écoulée pour l'aménagement du territoire.
Les moyens mobilisés par l'État pour renforcer la cohésion des territoires sont en nette augmentation en 2022, notamment grâce à la mobilisation de France Relance.
Je sais bien que les crédits de mon ministère ne représentent pas, en montants, la part la plus substantielle de la mission « Cohésion des territoires », dont les crédits totaux s'élèvent à 17,2 milliards d'euros dans le PLF 2022.
Le programme 112 représente 175 millions d'euros et le programme 147, qui relève de la compétence de la ministre déléguée à la ville, représente 558 millions d'euros.
La répartition des crédits figurant dans le texte déposé par le Gouvernement a été votée par l'Assemblée nationale en première lecture le 28 octobre 2021.
On peut d'abord souligner la forte dynamique des moyens que j'ai cités entre 2021 et 2022, comme sur l'ensemble du quinquennat. Les crédits du programme 112 augmentent ainsi de 20 % entre 2021 et 2022, soit 35 millions d'euros. Si l'on se réfère à l'année 2018, l'augmentation est d'un peu plus de 10 % pour le programme 112.
Les crédits de la politique de la ville, inscrits sur le programme 147, ont quant à eux augmenté de manière continue depuis 2017, soit près de 65 % de hausse sur l'ensemble du quinquennat. Le renforcement des moyens alloués au renouvellement urbain, annoncé par le Premier ministre lors du comité interministériel à la Ville le 29 janvier dernier, contribue également à cet effort. L'Assemblée nationale a également voté une augmentation des moyens du Nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU) de 10 à 12 milliards d'euros ainsi que le report de la date limite des engagements au titre de ce programme de 2024 à 2026. Cette évolution est une avancée majeure pour nos quartiers et pour nos villes.
De plus, les moyens attribués à ces programmes sont loin d'être les seuls concourant aux objectifs poursuivis par le Gouvernement en matière de réduction des fractures territoriales.
En premier lieu, les dotations d'investissement, examinées dans le cadre de la mission « Relations avec les collectivités territoriales », ont plus que doublé par rapport au quinquennat précédent.
En second lieu, le plan de relance a été largement mobilisé sur ces questions via plusieurs circuits. Par exemple, plus de 100 millions d'euros seront transférés en 2022 au ministère de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales depuis la mission « Plan de relance » pour financer les annuités des Contrats de projets État-régions (CPER), les politiques de l'Agenda rural ou encore les « Tiers lieux ». En outre, 150 millions d'euros seront directement délégués aux préfets pour financer des investissements dans le cadre du programme « Avenir montagne ».
Enfin, plusieurs dispositifs sont opérés par l'ANCT grâce à des crédits de la mission « Plan de relance », par exemple avec les conseillers numériques, pour 250 millions d'euros.
Il est donc plus complexe que d'habitude de retracer l'ensemble des crédits qui concourent aux politiques d'aménagement et de cohésion des territoires puisque des crédits du plan de relance viennent enrichir les financements traditionnels. Cela nous permettra de mieux accompagner encore les transformations à l'oeuvre dans notre pays dans les domaines du numérique, de la transition écologique et de la souveraineté industrielle.
Depuis 2017, la nouvelle relation entre l'État et les collectivités territoriales est passée par une démarche de contractualisation et par la création de l'Agence nationale de cohésion des territoires (ANCT).
Si la contractualisation entre l'État et les collectivités territoriales n'est pas une invention de ce Gouvernement, notamment avec les CPER, créés en 1982 à l'initiative de Michel Rocard, nous avons renforcé cette démarche et avons à coeur de les adapter aux besoins actuels, en faisant de ces contrats des outils pluriannuels souples et globaux, qui partent des projets de territoires pour mieux adapter la réponse et les moyens de l'État.
Ainsi, la méthode d'élaboration de la nouvelle génération de CPER 2021-2027 a évolué par rapport à la période précédente 2015-2020. Au lieu des six thématiques choisies pour la programmation 2015-2020, nous avons privilégié une méthode ascendante et différenciée, c'est-à-dire que les régions qui contractualisent avec l'État expriment leurs priorités, qui ne sont pas forcément les mêmes d'une région à l'autre.
En outre, les CPER sont articulés étroitement avec le plan France Relance et les fonds européens, car je rappelle que nous avons une nouvelle génération également de fonds européens sur la période 2021-2027.
À date, dans la quasi-totalité des régions, des protocoles d'accord et des accords de relance ont été signés. Les signatures définitives des CPER devraient intervenir d'ici la fin de l'année.
En incluant les accords régionaux de relance, la participation de l'État aux CPER atteint 32 milliards d'euros et celle des conseils régionaux, 31 milliards d'euros. Ces chiffres sont en très nette augmentation par rapport à la génération précédente, au cours de laquelle l'État avait mobilisé 14,3 milliards d'euros. Les moyens ont donc doublé.
De plus, nous avons choisi d'étendre cette méthode de contractualisation, que j'appelle souvent le « cousu main », aux collectivités du bloc local, avec les contrats de relance et de transition écologique (CRTE). Pour la première fois, l'ensemble du territoire national va être ainsi couvert par un même cadre contractuel, avec 843 périmètres. Il n'y a pas d'enveloppe fermée dédiée au CRTE, comme les programmes que nous déployons depuis 2017, mais tous les crédits de l'État et de ses opérateurs sont mobilisables, les préfets étant en première ligne pour mobiliser au mieux ces financements.
La mise en place de l'ANCT, qui est née le 1er janvier 2020 grâce à une proposition de loi sénatoriale, se traduit également par une nouvelle méthode de travail avec les collectivités territoriales, en matière de pilotage des politiques d'aménagement du territoire. L'agence est organisée par programmes.
Deux ans après sa création, cette agence, qui voit ses moyens budgétaires et humains stabilisés en 2022, concrétise sa promesse.
La réussite de l'agence se traduit au travers du soutien des collectivités dans l'élaboration de projets complexes, appelée aussi soutien en ingénierie, qui est une dimension prioritaire de notre action. Ce soutien se met en oeuvre via de nombreux dispositifs, comme la politique « Petites villes de demain », dans le cadre de laquelle nous nous engageons à cofinancer des postes de chefs de projet à hauteur de 75 %. Plus de 900 chefs de projets devraient être ainsi financés sur l'ensemble du territoire.
Le deuxième principal moyen d'action de l'agence sur ce volet s'effectue à travers un marché d'ingénierie, qui représente 20 millions d'euros de crédits pour aider les collectivités à concrétiser leurs projets en bénéficiant d'expertise externe.
Ce marché fonctionne à « bons de commande » avec deux entrées, thématiques et géographiques, permettant à l'agence de répondre aux besoins des collectivités. Cette assistance de l'ANCT est gratuite pour les communes de moins de 3 500 habitants et pour les intercommunalités de moins de 15 000 habitants.
Le troisième moyen d'apporter de l'ingénierie aux collectivités est le Volontariat territorial en administration (VTA), dont Joël Giraud vous parlera tout à l'heure.
Au travers de programmes d'appui territorialisés, l'ANCT injecte des moyens considérables et favorise la mise en réseau des territoires, ainsi que l'invention de solutions aux grands enjeux qui partent du terrain.
L'une des spécificités des programmes de l'ANCT est la mobilisation des moyens de l'État mais aussi des opérateurs, en lien avec ceux des collectivités locales. Les budgets alloués sont de 5 milliards d'euros pour le programme « Action coeur de ville », 3 milliards d'euros pour « Petites villes de demain » et 3,5 milliards d'euros pour le plan « France très haut débit ».
L'accessibilité aux services publics constitue également une priorité. L'accès au numérique est aussi l'un des enjeux prioritaires de l'Agenda rural du Gouvernement, tant l'accès à Internet est l'une des clés de l'attractivité des territoires ruraux. Le « new deal » mobile conclu entre le gouvernement, l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) et les quatre grands opérateurs en 2018 représente un investissement de plus de 3 milliards d'euros. Cet accord s'est traduit par la réduction importante du nombre de zones blanches. Il n'est peut-être pas parfait, j'entends des critiques, il y a aussi des questions de topographies dans certains territoires...
Concernant le très haut débit fixe (FTTH), les résultats sont impressionnants, avec une augmentation de 22 % de la fibre optique en termes de branchements entre 2020 et 2021. Cela permet aujourd'hui à 65 % des Français d'être éligibles à la fibre optique.
Pour autant, la transformation numérique de notre pays doit s'accompagner du maintien et du retour d'une présence physique du service public pour accompagner les 13 millions de Français se déclarant peu à l'aise avec Internet. Ainsi le programme France services a été créé pour donner accès à chaque Français à un lieu physique d'accueil et un bouquet d'au moins neuf services publics à moins de 30 minutes de chez eux. Le déploiement est satisfaisant et les engagements prévus dans ce PLF, soit 36 millions d'euros sur le Fonds national d'aménagement et de développement du territoire (FNADT), permettront de les soutenir sans difficulté. Nous avons aujourd'hui 1 745 maisons France services labellisées et nous devrions atteindre notre objectif de 2 000 maisons à la fin de l'année 2021 et 2 500 à la fin de l'année 2022.
Nous avons aussi lancé, avec un financement par le plan de relance, 4 000 conseillers numériques, qui sont répartis sur l'ensemble du territoire pour accompagner également les Français, en coordination avec les intercommunalités.
Nous avons construit des outils adaptés à la nouvelle relation État-collectivités. C'est une relation de confiance et de partenariat, qui repose sur la complémentarité entre le niveau national et le niveau local.
Des dossiers restent à traiter, je pense ainsi à la question des zonages que nous avions prorogé en loi de finances 2021 jusqu'en 2022. Cette année, nous allons donner un avis favorable à un amendement déposé par des députés à l'Assemblée nationale dans le cadre du budget 2022 pour proroger les zonages concernés jusqu'à la fin de l'année 2023.
Je sais que le sujet des zones de revitalisation rurale (ZRR) est extrêmement important pour les élus de la ruralité, avec les avantages fiscaux et sociaux associés qui bénéficient aux entreprises, mais aussi avec les politiques publiques qui s'appuient sur les ZRR, allant des agences de l'eau au financement des écoles.
Cette prorogation ne signifie pas l'arrêt de la réflexion sur ces zonages. J'en ai parlé longuement au Premier ministre, qui a accepté. Nous allons mettre « en chantier » une réflexion, en missionnant des parlementaires des deux assemblées. L'objectif est de réfléchir à des scenarios de réforme sur la base des rapports déjà existants, notamment celui de Rémy Pointereau, Frédérique Espagnac et Bernard Delcros et également sur la base du rapport élaboré par une mission inter-inspections en 2021 sur le sujet.
Étant donné la complexité du sujet et du recul dont nous avons besoin dans le contexte sanitaire et économique actuel, il nous semble plus sage de nous laisser un vrai temps de réflexion et de concertation, associé à une prorogation d'un an.
Il reviendra ensuite à ceux qui seront en responsabilité de finaliser ce dossier très important. Je précise que nous allons sous-amender l'amendement des députés que j'évoquais, pour intégrer une prolongation d'un zonage concernant la politique de la ville, dont l'échéance est pour la fin de l'année 2021.
M. Joël Giraud, secrétaire d'État chargé de la ruralité. - La ministre Jacqueline Gourault a évoqué l'Agenda rural du Gouvernement, dont le déploiement est financé en 2021 comme en 2022 par des crédits du plan de relance, à hauteur de 20 millions d'euros.
Ces crédits nous ont permis de financer le déploiement des VTA, qui constituent en quelque sorte le dernier étage de la fusée « ingénierie » que nous avons construite.
Ces VTA permettent l'accession à l'ingénierie pour les collectivités locales, mais également pour des associations d'élus telles que les sections départementales de l'Association des maires de France (AMF) ou de l'Association des maires ruraux de France (AMRF), afin d'obtenir de l'ingénierie pour un ensemble de petites communes.
Ce sont des jeunes de 18 à 29 ans, avec un niveau bac+ 2 minimum. Le ticket forfaitaire est de 15 000 euros de subventionnement pour des missions allant de 12 à 18 mois. Le ministère prévoit de mobiliser 5,5 millions d'euros pour cette politique en 2022, soit une augmentation significative par rapport à l'année précédente. Lors du Comité interministériel aux ruralités (CIR), nous avons obtenu l'arbitrage du Premier ministre pour développer cette politique et atteindre 800 VTA sur le territoire en 2022. Ils ont beaucoup de succès. Étant à bac+ 2, ils sont souvent plus faciles à recruter localement que des profils bac+ 5. Nous établissons également des partenariats avec des associations, dont « Des territoires aux grandes écoles », pour permettre aux jeunes concernés de faire une pause dans leurs études pour les reprendre ensuite, de sorte que le VTA soit une expérience professionnelle valorisante.
Au travers de l'Agenda rural, nous déployons des simulateurs de conduite dans les missions locales pour faciliter l'apprentissage de la conduite pour les jeunes ruraux. L'obtention du permis de conduire est un élément majeur pour les jeunes qui recherchent un emploi et une formation.
Au-delà de ces politiques, 181 mesures ont été déployées dans le cadre de l'Agenda rural et 93 % d'entre elles sont réalisées ou en cours de réalisation, donc c'est bien engagé. Deux politiques, très absentes de l'agenda rural, ont été ajoutées : l'égalité homme-femme, sur laquelle nous avons travaillé avec Élisabeth Moreno, bénéficiera d'un million d'euros pour un appel à manifestation d'intérêt pour des associations qui luttent soit contre les violences faites aux femmes, soit pour une meilleure insertion dans la société. Les violences ne sont pas que physiques, elles peuvent être sociales également.
Nous avons fait de même pour un programme national de la direction ministérielle qui lutte contre les discriminations, pour la lutte contre la discrimination des LGBT+ en milieu rural. Ce sont souvent des sujets tus et sur lesquels il convient que nous agissions aussi.
Certaines mesures concernent également les problématiques de soin et de santé, pour lutter contre les déserts médicaux. Je connais l'intérêt de votre commission pour ce sujet. Nous ne sommes pas le ministère de la santé mais pour autant, nous avons influé sur un certain nombre de mesures qui me semblent intéressantes. Je pense, par exemple, au déploiement de 2 053 assistants médicaux pour dégager du temps médical, dont beaucoup dans les territoires ruraux. Les stages d'internes dans les zones sous-denses ont été valorisés avec des mesures incitatives, c'est-à-dire une augmentation de 50 % de la prime pour les médecins qui sont maîtres de stage universitaires. Pour avoir pratiqué, à titre personnel et en tant qu'élu, les maisons de santé, je pense que ce type de mesures incitatives permettra d'attirer des médecins, au-delà de la seule question de la structure.
Les mesures liées à la Covid-19nont également été prolongées, à savoir le remboursement des téléconsultations et le renforcement du champ d'intervention des professionnels qui ne sont pas médecins. Les réformes structurelles de la formation des médecins décidées par le Gouvernement, notamment s'agissant du numerus clausus, devraient permettre de produire des effets, certes à long terme, mais puissants pour résorber les zones blanches médicales. Cela fait partie des mesures que nous avons eu le courage de prendre mais qui produiront des effets dans le temps.
Le plan « Avenir Montagne », dernière création de l'ANCT, porte une véritable ambition en matière d'aménagement du territoire grâce à un volet ingénierie de 31 millions d'euros et un volet de soutien à l'investissement de 300 millions d'euros, dont 150 millions d'euros d'investissements régionaux. Nous avons souhaité conserver le modèle des contrats de plan régionaux et interrégionaux de massifs, qui nous semblaient le vecteur le plus intelligent, avec des comités de programmation qui sont déjà au travail.
Nous avons en fait doublé la somme prévue pour l'intégralité de la durée du plan, en la fléchant sur des investissements beaucoup plus résilients.
À date, sur les programmes d'investissements pour l'année 2021, un budget de 50 millions d'euros était prévu en autorisation de programmes. Finalement, 160 dossiers ont été identifiés pour une demande de crédits de 63 millions d'euros donc ceux qui craignaient que les crédits ne soient pas consommés peuvent être rassurés. J'essaie de faire en sorte que les crédits soient bien engagés et consommés dans de bonnes conditions, car c'est une question de crédibilité.
Ces crédits vont générer310 millions d'euros de projets. La première sélection est en cours et elle relève des instances paritaires entre l'État et les régions, notamment des comités de programmation.
Le programme « Avenir montagne ingénierie » concerne les territoires ne disposant pas d'ingénierie dans certains massifs, y compris dans les Alpes. Une première vague de 32 candidats pourra bénéficier de cette aide à l'ingénierie sur les territoires de montagne. Un appel à manifestation d'intérêt sur la mobilité a également été lancé, afin d'aider les collectivités qui le souhaitent pour le développement de la politique du dernier kilomètre. Il y a aussi l'élaboration des plans locaux de mobilité au titre de la loi d'orientation des mobilités (LOM), qui ont besoin de soutien parfois.
Les premiers lauréats de l'appel à manifestation d'intérêt pour le programme « France tourisme ingénierie » seront connus avant la fin du mois de novembre 2021, sur la problématique de rénovation de l'immobilier de loisir dans les stations. Un certain nombre d'éléments législatifs concernant cette problématique ont été introduits dans la loi 4D au Sénat, s'agissant notamment de la possibilité de préemption par des sociétés foncières plutôt que par des collectivités, qui simplifiera la politique en la matière.
Un mot sur la mission « Relations avec les collectivités territoriales » et sur la dotation « biodiversité ». Les préconisations qui avaient été faites par les sénateurs qui avaient demandé à travailler sur le sujet, je pense en particulier à Bernard Delcros et à Charles Guéné, ont été reprises par le Gouvernement par voie d'amendement. La dotation de biodiversité a été doublée dans le PLF initial 2022 à 20 millions d'euros, pour moitié sur crédits neufs et pour moitié sur enveloppes normées. Cette dotation s'appellera désormais dotation de biodiversité et d'aménités rurales, afin de reconnaître ces dernières.
