- Jeudi 4 novembre 2021
- Étude sur la place des outre-mer dans la stratégie maritime nationale - Audition de M. Denis Robin, Secrétariat général de la mer (SGMer)
- Étude sur la place des outre-mer dans la stratégie maritime nationale - Audition de Mme Sophie Brocas, directrice générale, accompagnée de M. Mikaël Quimbert adjoint à la sous-directrice des politiques publiques et de Mme Camille Goyer, directrice de cabinet, à la direction générale des outre-mer (DGOM)
Jeudi 4 novembre 2021
- Présidence de Mme Vivette Lopez, secrétaire -
Étude sur la place des outre-mer dans la stratégie maritime nationale - Audition de M. Denis Robin, Secrétariat général de la mer (SGMer)
Mme Vivette Lopez, président. - J'ai l'honneur et le plaisir de remplacer ce matin le président Stéphane Artano, qui vous prie de l'excuser et d'accueillir en son nom Denis Robin, Secrétariat général de la mer.
Nous vous remercions vivement, monsieur le Secrétariat général de votre présence. Vous êtes accompagné de Nicolas Gorodetska, chargé de mission pour l'économie maritime et portuaire.
Notre délégation a engagé le 14 octobre 2021 un cycle d'auditions sur la place des outre-mer dans la stratégie maritime nationale. Nos collègues Philippe Folliot, Annick Petrus et Marie-Laure Phinera-Horth en sont les rapporteurs.
L'étude de la délégation a pour ambition de cerner les atouts que représentent les outre-mer dans la détermination de notre stratégie maritime nationale en réunissant les témoignages des principaux acteurs dans ce domaine.
Les outre-mer sont-ils suffisamment pris en compte dans la politique que mène l'exécutif ? Comment cette valorisation, souvent invoquée, se traduit-elle concrètement dans la réalité de nos collectivités ultramarines ? La présidence française du Conseil de l'Union européenne en 2022 sera-t-elle l'opportunité de promouvoir une vision incluant les outre-mer dans cet ensemble communautaire ? Ces questions sont au coeur des préoccupations des membres de notre délégation, quel que soit le territoire ou le groupe politique auquel ils appartiennent. Nous sommes donc particulièrement heureux de vous entendre ce matin, en raison des fonctions que vous occupez actuellement et de votre parcours, qui vous confèrent une vision privilégiée sur ces enjeux d'actualité.
Dans votre propos liminaire, je vous laisserai le soin de nous présenter votre action au regard de ces enjeux majeurs, dans le cadre de vos attributions. Puis je demanderai aux rapporteurs de bien vouloir formuler leurs questions, sachant qu'une trame vous a été adressée au préalable pour vous permettre de préparer cette réunion. Vous aurez à nouveau la parole pour leur répondre et je laisserai ensuite nos autres collègues qui le souhaitent vous interroger.
M. Denis Robin, secrétaire général de la mer (SGMer). - J'occupe les fonctions de Secrétariat général de la mer depuis trois ans et je suis préfet d'origine. J'ai été Secrétaire général aux affaires régionales de La Réunion et préfet de Mayotte. J'ai également exercé les fonctions de directeur de cabinet de la ministre des outre-mer, Marie-Luce Penchard, puis celles de conseiller aux affaires intérieures et de sécurité auprès du Premier ministre, François Fillon.
Le Secrétariat général de la mer est une administration de mission, qui compte une trentaine de collaborateurs. Il est directement rattaché au Premier ministre et sa mission est d'assurer, pour son compte et sous sa direction, une synthèse et une coordination de toutes les politiques ministérielles relatives à la mer. Le Secrétariat est organisé en trois pôles. Le premier est celui des affaires régaliennes, où le travail est mené avec l'ensemble des administrations ayant des moyens en mer, à commencer par la Marine nationale. Ce pôle traite de l'ensemble de l'action de l'État en mer, c'est-à-dire la lutte contre les trafics, le respect de la souveraineté de la France dans les eaux placées sous sa responsabilité, la question de la délimitation des espaces maritimes français et toutes les négociations internationales relatives aux questions de souveraineté, comme le programme Extraplac.
Le pôle économique et portuaire assure une relation permanente avec toutes les filières économiques qui travaillent sur la mer. Les grandes filières traditionnelles sont les armateurs, la construction navale et la pêche. Un ensemble de professions extraordinairement variées s'est également constitué autour de la mer et de l'océan.
Le Secrétariat accompagne ces professions agiles et innovantes dans leur développement, et ce phénomène est qualifié de « start-upisation » de l'économie de la mer.
Le pôle environnemental et européen est chargé de suivre toutes les démarches d'acquisition de la connaissance et de la recherche en mer, en liaison étroite avec le ministère de la transition écologique. Ces domaines se développent fortement, notamment grâce aux grands opérateurs français tels que l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer). Ce pôle est également chargé de suivre les mesures d'analyse de la dégradation du milieu océanique et la biodiversité, ainsi que les mesures pour protéger ces éléments fragiles.
Le Secrétariat travaille en relation étroite avec douze ministères en charge d'affaires maritimes, aussi divers soient-ils. Ainsi, le ministère de la culture, par le biais de son Département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines, possède deux bateaux en mer. L'outil de travail du Gouvernement en la matière est le Comité interministériel de la mer (CIMer), organisé annuellement et présidé par le Premier ministre. Il réunit ces douze ministères pour élaborer les politiques maritimes et fixer de nouvelles orientations.
Le Comité France maritime (CFM) a été créé en 2016 pour établir l'interface avec les filières économiques. Il est co-présidé par le président du Cluster maritime français et le Secrétariat général de la mer. Il réunit les grands dirigeants des filières économiques et les représentants des ministères qui travaillent avec ces filières. Ce comité est chargé de fixer un certain nombre de lignes directrices, d'identifier les points de blocages et les freins à lever pour faciliter le travail des filières, ainsi que d'accompagner le développement et le rayonnement de la France dans l'économie maritime mondiale. Le CMF instruit des demandes pouvant être examinées au CIMer.
Le Comité France océan (CFO) fonctionne sur le modèle du CFM mais ses interlocuteurs sont les ONG environnementales intervenant dans le domaine maritime. Nous partageons un certain nombre de constats et de diagnostics avec ces ONG et les administrations régaliennes de l'État. Ce comité porte également des propositions devant le CFM.
Le Secrétariat général de la mer est très attentif à la prise en compte des spécificités des outre-mer dans la stratégie maritime française. Premièrement, nous travaillons étroitement avec le ministère des outre-mer et la Direction générale des outre-mer. Des rencontres régulières sont organisées pour co-porter un certain nombre de politiques. Deuxièmement, dans le cadre de notre activité régalienne, une Conférence maritime régionale (CMR) est organisée annuellement pour chaque façade maritime en métropole et dans chaque bassin maritime en outre-mer. La CMR est co-présidée par le préfet de région de façade et par le préfet maritime, soit en outre-mer par le délégué de l'État en mer, qui est traditionnellement le préfet du territoire.
S'agissant du développement économique, nous avons créé, avec le président du Cluster maritime français, une déclinaison du CFM dans chaque territoire d'outre-mer, à l'exception de Mayotte. Le CMF outre-mer est animé par le président du Cluster maritime français, Frédéric Moncany de Saint-Aignan, la Directrice générale des outre-mer et moi-même. Il se tient une fois par an et le prochain aura lieu au mois de décembre. En outre, Frédéric Moncany de Saint-Aignan et moi avons pris l'habitude de nous rendre dans les régions et collectivités d'outre-mer afin de rencontrer les clusters maritimes régionaux et de les accompagner dans leur développement.
Mme Annick Petrus, rapporteure. - En quoi la création d'une Direction générale de la mer au 1er janvier 2022 changera-t-elle le périmètre des compétences du Secrétariat général de la mer ?
Quel bilan peut-on tirer pour les outre-mer de la stratégie maritime nationale 2017-2022 ? Où en est-on dans l'élaboration et dans l'application des documents stratégiques de bassin outre-mer ?
Quels sont les principales faiblesses et les freins encore à lever dans la valorisation des atouts maritimes des outre-mer ?
Quelles sont les projections sur la ZEE ultramarine s'agissant notamment des zones où les ressources marines sont exploitables, des perspectives en termes d'emplois créés, ainsi que des innovations techniques à réaliser ?
M. Denis Robin. - La création d'une Direction générale de la mer a été demandée par la ministre de la mer, Annick Girardin, afin de disposer de services en propre pour mener son action ministérielle à la suite de la re-création de son ministère. Les deux directions du ministère de la mer étaient placées en coresponsabilité : la Direction des pêches maritimes et de l'aquaculture (DPMA) avec le ministère de l'agriculture et de l'alimentation, et la Direction des affaires maritimes (DAM) avec le ministère de la transition écologique, délégué aux transports.
La création de la Direction générale de la mer a pour vocation de structurer un service central du ministère de la mer directement placé sous la seule autorité de la ministre. L'arbitrage rendu par le Premier ministre consiste à créer cette Direction générale par la fusion de la DPMA et de la DAM. La DAM a pour responsabilité les questions de sécurité des navires, de réglementation maritime, de représentation de la France à l'Organisation maritime nationale ainsi que le suivi des gens de mer, dont la gestion du régime social des marins, l'Enim. Le périmètre d'action du Secrétariat général de la mer n'est pas, à ce stade, impacté par la création de la Direction générale de la mer.
