- Mardi 2 novembre 2021
- Questions diverses
- Projet de loi de finances pour 2022 - Mission « Sécurités » - Programmes « Gendarmerie nationale », « Police nationale » et « Sécurité et éducation routières » - et compte d'affectation spéciale « Contrôle de la circulation et du stationnement routiers » et Programme « Sécurité civile » - Examen des rapports spéciaux
- Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022 - Examen du rapport pour avis
- Projet de loi de finances pour 2022 - Mission « Santé » - Examen du rapport spécial
- Projet de loi de finances pour 2022 - Missions «Solidarité, insertion et égalité des chances » (et article 43) - Examen du rapport spécial
- Projet de loi de finances pour 2022 - Mission « Régimes sociaux et de retraite » et compte d'affectation spéciale « Pensions » - Examen du rapport spécial
- Projet de loi de finances pour 2022 - Mission « Engagements financiers de l'État », compte d'affectation spéciale « Participation de la France au désendettement de la Grèce » et comptes de concours financiers « Accords monétaires internationaux » et « Avances à divers services de l'État ou organismes gérant des services publics » - Examen du rapport spécial
- Projet de loi de finances pour 2022 - Mission « Pouvoirs publics » - Examen du rapport spécial
- Mercredi 3 novembre 2021
- Projet de loi de finances pour 2022 - Examen des principaux éléments de l'équilibre sur le tome I du rapport général
- Projet de loi de finances pour 2022 - Missions « Gestion des finances publiques », « Transformation et fonctions publiques » et « Crédits non répartis » et compte d'affectation spéciale « Gestion du patrimoine immobilier de l'État » - Examen du rapport spécial
- Projet de loi de finances pour 2022 - Mission « Justice » (et articles 44 et 44 bis) - Examen du rapport spécial
- Proposition de loi organique relative à la modernisation de la gestion des finances publiques et proposition de loi portant diverses dispositions relatives au Haut Conseil des finances publiques et à l'information du Parlement sur les finances publiques - Désignation des candidats à la commission mixte paritaire
- Second projet de loi de finances rectificative pour 2021 - Audition de M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics
Mardi 2 novembre 2021
- Présidence de Mme Christine Lavarde, vice-président -
La réunion est ouverte à 9 h 05.
Questions diverses
M. Roger Karoutchi. - Avec votre autorisation, madame le président, je souhaiterais vous faire part d'un élément relatif au service public de La Poste. J'ai en effet reçu ce matin un retour, pour adresse non trouvée, d'une lettre que j'avais envoyée à un élu le 12 janvier 2015. Je signale donc qu'il aura fallu presque sept ans pour obtenir ce retour.
Projet de loi de finances pour 2022 - Mission « Sécurités » - Programmes « Gendarmerie nationale », « Police nationale » et « Sécurité et éducation routières » - et compte d'affectation spéciale « Contrôle de la circulation et du stationnement routiers » et Programme « Sécurité civile » - Examen des rapports spéciaux
Mme Christine Lavarde, président. - Nous examinons ce matin les crédits de la mission « Sécurités » et du compte d'affectation spéciale (CAS) « Contrôle de la circulation et du stationnement routiers ».
M. Philippe Dominati, rapporteur spécial (programmes « Gendarmerie nationale », « Police nationale » et « Sécurité et éducation routières » de la mission « Sécurités » et CAS « Contrôle de la circulation et du stationnement routiers »). - La police et la gendarmerie nationales enregistrent une hausse, significative, de leur budget à hauteur de 4 % en crédits de paiement (CP) et de 5,58 % en autorisations d'engagement (AE) dans le cadre du projet de loi de finances (PLF) pour 2022.
Tout d'abord, l'objectif annoncé par le Président de la République de 10 000 postes créés pendant le quinquennat est atteint. La question des effectifs perturbe les débats sur les forces de sécurité depuis dix ans. Toutefois, on n'observe pas un manque d'effectifs rapportés à la population comparé aux autres pays d'Europe, d'autant que les chiffres ne tiennent compte ni des militaires déployés dans le cadre de l'opération « Sentinelle », ni des polices municipales.
Ensuite, l'augmentation du titre 2, c'est-à-dire les crédits de personnels, est raisonnable par rapport au reste du budget. Je souligne que sa proportion baisse, une première depuis que je rapporte ces crédits : par le passé, on constatait une hausse du budget affecté aux dépenses de personnel au détriment des investissements. Ainsi, en 2021, on atteignait un ratio de 90 % pour le titre 2 sur l'ensemble du budget, contre 82 % dans le cadre du PLF pour 2022, avec la fin de l'effet des plans spéciaux décidés par Bernard Cazeneuve à la fin du quinquennat précédent. Notons une nouvelle mesure catégorielle liée au Beauvau de la sécurité, qui est la gratuité des transports pour les policiers. Au total, cela laisse une certaine marge de manoeuvre pour investir. Toutefois, celle-ci reste moins importante que ce que l'on observe, par exemple, au Royaume-Uni ou en Allemagne.
Gendarmerie et police bénéficieront d'un apport exceptionnel d'environ 5 500 véhicules par force, chiffre jamais atteint jusqu'ici, le record précédent s'élevant à 4 200 véhicules. Cela est essentiellement dû aux moyens permis par le plan de relance, grâce auxquels le Gouvernement a fait beaucoup. Je dénonçais déjà un parc de véhicules vieillissant dans le rapport d'information du 16 juillet 2021 pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes sur le bilan du rattachement de la gendarmerie nationale au ministère de l'intérieur. Pour la première fois, on observe ainsi une stabilisation du parc - pourrait-on y voir un lien avec la campagne électorale ?...
Je souligne que l'effort est aussi exceptionnel sur le plan de la qualité. Là où, trop souvent, les véhicules étaient soit trop petits et peu puissants, soit trop encombrants, ils semblent ici adaptés aux missions. L'effet psychologique sur la population et le personnel de ces nouveaux véhicules, des Peugeot 5008 gris métallisé avec une nouvelle sérigraphie, est visible.
J'aborde maintenant l'immobilier. Là encore, on observe une forte progression des autorisations d'engagement et des crédits de paiement : on passe de 200 à 220 millions d'euros pour la gendarmerie, pour atteindre 700 millions d'euros pour la police nationale, en partie grâce au plan de relance. Ce sont 170 projets qui sont mis en oeuvre pour la police nationale, avec un effort contre la vétusté des locaux. La gendarmerie, elle, a pris de l'avance sur son projet immobilier, même si le retard initial était important, et ce budget est sans précédent depuis au moins six exercices. La seule question est celle de la continuité de l'effort : on a un budget de rattrapage, mais il doit perdurer au-delà du plan de relance.
Ce budget est complété par la formation du personnel. Nous avions critiqué la baisse de douze à dix, puis huit mois, du temps de formation du personnel de la police nationale : on revient désormais à douze mois. Une mise au point reste à faire toutefois en vue de la session commençant le 1er mai : le stage d'officier de police judiciaire (OPJ) est-il inclus dans ces douze mois ou bien s'y ajoute-t-il ?
Après avoir entendu les syndicats, le directeur général de la police nationale et le directeur général de la gendarmerie nationale, je vous invite à voter les crédits de ces programmes : mieux vaut tard que jamais !
D'habitude, le début du quinquennat donne la priorité aux questions régaliennes. Cependant, depuis 2017, nous avons connu trois ministres de l'intérieur, voire quatre en comptant l'intérim d'Édouard Philippe, avec une ligne directrice difficile à trouver. Ce n'est qu'à la fin de ce quinquennat qu'elle se dessine avec le Livre blanc et le Beauvau de la sécurité, qui engagent les parlementaires que nous sommes, car une loi de programmation pour la sécurité intérieure doit être examinée avant la fin du quinquennat. Toutefois, elle pourrait n'être adoptée, et de toute façon n'entrera en vigueur, qu'après la fin de la présente législature. Est-ce une manière de gagner du temps ? Ce calendrier est en tout cas assez atypique.
Sur la sécurité routière, nous avons eu autant d'accidents de la route en 2020 qu'en 1925, alors qu'il y avait à l'époque cinquante fois moins de véhicules sur les routes qu'aujourd'hui. Il y a certes un effet du confinement, mais ce nombre est à souligner. En parallèle, les recettes des radars baissent également, alors qu'une légère augmentation du parc est prévue : on passerait ainsi de 4 402 radars au 1er août 2021 à 4 440 en 2022. De nouveaux modèles, plus efficaces, seront déployés. Ces radars tourelles, qui peuvent prendre jusqu'à vingt véhicules, peuvent être déployés alternativement sur plusieurs mâts, de sorte que les automobilistes ne puissent pas savoir où ils sont.
Je note enfin le déploiement de voitures radars banalisées opérées par des sociétés privées, dispositif peu coûteux pour l'État par rapport à une voiture de gendarmerie. Les marchés sont régionaux, et le conducteur n'a pas de latitude, avec un circuit et un cahier des charges fixés par la gendarmerie et un dispositif embarqué automatisé.
Le problème est celui de l'avenir du CAS « Radars ». Quelle sera la réattribution des recettes entre les collectivités et l'État ?
M. Jean Pierre Vogel, rapporteur spécial (programme « Sécurité civile »). - Pour 2022, le programme 161 « Sécurité civile » sera doté de 678,5 millions d'euros en autorisations d'engagement et 568,6 millions d'euros en crédits de paiement, soit une augmentation substantielle de 9,6 % des CP et de 64 % des AE. Il convient toutefois de nuancer cette hausse qui n'est pas un revirement majeur dans la budgétisation de la politique de sécurité civile.
En effet, l'augmentation des crédits de paiement résulte en grande partie de la réintégration au sein du programme de dépenses de maintenance transférées l'année dernière vers la mission « Plan de relance ». Concernant les autorisations d'engagement, leur augmentation est principalement due au renouvellement du marché de maintenance des avions de la sécurité civile pour cinq ans.
La sécurité civile repose aussi - et surtout - sur un financement local, à travers le budget des services départementaux d'incendie et de secours (SDIS), dont les dépenses sont en augmentation depuis 2019 et dépassent les cinq milliards d'euros. La proposition de loi visant à consolider notre modèle de sécurité civile et à valoriser le volontariat des sapeurs-pompiers et les sapeurs-pompiers professionnels, adoptée par le Sénat le 26 octobre dernier, devrait permettre de mieux couvrir les charges que les SDIS supportent, en favorisant, par exemple, un meilleur remboursement de leurs interventions réalisées au titre des carences ambulancières.
Cette loi a également acté l'expérimentation sur deux ans d'une plateforme unique de réception des appels d'urgence, à laquelle les SDIS seront largement associés. Si je me félicite de cette avancée, il est toutefois essentiel que les SDIS, notamment ceux qui participent à cette expérimentation, puissent disposer de leviers d'investissement en adéquation avec les ambitions légitimes qui caractérisent aujourd'hui la politique de sécurité civile, et qui sont parfaitement illustrées par cette loi.
Il est à cet égard regrettable que la dotation de soutien aux investissements structurants des services d'incendie et de secours (DSIS²) ait, d'une part, connu une régression progressive des crédits qui lui sont consacrés, de 20 millions d'euros en 2016 à 7 millions d'euros dès 2020, et d'autre part, vu son périmètre se limiter au financement du programme NexSIS 18-112, sans toutefois remettre en cause la pertinence de ce projet, dont je suis convaincu.
Ce projet consiste à unifier les systèmes d'information des SDIS. Il poursuit son développement, malgré des retards imputables notamment à la crise sanitaire. Dès la fin 2021, la mise à disposition de l'outil au sein du SDIS préfigurateur de Seine-et-Marne et des six SDIS pilotes devrait être effective, avant un déploiement plus large en 2022.
Je souhaiterais cependant attirer l'attention de notre commission sur le manque de moyens dont dispose aujourd'hui l'Agence du numérique de la sécurité civile (ANSC), l'opérateur chargé de la conception et du déploiement du projet. J'avais déjà insisté sur la nécessité de renforcer le nombre d'emplois sous plafond dont elle dispose dans mon rapport sur NexSIS présenté le 2 juin dernier devant notre commission. Le déploiement de NexSIS dans les années à venir nécessitera en effet une mobilisation plus importante de l'ANSC pour apporter une assistance aux SDIS dans leur appropriation de l'outil. Il est à cet égard regrettable que le PLF pour 2022 n'ait pas tenu compte des demandes de moyens supplémentaires formulées par l'agence.
Je terminerai enfin par la question du renouvellement de la flotte d'aéronefs de la sécurité civile, dont le vieillissement est une source de préoccupation. Au-delà des surcoûts de maintenance qu'il est susceptible d'occasionner, il représente un risque d'immobilisation des appareils. À titre d'exemple, une visite de maintenance d'un hélicoptère de la sécurité civile peut durer entre une semaine et deux mois selon l'âge de l'appareil ! Ce risque d'indisponibilité d'une partie de la flotte est d'autant plus alarmant dans un contexte de multiplication des risques de feux de forêt provoquée par le changement climatique.
Je me félicite toutefois des perspectives d'acquisition de nouveaux appareils. Ce renouvellement avait déjà été engagé par le ministère de l'intérieur durant les années précédentes. La loi de finances pour 2021 avait, par exemple, permis de financer la commande de deux nouveaux hélicoptères, assortie d'une option d'achat de deux autres appareils. Le Président de la République, dans le cadre de son intervention au dernier congrès des sapeurs-pompiers, a indiqué que cette option serait levée, ce dont je me réjouis. Cette commande ne fait l'objet d'aucune budgétisation pour l'année 2022, mais une ouverture de crédits dans le cadre du prochain projet de loi de finances rectificative pour 2021 pourrait lui être consacrée.
Enfin, la perspective de l'acquisition de deux avions Canadair par la France, dans le cadre d'un cofinancement européen, est toujours d'actualité. Le fabricant de ces appareils est toutefois dans l'attente de commandes supplémentaires pour lancer la production. La présidence française de l'Union européenne sera l'occasion de mener un travail de conviction auprès de nos partenaires européens sur l'opportunité de solliciter de nouvelles commandes, eu égard aux enjeux auxquels notre continent est aujourd'hui confronté en matière de lutte contre les feux de forêt.
En conclusion, je propose l'adoption des crédits alloués au programme « Sécurité civile ».
Mme Christine Lavarde, président. - Je rebondis sur les propos de Philippe Dominati relatifs au CAS « Contrôle de la circulation et du stationnement routiers ». Les recettes baissent, alors que certaines communes franciliennes de plus de 10 000 habitants font face à de lourds prélèvements sur leurs douzièmes de fiscalité, par exemple 1 million d'euros pour Saint-Denis. Le rapport montre que les ressources vont encore diminuer, de 655,8 millions d'euros en 2020 à 600 millions d'euros prévus dans le PLF pour 2022, ce qui laisse craindre des ponctions encore plus fortes, car les prélèvements sont forfaitaires et basés sur les recettes de 2018 pour ces communes. En outre, s'agissant d'un CAS, aucune initiative parlementaire autre que de voter sa suppression n'est possible. Le Gouvernement doit agir.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - J'ai bien entendu les explications de Philippe Dominati sur l'alignement des planètes à quelques mois de l'élection présidentielle. Faut-il y voir un lien de cause à effet ?
Plutôt qu'un budget de relance, j'ai l'impression de voir ici un budget de rattrapage. S'il ne s'agit que de faire un effort l'année prochaine, et pas dans la durée, on risque des effets d'éviction contraires à une bonne politique régalienne.
Sur la politique immobilière, les approches entre police et gendarmerie sont différentes. Pour la police, il importe avant tout de construire de nouveaux commissariats ou bien d'en rénover et de les réorganiser, en fonction du vieillissement du patrimoine et de l'évolution de la démographie. Pour la gendarmerie, en revanche, l'hébergement des gendarmes est une question fondamentale pour leur permettre de rester dans les territoires, alors que l'immobilier est souvent ancien ou de moindre qualité. Qu'en est-il du programme de rénovation et de construction de nouvelles gendarmeries ? Les conditions sont disparates selon les propriétaires des locaux et du foncier. Dans les territoires ruraux, on demande souvent aux collectivités la mise à disposition quasi gratuite de terrains. Cela n'aboutit-il pas à des différences de traitement ?
Je partage aussi les propos de Christine Lavarde sur le CAS. Comment l'implantation des radars évolue-t-elle, entre zones urbaines et non urbaines ? Cette implantation a-t-elle bien pour objectif prioritaire la sécurité routière ?
Enfin, sur la sécurité civile, Jean-Pierre Vogel a évoqué la modernisation de la flotte aérienne. Son renforcement tel qu'il est envisagé, avec notamment deux appareils bénéficiant d'un cofinancement européen, vous semble-t-il suffisant, notamment au regard du changement climatique ?
M. Roger Karoutchi. - Ma première question porte sur le solde des heures supplémentaires non payées, qui avait diminué en 2019, mais qui restait considérable. Le problème est-il désormais réglé, notamment pour les policiers ?
Par ailleurs, la mise en oeuvre par le ministère de l'intérieur du logiciel Scribe, relatif au dépôt de plaintes, a échoué, après 11,7 millions d'euros dépensés. Le ministère annonce un nouveau logiciel, qui ne sera opérationnel qu'en 2024. Faut-il vraiment attendre trois ans pour que ce logiciel soit opérationnel ? Est-ce si compliqué techniquement ? Les travaux de Scribe avaient débuté en 2018, pour un résultat bien médiocre...
M. Antoine Lefèvre. - Notre collègue Marc Laménie vous prie d'excuser son absence et m'a chargé de poser quelques questions.
Tout d'abord, tous les territoires, de l'Hexagone et des outre-mer, seront-ils bien couverts par l'évolution des effectifs des forces de sécurité ? Ensuite, que deviendront les escadrons départementaux de sécurité routière ? A-t-on des estimations financières des conséquences de la crise sanitaire et des manifestations, par exemple celles des « gilets jaunes » et des anti-passe sanitaire sur la mobilisation de l'ensemble des forces de sécurité ? Enfin, à combien estimez-vous les effectifs, et donc le budget rattaché à la réserve opérationnelle de la gendarmerie ?
M. Jérôme Bascher. - Tout d'abord, je tiens à le dire, il est paradoxal que les forces de l'ordre, notamment les gendarmes, que je côtoie le plus, soient en moyenne moins bien logées que les voyous.
Ensuite, il y a certes un renouvellement des flottes automobiles, mais une réforme massive fait que l'on ne dispose pas au final de plus de véhicules. Année après année, l'insuffisance des crédits d'entretien des voitures fait que, à partir de septembre, on n'a plus les moyens de les réparer. Quels éléments avez-vous sur ce sujet ?
Enfin, y a-t-il un projet européen de mutualisation des avions et hélicoptères ?
M. Michel Canévet. - Tout d'abord, où en est-on de l'informatisation des services de police ? Je m'étonne de la durée de mise en place de nouveaux logiciels alors que cela a été bien plus vite dans d'autres administrations, par exemple pour le prélèvement à la source ou la distribution des aides au titre du fonds de solidarité.
Ensuite, le plan de relance permet de mobiliser des crédits pour l'immobilier de la police et de la gendarmerie, mais leur déploiement sur le terrain est plus lent que ce qui était prévu. Les secrétariats généraux pour l'administration du ministère de l'intérieur (Sgami) sont-ils en mesure de suivre l'ensemble des chantiers ? Je constate des difficultés à cet égard en Bretagne.
Par ailleurs, j'espère que le marché des voitures radars sera plus performant que celui sur la distribution des plis électoraux...
Enfin, avec la prolifération des feux de forêt, peut-on prévoir des compensations financières pour nos services qui sont intervenus en Europe ? Quels types d'appareil, avions ou hélicoptères, conviendraient le mieux pour faire face aux incendies ? De tels produits sont-ils aujourd'hui disponibles sur le marché ?
M. Thierry Cozic. - En matière d'équipement des forces de police, 17 000 caméras-piétons supplémentaires sont prévues pour 2022, ce qui porte le total que la direction générale de la police nationale (DGPN) prévoit de déployer à 35 000 entre 2021 et 2022. Compte tenu des enjeux de libertés publiques, quelles formations aux modalités d'usage de ces caméras sont envisagées ?
Ensuite, quelle est la réalité de l'effort sur l'entretien du mobilier, dont le ministre de l'intérieur dit qu'il fait l'objet d'une enveloppe sanctuarisée ? D'une année à l'autre, les montants et leur répartition entre police et gendarmerie évoluent beaucoup. Par exemple, le plan dit « poignée de porte », consacré aux petits travaux : 10 millions d'euros en 2020, 5 millions d'euros en 2021, et 25 millions d'euros en 2022. Peut-on vraiment parler de sanctuarisation ?
Enfin, les deux tiers du budget du programme « Sécurité civile » concernent l'acquisition et l'entretien d'hélicoptères et de véhicules terrestres spécialisés. Cette partie du budget concentre l'essentiel des augmentations de crédits. Quel est l'état réel de la flotte par rapport à ses coûts élevés d'entretien, et quelles en sont les conséquences opérationnelles ?
M. Rémi Féraud. - Tout est dans le « mieux vaut tard que jamais » : cette loi de programmation en fin de quinquennat semble relever davantage de la campagne électorale que du travail parlementaire.
Sur la sécurité civile, qu'en est-il de l'évolution du budget consacré au plan de modernisation de la brigade de sapeurs-pompiers de Paris (BSPP) ?
Il est vrai que le CAS « Radars » est une usine à gaz - le Gouvernement actuel n'en est pas responsable. Comment faire évoluer les choses ? C'est la quadrature du cercle. Soit on sacrifie les ressources de la région d'Île-de-France et des transports publics, alors que la situation est grave. De nouveaux abondements de crédits sont d'ailleurs prévus au PLF parce que la solution des avances remboursables ne pouvait être qu'insuffisante et provisoire, ainsi que nous l'avions dit à l'époque. Soit on sacrifie, comme on le fait aujourd'hui, les collectivités franciliennes dites « riches », dont Paris, pour plusieurs dizaines de millions d'euros, ou plusieurs communes des Hauts-de-Seine. Soit on protège un peu ces collectivités, qui perdent beaucoup d'argent avec le système actuel, mais on le fait au détriment notamment des communes les plus en difficultés financières de la Seine-Saint-Denis, ce qui ne me semble pas non plus souhaitable - le PLF prévoit la recentralisation du revenu de solidarité active (RSA) dans ce département, ce qui atteste de ses difficultés financières toutes particulières.
L'État doit mettre la main à la poche pour partager la baisse des ressources issues des amendes. Travaillez-vous avec le Gouvernement sur ce point ou estimez-vous que celui-ci cherche à gagner du temps et que ce sujet reste totalement tabou ?
M. Gérard Longuet. - Quelle est la volonté du Gouvernement dans l'équilibre entre les forces de police et les forces de gendarmerie ? On observe une diminution constante de la dépense en personnel et une moindre augmentation des effectifs de la gendarmerie. Cela procède-t-il de la constatation que la ligne de partage entre les territoires de gendarmerie et les territoires de police, fixée sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, est immuable ? Les effectifs de la gendarmerie ont-ils vocation à être contractés, puisque les territoires dont elle a la charge perdent assez naturellement des habitants, alors même que l'intervention de la gendarmerie en milieu urbain n'est pas nécessairement un échec - bien au contraire -, compte tenu de son mode de présence ?
La comparaison entre le coût de fonctionnement d'un gendarme et celui d'un policier est d'une extraordinaire complexité. Avez-vous une idée claire de ce coût comparatif ?
M. Vincent Segouin. - Les effectifs augmentent et les budgets ont crû de manière sensible, mais a-t-il été procédé à un audit des parts respectives du temps administratif et du temps de terrain ? Toutes les procédures administratives sont-elles nécessaires ? Je pense qu'il serait nécessaire de conduire un tel audit.
M. Jean-Michel Arnaud. - Dispose-t-on à ce jour d'éléments d'évaluation sur l'impact différencié sur la sécurité routière du passage de 90 à 80 kilomètres/heure de la limitation de vitesse dans dix départements ?
Des responsables de police de mon département m'ont indiqué qu'il était difficile d'orienter un certain nombre de policiers vers des fonctions de PJ, en termes de gestion des effectifs au quotidien et de présence sur le terrain. Quelle est l'appréciation de la direction de la police nationale sur ce point ?
M. Sébastien Meurant. - Une étude a-t-elle été réalisée sur les difficultés rencontrées par les citoyens pour déposer plainte ? Dans certains commissariats, on décourage très clairement le dépôt de plainte en arguant du nombre d'heures d'attente...