Sur la proposition des sénateurs que j'évoquais, nous avons modifié les critères pour que les communes ayant au moins 50 % de leur territoire en zone Natura 2000 soient concernées par cette dotation, ce qui fait entrer beaucoup plus de communes dans le champ de la dotation.
En outre, sur la suggestion de Charles Guéné, un préciput minimal à 3 000 euros a été instauré pour les communes situées dans les parcs nationaux.
Au total, la dotation de biodiversité s'élèvera à 25 millions d'euros en 2022, puisque 4,3 millions ont été votés en complément sur l'enveloppe normée.
M. Louis-Jean de Nicolaÿ, rapporteur pour avis sur les crédits relatifs à la politique des territoires. - Je souhaiterais évoquer cinq sujets principaux. D'abord, sur l'ANCT. Cet opérateur est désormais pleinement opérationnel, je me réjouis du maintien de l'enveloppe de 20 millions d'euros pour le soutien à l'ingénierie des collectivités et les programmes nationaux territorialisés se multiplient. Il n'est pas aisé de s'y retrouver entre les mesures « autonomes » de l'Agenda rural, qui concernent votre ministère mais aussi d'autres ministères, les programmes nationaux territorialisés qui répondent à des objectifs de l'Agenda rural ou encore d'autres instruments contractuels qui traduisent également des mesures de cet agenda.
Je voulais vous interroger sur les perspectives de votre politique d'aménagement et de cohésion territoriale. Quelle est la suite selon vous ? Vos services travaillent-ils à la constitution de nouveaux programmes nationaux territorialisés, par exemple pour le renforcement des équipements des collectivités sur le maintien des commerces, sur la politique territoriale de santé ? Les programmes ayant bien fonctionné, comme « Action coeur de ville » vont-ils être étendus à d'autres territoires ?
Sur un sujet connexe à l'ANCT, je souhaitais évoquer la question des moyens du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) mais je laisserai mon collègue Guillaume Chevrollier vous interroger sur ce point.
Je voulais également vous interroger sur les contrats de relance et de transition écologique (CRTE). Comment les CRTE vont-ils s'articuler dans les CPER ? Sont-ils totalement indépendants de ces CPER, en fonctionnant uniquement avec la DETR et la DSIL, s'il en reste à l'avenir ? Les CRTE et les CPER ont été conçus pour une période de six ans mais ils n'ont pas été signés au même moment. Un questionnement existe sur la cohérence des relations entre les collectivités et ces deux types d'engagements contractuels.
S'agissant du programme « France services », environ 1 500 maisons ont été labellisées, vous l'avez dit, et vous devriez atteindre l'objectif de 2 000 maisons d'ici fin 2022, soit 1 par canton, conformément à l'annonce du Président de la République. Quel serait selon vous le prochain objectif à fixer en nombre de maisons, une fois le seuil symbolique des 2 000 maisons atteint, pour rapprocher les services publics des populations ? À l'inverse, estimez-vous que le nombre de 2 000 maisons France services est suffisant et qu'il faut consacrer des crédits budgétaires à d'autres solutions ? Sinon, existent-t-ils d'autres objectifs pour développer ce service ?
Sur les structures existantes, 230 sont localisées dans les quartiers de la politique de la ville. Combien de maisons France services sont localisées en zones rurales ? Enfin, avez-vous des projets pour développer le lien entre les maisons France services et les Maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP) ? Vous allez sans doute me répondre que le réseau des MSP est suivi par le ministère de la santé mais vous connaissez l'ampleur des difficultés territoriales d'accès aux soins de nos concitoyens tout comme l'intérêt de notre commission pour ces questions et vous portez des politiques publiques de cohésion donc je m'interroge : ne pourrait-on pas créer des synergies et des mutualisations entre le réseau France services et les quelque 1 900 MSP qui existent ou doter nos élus locaux de nouvelles compétences et de leviers d'action pour la politique territoriale de santé ?
Avant de conclure, j'aurais deux dernières questions : votre ministère bénéficie de crédits du plan de relance pour accompagner les collectivités dans la connaissance et la gestion de leur patrimoine d'ouvrages d'art, un sujet que nous suivons particulièrement depuis le rapport des sénateurs Hervé Maurey, Patrick Chaize et Michel Dagbert. Ces crédits sont-ils bien liquidés ? Comment se passe la mise en oeuvre de vos actions ? Les élus sont-ils, selon vous, satisfaits ?
Enfin, je terminerai par un sujet qui nous tient tous à coeur : la réforme de la géographie prioritaire de la ruralité et en particulier des zones de revitalisation rurale (ZRR). C'est important de travailler précisément, avec les parlementaires sur ce sujet, car les élus attendent des réponses précises. Il faudrait aboutir à la mi-2022 pour que nos élus sachent à quoi s'en tenir en 2023.
M. Jean-Michel Houllegatte, rapporteur pour avis sur les crédits relatifs à l'aménagement numérique du territoire. - Un nouveau record dans le déploiement de la fibre sera établi en 2021 avec plus de 6 millions de prises. Le déploiement du mobile connaît une amélioration progressive, mais certaine, dans le cadre du « new deal ». Le plan France très haut débit prévoit la mobilisation de 50 millions d'euros supplémentaires pour l'année 2022. Les territoires et les projets qui bénéficieront de ces moyens complémentaires ont-ils déjà été identifiés ? Quelles seront les modalités de répartition de cette enveloppe complémentaire ?
Les élus locaux rencontrent de nombreux problèmes concernant la spéculation foncière sur les antennes de télécommunication, notamment de la part d'acteurs intermédiaires, appelés les tower companies. Dans la nouvelle proposition de loi sur la réduction de l'empreinte environnementale du numérique, des dispositions ont été prises pour imposer à l'acquéreur d'un terrain souhaitant installer un pylône de fournir à la collectivité la preuve d'un mandat avec un opérateur téléphonique.
Toutefois, le même problème voit le jour dans le cadre du renouvellement des contrats de bail en cours, avec un risque d'atténuer le déploiement de la couverture numérique. Quel est votre avis sur ce sujet et comment pouvez-vous intervenir ?
Dans le cadre du déploiement du très haut débit dans les communes rurales, les opérateurs nous ont fait part d'un problème avec les adresses postales normalisées. Dans le projet de loi « 3DS », des dispositions vont renforcer le rôle des maires. Quel rôle pourrait jouer votre ministère pour accélérer la mise en place de bases d'adresses locales ?
Le plan de relance prévoyait un budget de 250 millions d'euros pour le recrutement et le déploiement des conseillers numériques. Quelles sont les perspectives financières pour cette politique publique au-delà de l'année 2022, afin que ces conseillers numériques puissent assurer leur mission sur le long terme ?
L'objectif de déployer un million de pass numériques est loin d'être atteint. Un nouvel appel d'offres a été lancé récemment, pouvez-vous nous en dire davantage ?
Mme Jacqueline Gourault, ministre. - Les dotations d'investissement ont été présentées hier devant la commission des lois. La DSIL sera stable à 570 millions d'euros, avec une enveloppe complémentaire exceptionnelle de 337 millions d'euros, récupérée sur les fonds structurels, pour permettre de traiter la politique « Petites villes de demain » et les centralités. La DETR sera de 1,46 milliard d'euros. La dotation pour la politique de la ville sera de 150 millions d'euros et la Dotation de soutien à l'investissement départemental (DCID) de 112 millions d'euros. Ces chiffres sont stables par rapport à l'année précédente.
La Dotation globale de fonctionnement (DGF) est également stable avec un montant de 26,8 milliards d'euros. Nous avons augmenté la part péréquée de la Dotation de solidarité urbaine (DSU) à 95 millions d'euros, ainsi qu'une augmentation en parallèle de la Dotation de solidarité rurale (DSR). La Dotation d'aménagement des communes d'outre-mer (DACOM) a été augmentée comme l'année précédente. La péréquation pour les EPCI à fiscalité propre et les départements a été renforcée, avec respectivement 30 millions d'euros et 10 millions d'euros supplémentaires. L'effort de péréquation s'accentue cette année.
Je souhaitais également évoquer un sujet important, à savoir la nécessité de revoir les indicateurs financiers locaux à la suite de la suppression de la taxe d'habitation. Il s'agit de l'article 47 de la loi de finances pour 2022, qui traite du potentiel financier et de l'effort fiscal de chaque collectivité. Le PLF prévoit que ces évolutions n'auront pas d'effets sur les dotations en 2022. Il faudra en revanche mettre en place progressivement une réforme, qui est suivie par la commission des finances du Sénat, en lien avec le comité des finances locales.
Pour l'ANCT, la subvention pour charges de service public est de 60 millions d'euros sur le programme 112 et le budget d'ingénierie représente 20 millions d'euros. Ces moyens sont maintenus.
Le Premier ministre a annoncé la prolongation du programme « Action coeur de ville » jusqu'en 2026.
Le programme « Petites villes de demain » est un soutien aux petites et moyennes villes qui maillent l'ensemble du territoire français, en particulier la ruralité, et j'espère qu'il sera également prolongé.
Le programme France services se développe grâce aux relais des communes et intercommunalités mais également grâce aux porteurs que sont la Poste, le milieu associatif, notamment le réseau Point information médiation multi-services (PIMMS) et désormais la Mutualité sociale agricole (MSA).
Les maisons France services sont situées à 70 % en zone rurale, les autres étant dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV). L'objectif initial fixé par le Président de la République était d'une structure par canton. Avec l'agrandissement des cantons effectué sous le précédent quinquennat, nous avons en réalité parfois plusieurs maisons dans un même canton. Comment on implante ces maisons ? Cela part d'un échange avec les élus et les préfets.
Lorsque nous atteindrons l'objectif de 2 500 maisons France services à la fin de l'année 2022, nous aurons répondu à l'essentiel de la couverture en besoin de services publics sur les territoires. Des maisons France services « mobiles » se développent également, elles sont très intéressantes en zones rurales.
S'agissant de l'inclusion numérique, plus de 3 500 conseillers numériques sont déjà déployés en France, pour un objectif de 4 000 conseillers. 250 millions d'euros sont prévus dans le cadre du plan de relance, bien évidemment cette politique mérite d'être poursuivie. Un travail important est mené avec les secrétaires de mairie, afin qu'ils soient en relation étroite avec les maisons France services et notamment les Aidants Connect.
Les opérateurs ont effectivement soulevé le problème tower companies, de même que les entreprises chargées des infrastructures numériques au niveau européen. Pour le moment, ce problème ne freine pas le déploiement du « new deal ». Entre 2017 et 2022, la couverture du territoire national par au moins un opérateur en 4G (hors Guyane) est passée de 87 % à 98 %. Il s'agit d'un point de vigilance, mais non d'un frein au déploiement à ce stade.
M. Joël Giraud, secrétaire d'État. - Le programme « pont » piloté par le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) se déroule normalement. Parmi les 28 000 communes anciennement éligibles à l'Assistance technique fournie par l'État pour des raisons de solidarité et d'aménagement du territoire (ATESAT), 50 % ont répondu favorablement à l'expertise du Cerema. Les communes concernées correspondent pratiquement à 70 % des ponts recensés sur les territoires communaux pour le Cerema. Les expertises et les diagnostics sont en cours. Il sera possible, à partir de l'été 2022, d'avoir des diagnostics plus détaillés pour les ouvrages posant vraiment des problèmes, sous forme d'Avant-projet sommaire (APS) pour déterminer le programme d'investissement correspondant.
Mme Jacqueline Gourault, ministre. - Les CPER et les CRTE sont désormais concomitants, puisque les CPER sont renouvelés cette année et les CRTE sont créés également cette année. Ces contrats sont indépendants, bien qu'il y ait un volet territorial dans les CPER, c'est-à-dire négocié pour des projets territoriaux dans les départements. Les départements et les régions viennent souvent en appui des politiques de CRTE, puisqu'ils mettent déjà en oeuvre des politiques similaires. Des conventions avec les collectivités sont conclues pour prévoir des financements complémentaires dans les CRTE.
M. Bruno Rojouan. - Vous avez annoncé que le zonage par rapport aux ZRR serait effectué en 2023. Cela signifie-t-il que le dispositif actuel est applicable jusqu'au 31 décembre 2023, et que les changements interviendront seulement à partir du 1er janvier 2024 ? Cette précision est très importante, notamment pour les maires.
Mme Jacqueline Gourault, ministre. - Absolument, je le confirme.
M. Bruno Rojouan. - Le sujet de la présence médicale ne doit pas être la prérogative du seul ministère des solidarités et de la santé, les élus doivent s'en emparer. Les incitations à la présence médicale en milieu rural ont-elles véritablement produit des résultats ? Votre ministère serait-il prêt à préférer l'obligation à l'incitation pour pallier les déserts médicaux ? Que préparez-vous pour aller plus loin sur ce sujet ?
M. Joël Giraud, secrétaire d'État. - Les amendements coercitifs peuvent être contre-productifs : certains abandonnent des filières complètes dès lors qu'ils sont contraints d'exercer sur des territoires spécifiques. Les obligations concernant le nombre d'heures de stage à effectuer en zone rurale ont été et seront encore renforcées, cette méthode me semble plus adaptée. Toutefois, à ce stade, il n'est pas prévu de coercition.
Mme Martine Filleul. - J'aimerais évoquer quatre points. Tout d'abord, la question des moyens de l'ANCT dédiés au soutien des collectivités territoriales en matière d'ingénierie. Le projet de loi de finances pour 2022 indique que seulement 400 projets ont été accompagnés par l'ANCT en 2021, avec un objectif de 500 projets pour 2022 et 2023. Ces chiffres apparaissent très faibles au regard des 25 000 communes se situant au niveau ou en dessous du seuil de 1 000 habitants pour lesquelles il est difficile de mobiliser des moyens en ingénierie.
Le deuxième sujet concerne les Maisons France services, dont 1 745 ont été labellisées. L'objectif d'en labelliser 2 500 en 2022 est très faible alors que la moitié des Français ne maîtrise pas les outils numériques de base et que l'obligation est de conserver une personne physique accessible à l'ensemble des Français en matière de services publics. Ne pensez-vous pas qu'un minimum de 3 000 maisons France services serait nécessaire pour répondre à l'impératif du maintien de la qualité du service public dans notre pays ? Des moyens sont mis en oeuvre à travers les conseillers numériques, des Hubs France connectés et des « pass numériques », mais ces dispositifs prêtent le flan à de nombreuses critiques : beaucoup s'interrogent notamment sur la pérennité des conseillers numériques et sur leur niveau de rémunération.
Je souhaite également vous interroger sur la répartition de la DETR. 11 millions d'euros ont été alloués au département du Nord et cette dotation n'a pas augmenté depuis la suppression de la réserve parlementaire. La Lozère a reçu la même dotation, alors que le département du Nord est également un département rural.
Enfin, mon dernier point concerne la note de l'association Finances publiques et économie, publiée le 3 novembre 2021, qui fait état d'un rapport d'un à deux sur la répartition des fonctionnaires, inégale sur le territoire. Quel est votre sentiment à ce propos ?
M. Bruno Belin. - Un futur médecin ou professionnel de santé ne peut être contraint d'exercer sur tel ou tel territoire, car s'il le fait à contrecoeur, son exercice ne sera pas satisfaisant. En revanche, nous pourrions instaurer un nombre plafond d'installations pour chaque département. La profession des pharmaciens d'officine en milieu rural a mis en place un tel dispositif. Il existe actuellement de réelles disparités entre des territoires pourtant attractifs : par exemple, 1 580 médecins exercent dans les Alpes-Maritimes pour un million d'habitants, alors que dans le Loir-et-Cher, le ratio est de seulement 253 médecins pour 330 000 habitants.
Je souhaite également vous interroger sur les fonds européens : même après plusieurs mandats de maire, il n'est pas aisé de comprendre comment ils fonctionnent. Or, les territoires et les élus ont besoin de moyens. Ces fonds étaient auparavant à la charge des sous-préfets, les élus locaux les avaient à portée de main et pouvaient donc discuter avec eux. Désormais, ils ne savent plus vers qui se tourner. Comment faciliter l'accès à ces fonds pour les collectivités ?
M. Stéphane Demilly. - Les orientations budgétaires sur le numérique évoluent positivement. En revanche, cet enthousiasme n'est pas partagé sur le terrain, dans la ruralité. Dans certains villages, les populations ne sont pas en mesure d'avoir une couverture mobile et Internet convenable. Serait-il possible d'énoncer un calendrier précis, commune par commune, du déploiement du numérique et de la téléphonie mobile ?
M. Éric Gold. - Avec une enveloppe dédiée à la DSIL conséquente, dont le montant a triplé entre 2020 et 2021, l'État entendait relancer l'économie post-Covid dans les territoires. Toutefois, un certain nombre d'élus font état d'un manque de visibilité concernant le fléchage de cette enveloppe supplémentaire. Cette part exceptionnelle de DSIL devait financer le projet de redynamisation des centralités et des petites villes, notamment via le programme « Petites villes de demain ». Par la suite, il s'est avéré que le financement des CRTE a été préféré. Il apparaît indispensable que les élus connaissent précisément le fléchage des différentes subventions, d'autant que la répartition échappe à leurs délibérations puisque la DSIL incombe principalement aux préfets de régions. Est-il possible d'apporter des précisions sur ce que le projet de loi de finances prévoit en termes de répartition de cette DSIL exceptionnelle pour l'année 2022 ?
Concernant l'inclusion numérique, France services est un bon outil, mais il faut travailler sur l'ergonomie des sites notamment institutionnels : ils sont souvent d'utilisation difficile pour les usagers, il y a une révolution à faire en interne sur ce sujet.