La Stratégie nationale maritime et littorale (SNML) 2017-2022 s'applique aux outre-mer et prévoit la mise en place de quatre documents stratégiques de bassin : Antilles, Guyane, sud de l'océan Indien et Saint-Pierre-et-Miquelon. Les deux territoires du Pacifique ne sont pas concernés puisqu'en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie, la compétence maritime et la compétence sur la ZEE ont été transférées aux gouvernements territoriaux.
Deux documents de bassin ont été réalisés et adoptés, le document Sud océan-Indien, qui regroupe les territoires de La Réunion et de Mayotte, et celui des Antilles. Le document de la Guyane devrait être finalisé en 2022 et celui de Saint-Pierre-et-Miquelon est plus difficile à réaliser, mais les travaux se poursuivent. Ces documents font un état des lieux de l'environnement marin dans le bassin et un recensement des activités littorales et maritimes. Ils assurent également un recensement des enjeux et ébauchent une cartographie du partage des différentes activités économiques sur le littoral. Ce sont des documents non contraignants, qui font office de guide pour la planification sur une période de six ans. Ce document permet aux différents acteurs de travailler ensemble pour définir une vision commune de l'activité maritime et littorale.
Ces documents ont inspiré la politique du Gouvernement, car dans la même période, le CIMer a arbitré un nombre significatif de mesures pour les outre-mer. Au cours du quinquennat, sur 147 mesures arrêtées par le CIMer, 31 concernent les outre-mer, témoignant de leur poids significatif dans les décisions maritimes du Gouvernement. Sur ces 31 mesures, 7 sont totalement réalisées et mises en oeuvre, 16 sont toujours en cours de réalisation, conformément au calendrier prévu, et 7 aboutiront dans un calendrier plus long. Une seule mesure est totalement bloquée, le développement des formations maritimes en outre-mer par l'ouverture dans au moins chaque territoire d'un établissement d'enseignement maritime.
Il existe de manière globale un frein de nature culturelle, qui fait que les outre-mer ne se sont jamais tournés vers le maritime, à l'exception très notable de la Polynésie française qui vit d'activités maritimes depuis très longtemps. De plus, il existe chez les chefs d'entreprise une vision très domestique de l'activité maritime, c'est-à-dire tournée vers une relation bilatérale entre la métropole et le territoire, notamment pour l'approvisionnement. Toutes les tentatives que nous avons essayé d'initier pour créer une coopération entre les collectivités sur des sujets maritimes ont échoué. La dernière en date était la création d'un conseil commun entre trois ports Antilles-Guyane : Fort-de-France en Martinique, Pointe-à-Pitre en Guadeloupe et Dégrad des Cannes en Guyane.
Ce comité n'a pas donné lieu aux effets escomptés, à savoir définir la complémentarité entre eux, dans les trafics et dans les activités économiques. Sur les questions maritimes, la formation a pris beaucoup de retard dans les territoires ultramarins. Pour remédier à cela, il faudrait convaincre les jeunes et leurs familles que le sujet maritime apporte des opportunités et que la mer n'est pas que porteuse de risques et de dangers.
La transposition automatique sur nos territoires de la réglementation de l'Union européenne sur les questions maritimes et littorales est une source de frein. L'Europe apporte tout de même des fonds qui permettent à nos territoires de se développer, notamment sur le plan maritime, mais elle impose aussi une réglementation stricte. Par exemple, l'Union européenne interdit les subventions à l'augmentation des capacités des moyens de pêche et à leur modernisation. Elle a tout de même accepté de faire une exception pour les territoires d'outre-mer, montrant que la spécificité ultramarine a été prise en compte, mais avec des conditions telles, qu'aujourd'hui, nous n'avons toujours pas su mettre en oeuvre ces fonds d'aide aux flottilles de pêche ultramarines. L'Europe demande des états précis et des historiques des ressources de pêches dans les ZEE françaises en outre-mer et nous rencontrons des difficultés à apporter ce type d'éléments.
Les outre-mer sont une vitrine de la France dans le monde, mais dans certains domaines, cette vitrine est négative. Par exemple, la politique énergétique française dans les territoires d'outre-mer n'est pas digne des ambitions affichées au niveau national. Tous sont encore alimentés par des centrales thermiques et il serait normal que la Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) de chaque territoire comporte au moins un moyen d'énergie renouvelable, si possible maritime. Il est important de montrer à ces populations que la mer peut être source de richesses. En Guyane, il est question de la mise en place d'une structure de coordination de l'économie bleue et de porter une vision commune de ce qui pourrait être développé en mer, autre que la pêche. La Polynésie française est en train de développer une stratégie variée et intéressante autour de la mer, en faisant appel aux composants traditionnels comme la pêche et la croisière, mais aussi à des innovations et des territoires nouveaux. La Réunion fait des progrès importants en matière maritime, notamment son port, qui est le seul à être devenu un hub régional et à accueillir des trafics régionaux pour les redistribuer sur l'ensemble de la zone. Un autre exemple de cette réussite réunionnaise est la relocalisation de la réparation navale sur gros bateaux, qui avait été délocalisée à l'île Maurice. Par le passé, la Marine nationale n'avait d'autre choix que d'emmener ses bateaux à Maurice pour les faire caréner. Un travail de qualité a été réalisé avec les professions portuaires, les acteurs locaux et les collectivités pour relocaliser cette activité à La Réunion en créant un dock de réparation navale dans ce port.
M. Philippe Folliot, rapporteur. - Saint-Pierre-et-Miquelon s'est également beaucoup tourné vers la mer, comme en Polynésie française.
Sur les enjeux de souveraineté, 95 % des moyens de la Marine nationale sont basés dans l'Hexagone, alors que 97,5 % de notre ZEE est liée aux outre-mer. En tant que Secrétaire général de la mer, ceci vous interpelle-t-il ? De plus, une rupture capacitaire est prévue d'ici 2030, au travers du remplacement des bateaux de surveillance et notamment de celui des P400. Cela vous inquiète-t-il pour pouvoir exercer des éléments de souveraineté sur notre ZEE ?
Qu'a permis concrètement l'obtention en 2015 de 580 000 km2 d'espace maritime supplémentaire au titre de la procédure Extraplac, relative au plateau continental ? Quels projets en sont nés ? La France avait déposé une demande d'extension du plateau continental pour l'île de la Passion-Clipperton et l'a retirée quelques jours après. Pourquoi avoir fait cela ?
Quels moyens de protection des câbles sous-marins sont déployés par la France face à la montée des menaces, notamment dans le Pacifique ?
Concernant l'Indopacifique, quelles peuvent être les matérialisations pour les collectivités françaises des stratégies indopacifiques française et européenne en matière de coopération militaire, scientifique ou industrielle ? Existe-t-il un enjeu particulier pour la Nouvelle-Calédonie où se tient un referendum prochainement ? Par rapport aux Antilles-Guyane, quels sont les moyens de l'action de l'État en mer dans la lutte contre le narcotrafic et la pêche illégale ?
M. Denis Robin. - Le désintérêt des Français pour la mer observé dans l'Hexagone est en train de changer. Les prises de position, les réactions sur les questions maritimes montrent que la population prend conscience que de nombreux enjeux de son développement économique, social, humain, se jouent sur la mer. Toutes les régions littorales métropolitaines ont créé une direction régionale des affaires maritimes, alors que seule la Bretagne avait jusque-là réalisé un tel investissement.
Nous allons faire face à une période d'affaiblissement de notre présence de souveraineté dans les outre-mer, dû à un retard dans les décisions de renouvellement de nos moyens. Notre présence outre-mer reposait sur le programme ancien des P400, mis en service dans les années 1990. Ils arrivent aujourd'hui en fin de vie, certains ont déjà été désarmés. Ils devaient être remplacés par des patrouilleurs de nouvelle génération, les Patrouilleurs outre-mer (POM), spécifiquement conçus pour la surveillance de nos intérêts dans les outre-mer, mais cette décision a été longtemps différée. Une période d'environ quatre ans sera observée entre le désarmement des P400 et la mise en service des POM.
Les Patrouilleurs Antilles Guyane (PAG) ont déjà été déployés dans les Antilles et en Guyane. Le risque de rupture capacitaire est moins élevé dans ces territoires et va impacter plus lourdement ceux de l'océan Indien et du Pacifique. De plus, aux Antilles, les douanes ont veillé au renouvellement régulier de leurs vedettes garde-côtes pour lutter contre les narcotrafics. Ces trois vedettes ont été remplacées en 2020 et en 2021. En Guyane, des travaux ont été menés pour prolonger la durée de service des vedettes côtières de surveillance maritime. Pour le reste des territoires, la Marine nationale devra fournir des efforts pour compenser cette période de faiblesse par l'envoi de bâtiments en outre-mer et en multipliant le temps de présence dans les ZEE françaises.