Que pensez-vous du fait de confier une partie de la sécurité routière à des sociétés privées, notamment s'agissant des radars embarqués ? Cette possibilité s'étend-elle sur tout le territoire ? Quelles sont les lignes directrices de l'État en la matière ?
M. Philippe Dominati, rapporteur spécial. - S'agissant du CAS, le débat est largement engagé. À Paris, depuis des années et même des décennies, le CAS contribue au financement des transports en commun. Le budget est obéré. On le constate dans le département des Hauts-de-Seine. Le CAS est effectivement une « usine à gaz » : personne n'y comprend grand-chose.
La déléguée à la sécurité routière tient évidemment à ces ressources, mais elle est aussi inquiète que nous quant à l'avenir du CAS. L'examen de la future loi d'orientation de la sécurité intérieure sera sans doute l'occasion d'évoquer ce sujet et d'y réfléchir. Il est malsain et potentiellement totalement contre-productif que ce soient les amendes qui financent les transports collectifs et que, à défaut, ce soient les collectivités territoriales qui paient la facture. Malheureusement, ce système pervers ne date pas d'aujourd'hui. Il faudrait trouver une solution beaucoup plus simple pour en sortir.
En tout état de cause, je n'ai pas de réponses à vos interrogations. Il s'agit d'un vrai sujet, qui préoccupe tout le monde. On voit bien que le système est largement perfectible.
Monsieur le rapporteur général, bien évidemment, il s'agit un peu d'un budget d'exception ! Il faut qu'il perdure. La mission « Sécurités » doit véritablement devenir une mission prioritaire de l'État. Cela n'avait pas été le cas dans les budgets précédents. Le ministre qui, aujourd'hui, réclame des moyens budgétaires est celui qui, voilà peu de temps encore, quand il était en poste à Bercy, essayait d'empêcher l'augmentation des crédits ... Quoi qu'il en soit, tant mieux pour nos forces de l'ordre si les gendarmes et les policiers retrouvent une certaine normalité cette année.
On peut craindre un effet stop and go, comme je l'ai évoqué dans mon rapport. On sait que, lorsque l'État fait un effort sur les matériels, les budgets dévolus à ces derniers sont très souvent rognés les années suivantes. En réalité, le budget qui nous est présenté est un budget de rattrapage. Si cet effort n'est pas maintenu dans le projet de budget pour 2023, ce sera effectivement un coup d'épée dans l'eau et les mêmes problèmes resurgiront.
C'est le Beauvau de la sécurité, lequel a fait suite à une révolte de nos policiers liée principalement à une insatisfaction née du Livre blanc, qui a conduit à un certain nombre de mesures que l'on retrouve dans le présent budget. Il faudra, dans la Loppsi, sacraliser un certain nombre d'intentions de l'État à l'égard des forces de police et de gendarmerie. Je ne peux donc pas répondre à la question sur le caractère exceptionnel de cette manne financière, qui, globalement, représente tout de même 1,5 milliard d'euros.
Monsieur Karoutchi, les heures supplémentaires sont en diminution. Nous sommes passés d'un stock de 23 millions à 19 millions. Comme l'an dernier, un effort budgétaire a été réalisé. D'après les syndicats, cela va dans le bon sens.
Lorsque la gendarmerie a été intégrée au ministère de l'intérieur, avec des statuts particuliers, certains ont considéré que les heures supplémentaires étaient aux policiers ce que le logement était aux gendarmes. Je ne pourrai pas répondre à la question du coût horaire comparé, car la méthodologie n'est pas la même dans la gendarmerie et la police : d'un côté, on a une institution militaire ; de l'autre, on a un service civil, qui se caractérise par une certaine souplesse. Initialement, on considérait que les gendarmes, ayant leur logement dans des brigades ou des casernes, pouvaient, en contrepartie, être réveillés à deux heures du matin pour un accident d'autocar ou une inondation. A contrario, un policier qui travaillait au-delà de son temps percevait, en guise de compensation, des heures supplémentaires très bien rémunérées... Tout cela a volé en éclats en une ou deux décennies. En effet, la législation européenne a fait entrer la mission des gendarmes dans des normes horaires. On ne peut plus les mobiliser en pleine nuit. Pour les policiers, l'avantage que constituaient les heures supplémentaires a disparu. Les services de l'État essaient désormais de trouver un équilibre en termes de logement.
Les casernes et les brigades ont parfois été payées par les collectivités territoriales. Cette politique ancienne mettait un fil à la patte de la gendarmerie : le directeur général de la gendarmerie nationale qui voulait fusionner deux brigades était bloqué par l'investissement des collectivités. C'est l'effet pervers d'une situation où les collectivités territoriales contribuent à la place de l'État - que l'on peut retrouver dans le domaine des transports.
Le logiciel Scribe, qui permet de traiter des opérations de police judiciaire, est un échec. C'est un échec partagé : comme souvent, on a voulu faire des économies dans le cahier des charges. La société n'a pas reçu l'aide attendue de la part des personnels concernés. Le budget ayant été fait à l'économie, le projet a pris du retard et a disjoncté, et le logiciel ne verra pas le jour.
J'ai pu constater que le directeur général de la police nationale avait largement conscience de l'échec du logiciel Scribe. Il y aura probablement un effort pour essayer de rattraper le retard et dépasser cet échec, mais ce ne sera pas facile, parce que cela demande des heures de travail. Au reste, il y a un vrai problème de formation et d'orientation des policiers vers la fonction d'OPJ.
La réserve opérationnelle fonctionne bien dans la gendarmerie, qui l'utilise désormais fréquemment en cas de coup de feu et d'affluence. On essaie de la mettre en place dans la police nationale. Dans la gendarmerie, ce sera un appoint essentiel pour les jeux Olympiques. Dans la police nationale, on ne sera pas prêt pour les JO, qui auront essentiellement lieu en milieu urbain.
Cette année, un effort a été fait sur le logement. J'ai eu pour la première fois le sentiment que le ministère de l'intérieur menait une politique de long terme en matière de logement des policiers, sans doute parce qu'il y avait enfin quelques crédits. On note une volonté d'aller véritablement de l'avant.
Au sujet des crédits d'entretien, qui sont insuffisants dans certaines régions et sur lesquels on a rogné, je rappelle que nous avions procédé à une comparaison par les mètres carrés.
Cela m'amène au budget « poignées de porte », qui est une caisse de plus en plus décentralisée, plutôt appréciée, non en raison de son montant, mais par le fait qu'elle permet d'engager localement quelques menus travaux d'entretien dans les locaux. Malheureusement, dans de nombreux commissariats, on faisait jusqu'à présent du bricolage, en demandant aux entreprises locales de fournir des fauteuils, des bureaux, parfois du vieux matériel informatique... Ce budget est destiné à réagir à ce quémandage de petit matériel de bureau, avec une sorte de caisse locale pour gérer le quotidien et remplacer du matériel défaillant sans trop tendre la main. Il est apprécié par les syndicats, qui ont le sentiment que l'on va dans le bon sens : les montants sont augmentés et il y aura une certaine autonomie sur place.
Les caméras-piétons ont été un échec, parce qu'on a rogné sur les coûts. Les caméras n'étaient pas de bonne qualité. Elles s'arrêtaient au bout de 45 minutes... Il faut donc recommencer à zéro, un peu comme pour le logiciel Scribe. Cependant, le fait de disposer d'un peu plus de moyens cette année suscite un enthousiasme nouveau, en espérant qu'il ne soit pas éphémère.
Pour ce qui concerne les Sgami, qui sont chargés de mutualiser les achats, les gendarmes avaient craint, voilà quelques années, de perdre une certaine autonomie. Finalement, il n'y a pas eu de perte d'autonomie. Les Sgami vont généralement plutôt dans le bon sens. Au reste, tout dépend du budget qui leur est alloué : si c'est pour passer des budgets à l'économie, comme on l'a fait pour les caméras-piétons ou pour un certain nombre de matériels, il ne peut y avoir de miracle.
La privatisation des radars ne peut pas être pire que les plis électoraux ! En réalité, c'est une très bonne chose pour l'État en termes de coût de personnel. Il s'agit de voitures banalisées, sur des marchés privés régionaux. Cette possibilité va être étendue à l'ensemble de la France. Elle coûte beaucoup moins cher que de passer par les gendarmes, qui peuvent être déployés sur d'autres opérations. Les conducteurs n'ont aucune liberté : le circuit est imposé et la machine est automatique.
Monsieur Longuet, la ligne de partage entre la police et la gendarmerie est une vraie question, et un vrai sujet pour la Loppsi. Elle n'a pratiquement pas bougé depuis qu'elle a été définie. Effectivement, la gendarmerie s'implique de plus en plus en milieu urbain. Les cartes sont floues. Aucun ministre n'ose vraiment y toucher. En réalité, les ministres - il y en a eu trois en quatre ans - n'ont pas eu le temps de s'imprégner de ce problème...
Les gendarmes avaient de l'avance en termes d'effectifs. Compte tenu de l'étendue du territoire qu'ils couvrent, les questions des moyens de déplacement et du maillage des brigades sont évidemment très importantes. Le patron de la gendarmerie considère que les effectifs sont suffisants, mais est inquiet quant au déploiement de ces effectifs sur le terrain. La gendarmerie a pris de l'avance sur le plan du numérique.
M. Jean Pierre Vogel, rapporteur spécial. - Monsieur le rapporteur général, le réchauffement climatique est effectivement un vrai risque pour la flotte d'aéronefs. Ce n'est pas le seul, du reste. Je pense notamment au vieillissement de la flotte des aéronefs.
Pour information, le nombre d'hélicoptères est de 33, avec un vieillissement moyen de seize ans. On compte 12 avions CL-415, avec un vieillissement moyen de 24 ans, 5 Dash 8, avec un vieillissement moyen de 21 ans, et 3 Beechcrafts, avec un vieillissement moyen de 37 ans. La direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) indique que le besoin s'élèverait aujourd'hui aux alentours de 38 hélicoptères et atteindrait vraisemblablement très rapidement 40 appareils, compte tenu de la sollicitation croissante de la flotte. Le renouvellement et le renforcement de celle-ci sont donc à saluer, mais ils sont encore complètement insuffisants par rapport aux risques à venir.
Monsieur Bascher, il y a effectivement un projet d'appels d'offres européen, notamment au niveau des Canadair. Le fabricant Viking ne veut relancer la chaîne de fabrication qu'à partir du moment où il aura une vingtaine d'appareils en commande. La France serait préfiguratrice d'une commande qui pourrait être lancée au niveau européen, avec l'achat et la maintenance de deux avions, qui seraient financés à hauteur de 90 %. On attend que la présidence française puisse inciter à une commande européenne rapide. Au-delà, on note que la France est une véritable référence en matière de risques, notamment de feux de forêt, et que les pays européens font souvent appel à elle pour renforcer les moyens dont ils ont besoin.
S'agissant de la compensation financière des interventions en Europe, il existe effectivement, monsieur Canévet, des fonds de concours, qui, l'année dernière, ont dû percevoir environ 1,5 million d'euros. Ce montant permettra-t-il de couvrir l'ensemble des frais engagés, dont on ne connaît pas le montant ? La question se pose.
Les types d'appareils sont-ils adaptés ? Il existe plusieurs sortes d'appareils : les Canadair, qui peuvent écoper de façon dynamique sur des plans d'eau, à condition que ces derniers soient assez longs - plus de 1 kilomètre - ; des avions qui se ravitaillent sur des pélicandromes, dont on a vu qu'ils avaient été renforcés sur l'ensemble des zones de défense ; des avions multirôle ; des hélicoptères qui peuvent se ravitailler de façon statique et des avions spécifiques qui assurent le guet aérien armé, survolent les zones à risques et sont chargés de « retardants », qu'ils peuvent larguer en cas de départ naissant.
Les caméras de vidéodétection de départs de feux de forêt, comme on a pu en voir en Sarthe notamment, peuvent être un moyen complémentaire à la flotte d'aéronefs. La sécurité civile réfléchit à d'autres moyens plus particuliers qui peuvent être développés.
Monsieur Cozic, la maintenance en conditions opérationnelles est extrêmement coûteuse, comme le montre le vieillissement de la flotte des aéronefs. C'est un vrai sujet. Le taux de disponibilité des hélicoptères est de 93 %. Cette disponibilité est exceptionnelle, mais on sait que l'état de maintenance annuel peut osciller entre une semaine et deux mois. Plus la flotte vieillit, plus elle est immobilisée, plus les risques de feux de forêt se développent, en toute saison et sur l'ensemble de la France. Les risques sont importants, avec une maintenance en conditions opérationnelles de plus en plus coûteuse.
Monsieur Féraud, l'État intervient à hauteur de 25 % sur le budget de fonctionnement de la BSPP. Cette année, les crédits qu'il lui a accordés sont en augmentation importante, avec une hausse de 9,4 millions d'euros, pour un budget total de 96 millions d'euros. La DGSCGC nous indique que les modalités spécifiques d'intervention auxquelles la BSPP est confrontée ont nécessité un plan de modernisation susceptible de provoquer une augmentation pérenne des coûts de fonctionnement de la brigade. Cela dit, je ne dispose pas de ce plan.
Mme Christine Lavarde, président. - À titre personnel, je suis opposée à l'adoption des crédits du CAS : je veux montrer que ce dernier doit évoluer.
M. Jérôme Bascher. - J'allais voter pour ; vous m'avez convaincu.
La commission décide de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des crédits de la mission « Sécurités » et du compte d'affectation spéciale « Contrôle de la circulation et du stationnement routiers ».
La réunion est close à 10 h 25.
- Présidence de M. Dominique de Legge, vice-président -
La réunion est ouverte à 14 h 30.
Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022 - Examen du rapport pour avis
M. Dominique de Legge, président. - Mes chers collègues, je vous prie d'excuser Claude Raynal, qui est empêché cet après-midi.
Nous allons examiner le rapport pour avis de notre commission sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2022.
M. Christian Klinger, rapporteur pour avis. - Le Gouvernement a présenté le 7 octobre dernier le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022. La commission des finances a souhaité se saisir pour avis de ce texte au regard de ses effets sur nos finances publiques. Cet avis porte principalement sur la trajectoire des comptes sociaux.
Les finances de la sécurité sociale se trouvent aujourd'hui prises entre deux tendances contradictoires : la crise sanitaire a provoqué un effondrement sans précédent des comptes de la sécurité sociale, et les mesures de confinement se sont poursuivies dans la première moitié de l'année. Or, dans le même temps, la reprise économique, plus vigoureuse que prévu, vient améliorer les prévisions de recettes et de solde par rapport à celles qui étaient inscrites dans le PLFSS de l'année dernière.
Cette reprise économique, si elle est une bonne nouvelle, ne doit pas faire oublier les risques majeurs qui pèsent aujourd'hui sur les comptes sociaux. Je préfère ainsi parler de « convalescence » des comptes sociaux : s'il y a indéniablement une amélioration des indicateurs, les effets de la crise continuent de se faire sentir, et elle continuera à marquer la trajectoire des finances sociales pour de nombreuses années.
En effet, la crise est à l'origine d'une dégradation sans précédent des comptes sociaux. Le déficit cumulé du régime général et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) a augmenté de 26,8 milliards en 2020 pour atteindre 38,7 milliards d'euros. La détérioration est nettement plus importante qu'au plus fort de la crise économique des subprimes : le déficit agrégé du régime général et du FSV avait atteint les 28 milliards d'euros en 2010, ce qui représentait une augmentation de 13,9 milliards d'euros par rapport à 2009.
La crise a eu un effet ciseaux : les recettes des régimes obligatoires de base ont diminué de 1,9 % en 2020 tandis que, dans le même temps, les dépenses progressaient de 4,6 %. L'augmentation des dépenses provient à la fois des mesures exceptionnelles pour lutter contre la crise et des premières revalorisations décidées dans le cadre du Ségur de la santé.
Les indicateurs s'améliorent en 2021. Le déficit du régime général et du FSV devrait se réduire de 10,6 % par rapport à 2020, pour s'établir tout de même à un niveau très élevé : 34,6 milliards d'euros. Cette amélioration est poussée par le dynamisme des recettes, qui devraient augmenter de 7,9 % en 2021 à la faveur d'une progression de 6,2 % de la masse salariale du secteur privé.
Ce dynamisme des recettes ne doit cependant pas masquer l'augmentation des dépenses en 2021 : celles-ci progressent de 6,3 % par rapport à 2020, pour atteindre 456,3 milliards d'euros. Les dépenses de crise y participent pour 14,8 milliards d'euros, et l'intégration des dépenses de la nouvelle branche autonomie est également un facteur significatif, pour 5,4 milliards d'euros.
Toutefois, je voudrais attirer votre attention sur les dépenses engagées au titre du Ségur de la santé : en 2021, elles participent à l'augmentation des dépenses de la sécurité sociale pour 8,3 milliards d'euros, et elles sont d'autant plus notables que, dans leur majorité, ce sont des mesures de revalorisation salariale, et donc des dépenses qui ont vocation à être pérennes.
En 2022, nous pouvons espérer que l'essentiel de la crise sera derrière nous. Cet optimisme se traduit dans les prévisions pour les comptes sociaux : le déficit du régime général et du FSV devrait être ramené à 21,6 milliards d'euros, ce qui représente une réduction de 37,5 % par rapport à l'exercice précédent. Mais c'est aussi le moment où nous devons nous interroger sur la trajectoire des comptes sociaux, et leurs risques de dérives. En effet, il est désormais possible de mieux distinguer entre les augmentations de dépenses qui visent à répondre immédiatement à la crise, et celles qui ont vocation à s'installer dans la durée. Les premières ne représentent pas une menace pour les comptes sociaux, contrairement aux secondes.
À ce titre, je voudrais citer deux chiffres : à l'horizon de 2024, le déficit des régimes obligatoires de base et du FSV devrait s'établir à 15 milliards d'euros, et celui du régime général et du FSV à 13 milliards d'euros. Ces déficits sont qualifiés par la Cour des comptes, dans son rapport paru au début du mois d'octobre dernier, de « permanents », c'est-à-dire qu'ils ne se résorberont pas, sauf mesures nouvelles ou « miracle » économique.
J'en profite pour faire un aparté sur les prévisions macroéconomiques. Elles sont sans aucun doute plus fiables qu'elles ne l'étaient l'année dernière : l'incertitude liée à la situation sanitaire est grandement réduite. Pour autant, il ne faut pas croire que tous les facteurs de risque ont disparu. La situation sanitaire peut se dégrader avec l'apparition d'un nouveau variant, et en dehors du risque sanitaire les tensions actuelles sur le marché des matières premières et sur la main d'oeuvre obèrent la reprise.
Néanmoins, il est prévu que les prévisions de croissance pour 2021 soient rehaussées par rapport au taux de 6 % qui figure aujourd'hui dans le PLFSS et qui a servi de base à la rédaction de mon avis. Toutefois, même s'il était nécessaire de procéder à une réactualisation des données, cette révision des indicateurs macroéconomiques ne devrait pas changer le sens de l'avis.
En effet, il demeurera toujours à partir de 2024 un déficit permanent et élevé. Or plus longtemps on maintiendra ce déficit, plus il sera difficile d'inverser la tendance, et plus la perspective de retour à l'équilibre des comptes s'éloignera. Il est donc nécessaire de mettre en place dès maintenant des mesures nouvelles pour assainir les comptes sociaux. C'est justement là qu'est le problème : le PLFSS ne présente aucune mesure structurelle forte à même de rétablir la trajectoire des comptes de la sécurité sociale.
Comme l'année dernière, le Gouvernement a fait ce choix pour ne pas contrarier la relance de l'économie. Cet argument s'entend, et certains investissements sont en effet nécessaires. Néanmoins, toutes les mesures de maîtrise des dépenses ne sont pas incompatibles avec la croissance économique, mais peuvent au contraire la favoriser.
J'aimerais citer deux exemples : il n'y a rien de notable dans ce PLFSS concernant les arrêts de travail, et la seule mesure prise pour renforcer la lutte contre la fraude sociale est une simplification marginale du processus de contrôle. Pourtant, ces réformes auraient pu être mises en oeuvre sans compromettre la reprise économique.
Mais la grande absente du texte est la réforme des retraites. En effet, quoique la branche vieillesse n'ait été que marginalement affectée par la crise, elle est aujourd'hui celle qui connaît, en pourcentage, l'évolution la plus inquiétante. Il est prévu que le solde de la branche vieillesse soit déficitaire de 2,5 milliards d'euros en 2022, que ce déficit s'aggrave à 4,2 milliards d'euros en 2023, et qu'il atteigne 7,6 milliards d'euros en 2025. Le déficit de 2025 serait ainsi plus de trois fois supérieur à celui de 2022.
L'absence de réforme du système de retraites conduit non seulement à éloigner la perspective du retour à l'équilibre de la branche vieillesse, mais elle contribue aussi à aggraver son déficit. Or, encore une fois, plus les réformes seront repoussées dans le temps, plus il sera difficile d'inverser la tendance.
Nous sommes ainsi obligés de poser de nouveau la question de la gestion de la dette sociale.
Vous savez que la loi organique et la loi du 7 août 2020 relative à la dette sociale et à l'autonomie a prévu le transfert à la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) de 136 milliards d'euros de dette sociale d'ici à 2023. Cette somme couvre 31 milliards d'euros de déficits cumulés à la fin 2019, 92 milliards d'euros de déficits cumulés pour la période 2020-2023 et 13 milliards d'euros de reprise de la dette hospitalière.
Or le présent projet de loi de financement met en avant des déficits cumulés du régime général et du FSV supérieurs à 92 milliards d'euros pour la période 2020-2023. Le déficit cumulé atteindrait en effet 109 milliards d'euros fin 2023. En outre, il est prévu un déficit de 13 milliards d'euros pour l'exercice 2024 et de 13,3 milliards d'euros à la fin de l'année 2025. La Cades est dans une impasse financière.
Malgré cela, la loi du 7 août 2020 prévoit de réaffecter à la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) une partie de la fraction de contribution sociale généralisée (CSG) actuellement versée à la Cades. À compter du 1er janvier 2024, date à laquelle seront amorties les dettes reprises par la Cades entre 1996 et 2018, cette fraction serait réduite à 0,45 point de CSG, soit 2,3 milliards d'euros.
Ces perspectives rendent irréaliste la prévision actuelle d'une extinction de la Cades aux environs de 2033. Le poids de la dette sociale est donc confié aux générations futures, ce qui est pourtant ce que l'on cherchait à éviter au moins depuis la création de la Cades en 1996.
Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, vous aurez compris que ma position sur l'équilibre général du texte est réservée. Je ne considère toutefois pas que celui-ci soit irrécupérable à ce stade. Je propose donc d'adopter le projet de loi de financement de la sécurité sociale, sous réserve des améliorations qui seront apportées par la commission des affaires sociales.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je remercie le rapporteur pour son travail. De nombreuses questions restent sans réponse. Comment les dépenses du Ségur de la santé sont-elles intégrées dans l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) ? Dans quelle mesure participent-elles à la revalorisation de cet objectif sur le long terme ?
M. Christian Klinger, rapporteur pour avis. - L'Ondam pour 2022 inclut 9,9 milliards d'euros pour la revalorisation des rémunérations des personnels, ce qui correspond à 80 % des mesures du Ségur de la santé, et 2,7 milliards d'euros supplémentaires pour des dépenses d'investissement, soit plus de 12,5 milliards d'euros pour le Ségur de la santé. Cette différence de type de dépenses a un impact sur la trajectoire des comptes sociaux : les mesures d'investissement sont censées être ponctuelles, tandis que les mesures de revalorisation salariale ont un impact sur les PLFSS des années suivantes.
M. Stéphane Sautarel. - Je remercie le rapporteur pour la clarté de ses propos. La loi Grand âge et autonomie a été reportée ; pour autant, les crédits de la branche autonomie ont été inscrits dans le PLFSS. Quelles sont les incidences de l'avenant 43 sur l'aide à domicile dans le cadre du Ségur de la santé ? Les réponses budgétaires sont-elles prévues dans le PLFSS ?
Quid des oubliés du Ségur dans la fonction publique territoriale et hospitalière ? En effet, on constate des écarts de traitement selon le lieu d'intervention de ces personnels, en établissement ou à domicile.
M. Roger Karoutchi. - On déplore les démissions d'un certain nombre de personnels hospitaliers depuis plus d'un an. Par ailleurs, on a appris il y a quelques jours que 20 % des lits étaient désarmés. L'hôpital est donc en tension, car un cinquième des lits est en réalité fermé. Le PLFSS n'apporte aucune réponse à cette situation. Comment arrêter l'hémorragie de personnels qui quittent l'hôpital par lassitude, parce qu'ils sont insuffisamment payés ou qu'ils considèrent que le Ségur ne leur a rien apporté ? Comment réarmer matériellement et psychologiquement l'hôpital ?