M. Cyril Pellevat. - L'article 61 de la loi Montagne II prévoyait une exonération de la Taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) pour les véhicules de collecte de lait en zone de montagne, sous réserve que la Commission européenne confirme que cette disposition n'était pas contraire au droit de l'Union européenne. Cependant, la Commission européenne n'a jamais été saisie par le Gouvernement et la mesure reste à ce jour inapplicable. Il est nécessaire que le Gouvernement saisisse la commission ou supprime la conditionnalité de l'application de cette disposition lors de l'examen du projet de loi de finances, afin qu'elle puisse entrer en vigueur.
J'ai été alerté par les communes touristiques, notamment de montagne, sur les difficultés rencontrées sur la collecte et le versement de la taxe de séjour par les opérateurs numériques. D'une part, les communes n'ont pas à leur disposition de listes exhaustives des opérateurs numériques exerçant une activité de location en France, ce qui les empêche de vérifier si tous leur versent la taxe de séjour. D'autre part, certains opérateurs n'utilisent pas les données de la Direction générale des Finances publiques (DGFIP). Ils appliquent leurs tarifs sur la base des indications communiquées par les loueurs, dont ils sont les revendeurs, pouvant entraîner des erreurs sur les statuts ou la catégorie de classement, et donc sur le calcul de la taxe de séjour. Certains opérateurs n'appliquent pas également les obligations législatives réglementaires en vigueur et ne respectent pas les modalités fixées par les collectivités quant au tarif applicable. Il m'a notamment été donné l'exemple de « Airbnb » qui n'appliquerait pas l'exonération de la taxe de séjour pour les mineurs ni le tarif proportionnel pour les hébergements non classés. Pour finir, le contrôle des sommes acquittées est impossible, car les opérateurs produisent des états déclaratifs sous des formats divers et non certifiés, qui sont rarement exploitables et ne permettent aucun rapprochement. Cela représente un manque à gagner non négligeable pour les communes touristiques. Il serait opportun qu'un travail en commun soit initié entre votre ministère, Bercy et les secrétariats d'État au tourisme et au numérique sur ce sujet.
Un dispositif visant à lutter contre les « lits froids » et des mécanismes fonciers ont été mis en place dans le cadre du Plan Avenir montagne. Plusieurs organismes ont fait part de leurs difficultés à cerner les contours des dispositifs et des calendriers. Pourriez-vous nous les détailler davantage et nous indiquer si ces mesures sont traduites dans le projet de loi de finances ?
M. Guillaume Chevrollier. - Je voudrais souligner l'importance de la DETR et de la DSIL et la nécessité d'avoir des dispositifs stabilisés. Il est nécessaire de maintenir le taux de financement du fonds d'aide aux collectivités pour l'électrification rurale (CAS-FACE). Ce taux de financement est de 80 % des travaux, il est impératif de le maintenir à cette hauteur pour tenir compte des spécificités du monde rural et plus globalement pour accompagner la transition énergétique avec un soutien plus fort auprès des collectivités locales pour développer les énergies renouvelables, notamment sur la question de la prise de participation des collectivités dans des sociétés.
Un rapport du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) et de l'Inspection générale de l'administration (IGA) a récemment titré que le pronostic vital du Cerema est engagé et que son modèle économique n'est pas soutenable. La subvention pour charges de service public de l'établissement a baissé de 17 % en six ans, pour descendre en dessous de la barre des 200 millions d'euros en 2021, ne permettant plus de couvrir sa masse salariale. De plus, ses ressources propres ont augmenté de 45 % et le Cerema ambitionne de se tourner davantage vers les collectivités, alors que leurs recettes ne sont pas extensibles. Le schéma d'emploi de l'établissement est sévère avec une baisse de 22 % du plafond d'emplois depuis 2014 et la suppression de plus de 100 postes par an entre 2017 et 2020, faisant passer ses effectifs de 2 800 à 2 400 agents. Cet établissement a fait de nombreux efforts et a répondu à ses objectifs d'adaptation. Malgré cela, il est encore pénalisé. Pourquoi une telle pression budgétaire est-elle exercée sur le Cerema et comment les arbitrages ont-ils été opérés ?
M. Philippe Tabarot. - Les vallées des Alpes-Maritimes ont été détruites par la tempête Alex, d'autant que notre commission se rendra sur place à l'initiative du Président Longeot et de Didier Mandelli le 25 novembre prochain. Le Président de la République a promis une aide de l'État de 572 millions d'euros pour aider le département à se rebâtir. Le préfet à la reconstruction a établi un objectif de reconstruction à 90 % pour la fin de l'année 2022. Sur ces 572 millions d'euros promis, 26 millions d'euros ont été versés en 2021.
Sur les crédits de programme du PLF 2022, 31 millions d'euros sont prévus pour le fonds de reconstruction Alex en crédits de paiement et 49 millions d'euros sont alloués au programme 122 sur les calamités publiques, mais pour l'ensemble du territoire national. Cela sera-t-il suffisant pour tenir les engagements du Président de la République auprès des populations et des élus ? Le département des Alpes-Maritimes a quant à lui déjà versé 200 millions d'euros pour la reconstruction de ces vallées.
L'activité économique est considérablement réduite et 42 % de l'activité industrielle et commerciale a disparu. Quelle est votre position sur l'établissement de zones franches de montagne pour aider à la relance de cette activité économique, une proposition refusée régulièrement par le ministère de l'économie et des finances ? Des aides ponctuelles ont été mises en place mais les vallées ont besoin d'outils pérennes pour se redynamiser.
M. Joël Bigot. - L'ingénierie de l'ANCT repose pour beaucoup sur les techniciens du Cerema. Le projet de budget pour l'année 2022 prévoit de nouvelles suppressions de postes, soit 40 emplois à temps plein dans le programme 159. Cela représente plus de 600 postes supprimés sur l'ensemble du quinquennat. C'est toute l'expertise publique en matière environnementale qui se trouve mise à mal par ces suppressions de postes. L'objectif, à terme, est-il de privatiser l'ingénierie publique alors qu'elle est en capacité d'accompagner des collectivités locales très demandeuses ?
Le soutien de l'ANCT intervient dans le cadre de programmes d'action pilotés par l'agence. Qu'en est-il des communes qui ne font pas partie des dispositifs « Action coeur de ville », « Petites villes de demain » ou autres ? Quelles garanties avons-nous de l'équité de traitement entre les territoires pour développer des projets et soutenir le rythme nécessaire pour répondre aux appels à projets ?
M. Olivier Jacquin. - Je travaille avec le ministère de la transition écologique, chargé des transports, sur la question des petites Autorités organisatrices de la mobilité (AOM), n'ayant pas de base fiscale de versement mobilité. À la suite de la LOM, certaines régions ont décidé de jouer le jeu de la subsidiarité, tandis que d'autres ne l'ont pas fait. Il est regrettable qu'aucune mesure n'ait été prise sur le versement mobilité, telle que la diminution du seuil d'assujettissement, dans une année où les impôts de production ont été supprimés à hauteur de 10 milliards d'euros pour les entreprises.
Dans certains cas, les EPCI sont véritablement interdépartementaux et des projets peuvent avoir lieu dans un département différent de celui du siège de l'EPCI. Quelle est votre position sur les possibilités d'affecter différemment l'enveloppe de DETR et de trouver un système d'arbitrage dans certains cas complexes ?
Serait-il possible d'avoir un état d'avancement sur le dossier de la redevance des mines du bassin salifère lorrain ?
Mme Marta de Cidrac. - Outre la désertification médicale, le maillage des maternités est aujourd'hui de plus en plus faible dans notre pays. Une maternité sur trois a été fermée entre 1996 et 2016 et une dizaine d'établissements l'a été également depuis. Si l'on remonte quarante ans en arrière, on constate que les deux tiers des maternités qui étaient ouvertes ont fermé. Le but est de rendre les accouchements plus sûrs en fermant les petits établissements ayant peu d'activité et en équipant mieux les grosses maternités. Ce phénomène pose des soucis d'accessibilité dans les milieux ruraux, notamment dans le cas d'accouchements complexes. Ces données rejoignent les constats établis par la Délégation aux droits des femmes, qui a pointé que la désertification affectait plus spécifiquement la santé des femmes. Des chiffres éloquents ont été dressés sur le nombre de gynécologues disponibles. L'articulation entre accessibilité et conditions de sécurité fixées par le ministère des solidarités et de la santé est-elle réaliste à l'épreuve du terrain ? Comment pallier cette raréfaction des maternités ? Le réseau dynamique des sages-femmes peut-il être un appui au-delà des centres périnataux ?
Mme Angèle Préville. - Dans la dernière loi Santé, un amendement avait été proposé pour imposer un stage pour les étudiants de sixième année de médecine en zones sous-denses. Je vous alerte sur le fait que ce décret n'a toujours pas été pris.
La dotation de soutien aux communes pour la protection de la biodiversité a été modifiée, notamment pour prendre en compte des aménités rurales. Or, de nouvelles communes vont bénéficier de cette dotation. Disposeront-elles d'un cadre légal pour intégrer ces aménités rurales dans leurs politiques publiques ?
M. Hervé Gillé. - L'ensemble des contrats sur la nouvelle génération des CPER sera signé au début de l'année 2022. Les CPER demeurent un outil indispensable, mais nous manquons d'informations financières qualitatives. Des décalages importants subsistent entre la programmation et les crédits budgétés. Il est impossible de réaliser une évaluation de la génération de CPER 2015-2021 et cela induit un réel problème de visibilité et d'engagement.
Il n'existe pas de méthodologie partagée sur le plan national pour évaluer de façon comparée et objective l'activité des maisons France services. Des décalages importants entre les maisons ont été constatés sur le terrain, certaines fonctionnent très bien tandis que d'autres rencontrent des dysfonctionnements et toutes n'ont pas le même niveau d'offre de service ou d'activités. S'il existe une méthodologie partagée pour évaluer les Maisons France services, elle n'a jamais été portée à la connaissance de notre commission.
Mme Jacqueline Gourault, ministre. - L'ANCT a été créée pour venir en aide aux territoires les plus défavorisés. Les aides directes de l'État s'ajoutent aux moyens importants de l'ANCT, au travers des Directions départementales des territoires (DDT). L'ANCT vient apporter un complément en matière d'ingénierie, par rapport à l'ingénierie existante sur les territoires, à savoir l'ingénierie proposée par des départements et des intercommunalités. Le délégué de l'ANCT est le préfet, qui travaille pour harmoniser cela sur les territoires. Nous avons 1 745 Maisons France services sur le territoire et les maisons labellisées ont pour obligation d'avoir deux opérateurs présents physiquement. La fréquentation est différente selon les territoires, par exemple entre zones urbaines et grande ruralité, pour autant ces maisons sont utiles dans les deux cas. Un baromètre Service public animé par la Banque des territoires existe, en association avec l'ANCT, et des audits sont réalisés à intervalles réguliers. Par exemple, le Calvados est le département où les maisons France services sont les plus fréquentées.
Un baromètre existe pour évaluer le nombre de fonctionnaires par département. La note de l'association Finances publiques et économie que vous avez citée précise que les ruralités sont bien pourvues en fonction publique. Pendant plusieurs années, la tendance observée était celle du renforcement du nombre de fonctionnaires dans l'administration régionale au détriment de l'administration départementale. La volonté du Gouvernement actuel était de renverser cette tendance et le cours de l'évolution s'est inversé depuis l'année précédente.
La DETR pour le département du Nord a augmenté, passant de 10 millions d'euros à 11,2 millions d'euros. La DETR étant destinée aux départements ruraux, ils sont logiquement mieux dotés. Le département du Nord a des communes rurales, mais pas seulement. J'ai ainsi signé récemment un CRTE avec la métropole de Lille.
Le dispositif ciblé de couverture 4G est un projet est piloté par les préfets et les conseils départementaux. Il existe des calendriers de déploiement par département et par antenne. Quant à la fibre Internet fixe, elle a un meilleur fonctionnement dans les Réseaux d'initiative publique (RIP). Ces RIP peuvent être portés par une région, un département, des syndicats et ils sont financés par l'État pour leur développement.
Le programme 2021-2027 pour les fonds européens s'élève à 15 milliards d'euros pour le Fonds européen de développement régional (FEDER) et le Fonds social européen (FSE). Les autorités de gestion pour ces fonds sont désormais les régions, pour accélérer la décentralisation.
Le Cerema est un établissement public administratif créé en 2014 sous la tutelle du ministère de la transition écologique. Au 1er janvier 2021, cet opérateur a mis en place une organisation modernisée issue de son projet de transformation, appelé Cerem'Avenir.
La priorité du Cerema, selon le nouveau projet stratégique 2021-2023, est l'accompagnement des territoires. Ce projet affirme son rôle croissant au bénéfice des collectivités territoriales. Nous avons proposé un amendement qui a été voté au Sénat pour une habilitation à légiférer par ordonnance, qui a été inscrite dans le projet de loi « 3DS ». Le Gouvernement a préparé la rédaction d'un amendement modifiant directement dans le texte du projet de loi les missions de l'établissement et les grands principes de la quasi-régie. Cette rédaction a été modifiée au Sénat, pour que cela soit inscrit en dur. Des baisses régulières du schéma d'emploi ont été observées au Cerema, qui s'établira à 2 496 équivalents temps plein (ETP) pour le PLF 2022. Il est envisagé de modifier les statuts de cet établissement pour créer des quasi-régies pour les collectivités territoriales, afin d'adapter le Cerema, qui à l'heure actuelle travaille à 80 % pour l'État, au besoin des collectivités territoriales.
L'engagement du Président de la République de 572 millions d'euros sera tenu pour la reconstruction des vallées des Alpes-Maritimes. Les crédits de l'État comprennent notamment la dotation de solidarité pour un montant de 142,7 millions d'euros, engagés à 100 % au mois d'octobre 2021. L'État ouvre de surcroît une enveloppe exceptionnelle de 150 millions d'euros, à la fois pour financer des dépenses qui ne relèvent pas du cadre légal de la dotation de solidarité, ainsi que des opérations qui serviront à la résilience et au développement des trois vallées. Par ailleurs, l'État financera 100 millions d'euros de Fonds de compensation pour la TVA (FCTVA), ainsi que 120 millions de Fonds de prévention des risques naturels majeurs (FPRNM), dit fonds Barnier. Ces dossiers progressent de manière satisfaisante et un préfet a été nommé spécifiquement pour la reconstruction des trois vallées. Les contributions de la métropole de Nice Côte d'Azur et du département des Alpes-Maritimes sont essentielles.
Le taux de financement du CAS-FACE est effectivement de 80 %, ce qui correspond au taux maximal.
Nous pensons que les zones franches de montagne ne sont pas le bon outil pour la relance économique. Le Gouvernement mène actuellement une réflexion avec les collectivités territoriales pour aider les entreprises.
La demande de DETR pour les EPCI interdépartementaux de la Meurthe-et-Moselle est satisfaite. La fraction de l'enveloppe départementale de DETR qui dépend des EPCI éligibles du département prend en compte les seuls EPCI dont le siège se situe dans le département. Concrètement, lorsque le préfet de Meurthe-et-Moselle subventionne un projet de la communauté de communes débordant sur le département de la Moselle, son enveloppe de DETR intègre déjà des crédits correspondant à la partie mosellane du territoire intercommunal.
Les régions, elles-mêmes nées de la décentralisation, ne sont pas décentralisatrices envers les intercommunalités. Ces dernières pouvaient dans la LOM développer le transport et la mobilité. Certaines régions ont verrouillé ce système.
L'ANCT est destinée à l'ensemble des communes, elle n'est pas réservée aux communes faisant partie d'un programme particulier.
M. Joël Giraud, secrétaire d'État. - Les bilans des CPER 2015-2020 sont en ligne sur le site Internet du ministère de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
Une mission interministérielle est conduite actuellement afin de faire en sorte que les programmes nationaux s'appliquent dans les zones particulièrement rurales. Par exemple pour le Ségur de la Santé, la mission porte une attention particulière aux hôpitaux isolés dans les zones rurales ou de montagne. Ainsi, l'hôpital de Saint-Jean-de-Maurienne fait partie de ceux qui bénéficieront d'un désendettement à hauteur de 5 millions d'euros et obtiendront 15 millions d'euros d'investissements dans le cadre de ce Ségur.
La cible de 500 projets accompagnés par l'ANCT pour 2022 et 2023 concerne uniquement les dossiers qui remontent au niveau national, c'est-à-dire soit des bons de commande, soit des interventions directes des agences partenaires de l'ANCT.
Ce chiffre ne représente pas les projets accompagnés au niveau local de manière systématique. Par exemple, lorsqu'un projet particulier manque d'ingénierie et que le commissaire de massif se déplace pour les zones de montagne, cela n'est pas comptabilisé dans cette cible. Toutes les communes ont accès à cette ingénierie, y compris celles qui ne font pas partie de programmes nationaux. Je vous signale qu'on prévoit le déploiement de 800 volontaires territoriaux administratifs (VTA) d'ici 2022 sur le territoire, il est important que les collectivités y recourent !
L'ensemble de l'ingénierie mise en place sur les territoires permet de pallier dans une moindre mesure la différence existante entre les collectivités rurales et les grandes villes. De surcroît, dans le cadre de la présidence française de l'Union européenne, le volet Territoires ruraux sera mis en avant. L'avis favorable donné à la PPR du Sénat sur la problématique de l'agenda rural européen en est une traduction.
J'ai été le rapporteur général du budget lors de la mise en place la taxe de séjour à laquelle les opérateurs numériques échappaient. J'ai conscience de la difficulté de mise en oeuvre, nous serons vigilants sur l'application et nous maintiendrons une certaine pression vis-à-vis de ces opérateurs.
La dotation de biodiversité est une DGF, cela signifie qu'il n'existe pas de contrepartie stricto sensu. En revanche, dans la DGF biodiversité, dès lors qu'une collectivité refuse d'adhérer à la zone d'adhésion d'un parc national, elle perd cette dotation, ce qui est incitatif. De même que pour les parcs régionaux, si une collectivité n'adhère pas à la charte, elle perd le droit à cette dotation.