Lorsque la France s'est engagée dans le programme Extraplac, les modalités précises de ce qu'elle pourrait faire de ces extensions de plateau extracontinental n'étaient pas connues. L'intuition générale était d'utiliser tout de même ce droit ouvert par convention internationale pour préserver des possibilités d'exploitations futures. Ce programme permettait aux différents États côtiers de déposer des demandes de prolongation de leurs droits sur le sous-sol, mais pas sur la colonne d'eau, dans le prolongement de leurs ZEE. Ces demandes ne devaient pas faire l'objet de contestations par d'autres États, sous contrôle des Nations-Unies, et être déposées avant 2009. La France l'a fait pour un million de km2 supplémentaire par rapport à ses 10,2 millions de km2 de ZEE. Nous avons d'ores et déjà obtenu la reconnaissance de nos droits sur 600 000 km2 supplémentaires. Il nous reste quatre dossiers en attente d'examens, celui de Wallis-et-Futuna, déposé conjointement avec Tuvalu et Tokelau, qui n'est pas contesté et qui devrait aboutir prochainement. Le dossier sur la Polynésie française autour des Australes ne fait pas l'objet non plus de contestations. Le dossier sur l'est de la Nouvelle-Calédonie fait l'objet d'une contestation par le Vanuatu. Nous devons dans un premier temps lever le contentieux international avant de pouvoir faire aboutir notre demande auprès des Nations Unies. Le dossier de Saint-Pierre-et-Miquelon est contesté par le Canada.
Ces extensions sont des zones intéressantes d'accroissement des connaissances des fonds marins. Pour instruire les dossiers Extraplac, nous mobilisons nos opérateurs maritimes pour faire de la reconnaissance géologique permettant l'instruction, ce qui apporte une bien meilleure connaissance des grands fonds et notamment des systèmes vivants qui s'y développent. Le programme Extraplac a été un excellent stimulateur de la recherche française dans les grands fonds.
Cela a permis de soutenir les demandes de l'opérateur Ifremer pour des moyens en bateaux hydrographiques. À ce jour, nous ne faisons aucune exploitation dans les grands fonds.
La France est une grande puissance câblière mondiale. Elle dispose de deux opérateurs, fleurons de l'industrie française, Alcatel Submarine Networks et Orange Marine, reconnus dans le monde entier. Ces opérateurs ont déployé des moyens dans tous les bassins du monde et sont capables d'intervenir sur leurs câbles en toutes circonstances. 95 % du trafic de données passe par les câbles sous-marins, ce qui en fait un sujet sensible. La surveillance de ces câbles revient à la Marine nationale. Des évolutions technologiques incroyablement rapides sur ces câbles accroissent la sensibilité du sujet. Des câbles dits intelligents sont développés, qui transportent la donnée et qui deviennent également des collecteurs de données récoltées autour d'eux, par exemple des analyses biologiques de l'état chimique de la mer.
La stratégie Indopacifique est une stratégie diplomatique d'affirmation des intérêts de la France dans un gigantesque bassin maritime, en relation avec des pays qui se reconnaissent dans les valeurs que nous voulons porter dans ce bassin. La France n'est pas un État de passage dans le Pacifique, mais un État voisin des autres puissances. Ainsi, le Président de la République a présidé le cinquième sommet France-Océanie, en juillet 2021. Un volet de lutte contre les trafics et contre la pêche illégale est intégré dans cette stratégie. Il comprend un renforcement des réseaux de garde-côtes, un meilleur partage des informations entre les pays concernés, notamment du Pacifique, des échanges de données sur la localisation de flottilles de pêche asiatiques, la mise en place d'opérations de police des pêches entre les États dans le cadre de l'Organisation régionale de la gestion des pêches (ORGP) du Pacifique. Un pilier formation a également été ajouté, que nous souhaitons développer avec les États volontaires du Pacifique pour les aider à monter en gamme dans leurs fonctions de garde-côtes. Nous organisons un séminaire des garde-côtes des États îliens du Pacifique du 15 au 17 novembre 2021.
De plus, la France a instauré un dialogue bilatéral maritime avec le Japon. Tous les ans, nous initions un échange avec les administrations japonaises s'occupant de la mer, sur des sujets militaires, stratégiques, garde-côtes, des sujets de développement économique et de protection de l'environnement. Nous développons avec les Japonais un laboratoire sur les fonds sous-marins en Nouvelle-Calédonie. Le sommet bilatéral maritime franco-japonais de 2021, organisé par la France, s'est tenu sur ce territoire. Les collectivités et territoires concernés ne sont malheureusement pas forcément intéressés par ces initiatives.
Sur le bassin Antilles-Guyane, le narcotrafic est en pleine explosion avec des saisies de produits stupéfiants, notamment en mer, de plus en plus nombreuses. Malheureusement, le volume important de la production de drogue compense largement les saisies que nous réalisons. Le dispositif actuel est aujourd'hui efficace, entre les acteurs locaux, la Marine nationale, la douane, le préfet local et le Secrétariat général de la mer, représentant le Premier ministre et autorisant l'ouverture du feu dans le cadre de cette mission. Il mobilise deux frégates de surveillance, un patrouilleur de la Marine nationale, un bâtiment de soutien et d'assistance, un patrouilleur côtier de la gendarmerie maritime, quatre vedettes garde-côtes des douanes, des moyens aériens (deux hélicoptères et un avion Falcon50, deux hélicoptères et deux avions des douanes, deux hélicoptères de la gendarmerie maritime). Au-delà des opérations que nous faisons sur initiative, nous organisons plusieurs fois par an, des opérations coordonnées et préparées avec la présence de fusiliers-marins et de tireurs d'élite de la Marine nationale pour arrêter les pratiques de gofast dans les Caraïbes.
Au-delà des moyens, la suite de l'action et la sanction sont très importantes. La France possède un dispositif juridictionnel très atypique. Tous les bassins maritimes du monde sont rattachés à un Tribunal de grande instance (TGI) et donc à un procureur de la République.
Ainsi, quel que soit l'endroit où un bâtiment de la Marine nationale interpelle et arrête un bateau se livrant à un trafic, un procureur de la République de référence couvre de son autorité l'opération en cours et peut donner des instructions, même en dehors des eaux françaises territoriales. Le bateau peut être dérouté dans les eaux françaises, pour répondre à la justice. Le procureur de la République peut également exprimer qu'il n'organisera pas de suites judiciaires, et rendre les pouvoirs au commandant du bateau de la Marine nationale. Ce dernier peut prendre des mesures administratives de destruction immédiate des cargaisons ou des biens objets de l'infraction. De la même façon, en matière de pêche, le commandant du bateau peut procéder à une saisie administrative des produits de la pêche et également des engins de pêche, comme les filets, ce qui crée une sanction économique tout à fait réelle pour le contrevenant. La France a des moyens pour faire respecter sa souveraineté, mais elle a surtout mis en place un dispositif juridictionnel et de sanction qui prouve son efficacité.
Au-delà du contrôle quotidien de la pêche en Guyane, de grandes opérations coordonnées sont organisées une à deux fois par an. L'augmentation significative de la violence lors de ces opérations de contrôle est un phénomène particulièrement inquiétant. Auparavant, les contrevenants n'opposaient aucune résistance lors des contrôles, ce qui n'est plus du tout le cas. La Marine nationale et les douanes doivent faire face à des déchaînements de violence, se traduisant par des jets d'engins lourds et contondants, ou l'aspersion de produits inflammables. Nous devons mobiliser des profils de type commando-fusilier sur ces contrôles.
Mme Marie-Laure Phinera-Horth, rapporteure. - Les pêcheurs guyanais subissent des violences tous les jours. Ils ont organisé une réunion le vendredi 29 octobre 2021 à l'initiative du maire de Sinnamary, Michel-Ange Jérémie. Ils ont exposé leurs inquiétudes aux parlementaires, députés et sénateurs. Les pêcheurs guyanais expliquaient la présence de pêcheurs clandestins du Suriname, du Guyana, du Brésil dans nos eaux territoriales, qui n'hésitaient pas à leur tirer dessus. L'immigration est également un problème et un bâtiment des douanes a été percuté délibérément par un bateau de passeur le 30 octobre 2021. En Guyane, la mer n'est pas sécurisée. Ces pêcheurs demanderont certainement une audition auprès du Secrétariat général de la mer ou auprès de la ministre de la mer.
Que fait l'État des permis d'exploitation obtenus auprès de l'Autorité internationale des fonds marins (AIFM) ? Quels acteurs publics et privés sont investis dans ces recherches et comment attirer davantage de capitaux outre-mer pour financer ces projets ?
Présentés depuis longtemps comme une ressource d'avenir, les nodules polymétalliques vont-ils enfin faire l'objet de projets d'exploitation à court terme ?
Quelles sont les ambitions en matière de formation aux métiers maritimes en outre-mer et comment les concrétiser ?
Quels sont les chantiers prioritaires à conduire pour que les ports ultramarins soient davantage des vecteurs économiques et non pas seulement des zones d'importations ? Quel est le bilan de la réforme des grands ports maritimes (GPM) de 2012 pour les DROM ?