M. Éric Bocquet. - L'année 2020 a été particulière pour la sécurité sociale, en raison des dépenses imprévues, notamment de produits de santé. Quel est l'impact sur le budget de la sécurité sociale de la transformation du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) en allégement de cotisations sociales ?
M. Marc Laménie. - Je remercie le rapporteur pour son analyse très pertinente. J'ai trois questions : comment s'explique l'augmentation de 3,4 % des recettes ? Quelle est l'évolution prévisible du volet médicosocial ? Et quel avenir pour la Cades ?
M. Vincent Segouin. - Je veux revenir sur le schéma d'évolution du solde de la sécurité sociale. Le Gouvernement ne cesse de nous dire que tout va bien. Je m'étonne de constater que la prévision de déficit est de 21 milliards d'euros pour 2022, de 15 milliards pour 2023, de 13 milliards en 2024, et de 13,3 milliards en 2025. Ces prévisions sont-elles fondées ?
M. Thierry Cozic. - Je remercie le rapporteur de sa présentation. Près de 80 milliards d'euros de déficit cumulé entre 2020 et 2022 vont être versés à la Cades : le Gouvernement fait porter par cette structure les déficits engendrés par les arrêts de travail liés au confinement, qui ne sont pas des dépenses de santé. Contrairement à la dette de l'État, qui est rarement remboursée, il n'en est pas de même pour celle de la Cades, qui doit être éteinte à une date donnée, en 2033. Le remboursement de la dette pourrait-il être utilisé pour justifier une forte rigueur budgétaire, avec une restriction du champ de la solidarité ?
M. Sébastien Meurant. - Combien de lits et d'hôpitaux ont-ils été fermés en dépit des engagements du Président de la République ?
Les démissions en cascade des infirmières et aides-soignantes et la mise à pied de certains personnels liée à l'obligation vaccinale ont conduit au désarmement de lits d'hôpital. On entend des chiffres très variables. Connaît-on le nombre réel de personnels ayant refusé de se faire vacciner ? À quelle hauteur ces personnels ont-ils contribué au désarmement de lits ?
S'agissant de la fraude sociale, le magistrat Charles Prats, des articles de presse et des rapports, notamment de la Cour des comptes, mentionnent une différence très importante entre le nombre de cartes Vitale et le nombre d'habitants en France. Mais le rapporteur indique qu'il n'est guère possible de lutter contre cette fraude...
Enfin, comment voter ce budget alors que le rapporteur s'interroge sur la soutenabilité de la dette de la Cades ?
M. Christian Bilhac. - Les chiffres sont inquiétants. Le chômage recule, l'activité économique repart, et pourtant les comptes de la sécurité sociale se dégradent. Je ne comprends pas pourquoi on ne retrouve pas le niveau d'équilibre d'avant-crise.
Peut-on continuer à maintenir en place le financement d'un système créé en 1945 ? On ne vit plus dans le même monde ! Les chefs d'entreprise souffrent des charges sociales, qui pèsent sur l'activité des entreprises, sur l'emploi, et favorisent le développement du travail au noir. N'y aurait-il pas d'autres pistes pour financer la sécurité sociale que les cotisations, qui sont d'ailleurs loin d'être la seule source de financement ? Il faudrait envisager un financement par des automatisations. Par exemple, quand un supermarché remplace une caissière par une caisse automatique, il économise 40 000 euros de salaires : une partie de cette économie ne pourrait-elle pas être taxée pour financer la sécurité sociale ?
M. Christian Klinger, rapporteur pour avis. - Monsieur Sautarel, la branche autonomie est récente. Aucune mesure structurelle ne figure dans ce PLFSS pour 2022. L'élection présidentielle nous apportera peut-être des éclairages sur les projets des candidats pour alimenter cette branche.
Monsieur Karoutchi, le PLFSS ne comporte aucune mesure pour lutter contre la fuite des personnels. L'amélioration de la rémunération devrait néanmoins être incitative.
Monsieur Bocquet, la transformation du CICE s'est traduite par une diminution des recettes de la Sécurité sociale. Ces baisses ont été compensées par des transferts de TVA dans les lois de finances jusqu'en 2020.
Je répondrai globalement aux questions sur la Cades. Celle-ci aurait normalement dû s'éteindre en 2024 s'il n'y avait pas eu la crise sanitaire. Les projections arrivent à l'équilibre en 2033, mais il manque déjà quelques milliards d'euros, car les déficits de 2023, 2024 et 2025 seront supérieurs aux prévisions. Une autre difficulté est qu'à partir de 2024 la fraction de CSG actuellement versée à la Cades baissera de 0,45 point, ce qui représente 2,3 milliards d'euros.
Par ailleurs, le risque ne concerne pas que les recettes, mais aussi la charge de la dette : une remontée des taux risque de pénaliser les émissions d'emprunts. Je signale à ce titre que les taux d'emprunt de la Cades sont plus élevés que ceux de l'État.
Concernant la fraude sociale, l'article 15 du PLFSS prévoit que les échanges avec un tiers sollicité peuvent être dématérialisés à la demande de l'agent chargé du contrôle et du recouvrement des organismes de la sécurité sociale. Cette disposition devrait apporter davantage de souplesse dans les actions de contrôle, mais son impact est limité, puisqu'il est estimé à environ 6 millions d'euros. Le montant annuel des préjudices subis par les branches du régime général de la sécurité sociale a été estimé par la Cour des comptes en 2019 à 771 millions d'euros, chiffre en augmentation de 162 % depuis 2010. Une réforme d'ampleur doit être opérée en la matière.
Si le déficit de la sécurité sociale ne s'améliore pas, c'est en raison de l'absence de réformes structurelles. Le Ségur de la santé représente une charge pérenne de 9 milliards d'euros. Le déficit de la branche vieillesse ne cesse de croître, et l'augmentation de l'activité économique n'est pas assez importante pour compenser l'accroissement des dépenses.
M. Dominique de Legge, président. - Quel est votre avis sur l'ensemble du PLFSS ?
M. Christian Klinger, rapporteur pour avis. - J'émets un avis de sagesse.
Mme Christine Lavarde. - Le projet de loi de financement de la sécurité sociale n'a pas encore été amendé par la commission des affaires sociales. En l'état, nous sommes plutôt opposés au texte du Gouvernement.
M. Dominique de Legge, président. - Les réserves dont vous nous avez fait part sont tellement importantes que vous estimez que la commission pourrait émettre un avis défavorable sur le texte ?
M. Christian Klinger, rapporteur pour avis. - Effectivement !
La commission émet un avis défavorable sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022.
Projet de loi de finances pour 2022 - Mission « Santé » - Examen du rapport spécial
M. Christian Klinger, rapporteur spécial de la mission « Santé ». - En 2022, les crédits de la mission « Santé » diminuent de 1,6 %, passant de 1,32 milliard à 1,299 milliard d'euros.
Cette mission est composée de deux programmes : le programme 204, dédié à la prévention, à la sécurité sanitaire et à l'offre de soins, et le programme 183, consacré à la protection maladie et dont la quasi-intégralité des crédits est désormais consacrée à l'aide médicale de l'État (AME).
Ces deux programmes sont toutefois déséquilibrés : le programme 204, via des mesures de périmètre, a peu à peu perdu l'essentiel de ses dispositifs. Il ne représente aujourd'hui plus que 212,9 millions d'euros, soit 16,3 % des crédits de la mission « Santé ». Les dépenses d'intervention du programme 183 ont en revanche fortement augmenté. La mission est ainsi aujourd'hui concentrée sur le financement de l'AME : 82,6 % des crédits demandés en 2022, soit 1,087 milliard d'euros, lui sont dédiés.
La mission a également perdu la majorité de ses opérateurs, dont Santé publique France en 2020. Il n'en reste aujourd'hui que deux : l'Institut national du cancer (INCa) ainsi que l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses). Par ailleurs, plus de 50 % du budget de l'INCa est financé via la mission « Recherche ». Les dépenses de personnel de l'Anses sont, quant à elles, prises en charge par la mission « Agriculture ».
Je vais à présent détailler les évolutions pour chacun des deux programmes, en commençant par le programme 185 relatif à la protection maladie.
Comme je l'ai déjà souligné, 99,3 % des crédits du programme sont consacrés à l'AME. Les crédits demandés pour celle-ci sont en augmentation de 2,1 % par rapport à l'année dernière, et s'élèvent à 1,087 milliard d'euros. Il faut relever que l'aide médicale de droit commun - c'est-à-dire l'aide médicale hors soins urgents et hors humanitaire - dépasse pour la première fois la barre du milliard d'euros.
Je vous rappelle qu'une réforme adoptée en loi de finances pour 2020 sur l'initiative du Gouvernement devait en limiter le coût. Il a notamment été instauré une obligation de résidence, hors visa, de trois mois, ainsi qu'une obligation de présence physique lors de la demande de l'ouverture des droits à l'AME. Notre commission avait jugé à l'époque cette réforme insuffisante.
Dans le projet de loi de finances pour 2021, nous avions déjà pu constater une forte majoration des crédits destinés à l'AME : ils progressaient de 15,4 % par rapport à 2020. Face à ce constat, il nous a été répondu que la crise sanitaire avait bouleversé l'application de la réforme. Il est vrai que des décrets d'application n'avaient pas encore été pris, et que le statut de bénéficiaire avait fait l'objet de plusieurs extensions.
Toutefois, nous pouvons constater dans ce budget une nouvelle majoration des crédits de l'AME, alors que nous pouvons espérer que la crise sanitaire est en grande partie derrière nous. On ne peut qu'en déduire l'insuffisance de la réforme de 2020.
Plus que jamais, le dynamisme des dépenses de l'AME incite à l'adoption de mesures structurelles réellement efficaces, visant le panier de soins, afin de limiter sa progression, répondre à l'impératif de sincérité budgétaire et garantir la soutenabilité de la mission.
S'agissant du programme 204, la crise nous a rappelé l'importance des termes qui composent l'intitulé de ce programme : « prévention, sécurité sanitaire et offre de soins. » Ils représentent tous des aspects majeurs d'une politique publique de santé, mais l'ironie est que ce programme y joue malheureusement une part très faible. En effet, près de la moitié de ses crédits sont tournés vers le financement de deux sous-actions : l'agence de santé de Wallis-et-Futuna et le fonds d'indemnisation des victimes de la Dépakine.
À ce titre, l'augmentation des crédits accordés à l'agence de santé de Wallis-et-Futuna répond aux critiques répétées du Sénat concernant sa sous-budgétisation antérieure à 2020. Elle ne saurait cependant se substituer à la mise en oeuvre de réformes structurelles, qui restent à ce jour incomplètes. Quant au fonds d'indemnisation pour les victimes de la Dépakine, les crédits accordés sont conformes aux prévisions.
Toujours est-il que ces deux sous-actions concentrent près de la moitié des crédits du programme, alors qu'elles ne représentent pas des aspects majeurs d'une politique de santé et qu'il y a même plusieurs arguments pour les déplacer dans une autre mission. Il s'agit en outre de dépenses qui sont, par nature, peu pilotables. En somme, la mission « Santé » semble se réduire à un vecteur budgétaire de l'AME. Cela interroge sur l'intitulé même de la mission : que penser d'une mission « Santé » dès lors que l'essentiel de la politique de santé publique se déroule en réalité en dehors d'elle ?
De manière plus inquiétante, cet état de fait pose la question du contrôle parlementaire sur les crédits accordés aux politiques publiques de santé.
La Cour des comptes a recommandé à plusieurs reprises de distinguer clairement entre les dépenses dont les financements relèvent d'une logique contributive, comme sont censées l'être celles de l'assurance maladie, et les dépenses qui relèvent du budget de l'État, ce qu'est supposée représenter la mission « Santé ». Or c'est tout l'inverse qui se produit. La mission « Santé » est réduite à peau de chagrin, et de nombreux dispositifs financés directement par le budget de l'État sont intégrés à l'assurance maladie.
À ce titre, la question récurrente de l'opportunité du maintien ou non de la mission « Santé » est devenue quasiment sans objet : la mission est déjà devenue, si on fait abstraction de l'AME, une coquille vide.
Compte tenu des éléments que je viens d'évoquer, je considère que les crédits de la mission ne peuvent faire l'objet d'une adoption. Au regard de l'absence d'évolution depuis l'année dernière, je vous propose donc de les rejeter.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je remercie le rapporteur, qui ne fait que confirmer nos observations de l'année dernière sur le côté « famélique » de cette mission.
S'agissant de l'agence de santé de Wallis-et-Futuna, quelles propositions de réforme ont été envisagées ? Quels sont les obstacles à leur mise en oeuvre ?
M. Christian Klinger, rapporteur spécial. - Un projet stratégique quinquennal a été établi en 2016 : quinze mesures avaient été proposées pour parvenir à une maîtrise des coûts. Elles étaient de natures diverses : création d'un secrétariat général et d'un pôle de prévention, recrutement d'un diététicien, d'un épidémiologiste et d'un médecin de santé publique, renforcement du développement de la télémédecine. L'administration nous a transmis pour la première fois un bilan des mesures mises en place. La télémédecine est notamment en cours de déploiement dans le cadre du projet de convention avec le centre hospitalier universitaire de Rennes. On peut regretter que certaines mesures n'aient néanmoins pas été prises : il n'y a pas eu de recrutement d'épidémiologiste et de diététicien. Il s'agit pourtant d'enjeux de santé publique majeurs dans le Pacifique. La création de ces postes permettrait d'élaborer un véritable pôle de prévention et de santé publique au sein de l'agence.
Se pose aussi la question du maintien de cette sous-action dans la mission « Santé » et de l'opportunité de son transfert à la mission « Outre-mer ». Une grande part des dépenses de l'agence de santé de Wallis-et-Futuna provient de l'évacuation des patients en Nouvelle-Calédonie.
M. Roger Karoutchi. - Je me demande pourquoi la mission « Santé » existe toujours, alors qu'elle ne comprend plus que l'AME. On devrait l'appeler mission « AME », ce serait plus simple ! La réduction du périmètre de cette mission est désolante.
S'agissant de l'AME, j'ai fait voter par le Sénat des mesures pour en faire une aide médicale d'urgence. Le projet de loi de finances pour 2022 est illusoire : les mouvements migratoires ont été ralentis en 2020-2021, mais ils ont repris depuis juillet dernier : le chiffre de 1,087 milliard d'euros est irréaliste. N'importe quel spécialiste sait qu'il faudrait au moins 1,2 milliard d'euros. Le Gouvernement avait fait une réforme a minima il y a deux ans qu'il n'applique pas. La situation est explosive. Pourquoi le Gouvernement n'accepte-t-il pas de se mettre autour de la table pour imaginer une réforme qui soit humaine et qui permette de maîtriser la dépense publique ? Quand j'évoquais il y a quelques années le moment où on en arriverait au milliard d'euros, Mme Touraine m'avait répondu que j'extrapolais pour faire de la démagogie...
M. Sébastien Meurant. - L'aide médicale « de l'État » sert à des personnes qui ne devraient pas être sur le territoire. À l'heure où nous n'avons pas d'argent pour les hôpitaux, cela devrait nous interroger. Et je ne parle même pas des territoires qui sont encore plus à part dans le fonctionnement de la République française : Mayotte et la Guyane. Pouvez-vous nous apporter des précisions sur la situation dans ces deux territoires ?
On constate une augmentation des flux de migrants par les Pyrénées-Orientales, qui conduira à une hausse des dépenses de l'AME.
Mme Isabelle Briquet. - Je partage le manque d'enthousiasme du rapporteur. Le Gouvernement n'a pas de stratégie globale et n'attribue pas les crédits nécessaires aux deux programmes. Le budget consacré à la prévention et l'offre de soins baisse entre 2021 et 2022, ce qui confirme la tendance à l'appauvrissement de cette mission.
Le Gouvernement continue de transférer des dépenses relevant de l'État, et donc de l'impôt, de cette mission à l'assurance maladie, parfois sans compensation. Je pense, par exemple, aux crédits dédiés à la modernisation de l'offre de soins, aux projets régionaux de santé, à la prévention...
M. Christian Klinger, rapporteur spécial. - S'agissant de l'AME, rien de neuf sous le soleil ! Il est difficile de réduire le panier de soins ; et mettre en place l'aide médicale d'urgence est un signe politique que le Gouvernement doit envoyer, ce qu'il ne fait pas. Les dépenses de l'AME vont continuer de croître.
La question doit être posée : doit-on la rattacher à la mission « Immigration » ? Car les deux sont évidemment liés, et maîtriser l'immigration contribuera forcément à réduire le budget de l'AME. Une augmentation de 30 % du nombre d'étrangers en France a un impact de 50 % sur le budget de l'AME : l'augmentation est exponentielle.
Il faut donc mener une réforme de fond en comble de cette politique. Il est vrai que le sujet est délicat. Lorsqu'un médecin reçoit un blessé dans un hôpital, il fait son métier : il soigne ! Il ne va pas demander à cette personne si elle est en France depuis plus de trois mois, d'autant qu'il n'existe aujourd'hui aucun critère restrictif.
Nous avons bien entendu organisé des auditions sur ce sujet et nous avons regardé comment s'organisent les autres pays européens. Or certains ont réduit le panier de soins. C'est donc possible, mais tout cela dépend de la volonté politique.
En ce qui concerne le changement de périmètre de la mission, ce mouvement a commencé en 2015, avec un transfert de 134 millions d'euros de dépenses liées aux formations médicales. Depuis lors, d'autres transferts ont été organisés vers l'assurance maladie. Ainsi, la loi de finances pour 2020 a procédé au transfert à l'assurance maladie des dépenses de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) pour 156 millions d'euros et de celles de l'Agence nationale de santé publique pour 112 millions d'euros.
La commission décide de proposer au Sénat de ne pas adopter les crédits de la mission « Santé ».
Projet de loi de finances pour 2022 - Missions «Solidarité, insertion et égalité des chances » (et article 43) - Examen du rapport spécial
M. Arnaud Bazin, rapporteur spécial de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ». - Les crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » demandés pour 2022 s'élèvent à environ 28 milliards d'euros en autorisations d'engagement et en crédits de paiement.
Si nous faisons le bilan depuis le début du quinquennat, nous observons une nette progression des crédits, puisque ceux-ci s'élevaient à 20 milliards d'euros en 2018. Le taux de croissance annuel moyen de la dépense est, quant à lui, proche de 9 % sur la période.
Cette croissance procède de deux facteurs.
Premièrement, elle découle du dynamisme des deux principaux dispositifs financés par la mission - l'allocation aux adultes handicapés (AAH) et la prime d'activité -, qui représentent à eux seuls plus des trois quarts des crédits.
Deuxièmement, elle tient à la mobilisation importante de la mission pour « éteindre les incendies » sociaux. L'augmentation de 90 euros du bonus individuel de la prime d'activité avait par exemple constitué l'un des principaux vecteurs de la réponse gouvernementale à l'urgence sociale exprimée par le mouvement des « gilets jaunes ». En termes budgétaires, celle-ci s'est traduite par une dépense pérenne de 4,4 milliards d'euros par an. En 2020, lors de la crise sanitaire, ce sont deux aides exceptionnelles de solidarité qui avaient été versées aux ménages modestes, représentant une dépense ponctuelle de 2 milliards d'euros.
Je souhaite dire un mot de l'aide alimentaire, qui ne représente, avec 57 millions d'euros, qu'une faible part des crédits de la mission, mais qui constitue une politique vitale, comme la crise l'a rappelé avec force. En 2020, 5,2 millions de nos concitoyens ont fait appel à une aide alimentaire.
Si l'on intègre les crédits européens, le soutien à cette politique devrait progresser de façon notable en 2022 et les années suivantes - il faut le saluer. Nous identifions néanmoins un point de vigilance sur le plan opérationnel. La refonte de l'ancien Fonds européen d'aide aux plus démunis au sein du nouveau FSE+ va impliquer certaines transformations des processus. Les associations que nous avons auditionnées déplorent un manque de visibilité en la matière et il est essentiel que l'État et FranceAgriMer, l'opérateur chargé de l'achat de denrées, les accompagnent de manière adéquate. Un renforcement des moyens humains de FranceAgriMer est également prévu dans ce cadre pour professionnaliser ses fonctions achats et logistique, ce qui était à vrai dire nécessaire de longue date.
Ce budget témoigne également du renforcement du partenariat avec les départements pour la mise en oeuvre des politiques de solidarité. Dans ce projet de loi de finances, ce sont ainsi près de 400 millions d'euros qui sont consacrés au financement de politiques contractualisées avec les départements dans les domaines de la protection de l'enfance et de la prévention de la pauvreté. Il aura fallu du temps à l'État pour se rendre compte, d'une part, qu'il est indispensable de s'appuyer sur l'expertise des départements pour la mise en oeuvre des politiques sociales, et d'autre part, que les départements ne pouvaient malheureusement pas valoriser convenablement ce savoir-faire faute de moyens financiers suffisants. Le message semble enfin commencer à passer !
Je suis loin de partager, comme vous le savez, l'ensemble des orientations du Gouvernement dans sa politique de cohésion sociale et de solidarité. Je pourrais par exemple évoquer la baisse d'année en année de son soutien aux départements pour l'accueil des mineurs non accompagnés ...
Néanmoins, en responsabilité et afin d'assurer le financement de la prime d'activité et de l'AAH, je vous propose d'adopter les crédits de cette mission.
M. Éric Bocquet, rapporteur spécial de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ». - Certains points positifs sont à souligner dans ce budget. Je pense par exemple au renforcement, pour la deuxième année consécutive, des crédits de la lutte contre les violences faites aux femmes - c'est le résultat d'âpres combats et de belles mobilisations, notamment de la part des associations, mais aussi d'une attitude un peu plus ouverte de la nouvelle ministre. Nous nous félicitons du fait que la lisibilité budgétaire de cette politique ait été améliorée dans ce projet de loi de finances, avec la création d'une action dédiée. Cela répond à une recommandation que nous avions formulée dans notre rapport sur le sujet publié l'an passé.
Le constat est bien plus mitigé concernant l'AAH. Nous avons voulu faire, dans notre rapport, un premier bilan du quinquennat qui s'achève pour ce qui concerne cette allocation. Nous notons en premier lieu le dynamisme de la prestation, avec une croissance forte du nombre de bénéficiaires, qui a augmenté de 28,5 % depuis 2018 pour s'établir à 1,3 million, et une augmentation importante de la dépense qui devrait progresser de 24 % depuis 2018 pour s'établir à 11,8 milliards d'euros selon le projet de loi de finances pour 2022.
Cette dynamique est également affectée par de nombreuses évolutions législatives et réglementaires, avec des conséquences budgétaires très différentes. Pour résumer, une part significative de ce que l'État a entendu donner d'une main a été discrètement reprise de l'autre.
Une revalorisation importante de l'AAH a eu lieu en 2018, puis en 2019, relevant le montant mensuel de l'allocation de près de 90 euros pour le porter à un peu plus de 900 euros en 2021, ce qui représente pendant le quinquennat un effort global de 3 milliards d'euros.
Mais en parallèle, de discrets coups de rabot ont été décidés pour modérer l'évolution de la dépense : réforme du plafond de ressources des personnes en couple, suppression du complément de ressources, sous-indexation de la revalorisation légale annuelle, etc. Au total, ces mesures d'économies viennent capter plus du tiers de la dynamique créée par la revalorisation de l'AAH, soit environ 1 milliard d'euros sur les cinq ans. Pour de nombreux bénéficiaires, cette revalorisation a donc été largement théorique.
En outre, en dépit de l'article 43 rattaché à la mission qu'Arnaud Bazin vous présentera ensuite, le Gouvernement persiste dans son refus de déconjugaliser les revenus pris en compte pour le calcul de l'AAH, à rebours de l'objectif d'autonomie qui est pourtant recherché.
La logique strictement budgétaire est parfois poussée à l'extrême.
L'État semble en effet déterminé à renforcer le pilotage de l'AAH afin d'harmoniser les pratiques des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) - il est vrai que les disparités sont encore fortes en matière de taux d'attribution de la prestation. Nous ne pouvons que nous en féliciter, puisque c'est exactement ce que nous recommandions, avec Arnaud Bazin, dans le rapport de contrôle consacré aux MDPH que nous avons publié cet été. Il ressort néanmoins de nos auditions qu'un objectif d'économies de 80 millions d'euros a été associé à cette démarche d'amélioration du pilotage, ce qui est difficilement compréhensible.