Les questions complémentaires peuvent être adressées par écrit au ministère pour obtenir des réponses plus complètes.
La séance est levée à 10 heures 20.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
« Accès aux services essentiels à la population et lutte contre la déprise commerciale en milieu rural » - Audition
M. Jean-François Longeot, président. - Nous reprenons notre cycle d'auditions consacré aux perspectives de la politique d'aménagement du territoire, débutée en mars 2021. Notre sujet, ce jour, concerne l'accès aux services essentiels à la population et à la lutte contre la déprise commerciale en zone rurale. Pour évoquer ce sujet, nous avons le plaisir d'accueillir Fabrice Dalongeville, maire d'Auger-Saint-Vincent dans l'Oise, responsable de la section départementale de l'Association des maires ruraux de France. Francis Palombi, président de la Confédération des commerçants de France, est également présent, ainsi que Christian Martin, vice-président de la Confédération nationale de la boulangerie et boulangerie-pâtisserie française. Enfin, participeront à cette table ronde Alexis Roux de Bézieux, président des Épiciers de France, qui représente l'Union des entreprises de proximité, et Jérôme Gutton, directeur général délégué territoires et ruralité de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT).
Notre commission s'intéresse à ce sujet au titre de ses compétences en matière d'aménagement du territoire et de lutte contre la désertification. Si l'approche de la réalité de nos territoires par les équipements et les services n'épuise pas toute la question de la revitalisation rurale et du dynamisme économique, elle occupe une place centrale dans l'attractivité de nos territoires, leur capacité à attirer de nouveaux habitants et à créer des liens économiques et sociaux.
Ainsi, l'enjeu de l'accessibilité aux services et aux équipements de base est particulièrement aigu pour 15 % à 20 % de la population nationale qui vit dans des territoires ruraux, situés en dehors des zones d'influence des grandes villes et des principaux bassins d'emplois. Plusieurs réponses ont émergé au fil du temps, telles que l'élaboration de schémas d'accessibilité des services publics, ou encore les maisons « France services ». Les initiatives locales de nos maires répondent également à cela, par exemple avec l'investissement en fonds propres pour assurer le maintien de commerces de proximité comme des épiceries, ou l'élaboration de programmes itinérants permettant de rapprocher l'offre de la demande. Les initiatives législatives ont également permis de marquer plus fortement l'enjeu de revitalisation commerciale, avec par exemple le dispositif de la loi « Elan » en 2018, qui a repris plusieurs idées avancées par des sénateurs, Rémy Pointereau et Martial Bourquin, auteurs d'une proposition de loi sur le sujet.
Votre présence, Jérôme Gutton, nous est précieuse pour comprendre comment l'ANCT, qui a repris les missions anciennement assurées par l'Établissement public national d'aménagement et de restructuration des espaces commerciaux et artisanaux (Epareca), travaille pour maintenir et développer le commerce en milieu rural.
L'Agenda rural, mis en oeuvre par le Gouvernement, prévoit des actions qui visent à soutenir les collectivités territoriales dans leur projet de redynamisation. L'initiative des « 1 000 cafés » est à cet égard très positive, même si elle ne peut constituer une réponse unique au déclin de l'offre de services et de biens que nous constatons dans les secteurs ruraux. Toutefois, nous constatons que ces réponses ont été insuffisantes. En outre, avec la crise sanitaire, nos concitoyens ont exprimé leur volonté d'accéder plus rapidement et localement à un panier de services et de biens. Or, cette épidémie a également touché nos commerces ruraux, qui passaient bien souvent au travers des aides décidées par l'État. Une aide spécifique égale à 80 % de la perte du chiffre d'affaires constaté sur six mois a été mise en place pour les commerces de type épicerie, bar-tabac, restaurant, presse, point-poste situés dans les zones rurales. Cette aide ne résout pas la question de l'avenir de ces commerces ruraux. Les interrogations subsistent sur les prêts garantis par l'État (PGE).
Quoi qu'il en soit, répondre à la question de la déprise commerciale en zones rurales n'est pas une lubie d'élu local, mais une nécessité pour préserver et renforcer la cohésion sociale et territoriale dans notre pays.
Nos cinq référents sur les questions d'aménagement du territoire, Bruno Belin, Patricia Demas, Martine Filleul, Christine Herzog et Bruno Rojouan auront l'occasion de travailler sur ces sujets. Nous constituerons prochainement une mission d'information relative aux perspectives de notre politique d'aménagement du territoire, afin de prolonger ces premiers travaux de commission et d'oeuvrer à des solutions techniques qui pourront donner lieu à l'élaboration de dispositions législatives sous la forme d'une ou plusieurs propositions de loi. Je salue également la présence de Serge Babary, membre de la commission des affaires économiques, qui travaille en collaboration avec notre commission sur les sujets d'intérêt commun.
Quels sont les chiffres aujourd'hui sur la réalité de la déprise commerciale et le recul de l'accès aux services publics et privés en zones rurales ? Quels ont été les effets des confinements liés à l'épidémie de Covid-19 sur l'accès aux services publics et privés en milieu rural ? Comment pérenniser les effets positifs ? Quel est le panier de services essentiels qui permet à une commune de maintenir et de développer son attractivité ? Comment lutter contre le phénomène de recul des services et des commerces en milieu rural ?
M. Francis Palombi, président de la Confédération des commerçants de France. - Le commerce est en pleine mutation. Je représente la Confédération des commerçants de France qui regroupe 27 fédérations, constituées essentiellement des très petites entreprises (TPE) de moins de onze salariés, tous secteurs d'activités confondus, situées en centre-ville : je précise que 30 % de ces 450 000 entreprises fonctionnent sans salarié. La revitalisation des centres-villes est une nécessité absolue.
Depuis de nombreuses années, il y a eu des dérives et des implantations exagérées de grandes surfaces, entraînant des vacances de centres-villes et des ruptures d'équilibre entre la périphérie et les centres-villes proprement dits.
Quelques mesures ont été prises pour maîtriser les implantations en périphérie, avec la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique dite « ELAN », mais le mal était déjà fait.
Je voudrais ici vous alerter : il ne s'agit pas de rompre avec la liberté d'entreprendre et avec la liberté du commerce, mais on va à la catastrophe si les pouvoirs publics ne prennent pas des mesures d'encadrement, de régulation, d'équité et d'égalité, entre autres fiscales, avec les grands acteurs économiques exerçant dans un secteur d'activité unique non diversifié, en anglais les pure players. Je viens d'apprendre qu'en région parisienne, une autorisation a été accordée pour implanter un entrepôt de 150 000 mètres carrés pour Amazon. Il ne s'agit pas de stigmatiser cette entreprise, mais de poursuivre l'élan qui a été pris au début du quinquennat en faveur de la redynamisation des centres-villes et de l'équité de traitement pour permettre une alternative à la concurrence des acteurs spécialisés dans le commerce en ligne. L'État peut aider à la mise en place de « places de marché » dans les centres-villes, pour permettre aux commerçants qui doivent se numériser rapidement de se regrouper, d'agir pour le bien-être des consommateurs.
Nous nous sommes inspirés du Canada pour mettre en place des sociétés coopératives d'intérêt collectif de centre-ville, qui relèvent de l'économie sociale et solidaire. Cet outil devrait permettre à nos territoires de se réorganiser en termes de gouvernance, de partage des activités et du pouvoir. En parallèle, nous mettons en place une plateforme numérique « commerçants de France ». Il ne s'agit pas de remplacer le commerce physique par le commerce numérique. En revanche, le commerce physique doit se doter de moyens numériques pour attirer ou faire revenir les consommateurs en centre-ville.
La société coopérative d'intérêt collectif, qui commence à se développer, va rassembler dans une même structure tous les acteurs publics, privés, consulaires, les associations, les salariés, citoyens, etc.
Je précise, avec une certaine fierté, que la ville de Langogne, en Lozère, s'est dotée de la première coopérative de France et une nouvelle dynamique s'est créée. Un marché a été créé durant la crise sanitaire pour fournir à tout le département des produits de consommation, y compris en circuits courts.
Par conséquent, je ne suis pas pessimiste, des solutions existent et il faut que les organisations professionnelles ainsi que les commerçants croient en leur avenir, se regroupent et travaillent ensemble aux côtés des pouvoirs publics - mairies, collectivités locales, État. La régionalisation me semble être nécessaire. Les moyens disponibles doivent être utilisés rapidement et le monde politique qui porte les valeurs de la nation doit être vigilant dans l'équité et l'égalité de traitement, entre les différentes formes de commerce et les différents acteurs du commerce physique, qui paie ses taxes sur les surfaces commerciales (Tascom) et numériques, alors que leurs entrepôts ne sont pas assujettis à la Tascom et ne passent pas par les commissions départementales et la commission nationale d'aménagement commercial. Une réforme des entrepôts de vente est nécessaire.
M. Jean-François Longeot, président. - Merci pour cette introduction. Comme vous l'avez dit, il faut une volonté, car les solutions existent et les consommateurs peuvent accompagner ces évolutions.
M. Fabrice Dalongeville, président de l'Association des maires ruraux de l'Oise. - Je représente l'association des maires ruraux de France et je suis maire d'une commune de 530 habitants, Auger-Saint-Vincent dans l'Oise, depuis plus de vingt ans. À titre liminaire, je rappellerai quatre principaux éléments.
Tout d'abord, la cellule de base de la République est la mairie et dans la réflexion sur le commerce de proximité, le regard est souvent tourné vers le maire, qui a la connaissance du territoire ainsi que vers les acteurs économiques locaux, et un peu moins vers les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI).
Ensuite, il faut tenir compte des spécificités de chaque territoire rural. Des solutions fonctionnant à Langogne ne sont pas nécessairement applicables au Grand Est ou dans des territoires très touristiques. Cette différenciation n'est pas simple en France en raison d'une culture encore assez rigide et centralisée.
Troisièmement, c'est le digital et la téléphonie mobile qui guident aujourd'hui de nombreuses actions. Dans ce domaine, un certain nombre de dispositifs sont portés par l'Association des maires ruraux, avec des initiatives prises localement sans attendre l'intervention de l'État. Il en va de même pour les commerces de proximité.
Enfin, les nouveaux commerces ne sont plus spécialisés sur un secteur, mais ils sont hybrides. Simultanément, grâce au numérique, les livraisons expresses sont accessibles dans de nombreux villages et ce sont les véhicules dédiés à cette fonction que l'on voit le plus souvent circuler dans les villages. La question majeure porte donc sur la couverture numérique de l'ensemble du territoire et la capacité de la France à répondre au besoin d'indépendance à travers l'organisation de ce commerce.
La problématique de l'organisation du commerce ne date pas d'aujourd'hui et l'implantation des grands supermarchés il y a quarante ans avait suscité les mêmes interrogations. Ainsi je me souviens, dans mon enfance, de mon père commerçant qui signalait qu'un acteur de la grande distribution mettait en place un système d'autobus pour venir chercher les consommateurs dans un rayon de 20 km autour de Compiègne. Rappelons-nous que la France est le seul pays européen à avoir choisi une orientation aussi maximaliste et excessive sur la grande distribution. Celle-ci s'organise aujourd'hui pour reproduire le modèle d'Amazon qui apparait comme le symptôme d'un modèle commercial français qui est à bout de souffle. Nous essayons d'inverser cette tendance dans les territoires ruraux mais c'est extrêmement compliqué, car l'organisation de l'État veille à ce que ce système économique ne soit pas bouleversé. Les acteurs souhaitant s'implanter localement se tournent souvent vers la commune, mais le maire est incité à transférer sa compétence à des EPCI dont la politique est souvent de développer de nouvelles zones d'activités : il faudrait donc que ce système arrête de tourner dans le mauvais sens.
M. Jean-François Longeot, président. - Votre intervention est particulièrement intéressante, car il est utile de rappeler l'évolution historique. Mes grands-parents étaient commerçants et j'ai entendu des conversations semblables à celles que vous avez rappelées sur la montée en puissance de la grande distribution. Aujourd'hui, le consommateur doit aussi prendre conscience que, du point de vue environnemental, il est vertueux de s'adresser au commerce de proximité plutôt que de parcourir plusieurs kilomètres supplémentaires pour remplir son coffre de produits qu'il n'avait pas toujours prévu d'acquérir.
M. Christian Martin, vice-président de la Confédération nationale de la boulangerie et boulangerie-pâtisserie française. - Je rejoins totalement vos propos. Pour ma part, au-delà de mes fonctions institutionnelles, j'ai exercé le métier de boulanger durant 42 ans à Aubenas en Ardèche, département rural. En tant que président de la chambre des métiers de l'Ardèche pendant dix ans, je me suis battu au sein de ses commissions départementales d'aménagement commercial (CDAC) pour éviter la multiplication et le développement à outrance des zones commerciales : les territoires se livraient alors à une véritable course aux implantations.
La crise sanitaire a remis notre profession sur le devant de la scène. On a très opportunément rendu hommage aux personnels de santé, mais nos salariés sont également restés au front en continuant à approvisionner les zones les plus reculées de notre territoire.
Pour inverser la déprise commerciale, il faut, dans un premier temps, figer la situation pour conserver l'existant. Aujourd'hui, un commerce alimentaire en zone rurale est un « aménageur de territoire » : il est créateur de richesses économiques, de lien social et d'emplois. Ce sont des familles qui restent sur place et des activités non délocalisables.
L'essentiel, pour le commerce de proximité, c'est avant tout d'éviter les fermetures, car il est beaucoup plus compliqué de réinstaller une boulangerie dans une commune que de trouver un repreneur. Certes, on trouve encore des jeunes candidats à l'installation, par exemple à titre de reconversion après un plan social ou parce qu'ils souhaitent quitter une grande agglomération et trouver une meilleure qualité de vie. Cependant, pour que ces commerces puissent vivre, plusieurs conditions doivent être réunies : une population suffisante, des services publics avec, en particulier, une école, des locaux adaptés et en conformité avec les normes - le maire est ici encore un interlocuteur essentiel - une concurrence raisonnable et une fiscalité équitable.
On dit que le consommateur a changé et que la crise l'a rapproché du commerçant de centre-ville ; encore faut-il qu'il puisse, par exemple, se garer à proximité.
M. Alexis Roux de Bézieux, président de la Fédération des épiciers de France. - La Fédération des épiciers de France représente environ 20 000 épiciers indépendants alors qu'en 1960, ce nombre était de 140 000. Ils sont répartis sur tout le territoire et on peut les classer en trois typologies. La première rassemble les « hédonistes », ceux qui privilégient l'épicerie fine, avec des produits en provenance directe des producteurs dans un style que certains qualifient de « bobo ». La deuxième typologie est celle de « l'épicier pratique » et multiservices en zone rurale ou en centre-ville, ce type de commerce s'appuie souvent sur une population étrangère... La troisième est celle des épiciers dits « communautaires » qui peuvent approvisionner en produits du quotidien des populations d'origine par exemple lusitanienne, italienne ou grecque.
Nous avons formé cette année, au sein de notre fédération, 60 porteurs de projet qui ont vocation à s'intégrer sur tout le territoire. L'impact de la Covid-19 en zone rurale a été plutôt positif pour beaucoup d'entre eux. En raison notamment des restrictions de circulation, certains épiciers ont connu jusqu'à 50 % d'augmentation de leur chiffre d'affaires. Ce phénomène a été assez circonscrit pendant le premier confinement et les consommateurs se sont ensuite à nouveau tournés vers la grande distribution : seule une petite proportion d'entre eux a pu être fidélisée.
En second lieu, pour qu'un commerce s'installe, perdure ou soit repris, il faut un bassin de population, une intensité concurrentielle faible et un pouvoir d'achat suffisant des populations, car le panier moyen, dans ces épiceries qui vendent des produits frais, est assez contraint. Or dans les milieux ruraux, après avoir payé les traites de leur achat immobilier, les personnes sont souvent contraintes de s'approvisionner en produits de marque distributeur. Il faut donc que le commerçant ait un positionnement sur les prix intelligents ainsi qu'un nombre suffisant de clients.
Deux contraintes pèsent tout particulièrement sur l'exploitation commerciale en centre-bourg ou en centre-ville. La première est le coût de la rénovation du bâti qui se situe en moyenne à 1 200 euros par mètre carré : une aide à la rénovation est ici souhaitable, ce qui permet de valoriser les centres-bourgs ou les villages sur le plan social, touristique ou architectural. La deuxième contrainte est le nécessaire maintien des services publics de l'État dans ces centres-bourgs. Inversement, lorsqu'une maison « France services » s'installe dans une zone commerciale, le consommateur n'a plus guère intérêt à aller en centre-ville.
En ce qui concerne la viabilité économique d'un exploitant, prenons l'exemple d'un épicier dont le ticket moyen par jour et par client est de 9 euros. Avec 35 % de marge, pour pouvoir payer le salaire d'une personne, le loyer, les frais et les charges, il doit dégager 40 000 euros par mois, ce qui correspond à 44 clients par jour sur 300 jours. Il est donc illusoire de penser qu'un commerce indépendant pérenne puisse s'implanter dans un bassin de population comptant moins de 5 000 à 10 000 clients potentiels dans un rayon d'une dizaine de kilomètres.
M. Jérôme Gutton, directeur général délégué de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT). - Dans le prolongement des 20 années de ma carrière préfectorale, notamment dans le Doubs comme sous-préfet à Montbéliard, je suis en charge des territoires et des ruralités au sein de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) : c'est l'une des quatre directions générales déléguées qui agissent de concert.
L'ANCT s'appuie sur une série de directions générales déléguées, dont la mienne, sur le réseau traditionnel de compétences au sein des services de l'État, les préfectures, les sous-préfectures et les directions départementales des territoires (DDT). Il y a également, vous l'avez cité Monsieur le Président, l'Epareca, dont les missions ont été reprises par l'ANCT. En particulier, les préfets sont devenus les délégués territoriaux de l'agence. Celle-ci s'appuie également sur un certain nombre de partenaires pour construire et animer les programmes dont elle a la charge, en particulier la Caisse des dépôts et consignations (CDC) ainsi que sa filiale, la Banque des Territoires, dont les prêts et les subventions sont particulièrement importants en milieu rural, mais insuffisamment connus. La Caisse des Dépôts est très présente pour soutenir le programme « Action coeur de ville » dont la principale priorité est la revitalisation commerciale. Le programme « Petites villes de demain » concerne 1 600 communes, avec la même priorité.