M. Denis Robin. - La France vient enfin de se doter d'une stratégie nationale des grands fonds marins. Une première ébauche avait été formulée lors du CIMer de 2015. En 2018, le premier ministre a souhaité que le Secrétariat général de la mer reprenne cette initiative et réunisse à nouveau les partenaires pour comprendre comment soutenir, notamment avec le secteur privé, une stratégie ambitieuse des grands fonds marins. La France fait partie d'un groupe très restreint de pays capables d'intervenir dans les grands fonds marins, et l'objectif de cette stratégie était de s'assurer que la France se maintienne dans ce groupe pour les prochaines décennies.
Traditionnellement, les ressources minérales des grands fonds sont citées, mais nous avons l'intuition qu'il existe également des ressources biologiques et génétiques importantes pour alimenter la recherche médicale.
La France dispose de plusieurs atouts. Le premier est son territoire maritime, qui est le deuxième plus important au monde avec des ZEE de typologies très diverses. Deuxièmement, la France a investi dans des permis et possède aujourd'hui deux permis de l'Agence internationale des fonds marins (AIFM), alors qu'il existe seulement trente permis délivrés dans le monde. Le troisième atout de la France réside dans ses opérateurs historiques et leurs moyens technologiques et scientifiques, que peu de pays détiennent, pour descendre dans les grands fonds. Notre leader en la matière, Ifremer, veille à entretenir sa flotte sous-marine et ses moyens d'investigation sous-marins. La stratégie nationale des grands fonds marins a été validée au CIMer en janvier 2021 et comporte cinq priorités pour les dix prochaines années.
La première consiste à renforcer de façon significative les programmes de recherche sur les grands fonds marins, notamment par des financements de l'Ifremer. Ce volet est estimé entre 90 à 100 millions d'euros. Le deuxième volet consiste à multiplier les campagnes de recherche en mer et à engager un travail de prospection pour déterminer les richesses des fonds sous-marins français. Aujourd'hui, il existe un certain nombre de démonstrateurs, mais il n'existe pas dans le monde d'exploitation au sens industriel du terme des grands fonds. La France doit mettre au point sa technologie, et nous avons prévu dans la stratégie le financement d'un démonstrateur en réel de nos capacités d'extraction. Ce projet coûtera environ 100 millions d'euros. Le Président de la République a expliqué clairement que la phase d'exploitation ne sera pas engagée tant que les recherches n'auront pas permis de mesurer l'impact de cette exploitation sur le milieu marin, et qu'aucune activité humaine dans les fonds se sera mis en place si elle déstabilise les écosystèmes et les organismes vivants de ces grands fonds.
Deuxièmement, la population française doit être en phase avec ces évolutions. Elle avait eu une réaction très brutale aux perspectives d'exploitation du gaz de schiste sur le territoire français et nous ne voulons pas revivre cela sur la question des grands fonds. Un programme doit être mis en place favorisant la transparence, l'explication des enjeux, de diffusion régulière des résultats et des recherches sur l'impact des activités dans les grands fonds afin que la société française soit parfaitement informée de ces sujets. Nous multiplions aujourd'hui les activités de recherche dans nos grands fonds et dans les deux zones pour lesquelles nous disposons d'un permis, Clarion-Clipperton et la dorsale Atlantique, mais nous n'avons pas initié la phase d'exploitation. L'AIFM, qui a élaboré un règlement pour délivrer des permis d'exploration, n'a à ce jour pas mis au point de règlement pour délivrer des permis d'exploitation. Or, la République de Nauru, qui travaille avec le Canada sur ces questions, vient de demander à l'AIFM la transformation d'un permis d'exploration en permis d'exploitation.
La stratégie française est en outre soutenue par une décision récente du Président de la République, puisque les grands fonds font partie des priorités retenues pour les financements de France 2030, c'est-à-dire les filières industrielles stratégiques. Nous allons bénéficier de financements publics complémentaires pour mettre en oeuvre cette stratégie.
Par rapport aux nodules polymétalliques, la France mise davantage sur deux autres ressources que sont les amas sulfurés et les encroûtements cobaltifères, très riches minéraux stratégiques et notamment en terres rares. Le permis de Clarion-Clipperton concerne surtout les nodules polymétalliques, tandis que le permis de la dorsale Atlantique porte plutôt sur les amas sulfurés.
La question du passage de l'exploration à l'exploitation est compliquée. Premièrement, les campagnes de recherches doivent être complétées et apporter des éléments indiscutables sur la capacité à gérer les impacts d'une éventuelle exploitation sur le milieu marin. Deuxièmement, il faut que la technologie soit au point. Troisièmement, l'écosystème économique et industriel français doit être au rendez-vous, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Les groupes miniers français ont un intérêt relatif pour cette stratégie, portée sur le long terme et risquée. La stratégie nationale des grands fonds marins et tout l'investissement réalisé doit être l'occasion de faire émerger un pôle de performance technologique et industriel français, qui pourra être au rendez-vous de notre exploitation.
La formation aux métiers maritime en outre-mer constitue le point faible de notre bilan. La décision avait été prise au CIMer de développer dans chacun des territoires d'outre-mer au moins un établissement maritime, collège ou lycée. Nous en sommes très loin. Cette ambition pourrait être reformulée, à commencer par le développement de classes maritimes dans les collèges et lycées existants. Le Gouvernement a mis en place le Brevet d'Initiation à la Mer (BIMer), qui permet à des classes volontaires de troisième de développer un enseignement sur les enjeux maritimes. Ce BIMer se développe dans les territoires outre-mer.
Les ports d'outre-mer sont considérés et se considèrent eux-mêmes comme des vecteurs du trafic métropole-régions d'outre-mer. Le port de La Réunion est le seul à être devenu un hub régional. Maurice était le hub historique du sud de l'océan Indien, mais il est désormais saturé et il doit faire face à de nombreux problèmes structurels. La Réunion a saisi cette opportunité et a investi fortement dans le port de la Pointe des Galets. Ce succès doit être analysé, afin de comprendre dans quelle mesure il pourrait être reproduit dans d'autres bassins maritimes. Deuxième élément, nos ports ont une vision patrimoniale du foncier portuaire. Cela est compréhensible pour certains, comme le port de Fort-de-France qui est très enclavé, et dont les capacités de développement sont faibles. En revanche, d'autres ports ont des réserves foncières, qui sont considérées comme un actif patrimonial par le port alors qu'elles pourraient être des opportunités de développement économique, en lien avec la mer et les activités portuaires. Le port pourrait devenir une pépinière d'entreprises en lien avec le maritime. Le Gouvernement a validé en CIMer une stratégie nationale portuaire, qui s'applique aux ports d'outre-mer. Elle repose sur deux volets, la numérisation et le verdissement. Dans un monde économique où la réputation est importante, les armateurs et les chargeurs seront très sensibles à la qualité des outils logistiques qu'ils utilisent.
Mme Victoire Jasmin. - La Guadeloupe ne se trouve qu'aux prémices en matière de formation. Celle-ci prévoit également de développer l'économie bleue qui y est encore très limitée. Certains jeunes commencent à s'intéresser aux métiers de la pêche. Le problème se pose en raison du coût des carburants, alors que les limites de pêche sont repoussées à cause de la présence de chlordécone dans l'environnement. De plus, ces pêcheurs sont parfois obligés de sortir des limites territoriales, et subissent le coût des amendes qui leur sont adressées. Les pêcheurs vivent difficilement de ce métier. Enfin, d'autres difficultés proviennent des coûts élevés de cabotage entre la Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélemy ainsi que des flux migratoires avec Haïti, la République Dominicaine et la Dominique.
Mme Vivette Lopez, présidente. - J'ai participé à une session « enjeux et stratégies maritimes » de l'Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN). Nous allons travailler avec le ministère de l'éducation nationale pour créer des classes sur les enjeux maritimes, pour faire découvrir aux élèves des métiers insoupçonnés de la mer. L'une de ces classes a été inaugurée en octobre 2021 à Barcelone, dans un lycée français. Ces travaux seront menés dans l'Hexagone et dans les territoires d'outre-mer. Ils concerneront dans un premier temps les élèves de quatrième, sur les thèmes de la piraterie et la pollution.
Ne craignez-vous pas que nous commettions les mêmes erreurs environnementales en mer que sur terre ?
M. Denis Robin. - Au moment historique où notre société prend conscience du rôle de la mer dans les sujets du dérèglement climatique et de nos activités économiques et sociales, elle découvre en même temps les dégradations commises envers l'océan, que ce soit l'augmentation de la température de l'eau, l'acidification et un début de basculement de la biodiversité marine. Nous ne sommes plus au stade de la prévention, nous devons entrer dans une phase de restauration et de reconstruction des écosystèmes marins.
À l'instar de ce que nous faisons dans les grands fonds, nous nous entourons de protections, ce qui allonge terriblement les délais et fait fuir les investissements. Mais il est inenvisageable pour la France de lancer des activités humaines et économiques sans être capable de mesurer et de prévenir leurs impacts. De plus, malheureusement, l'immense majorité des sources de pollutions maritimes sont d'origine terrestre. Le travail de sensibilisation à fournir n'est pas tant à faire auprès des gens de mer, mais après des populations qui ne se sentaient pas concernées.
Mme Vivette Lopez, présidente de séance. - Merci, Monsieur le secrétaire général.