Tout d'abord, rien ne permet d'affirmer que l'harmonisation des pratiques permettra de réaliser des économies. Surtout, c'est de notre point de vue une façon bien étrange d'aborder le problème. L'objectif doit être ici de renforcer l'égalité territoriale entre les citoyens pour l'accès à un droit relevant de la solidarité nationale, et non de rationaliser la dépense.
Même si nos analyses convergent pour l'essentiel avec Arnaud Bazin, je propose, quant à moi, de rejeter les crédits de la mission, qui sont encore loin d'être à la hauteur des enjeux et qui reste en décalage avec la situation sociale du pays dans le contexte issu de la crise sanitaire.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - La manière de comptabiliser les ressources en vue de l'attribution de l'AAH est un sujet éminemment complexe, dont le Sénat a déjà délibéré. Je ne suis pas certain qu'on puisse en rester à la proposition faite par le Gouvernement, en particulier quand on voit que celui-ci égrène les crédits au fil des semaines à destination de certains de nos concitoyens, parfois pour des montants très importants.
Mme Christine Lavarde. - J'ai deux questions relatives au revenu de solidarité active (RSA).
J'ai lu dans la presse que dix départements s'opposaient à la prise en charge par le RSA des personnes dont le contrat de travail avait été suspendu pour refus de vaccination. Quelle charge financière cela représente-t-il ?
En ce qui concerne l'expérimentation en Seine-Saint-Denis de la nationalisation du RSA, disposez-vous d'un retour d'expérience ? Cette mesure vous semble-t-elle pertinente, notamment en termes de gestion ?
M. Stéphane Sautarel. - Je m'interroge aussi sur le retour d'expérience dont nous disposons, le cas échéant, quant à cette expérimentation de recentralisation du RSA. Je suis par ailleurs surpris que le projet de loi de finances intègre cette expérimentation dans les comptes, alors que le projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale (3DS) n'a pas été adopté définitivement par le Parlement ...
J'ajoute que cette mesure entraînera une « gestion à la carte » qui risque de rendre impossibles les comparaisons entre les départements en ce qui concerne leurs finances - je pense notamment à l'attribution des dotations, à la péréquation, etc. Il n'est donc pas sûr qu'elle améliore la lisibilité d'ensemble.
Enfin, je me réjouis évidemment de l'effort en faveur de la protection de l'enfance, même s'il faut savoir que 140 millions d'euros représentent le budget annuel qu'un département de taille moyenne consacre à ce sujet. L'effort reste donc limité ...
M. Marc Laménie. - Cette mission est importante en volume.
Je note moi aussi la revalorisation qui a bénéficié aux allocataires de l'AAH, mais je rappelle que nos rapporteurs spéciaux mettent souvent en avant le nombre insuffisant de places d'accompagnement, notamment dans les établissements et services d'aide par le travail (ESAT). C'est un point particulièrement important dans les départements frontaliers comme le mien.
Par ailleurs, les rapporteurs spéciaux ont évoqué la solidarité et le partenariat avec les conseils départementaux et les associations. Nous devons être attentifs aux problèmes de financement des grandes associations qui oeuvrent dans ce secteur : leurs actions sont essentielles.
Mme Isabelle Briquet. - Moi aussi, je voudrais savoir si nous disposons d'un retour d'expérience sur l'expérimentation liée au RSA.
Je partage les remarques d'Éric Bocquet sur l'AAH : des efforts ont été réalisés, mais la seule véritable équité est la déconjugalisation ! Nous restons donc sur notre faim.
Je souhaite enfin que nous restions vigilants sur l'aide alimentaire, parce que nous avons connu des difficultés durant les deux exercices précédents. La mise en place du FSE + semble nous engager sur la voie d'une aide plus importante, mais nous devons être attentifs. L'aide alimentaire est indispensable, nous ne pouvons pas nous en passer !
M. Jérôme Bascher. - Les rapporteurs spéciaux ont déjà mis en avant des disparités dans les pratiques des MDPH : une solution ne serait-elle pas de renationaliser le dispositif ?
Aujourd'hui, les évolutions de l'AAH et du minimum vieillesse sont corrélées. Ne faudrait-il pas modifier ce point afin d'améliorer l'efficacité de nos politiques ?
M. Sébastien Meurant. - Avez-vous des informations plus précises sur la croissance de l'AAH par département ? Cette croissance est-elle uniforme ou existe-t-il des différences selon les territoires ?
M. Arnaud Bazin, rapporteur spécial. - Au sujet de l'AAH, le Sénat a adopté une proposition de loi visant à ne plus prendre en compte les revenus du conjoint dans l'attribution et le calcul de l'allocation. Le Gouvernement propose ici une mesure différente : un abattement de 5 000 euros sur les revenus du conjoint. Le compte n'y est pas ! La mesure proposée par le Gouvernement a une incidence de 185 millions d'euros ; il faudrait y ajouter environ 500 millions pour arriver à une déconjugalisation complète et un équilibre budgétaire doit être trouvé. Nous verrons si des amendements sont déposés sur ce point. Je rappelle que la seule pétition déposée au Sénat et ayant recueilli plus de 100 000 signatures concerne justement ce sujet.
En ce qui concerne l'expérimentation liée au RSA, je vais vous décevoir, puisqu'elle ne débutera qu'au 1er janvier prochain ... Pour autant, l'article 12 du projet de loi de finances pour 2022 prévoit les conditions de son financement pour l'État, ce qui va en fait intéresser tous les départements. En effet, au-delà de la seule question de la lisibilité, évoquée par Stéphane Sautarel, l'État envisage de ponctionner, jusqu'à 20 %, les droits de mutation à titre onéreux (DMTO), ce qui aura un impact sur les calculs de la péréquation entre les départements. Nous devons donc être attentifs à toutes les conséquences de cette expérimentation sur l'ensemble des départements.
L'enveloppe prévue pour la protection de l'enfance - 140 millions d'euros - est en effet limitée budgétairement, mais la contractualisation est un point intéressant. Les départements sont d'ailleurs plutôt satisfaits de cette mesure, comme ils le sont de celle qui est relative à la lutte contre la pauvreté. Au début, l'État n'avait sûrement pas la bonne attitude en voulant imposer une certaine approche, mais les choses sont devenues plus fluides et plus raisonnables.
Des moyens supplémentaires seront apportés en 2022 à l'aide alimentaire, notamment avec la programmation sur sept ans des fonds européens. Ceux-ci représenteront 90 % de l'ensemble, contre 85 % auparavant. Il est vrai que les premières années ont été chaotiques, mais cela venait du fait que la France avait mis en place des procédures administratives extrêmement lourdes - il y avait, de mémoire, sept niveaux de contrôle ! -, si bien que la Commission européenne ne versait pas les crédits. Les choses se sont améliorées.
J'ajoute qu'il est important que FranceAgriMer, qui achète pour plus de 100 millions d'euros par an de denrées alimentaires avant de les redistribuer aux associations, soit enfin doté de moyens humains plus adaptés : devraient ainsi être créés un poste d'ingénieur logisticien et un poste de spécialiste en marchés alimentaires - c'est essentiel, car ce sont des métiers qui ne s'inventent pas ! C'est d'autant plus important que FranceAgriMer, qui doit s'occuper de 31 types de denrées à livrer en 300 endroits, devra gérer des marchés pluriannuels et qu'il faudra séparer les achats de denrées et la logistique. Il est vraiment essentiel que l'établissement recrute des spécialistes de ces questions. Je rappelle que plusieurs marchés ont été déclarés infructueux ces dernières années.
Nous devons être attentifs à la question de l'aide alimentaire, amortisseur des crises : plus de 5 millions de nos concitoyens y ont recours.
Jérôme Bascher s'est interrogé - de manière radicale ... - sur une éventuelle nationalisation des MDPH. Mon cher collègue, jamais je ne pourrai, en tant qu'ancien président de conseil départemental et départementaliste, bénir une telle horreur ! Pour autant, il est nécessaire d'harmoniser les pratiques.
Les taux d'attribution de l'AAH sont différents selon les départements, mais c'est surtout le cas pour l'AAH dite 2, celle qui est octroyée aux personnes ayant un taux d'invalidité compris entre 50 % et 80 % et une reconnaissance d'incapacité sévère et durable d'accéder à l'emploi. Il peut sembler normal que des différences existent en fonction des caractéristiques, ne serait-ce que géographiques, des départements. Nous devons garder de la proximité, tout en apportant davantage de cohérence, à condition que cela soit fait intelligemment.
Enfin, nous allons regarder la question de la corrélation entre l'évolution de l'AAH et celle du minimum vieillesse ...
M. Éric Bocquet, rapporteur spécial. - En ce qui concerne la déconjugalisation de l'AAH, je veux d'abord dire que la bataille n'est pas terminée ! Le Sénat a voté un texte et la navette est en cours. Les associations sont extrêmement attachées à cette question. Nous devons rester vigilants et montrer toute notre solidarité envers les personnes handicapées.
Sur le RSA, nous savons bien qu'il existe de grandes disparités selon les départements. Dans mon département, le Nord, la situation est particulièrement tendue. Je ne crois pas que les départements rechignent à gérer le RSA, mais ils ne peuvent le faire correctement que s'ils disposent des moyens financiers suffisants. En tout cas, le RSA doit être géré au plus près des allocataires et nous devons être vigilants sur les propositions de l'État en la matière.
Il existe des disparités en matière d'attribution de l'AAH : à titre d'exemple, la part des allocataires dans la population est relativement faible dans les départements d'Île-de-France et en Auvergne-Rhône-Alpes, plus élevées dans le Sud-Ouest, notamment dans des départements ruraux, et outre-mer.
Je rejoins Marc Laménie sur les phénomènes d'expatriation subie par les familles en raison du manque de places dans les ESAT ou dans les autres structures d'accueil. Nous connaissons bien le problème dans le Nord.
Pour conclure, je crois que nous devons absolument soutenir les associations. Elles sont militantes - ce n'est pas un gros mot - et il faut les encourager !
La commission décide de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ».
EXAMEN DE L'ARTICLE RATTACHÉ
M. Arnaud Bazin, rapporteur spécial. - L'article 43 propose d'instaurer un mécanisme d'abattement forfaitaire sur les revenus du conjoint pour le calcul de l'AAH.
Pour rappel, l'AAH est une prestation conjugalisée, comme le RSA et les autres minima sociaux, c'est-à-dire que les ressources prises en compte sont celles du ménage et non celles de l'individu bénéficiaire.
En l'état du droit, un abattement existe déjà sur les revenus du conjoint, mais il est calculé de façon proportionnelle (20 %). Ce système n'est pas satisfaisant, car il est antiredistributif : par construction, plus les ressources sont élevées, plus l'abattement est important...
Il est indiqué que le montant de l'abattement, qui devra être fixé par décret, serait de 5 000 euros. Sous cette hypothèse, le dispositif doit permettre de générer un gain moyen de 110 euros par mois pour 120 000 personnes, pour un coût total estimé à 185 millions d'euros par an. Il s'agit donc incontestablement d'une mesure positive. Cela dit, elle ne répond en rien au problème posé par la conjugalisation qui a pour effet d'aggraver la dépendance de la personne handicapée aux revenus de son conjoint - c'est une question de principe.
Il est temps de prendre acte du fait que l'AAH n'est pas un minimum social comme un autre, mais une prestation de compensation de difficultés particulières d'accès à l'emploi et d'insertion liées au handicap. Il s'agit d'une aspiration sociale profonde : en témoigne le fait que la première pétition à atteindre le seuil de 100 000 signatures sur la plateforme dédiée du Sénat porte sur ce sujet.
Une proposition de loi allant en ce sens a ainsi été inscrite à notre ordre du jour, donnant l'occasion au Sénat de voter la déconjugalisation totale de l'AAH. Pour les ménages qui seraient susceptibles d'y perdre financièrement, un droit d'option en faveur du système conjugalisé a été proposé pour dix ans - on pense intuitivement que la déconjugalisation ne fait que des gagnants, ce qui n'est en fait pas le cas.
L'Assemblée nationale est revenue sur ce texte, en lui substituant le dispositif qui figure aujourd'hui à l'article 43 du projet de loi de finances pour 2022. Le Sénat a ensuite rétabli sa version en deuxième lecture le 12 octobre dernier.
Dans l'attente des évolutions de ce texte en cours de navette, nous vous proposons d'adopter sans modification cet article, qui constitue tout de même une mesure positive en faveur des bénéficiaires de l'AAH.
La commission décide de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, de l'article 43.
Projet de loi de finances pour 2022 - Mission « Régimes sociaux et de retraite » et compte d'affectation spéciale « Pensions » - Examen du rapport spécial
M. Dominique de Legge, président. - Nous poursuivons nos travaux avec la mission « Régimes sociaux et de retraite » et avec le compte d'affectation spéciale « Pensions ».
Je salue la présence parmi nous de René-Paul Savary, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales.
Mme Sylvie Vermeillet, rapporteure spéciale de la mission « Régimes sociaux et de retraite » et du compte d'affectation spéciale « Pensions ». - Le compte d'affectation spéciale (CAS) « Pensions » et la mission « Régimes sociaux et de retraite » constituent une partie du financement public des systèmes de retraite, à savoir les pensions gérées par l'État pour presque 61 milliards d'euros, ainsi que certains régimes spéciaux déficitaires pour 6,06 milliards. Ces deux budgets sont importants, mais je précise que l'ensemble des dépenses de retraite, régimes de base et complémentaires, s'est élevé à 335 milliards d'euros en 2020.
Ainsi, les 67 milliards qui font l'objet de mon rapport spécial concentrent les versements de pensions auxquelles l'État doit consentir, principalement les pensions civiles et militaires, les pensions d'invalidité et les subventions d'équilibre versées aux régimes des retraites de la SNCF, de la RATP, des marins et des mines.
Cependant, l'État subvient également à d'autres régimes, mais par d'autres moyens, notamment celui des taxes affectées : il s'agit du régime des industries électriques et gazières (IEG), de celui des clercs et employés de notaires, de celui des avocats et de celui des non-salariés agricoles.
L'État verse également une subvention d'équilibre au régime des agents de l'Opéra de Paris et à celui des agents de la Comédie-française, mais ces régimes échappent à la mission dont je vous parle. Il est bien difficile de comprendre pourquoi ...
À la fin, entre les régimes de base et les régimes complémentaires, les régimes intégrés, les régimes ouverts et les régimes fermés, les régimes excédentaires ou déficitaires, les régimes équilibrés par taxes affectées ou par subvention, les transferts entre régimes, etc. comment comparer valablement quoi que ce soit ? Comment extraire l'équité que chacun recherche ?
Réunir dans une seule et même mission tous les systèmes qui ont besoin du financement de l'État, sous quelque forme que ce soit, serait un bon début.
Mettre à plat les contributions de l'État aux régimes spéciaux est indispensable : lorsqu'un régime ne compte plus assez de cotisants pour subvenir aux pensions de ses retraités, alors indiscutablement la solidarité nationale doit venir à son secours. Mais lorsqu'à cette occasion, celle-ci finance aussi des avantages spécifiques, il est légitime de savoir lesquels et combien, avant d'y consentir.
En ce qui concerne la mission « Régimes sociaux et de retraite », le montant global des crédits demandés dans le cadre du projet de loi de finances pour 2022 s'élève donc à 6,06 milliards d'euros, dont 3,273 milliards pour le régime de la SNCF, 751 millions pour le régime de la RATP, 1,4 million pour le financement du congé de fin d'activité des chauffeurs routiers, 18,7 millions pour le régime des chemins de fer d'Afrique du Nord et du Niger-Méditerranée, 401 000 euros pour le régime des transports urbains tunisiens et marocains, 43 000 euros pour le régime du réseau ferroviaire franco-éthiopien - au sein duquel il ne reste que quatre pensionnés -, 791 millions pour les marins, 947 millions pour le régime des mines, 130 millions pour la Seita, 930 000 euros pour les régies ferroviaires d'outre-mer - qui ne compte que 55 pensionnés - et 90 000 euros pour l'ORTF - 55 pensionnés lui aussi.
Le déséquilibre démographique est, bien évidemment, accentué dans les régimes fermés qui voient leur population de cotisants décroître. Ainsi, le régime des mines ne compte plus que 981 cotisants, celui de la Seita plus un seul. Je rappelle que, depuis le 1er janvier 2020, le régime SNCF est fermé ; par conséquent, le besoin de financement par l'État ne peut que croître.
À l'intérieur de chaque régime, les incidences du déséquilibre démographique et des avantages spécifiques sont à l'évidence insuffisamment documentées : comment dès lors aborder une réforme si l'on ne connaît pas le coût de chaque mesure ? Durant mes auditions, j'ai pu vérifier qu'aucune caisse de retraite n'a mis à profit la pause de vingt mois depuis l'arrêt de la réforme des retraites pour préparer celle-ci et éclaircir ses comptes.
Lors de la création de la caisse de retraite de la RATP en 2006, le régime devait en principe être adossé au régime général et mettre en place un taux de cotisation patronal (T2) destiné à financer les droits spécifiques du régime : celui-ci n'a pas été mis en place, sous prétexte que les avantages du régime de la RATP seraient moins importants que ceux du régime de la SNCF, qui a créé un T2. Il en résulte que les droits spécifiques à la RATP sont tranquillement financés par la solidarité nationale ...
En 2016, une estimation du service statistique des ministères sociaux, la Drees, a évalué une partie des droits spécifiques cumulés des régimes SNCF, RATP, mines et marins à 3,8 milliards d'euros. Or le total des cotisations de ces quatre régimes s'élève à 2,5 milliards d'euros ... Chacun peut donc mesurer l'ampleur de l'effort national.
Que faire ? Malheureusement, les réformes passées n'ont jamais diminué les coûts pour l'État, parce qu'à grand renfort de mesures compensatoires les valeurs moyennes de liquidation des pensions ont sans cesse augmenté.
De plus, l'ouverture à la concurrence n'est qu'un leurre. Reprenons l'exemple de la RATP : 18 000 salariés du département bus sont concernés par la mise en concurrence d'ici à 2024. Si l'un des concurrents de la RATP devait remporter un marché, le transfert des personnels RATP fait que ceux-ci continueront de bénéficier de leur statut, qui sera toujours financé par l'État.
J'en viens au CAS « Pensions », d'un montant de 60,98 milliards d'euros en 2022.
Il concerne d'abord les pensions civiles et militaires de retraite et les allocations temporaires d'activité, pour 57,6 milliards d'euros, avec une revalorisation des pensions de base de 1,1 % au 1er janvier 2022 contre 0,4 % en 2021.
Il concerne ensuite les ouvriers des établissements industriels de l'État, pour 1,9 milliard d'euros.
Il concerne enfin les pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre pour 1,5 milliard d'euros, revalorisées de 1,6 % au 1er avril 2022 contre 0,1 % en 2021.
Le CAS devant être équilibré en permanence, la contribution dite employeur de chaque ministère est supérieure aux dépenses prévisionnelles. Cependant, celles-ci progressent plus vite que les recettes. Le taux de cotisation patronale est en effet fixe depuis 2014 : 74,28 % pour les civils et 126,07 % pour les militaires.
Le Conseil d'orientation des retraites (COR) estime que le nombre de retraités de droit direct devrait augmenter jusqu'en 2035 environ en raison du départ à la retraite des générations nombreuses du baby-boom. S'agissant des fonctionnaires civils, il passerait de 2 à 2,2 millions avant de redescendre en dessous de 2 millions en 2055.
Sachant par ailleurs que les contractuels de la fonction publique cotisent à la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV) et à une caisse de retraite complémentaire, l'Ircantec, on comprend bien que les cotisations des titulaires ne vont pas suffire longtemps à maintenir l'équilibre du CAS.
Fin 2021, le CAS devrait cumuler 9,7 milliards d'euros d'excédent, mais la contribution de 2021 à cet excédent ne sera que de 600 millions, alors qu'elle était de 1,26 milliard en 2020. Pour mémoire, le besoin de financement du régime est estimé à 88 milliards d'euros ... Pour autant, le projet annuel de performance 2022 du CAS ne présente ni projection de solde ni prévision de recettes pour l'avenir à moyen et long terme de ces régimes de retraite.
Je voudrais faire un petit focus sur la crise sanitaire : le surcroît de mortalité a conduit à une baisse des dépenses de pensions, pour le CAS, de 36 millions d'euros en 2020 et de 151 millions en 2021. Le service des retraites de l'État a également constaté un report des départs à la retraite pour 2 600 personnes en 2020 et 1 200 en 2021 : l'économie budgétaire est estimée à 19 millions pour 2020 et à 87 millions pour 2021.
Pour terminer, je souhaite livrer à votre réflexion un enjeu qui me paraît capital dans la perspective d'une future réforme des retraites.
Actuellement, la classe active cotise à des taux qui sont les plus élevés que nous ayons jamais connus, sur une assiette de plus en plus large et pour une durée de plus en plus longue. Son espérance de vie augmente certes toujours, mais moins vite qu'auparavant : l'espérance de vie des femmes se rapproche, en effet, de celle des hommes en raison, notamment, du développement des cancers et du palier constaté dans le traitement de nombreuses maladies, notamment les maladies cardio-vasculaires.
Lorsque la classe active actuelle sera en retraite, la pension dont elle bénéficiera sera, sous l'effet des réformes passées, bien faible au regard du niveau de vie des plus jeunes.
En 1970, un retraité percevait en moyenne 70 % des revenus d'un actif, contre 108 % en 2015 ; avec les réformes, la baisse des taux de remplacement, et une revalorisation des pensions moindre que celle des salaires, un retraité percevra, en 2070, en moyenne, 80 % des revenus d'un actif, soit 30 points de moins environ qu'aujourd'hui. Attention, parce que ce recul va toucher les générations à qui l'on demande déjà de travailler plus longtemps : est-il juste de demander à la même génération de faire deux fois l'effort ? Il faudra y prendre garde dans la réforme, qui apparaît par ailleurs nécessaire.
Quoi qu'il en soit, je vous propose d'adopter les crédits de la mission « Régimes sociaux et de retraite » et du compte d'affectation spéciale « Pensions ».
M. René-Paul Savary, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. - Comme chaque année, je déplore qu'on ne dispose pas d'une vision globale des crédits engagés sur les retraites, puisque la loi de financement de la sécurité sociale ne vise pas les crédits dédiés par l'État aux régimes spéciaux et à celui de la fonction publique, ni les moyens engagés dans les régimes complémentaires. Ce défaut est regrettable lorsqu'on envisage une réforme.
La crise sanitaire a eu des répercussions moindres qu'on a pu le dire sur les chiffres des retraites, car si les personnes âgées ont été plus touchées que les autres, les moindres dépenses de retraite ne sont pas significatives par rapport à la masse globale. Nous faisons les mêmes constats que vous sur la diminution des pensions par rapport aux salaires.
Une remarque sur l'effet du recul de l'âge de départ pour un taux plein : cet effet est à relativiser, sachant qu'un retraité sur deux n'est pas actif au moment où il prend sa retraite. Il faut noter aussi qu'à partir de 2023 ou 2024, les dépenses du CAS « Pensions » dépasseront les recettes, du fait de l'inflation, des départs en retraite, et de la moindre croissance. Or, rien n'est proposé pour anticiper, le Gouvernement se rassure avec les 10 milliards d'euros d'avance de ce compte, mais ce n'est pas suffisant.
Nos analyses correspondent aux vôtres, nous faisons les mêmes constats et je proposerai également un avis favorable à l'adoption de ces crédits.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Merci pour cet état des lieux exhaustif et d'attirer notre attention sur ces effets différenciés de la réforme selon les générations.
Vous avez évoqué les difficultés à obtenir des réponses précises sur l'évolution des trajectoires des régimes spéciaux et sur le régime de la fonction publique en cas de réforme paramétrique, voire systémique. Doit-on en conclure que les administrations concernées font une « politique de l'autruche », ne donnant pas les moyens de se projeter, notamment à partir des données relatives à l'espérance de vie ?
Mme Sylvie Vermeillet, rapporteure spéciale. - Dans la pause de 20 mois qui dure depuis que la réforme des retraites est à l'arrêt, personne n'a continué le travail d'études et de projection. Or nous avons besoin d'informations. On me répond que le sujet est complexe, mais c'est une raison supplémentaire pour l'examiner. Heureusement que le COR nous fournit des projections sur l'espérance de vie, le solde migratoire, la natalité, laquelle faiblit, ce qui est à prendre en compte nécessairement.
M. Vincent Éblé. - L'examen de cette mission et du CAS réduit notre rôle à constater ce que coûtent les retraites des fonctionnaires et la part des régimes spéciaux pris en charge par l'État, au lieu de trancher entre des politiques publiques. Dans ces conditions, mon groupe s'abstiendra.