Le commerce et les services publics marchent de pair et les maisons « France services » aident à l'implantation des commerces. Les 2 000 maisons « France services » sont professionnalisées et labellisées, deux personnes physiques sont présentes et spécialement formées. Elles s'appuient sur les communautés territoriales avec l'aide de ses différents acteurs, telles que les allocations familiales, l'assurance-maladie, les caisses de retraite et bien entendu La Poste. L'ANCT travaille en harmonie avec le contexte actuel de relance et de transition écologique.
Dans les programmes « Action coeur de ville » ou « Petites villes de demain » la dimension digitale et numérique est importante pour aider les fonctions commerciales à se maintenir sur le terrain. Le renforcement de la couverture du monde rural en téléphonie mobile s'effectue en lien avec les communes, et pour la fibre, en lien avec les départements ainsi que les régions. Tout ceci vise à créer les conditions favorables au maintien des services et des commerces sur nos territoires ruraux.
Le principal outil de l'ANCT est l'ingénierie qui est mise à disposition des collectivités au travers de différents programmes comme « Action coeur de ville », « Petites villes de demain » ou encore les Contrats de relance et de transition écologique (CRTE) par l'agence et ses opérateurs partenaires. L'agence soutient financièrement les collectivités territoriales, en particulier les plus pauvres d'entre elles, dans un contexte où la diversité des acteurs rend de plus en plus complexes et de moins en moins lisibles les solutions et les moyens à activer.
De nombreux outils sont disponibles, mais insuffisamment connus, et il faudrait mettre en avant les exemples de réussites, surtout en matière de services publics ou de revitalisation commerciale, afin de les reproduire ailleurs.
S'agissant des bâtiments de grande ampleur, comme ceux d'Amazon par exemple, je parle davantage par rapport à mes expériences précédentes qu'au nom de l'ANCT, le détail des dispositions réglementaires et législatives qui s'imposent mérite d'être davantage connu des administrations et des collectivités territoriales, car elles ne sont probablement pas toujours respectées. Ils ne peuvent bien évidemment pas être construits comme un bâtiment de 400 m2 comme les commerces de proximité que vous évoquez. On oublie trop souvent que de telles surfaces ont des obligations, notamment de pouvoir porter des panneaux solaires ; de plus, leur construction est subordonnée au respect d'un certain nombre de normes environnementales, comme la perméabilisation des sols, auxquelles s'ajoutent des obligations de compensation environnementale particulièrement difficiles à satisfaire sur certains territoires.
M. Bruno Belin. - Je tiens en préambule à remercier le bureau de notre commission et en particulier notre président Jean-François Longeot et Didier Mandelli pour l'organisation de cette table ronde. Je souhaite également remercier nos intervenants pour leurs propos passionnants.
Vous avez parlé, Monsieur le préfet, du programme « Petites Villes de Demain », qui concerne 1 600 villes, le programme « Action Coeur de Ville », concentré sur 222 villes, ou encore des 2 000 maisons « France Services », mais je souhaiterais que nous parlions avant de l'hyper-ruralité, car la moitié de nos communes ont moins de 500 habitants.
Comme nous le savons tous, le commerce en milieu rural est une des activités les plus difficiles qui soient et il nous faut proposer des solutions pour assurer sa pérennité.
Une nouvelle relation commerçant-consommateurs a émergé et la pandémie a révélé de nouveaux modèles, comme les circuits courts, et de nouveaux commerces comme les recycleries ou les camions itinérants, les food trucks même si je n'aime pas ce terme.
La prise en compte par le consommateur du paramètre distance-circuit a changé. Selon certaines chambres de commerce et d'industrie (CCI), lorsqu'un consommateur utilise son véhicule pour acheter ses produits, il faut ajouter entre 80 centimes et un euro par kilomètre pour prendre en compte l'essence et les frais de voiture.
La notion de proximité et la convivialité font désormais partie du lien commercial.
La Cour des comptes a récemment souligné la difficulté pour les territoires ruraux à sortir d'une forme de « spirale d'exclusion », qui se manifeste particulièrement dans le recul de l'accès territorial aux nous, cela a été évoqué lors de l'audition de la ministre précédemment. Nous verrons comment l'ANCT se saisit de ces sujets pour enrayer cette spirale.
Les constats que vous avez effectués sont excellents et pleins de bon sens : il faut avant tout préserver les commerces qui doivent l'être.
Je regrette ici la disparition du Fonds d'intervention pour la sauvegarde de l'artisanat et du commerce (FISAC) : il permettait de faire payer les grandes surfaces pour financer des dépenses de rénovation pour les petits commerces ruraux avec, par exemple, le remplacement du four à pain d'une boulangerie de proximité. Ce type de mesure, qui a bien fonctionné, doit être remis à l'ordre du jour.
Il est également nécessaire que les communes soient entendues dans les commissions départementales lorsqu'elles sont concernées par l'implantation de grandes surfaces. Les maires concernés devraient être invités et écoutés lors de la présentation des études d'impact sur le petit commerce rural.
Je me tourne également vers le représentant de l'ANCT pour dire que nous ne pouvons pas nous satisfaire d'un maillage territorial dont la « maille » serait trop grosse. Vous nous répondrez peut-être que le critère traditionnel est de pouvoir accéder aux services essentiels dans un périmètre accessible en 30 minutes et le programme « Petites villes de demain » est bâti sur cette idée, mais un tel critère n'est plus opérationnel. Aujourd'hui, la mobilité à un coût financier et avec le changement climatique, on doit s'efforcer de moins utiliser sa voiture.
La proximité est devenue une nécessité et le maillage territorial doit être resserré. On ne peut uniquement poser les solutions à l'échelle de villes de 7 000 à 8 000 habitants. Vous avez évoqué la nécessité d'un bassin de population et de clientèle d'au moins 5 000 personnes et cela correspond à nos anciens cantons, qui étaient également le bassin d'école où l'on passait le certificat d'études. Les maisons « France services » doivent aussi être implantées de façon cohérente : elles peuvent générer un flux de clientèle pour les commerces de proximité.
L'État a une vraie responsabilité à l'égard des commerces réglementés, tels que les restaurants et débits de boissons disposant d'une licence IV, les pharmacies, les établissements labellisés « Française des jeux » et les boulangeries, qui, vous pourrez nous le confirmer, sont réglementés depuis Napoléon III et soumises à des régimes d'ouverture peu souples...
Il faut donc un travail de cohérence et d'adaptation à chaque bassin de population, qui n'est bien sûr pas le même d'un territoire à l'autre, pour prévenir la fermeture massive des commerces existants.
Bien entendu, l'équité fiscale doit être rétablie entre les petits commerçants et les moyennes-grandes surfaces et les élus associés. Des zones franches ont attiré des grandes surfaces alors que des commerces de centre-ville continuent à payer ses taxes foncières par ailleurs.
J'ajoute enfin que de nouveaux critères doivent être pris en compte, comme l'arrivée des néoruraux et du « tourisme vert », ce qui appelle la création de commerces et de services de proximité.
Pour accompagner ce mouvement, la formation professionnelle aux métiers de la boulangerie ou de la boucherie-est essentielle.
Je rappelle qu'en France, la masse des dépenses de formation professionnelle avoisine 50 milliards d'euros. Or dans les secteurs où l'on manque de candidats, comme la boucherie ou les préparateurs en pharmacie ou les boulangers par exemple, ce sont les chefs d'exploitation qui prennent la formation à leur charge sous forme de cotisations et ensuite qui financent également des maisons de formation. Les contraintes de mobilité des apprentis sont également majeures en milieu rural. Au total, pour tous ces sujets, qui concernent 15 à 17 millions de citoyens de la ruralité, les solutions doivent être trouvées selon une démarche de bon sens en évitant les travers du jacobinisme.
M. Jean-François Longeot, président. - J'ajoute qu'il faudrait enfin cesser de dévaloriser l'apprentissage.
Mme Patricia Demas. - Les ruralités sont diverses, mais leur point commun est le rôle central du maire. J'ai deux interrogations.
Quels témoignages pouvez-vous nous apporter sur les « tiers lieux », qui bénéficient d'un soutien du Gouvernement et de l'ANCT ? En quoi peuvent-ils contribuer à la dynamique des territoires et de quelle manière ?
Par ailleurs, la dynamique des partenariats privés-publics est souvent une réussite en matière commerciale et, par exemple, sur mon territoire une station-service a pu être préservée. Quels témoignages pouvez-vous apporter à ce sujet ? Quels types de collaborations et de projets permettent-ils de réussir ?
Mme Martine Filleul. - Merci pour vos interventions. Je soulèverai quatre interrogations pour ma part.
Tout d'abord, la périurbanisation a favorisé l'implantation souvent anarchique et redondante de surfaces commerciales en périphérie des villes. La loi « Climat et résilience » d'août 2021 a proposé un certain nombre de mesures : vont-elles dans le bon sens, faut-il apporter des correctifs, et si oui, lesquels ?
Ensuite, l'équilibre entre les bailleurs et les locataires est un facteur important pour la revitalisation d'un centre-ville ou d'une commune. Quels dispositifs permettraient selon vous d'éviter l'alourdissement des loyers pour favoriser l'implantation et le maintien de commerçants ou d'artisans dans les territoires ruraux ? Quelles solutions législatives pourrait-on mettre en oeuvre pour répondre à la problématique du niveau des charges parfois très lourdes qui pèsent sur les commerces de proximité, sans porter une atteinte excessive à la liberté contractuelle ? Peut-on imaginer des types de baux spécifiques pour les commerces en milieu rural ou en zone urbaine délaissée ?
Par ailleurs, pour répondre aux défis des commerces, on constate l'émergence des magasins éphémères ou « pop-up stores ». Ils permettent de tester un concept commercial et des produits, ou de déstocker des marchandises. Ces pratiques sont-elles, selon vous, une opportunité pour enrayer la vacance commerciale en zone rurale ou dans des secteurs urbains en difficulté ?
Enfin, le plan de relance souhaite accompagner le mouvement déjà engagé localement de recyclage et de réhabilitation des friches urbaines et industrielles. Les opérations de revitalisation territoriale comprennent-elles ce genre d'action pour favoriser l'implantation de commerces ? Rencontrez-vous des obstacles pour la réutilisation de ces friches ?
M. Bruno Rojouan. - Ayant moi aussi vécu dans une famille de commerçants en zone rurale, je souhaiterais vous faire réagir à propos d'idées reçues que nous avons tous entendues.
Au préalable, je fais observer que l'avancée de la désertification a d'abord été constatée dans les villages, puis dans les villes moyennes et maintenant dans les grandes villes. Les rideaux baissés sont désormais visibles dans les grandes villes comme Paris : il suffit de s'y promener, en dehors des grands boulevards, pour voir qu'un grand nombre de vitrines commerciales sont fermées avec de vieilles affiches qui démontrent que l'activité commerciale y a cessé depuis longtemps. La problématique du commerce dit de centre-ville n'est donc plus liée uniquement à la taille de la commune, mais à une évolution de la société.
J'en viens à mes questions. Pensez-vous que le développement des voies piétonnes dans les coeurs de ville ait limité l'accès des véhicules et provoqué la dépréciation du commerce ?
Estimez-vous qu'une différenciation significative de fiscalité - avec un alourdissement pour les commerces de périphérie et un allègement pour les commerces de coeur de ville - aurait un véritable impact ?
De nombreuses communes rurales ont décidé d'acheter des murs commerciaux, afin de favoriser l'implantation de commerçants : quel est votre point de vue à ce sujet ? D'autres, plutôt de taille moyenne, ont fait le choix d'implanter des centres commerciaux dans le coeur de ville, avec pour objectif que les petits commerçants bénéficient de l'attrait de ces centres commerciaux. Que pensez-vous de ces pratiques ?
Les prix plus bas sont un élément majeur pour attirer les consommateurs. Existe-t-il, selon vous, une différence entre les prix pratiqués en périphérie et dans les commerces de centre-ville ? Les fonds de commerce des coeurs de ville ont-ils conservé une valeur ? Je rappelle que la vente du fonds finançait autrefois une partie de la retraite des commerçants et ce capital participait beaucoup à l'attrait pour les commerces de centre-ville.
M. Christian Martin, vice-président de la Confédération nationale de la boulangerie et boulangerie-pâtisserie française. - Merci pour vos témoignages et vos questions auxquelles je vous apporte quelques éléments de réponse.
S'agissant des partenariats public-privé, je voudrais mentionner quelques constats embarrassants. Lorsqu'une commune participe au maintien d'un commerce, par exemple d'une boulangerie, on voit parfois une partie du conseil municipal et de leurs familles qui ne se fournissent cependant pas chez cet artisan. De plus, certains établissements de la commune, comme les écoles ou les maisons de retraite, se fournissent quant à eux chez Sodexo quand le commerçant ne peut pas consentir des remises qui menaceraient sa survie économique.
Le sujet des voies piétonnes a été débattu dans de nombreuses communes. Elles ont certes des atouts, en particulier par beau temps. Mais, en hiver, quand il pleut, qu'il neige ou que les rues sont en pente et verglacées dans des endroits où il y a beaucoup de personnes âgées, la tentation est grande de prendre le bus qui vous amène dans un centre commercial abrité en périphérie.
S'agissant des prix : la baguette de l'artisan boulanger - environ 90 centimes d'euro - est effectivement plus chère que celle vendue dans les zones commerciales avec des prix divisés par deux. Il faut ici rappeler au consommateur que la baguette du boulanger se compose de matières premières différentes, avec d'un côté l'utilisation d'une farine locale et de l'autre, l'utilisation d'une farine dont les blés proviennent d'Asie centrale. Il est donc souhaitable de « rééduquer » le consommateur qui se veut aujourd'hui plus vertueux et écologique, mais achète au moins cher tirant les salaires et la protection sociale vers le bas. De plus, à surface égale, un commerçant emploie en moyenne trois fois plus de personnes qu'une grande surface. Ces commerces de proximité sont ainsi créateurs d'emplois, générateurs de cotisations sociales, et s'inscrivent dans une économie vertueuse.
Enfin, les petits commerçants ne demandent pas de cadeaux fiscaux ou de traitement différenciés. Nous en discutons souvent et notre conclusion est toujours identique : » mêmes droits, mêmes devoirs ».
M. Fabrice Dalongeville, président de l'Association des maires ruraux de l'Oise. - Concernant des « tiers lieux », ma réponse s'appuiera sur le cas concret de mon village : avec un établissement public foncier, nous avons racheté un presbytère de 300 mètres carrés situé sur la place du village. Nous en avons transformé une moitié en gîte d'hébergement touristique pour répondre à la demande émergente des « néoruraux ». L'autre moitié a été aménagée en café citoyen avec une licence IV communale.
Sur le principe, je remercie l'Agenda rural de nous avoir permis de retrouver des moments de convivialité grâce à la licence IV. Cependant, un courrier du sous-préfet m'a informé qu'en tant qu'officier de police judiciaire, je ne peux pas utiliser le permis d'exploiter de la licence IV communale, que je suis d'ailleurs le seul maire à avoir obtenu.
Mesdames et Messieurs les Sénateurs, je fais appel à vous pour faire évoluer ce dispositif, car il m'est difficile de demander à une tierce personne d'assumer cette responsabilité - et de faire face aux éventuels incidents - dans le cadre d'un projet communal.
À côté de ce café, nous avons également installé une épicerie grâce aux nouveaux outils que l'association des maires ruraux soutient, notamment Monépi, qui est une plateforme de réouverture d'épiceries en milieu rural. Nous utilisons les outils digitaux pour faciliter l'accès à l'épicerie, mais je signale qu'un tiers de la centaine de clients de ce commerce ne sait pas les utiliser. Aujourd'hui, la principale difficulté est que ce projet ne permet pas de dégager une marge de rentabilité suffisante et donc sa structuration est bénévole. Il n'y a aucun enjeu de concurrence dans ce village qui a été déserté des commerces. En revanche, des dispositifs comme « 1 000 Cafés » permettent d'aider des commerçants déjà installés, même si certaines critiques peuvent être adressées aux montages immobiliers utilisés.
Par ailleurs, pour soutenir le commerce local, nous avons lancé le projet « C'est ma tournée » avec la plateforme de financement rural « Bouge ton coq » : 300000 euros y ont été consacrés pendant la crise Covid.
L'épicerie de proximité propose les produits de producteurs locaux à des prix cependant assez élevés, car personne n'est réellement philanthrope et nous dresserons un bilan de cette expérience après six mois de fonctionnement. Chacun a parfois tendance à augmenter ses marges, si bien que l'organisation d'un circuit court de proximité a un coût important qui se répercute dans les prix. Aussi, de nombreuses personnes n'y ont pas accès alors que le territoire n'est pas défavorisé socialement.
Un « tiers lieu » permet d'hybrider les offres de services dans un lieu de vie : c'est une tendance de plus en plus forte aujourd'hui. Sur les 1 800 tiers lieux français qui ont été identifiés, la moitié se trouvent en milieu rural.
Grâce à « RuraConnect », notre mairie met également à disposition, en ligne, la salle du Conseil municipal ainsi qu'une salle ouverte à la location, notamment pour des représentants de commerce du territoire qui ont besoin de se réunir.
Par ailleurs, l'appréciation des zones piétonnes est variable selon les territoires. Dans la commune de 500 habitants où je suis élu, la place du village se confond avec le secteur piétonnier. Je note que les territoires touristiques sont plus agréables lorsqu'ils comportent des secteurs piétonniers et les solutions pertinentes dépendent donc des situations.