Étude sur la place des outre-mer dans la stratégie maritime nationale - Audition de Mme Sophie Brocas, directrice générale, accompagnée de M. Mikaël Quimbert adjoint à la sous-directrice des politiques publiques et de Mme Camille Goyer, directrice de cabinet, à la direction générale des outre-mer (DGOM)
Mme Vivette Lopez, présidente. - La Délégation sénatoriale aux outre-mer a engagé le 14 octobre dernier un cycle d'auditions sur la place des outre-mer dans la stratégie maritime nationale. Nos collègues Philippe Folliot, Annick Petrus et Marie-Laure Phinera-Horth en sont les rapporteurs.
L'étude de la délégation a pour ambition de cerner les atouts que représentent les outre-mer dans la détermination de notre stratégie maritime nationale. Nous savons que notre pays dispose du deuxième domaine maritime mondial, que 97 % de celui-ci provient des outre-mer et que les deux tiers sont situés dans le Pacifique.
Mais elle a aussi pour objectif de cerner les faiblesses éventuelles de cette stratégie nationale. L'État valorise-t-il suffisamment ce potentiel ? Comment cette valorisation, souvent mise en avant, se traduit-elle concrètement dans la réalité de nos collectivités ultramarines ? Ces questions sont au coeur des préoccupations des membres de notre délégation, quel que soit le territoire ou le groupe politique auquel ils appartiennent.
En tant que parlementaires, nous souhaitons également participer à la préparation de la présidence française du Conseil de l'Union européenne en 2022, en essayant notamment de promouvoir une vision incluant les outre-mer dans cet ensemble communautaire. Et nous avons tous bien entendu à l'esprit le contexte particulier créé par la récente « crise des sous-marins ».
Nous sommes donc particulièrement heureux de vous entendre ce matin, Madame la directrice, car les fonctions que vous occupez actuellement à la tête de la direction des outre-mer constituent un poste d'observation et d'action privilégié sur ces enjeux d'actualité. Le président Stéphane Artano retenu par une obligation m'a priée de bien vouloir l'excuser auprès de vous.
Dans votre propos liminaire, je vous laisserai le soin de nous présenter votre action au regard de ces enjeux majeurs, dans le cadre de vos attributions.
Puis je demanderai aux rapporteurs de bien vouloir formuler leurs questions, sachant qu'une trame vous a été adressée au préalable pour vous permettre de préparer cette réunion.
Vous aurez à nouveau la parole pour leur répondre et je laisserai ensuite nos autres collègues qui le souhaitent vous interroger.
Je vous précise encore que cette séance fait l'objet d'une captation audiovisuelle et sera disponible en VOD sur le site internet du Sénat.
Mme Sophie Brocas, directrice générale, Direction générale des outre-mer (DGOM). - Les outre-mer participent à la puissance maritime de la France en raison de l'importance de la surface maritime qu'ils couvrent soit 97 % des 10,2 millions de kilomètres carrés sous souveraineté et juridiction française. Les outre-mer représentent également 80 % de la biodiversité française et englobent des enjeux particuliers de protection des coraux et des mangroves, sur lesquels nous menons une action volontariste. Les outre-mer sont un potentiel immense en matière d'exploration, d'exploitation, d'énergie renouvelable, de tourisme, de développement, de croissance et d'avenir. Ils sont une parcelle de France répartie dans trois océans.
La Direction générale des outre-mer est une administration de mission comptant 137 agents qualifiés, issus de vingt-cinq origines ministérielles et experts en différentes matières. Ils sont nos intercesseurs auprès des ministères ayant la responsabilité métier des sujets que nous traitons. Nous comptons dans nos effectifs trois fonctionnaires ayant travaillé au contact de ces problématiques maritimes, dont Mikaël Quimbert qui a exercé des fonctions en Nouvelle-Calédonie.
Notre administration a principalement pour objectif d'être une spécialiste des outre-mer, c'est-à-dire d'en connaître les spécificités géographiques, sociologiques, culturelles, juridiques, politiques. Cette expertise permet au ministère d'être un avocat convaincu et convaincant auprès des autres ministères et administrations pour faire valoir ces spécificités et adapter en conséquence les dispositifs et les politiques publiques élaborés au niveau national, de sorte qu'elles produisent leur plein effet dans les outre-mer. Nous jouons également un rôle d'inspirateur pour contribuer à ce que les politiques de l'État répondent à ces spécificités. Notre administration contribue à éclairer les autres ministères chargés d'élaborer la stratégie maritime en leur apportant notre expertise.
L'action du ministère des outre-mer en matière de stratégie nationale maritime se décline en quatre axes majeurs. Le premier axe est régalien, car les océans sont l'objet de prédations nombreuses sur les ressources, que ce soient les matériaux rares des grands fonds ou les ressources halieutiques. Cette pression sur la ressource, exercée par certains pays, est particulièrement prégnante dans le Pacifique et dans l'océan Indien. La France peut s'enorgueillir d'assurer une protection de sa ZEE de manière efficace. Les menaces liées aux trafics de stupéfiants sont inquiétantes, notamment aux Antilles où quatre tonnes de stupéfiants sont saisies chaque année. À Mayotte, le trafic d'êtres humains est alimenté par sa proximité avec les Comores. Les menaces liées au réchauffement climatique sont nombreuses, telles que l'acidification, l'eutrophisation, le recul du trait de côte. Ces pressions s'exercent sur des espaces qui ne sont pas stabilisés sur le plan diplomatique. De nombreux îlots sont contestés par d'autres États, notamment l'île Tromelin, contestée par Maurice ou les îles Éparses, qui font l'objet de discussions avec Madagascar ou encore les îles Matthew et Hunter, revendiquées par le Vanuatu. En dépit de ces espaces qui donnent lieu à des contestations et des débats juridiques, la France continue de s'agrandir. En 2020, 150 000 km2 ont été ajoutés au large de La Réunion du côté de Saint-Paul et Amsterdam. En tout, 730 000 km2 de fonds ont été accordés par l'ONU et 500 000 km2 sont aujourd'hui à l'étude.
La deuxième priorité est l'économie bleue. Nous sommes membres du Comité interministériel de la mer (CIMer) et un partenaire privilégié du Secrétariat général de la mer, qui est très attentif aux problématiques ultramarines. Dans les différentes instances auxquelles nous participons, nous faisons valoir les spécificités des outre-mer. Ainsi, nous avons demandé à nos partenaires de prendre en compte les outre-mer sur le volet maritime dans le Plan de relance. Cela a permis de mobiliser 21,3 millions d'euros pour le verdissement des ports, un chantier d'avenir important avec l'électrification des quais et des pratiques de réduction de l'empreinte carbone. Également, 2,3 millions d'euros ont été attribués pour la protection de la biodiversité dans le parc marin de Mayotte. Grâce à notre expertise, nous défendons l'économie bleue aux côtés du ministère de l'agriculture et de l'alimentation dans les instances européennes, notamment sur les discussions avec la Commission européenne pour le renouvellement et la modernisation de la flotte. Nous plaidons pour que le régime d'aide de la Commission, qui avait été supprimé en 2008, soit rétabli. Nous contribuons également aux discussions sur l'aide à la structuration et à la modernisation des filières. Nous prenons parfois des initiatives pour regrouper les acteurs, notamment avec le Conseil interportuaire Antilles-Guyane.
Notre troisième priorité est l'environnement. Le ministère des outre-mer est un acteur convaincu et infatigable de la protection de la biodiversité aux côtés du ministère de la transition écologique et de l'Office français de la biodiversité (OFB). Ainsi, nous sommes volontaristes dans la protection des récifs et des mangroves, avec des objectifs ambitieux fixés par le Président de la République de 75 % de niveau de protection. Nous soutenons activement l'Initiative française pour les récifs coralliens (IFRECOR) et d'autres initiatives privées. Par exemple, la Fondation de la mer a créé une plateforme « SOS corail » qui permet à des particuliers de soutenir la protection des récifs coralliens. Lorsque la Fondation de la mer finance à hauteur de 1 euro ces initiatives, le ministère des outre-mer et le ministère de la transition écologique les financent à hauteur du même montant.
Un travail de conviction est mené pour nouer des partenariats avec les gouvernements des collectivités du Pacifique, car en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie, ces compétences appartiennent aux gouvernements locaux. Nous sommes particulièrement attentifs à la création des aires marines protégées. Le Président de la République a pris un engagement ambitieux avec l'objectif de 30 % des mers protégées dont 10 % de protection forte. Les outre-mer comptent les aires marines protégées les plus vastes du monde, avec la mer de corail en Nouvelle-Calédonie, ainsi que les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF). L'enjeu futur consiste à amener la Polynésie française à créer une aire marine protégée sur son territoire. Le bilan sera fait au Sommet des océans qui se tiendra en janvier 2022 à Brest. De plus, des aires marines éducatives (AME) ont été créées dans les outre-mer, qui ont vu le jour initialement aux îles Marquises, pour sensibiliser les jeunes générations. Ainsi, les jeunes Marquisiens sont amenés à prendre en charge eux-mêmes, sous supervision de leurs enseignants, la protection d'une portion du lagon.