M. Arnaud Bazin. - Les moyennes recouvrent des réalités très diverses et peuvent dissimuler des problèmes particuliers, comme celui des très faibles pensions. Nous connaissons tous des cas de fonctionnaires territoriaux qui arrivent en bout de carrière quasi complète, mais qui se retrouvent avec une pension très faible. Cette question fait-elle l'objet d'un traitement particulier dans la réforme envisagée ?
M. Marc Laménie. - Votre rapport nous alerte sur un point : en 2120, donc dans un siècle, les besoins de financement pour le régime spécial de la SNCF atteindraient 523 milliards d'euros : comment parvenez-vous à un tel résultat ?
M. Pascal Savoldelli. - Cette mission comporte une partie technique avec des effets mécaniques, mais elle a aussi une dimension politique puisque la majorité a, en filigrane, un projet de réforme des retraites. On nous dit que l'allongement de la vie aurait un coût, mais il faut examiner les choses en détail et ne pas omettre de dire que l'espérance de vie est de treize années moindre pour les 5 % des Français les plus pauvres que pour les 5 % les plus riches. Ensuite, nous ne voterons pas les crédits de cette mission, car nous sommes opposés à la réforme qui se dessine : on dit qu'elle doit mettre fin aux régimes spéciaux, mais en réalité, la capitalisation va multiplier les régimes spéciaux, chaque branche aura le sien, et même chaque grande entreprise - ce n'est pas notre choix.
M. Jean-Marie Mizzon. - Pensez-vous que la pénibilité pourra être prise en compte dans la réforme des retraites ?
Mme Sylvie Vermeillet, rapporteure spéciale. - La question des très faibles pensions est posée, l'idée d'une majoration de la pension minimale faisait partie du projet de réforme des retraites et était détaillée au sein de l'étude d'impact. Reste la question centrale de l'équité entre les fonctions publiques et les statuts.
Le besoin de financement permet de mesurer le montant des crédits qu'il faudrait placer aujourd'hui pour couvrir les besoins de financement futurs, en appliquant un taux d'actualisation correspondant à celui de l'obligation du Trésor à quinze ans. L'horizon 2120 correspond à l'année d'extinction du régime spécial de la SNCF.
Je suis tout à fait consciente que l'espérance de vie n'est pas la même selon le niveau de richesse, mais la question posée est celle de la contribution publique aux régimes spéciaux. Dès lors qu'on fait appel à la solidarité nationale, on est en droit de savoir quels sont les avantages et les coûts des régimes spéciaux. Je souhaite que le Parlement ait tous les éléments d'appréciation à sa disposition, ce n'est pas le cas aujourd'hui.
La prise en compte de la pénibilité est nécessaire, mais son coût doit également être évalué. Nous n'avons pas beaucoup avancé avant la suspension de la réforme, même si des corps de métiers se sont fait entendre mieux que d'autres.
M. René-Paul Savary, rapporteur pour avis. - Un dernier mot s'agissant du projet de réforme des retraites, en passant à une retraite par points, on passe à un système où celui qui aura peu cotisé touchera très peu. Une autre difficulté tient au fait qu'il faut en réalité prendre en compte l'espérance de vie en bonne santé.
La commission décide de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des crédits de la mission « Régimes sociaux et de retraite » et du compte d'affectation spéciale « Pensions ».
Projet de loi de finances pour 2022 - Mission « Engagements financiers de l'État », compte d'affectation spéciale « Participation de la France au désendettement de la Grèce » et comptes de concours financiers « Accords monétaires internationaux » et « Avances à divers services de l'État ou organismes gérant des services publics » - Examen du rapport spécial
M. Jérôme Bascher, rapporteur spécial de la mission « Engagements financiers de l'État », du compte d'affectation spéciale « Participation de la France au désendettement de la Grèce » et des comptes de concours financiers « Accords monétaires internationaux » et « Avances à divers services de l'État ou organismes gérant des services publics ». - Je commencerai par les trois comptes spéciaux. Le compte d'affectation spéciale (CAS) « Participation de la France au désendettement de la Grèce » n'appelle aucun commentaire particulier de ma part. Nous continuons de reverser à la Grèce les revenus perçus par la Banque de France sur la détention d'obligations souveraines grecques, pour participer à la réduction de son besoin de financement et au rétablissement de la soutenabilité de sa dette publique.
À l'instar des années précédentes, le compte de concours financiers « Accords monétaires internationaux », qui constitue le pendant budgétaire de nos accords de coopération dans le cadre de la Zone franc, n'est pas doté de crédits. Je vous proposerai de l'adopter.
Le compte de concours financiers « Avances à divers services de l'État ou organismes gérant des services publics » porte des avances traditionnelles, par exemple celle d'une dizaine de milliards d'euros à l'Agence de services et de paiement au titre du préfinancement des aides de la politique agricole commune, versées par l'Union européenne. Toutefois, il y a aussi des crédits ouverts pour des avances au profit d'acteurs touchés par la crise sanitaire, par exemple sur le programme 824, qui porte les avances octroyées au budget annexe « Contrôle et exploitation aériens » (Bacea). L'avance atteint 707 millions d'euros, contre une cinquantaine de millions d'euros avant la crise sanitaire. De manière plus générale, on peut s'interroger sur ces avances : certaines d'entre elles se répètent d'année en année, sur des durées parfois très longues. On est donc parfois plus près d'un soutien budgétaire ou d'un prêt, qui devraient être reconnus comme tels, que d'une avance au sens de nos règles comptables.
J'en viens désormais à la mission « Engagements financiers de l'État », en commençant par les programmes qui n'appellent que de brèves remarques de ma part. Le programme 336, qui porte la rétrocession par la France des intérêts perçus sur les dépôts du mécanisme européen de stabilité (MES) auprès de la Banque de France, est doté de crédits pour la deuxième année consécutive. Ce n'était pas le cas avant, avec des ouvertures en cours d'année : or, il est plus sincère sur le plan budgétaire de voter dès la loi de finances initiale les crédits portant cette rétrocession.
Un mot également sur le programme 145 « Épargne », dont les crédits visent à financer les primes d'épargne logement versées lors de la mobilisation des comptes épargne logement (CEL) ou de la clôture des plans d'épargne logement (PEL). Les crédits sont très faibles, ces dispositifs sont peu mobilisés dans le contexte de taux actuel, et ces livrets sont désormais un outil d'épargne plutôt que de financement du logement.
À l'inverse, les crédits demandés sur le programme 114 « Appels en garantie de l'État » atteignent près de 3,3 milliards d'euros, ce qui est considérable. Sur ce montant, 2,65 milliards d'euros sont provisionnés pour faire face au défaut éventuel de paiement d'entreprises ayant contracté un prêt garanti par l'État (PGE). La majorité des entreprises devront commencer à rembourser leur prêt à compter de l'été prochain, nous aurons alors une idée plus claire du risque de sinistralité et du taux de défaillance. Les premières nouvelles sont rassurantes : beaucoup d'entreprises ont vu leur trésorerie augmenter et elles devraient pouvoir bénéficier à plein de la reprise économique si les conditions sanitaires se maintiennent.
Ce qui est plus critiquable en revanche, c'est la création du programme 369 pour retracer l'amortissement de la dette de l'État liée à la covid-19, doté de 165 milliards d'euros en autorisations d'engagement, et qui relève de l'artifice comptable. La première critique, c'est le montant retenu. Qu'est-ce que la dette ? C'est la somme des déficits. Or, nous ne connaissons ni le déficit 2021, ni celui que nous projetons pour l'an prochain, puisque pas un jour ne passe sans que le Gouvernement n'annonce une dépense nouvelle - voyez le Premier ministre, qui a présenté ce matin le Contrat d'engagement jeune ... Nous ne connaissons pas plus la prévision de recettes - l'Insee table sur une croissance de 7 % en 2021, ce qui se traduira mécaniquement par un surcroît de recettes fiscales. En réalité, on ne connait pas encore l'ampleur de la dette de l'État liée à l'épidémie de covid-19, puisque des mesures sont encore actives. Le Gouvernement se contente d'afficher un écart de dépenses avec les lois de finances précédentes et de reporter ces chiffres, sans contenir la dette.
Face aux 165 milliards d'euros, incomplets, inscrits comme « dette Covid-19 », les crédits de paiement s'élèvent à 1,9 milliard d'euros pour 2022, le but est de retracer l'amortissement de ces 165 milliards d'euros d'ici 2022.Nous nous en souvenons, le ministre de l'économie, des finances et de la relance avait indiqué que tout surplus de croissance irait à l'amortissement de la dette, on voit qu'il n'en sera finalement rien, avec des dépenses nouvelles.
Avec la création de ce programme, le Gouvernement ne fait que de l'affichage. Il faut par ailleurs se méfier des termes utilisés, il ne s'agit pas ici d'un cantonnement de la dette, comme on le fait pour la dette sociale avec la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades), mais d'un isolement de son amortissement.
Pour l'ensemble de ces raisons, la création de ce programme n'ayant aucune justification économique, budgétaire ou de gestion, il me semble que nous devons envisager sa suppression.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Merci pour cette présentation pédagogique et claire. Je me souviens du ministre des finances nous parlant de cantonnement de la dette, nous avons ici de la mystification. La Commission européenne s'apprête à émettre jusqu'à 800 milliards d'euros de dette d'ici à 2026. Y aura-t-il des conséquences pour le programme d'émissions de la France ?
M. Jérôme Bascher, rapporteur spécial. - Il n'y a pour l'instant pas « d'embouteillage » à craindre sur les marchés souverains, d'autant qu'il y a eu des efforts de coordination. La Commission européenne publie désormais son calendrier d'émissions sur six mois et fait preuve de plus de transparence, ce qui facilite cette coordination. Nous devons également suivre le sujet de la dette « verte » : si la France était jusqu'ici le premier émetteur d'obligations vertes, elle va désormais être dépassée par l'Union européenne. C'est un sujet qui appellera toute notre attention : sur le marché des obligations vertes, il reste encore d'importantes marges de progrès en termes d'harmonisation et de régulation. Chaque pays a ses règles, et la France dispose sans doute du cadre le plus contraignant, y compris en termes de vérification.
Une information importante : l'endettement est, pour la première fois de notre histoire, le premier moyen de financer l'ensemble des charges de l'État, avec l'amortissement des titres arrivés à échéance.
Mme Christine Lavarde. - Le MES est financé à 80 milliards d'euros par des fonds propres. Il peut également être abondé à hauteur de 620 milliards d'euros par le biais de contributions appelées principalement auprès de quatre bailleurs principaux, dont la France. Ces sommes sont-elles provisionnées dans les comptes de l'État ? Si, demain, un pays de l'Union avait des difficultés de paiement, comment notre pays pourrait-il remplir ses obligations à l'égard du MES ?
M. Sébastien Meurant. - Vous parlez de mystification, d'artifice comptable, c'est dire que la situation est grave, et ce budget peu sérieux. Je veux signaler, en plus des PGE, la question des remboursements à l'Urssaf, après la suspension du prélèvement des cotisations : est-ce que les défaillances possibles sont évaluées ?
M. Arnaud Bazin. - Quelques 3,35 milliards d'euros sont provisionnés pour les appels en garantie de l'État, dont 2,65 milliards d'euros pour les PGE. Ce montant paraît en rapport avec le risque évalué, mais sachant que l'encours atteint 142,5 milliards d'euros, avez-vous des éléments plus précis pour évaluer le risque en volume et le moment où les risques de défaillance seront les plus importants ?
Mme Sylvie Vermeillet. - La dette liée à la covid-19 est estimée à 165 milliards d'euros, 1,9 milliard d'euros est inscrit en crédits de paiement : comment, dans ce cadre, pouvons-nous retracer le remboursement de cette somme en vingt ans, d'ici 2042 ?
Mme Isabelle Briquet. - L'inflation marque le coup sur nos finances, mais le Gouvernement ne définit pas pour autant de stratégie de gestion de la dette : on le voit à l'absence de restructuration de la dette de SNCF-Réseau ou sur la question du financement du logement, dont les outils ne sont pas du tout adaptés à la mesure des besoins et à l'objectif de relance de la production de logements. Je déplore également l'absence d'intégration du programme France 2030, qui ne nous permet pas d'avoir l'évaluation la plus juste possible des engagements financiers de l'État pour 2022. En réalité, le Gouvernement gère la dette au présent, sans perspective, alors qu'il nous faut au contraire définir une stratégie de sortie de crise.
M. Vincent Delahaye. - Je ne suis favorable ni au cantonnement de la dette covid ni à son isolement, qui n'en font que complexifier l'analyse. Je souscris donc à l'idée du rapporteur de proposer la suppression de ce programme.
Le niveau de défaillance envisagé pour les entreprises ayant souscrit des PGE apparait faible : ne risquons-nous pas de sous-estimer le risque de défauts de paiement ? Si beaucoup d'entreprises ont profité des PGE pour accroître leur trésorerie, d'autres en avaient un réel besoin, pour répondre à leurs difficultés. Pour ces dernières, il sera plus difficile de rembourser : le taux de sinistralité de 3,8 % pourrait alors être trop optimiste.
Nous finançons nos dépenses avec la dette plus qu'avec l'impôt, ce qui apparait dangereux à terme. Nous ne pouvons que constater le résultat d'une gestion calamiteuse des finances publiques. Je défends à cet égard l'amendement récemment voté sur la transparence de la détention de la dette. Pourquoi ne disposons-nous pas chaque année d'une telle information ?
M. Jérôme Bascher, rapporteur spécial. - Sur le mécanisme européen de stabilité et le capital potentiellement appelable de la France, les sommes sont inscrites en hors bilan pour la France, à hauteur de 126 milliards d'euros.
Je partageais le scepticisme de certains d'entre vous sur la provision pour risque au titre des PGE, mais il faut reconnaître que les dernières données sont rassurantes. La Banque de France observe peu de défaillances s'agissant des entreprises ayant bénéficié d'un PGE. Sur les 650 836 entreprises ayant bénéficié d'un PGE, 3 944 font l'objet d'une procédure judiciaire, soit 0,6 % du total ; elles ont bénéficié de garanties à hauteur de 394 millions d'euros équivalant à 0,28 % des encours. Le service de cotation des entreprises de la Banque de France a par ailleurs analysé les bilans annuels de plus de 244 000 entreprises dont le chiffre d'affaires est supérieur à 750 000 euros. Parmi elles, 14 %, dont 3 % ayant eu recours à un PGE, sont jugées « sensibles ». La moitié dispose cependant d'une cotation élevée auprès de la Banque de France et la reprise économique est également un facteur conjoncturel favorable. Vous savez que des prêts participatifs ont été mis en place pour prendre le relais des PGE, mais, pour l'instant, ils ne fonctionnent pas, le taux de recours est très faible, les entreprises n'en ayant pas encore exprimé le besoin.
Attention, je le répète, la dette de l'État liée à l'épidémie de covid-19 ne fait pas l'objet d'un cantonnement, le programme 369 vise simplement à en retracer l'amortissement Inscrire 1,9 milliard d'euros en crédits de paiement, sur un total de 165 milliards d'euros de dette, s'apparente effectivement à de l'affichage. Il reviendra par ailleurs aux futurs gouvernements de continuer à doter ce programme de crédits de paiement.
Il est vrai que l'impact de l'inflation sur nos finances publiques et sur le pouvoir d'achat est au coeur de l'actualité. Il faut néanmoins rappeler que, dans la mesure où l'inflation accroit le PIB en valeur, elle permet de réduire le ratio de dette sur PIB. La gestion de la dette tient compte de cette inflation, d'autant qu'une partie de nos OAT (obligations assimilables du Trésor) sont indexées sur l'inflation en France et en zone euro. La logique est similaire s'agissant du financement du logement. Concernant le logement social, la gestion de l'actif et du passif est indexée sur l'inflation, qui agit sur le coût de la construction comme sur les aides au logement.
Enfin, s'agissant de la transparence des détenteurs de notre dette publique, j'estime qu'il ne s'agit pas là du premier sujet, la vraie question étant celle de notre capacité à placer notre dette, dans les meilleures conditions possibles pour l'État et le contribuable. Nous disposons de données trimestrielles de la Banque de France sur la nature des détenteurs, et de données du Fonds monétaire international (FMI) sur leur origine géographique, pour la détention des titres publics et privés. Il y a deux obstacles à la publication de données plus fines sur la détention de notre dette. Tout d'abord, on ne pourrait l'observer qu'à un instant t, ce qui nous donnerait finalement que peu d'informations pour une analyse approfondie. Les titres changent en effet de main très régulièrement. Ensuite, de nombreux acheteurs, et on peut par exemple penser aux banques centrales d'Amérique latine ou d'Asie, ne souhaitent pas rendre public le montant et le profil de leurs achats en euros. On peut toutefois approcher ce volume par le biais des données du FMI, en regardant la détention des actifs en euros d'une banque centrale et en la rapportant au volume de titres émis par les pays de la zone euro chaque année. Or, la France est l'un des premiers émetteurs de dette de la zone euro. Il faut surtout se féliciter que notre dette continue d'être achetée dans des conditions encore très favorables pour le contribuable et pour le financement de nos déficits, même si ces acheteurs veulent conserver une certaine discrétion.... ...
La commission décide de réserver son vote sur les crédits de la mission « Engagements financiers de l'État ».
La commission décide de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des crédits du compte d'affectation spéciale « Participation de la France au désendettement de la Grèce » et des comptes de concours financiers « Accords monétaires internationaux » et « Avances à divers services de l'État ou organismes gérant des services publics ».
Projet de loi de finances pour 2022 - Mission « Pouvoirs publics » - Examen du rapport spécial
M. Jean-Michel Arnaud, rapporteur spécial de la mission « Pouvoirs publics ». - La loi organique relative aux lois de finances (LOLF) prévoit qu'une mission spécifique regroupe les crédits alloués sous forme de dotations aux pouvoirs publics pour lesquels le juge constitutionnel a rappelé le principe d'autonomie financière qui relève de la séparation des pouvoirs.
Les crédits de la mission « Pouvoirs publics » sont relativement constants depuis 2012. En 2022, cependant, des dépenses liées aux échéances électorales et des investissements importants pour le maintien en l'état du patrimoine nécessitent une hausse des dotations d'environ 5 %.
Au cours des dernières années, l'effort fourni par les pouvoirs publics en termes d'économies apparait notable ; il s'inscrit dans une démarche d'efficience et de modernisation. À titre d'illustration, le gel de la dotation du Sénat depuis 2008 représente un montant équivalant à une année et demie de dotation perdue.
Chaque institution a exécuté ses budgets à dotation quasi constante depuis plusieurs années, en prélevant dans ses fonds disponibles.
La dotation demandée pour la présidence de la République s'établit à 105,3 millions d'euros en crédits de paiement, soit une légère diminution par rapport à l'exercice 2021, après deux hausses constatées en 2018 et 2020 de respectivement 3 millions d'euros et 2 millions d'euros.
En raison de la crise sanitaire, les exercices 2020 et 2021 ont enregistré une forte baisse du poste consacré aux déplacements présidentiels, dont les crédits ont été réorientés vers les dépenses d'investissement. Le schéma immobilier pluriannuel 2019-2022 entrera dans sa dernière année avec notamment une opération importante concernant l'aménagement et la relocalisation de l'État-major particulier à l'Hôtel de Marigny. Ce programme immobilier est financé grâce au budget de la présidence, à un abondement du ministère de la culture et à un versement du compte d'affectation spéciale « Gestion du patrimoine immobilier de l'État » qui s'établira, en 2022, à 12 millions d'euros, sous forme d'avances. Je regrette que ces financements extérieurs ne permettent pas d'appréhender la totalité des crédits dont dispose la présidence de la République et que devrait refléter la dotation.
Les dotations des assemblées parlementaires étaient gelées depuis l'exercice 2012. Leur stabilisation en euros courants sur dix exercices n'a été possible, compte tenu de la hausse tendancielle des charges liée à l'inflation, que grâce à des efforts d'économies significatifs.
Pour 2022, cet effort est maintenu s'agissant des charges de fonctionnement. Toutefois, la dépense exceptionnelle liée au renouvellement des députés - jusqu'à 50 % des effectifs selon les prévisions - et plusieurs projets d'investissements ont conduit la commission commune à octroyer une enveloppe supplémentaire de 34,6 millions d'euros à l'Assemblée nationale et de 15 millions d'euros au Sénat.
Le budget du Sénat - il est d'usage ici de ne pas évoquer en détail celui de l'Assemblée nationale - est marqué par un effort d'investissement exceptionnellement élevé de 32,9 millions d'euros, financé par une augmentation de la dotation et par un prélèvement sur les disponibilités, lesquelles s'établissent à 133 millions d'euros. En contrepartie, les dépenses de fonctionnement restent stables.
J'attire votre attention sur le recours récurrent aux réserves ; ces dernières vont s'amenuiser, posant inévitablement la question de la soutenabilité de ce modèle à long terme.
Le budget des chaînes parlementaires est reconduit à l'identique. J'aimerais m'intéresser de manière plus approfondie à ce sujet dans les prochains mois, en lien avec nos autorités et l'Assemblée nationale, car je sais l'importance de l'autonomie et l'indépendance de chaque chambre en la matière.
Le budget du Conseil constitutionnel comprend, pour sa part, la dotation traditionnelle, reconduite cette année, et deux dépenses exceptionnelles. La première concerne le dispositif mobilisé pour l'élection présidentielle, dont le coût de 2,5 millions d'euros est accru par les règles de précaution sanitaire. La seconde, que je salue, relève de la mise en place, en lien avec les juridictions, d'un véritable suivi de la question prioritaire de constitutionnalité, qui représente désormais près de 80 % de l'activité du Conseil constitutionnel. Ce dispositif sera déployé d'ici à 2022.
Enfin, la dotation de la Cour de justice de la République - 984 000 euros - augmente, afin de tenir compte de l'impact de la crise sanitaire sur le nombre de plaintes reçues. Au 1er octobre, la Cour a été saisie de plus de 19 000 plaintes, qui engendreront d'importants frais de justice.
Au vu de ces observations, je propose à la commission des finances un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Pouvoirs publics ».
M. Vincent Delahaye. - À combien estimez-vous le montant des réserves de l'Assemblée nationale ? Quel coût les pensions de nos collègues députés représentent-elles chaque année pour le budget de l'État ?
Par souci d'équité, il me semblerait logique que la dotation de la chambre haute varie chaque année en fonction de l'évolution du niveau des dépenses de l'État - celles-ci ont augmenté de 5 % cette année hors dépenses exceptionnelles. Il n'y a aucune raison que le Sénat fasse davantage d'efforts que l'État dans ce domaine.
Je suis par ailleurs assez surpris du montant des crédits demandés par le Conseil constitutionnel pour la prochaine élection présidentielle : comment seront dépensés ces 2,5 millions d'euros ?
Autre sujet que j'aimerais évoquer, la rémunération des membres du Conseil constitutionnel. À l'origine, les Sages bénéficiaient d'un taux d'abattement pour frais professionnels de 50 %, autrement dit d'une exonération d'impôt sur le revenu sur la moitié de leur indemnité. Cet avantage a été supprimé au début des années 2000, mais a été remplacé par une indemnité de fonction complémentaire censée le compenser. La validité juridique de l'indemnité est contestée, car cet élément de rémunération n'a pas été fixé, comme il aurait dû l'être, dans le cadre d'une loi organique. Nous serions bien inspirés ici, au Sénat, de faire des propositions en la matière : après tout, la rigueur doit s'imposer à tous.
Enfin, je suis contre l'augmentation de la dotation allouée à la Cour de justice de la République. C'est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles je ne voterai pas les crédits de la mission.
Mme Isabelle Briquet. - Comme en 2017, l'Assemblée nationale demande qu'on lui octroie des crédits en hausse en 2022. En revanche, la chambre basse ne fera pas appel à ses réserves, comme il y a cinq ans, pour financer ses dépenses. Est-ce un réel choix de sa part ? À quel niveau se situent ces réserves aujourd'hui ?
Comme chaque année, on observe des lacunes dans les documents budgétaires relatifs au Conseil constitutionnel. Pourrait-on obtenir davantage d'informations ?
Mme Christine Lavarde. - A-t-on une idée des recettes que l'Élysée parvient à collecter grâce à sa boutique officielle ?
M. Vincent Capo-Canellas. - Je remercie M. le rapporteur spécial avec qui j'ai eu grand plaisir à échanger sur ces questions.