J'en viens aux sujets immobiliers. La prise en main « municipale » des murs me paraît d'une nécessité évidente et incontournable. La difficulté réside dans la situation financière des communes qui subissent la baisse des dotations et l'absence d'horizon financier à moyen ou long terme tout en devant gérer les problématiques liées à l'assainissement, à l'eau, à l'enfouissement ou encore à la transition énergétique. Dans ce contexte, les établissements publics fonciers locaux (EPFL) sont des outils importants et efficaces dans certaines situations.
Enfin, la fiscalité reflète la triste réalité de notre système économique et la volonté politique qui la sous-tend. Les montages fiscaux de l'entreprise de Jeff Besos nous éclairent sur les difficultés que rencontre l'État pour baisser les impôts des artisans indépendants. Davantage d'équité permettrait à chacun de mieux s'en sortir.
M. Jean-François Longeot, président. - Je vous remercie pour ces interventions et suis très sensible à leur pragmatisme. Il y a plusieurs formes de ruralité : pour avoir eu la chance de gérer une commune au patrimoine exceptionnel, j'ai, moi aussi, fait appel aux établissements publics fonciers pour solliciter des artisans d'art et recréer une dynamique de centre-ville.
M. Fabrice Dalongeville, président de l'Association des maires ruraux de l'Oise. - Vos propos m'amènent à ajouter une remarque, tout particulièrement à l'attention des représentants de l'ANCT : les effets de seuil et les fléchages spécifiques deviennent insupportables. Les énergies et les besoins doivent être déployés au service d'un projet pour le faire aboutir, quelles que soient la densité, la localisation, ou la dimension patrimoniale du village concerné.
Je le redis, il faut partir du projet pour permettre aux communes rurales de moins de 1 000 habitants de bénéficier de dispositifs que nous appelons » Villages d'avenir » et qui auraient vocation à être généralisés à l'ensemble des collectivités locales.
M. Francis Palombi, président de la Confédération des commerçants de France. - J'apprécie beaucoup les questions qui ont été posées.
Vous avez demandé des exemples de réorganisation commerciale novatrice. Je citerai les expériences conduites dans l'Albigeois, à Langogne ou encore à Montélimar et une trentaine d'autres cas en gestation. Fondées sur le principe de cogestion, les sociétés coopératives d'intérêt collectif y associent les acteurs - mairies, collectivités locales, citoyens, commerçants, acteurs privés, professionnels libéraux. Cette piste très prometteuse s'inscrit dans le cadre de l'économie sociale et solidaire.
Vous avez également évoqué l'artificialisation des sols et le réemploi des friches. Nous ne souhaitons pas que les entreprises Amazon bénéficient à nouveau des dispositifs de réaménagement des fiches pour installer leurs entrepôts de 50000 à 150000 mètres carrés, tout en bénéficiant d'une fiscalité attrayante. Une piste sérieuse consisterait à aider des jeunes qui souhaitent s'installer dans des zones rurales en trouvant des solutions de gestion sous forme coopérative avec des propriétaires de commerces qui ont dû fermer.
Les collectivités locales ont besoin de ressources fiscales, mais si tous les entrepôts logistiques d'entreprises qui proposent des produits directement aux consommateurs, en B to C, étaient soumis à la taxe sur les surfaces commerciales (Tascom), les sommes collectées représenteraient une manne financière significative qui pourrait être redéployée en zone rurale dans le cadre des plans « Petites villes de demain » ou « Action coeur de ville ».
Par ailleurs, les Assises du commerce nous permettront d'évoquer les importants problèmes de loyers. Des commissions départementales existent quasiment dans tous les départements. Elles devront se réformer et devenir plus efficientes pour prendre en compte le montant des loyers. Le montant de ces derniers est parfois délirant et cela crée une ségrégation entre les différentes typologies de commerçants. Par principe, aucune procédure portant sur les loyers ne devrait être engagée sans concertation avec ces commissions départementales.
S'agissant du regroupement des acteurs et de l'étude des projets de réaménagement des territoires, je reste à la disposition des maires et des collectivités territoriales pour leur information sur les coopératives numériques ou de centre-ville : je dispose de dossiers très complets et bien ficelés. Les maires sont trop souvent isolés et d'après mon expérience, il faut les mettre en situation de donner, ou pas, le feu vert à une opération de regroupement. Enfin, je salue le discours de l'ANCT, tel qu'il vient d'être formulé.
M. Alexis Roux de Bézieux, président de la Fédération des épiciers de France. - En France, notre chance est qu'il reste heureusement beaucoup d'indépendants dynamiques, malgré la crise Covid qui a été fatale pour certains.
J'aborderais un sujet qui me parait important : celui des « rentes », la valeur du fonds de commerce. Pendant longtemps, la valeur du fonds de commerce a été le socle de la retraite du commerçant. Aujourd'hui ce n'est plus le cas, ce qui soulève le problème de la rentabilité du travail de l'indépendant. Cette rentabilité dépend du volume d'activités, car les effets d'élasticité-prix sont relativement faibles : les dépenses alimentaires représentent actuellement 5 à 15 % du budget des ménages contre 30 % il y a quarante ans. Les Français n'envisagent de renoncer ni à leur abonnement à domicile auprès d'un fournisseur d'accès numérique ni à leur téléphone mobile. Une part contrainte du budget des ménages est donc accordée aux loisirs et aux divertissements.
Dans ce contexte, l'indépendant rencontre fréquemment un problème de niveau de vie lié à la couverture de l'achat de ses produits ou fournitures et de ses frais fixes.
Aujourd'hui, il n'y a quasiment plus de centrales d'achat pour les indépendants : la plupart des centrales d'achats sont désormais regroupées au sein des grands distributeurs. Ceux-ci risquent d'ailleurs également de subir, à terme, la désaffection des consommateurs et de redevenir des grossistes pour des épiciers indépendants, car leur modèle intégré arrive en fin de cycle et se renouvellera probablement pour s'adapter aux attentes de la population.
En contrepoint, les Français recherchent généralement de la singularité et une différenciation du commerce, cette préférence étant limitée par des considérations de prix. Or, il y a peu d'élasticité-prix chez le consommateur et peu de marge de manoeuvre pour l'indépendant qui ne se peut pas se fournir à bas coût auprès des centrales d'achat groupées.
Pour leur part, les frais fixes sont principalement composés des frais de personnels et du loyer. On l'a bien vu pendant la crise Covid, certains bailleurs n'ont guère réalisé d'efforts sur les loyers quand bien même leurs locataires subissaient des baisses significatives de leur chiffre d'affaires. En centre-ville, la réduction de l'amplitude horaire d'ouverture a pénalisé des commerçants.
Une plus grande variabilité des loyers pourrait être envisagée selon le principe d'un taux d'effort qui dépendrait de la rentabilité des métiers : les loyers seraient ainsi paramétrés selon la performance et le niveau de chiffre d'affaires.
Par ailleurs, l'achat des murs par les communes est envisageable et ne me choque pas.
Quant à la valeur des fonds de commerce, je l'ai évoqué, elle repose sur un modèle dépassé, un peu comme celui des licences de taxi, et n'existe pas dans plusieurs pays.
Enfin, fiscalement, il faudrait que le commerçant puisse mieux comprendre ce qu'il paye et combien il paye pour ensuite pouvoir calculer les effets des impôts de production sur le compte d'exploitation d'un commerce.
Plus largement, il faut progresser au niveau de la facilité d'exploitation d'un commerce, car la norme, notamment environnementale, se révèle souvent difficile à comprendre et à appliquer pour l'indépendant et à contrôler pour l'État.
M. Jérôme Gutton, directeur général délégué de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT). - Je souhaite revenir sur certains sujets pour dissiper les malentendus.
Tout d'abord, s'agissant de la taille des « Petites villes de demain », il n'existe aucun seuil comparable à ceux établis par l'INSEE. La ministre Jacqueline Gourault a décidé de ne pas hésiter à retenir des communes de 700 à 900 habitants, en fonction de l'organisation du territoire, de sa réalité commerciale et de ses capacités de développement. Chaque territoire fait ainsi l'objet d'un examen particulier. Nous travaillons donc beaucoup sur l'animation des « Petites villes de demain », en liaison étroite avec les élus et les autres partenaires.
Par ailleurs, dans le cadre des contrats de relance et de transition écologique (CRTE), nous veillons, sous la houlette du maire et du président de la Communauté de communes concerné, à faire bénéficier du dispositif le territoire tout entier : il n'y a donc pas de frontière entre la petite ville labellisée et le territoire qui l'entoure. La cible est relativement large et permet d'éviter les effets de seuil ou les effets couperets extrêmement fâcheux.
Je reconnais, en tant que préfet, avoir été assez attaché au FISAC, mais nous disposons d'outils alternatifs non négligeables que les régions et les communautés de communes ont mis en place dans un contexte de décentralisation.
L'État subventionne effectivement le rachat de murs dans plusieurs communes, via la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), en fonction des catégories éligibles définies par les élus membres de la commission départementale. Si aucune disposition ne s'y oppose, le préfet ou le sous-préfet ont la possibilité de participer au rachat de murs à condition de respecter les principes fondamentaux de la concurrence. En l'absence de tout intervenant depuis plusieurs années, les conditions sont évidemment réunies ; elles ne le sont pas, a priori, si plusieurs commerces se sont maintenus sur la même thématique.
Pour faire écho à la remarque du Président Longeot, la France est désormais largement couverte par des établissements publics fonciers de l'État qui réalisent un travail précieux. Ils sont plus ou moins connus selon les territoires qui se les approprient progressivement en fonction de leur histoire.
L'ex-EPARECA désormais intégré à l'ANCT, travaille davantage sur des enjeux de revitalisation commerciale dans des villes particulièrement difficiles, avec des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV). Cependant, le bénéfice du savoir-faire des équipes s'élargira graduellement.
Enfin, la Caisse des dépôts et consignations met progressivement en place des sociétés foncières qui ont une activité dynamique.
Nous essayons donc de travailler intelligemment, sans référence à des « seuils », en fonction des caractéristiques du territoire - géographie, sociologie et bassins de vie. L'ANCT a vocation à travailler en priorité au profit des territoires les plus ruraux.
M. Éric Gold. - Je souhaite évoquer la disparition régulière des agences bancaires pourtant nécessaires à l'activité commerciale des territoires. Plus généralement, les distributeurs automatiques se raréfient dans les zones rurales alors que le paiement en espèces reste largement utilisé dans les commerces de base.
Certains prestataires proposent désormais aux communes ou intercommunalités de prendre en charge l'installation et le fonctionnement de ces distributeurs pour des montants exorbitants.
Devons-nous nous résigner à voir les services bancaires disparaître inéluctablement ? Cette évolution génère-t-elle des handicaps ou va-t-elle simplement dans le sens de l'histoire ? A-t-elle des conséquences particulières sur vos activités ?
Mme Angèle Préville. - Je souhaite aborder la problématique liée à la réforme sur les entrepôts de vente et en particulier leur imposition à la Tascom. Nous déposons régulièrement des amendements sur ce point, sans succès jusqu'à présent. Nous persévérerons, car j'estime que cette mutation spécifiquement française de la consommation et de la livraison à domicile représente un non-sens écologique. Cette urgence est absolue.
Le Lot est un territoire très rural qui rassemble beaucoup de communes de moins de 1 000 habitants - la majorité des communes du département ont quelques centaines d'habitants. Après la crise Covid, plusieurs commerces multiservices restants ont dû fermer et les maires désemparés ignorent comment réinstaller ce type de commerces dans leur commune.
Quelles solutions peuvent être proposées à des communes de 100 à 300 habitants ? À quelles conditions - notamment en nombre d'habitants - une boulangerie est-elle viable ? Est-il envisageable de solliciter des personnes qui travaillent déjà à leur domicile pour gérer un multiservice ?
M. Jean-Michel Houllegatte. - On a vu les boulangers devenir boulangers-pâtissiers et ils proposent désormais d'autres menus. L'évolution de ce modèle économique soulève d'ailleurs de nouvelles difficultés.
L'éducation du consommateur a été renforcée par différentes lois, notamment par l'affichage du NutriScore et de l'impact environnemental. Elle se structure progressivement autour de projets alimentaires territoriaux (PAT). Les branches professionnelles liées au commerce et à l'artisanat, auxquelles s'associent généralement les chambres d'agriculture, sont-elles véritablement parties prenantes des projets alimentaires territoriaux (cantines scolaires, épiceries de quartier) ?
Vous avez également évoqué les « 1 000 Cafés » pour réinventer le bistrot du village. Quel est l'état d'avancement de ce projet ? Qu'apporte-t-il concrètement ?
M. Étienne Blanc. - Aujourd'hui, le droit de l'Union européenne met en oeuvre une politique de prix guidée par le dogme selon lequel les prix les plus faibles servent les concitoyens les plus modestes. C'est pourquoi la France rencontre des difficultés lorsqu'elle cherche à protéger les entreprises ou les commerces de proximité contre la grande distribution : nous l'avons constaté avec la loi Egalim.
Comment imaginer une véritable politique d'aménagement du territoire qui développe le commerce de proximité dans les bourgs et les petites communes alors même que le droit européen nous impose des restrictions qui la rendent quasiment impossible ?
M. Gilbert Favreau. - Nous venons de tirer à boulets rouges sur les grandes surfaces et on constate aujourd'hui que dans beaucoup de petites et moyennes communes, certaines surfaces de commerce fonctionnent bien en ciblant, le plus souvent, les besoins alimentaires. Or, en matière d'urbanisme, nous observons généralement que des moyennes surfaces demandent l'autorisation d'installer une galerie marchande à proximité.
Je tairais le nom d'une commune qui a refusé au propriétaire de la moyenne surface d'installer une galerie marchande et il s'agit d'une commune où le commerce individuel est le plus florissant du département. Dans ces galeries marchandes, on rencontre toutes les activités qui disparaissent progressivement des communes.
Le propriétaire de la moyenne surface a pourtant exercé beaucoup de pression pour obtenir une autorisation : l'affaire a été portée au tribunal, lequel a donné gain de cause à la commune qui refusait cette extension et la mairie se satisfait aujourd'hui pleinement de la situation. C'est une idée qui peut être suggérée à certains élus qui voudraient maintenir les petits commerces.
M. Louis-Jean de Nicolaÿ. - Dans mon département, nous avons également essayé de refuser l'aménagement d'une galerie marchande autour d'une grande surface. Nous avons été contraints d'accepter deux ou trois commerces, mais nous avons réussi à empêcher l'installation de petits commerces à proximité de ces galeries.
Dans le cadre de l'ANCT, je conseille aux communes qui souhaitent installer des commerces de veiller à inscrire ces politiques dans les contrats de relance et de transition écologique (CRTE). Ils seront en effet cosignés par le préfet et le président de la Communauté de communes et permettront de garantir des fonds DETR et DSIL (dotation de soutien à l'investissement local) aux communes qui souhaitent investir dans l'immobilier pour installer des commerces. Par ailleurs, j'estime qu'il est important de penser au cybercommerce sans oublier que « le commerce marche bien quand le commerçant est bon », c'est-à-dire quand la formation est adaptée et que les conditions sont bonnes.
Mme Laurence Muller-Bronn. - Dans nos communes, l'application des lois et des normes d'accessibilité a poussé de nombreux commerces à fermer, puis à rouvrir dans des zones commerciales. Cette évolution a rendu plus difficile l'accès des commerces aux personnes âgées qui vivent dans les vieux centres, car elles doivent désormais prendre la voiture. En voulant résoudre le problème de l'accessibilité physique, nous avons donc compliqué l'accessibilité pour les personnes âgées.
Par ailleurs, il faut rappeler les contradictions auxquelles on doit faire face : tout le monde veut le commerce à proximité, mais personne ne souhaite les nuisances - sonores, visuelles - de livraison. Les habitants de certains lotissements ne souhaitent pas voir rouvrir des boulangeries de centre-ville, car ils privilégient la quiétude, le repos ou la piscine et le panier de basket. Face à ces constats, les maires rencontrent des difficultés pour faire évoluer la situation de certaines communes.
Nous avons évoqué le multiservice et les « tiers lieux ». Ces concepts « à la mode » fonctionnent bien à condition que le commerçant soit compétent et en bonne santé, car à l'amplitude très large des horaires s'ajoute la nécessaire polyvalence. Dans ces conditions, le commerçant ne doit subir aucun accident de parcours. Or, combien de commerces ont fermé en raison d'un accident de la vie ? Le conjoint collaborateur n'est pas assez protégé non plus. Quand sera-t-il vraiment couvert ? Combien de commerces ferment parce que la succession est trop compliquée ou que la fiscalité qui pèse sur les successions et les transmissions de commerces est trop lourde ? Quelles sont les évolutions possibles ?
Est-il envisageable de légiférer sur le reversement de commissions et le loyer pour faciliter la reprise des supérettes alimentaires en milieu rural ? Un indépendant qui n'a pas accès aux centrales d'achat privilégiera le circuit court, mais ce dernier a ses limites. Comment faire en sorte qu'une supérette de 300 mètres carrés, gérée comme un commerce indépendant, soit moins défavorisée par ses fournisseurs ?
Enfin, comment rendre les métiers attractifs pour assurer leur pérennité ? La distribution de produits de qualité demande beaucoup de dévouement et de présence en contrepartie de niveaux de vie modestes. Autrefois, les commerces étaient pérennes et l'évolution reflète notre façon de vivre actuelle, moins stable. Le client, très exigeant, n'est plus aussi fidèle qu'autrefois.
M. Serge Babary. - Merci pour votre invitation. La commission des affaires économiques s'intéresse constamment à l'évolution et à la révolution du commerce.