Le ministère des outre-mer dirige le « Plan sargasses II », qui va être soumis à la concertation interministérielle et des collectivités prochainement, pour une adoption en CIMer avant la fin de l'année 2021. Une approche plus coopérative est proposée. De plus, l'échouage des sargasses ne doit plus être considéré comme un problème ponctuel, mais comme une menace continue. Une organisation industrielle doit être mise en place pour éradiquer ce problème grâce à des moyens partagés et des sous-traitances de collectivités. Vingt-deux collectivités sont concernées sur les deux îles des Antilles et sont privées de tourisme à cause de ce fléau.
Le ministère des outre-mer est partenaire pour la formation dans les domaines de l'économie bleue, de la pêche et de la mer. Il encourage et soutient, via les passeports mobilités, les voyages des jeunes venant se former en métropole.
Le ministère est actif dans les grands organismes de recherche, notamment l'Ifremer, la connaissance étant un enjeu important et un élément de la puissance française. Nous participons également aux groupes de travail animés par le Secrétariat général de la mer.
La dernière priorité est l'international. Le ministère des outre-mer, en tant qu'expert des territoires ultramarins, a un rôle à jouer pour changer le regard sur les outre-mer. Ils doivent être davantage considérés comme des postes avancés de la France dans les trois océans, dotés d'une capacité de rayonnement, de mise en sécurité et d'apport pour les pays de la zone. Nous comptons trois ambassadeurs multilatéraux, un par océan, qui sont en charge des relations avec les États de la région. Des commissions régionales sont régulièrement organisées. La prochaine aura lieu à Mayotte pour l'océan Indien. Nous gérons un fonds de coopération internationale qui, malgré une faible dotation, permet de financer certains projets. Le ministère doit aider à structurer ce rôle des outre-mer comme postes avancés de la France dans leur bassin, en coopération avec le ministère des Affaires étrangères, les préfets et tout autre ministère ayant des compétences en la matière.
La France est par ailleurs souvent sollicitée en cas de crise, par exemple pour les naufrages de vraquiers au large de Maurice. Plutôt que d'agir dans l'urgence, la France pourrait établir avec les États voisins des plans sur le type de soutien, d'expertise ou d'intervention. Également dans le domaine de la connaissance, un objectif futur pourrait porter sur le développement de spécialités par les universités des territoires ultramarins, adaptées aux enjeux de la zone et qui attireraient des étudiants des pays de cette zone.
Nous avons besoin de coopérer pour lutter contre des menaces que nous avons en commun. Par exemple, les outre-mer ne sont pas les seuls concernés par le problème des sargasses dans la zone caribéenne. La lutte contre l'immigration et la lutte contre les réseaux de trafiquants pourraient également être menées en coopération avec d'autres pays.
Le ministère des outre-mer est un avocat convaincu du rôle que ces territoires ont à jouer auprès de la Commission européenne et de l'Union européenne, qui manquent de sensibilité sur les régions ultrapériphériques (RUP). En effet, seulement trois États membres en possèdent, la France, l'Espagne et le Portugal. De plus, concernant ces deux derniers, leurs régions ultrapériphériques sont proches de la métropole. L'éloignement de la France avec ses RUP crée une adversité particulière mais aussi une agilité potentielle plus importante. Le ministère doit faire progresser la sensibilité de l'Union européenne à ces questions, et je ferais valoir ces aspects lors d'une prochaine réunion des préfets de région à Bruxelles. Nous le porterons également dans le cadre de la présidence française du Conseil de l'Union européenne. De plus, les 12 et 13 janvier 2022, une réunion politique en présence des trois présidents de RUP associant les ministres est organisée en Martinique. Ils présenteront et adopteront à cette occasion leur vision de ce que pourrait être la stratégie européenne en faveur des RUP. Cette vision sera proposée à la Commission et deviendra la stratégie officielle de l'Union européenne si elle est adoptée.
Mme Annick Petrus, rapporteure. - Quelle est la contribution de la direction générale des outre-mer à l'élaboration et à la mise en oeuvre de la politique maritime française ? Quels sont les objectifs du conseil de coordination interportuaire Antilles-Guyane que vous présidez ?
Quel bilan peut-on tirer pour les outre-mer de la stratégie maritime nationale 2017-2022 ? Où en est-on dans l'élaboration et dans l'application des documents stratégiques de bassin outre-mer ?
Quels sont les principales faiblesses et les freins encore à lever dans la valorisation des atouts maritimes des outre-mer ?
Quelles sont les projections sur la ZEE ultramarine s'agissant notamment des zones où les ressources marines sont exploitables, des perspectives en termes d'emplois créés et des innovations techniques à réaliser ?
Mme Sophie Brocas. - La DGOM est spécialiste des outre-mer et porte la voix de leurs spécificités dans l'élaboration des stratégies auxquelles nous concourrons, comme les stratégies pour la mer et le littoral, la stratégie nationale pour la biodiversité ou encore la stratégie portuaire. Sur cette dernière, les outre-mer avaient été oubliés, montrant que le réflexe ultramarin fait parfois défaut dans certains ministères. La DGOM a travaillé par exemple pour prolonger et renouveler l'autorisation de l'octroi de mer, en demandant plus de transparence et de visibilité pour les chefs d'entreprise, puisque la variation d'octroi de mer décidée par les collectivités peut être insécurisante. Nous travaillons également au protocole sanitaire, pour que les croisières puissent reprendre dans des conditions satisfaisantes. Nous sommes parfois un acteur direct, par exemple dans les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF), le préfet des TAAF organise avec le bateau Marion Dufresne le tour des stations pour assurer le ravitaillement et l'arrivée des équipes. Nous assurons également la présidence du Conseil de coordination interportuaire Antilles Guyane (CCIAG). L'objectif est de rassembler les responsables des trois ports et des préfets pour les inciter à coopérer et à créer un hub régional. Un document stratégique a été créé avec quatre axes de travail, à savoir : développement et promotion, réponse commune à des défis communs, alignement des outils et des réponses métiers et enfin mutualisation de certaines fonctions. Ce document commun a été adopté en avril 2021 et un prochain CCIAG aura lieu en Guyane au début de l'année 2022. Certaines actions ont déjà été menées, comme la mise en place d'un logiciel commun pour les opérations commerciales.
Le bilan de la stratégie maritime nationale 2017-2022 ne peut être dressé pour le moment par manque de recul. Concernant les premiers acquis, les conseils maritimes de bassin ont été mis en place et les documents stratégiques ont été élaborés pour arrêter un programme d'actions communes.
Ces actions concernent les engagements pouvant être pris en commun sur la biodiversité, les stratégies communes pour gérer les flux de plaisanciers à l'échelle d'un bassin ou encore la vision sur les énergies renouvelables en mer. Le document stratégique pour l'océan Indien a été adopté en décembre 2020, celui pour les Antilles en avril 2021. Nous espérons que ceux pour la Guyane et Saint-Pierre-et-Miquelon seront adoptés en 2022. Les collectivités du Pacifique ne sont pas concernées.
Il existe des freins génériques aux outre-mer à dépasser pour valoriser leurs atouts, qui ne sont pas liés à la stratégie maritime. Le premier est le manque de réflexe et de culture des outre-mer dans les instances nationales. Il faut davantage de culture de la métropole sur les outre-mer et des actions ont été menées en ce sens. Ainsi, France Télévisions a pris un engagement sur la visibilité des outre-mer, et le ministère des outre-mer a soutenu l'ouverture d'une Chaire outre-mer à Sciences Po pour que les cursus intègrent une vision ultramarine. Le ministère des outre-mer se charge du travail de conviction auprès des administrations, afin de sensibiliser pour mieux adapter. Il en va de même dans les instances européennes. Lorsque Bruxelles donne deux mois aux collectivités pour distribuer des aides aux pêcheurs, ce délai n'est pas raisonnable et nous devons sensibiliser sur ce sujet.
Le deuxième frein générique est le manque d'ingénierie dans les outre-mer, car les marchés sont étroits, les études ne sont pas nombreuses et les collectivités manquent parfois de ressources internes. Le ministère des outre-mer se mobilise pour aider les collectivités financièrement. Nous confions à l'Agence française de développement (AFD) 15 millions d'euros par an pour financer des prestations d'ingénierie pour le compte des collectivités. Le problème n'est pas financier, il tient de l'incapacité à mettre en oeuvre des projets ambitieux.
Des freins spécifiques existent également, liés à l'enjeu maritime. Nous avons le sentiment que les populations ultramarines ne sont pas tournées vers la mer. Les métiers de la pêche ne sont pas attractifs pour les jeunes générations, la présence massive des risques naturels est un frein, les filières autour de l'économie bleue sont insuffisamment structurées et la tradition de coopération à l'échelle des bassins est encore très récente. Ces enjeux ne sont pas indépassables. Pour attirer les jeunes vers les métiers de la pêche et en faire un métier d'avenir, il faut moderniser les bateaux et permettre aux pêcheurs d'exercer leur métier plus loin dans des conditions sécurisées.