Je rappelle que, depuis 2008, la dotation du Sénat est gelée en euros courants. Pour vous donner une idée, même si l'on prend en compte l'augmentation de la dotation de 15 millions d'euros en 2022, les effets conjugués de l'inflation et de la diminution de 1,3% de la dotation en 2012 équivaudront, pour notre assemblée sur la période, à la perte d'une année et demie de dotation. Pour relever ce défi, nous avons dû nous résigner à effectuer un certain nombre de coupes budgétaires et de prélèvements sur nos disponibilités. Je pense que, de ce point de vue, nous commençons à sentir les limites de l'exercice, d'autant que les perspectives d'évolution du niveau de nos réserves se détériorent au regard de l'importance des investissements que nous devons programmer pour entretenir le patrimoine qui nous est confié. Peu d'institutions se seront livrées à un programme de rigueur budgétaire comme le Sénat l'a fait.
Le rapporteur spécial a souligné nos efforts d'investissement - 32,9 millions d'euros l'an prochain -, destinés pour l'essentiel à prendre en compte un certain nombre d'enjeux patrimoniaux. D'ailleurs, si le Sénat demande qu'on lui octroie 15 millions d'euros supplémentaires, c'est pour une très large part parce que l'entretien du patrimoine du Sénat suppose des moyens importants.
Des travaux sont actuellement en cours dans le Palais et ses dépendances, dont certains ont été retardés à cause de l'épidémie de covid-19. Des chantiers importants sont à venir en 2022, comme celui de la salle Clemenceau ou celui des toitures et façades Est du Palais qui feront l'objet de travaux de rénovation particulièrement complexes. S'y ajouteront d'autres opérations telles la rénovation du cabinet des ministres ou de la création d'une nouvelle salle de presse. Je citerai enfin la nécessaire mise aux normes du bâtiment dit « Boffrand », qui abrite le restaurant du Sénat et les espaces de réception et que nous devons envisager dans un avenir proche.
Pour ce qui est de Public Sénat, la loi a récemment ouvert aux chaînes parlementaires la possibilité de diffuser des campagnes d'intérêt général. Le montant de ces nouvelles recettes propres est difficile à évaluer à ce stade. En tout état de cause, dans le cadre du futur contrat d'objectifs et de moyens, nous demanderons à Public Sénat de respecter une stabilité de sa dotation budgétaire en euros courants.
Je ne ferai aucun commentaire sur le budget de l'Assemblée nationale. Je pense tout de même pouvoir dire qu'elle puise dans ses réserves depuis quelques années pour assurer son fonctionnement.
M. Jean-Michel Arnaud, rapporteur spécial. - En réponse à Vincent Delahaye, on évalue les réserves de l'Assemblée nationale à 290 millions d'euros, soit l'équivalent de sept mois de dépenses de fonctionnement de la chambre basse. Ce chiffre est à comparer aux réserves du Sénat qui représentent, elles, l'équivalent de cinq mois de dépenses de fonctionnement de notre institution. Ces sommes peuvent paraître élevées, mais elles sont en réalité assez modestes, car il convient de les rapporter au coût de fonctionnement de chacune des assemblées et aux charges annuelles qu'elles supportent.
Je ne sais pas précisément ce que coûtent à l'État les pensions servies aux députés. En revanche, je confirme que l'État consent une subvention d'équilibre au régime de retraite de l'Assemblée nationale.
Les dépenses exceptionnelles du Conseil constitutionnel en vue de l'élection présidentielle me semblent justifiées, dans la mesure où la surveillance générale de chaque tour de scrutin est assurée par 1 800 magistrats administratifs et judiciaires désignés par le Conseil pour contrôler les opérations de vote et le dépouillement sur place.
M. Vincent Delahaye. - Ces moyens logistiques viennent-ils en complément des commissions de contrôle habituellement mises en place lors de l'élection présidentielle ?
M. Jean-Michel Arnaud, rapporteur spécial. - Non, il s'agit justement des commissions de contrôle.
Pour ce qui est du régime indemnitaire des membres du Conseil constitutionnel, je n'ai à ma disposition que la réponse tautologique que m'a adressée le secrétaire général du Conseil, à savoir que ce régime est réglé par une loi organique et qu'à ce titre, il ne peut pas la commenter, car, si la loi organique venait à changer, le Conseil constitutionnel aurait à en contrôler la conformité à la Constitution.
Ce point mériterait d'être approfondi : le Conseil constitutionnel, comme les assemblées parlementaires ou toute assemblée territoriale, devrait être en mesure de fournir des informations claires et précises sur son fonctionnement.
S'agissant de la Cour de justice de la République, je souhaite relativiser le chiffre que j'ai cité tout à l'heure : les 19 000 dépôts de plaintes résultent pour l'essentiel de l'initiative d'un seul et même avocat ; il s'agit d'une « manoeuvre » qui sera certainement suivie d'un certain nombre de désistements.
Je fais mienne la remarque de notre collègue Isabelle Briquet : nous aurions besoin de documents d'information plus circonstanciés de la part du Conseil constitutionnel.
Certains d'entre vous s'interrogent sur la légitimité d'une hausse du budget de l'Assemblée nationale. Je vous informe que, si l'Assemblée nationale n'obtenait pas les 34,6 millions d'euros de crédits supplémentaires qu'elle demande, elle devrait prélever 90 millions d'euros sur ces réserves ! J'ajoute que le Premier questeur de l'Assemblée nationale m'a indiqué lors d'un récent entretien prendre des initiatives pour réduire les dépenses de fonctionnement de l'institution.
J'ai une bonne nouvelle pour Mme Lavarde : les recettes perçues par la boutique de l'Élysée sont attendues à hauteur de 200 000 euros pour 2022 soit le double du montant inscrit l'année précédente. Cette hausse significative symbolise la réussite de cette démarche commerciale.
La commission décide de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des crédits de la mission « Pouvoirs publics ».
La réunion est close à 17 heures 45.
Mercredi 3 novembre 2021
- Présidence de M. Dominique de Legge, vice-président -
La réunion est ouverte à 9 heures.
Projet de loi de finances pour 2022 - Examen des principaux éléments de l'équilibre sur le tome I du rapport général
M. Dominique de Legge, président. - Nous examinons, comme chaque année, les grandes lignes du projet de loi de finances (PLF) pour 2022 et son contexte économique et financier, c'est-à-dire le tome premier du rapport général. Nous examinerons la semaine prochaine les articles de la première partie.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - En introduction, je voudrais vous signaler que le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) rendra public son avis relatif au projet de loi de finances rectificative (PLFR) de fin de gestion, et à la révision des projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale pour 2022.
En effet et j'y reviendrai plusieurs fois, le scénario macroéconomique et de finances publiques a été profondément modifié depuis le dépôt du PLF.
Aussi, j'ai tenu compte, dans mes analyses et dans cette présentation, de l'ensemble des éléments portés à ma connaissance concernant la révision des prévisions de croissance, de recettes et de dépenses, parfois davantage par voie de presse que par le Gouvernement, ce que je regrette.
L'avis du HCFP de cet après-midi et les déclarations du Gouvernement concernant une éventuelle révision de l'article liminaire pourraient conduire à modifier les chiffres que je vais vous présenter. Toutefois, mon rapport tiendra compte au moment de sa publication de l'ensemble des révisions nécessaires et je vous tiendrai informé des conséquences de ces dernières.
Je commencerai, comme c'est l'usage, par vous présenter le contexte macroéconomique.
Le projet de loi de finances prévoyait au moment de son dépôt que la croissance économique s'établirait à 6 % en 2021 et à 4 % en 2022.
Concernant l'année 2021, cette prévision, qui revenait déjà sur celles du débat d'orientation des finances publiques et du PLFR, s'est révélée caduque dès l'ouverture de la discussion générale à l'Assemblée nationale, le 11 octobre.
En effet, le ministre de l'économie, des finances et de la relance a indiqué à cette occasion que le Gouvernement retenait désormais l'hypothèse d'une croissance de 6,25 % en 2022 et qu'il saisirait le Haut Conseil des finances publiques de cette nouvelle situation.
J'ai pris acte de cette révision de la croissance en 2021 et, pour la suite de cette présentation, vous saurez, mes chers collègues, qu'elle constitue mon hypothèse de travail et d'analyse.
Toutefois, comme vous le savez, il est plus que probable que cette cible soit dépassée. En effet, les dernières données trimestrielles publiées par l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) le 29 octobre indiquent que l'activité s'est vivement redressée au 3e trimestre et aurait retrouvé son niveau d'avant-crise. Si l'activité ne progressait plus au 4e trimestre, ce qui est une hypothèse excessivement prudente, la croissance atteindrait déjà 6,6 % en 2021.
L'ampleur de la reprise en 2021 constitue une bonne nouvelle, y compris pour l'économie en 2022, car elle lui offre une « rampe de lancement » particulièrement favorable.
Ainsi, l'acquis de croissance en 2022 devrait être particulièrement important, quel que soit le scénario testé concernant le niveau d'activité qui serait constatée au quatrième trimestre 2021. J'ai ainsi retenu trois scénarios dans le rapport et vous constaterez que rien qu'avec le scénario le plus défavorable où je fais l'hypothèse pessimiste que l'activité ne progresse pas au quatrième trimestre 2021, l'acquis de croissance en 2022 s'élèverait à 1,8 %, niveau qui n'a été dépassé que trois fois en trente ans.
Conforté par un acquis de croissance probablement très favorable, le Gouvernement prévoit que le PIB en volume progresserait de 4 % en 2022.
L'essentiel de cette croissance s'expliquerait par l'accélération des dépenses de consommation, tandis qu'à l'inverse la contraction des dépenses des administrations résultant de l'extinction des mesures d'urgence, d'une part, et notre déficit commercial, d'autre part, joueraient négativement.
Les conjoncturistes estiment, toutefois, que la prévision du Gouvernement présente un caractère optimiste. Il est vrai qu'une forte croissance en 2021 témoigne simplement d'un rattrapage plus précoce, mais pas d'une amélioration de nos fondamentaux économiques.
En tout état de cause, je relève que plusieurs aléas pèseront à la hausse comme à la baisse sur le niveau de la croissance en 2022.
D'abord, l'ampleur avec laquelle les ménages consommeront la sur-épargne accumulée pendant la crise est centrale. L'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) estime dans une récente publication qu'une consommation équivalente à un cinquième de cette épargne augmenterait la croissance de plus de 2 points de pourcentage en 2022.
Ensuite, l'éventuelle poursuite de la hausse des prix de l'énergie pourrait réduire la croissance en pesant sur la consommation des ménages et l'investissement des entreprises. La direction générale du Trésor et l'Insee estiment, à cet égard, qu'une hausse de 10 dollars des prix du pétrole réduit le PIB d'environ 0,1 point de pourcentage l'année suivante.
Enfin il faut envisager, même si nous ne le souhaitons évidemment pas, le risque d'une reprise de l'épidémie de covid-19. Dans ce cas, l'institut Oxford Economics estime que la croissance pourrait être au moins réduite de deux points de pourcentage en 2022.
Quoi qu'il en soit, j'observe que le Gouvernement comme le Fonds monétaire international (FMI) considèrent que cette crise, dont nous espérons qu'elle est derrière nous, a engendré une perte probablement définitive de PIB potentiel. Cette hypothèse n'est, toutefois, pas partagée par l'OFCE et il faudra sans doute encore quelques mois pour tester la solidité des estimations sur ce point.
En revanche, ce qui constitue, toutefois, un constat partagé et positif, c'est que la croissance potentielle n'aurait pas été atteinte par la crise.
Or comme vous le savez, cette croissance reflète la croissance de long terme et rend donc essentiellement compte de nos capacités d'innovation, de notre capital éducatif et de notre capacité d'investissement. Il est donc heureux que les prévisionnistes ne considèrent pas que notre économie ait perdu en capacités à long terme en traversant cette crise.
Je souhaite dire un mot rapide sur les hypothèses d'inflation et de taux d'intérêt retenues par le Gouvernement.
Le Gouvernement prévoyait lors du dépôt du PLF que l'inflation, mesurée par l'indice des prix à la consommation harmonisé (IPCH), atteindrait 1,7 % en 2021 et 1,6 % en 2022. Ces hypothèses étaient consensuelles au regard des estimations fournies par d'autres conjoncturistes. Toutefois, les données publiées par l'Insee à la fin du mois d'octobre invitent à considérer que, pour 2021 au moins, les prévisions gouvernementales sont dépassées. En effet, compte tenu des données de l'Insee, il apparaît que si les prix n'augmentaient plus en novembre et en décembre, l'inflation attendrait déjà 2 % en 2021, contre 1,7 % prévu par le Gouvernement. Comme pour l'hypothèse de croissance et, ainsi que je l'évoquerai plus tard, pour le niveau des dépenses et des recettes, le Gouvernement va réviser ses scénarios macroéconomiques et de finances publiques qui sont désormais caducs.
Concernant l'hypothèse d'évolution des taux d'intérêt, le Gouvernement fait, comme à l'accoutumée, preuve d'une très grande prudence. Contrairement aux conjoncturistes et aux marchés qui estiment que le taux de l'obligation française à 10 ans devrait être compris entre 0,3 et 0,4 %, le Gouvernement retient la perspective d'une remontée des taux à 0,75 %.
Compte tenu du contexte, je souhaite prendre quelques instants pour analyser l'évolution des prix de l'énergie, qui ne sont pas sans impact sur celle du pouvoir d'achat des ménages, sur la compétitivité des entreprises et sur l'orientation de nos finances publiques.
Comme vous le savez, l'Europe connaît depuis plusieurs mois une augmentation du prix du gaz, de l'électricité et du pétrole. Cette hausse des prix a un impact, c'est mon premier point, sur le pouvoir d'achat des ménages. Ainsi, l'évolution spontanée du prix du gaz devrait conduire, sans ajustement, à une hausse de près de 20 % des tarifs réglementés de vente. L'augmentation des coûts de production de l'électricité ne devrait pas se répercuter avant le mois de janvier pour les particuliers, mais l'ampleur de la hausse pourrait atteindre 20 %. Enfin, on constate que le baril de Brent a augmenté de 36 % sur les neuf premiers mois de l'année, ce qui se répercute directement sur les prix à la pompe.
L'augmentation des prix de l'énergie me paraît également problématique s'agissant de la compétitivité et de la profitabilité des entreprises. Il convient de noter que tous les secteurs ne sont pas également exposés au risque d'un renchérissement des coûts de l'énergie. L'industrie, notamment les secteurs de la chimie et la métallurgie, doivent être particulièrement surveillés.
Les auditions que j'ai conduites m'amènent à penser que la hausse des prix de l'électricité, en particulier, pourrait rapidement se répercuter sur les entreprises, y compris sur celles relevant d'un contrat à long terme censé lisser les variations de prix.
Cette situation suscite le risque de voir les entreprises soit rogner sur les marges, soit réduire le niveau de production. Dans tous les cas, cela pose à terme un enjeu de compétitivité des entreprises ou de niveau d'activité et de croissance.
Il faut, en outre, garder à l'esprit que la question des prix de l'énergie s'articule avec l'augmentation tendancielle des prix des matières premières et des difficultés de recrutement. Autant de facteurs qui ont in fine un impact sur les prix de vente et donc sur l'inflation, ou sur la profitabilité et la compétitivité des entreprises.
Face à ces phénomènes, le Gouvernement a apporté une réponse au fil de l'eau en direction des ménages et des fournisseurs d'électricité.
Il a annoncé une revalorisation du chèque-énergie, la mise en place d'un « bouclier tarifaire » assorti d'un effort fiscal sur l'électricité et peut-être sur le gaz en fonction de l'évolution des prix, ou encore l'institution d'une « indemnité-inflation » - que l'on peut aussi qualifier d'indemnité « carburant-inflation », car c'est bien la hausse des carburants qui a été le facteur déclenchant -, dont nous découvrirons les contours en PLFR.
Nous reviendrons sur chacune de ces mesures en temps voulu, mais je crois pouvoir dire qu'elles ne seront probablement pas suffisantes à plus long terme.
Indépendamment de leur mode de financement, que je crois devoir reposer sur des économies en dépenses par ailleurs, le soutien aux fournisseurs devra être renforcé et un accompagnement des entreprises devra être prévu si la flambée des prix se poursuit.
Nous aurons l'occasion d'évoquer et de préciser ces sujets lors de l'examen des articles du PLF et du PLFR de fin de gestion.
Je passe maintenant à l'état de nos finances publiques. Avant d'en venir à l'analyse du solde et de l'endettement pour cette année et pour 2022, je voudrais préciser l'état d'esprit dans lequel j'aborde ce projet de budget.
Au cours des quasiment deux dernières années, nous avons été soucieux de donner au Gouvernement les moyens d'agir dans l'urgence et face à la crise, y compris dans la relance. Un volume important de dépenses et de baisses de recettes a été engagé pour soutenir notre économie et cela n'a pas été un mauvais choix : au sortir de la crise, nos capacités de production ont été préservées et cela doit être salué.
Pour autant, la situation ne saurait avoir ni effacé la mémoire de notre commission, ni exonéré le Gouvernement de toute responsabilité en matière de maîtrise des comptes publics. C'est pour cette raison que, comme vous le constaterez, j'ai cherché, pour l'analyse de ce PLF, à établir une forme de bilan de ce quinquennat en m'en tenant au seul champ des dépenses hors urgence et relance, lesquelles sont clairement identifiées dans le rapport économique, social et financier.
En premier lieu, je fais le constat que, contrairement à ses engagements pris dans la loi de programmation des finances publiques adoptée en début de quinquennat, le Gouvernement a abandonné tout effort de maîtrise des dépenses publiques à compter de l'année 2019.
Ainsi, alors qu'il avait proposé de respecter un effort en dépense assez ambitieux, il y a finalement totalement renoncé. Au plan pratique, ce relâchement signifie que les dépenses primaires ont poursuivi une trajectoire de hausse très importante tout au long du quinquennat, connaissant une croissance moyenne en volume de l'ordre de 1,2 % par an.
Ainsi, en comparaison des objectifs fixés en début de quinquennat, la dépense primaire devrait accuser un écart d'au moins 60 milliards d'euros en 2022.
Avant de m'intéresser à l'évolution du solde et de l'endettement, je rappelle que depuis le dépôt du PLF plusieurs éléments ont conduit à modifier son contenu ou ses équilibres. Ainsi, la révision de croissance en 2021 de 6 % à 6,25 % devrait à elle seule entraîner des recettes supplémentaires d'un montant équivalent à 4,7 milliards d'euros. Je rappelle que ce chiffre pourrait bien être encore plus élevé en cas de révision à la hausse de la croissance en 2021.
Parallèlement de nouvelles dépenses ont été soit annoncées soit sont déjà adoptées : indemnité-inflation, revalorisation du chèque-énergie, création d'un revenu d'engagement, etc.
Au final, le coût de ces nouvelles dépenses ou moindres recettes pourrait atteindre 2,1 milliards d'euros en 2021 et 10,6 milliards d'euros en 2022.
En tenant compte de l'ensemble de ces facteurs, le déficit du solde public devrait atteindre 5 % en 2022, contre 4,8 % lors du dépôt du PLF. En sens inverse, l'endettement s'élèverait à 113,7 % du PIB, soit un peu mieux que les 114 % prévu initialement, mais cela uniquement parce que le niveau du PIB se trouvera plus important que prévu et non parce qu'on aurait réduit la dette elle-même. La dépense publique pourrait atteindre 55,6 % du PIB et les recettes publiques représenter 50,6 % du PIB.
Ces valeurs constituent des résultats provisoires dans l'attente d'une révision de l'article liminaire par le Gouvernement. Elles correspondent toutefois bien à ce qui serait constaté avec une hypothèse de croissance de 6,25 % en 2021, que le ministre des finances a indiqué désormais retenir dans la perspective de la nouvelle saisine du Haut Conseil des finances publiques.
Au périmètre du solde inscrit au dépôt du PLF, il apparaît que les administrations de sécurité sociale et les administrations publiques locales présenteraient un solde quasiment nul en 2022.
S'agissant des administrations de sécurité sociale, j'observe que la croissance de leurs dépenses ralentirait en 2022, mais qu'elles seraient tout de même poussées à la hausse par le coût des dépenses liées au Ségur de la santé. Cela doit nous questionner sur les moyens mis en oeuvre à moyen terme pour maîtriser l'évolution de la dépense sociale.
Par ailleurs, les dépenses de fonctionnement des administrations publiques locales augmenteraient de seulement 0,9 % en volume en 2022, ce qui implique qu'elles auraient progressé de seulement 1,1 % en moyenne depuis 2019. Cela traduit un effort substantiel de maîtrise des dépenses de la part des collectivités territoriales dans la mesure où, sur longue période, ces dépenses croissent tendanciellement d'environ 1,9 % par an en volume.
Le déficit public dans son ensemble pourrait ainsi, je l'ai dit, représenter 5 % du PIB en 2022, soit environ 130 milliards d'euros.
En valeur, le déficit se réduirait de près de 70 milliards d'euros, ce qui doit évidemment être salué. Toutefois, j'observe que ce bon résultat s'explique principalement par l'extinction des mesures d'urgence et de soutien en 2022. Celle-ci permet ainsi de masquer une augmentation autrement plus critiquable de 40 milliards d'euros de dépenses primaires. La dernière fois que nous avions pu assister à une hausse de cette ampleur, c'était en 2017, à l'aube - est-ce une surprise ? - d'une autre campagne.
Quoi qu'il en soit, le Gouvernement n'a pas voulu mettre à profit les gains tirés d'un regain inattendu de la croissance pour réduire notre endettement et assainir nos finances publiques. Or, une rapide simulation montre qu'en s'abstenant d'introduire de nouvelles mesures coûteuses dans le PLF déposé, ou en les finançant, au moins, à moyens constants, le Gouvernement aurait réduit l'endettement à 113,2 % du PIB et limité le déficit à 4,6 % du PIB en 2022.
Je veux d'ailleurs témoigner de ma grande inquiétude s'agissant de la stratégie de maîtrise des comptes publics que propose le Gouvernement pour l'avenir.
Comme je l'avais déjà relevé lors de l'examen du programme de stabilité, le Gouvernement propose de limiter la croissance annuelle de la dépense primaire à 0,4 % par an en volume entre 2022 et 2027.
Un tel résultat serait empiriquement inédit et je ne peux que redire combien il nécessite, pour être crédible, de déterminer et de présenter les moyens envisagés pour y parvenir. Or une telle documentation n'existe pas et le Gouvernement se contente pour l'instant de donner une cible sans préciser comment elle serait atteinte.
Le Gouvernement s'était d'ailleurs déjà engagé sur un objectif comparable à celui-ci en début de quinquennat et il ne l'a pas tenu. Il réitère pourtant aujourd'hui cette promesse. Devant l'absence de résultats, je ne peux considérer la trajectoire proposée par le Gouvernement que comme une simple mesure d'affichage. La maîtrise de la dépense publique et l'assainissement de comptes publics sont pourtant une nécessité absolue. Il y a une véritable urgence à transformer la simple promesse en un véritable engagement.
Je parlerai à présent plus précisément du budget de l'État, qui fait l'objet de l'autorisation parlementaire en loi de finances.
Si l'on revient sur l'année 2021, je vous rappelle que la prévision de déficit avait été fortement aggravée dans le collectif budgétaire du 19 juillet dernier, par l'effet du renforcement des crédits en faveur des mesures d'urgence, mais aussi par la prise en compte des reports de crédits non consommés en 2020 et reportés sur ces mêmes mesures d'urgence. Il s'agit principalement des dépenses du fonds de solidarité.
L'estimation révisée de déficit, pour 2021, est désormais de 197,4 milliards d'euros selon le projet de loi de finances pour 2022, mais pourrait encore évoluer dans le projet de loi de finances rectificative présenté ce matin en Conseil des ministres. Les recettes fiscales bénéficient de l'amélioration, plus rapide que prévu, de la situation économique, et les crédits supplémentaires ouverts en juillet sur les dispositifs d'urgence ne devraient être que partiellement consommés. Ce déficit demeure toutefois nettement plus élevé qu'en 2020, le soutien de l'économie par les mesures d'urgence ayant été plus important alors que l'activité était moins touchée par les restrictions.
En 2022, le déficit budgétaire serait de 143,4 milliards d'euros dans le projet de loi déposé à l'Assemblée nationale, mais les débats en première partie l'ont dégradé de 5 milliards d'euros, le portant à 148,4 milliards d'euros, chiffre encore provisoire en attendant l'effet des nouvelles mesures en dépenses. Je vais revenir plus en détail sur les évolutions en dépenses et en recettes, mais vous voyez que la fin des mesures d'urgence est le principal facteur d'amélioration du solde.
Or le niveau du déficit, même amélioré et en dépit du retour à la normale de l'économie, reste du même ordre que lors de la crise de 2009-2010. Il en résulte une accumulation des dettes qui pèse de plus en plus sur le financement de l'État. Désormais, celui-ci emprunte chaque année 260 milliards d'euros et, ce qu'on sait moins, il remboursera en 2022 pas moins de 150 milliards d'euros de titres arrivés à échéance.