Ma première question porte sur le digital. La crise a mis en exergue la nécessité pour les commerçants d'accélérer leur transition numérique. Au-delà des discours de principe, le commerce en ligne semble constituer une solution dont l'efficacité reste hétérogène selon les territoires - les ruralités - et les entreprises. Cela dépend de la zone de chalandise, du coût de transport, du type de produits vendus, ou encore du nombre d'entrepôts à construire. Pensez-vous que cette solution soit aussi utile en zones rurales plus qu'en zones urbaines ? Si oui, passe-t-elle par le développement de plateformes très localisées ou, au contraire, étendues à l'échelle d'un bassin de vie ? Quels sont les freins à ce développement éventuel ?
Par ailleurs, le plan de relance a prévu plusieurs dispositifs destinés au commerce et à l'artisanat, notamment le financement de foncières de redynamisation commerciale chargées d'acquérir des locaux vacants, de les rénover, puis de les louer à moindre prix afin d'attirer de nouveaux commerçants. Ces foncières se déploient-elles suffisamment rapidement ? Sont-elles à la hauteur des enjeux ?
M. Christian Martin, vice-président de la Confédération nationale de la boulangerie et boulangerie-pâtisserie française. - Je n'aurai pas de mots assez durs pour dénoncer les pratiques des banques, notamment en matière d'octroi de prêts garantis par l'État (PGE) en période de crise. Nous avons dû faire intervenir Monsieur Bruno Le Maire pour que les banques, qui ne prenaient quasiment aucun risque, débloquent les fonds sans exiger des conditions exorbitantes.
Par ailleurs, je souhaiterais rappeler l'existence d'organisations professionnelles chargées d'aider à la transmission d'entreprises commerciales. La Confédération générale de l'alimentation de détail (CGAD) regroupe toutes les professions alimentaires, chaque profession étant structurée en organisation professionnelle.
La profession des bouchers met en place des « boîtes repas » dans certaines communes : les consommateurs sont invités à passer leurs commandes à distance, puis à venir chercher leurs plateaux préparés par le boucher. Cette solution répond astucieusement à certaines situations.
Pour éviter la disparition d'un commerce comme la boulangerie, j'estime intéressant de se rapprocher des organisations professionnelles. Elles connaissent parfaitement les besoins du métier, contrairement aux banques ou aux vendeurs de matériels qui sur-dosent parfois les ventes d'équipement plus ou moins utiles.
Il convient également de rester vigilant face aux minotiers. Les contrats d'exclusivité sont des contrats difficiles à combattre, car ils sont légaux. Un jeune qui s'engage se voit ainsi prêter de l'argent par un meunier ou un marchand de matériel, sous réserve qu'il se fournisse exclusivement chez lui. Or, le jeune ignore, lorsqu'il s'installe, que le prix de la farine sera fixé par le meunier.
Les organisations professionnelles de branche et la CGAD peuvent donc assister le professionnel pour que son commerce reste pérenne. Elles travaillent également sur la digitalisation et la lutte contre le gaspillage. Les organisations professionnelles ont des commissions qui réfléchissent à la formation. Elles collaborent localement avec les chambres consulaires et le rapprochement avec les élus locaux est dans leur ADN.
Effectivement, les normes européennes qui nous sont imposées s'appliquent indifféremment à la société qui emploie 15000 salariés ou au boulanger qui emploie 3 personnes, dont un ou deux apprentis. Nous formons 28000 apprentis par an. Ni la crise économique ni la crise sanitaire n'ont empêché la boulangerie artisanale et les commerces alimentaires de continuer à créer de l'emploi. Nous devrons en prendre conscience.
Le ministre Alain Griset a formulé des propositions intéressantes pour la protection du conjoint. Trois statuts le protègent aujourd'hui, celui du conjoint collaborateur était le plus utilisé, car moins coûteux. Il sera désormais limité dans le temps.
Nos organisations professionnelles sont structurées pour traiter la formation, mais aussi la situation économique, sociale ou fiscale. Je préside ainsi une Commission paritaire permanente de négociation et d'interprétation (CPPNI) au niveau national. Le dialogue social, qui porte principalement sur le droit du travail, est très vivant dans nos branches.
Nous formons de nombreux apprentis, mais nous rencontrons des difficultés pour les fidéliser dès qu'ils obtiennent leur CAP. Nous réfléchissons à leur proposer un cursus professionnel leur offrant une évolution intéressante. Enfin, d'autres services doivent être présents dans la ruralité, car les jeunes souhaitent se rendre au cinéma, au théâtre ou au restaurant.
M. Fabrice Dalongeville, président de l'Association des maires ruraux de l'Oise. - Avec les « Bistrots de Pays », nous militons pour la création d'une sixième catégorie d'établissements recevant du public (ERP) qui tiendrait compte des contraintes du milieu rural.
Concernant la relation aux banques, l'arrêt de la fermeture des distributeurs est primordial.
La dimension de service public de proximité doit ensuite être revisitée malgré les contraintes du droit européen, car le maillage postal du territoire est extraordinaire.
Le projet « 1 000 Cafés » s'appuie sur des gérants-salariés tandis que la création d'épiceries repose sur l'économie sociale et solidaire et un engagement bénévole. La réflexion sur ce point doit être approfondie dans les zones désertifiées, car les artisans indépendants n'apporteront pas d'offre commerçante alors que les néoruraux recherchent des projets de création de commerces.
Nous avons réglé la problématique du distributeur, car nos commerces proposent de délivrer des espèces, en contrepartie d'un paiement en carte bancaire du même montant en prenant les frais à notre charge
Ce modèle bénévole existe et avance dans les territoires. Il représente un axe de développement important pour redonner du sens à la ruralité, mais la reconnaissance du bénévolat est difficile.
Enfin, j'ai recruté deux jeunes en services civiques dans notre projet communal du café citoyen, avec une rémunération mensuelle de 104 euros par étudiant. Cette démarche renforce le lien intergénérationnel et permet au jeune de bénéficier d'une expérience complémentaire. Ce dispositif très peu utilisé aujourd'hui permet de promouvoir l'inclusion sociale et la solidarité intergénérationnelle.
M. Francis Palombi, président de la Confédération des commerçants de France. - La digitalisation est une préoccupation croissante dans l'esprit des commerçants, mais les organisations professionnelles, les communes et les ministères doivent poursuivre leurs efforts pour qu'elle s'établisse véritablement de manière globale et équilibrée.
Nous devons continuer de soutenir nos commerçants, en particulier dans les zones rurales quelque peu déshéritées, et permettre la généralisation de la numérisation dans le commerce physique.
M. Alexis Roux de Bézieux, président de la Fédération des épiciers de France. - Nous notons une diminution de l'utilisation des espèces de 15 % à 50 % en volume, avec des variations selon les zones d'habitation - ruralité ou centre-ville - et les catégories de population. Le taux de commission (0,25 % à 0,5 %) que doit avancer le commerçant ne justifie pas pleinement un refus de paiement par carte bancaire en dessous, par exemple, de 15 euros. J'ajoute que le fait de ne pas manipuler d'espèces limite les risques de vols et de cambriolage, sachant qu'en centre-ville, les commerces sont cambriolés, en moyenne, tous les deux ans.
Enfin, pour réussir un commerce pérenne, les fédérations professionnelles peuvent identifier les critères de succès en fonction de la zone de chalandise, du pouvoir d'achat, de la distance par rapport à la concurrence, du choix des produits, de leur qualité, leur prix, sans oublier le facteur essentiel du profil du commerçant.
M. Jean-François Longeot, président. - Je vous remercie pour ces échanges particulièrement intéressants. Vous nous avez apporté des faits et arguments très utiles et de bon sens pour enrichir nos travaux.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 12 h 30.
- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -
La réunion est ouverte à 16 h 40.
Projet de loi de finances pour 2022 - Audition de Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité
M. Jean-François Longeot, président. - Madame la secrétaire d'État, nous vous remercions d'avoir répondu à notre invitation. Je m'abstiendrai de tout propos liminaire pour laisser certains de nos collègues rejoindre leur circonscription en vue de participer, demain, aux cérémonies commémoratives du 11 novembre. Je vous cède immédiatement la parole.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. - Je suis très heureuse de pouvoir échanger avec vous sur ce projet de loi de finances pour 2022, qui apporte de bonnes nouvelles pour la biodiversité en des temps de contrainte budgétaire.
La priorité est clairement donnée à la biodiversité, non seulement au travers du programme 113 « Paysages, eau et biodiversité », mais aussi de toutes les réflexions en cours avant la présentation de la prochaine stratégie nationale pour la biodiversité (SNB).
Cette politique de l'eau et de la biodiversité se structure par une cohérence entre nos différentes politiques publiques et ce que nous défendons au niveau international. La COP 26 réserve ainsi une large place à la question de la nature, puisque l'on sait aujourd'hui qu'il nous faut absolument décloisonner les raisonnements, nos politiques et les moyens dédiés. La voix de la France porte donc de hautes ambitions sur ces questions de biodiversité, sur lesquelles nous devons être exemplaires.
Le projet de loi de finances pour 2022 apporte quelque 3 milliards d'euros de financement budgétaire en faveur de la biodiversité, dont 244 millions pour le programme 113 « Paysages, eau et biodiversité ». Un apport exceptionnel du plan France Relance avec plus de 1 milliard d'euros pour 2021-2022 et des ressources fiscales via des redevances affectées, notamment aux agences de l'eau, à hauteur de 2,2 milliards d'euros.
Le programme 113 bénéficie en particulier de moyens importants avec sa dotation de 244 millions d'euros, en hausse de 30 % depuis la recréation de mon secrétariat d'État à la biodiversité. Cela correspond à une augmentation de 15 millions d'euros après une hausse, l'an passé, de 35 millions. Nous sommes donc en situation de reconquête, du point de vue budgétaire, des moyens dédiés à la biodiversité, hors moyens exceptionnels du plan de relance.
L'essentiel de ce budget est consacré à la lutte contre la perte de biodiversité. Il se concentre essentiellement sur les espaces, les espèces et l'eau. Parmi les 15 millions d'euros supplémentaires, je prévois de dédier 5 millions à la stratégie nationale pour la biodiversité afin d'amorcer immédiatement et concrètement les premières actions de déclinaison opérationnelle du plan.
Je propose ensuite de dédier 3,5 millions d'euros supplémentaires à la gestion durable des ressources minérales, qui doit nous permettre notamment de renforcer les actions de lutte contre l'orpaillage illégal en Guyane et l'élaboration d'une stratégie durable sur les approvisionnements critiques.
Nous disposons également de 2,3 millions d'euros supplémentaires pour l'Office national des forêts (ONF), dans l'optique d'un renforcement de la politique interministérielle de la forêt. Nous avions déjà augmenté, en 2020, cette dotation de 7 millions d'euros.
Enfin, 2 millions d'euros sont destinés au financement de cartographies dans le cadre du recul du trait de côte.
Pour la première fois depuis plus de dix ans, le plafond du droit annuel de francisation et de navigation (DAFN) augmentera en 2022 pour passer de 38,5 à 40 millions d'euros au profit du Conservatoire du littoral.
Le plan France Relance apporte des moyens conjoncturels via un apport de 1 milliard d'euros concernant directement ou indirectement la mise en oeuvre de nos politiques de l'eau et de la biodiversité pour la période 2021-2022 : 300 millions d'euros pour l'eau, 250 millions pour la biodiversité, 650 millions pour le fonds pour le recyclage des friches, 50 millions d'euros destinés aux haies ou encore 300 millions pour les forêts.
Ce volet écologique de restauration ou de construction d'infrastructures nouvelles dans les espaces et aires protégées comporte une enveloppe de 250 millions d'euros déployés par l'Office français de la biodiversité (OFB), les parcs nationaux, le Conservatoire du littoral ou nos services déconcentrés. Ils oeuvreront à hauteur de 135 millions d'euros à la restauration écologique, de 60 millions d'euros sur les aires protégées, de 40 millions sur la protection du littoral et de 15 millions sur le renforcement des barrages. À ce jour, les trois quarts des crédits sont d'ores et déjà engagés.
S'agissant du volet « eau » du plan France Relance, nous proposons 300 millions d'euros pour financer la modernisation des réseaux d'eau et d'assainissement, dont 50 millions pour les outre-mer. Cette mesure sécurise les infrastructures de distribution d'eau potable et d'assainissement ainsi que la gestion des eaux pluviales, ce qui permettra de renforcer la résilience de l'alimentation en eau potable en luttant contre les sources de contamination de l'eau. Elle vise la modernisation de 2 715 kilomètres de réseau d'eau en métropole et 41 kilomètres en outre-mer. Fin août, quelque 275 millions d'euros de crédits prévus pour 2020 et 2021 ont déjà été engagés budgétairement, soit plus de 90 % de l'enveloppe.
Hors plan France Relance, l'action des agences de l'eau se décline dans le cadre du onzième programme d'intervention 2019-2024. Après deux ans, ce programme plafonné à hauteur de 12,5 milliards d'euros présente un taux d'exécution global des prévisions de plus de 32 %.
Cette année, les nouvelles sont très bonnes s'agissant des effectifs qui sont en augmentation dans les parcs nationaux et dans les parcs naturels marins. Ce sont 20 équivalents temps plein (ETP) supplémentaires qui sont dédiés à la montée en puissance du onzième et nouveau parc national de forêts et au renforcement des effectifs de tous les parcs nationaux.
Il n'était pas question que la création de ce onzième parc se fasse au détriment des parcs existants. Un effort a également été fait pour les effectifs des aires marines protégées via l'OFB. Je tiens en outre à saluer l'effort de nos opérateurs sur la mutualisation et les rationalisations, notamment au travers des fonctions support. Cette année encore, 2 635 emplois sont ouverts à l'OFB, lequel fait en outre l'objet d'un contrat d'objectifs et de performance en voie de finalisation.
Au-delà de cette présentation budgétaire, je tenais à vous faire part de notre réflexion globale sur le financement même de la biodiversité en France. Celui-ci est stratifié et il est aujourd'hui nécessaire de le revoir, tant pour mettre en valeur l'effort budgétaire de l'État que pour y apporter davantage de transparence.
Nous prônons des leviers d'action plus massifs et des outils plus récents sur lesquels il nous faut monter en puissance. On peut citer la réorientation de l'épargne individuelle vers des actifs verts, des outils qui conjuguent le label « bas-carbone » et la protection de la biodiversité, ainsi qu'un éventuel renforcement de la fiscalité dédiée à la biodiversité, comme l'a évoqué récemment le Président de la République. Citons enfin les nouveaux outils auxquels je suis très attachée, tels que les obligations réelles environnementales (ORE).
Vous le voyez, notre mobilisation est totale.
M. Pascal Martin, rapporteur pour avis. - Lors de l'examen de la loi « Climat et résilience », le Sénat avait approuvé les mesures proposées par le Gouvernement et les députés sur le sujet majeur de la déforestation importée, c'est-à-dire, d'une part, la problématique des émissions de gaz à effet de serre (GES) importées lorsque nous consommons des produits qui contribuent à la déforestation dans leurs pays d'origine et, d'autre part, la problématique de l'érosion de la biodiversité qui résulte de la déforestation importée via la consommation de produits d'origine étrangère.
Le Sénat avait également enrichi ses dispositions, principalement au sein du volet « se nourrir », certaines d'entre elles ayant survécu à la longue commission mixte paritaire qui a permis d'aboutir à un accord avec les députés.
Où en est la mise en oeuvre de la plateforme prévue à l'article 270 de la loi « Climat et résilience », dans le cadre de la stratégie nationale de lutte contre la déforestation importée ? Le décret prévu à l'article 272 de cette même loi pour accompagner l'État dans la réduction de l'achat de biens ayant contribué à la déforestation a-t-il été publié ?
Comment suivez-vous l'application de l'article 273 de cette loi, qui a été réécrit à l'initiative du Sénat pour traduire les propositions du rapport d'information intitulé Alimentation durable et locale que nous avons produit en lien avec la commission des affaires économiques ? C'est une disposition à laquelle je tiens particulièrement, car l'adoption de plans de vigilance, opposables aux entreprises, est une mesure puissante de prévention de la déforestation importée. Avez-vous pris l'arrêté définissant les catégories d'entreprises qui seront soumises à cette obligation d'élaborer un plan de vigilance, sur le modèle de la loi sur le devoir de vigilance en matière sociale ?
Enfin, pouvez-vous faire le point sur les échanges qui ont lieu en ce moment au sein de l'Union européenne en vue d'élaborer un cadre juridique commun de vigilance des entreprises par rapport à la déforestation importée ?
Mme Nadège Havet. - S'agissant des moyens prévus par le Gouvernement pour la politique de biodiversité en 2022, pourriez-vous être plus précise sur ceux mis en oeuvre pour établir la stratégie nationale pour la biodiversité ?
M. Guillaume Chevrollier, rapporteur pour avis - Je salue votre engagement et votre discours sur la priorité donnée à la biodiversité dans notre pays.
Néanmoins, la hausse budgétaire de 15 millions d'euros semble assez légère au regard de tous les milliards annoncés ces derniers temps par le Gouvernement. En sus, je voudrais pointer quelques incohérences et contradictions.
Concernant la fiscalité, il est prévu à l'article 10 du projet de loi de finances pour 2022 la suppression de la réduction d'impôt sur le revenu pour les dépenses d'entretien des espaces naturels protégés. Pour une bonne politique de biodiversité, n'aurait-il pas été plus judicieux de le rendre plus efficient ?
S'agissant de la question centrale et de plus en plus sensible de l'eau, votre ministère a organisé les Assises de l'eau et le ministère de l'agriculture le Varenne de l'eau. Or nous sommes encore loin de respecter les objectifs fixés par la directive-cadre sur l'eau. Comment comptez-vous accentuer les efforts de la France vers l'atteinte du bon état des masses d'eau ? Pourquoi avoir fait le choix de ne pas relever le plafond mordant qui aurait pu accroître les moyens d'intervention des agences ?