Sur le potentiel des ZEE, la ressource halieutique est déjà exploitée. Il est possible de progresser pour assurer une gestion plus durable de cette ressource, lui permettre de se consolider et de se renouveler. Nous avons à cet égard, conventionné avec l'Ifremer pour améliorer notre connaissance de cette ressource. Sur les ressources minérales et les nodules polymétalliques des grands fonds, le Président de la République a réaffirmé, à l'occasion de la présentation du Plan France 2030, l'ambition de la France de connaître et d'explorer, mais pas d'exploiter. Ce sujet est sensible pour les collectivités du Pacifique, qui ont un lien à la nature moins distendu que dans d'autres territoires et qui considèrent qu'il ne faut pas exploiter ces ressources.
M. Mikaël Quimbert, adjoint à la sous-directrice des politiques publiques à la Direction générale des outre-mer (DGOM). - Concernant les freins et les faiblesses, les fonds européens sont le principal levier sur le plan financier, comme le fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP), qui deviendra FEAMPA dans la prochaine programmation avec l'ajout de l'aquaculture. Dans les outre-mer, ce fonds est le moins bien consommé, à cause d'un manque de structures et d'entreprises pour monter des projets. Ce fonds dispose d'un dispositif d'aide au fonctionnement, mais nous n'arrivons pas à mobiliser ces fonds, car certaines entreprises n'ont pas de statut, ne déposent pas de comptes, n'ont pas de centre de gestion. Ces entreprises sont bien souvent des sociétés unipersonnelles. Un véritable travail de fond est nécessaire pour les inscrire dans des organisations collectives, comme des associations de producteurs ou des coopératives.
C'est sur ce socle que vont pouvoir être mobilisés les moyens financiers, comme les aides au renouvellement de la flotte et les aides au fonctionnement, pour assurer un développement pérenne. Les demandes nombreuses d'exonérations doivent être mises en place dans le cadre d'un projet global de restructuration. Le Plan chlordécone est un exemple de ce travail. Certains pêcheurs ont été obligés de changer de zones de pêche et de s'éloigner. Ils ont demandé pour cela des aides et des exonérations. Nous avons répondu qu'une simple exonération ne suffirait pas et qu'il était nécessaire de remettre ces pêcheurs dans une organisation collective.
En Nouvelle-Calédonie, la pêche est pratiquée dans une ZEE de 1,7 million de kilomètres carrés, à hauteur de 2 000 tonnes de poissons par an. Ces quantités sont très faibles par rapport à la taille de la ZEE. Pour comparaison la pêche française dans son ensemble est de 800 000 tonnes par an. Cette ZEE comporte énormément de ressources en poissons, mais les collectivités locales ont fait le choix de la pêche vivrière, c'est-à-dire d'alimenter uniquement le marché local.
Elles ont décidé de faire de cette ZEE un « havre », dans un océan Pacifique surexploité par des flottes de centaines de navires asiatiques. Sur le plan financier, il est nécessaire de trouver des solutions pour valoriser ces ressources qui ne sont pas exploitées pour des raisons environnementales. Il s'agirait par exemple de trouver des mécanismes pour que la protection de la biodiversité et de l'environnement soit une source de richesse pour les territoires.
Les grands fonds marins font partie d'une stratégie à long terme. Nous sommes encore loin de pouvoir exploiter les ressources minières du fond de la mer, pour des raisons techniques et économiques. Pour autant, à partir du moment où un équilibre économique et financier est trouvé, cela deviendra possible. La stratégie du Gouvernement vise tout d'abord à développer la connaissance et la recherche, notamment avec l'Ifremer, puisque là où se trouvent les terres rares et les nodules polymétalliques dans les fonds marins se trouvent également des puits de biodiversité.
M. Philippe Folliot, rapporteur. - La ZEE de l'île de la Passion-Clipperton est victime d'une pêche illégale très importante, favorisée par l'absence de contrôle. Le représentant de la Marine nationale nous a annoncé que cette dernière n'était plus en mesure d'assurer une patrouille annuelle dans ces eaux. Le ministère des outre-mer juge-t-il que cela est satisfaisant ? Quels moyens, au-delà des satellites, pourraient être mis en oeuvre pour exercer une souveraineté effective sur l'île et surveiller l'aire marine protégée ?
95 % des moyens de la marine nationale sont basés dans l'Hexagone, alors que 97,5 % de notre ZEE est liée aux outre-mer. Existe-t-il une stratégie du ministère des outre-mer vis-à-vis du ministère des Armées pour rééquilibrer cela ? De plus, une rupture capacitaire est prévue d'ici 2030, au travers du remplacement des bateaux de surveillance et notamment de celui des P400. Comment pensez-vous intervenir auprès du ministère des Armées pour éviter cette situation ?
Le Secrétariat général de la mer a rappelé que la procédure Extraplac avait permis l'obtention de 600 000 km2 d'espace maritime supplémentaire. Vous avez parlé précédemment de 730 000 km2. Pouvez-vous nous expliquer cette différence ? Quels projets sont nés autour de ce programme ?
Le Secrétariat général de la mer a énoncé l'excellence française en matière de câbles sous-marins. Il existe néanmoins des enjeux de sécurité, puisque plus de 90 % du trafic Internet passe par ces câbles. Quels sont les éléments pris en compte dans la sécurité des trafics pour nos outre-mer ?
Quelles peuvent être les matérialisations pour les collectivités françaises des stratégies Indopacifiques française et européenne en matière de coopération militaire, scientifique ou industrielle ? L'incident sur le contrat des sous-marins est-il une remise en cause du partenariat stratégique entre la France et l'Australie ?
Quelles conséquences pourrait-il avoir sur la région, à l'aune du referendum organisé prochainement en Nouvelle-Calédonie ? Par rapport aux Antilles-Guyane, quels sont les moyens de l'action de l'État en mer dans la lutte contre le narcotrafic et la pêche illégale ?
Mme Sophie Brocas. - Le ministère des outre-mer a demandé à la Marine nationale de se rendre sur l'île de la Passion-Clipperton pour mener une opération de dératisation.
Le ministère des outre-mer n'a pas de prérogative sur la loi de programmation militaire et pour acquérir des moyens. Le Secrétariat général de la mer a un regard interministériel pour s'assurer de la cohérence de ce projet. Les moyens militaires alloués aux outre-mer ne peuvent pas être multipliés à l'infini. Des choix stratégiques sont faits et la présence militaire est décidée en fonction de ces choix. En dépit d'une forte présence, il est nécessaire d'avoir un renseignement fiable, réactif et de haute qualité pour protéger les espaces maritimes. Le partage du renseignement entre les différents acteurs qui contribuent à la sécurité et à la protection des espaces maritimes sous souveraineté française est un moyen efficace pour orienter et prioriser les actions. À cet égard, les Comités directeurs (CODIR), présidés par les préfets ultramarins, réunissent la Marine, la gendarmerie maritime, la police aux frontières, les douanes. Les équipements contribuent également à la surveillance et à la sécurité, tels que les radars, les satellites et les drones. La combinaison d'actions et de leviers permet d'avoir une information précise, de savoir où sont les enjeux et comment prioriser les actions. De plus, un schéma directeur des garde-côtes a été élaboré en 2019, avec l'ajout en 2020 d'un volet sur les moyens aériens pour assurer leur répartition. Une réflexion prospective est en cours pour prévenir la rupture capacitaire des moyens maritimes des garde-côtes et sur la façon de conforter les moyens aériens grâce aux moyens d'observation autres, comme les satellites.
La procédure Extraplac a bien permis l'obtention de 730 000 km2 d'espace maritime supplémentaire. Une première extension de 579 000 km2 a été obtenue pour la région Martinique, Antilles, Guyane, et une deuxième de 150 000 km2 a été obtenue pour la région de La Réunion, Saint-Paul et Amsterdam.
Les câbles sous-marins sont coordonnés par le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) pour les enjeux de sécurité et de défense, ainsi que par le Secrétariat général de la mer pour les autres enjeux. Le ministère des outre-mer participe, aux côtés d'autres ministères, aux groupes de travail, avec une spécialisation sur l'enjeu de la connectivité des territoires ultramarins, de la continuité territoriale et de la lutte contre l'isolement. Les menaces sur les câbles sous-marins sont variables et peuvent aller de l'acte de vandalisme à des morsures de poissons. Les moyens de surveillance et de renseignement doivent être mobilisés pour la protection de ces câbles.
La stratégie Indopacifique permet de protéger l'intégrité des territoires ultramarins du Pacifique et de l'océan Indien contre certaines puissances prédatrices. Il s'agit de protéger l'intégrité de nos ressources, pour soutenir nos objectifs de biodiversité et de renouvellement durable des ressources. L'intégrité de nos grands fonds marins doit également être protégée de même que l'intégrité financière et territoriale de nos outre-mer. Cette stratégie permet également de mieux insérer nos territoires ultramarins dans un réseau de partenaires régionaux porteurs des mêmes valeurs que nous.
La coopération entre la France, l'Australie et la Nouvelle-Zélande ne saurait se réduire à un contrat commercial. Si cela affaiblit légèrement le lien de confiance, nos intérêts communs sont plus vastes.