Au regard de ces montants, le « remboursement » de la dette d'un montant de 1,9 milliard d'euros, proposé par le Gouvernement, n'est en réalité qu'un artifice comptable : au lieu de réduire la dette par des ressources nouvelles, par exemple la vente d'un actif, comme au moment des privatisations de 1986 à 1988, il ouvre des crédits sur le budget général, c'est-à-dire qu'il accroît la dette d'un côté et la diminue de l'autre : le bilan est strictement nul, même s'il entraîne en même temps une augmentation optique du déficit budgétaire, qui devrait persister dans les années à venir puisque 165 milliards d'euros d'autorisations d'engagement sont ouverts sur ce programme.
Pour la deuxième année consécutive, le projet de loi de finances est accompagné d'un rapport « budget vert » qui contient notamment une cotation des dépenses. Celle-ci demeure toutefois incomplète dans son périmètre puisque 20 % des dépenses ne sont pas cotées, et près des trois quarts d'entre elles sont considérés comme « neutres ».
Ce rapport confirme également des analyses que nous avons déjà faites devant cette commission, à savoir que la fiscalité énergétique pèse plus, en proportion, sur les ménages modestes ou sur ceux qui habitent en zone rurale ou à la périphérie des villes. La taxation de l'énergie pèse enfin de manière différente selon les acteurs : plusieurs secteurs économiques, tels que l'énergie, les transports et l'industrie, utilisent une énergie taxée à des taux réduits, voire sont exonérés, ce qui n'est pas le cas des ménages et du secteur tertiaire.
S'agissant des recettes en 2022, je serai assez bref, car le projet de loi de finances, au moins dans sa version initiale, ne propose pas de réforme d'ampleur, et elles bénéficient de la reprise économique que j'ai déjà décrite.
Les recettes fiscales nettes de l'État s'établiraient à un niveau de 292 milliards d'euros, en hausse de 13,4 milliards d'euros par rapport à l'évaluation révisée pour 2021. Certains effets antérieurs poussent à la baisse, comme la poursuite de la baisse du taux de l'impôt sur les sociétés (IS) et la suppression de la taxe d'habitation sur les résidences principales, qui, pour sa partie résiduelle, a été affectée au budget de l'État en 2021. Les conséquences de la reprise économique permettent aux recettes de progresser dans leur ensemble, mais l'adoption par l'Assemblée nationale du « bouclier » tarifaire diminue toutefois les recettes. Le chiffrage de 5,3 milliards d'euros, donné à l'Assemblée nationale, doit être pris comme une approximation puisque sa mise en oeuvre dépend de l'évolution des prix de l'énergie et que le montant désormais avancé est déjà supérieur.
Si l'on remet en perspective l'évolution des recettes fiscales au cours du quinquennat, on constate d'abord que le niveau global des recettes fiscales nettes est stable, autour de 290 milliards d'euros. Dans le même temps, la fiscalité affectée à des tiers a, elle, considérablement augmenté, passant de 259 à 335 milliards d'euros, dépassant par conséquent les recettes fiscales revenant à l'État lui-même.
L'évolution par impôt est contrastée. Pour l'impôt sur le revenu, l'institution du prélèvement à la source a conduit à des restitutions de trop-perçu et des acomptes de crédits d'impôt qui induisent une différence importante entre l'impôt brut et l'impôt net. L'impôt net sur les sociétés a augmenté en raison, notamment, des allégements de cotisations, qui ont augmenté le bénéfice imposable, et de la suppression du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), malgré la baisse progressive du taux normal d'imposition.
La TVA rapportait à l'État deux fois plus que l'impôt sur le revenu en 2017, et seulement 20 % de plus aujourd'hui. Des transferts successifs ont réduit cette recette pour l'État de plus du tiers. La taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), elle, a été en partie rebudgétisée avec la fin du compte d'affectation spéciale (CAS) « Transition énergétique ».
Les recettes non fiscales seraient en 2022 de 18,9 milliards d'euros, en diminution de 3,3 milliards d'euros par rapport au montant estimé en 2021. La raison en est la perception en 2021 de recettes exceptionnelles, avec notamment le reversement des liquidités du fonds Barnier au budget général, les rémunérations perçues au titre des prêts garantis par l'État (PGE) et un produit élevé des amendes de concurrence.
Par ailleurs, les prélèvements sur recettes (PSR) à destination des collectivités territoriales diminuent de 0,5 milliard d'euros en raison de la fin des mesures de soutien exceptionnel. Le PSR à destination de l'Union européenne se situe à un niveau élevé, qui correspond au lancement de la nouvelle période de programmation, mais aussi à une tendance de plus long terme : il est de 26,4 milliards d'euros en 2022, contre 16,4 milliards d'euros en 2017.
J'en viens maintenant aux dépenses de l'État. Il est difficile d'en parler alors que les annonces se multiplient, encore plus que les autres années, le HCFP ayant lui-même constaté que le projet de loi de finances déposé était incomplet.
Ce qui est certain, c'est, d'une part, qu'elles sont en progression pour l'année 2022, et, d'autre part, qu'elles créent des engagements pour les années ultérieures, notamment avec les dernières annonces.
D'abord, examinons les grandes masses du budget général, avant de considérer plus en détail les évolutions des crédits.
Les missions traditionnelles - « Enseignement scolaire », « Défense » - ainsi que la charge de la dette dominent le budget. La mission « Plan de relance », qui faisait partie des « grandes missions » l'an dernier, n'est plus en 2022 qu'une mission moyenne avant de disparaître progressivement par la suite.
Les dépenses de l'État estimées sur la norme de dépenses pilotables, qui n'inclut pas les missions « Plan de relance » et « Plan d'urgence », seraient en 2022 de 302,5 milliards d'euros, en augmentation de 11,8 milliards d'euros, soit 4,1 %, à périmètre constant par rapport à la loi de finances initiale pour 2021. Pour le dire d'une autre manière, le budget 2022 ne marque aucune volonté de réduction des dépenses courantes de l'État.
Presque toutes les missions ordinaires du budget général voient leurs crédits augmenter. Celles dont les crédits diminuent sont surtout les missions « Plan d'urgence » et « Plan de relance », ce qui résulte de la logique propre à ces programmes qui ont vocation à s'éteindre. S'agissant de la mission « Investissements d'avenir », le Gouvernement a déposé hier un amendement qui accroît ses crédits de 34 milliards d'euros en autorisations d'engagement et de 3,5 milliards d'euros en crédits de paiement au titre du plan d'investissement France 2030.
Les principales hausses concernent des missions sur lesquelles le Gouvernement a mis en oeuvre des priorités particulières depuis 2017, à savoir les missions « Défense », « Enseignement scolaire », « Sécurités », « Aide au développement » et « Justice ». La charge de la dette devrait augmenter de manière significative en raison des effets de la reprise de l'inflation sur les titres indexés.
Sur l'ensemble du quinquennat, vous constatez l'écart entre l'intention d'une diminution des dépenses de 2,7 % affichée dans la loi de programmation de finances publiques et la réalité de l'augmentation de ces dépenses, qui a été de 7,3 %. Cela représente un écart de 10 % ! Il s'agit des dépenses pilotables, donc, je le rappelle, hors mesures d'urgence et de relance, et sans prendre en compte les dernières annonces.
Les plus grandes missions ont vu leurs crédits augmenter, pour certaines en application des lois de programmation en général dont elles ont fait l'objet. Certaines missions plus petites ont vu en revanche leurs crédits baisser, notamment la mission « Cohésion des territoires », en raison de la réduction du financement des aides au logement par l'État, et la mission « Travail et emploi », compte tenu, en début de quinquennat, d'une diminution de plusieurs dispositifs d'aide à l'emploi.
S'agissant enfin des emplois, 1 276 équivalents temps plein (ETP) sont supprimés chez les opérateurs de l'État, tandis que 850 sont créés dans les ministères au titre des missions du budget général. L'évolution est comparable à celle des années précédentes : c'est une nouvelle fois le ministère de l'économie, des finances et de la relance et le ministère de la transition écologique qui concentrent l'essentiel des baisses d'effectifs, tandis que les ministères régaliens poursuivent leurs recrutements.
Sur l'ensemble du quinquennat, le nombre d'emplois est stable, le Gouvernement ayant abandonné l'objectif initialement fixé de baisse de 50 000 emplois. La masse salariale, elle, est en augmentation de 2 milliards d'euros en 2022 pour atteindre 94,4 milliards d'euros, hors pensions. L'augmentation des dépenses de personnel est une constante de ce quinquennat, qui a pris la suite du quinquennat précédent après des années de tentative de maîtrise de ces coûts.
Mme Christine Lavarde. - Merci pour cet exposé didactique qui mériterait d'être largement diffusé. L'évolution de notre solde structurel est préoccupante : son déficit passera de 1,3 %, en 2020, à 4 % en 2022 ! Les dépenses courantes augmentent.
La stabilité du nombre d'emplois est en trompe-l'oeil, en raison du recours à des intérimaires. Quelle est la contribution de la dépense publique à la croissance ? Autrement dit, la reprise de la croissance est-elle uniquement le fait de la dépense publique ?
M. Vincent Delahaye. - Pour répondre à Mme Lavarde, je pense que la croissance est due pour un tiers à la contribution de la dépense publique : plus on dépense, plus on est riche... Mais, après une récession de 8 % l'an passé, et avec une croissance de 6,25 % cette année, il me semble que le compte n'y est pas, et que la croissance, loin d'être exceptionnelle, comme le prétend le Gouvernement, reste en fait négative sur ces deux dernières années !
On nous dit qu'il y a eu des baisses d'impôt, mais le produit de l'impôt sur le revenu augmente de 7 % et n'a jamais été aussi dynamique. Est-ce lié au prélèvement à la source ? De même, je ne comprends pas l'évolution de la TVA. Le système est devenu très complexe. Je voudrais savoir comment elle évolue par rapport à la croissance. Il est aussi difficile de s'y retrouver dans les dépenses : quelle est leur hausse ? Pour quel montant ?
En définitive, il est bien compliqué d'y voir clair dans ce budget : le Gouvernement fait de nouveaux chèques tous les jours et multiplie les dépenses nouvelles ; en dépit des baisses d'impôts annoncées, les recettes fiscales sont élevées.
M. Albéric de Montgolfier. - Je vous invite à relire les rapports de notre commission sur les différents projets de loi de finances depuis cinq ans. Nous avons toujours exprimé notre inquiétude quant à l'absence de réformes structurelles. Le Gouvernement nous disait de ne pas nous inquiéter, nous renvoyant aux deux dernières années du quinquennat. Finalement, la crise est arrivée et les réformes sont oubliées... En dépit de dépenses publiques élevées, les Français ne semblent pas satisfaits du fonctionnement de leurs services publics. Ce budget contient-il une seule mesure de réforme structurelle ou bien le Gouvernement a-t-il définitivement renoncé ?
M. Marc Laménie. - Je partage les remarques de M. Delahaye sur l'évolution des recettes fiscales et la complexité en ce qui concerne les chiffres de la TVA. Il est dur de s'y retrouver. Le déficit public devrait se réduire, à 128,9 milliards d'euros en 2022, contre 200 milliards d'euros en 2021 : comment l'expliquer ? Les dépenses des grands ministères augmentent. Peut-on dire que l'administration fonctionne mieux pour autant ?
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - La stabilité du nombre d'emplois est, en effet, en trompe-l'oeil, car la masse salariale augmente de deux milliards d'euros. Quant à l'externalisation, elle accroît la précarité : c'est tout sauf une bonne gestion des ressources humaines ! En 2021, la dépense publique devrait expliquer 1,3 point des 6,25 points de croissance. En 2022, la contribution de la dépense publique à la croissance devrait être négative : pour une croissance attendue de 4 %, la dépense publique devrait contribuer négativement de 0,4 %, car elle baissera. Nous attendons encore le PLFR pour savoir précisément ce qu'il en est en 2021.
Monsieur Delahaye, le niveau d'activité a rattrapé au troisième trimestre le niveau qui était le sien en 2019, et, selon les données dont nous disposons aujourd'hui, il devrait être supérieur de 1,7 % au début de l'année prochaine.
Mon rapport contient des éléments détaillés sur la fiscalité ou les recettes des différents impôts. Le produit de l'impôt sur le revenu augmente grâce à l'amélioration du taux de recouvrement avec le prélèvement à la source tandis que, grâce au soutien de l'État pendant la crise, les acteurs se trouvent dans une situation économique plus favorable, ce qui se traduit finalement par des recettes fiscales supplémentaires. La TVA suit la courbe de l'activité économique et s'est relativement bien maintenue pendant la crise. Les dépenses pilotables augmentent de 11,8 milliards d'euros, même si les dépenses publiques diminuent globalement en raison de la baisse des dépenses de relance.
Je partage évidemment l'analyse de M. de Montgolfier ; on ne constate, en effet, aucune mesure structurelle ayant un impact financier, la seule réelle réforme structurelle étant celle concernant les ordonnateurs et les comptables publics mais elle n'a pas d'incidence budgétaire proprement dite.
M. Éric Bocquet. - Si la dépense publique n'existait pas, il faudrait l'inventer, car je ne sais pas de quoi on pourrait parler ! Il n'est question, ce matin, que de maîtrise de la dépense sociale ou de maîtrise des dépenses publiques... Je constate que la campagne électorale est lancée.
Votre présentation est incomplète, car il y manque des propositions. Je regrette l'absence de ressources nouvelles pour financer les dépenses. Vous évoquez des ventes d'actifs pour réduire la dette, mais la privatisation des autoroutes en 2006 a rapporté 15 milliards d'euros, alors que la dette de la France atteint 2 830 milliards d'euros... C'est bien peu, sans compter qu'il s'agit, en outre, d'actifs rentables. Quels actifs souhaiteriez-vous vendre ? Vous dénoncez aussi l'absence de réduction de l'emploi public, mais le maintien de l'emploi public et le niveau des dépenses publiques ont permis d'atténuer les effets de la crise - chacun le sait. Pourtant, on entend des candidats annoncer des baisses de 150 000 emplois, voire plus. Les enchères sont ouvertes ! À quel niveau faudrait-il placer, selon vous, le curseur ?
M. Jérôme Bascher. - Seul l'État, en 2022, sera déficitaire au sens maastrichtien du terme - c'est remarquable. La sécurité sociale, dont le budget est pourtant plus volatil, revient à l'équilibre avec la fin de la crise, car l'output gap se referme. Les collectivités territoriales affichent un léger excédent. On peut donc critiquer le Gouvernement pour sa gestion de l'État.
Les hypothèses concernant l'inflation ne cessent d'évoluer : celle-ci devait être temporaire, on pense désormais que le temporaire sera plus durable, avec le risque de voir se constituer une boucle prix-salaires. Quel serait l'effet sur le budget d'une hausse de l'inflation de 1 % ? Certaines recettes fiscales augmenteront, mais certaines dépenses devront être sans doute révisées à la hausse.
M. Didier Rambaud. - Je salue notre rapporteur général pour son brillant exposé, même si je ne partage pas l'analyse politique et si je relève plusieurs contradictions. Il a beaucoup insisté sur l'absence de maîtrise des comptes publics. J'ai envie de répondre : « Chiche ! Mais comment fait-on ? »
Lorsqu'en début de quinquennat nous avons pris des décisions douloureuses - suppression de contrats aidés, baisse des aides au logement, révision du financement des chambres de commerce et de l'industrie, ainsi que de l'assurance chômage, etc. -, peu de monde les soutenait ! La hausse des dépenses vise à accompagner les lois de programmation : militaire, relatives à la recherche ou à l'aide publique au développement, etc. De plus, depuis que nous avons commencé à examiner le budget, nos rapporteurs spéciaux déplorent l'absence de moyens pour leurs missions. Vous estimez aussi que l'on n'en fait pas assez pour la transition écologique. Il faut donc davantage de dépenses ! De même, nous créons des emplois de gendarmes, de policiers, de magistrats : faut-il y renoncer ?
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Oui, monsieur Bocquet, il faut réduire la dépense publique : lorsque nous étions aux responsabilités, nous l'avons fait. Il est vrai que certaines mesures, comme la baisse des effectifs de policiers, ont été douloureuses et je suis prêt à les examiner. Mais on apprend de nos erreurs, et cela ne remet pas en cause l'objectif. Ne pourrait-on pas simplifier notre organisation, en supprimant les doublons, en démêlant l'écheveau de compétences entremêlées entre l'État et les collectivités territoriales ? L'efficacité de l'action publique ne dépend pas uniquement des effectifs.
Monsieur Bascher, les administrations de sécurité sociale et les administrations publiques locales devraient, en effet, présenter un solde quasiment nul en 2022. C'est assez inattendu. Cela s'explique en partie par le dynamisme des recettes, mais cette situation mérite d'être soulignée.
Il y a quelques mois à peine, le gouverneur de la Banque de France affichait son optimisme sur l'inflation. Cependant, les hypothèses sont désormais régulièrement revues à la hausse. Le ministre des comptes publics envisage une « bosse » d'inflation. Nul ne sait quel sera l'effet de la pénurie de matières premières ou des difficultés de recrutement, ni quel est le risque d'une surchauffe économique. Il convient donc de rester prudent en la matière ; en tout cas, on peut s'attendre à un renchérissement de la charge de la dette et des dépenses sociales indexées.
Les propos de M. Rambaud commençaient bien... Nos rapporteurs spéciaux déplorent parfois, en effet, le manque de moyens dans l'examen de leurs missions, mais le flot de dépenses nouvelles annoncées depuis le dépôt du projet de loi de finances est inédit et indécent en ce qu'il ne respecte ni la démocratie ni le Parlement. L'examen du projet de loi de finances doit constituer un moment de transparence. On ne doit pas faire campagne avec le carnet de chèques des Français, c'est dangereux pour tout le monde !
M. Vincent Segouin. - Chaque année on fait le même constat : les prélèvements obligatoires et les dépenses publiques sont élevés, alors que la qualité des services publics n'est pas au rendez-vous : l'hôpital public va mal, les dépenses de sécurité sont insuffisantes, etc. On continue à s'endetter davantage chaque année, mais combien de temps cela pourra-t-il durer ?
M. Vincent Capo-Canellas. - La question centrale est celle de la maîtrise de la dépense publique, dans un contexte marqué par une hausse de l'inflation et une remontée probable des taux d'intérêt. L'inflation et les pénuries font peser un risque sur la reprise, et il convient, me semble-t-il, de privilégier un scénario prudent. La croissance reste encore fragile. Après la crise de 2008, on avait réduit les dépenses trop rapidement et cassé la reprise. Nous devons trouver le bon réglage.
La hausse des dépenses pilotables sur les grandes missions représente une dizaine de milliards d'euros. Que préconisez-vous ? Faut-il réduire ces hausses ? Les supprimer ? Vous montrez que l'endettement aurait pu être réduit de 0,5 point de PIB en 2022 si le Gouvernement s'était abstenu d'introduire de nouvelles mesures coûteuses depuis le dépôt du projet de loi de finances ou les avait, au moins, financées à moyens constants. Quels objectifs en matière d'économies ou de réduction de la dette préconisez-vous ?
Mme Sophie Taillé-Polian. - On peut s'interroger, en effet, sur les dépenses publiques, et notamment sur leur ventilation. Quant aux recettes, elles augmentent, mais elles augmenteraient davantage si on n'avait pas tant baissé les impôts !
Quel est l'effet de ces mesures sur les différents déciles de population ? Il faut s'interroger sur l'évolution des inégalités. Le saupoudrage de crédits à la veille des élections est problématique, surtout au regard du décalage avec les documents transmis par ce gouvernement à Bruxelles sur l'évolution prévisionnelle de nos finances publiques. On doit donc s'attendre à des coupes sombres les années suivantes... Dans un souci de clarté démocratique, il conviendrait que ceux qui comptent couper, à la hache, dans les dépenses, indiquent précisément celles qu'ils comptent réduire.
L'« indemnité-inflation » a été évoquée. Nous y sommes évidemment favorables. Nous avions d'ailleurs déposé une proposition de loi prévoyant une mesure similaire : le versement d'un complément à l'aide au logement. Simplement, nous proposions de financer ce versement par le décalage de deux ans de l'exonération de la taxe d'habitation pour les 20 % de ménages les plus aisés. Voilà un exemple de mesure de justice fiscale.
M. Michel Canévet. - Ce texte comporte des sujets d'inquiétude et de satisfaction. Parmi les sujets d'inquiétude, il faut mentionner l'évolution des dépenses pilotables. La trajectoire était bonne jusqu'en 2019, mais la crise est arrivée... Notre rapporteur général identifie-t-il certains secteurs où l'on pourrait réduire la dépense ou privilégie-t-il une mesure de rabot général ?
Parmi les sujets de satisfaction, nous devons nous féliciter de la baisse significative des impôts depuis quelques années ; malgré cela les recettes de l'impôt sur le revenu ou de l'impôt sur les sociétés augmentent, preuve que la baisse des impôts est bénéfique pour la croissance économique et qu'elle ne réduit pas nécessairement les recettes de l'État. La TICPE constitue une recette permettant de financer les mesures pour le climat.
Je ne comprends pas l'évolution de la TVA : cette taxe rapportera 155 milliards d'euros en 2022, contre 175 milliards d'euros en 2019. Comment comprendre le différentiel de 20 milliards d'euros alors que le niveau d'activité retrouve son niveau d'avant-crise ?
Mme Sylvie Vermeillet. - Ma question porte sur l'évolution des effectifs. Pourriez-vous nous apporter des précisions sur la création de 211 postes dans les services du Premier ministre ? En 2019, le Premier ministre avait missionné ses ministres pour réduire le nombre des agences publiques. Officiellement, l'État en compte 1 200 - opérateurs et organismes divers - pour une dépense de plus de 80 milliards d'euros par an ; 458 000 agents sont concernés. Où en est-on ?
M. Pascal Savoldelli. - Je ne comprends pas très bien ce qu'est la croissance « potentielle ». Pourriez-vous m'éclairer ? Vous avez évoqué plusieurs scénarios concernant les taux d'intérêt à dix ans. La France emprunte 260 milliards d'euros chaque année. Quelle serait la conséquence budgétaire d'une hausse des taux d'intérêt ? Inversement, quelle est la conséquence pour le budget des taux négatifs : peut-on dire que la France dispose d'un « matelas », qui serait donc susceptible d'être utilisé ?
La prime inflation représente 8,33 euros par mois pour les ménages. Cela ne suffit pas à compenser la hausse des prix ! Quel serait le coût budgétaire d'un blocage des prix du gaz et de l'électricité ?
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Dans la loi relative à la modernisation de la gestion des finances publiques, le Sénat a soutenu l'idée d'un débat sur la dette au printemps plutôt qu'à l'automne, c'est-à-dire lors de la transmission du Programme de stabilité et du rapport préalable au DOFP. Le débat est important car ce n'est pas en faisant l'autruche qu'on pourra identifier les efforts à faire. Partager le constat permettrait de mobiliser toutes les parties prenantes dans le même but : se désendetter. On peut choisir les modalités ou la vitesse de ce désendettement, mais le sujet de la dette ne devrait jamais être mis de côté.
Monsieur Capo-Canellas, je n'ai jamais soutenu le cantonnement de la dette Covid. Quand survient une crise exceptionnelle, l'État fait un effort exceptionnel. Nous sommes nombreux au Sénat et au sein de cette commission à avoir soutenu les mesures d'urgence et de relance. Mais lorsque nous sortons de la crise, il faut faire des efforts qui doivent être partagés le mieux possible.
Je ne crois pas qu'il faille éviter toute mesure nouvelle, mais il faut s'assurer de rester mesuré et d'envisager de les gager, sans bien sûr casser la reprise, comme on l'a reproché a posteriori au Gouvernement lors de la crise de 2009-2010. Il y a malgré tout une différence : à l'époque, nous avions perdu des capacités de production, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.
Nous devons chercher néanmoins à mieux cibler les dépenses, en nous concentrant sur celles qui concourent à une reprise forte de l'économie : aides aux entreprises, dépenses d'avenir. L'industrie a perdu en trente-cinq ans la moitié de son poids dans l'économie, en passant de 19 % à 10 % de la richesse nationale.
Madame Taillé-Polian, l'impact du budget sur les ménages relève d'un réglage très fin, tel un moteur de formule un ! Selon les déciles, l'impact de la hausse du coût de l'énergie n'est pas le même. Depuis 2017, les mesures de transferts ont cependant bénéficié à tous les déciles selon le rapport économique, social et financier - ce serait sans doute plus nuancé si l'on descendait à un niveau plus fin...