Je voudrais évoquer le sujet des espèces exotiques envahissantes, angle mort de la politique française en matière de biodiversité. Les dégâts économiques sont considérables, estimés a minima par les scientifiques à 368 millions d'euros par an, uniquement pour notre pays. Les moyens sont éparpillés sur plusieurs opérateurs et trop souvent centrés sur la réparation des dégâts causés plutôt que sur la recherche et la prévention. Comptez-vous désigner un opérateur chef de file sur cette question et mobiliser des personnels dédiés ? Comment comptez-vous accentuer les efforts de la France en matière de prévention et de lutte contre les espèces exotiques envahissantes ?
M. Éric Gold. - Toujours concernant la lutte contre les espèces invasives, le frelon asiatique et le frelon oriental, classés danger sanitaire, menacent les ruches depuis plus de quinze ans. Vous m'avez indiqué lors de votre précédente audition devant notre commission qu'une stratégie nationale de prévention, de surveillance et de lutte contre le frelon asiatique avait été mise en place avec la filière apicole. Pouvez-vous m'en donner l'état d'avancement et m'indiquer si quelque chose est prévu dans le PLF à ce sujet ?
Des travaux sont-ils menés à une échelle internationale pour lutter contre ces phénomènes qui se multiplient et affectent fortement notre biodiversité ?
Mme Angèle Préville. - La pollution plastique ne doit pas constituer un angle mort de votre politique, car cette pollution croise les sujets du bon état de l'eau, de l'air, des sols et la problématique des espèces invasives. De plus, elle a un impact très fort sur la biodiversité.
Lors de l'examen de la loi « Climat et résilience », j'ai fait voter au Sénat un amendement visant à ce que soit indiqué sur les vêtements en fibre plastique le fait qu'ils libèrent dans l'environnement des microfibres tout au long de leur cycle de vie. Or cet amendement n'a pas dépassé l'enceinte du Sénat.
Que mettre en place contre cette pollution qui ne fait que s'accumuler ? Je précise qu'un petit plan ne me paraît pas suffisant.
M. Didier Mandelli. - Ma question porte sur le DAFN, payé par les propriétaires de bateaux supérieurs à 2,5 mètres et qui vient alimenter le budget du Conservatoire du littoral.
Vous avez évoqué la progression de ce budget de l'ordre de 1,5 million d'euros supplémentaires. Dans le cadre de la loi pour l'économie bleue, nous avions intégré une quote-part de ce DAFN en faveur de la filière nautique pour financer le démarrage d'une filière de recyclage, de traitement et de démantèlement des bateaux. Notre stock de bateaux est difficile à traiter, soit parce que les bateaux sont en déshérence, soit parce qu'ils sont stockés sans être traités.
Cette évolution du budget plutôt positive peut-elle permettre de prendre en compte ces bateaux en déshérence ? Je précise qu'un certain nombre de départements, dont la Vendée, prennent en charge le transport de l'épave vers le centre de démantèlement.
Mme Martine Filleul. - Madame la ministre, je salue votre engagement au service de la biodiversité ainsi que votre grand optimisme, notamment votre capacité à voir le verre tout à fait plein.
Pour ma part, je ne le vois pas exactement de la même manière et tenais absolument à vous le dire. Je considère que 15 millions d'euros pour la biodiversité est vraiment très peu, par rapport aux sommes actuellement abondamment déversées vers d'autres domaines. Ces 15 millions d'euros sont assez dérisoires eu égard aux enjeux actuels.
Pour ce qui concerne les effectifs, vous évoquez une hausse dans votre ministère, qui concerne le onzième parc naturel de forêts. Il est toutefois important de rappeler que le ministère de l'écologie a été sacrifié plusieurs années de suite et a perdu 4 000 ETP depuis 2018. La hausse à laquelle vous faites référence est donc tout à fait maigre.
Le budget que vous venez de nous présenter pour l'année 2022 est-il à la hauteur des enjeux ? Selon moi, la réponse est négative.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - Notre engagement sur la déforestation importée a effectivement constitué un gros travail, non seulement dans le cadre de la stratégie nationale préexistante, mais surtout dans sa mise en oeuvre.
Cette plateforme est opérationnelle et consultable par tous et permet aux citoyens comme aux entreprises d'accéder aux données des produits, aux commodités et aux lieux d'importation liés à la déforestation et donc de créer ce système d'alerte aux entreprises. Ce faisant, nous sommes tout à fait précurseurs, aux niveaux européen et international. J'ai participé à de nombreuses tables rondes à la COP 26 cette semaine sur ce sujet pour faire valoir cette expérience. Il nous reste à travailler sa gouvernance qui mêle de nombreux acteurs ainsi que l'anonymat des données, souvent sensibles. Il ne s'agit pas, en effet, de mettre à l'index, mais d'éclairer la politique d'achat de certains importateurs.
Nous avons également accéléré le déploiement du guide de l'achat public « zéro déforestation importée » qui s'enrichit d'une première mise à jour. L'achat public représentant potentiellement 10 % du PIB national, nous disposons d'un levier énorme.
En outre, nous nouons de manière très opérationnelle des contrats avec les filières soja dans le cadre des financements liés à la stratégie protéines végétales. En relocalisant cette production, l'objectif est de nous passer des importations de soja, lesquelles favorisent la déforestation. Il en va de même pour le récent plan Cacao durable, en lien avec les importateurs et les distributeurs. Ce me semble être un bel exemple de décloisonnement entre les secteurs public et privé.
S'agissant des 30 % d'augmentation de cette ligne budgétaire, vous savez l'effort et l'arbitrage conséquents que cela peut représenter. Mais arrêter cette érosion et mettre fin à l'hémorragie d'emplois, qui a d'ailleurs touché tous les opérateurs de l'État, dans un contexte de contrainte budgétaire et de dette que vous connaissez, doit se faire en responsabilité. Ce geste est extrêmement fort et salué par les opérateurs, notamment par les agences de l'eau, mais également au niveau européen et international. Les collectivités locales ont besoin d'être accompagnées et la mise en oeuvre de cette montée en charge ne doit pas être accélérée de manière inopportune.
S'agissant de l'eau, nous devons montrer à quel point la préservation des continuités écologiques est essentielle à la restauration de la bonne qualité des eaux. Le Varenne de l'eau et de l'adaptation au changement climatique, que nous co-portons avec Julien Denormandie, montre que, trop longtemps, on a voulu opposer les politiques de l'eau et de la biodiversité et les politiques agricoles. Nous refusons de nous laisser caricaturer dans ces postures et nous travaillons à ce chemin commun. Le Varenne de l'eau s'inscrit pleinement dans les conclusions des Assises de l'eau. Nous devons construire ces chemins à l'équilibre entre enjeux de territoires, enjeux économiques et agricoles et enjeux de préservation de la biodiversité.
Il faut donc concilier la lutte contre l'amenuisement de cette ressource en eau et la nécessité de soutenir l'agriculture française, première à préserver au quotidien la biodiversité et à assurer notre souveraineté alimentaire.
Pour ce qui concerne les espèces exotiques envahissantes, je prépare un plan d'action contre l'introduction et la propagation de ces espèces, pour le début de l'année 2022. Son volet prévention sera très musclé, mais j'entends également démultiplier les actions sur le terrain et poursuivre la prévention, car le développement de ces espèces exotiques envahissantes provient généralement d'une maladresse humaine.
La pollution plastique se situe au coeur de nos réflexions. Le plan d'investissement France 2030 dédie 1 milliard d'euros au recyclage des plastiques. La suppression progressive des plastiques à usage unique sera au coeur des réflexions de la présidence française de l'Union européenne. Nous avons mené une action majeure et massive, ces dernières années, sur cette question des plastiques et je crois qu'on peut s'en féliciter.
S'agissant du DAFN, je sors quelque peu de mon champ de compétence, aussi je ne me prononcerai pas en détail. Toutefois, le plan France Relance permet de trouver les moyens de démanteler des péniches en état de délabrement avancé, en lien avec les collectivités et les préfectures.
Pour conclure, il me paraît plus utile non pas de regarder uniquement les chiffres du programme 113, mais de voir les choses de manière plus holistique en prenant en compte toutes les politiques que nous déployons en faveur du climat.
M. Jean-François Longeot, président. - Permettez-moi d'insister sur la problématique liée à la forêt.
C'est un sujet particulièrement inquiétant considérant les périodes de sécheresse qui ont eu lieu à la fois en 2018, 2019 et 2020 et les attaques de scolytes. Mon département est parsemé d'hectares et d'hectares de coupes blanches. En outre, on perçoit l'OPA de la Chine sur nos forêts, qui achète jusqu'à 50 % du bois. C'est aussi une question de manque à gagner pour les communes.
Comment lutter contre les émissions de gaz à effet de serre si nos forêts sont atteintes à ce niveau ? Nous devons développer des idées sur ce sujet et y allouer des moyens. Certaines collectivités ont la tentation, au lieu de planter des arbres, soit de rendre à l'agriculture ces espaces, soit d'y installer des panneaux solaires.
M. Louis-Jean de Nicolaÿ. - Je tiens à saluer le travail des entreprises, notamment les entreprises distributrices d'eau qui ont considérablement allégé le plastique dans leur processus de fabrication. Elles nous répètent d'ailleurs qu'elles peuvent fabriquer leurs bouteilles en verre, mais que la pollution s'en trouverait largement augmentée sur le transport.
S'agissant des arbres, on aperçoit aujourd'hui une démultiplication des maladies dans tous les secteurs et pour de nombreuses essences, ce qui fait hésiter les producteurs de bois à replanter.
S'agissant du contrat de plan État-région (CPER), la biodiversité sera-t-elle prise en compte dans les politiques publiques ou est-ce un budget complètement à part ?
M. Hervé Gillé. - Permettez-moi de revenir sur la question des agences de l'eau et du plafond mordant, à laquelle il me semble que vous n'avez pas répondu.
Les sollicitations des agences de l'eau s'accroissent aujourd'hui du fait de leurs nouvelles missions et nous devons trouver des stratégies de financement pertinentes. Nous avons également besoin de trouver des réserves de substitution d'eau potable pour créer des prélèvements plus équitables et plus durables. Nous pourrions mettre en place une évaluation des agences de l'eau pour étudier leur état financier. Je rappelle que si le plafond mordant a été appliqué, c'est qu'on a estimé que des réserves n'étaient pas mobilisées.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État. - Sur la question des forêts, je plaidais déjà, en tant que députée, pour ces assises de la forêt et du bois. Je suis du Grand Est, une région où l'on voit - si on ne les entend pas - mourir et souffrir ces forêts françaises. Il m'a toujours paru essentiel de nous projeter à long terme et de penser des politiques à vingt, trente ou cinquante ans, tout en approchant le sujet de façon holistique, pour penser la forêt dans son lien à notre activité économique, à notre politique de construction, aux enjeux stratégiques et internationaux. Il est nécessaire d'embrasser tous ces sujets de manière corrélée, sans oublier bien sûr les questions sanitaires, la problématique du stress hydrique et les épisodes de sécheresses, de plus en plus nombreux et fréquents.
Il s'agit aussi d'une question de sensibilité sociétale, qui nous oblige à réinterroger ce qu'est la gestion forestière. Les coupes rases émeuvent, par exemple, et elles ne sont pas toujours liées à des choix ou à une gestion forestière ancestrale ; elles nécessitent alors qu'on mette fin aux atteintes observées dans certaines parties de nos forêts. Toute une réflexion est ainsi menée aujourd'hui, qui inclut les propriétaires, les collectivités, l'ONF, et porte sur la question de la diversification des modes de gestion et des essences. Des expérimentations ont lieu, qui doivent être valorisées et contribuer à nourrir cet effort pour se projeter et imaginer une modification de nos paysages, une modification de nos représentations de ce qu'est la forêt française. Nous touchons là au coeur d'un sujet qui est profondément sociétal.
Tout ce travail vient de débuter. Il est passionnant et il mobilise fortement, avec des moyens qui, dans le contexte du plan France Relance, peuvent paraître minimes. Ils sont tout de même déjà très importants et ont été renforcés pour les forêts. C'est un travail global, et j'aurais pu vous parler aussi de la gestion des dégâts forestiers, tant le sujet des dégâts faits aux cultures est prégnant, dans les questions d'équilibre sylvo-cynégétique.
Une attention évidemment particulière est portée aux communes forestières (Cofor), dont j'ai entendu la surprise dans la mobilisation qui leur a été demandée aux côtés de l'ONF. Cependant, une fois la surprise passée, les Cofor tiennent à participer à cet effort national pour nos forêts. Elles attendent néanmoins de la visibilité, et il leur faut comprendre comment peuvent se réorganiser leur modèle et les équilibres économiques, car les forêts sont des éléments structurants de nos territoires. Le travail se conduit en commun et je remercie les Cofor de le poursuivre et d'avancer. À ce titre, je pense aussi aux agents de l'ONF, qui sont interrogés et bousculés dans leurs façons de faire, et ont besoin aujourd'hui d'être accompagnés ; ils ont entre les mains l'avenir de nos forêts françaises.
Cette mobilisation était essentielle et je remercie le Premier ministre de nous avoir missionnés, avec Julien Denormandie et Agnès Pannier-Runacher, pour traiter ces questions d'amont en aval, afin de dessiner les forêts françaises de demain.
Je n'oublie pas non plus les entreprises, et je vous rejoins sur ce point, monsieur de Nicolaÿ. J'étais hier soir avec le groupe LVMH, qui est évidemment très concerné par ces sujets, mais je rencontre aussi de très petites entreprises qui, au quotidien, essayent de trouver les moyens, veulent s'engager dans cette transition, mais ont besoin d'accompagnement dans la transformation de l'outil industriel français. Nous devons, dans la rapidité de la transition à l'oeuvre, donner de la visibilité au cadre législatif et réglementaire, mais aussi à notre vision, et il semble important de se donner des points de rendez-vous sur la trajectoire à suivre. Cela vaut pour les entreprises françaises, mais aussi au niveau international, dans les engagements que nous prenons. En termes de crédibilité, si nous voulons rassurer les marchés, il nous faut absolument être clairs sur nos objectifs.
J'en viens aux CPER, et plus largement au rôle des régions, puisqu'elles sont cheffes de file sur la question de la biodiversité. Les agences régionales de la biodiversité offrent un lieu central où se nouent des partenariats essentiels, qui se retrouvent ensuite dans les CPER, dans les partenariats avec les agences de l'eau, dans les projets de minimisation des impacts sur les infrastructures, dans la gestion des espaces de renaturation. Dans le cadre de la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale (dite « 3DS »), figure d'ailleurs la possibilité pour ces régions de se saisir de la gestion de ces espaces - la définition en revenant toutefois à l'État, pour que le niveau d'ambition demeure partagé au niveau national.
Ces évolutions à l'oeuvre ne se feraient pas sans les collectivités régionales, qui sont devenues expertes sur ces sujets et sont au plus près des enjeux locaux. En effet, et cela m'apparaît clairement depuis le début de l'année, alors que je réécris la SNB : nous pouvons définir de grands axes, une vision, mais il nous faut être au plus près des territoires. Et d'ailleurs, le niveau régional est parfois encore trop grand et je vois bien comment, d'un bout à l'autre du Grand Est par exemple, les considérations et les contextes diffèrent. Pour la SNB, et en premier lieu pour la stratégie aires protégées - nous avons un gros effort à fournir, de définition et de protection de notre réseau d'aires protégées - j'ai demandé que la réflexion soit menée dans la concertation avec les territoires, autour des régions, mais aussi au niveau départemental. Il fallait que nous retrouvions ces espaces de réflexion qui associent, au niveau local, des agriculteurs, des chasseurs et des associations environnementales. Les projets les plus solides et les plus pérennes se bâtiront dans cette concertation, au plus près du terrain.
Je finirai en évoquant les agences de l'eau et la question du plafond mordant. Étant entourée de directeurs et d'anciens directeurs d'agences de l'eau, je peux vous assurer que la réflexion sur ces sujets tient une place importante au sein de mon cabinet. Le concept « l'eau finance l'eau et la biodiversité finance la biodiversité » doit s'incarner dans nos flux budgétaires et, vous l'avez dit, il faut être transparent à ce sujet, c'est essentiel en termes d'acceptabilité. Si l'on veut partager les objectifs et cet effort budgétaire nécessaire pour la nature - elle est, un peu comme la culture, un patrimoine assez immatériel et pour lequel le « retour sur investissement » est parfois difficile à imaginer et à quantifier -, alors il nous faut être transparents sur ces flux de financement et sur la participation de cette fiscalité à nos politiques.
Un groupe de travail se penche sur le sujet et il est trop tôt pour savoir quelles conclusions il en tirera. Toutefois, je voudrais partager un sentiment personnel sur cette question du plafond mordant : tout finit par se retrouver dans le budget de l'État. Certes, nous avons besoin de transparence et je plaide pour la biodiversité et pour une spécificité en termes de fiscalité affectée renforcée dans nos politiques. Mais je crois aussi que nous devons préserver cette vision de solidarité entre nos différentes politiques publiques, selon laquelle ce qui retombe dans le budget de l'État n'est pas perdu et participe à d'autres politiques, dont les ressources sont moindres et les besoins supérieurs. Il n'est pas possible de décorréler les politiques environnementales des politiques de santé ou d'éducation. La réflexion sur cet exercice d'équilibre budgétaire est loin d'être close, mais les politiques sont liées et le décloisonnement doit se retrouver dans les flux financiers. Nous avons vu naître l'OFB, qui est en partie financé grâce aux recettes des agences de l'eau. Cette question du plafond est presque un totem, et j'espère que nous réussirons à échapper à cette crispation pour développer une vision globale du financement de la biodiversité, ce qui peut également résonner en termes de financement des collectivités. Cette réflexion doit en tout cas se retrouver dans les sujets sur lesquels nous serons amenés à travailler ensemble, dans les mois et années qui viennent.
M. Jean-François Longeot, président. - Je vous remercie, madame la ministre, pour vos réponses, les efforts qui sont faits et votre volonté d'agir.
La réunion est close à 17 h 50.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.