Nos moyens régionaux sont assez importants pour lutter contre le narcotrafic dans les Antilles. Ils sont positionnés en Martinique et organisés de manière zonale, que ce soit la Marine, les douanes, la gendarmerie, le renseignement. La justice est également organisée de manière zonale pour traiter les atteintes aux enjeux maritimes. Les moyens sont importants, car c'est une zone de passage et de rebond vers la France et l'Europe pour les trafics de stupéfiants.
Il y a d'importants défis techniques à relever, notamment avec l'apparition des mini-submersibles très difficiles à repérer. Le développement de ces moyens est poursuivi, avec l'installation prochaine de deux radars en Martinique. Une bonne coopération a été instaurée entre la gendarmerie et l'armée à La Réunion pour contrer, avec succès, les opérations de trafic de cannabis. Une opération a été menée en Guyane contre la pêche illégale avec la saisie d'un navire brésilien. Cette saisie d'une extrême violence a été montée par le préfet en mobilisant les fusiliers-marins. Le partage du renseignement entre tous les services, sous l'autorité des préfets, permet de prioriser les actions.
Mme Camille Goyet, directrice de cabinet à la Direction générale des outre-mer (DGOM). - Il existe en outre-mer une unité de commandement, puisque le préfet est à la fois préfet territorial et délégué pour l'action de l'État en mer. Cette continuité entre la terre et la mer est un atout majeur pour ces territoires dans la lutte contre les trafics. De plus, les préfets des territoires d'outre-mer ont également une action internationale et travaillent avec des conseillers diplomatiques pour avoir une plénitude de moyens. Ainsi, la gendarmerie nationale et la Marine nationale ont mené une opération conjointe sur un trafic d'exportation de cannabis de La Réunion vers Maurice. La coordination des dispositifs nationaux de lutte contre les stupéfiants, avec notamment l'installation d'une antenne de l'Office anti-stupéfiants (OFAST) et du groupe de renseignement d'intérêt maritime, a permis le succès de cette opération. L'amélioration des ressources satellitaires et du renseignement est essentielle. De plus, les services de la fonction garde-côtes participent à cette coopération régionale. Le territoire de La Réunion a connu récemment des arrivées massives de demandeurs d'asile en provenance du Sri Lanka. Cet afflux a rapidement été arrêté grâce à la qualité de la relation diplomatique via l'attaché de sécurité intérieure non-résident au Sri Lanka. Un réseau de partenaires a été créé, avec l'Indonésie et l'Australie, pour fournir du renseignement sur le départ des navires du Sri Lanka et pouvoir ainsi cibler les contrôles. La qualité de cette coordination dans les outre-mer est exemplaire.
Mme Sophie Brocas. - Si les moyens militaires sont rattachés administrativement à un port métropolitain, ils patrouillent régulièrement dans les outre-mer. Cet aspect est à prendre en compte dans la répartition des moyens.
M. Mikaël Quimbert. - La répartition des moyens de la Marine nationale est en effet plus équilibrée. Il faut ajouter à cela les outils de services publics et de souveraineté. Ainsi, la campagne annuelle Jeanne d'Arc parcourt les océans avec deux navires. De plus, durant la crise sanitaire, des moyens de transport, des médecins, des personnels capables de mettre en oeuvre du matériel médical et de l'approvisionnement ont été rapidement projetés, montrant les capacités de l'État à mettre rapidement en place des moyens lorsque cela est nécessaire.
Mme Marie-Laure Phinera-Horth, rapporteure. - Sur la situation en Guyane, quels sont les moyens mis à disposition pour protéger les pêcheurs guyanais, afin de leur permettre d'exercer leur métier en toute sécurité, et non dans la violence quotidienne générée par les pêcheurs illégaux ? Quels sont les moyens mis en oeuvre pour lutter contre l'immigration, aussi bien par voie maritime que terrestre en Guyane ?
Au-delà, quels sont les moyens mis à disposition des collectivités ultramarines touchées par le recul du trait de côte ? Par ailleurs, quels sont les chantiers prioritaires à conduire pour que les ports ultramarins soient davantage des vecteurs économiques et pas seulement des zones d'importation ?
Mme Sophie Brocas. - Sur la protection des pêcheurs guyanais contre les violences quasi quotidiennes liées à la pêche illégale, je vous apporterais des réponses plus circonstanciées par écrit à la suite de cette audition. Le préfet se penche sérieusement sur le sujet, il préside le CODIR rassemblant les différents moyens judiciaires, militaires et de sécurité mis à sa disposition. L'exemple cité précédemment, de l'opération de saisie de pêche illégale ayant nécessité l'intervention de fusiliers-marins, montre que ces interventions peuvent être qualifiées d'« opérations de guerre ». Un parallèle peut être fait avec les campagnes menées dans les forêts guyanaises pour lutter contre l'orpaillage, contre des réseaux mafieux très violents.
Nous vous transmettrons ultérieurement les chiffres liés aux moyens mis en oeuvre pour lutter contre l'immigration illégale en provenance du Brésil.
Le recul du trait de côte est un problème majeur qui concerne la métropole et les outre-mer, qui sont aux avants postes du changement climatique. Le ministère de la transition écologique souhaite traiter cette question en donnant la capacité financière aux collectivités de déménager et reconstruire des équipements publics qui seraient menacés par ce recul. Des discussions sont en cours pour mettre en place une disposition permettant de déroger à la loi littorale, pour autoriser Mayotte et la Guyane à reconstruire des équipements d'intérêts collectifs, même lorsqu'ils ne sont pas en continuité d'urbanisation. En effet, en Guyane, la loi littorale gèle toute possibilité de construction dans une grande profondeur kilométrique. Des réflexions sont en cours sur les permis de construire temporaires dans des zones exposées à des aléas naturels forts. Il faut outiller juridiquement, techniquement et financièrement les collectivités qui sont touchées par ce phénomène.
L'Éducation nationale a pris l'engagement de créer sur chaque territoire ultramarin des formations autour de la mer. Les premières formations ont été ouvertes au lycée professionnel Raymond Néris et à l'école de formation professionnelle maritime et aquacole de la Trinité en Martinique. Dès le collège, il faut donner une coloration maritime, avec des actions de sensibilisation comme à Hao en Polynésie française avec une première découverte des métiers de la mer. Le service militaire adapté forme également des jeunes aux métiers de la mer. Le ministère des outre-mer s'associe à l'Ifremer pour mener une opération sur l'océan Indien au profit de jeunes Réunionnais et de jeunes Mahorais. Cette opération d'école flottante se déroulera sur le bateau Marion Dufresne et les jeunes embarqueront pendant dix jours pour une navigation de La Réunion vers les îles Éparses, et depuis Mayotte vers le volcan. Elle réunira des jeunes scientifiques, doctorants et universitaires réunionnais et mahorais travaillant autour des problématiques de la mer, des apprentis cuisinier, électriciens, mécaniciens. Des jeunes élèves d'écoles d'art métropolitaines viendront avec leurs photos, leurs carnets de croquis et leurs vidéos pour raconter cette aventure. Un partenariat avec France Télévisions a été négocié pour diffuser cette expérience.
Il faut également souligner et saluer le travail des ports ultramarins qui ont fait face pendant la crise sanitaire. Il est tout de même nécessaire de mener une réflexion sur la résilience des modèles économiques, puisque les territoires ultramarins importent la plupart de leurs produits, notamment alimentaires. Les chantiers nécessaires pour moderniser les ports sont leur développement en hubs régionaux, notamment aux Antilles, l'amélioration de leur chaîne logistique et la neutralité carbone. Les 21,3 millions d'euros du Plan de relance devraient contribuer à ces chantiers. Pour la DGOM, les deux priorités immédiates sont le soutien du département de Mayotte pour moderniser le port de Longoni, et la création d'une catégorie de ports adaptée pour le futur grand port maritime de Saint-Pierre-et-Miquelon.
M. Mikaël Quimbert. - Le verdissement et la biodiversité sont des enjeux du Plan de relance pour les ports. Le développement de la formation maritime a également reçu des financements, sur la communication notamment et un investissement important qui sera mené à La Réunion pour faire construire et mettre en service un nouveau navire de formation pour les élèves de la formation maritime.
Mme Vivette Lopez, présidente. - Vous pourrez si vous le souhaitez compléter vos propos et nous les envoyer par écrit.
Vous avez dit dans vos propos que la mer est synonyme d'avenir, j'ose espérer que nous ne commettrons pas les mêmes erreurs environnementales en mer que sur terre, bien que des problèmes de pollution soient déjà observables.
J'ai participé à une session « enjeux et stratégies maritimes » de l'Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN). Nous allons travailler avec le ministère de l'Éducation nationale pour créer des classes sur les enjeux maritimes, pour permettre aux élèves de découvrir des métiers insoupçonnés de la mer. Ces travaux seront menés dans l'Hexagone et dans les territoires d'outre-mer. Ils concerneront dans un premier temps les élèves de quatrième, sur les thèmes de la piraterie et de la pollution. L'une de ces classes a été inaugurée en octobre 2021 à Barcelone, dans le lycée français.
Je vous rappelle que les membres de la délégation sont conviés à une rencontre avec les maires et les élus d'outre-mer le 15 novembre 2021 au Sénat. Cette délégation fêtera à cette occasion ses dix ans d'existence.