Les aides publiques pour lutter contre la précarité énergétique ne sont pas coordonnées et se répètent année après année. En hiver, les ménages qui, dans leurs déplacements ou dans leur logement, subissent de la précarité énergétique, bénéficient des chèques énergie de l'État et d'autres aides des collectivités ; mais au printemps, la vie reprend et aucun diagnostic n'est fait. Il faudrait traiter les causes de la précarité énergétique une bonne fois pour toutes.
Monsieur Canévet, l'augmentation des recettes d'impôt sur les sociétés est due notamment aux diminutions de cotisations qui ont élargi la base taxable.
Madame Vermeillet, le Sénat a voté votre amendement créant un article du projet de loi de finances récapitulant les emplois publics dans le cadre de l'examen de la proposition de loi organique révisant la loi organique relative aux lois de finances (LOLF). Je ne suis pas certain de parvenir à le maintenir dans le texte de compromis, mon homologue considérant que ces éléments sont déjà disponibles...
Les services du Premier ministre compteront 94 emplois en plus pour le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale et 25 de plus pour la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL). Nous devrons regarder plus avant avec les rapporteurs spéciaux compétents, car cela ne rend pas compte d'une augmentation de 200 emplois qui, effectivement, n'est pas neutre !
Monsieur Savoldelli, il y a deux PIB : le PIB réel et le potentiel, c'est-à-dire celui qu'un pays pourrait atteindre avec toutes ses capacités de production, compte non tenu des tensions sur les prix.
Si les prix du gaz continuent à augmenter, je ne sais pas comment le Gouvernement pourra tenir durablement avec le principe du bouclier tarifaire, qui protège les consommateurs mais pénalise les fournisseurs. Je rappelle que les tarifs réglementés du gaz naturel sont bloqués à compter du 1er novembre et jusqu'à la fin juin 2022 à leur niveau constaté en octobre 2021, et le manque à gagner pour les fournisseurs concernés sera rattrapé en cas de baisse des cours du gaz, mais la période de rattrapage ne peut aller au-delà de la fin juin 2023, date de fin des tarifs réglementés de gaz. Mais si les prix ne baissent pas, comment maintenir dans la durée ce dispositif ? Le Gouvernement a annoncé de nouvelles mesures de soutien aux fournisseurs, qui relèveraient de la seconde partie du projet de loi de finances.
Il faut être très prudent sur les taxes, qui sont variables selon les énergies. Elles s'accumulent par un phénomène de sédimentation dans lequel on a du mal à se retrouver. Le soutien de l'État sera peut-être nécessaire au maintien du blocage des prix, mais cela aggravera la dette, ce qui nécessitera des impôts pour la rembourser...
Le Gouvernement fait une hypothèse de taux d'intérêt moyen de 0,75 %, alors qu'il devrait être plutôt de 0,4 % : cela majore la charge de la dette dans la prévision, ce qui dégagerait effectivement un matelas en exécution.
M. Jean-Claude Requier. - Les hypothèses changent en permanence depuis deux ans. Plutôt que de se prononcer sur des hypothèses incertaines, pourquoi ne votons-nous pas sur des fourchettes ou sur divers scénarios ? Mais il faudrait sans doute pour cela changer la loi organique...
Pourquoi n'introduisons-nous pas les hypothèses macroéconomiques dans l'article liminaire du projet de loi de finances ?
M. Jean-Marie Mizzon. - J'observe que l'administration qui fait le plus gros effort de réduction des effectifs est celle qui est chargée de l'économie et des finances. C'est dommage, parce que c'est celle qui est chargée des recettes. Ne pourrait-on pas redéployer les ressources au sein d'une task force, afin que nous soyons un peu moins mauvais dans la lutte contre la fraude fiscale ? Y a-t-il une véritable volonté dans ce sens ?
M. Bernard Delcros. - Michel Canévet l'a pointé, les recettes de l'impôt sur les sociétés augmentent alors que le taux est passé en cinq ans de 33 à 25 %. Le produit de l'impôt sur le revenu augmente aussi. Mais comment expliquer la baisse des recettes de TVA, alors que croissance est satisfaisante ?
Comme Jean-Marie Mizzon, je me demande si nous ne pourrions pas faire mieux sur la fraude fiscale. Même s'il ne s'agit que d'une évaluation, le chiffre est éloquent.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Jean-Claude Requier a répondu lui-même en partie à sa question en rappelant les dispositions de la loi organique...
Sur le fond, il peut être utile en commission d'étudier différents scénarios, comme je l'ai fait dans mon rapport. Mais il est logique, pour la compréhension du grand public, de se fonder sur un seul scénario, pourvu qu'il soit de la plus grande sincérité.
Monsieur Mizzon, Albéric de Montgolfier et Claude Nougein vont nous présenter leur rapport spécial : vous pourrez leur demander si des moyens supplémentaires sont nécessaires pour lutter contre la fraude fiscale. Sur la TVA, j'essaierai de vous transmettre des éléments complémentaires.
Projet de loi de finances pour 2022 - Missions « Gestion des finances publiques », « Transformation et fonctions publiques » et « Crédits non répartis » et compte d'affectation spéciale « Gestion du patrimoine immobilier de l'État » - Examen du rapport spécial
M. Dominique de Legge, président. - Nous passons maintenant à l'examen des rapports sur les missions « Gestion des finances publiques », « Crédits non répartis » et « Transformation et fonction publiques » ainsi que sur le compte d'affectation spéciale (CAS) « Gestion du patrimoine immobilier de l'État ».
M. Claude Nougein, rapporteur spécial des missions « Gestion des finances publiques », « Transformation et fonctions publiques » et « Crédits non répartis ». - Les missions que nous vous présentons ce matin sont assez différentes et d'ampleur budgétaire inégale. Je commencerai par la mission « Crédits non répartis », qui n'appelle que deux brèves remarques de notre part. Ses deux dotations sont prévues par la loi organique relative aux lois de finances (LOLF).
La dotation pour dépenses accidentelles et imprévisibles bénéficie cette année de la même ouverture de crédits que depuis 2018, soit 124 millions d'euros. Cette dotation a servi, depuis 2020, de réserve de budgétisation massive pour faire face la crise sanitaire. Elle a notamment été marquée en 2021 par une augmentation de 1,5 milliard d'euros, adoptée dans le cadre de la loi de finances rectificative du 19 juillet dernier. Cet abondement, justifié, selon le Gouvernement, par le contexte incertain de la crise sanitaire, avait suscité le scepticisme de notre commission, dans la mesure où il avait été décidé lorsque les restrictions touchant les activités économiques étaient en grande partie levées.
La seconde dotation, la provision relative aux rémunérations publiques, fait de nouveau l'objet d'une ouverture de crédits, afin de financer les différentes mesures décidées dans le cadre du rendez-vous salarial de la fonction publique de juillet dernier. Nous ne disposons d'aucune information sur la ventilation des crédits entre ces différentes mesures, ni dans les documents annexés au PLF ni dans les réponses au questionnaire budgétaire. Ce manque d'information est particulièrement regrettable, d'autant que le montant de cette dotation est particulièrement élevé cette année, avec près de 323,7 millions d'euros demandés, ce qui représente une augmentation de 63 % par rapport à celle de l'année 2021, dont le montant était déjà exceptionnellement élevé ! On ne peut guère se satisfaire du fait que la répartition de dépenses de titre 2 demeure ainsi inconnue.
J'en viens à la mission « Gestion des finances publiques », dotée de 10 milliards d'euros en 2022. Elle porte les crédits des deux grandes administrations de réseau du ministère de l'économie, des finances et de la relance, c'est-à-dire la direction générale des finances publiques (DGFiP) et la direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI), ainsi que les crédits du secrétariat général du ministère.
Cette année encore, cette mission fait partie des rares missions du budget général à connaître une stabilisation de ses crédits. À périmètre constant, ces derniers baissent de 0,3 %. Il faut replacer ce chiffre dans un horizon plus large : les crédits ont diminué de près de 7 % en cinq ans, ce qui est rare.
De nouveau, deux facteurs expliquent cette baisse : le premier est la diminution nette des crédits octroyés à la DGFiP ; le deuxième, qui y est lié, est la maîtrise de la masse salariale, les dépenses de personnel représentant 85 % des dépenses de la mission. Le schéma d'emploi de la mission est négatif, environ 1 400 suppressions de poste sont prévues. Je le rappelle à titre de comparaison, sur le périmètre de l'État et de ses opérateurs, le solde des créations et des suppressions d'emplois serait une baisse de 509 équivalents temps plein en 2022.
Deux évènements ont bouleversé les missions de la DGFiP et de la DGDDI au cours des deux dernières années. Je ne reviendrai pas sur le premier, la crise sanitaire, dont nous avons beaucoup parlé l'an dernier, avec la mise en place des plans de continuité d'activité ou la gestion, par la DGFiP, du fonds de solidarité. Le deuxième a eu lieu le 31 décembre 2020 : c'est le Brexit. Le premier constat que nous pouvons faire, c'est que la DGDDI s'y était bien préparée. Il n'y a pas eu, comme cela pouvait être redouté, d'engorgement à la frontière, en tout cas du côté français. Il y a eu un temps d'adaptation avec la crise, puisque les flux ont nettement diminué, mais ces derniers ont retrouvé 95 % de leur niveau d'avant-crise, sans provoquer de blocages trop importants. Je le rappelle, 80 % des flux routiers entre l'Europe continentale et le Royaume-Uni transitent par la France.
Pour l'examen de cette mission et des crédits demandés pour 2022, nous avons souhaité faire un bilan de quatre grandes réformes et transformations engagées par la DGFiP et les Douanes au cours des dernières années. Ce bilan est plutôt satisfaisant, bien qu'il y ait toujours des marges de progrès et que certains processus soient inachevés.
Le premier chantier, entamé de longue date par la DGFiP, est celui de la rationalisation de son réseau et de ses emprises territoriales. Il y a eu un changement de méthode en 2019, avec le lancement du nouveau réseau de proximité, qui devait être finalisé en 2022 et dont les maires de nos départements ont beaucoup parlé. Au 1er octobre dernier, 45 chartes avaient été signées avec des départements, 543 avec des établissements publics de coopération intercommunale et 70 avec des communes. Résultat : la finalisation de ce réseau est désormais prévue pour 2023.
La DGFiP vise une présence dans 2 570 communes en 2023, contre un peu moins de 2 000 en 2019. C'est bien, mais, attention, il ne s'agit pas toujours d'une présence permanente, il peut s'agir de points de contact mobiles, qui appellent toute notre vigilance quant à leur pérennité, pour ne pas qu'ils disparaissent au fil des années, et quant à la qualité du service public qui y est rendu.
Toujours à propos du réseau, le processus de relocalisation des services publics dans les villes moyennes a été entamé en 2021. Ainsi, 66 villes moyennes disposant d'immobilier ont été sélectionnées pour accueillir des services de la DGFiP, avec des installations prévues entre 2021 et 2024. Quelque 2 500 agents de l'administration fiscale seront concernés, sur les 6 000 agents de l'État supposés participer à ce dispositif de relocalisation. Il faut noter, là encore, l'effort très important de la DGFiP.
En plus des services relocalisés, il y aura des créations nettes, par exemple des centres téléphoniques. Albéric de Montgolfier et moi-même avons toujours insisté sur ce point : beaucoup de nos concitoyens ne peuvent pas faire leurs démarches en ligne, soit qu'ils ne soient pas à l'aise avec internet - c'est le cas dans les régions rurales, avec des personnes âgées -, soit que leur situation ne rentre pas dans les cases standards. Il est donc important de maintenir un point de contact direct, par téléphone, la DGFiP ayant encore beaucoup de progrès à faire sur ce point...
Le deuxième chantier, qui n'en est qu'à ses débuts, est celui du transfert à la DGFiP du recouvrement des impositions jusqu'à présent gérées par les Douanes. Ces transferts ont commencé en 2019 et devraient se poursuivre au moins jusqu'en 2024 ; c'est donc très progressif. Cette réforme peut engendrer des gains de productivité et des économies d'échelle. Elle doit surtout conduire l'administration des Douanes à s'interroger sur ses missions fondamentales en lui permettant de se recentrer sur son coeur de métier, le contrôle des trafics internationaux.
Troisième et avant-dernier axe prioritaire de développement pour la DGFiP et les douanes : la valorisation de la donnée. Au départ, il s'agissait surtout de développer des techniques d'analyse de données de masse au service du contrôle fiscal pour la DGFiP et de la lutte contre les trafics de toute nature pour la DGDDI. L'objectif est double : améliorer le ciblage des contrôles et parvenir à détecter les cas de fraude les plus complexes.
Depuis lors, ces techniques ont été mises au service d'autres missions. Par exemple, la DGFiP y a eu recours pour exercer un contrôle a priori sur les demandes des entreprises au titre du fonds de solidarité. La douane va s'en servir pour le fret postal et le fret express. En effet, les nouvelles règles de TVA sur le commerce électronique sont entrées en vigueur le 1er juillet 2021. Elles ont supprimé l'affranchissement de TVA sur les envois de valeur négligeable, inférieurs à 22 euros ; tous les envois sont donc désormais assujettis à cette taxe. Résultat : le nombre de déclarations en douane pourrait bondir, passant de 15 millions à 450 millions par an ; il a donc fallu développer un système capable d'analyser des millions de colis importés chaque jour.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur spécial des missions « Gestion des finances publiques », « Transformation et fonctions publiques » et « Crédits non répartis ». - Certains d'entre vous demandaient où faire des économies ; pour moi, le montant de la dépense publique n'est pas un dogme en soi, la question est celle de l'efficacité de cette dernière, par exemple en matière de lutte contre la fraude fiscale.
La fraude à la TVA, notamment sur le commerce électronique, est un enjeu majeur. Philippe Dallier et moi-même l'avions soulevé il y a longtemps et le sujet a peu évolué face à un commerce électronique en pleine expansion et à une fraude massive et bien connue de vendeurs en ligne, qui ne sont parfois même pas enregistrés. C'est un enjeu pour les deux directions, la DGFiP et les Douanes, d'autant plus que le commerce électronique a explosé avec la crise sanitaire. En outre, c'est un enjeu de concurrence déloyale avec les commerces de proximité.
J'en viens au quatrième chantier engagé par la DGFiP et les douanes, celui de la dette technologique des administrations. Les dépenses informatiques ont malheureusement trop souvent servi de variable d'ajustement, et c'est d'autant plus regrettable que la DGFiP et les douanes assument des missions essentielles au bon fonctionnement de l'État, en recouvrant ses recettes et en gérant ses dépenses. Or, 9 % des applications de la DGFiP, par exemple, étaient jugées obsolètes, notamment celle qui est relative à la gestion de la rémunération des agents publics.
Il y a désormais un engagement pluriannuel sur les crédits informatiques de l'administration fiscale et des douanes. Le but est de commencer à résorber la dette technique. Il est clair pour nous, et nous le répétons depuis plusieurs années, que le principal défi reste la gestion des projets informatiques sur longue période. Nous parlions d'efficacité de la dépense publique ; s'il y a des gains de productivité à dégager, c'est bien au travers de l'informatisation. Or nous constatons que les coûts et les délais des projets ont été réévalués à la hausse. Au fil du temps, certains doublent voire triplent de volume !
Lorsque j'étais rapporteur général, la commission des finances avait commandé à la Cour des comptes une enquête sur le fondement du 2° de l'article 58 de la LOLF, un « 58 2° », sur le pilotage des projets informatiques de l'État. Malheureusement, nombre de ses recommandations n'ont pas été suivies d'effet.
Cette réflexion me conduit naturellement vers la mission « Transformation et fonction publiques ». Cette mission se compose de six programmes à vocation interministérielle ; elle est dotée de 441 millions d'euros en autorisations d'engagement et de 788 millions d'euros en crédits de paiement.
Ces programmes se voulaient la traduction opérationnelle et budgétaire de la démarche de transformation de l'action publique, engagée par le Gouvernement sous l'appellation Action publique 2022. Différents baromètres s'y sont ajoutés : le suivi de la dématérialisation des 250 démarches administratives, les réformes prioritaires des ministères, qui ont succédé aux « objets de la vie quotidienne » et, dernier en date, le programme « Services publics + ». Nos concitoyens voient généralement peu de progrès à l'oeuvre et ces appellations, même si l'on en change régulièrement les termes, restent assez « techno » ; ce qui importe est la qualité du service rendu au citoyen. Or, cette multiplication des actions portées par le ministère de la transformation et de la fonction publiques rend parfois difficile le suivi de l'ensemble des réformes engagées et des crédits déployés.
L'année dernière, nous avions très fortement critiqué cette mission, qui se caractérisait par une sous-consommation très élevée des crédits ; on assistait souvent à des effets d'affichage, voire au mépris de l'autorisation parlementaire. Ces constats nous avaient conduits à déposer un amendement d'appel tendant à supprimer 75 % des crédits de la mission, afin d'obtenir des explications de Madame la ministre, Amélie de Montchalin. Ce coup de semonce a peut-être eu quelque utilité, puisque l'on peut observer certains progrès cette année et pour 2022, même s'il reste des marges de progression importantes.
Première progression observée : la clarification sur le portage budgétaire des projets soutenus par les programmes de la mission. Nous le demandions depuis deux ans, sans réponse du Gouvernement. Il est clair que l'ensemble des projets financés ne sera pas terminé à la fin de l'année 2022. Par exemple, la plupart des travaux sur la rénovation des cités administratives seront livrés en 2023 et même en 2024 pour Bordeaux. De même, de nouveaux crédits sont ouverts sur le Fonds pour la transformation de l'action publique, qui devait être clos.
Ensuite, les perspectives de consommation des crédits pour 2021 sont plus favorables que pour les années passées, à l'exception du programme 348 dédié aux travaux immobiliers sur les cités administratives. La mission affichait jusqu'ici un taux maximal de consommation de 26 %, en dépit d'objectifs ambitieux. Personne ne peut ainsi soutenir que les cités administratives, construites dans les années 1960 ou 1970, ne nécessitent pas de travaux. On observe pourtant d'importantes sous-consommations, qui sont dues aux retards constatés dans l'avancement des chantiers.
Certaines des difficultés constatées depuis 2018 sont ainsi toujours là. Les délais de contractualisation sont extrêmement longs, il y a des décalages persistants entre les besoins anticipés et les besoins réels des porteurs de projet, et les indicateurs de suivi sont toujours lacunaires. C'est surprenant pour une mission qui se veut être la représentation de la flexibilité et de l'innovation publique. On en est loin...
Je vous citerai un exemple sur les indicateurs de performance. Quand on demande au Parlement d'autoriser une dépense de 2 milliards d'euros sur cinq ans - ce n'est pas rien -, on est en droit d'attendre un meilleur suivi des projets financés. Or, sur la rénovation des cités administratives, aucun indicateur ne retrace l'avancement des travaux, alors même qu'ils prennent du retard chaque année
Il en est de même pour le Fonds pour la transformation de l'action publique : on nous explique qu'un euro investi doit conduire à un euro d'économie pérenne sur trois ans. Or, c'est seulement pour 2022 qu'on nous présentera le rendement sur investissement réellement constaté, et pas seulement celui attendu et prévu par les porteurs de projets.
Enfin, troisième et dernier point, il y a eu un début d'effort pour rationaliser l'organisation de la mission. Le Fonds d'accompagnement interministériel des ressources humaines (FAIRH) a été rattaché au programme 148 « Fonction publique ». Cet effort de rationalisation n'est toutefois pas encore achevé, avec l'existence de programmes d'ampleur budgétaire très limitée, ce qui interroge sur leur portée réelle et sur leur visibilité.
Ces progrès sont donc réels, mais encore insuffisants pour modifier totalement notre perception de la mission. En clair, il y a beaucoup d'affichage et les indicateurs ne correspondent pas à la perception de nos concitoyens. J'ai reçu, l'année dernière, un directeur d'administration chargé de la modernisation, qui m'expliquait que le taux de satisfaction des usagers des trésoreries et des usagers des commissariats de police était très élevé, au-delà de 90 %. On peut s'interroger sur la méthode ou sur l'échantillon retenu, car tout semblait parfait. Or, si tout n'est pas noir, tout n'est pas non plus merveilleux...
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Le montant de la provision relative aux rémunérations publiques sur la mission « Crédits non répartis » est particulièrement élevé cette année. Pouvez-vous nous donner des exemples de mesures financées par cette dotation ? Nous avons par ailleurs eu des débats houleux sur la réforme de la haute fonction publique. Cette réforme a-t-elle des conséquences particulières sur les crédits du programme 148 « Fonction publique » de la mission « Transformation et fonction publiques » ?
M. Claude Nougein, rapporteur spécial. - La question de la répartition des crédits ouverts sur la provision relative aux rémunérations publiques est encore assez floue. Ces crédits devraient être dédiés aux mesures décidées dans le cadre du rendez-vous salarial de la fonction publique du mois de juillet dernier. Je cite, pêle-mêle, l'allocation de télétravail, la prime de 500 euros des maîtres d'apprentissage, ainsi que les mesures en faveur des agents publics de la catégorie C - revalorisation des grilles et bonification d'ancienneté - qui sont, selon moi, des éléments essentiels.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur spécial. - La réforme de la haute fonction publique comprend deux aspects : la question de l'école et celle de la fusion des corps. La suppression au 1er janvier 2022 de l'École nationale d'administration (ENA) et son remplacement par l'Institut national du service public ne se traduira pas par des économies, mais probablement, au moins à court-terme, par une augmentation des crédits au titre de la subvention octroyée à cet opérateur pour charges de service public. Quant à la question de l'avenir des corps, les décrets sont en cours de publication. Ils sortent au fil de l'eau. Il est à ce stade extrêmement difficile d'évaluer l'impact budgétaire pour 2022.
M. Thierry Cozic. - En 2021, 1 800 suppressions d'emplois ont été annoncées à la DGFiP, accompagnées des 989 fermetures de trésoreries. Dans le PLF pour 2022, 1 392 nouvelles suppressions sont prévues. J'ai le sentiment que l'État organise son impuissance dans la lutte contre la fraude fiscale. L'actualité récente - je pense aux Pandora papers - a pourtant montré que, sur ce front, nous avons besoin de tous les moyens humains nécessaires pour recouvrer des sommes de plus en plus importantes.
De plus, les élus sur nos territoires nous font remonter des difficultés liées au décaissement des fonds du plan de relance. Je rappelle que ce sont les agents de la DGFiP qui doivent piloter la mise en place des fonds de soutien. Les suppressions d'équivalents temps plein (ETP) vont de pair avec les fermetures de trésoreries. Or la dématérialisation ne peut se substituer à l'accueil du public. La fracture numérique est un handicap de tous les jours. La Cour des comptes indiquait en 2018 que la qualité de l'accueil aux guichets est particulièrement dégradée dans certaines zones, avec parfois plus de trois heures d'attente en moyenne. Pensez-vous que ces 1 392 nouvelles suppressions soient de nature à garantir un service public de proximité et de qualité pour nos concitoyens ?
M. Marc Laménie. - Cette mission est fortement affectée par les réductions de moyens humains. N'est-ce pas une contradiction puisque l'objectif est de préserver les recettes de l'État ? Les rapporteurs spéciaux ont insisté sur la fraude, qui est très importante.
Les trésoreries constituaient un lien de proximité avec les élus locaux. Les directeurs des finances publiques affirment que ce lien sera maintenu grâce à des réseaux de conseillers. Avons-nous une idée de l'efficacité d'un tel dispositif ?
L'administration des douanes utilise des équipements et des véhicules spécialisés. Qu'en est-il de l'évolution des effectifs des douaniers « motards » ?
Quant au patrimoine immobilier de l'État, les cessions représentent des montants importants. Quels sont les types de bâtiments concernés ?
M. Emmanuel Capus. - Ma première question est relative à la DGFiP. Notre commission des finances doit se montrer cohérente et se réjouir de cet effort de maîtrise qu'elle a toujours appelé de ses voeux. Nous aimerions d'ailleurs que les efforts soient de même ampleur en ce qui concerne les autres missions !
Je partage l'inquiétude en matière de fraude fiscale. Est-elle plus importante qu'avant ? Je l'ignore, mais il me semble que des efforts importants ont été consentis pour clarifier les relations avec nos voisins et favoriser les échanges internationaux d'informations. Parallèlement aux efforts de maîtrise de la masse salariale, principalement liés à la numérisation et à la dématérialisation, des moyens techniques et informatiques ont-ils été mis en oeuvre en matière de lutte contre la fraude pour contrebalancer la diminution des moyens humains ?
Le rapport précise qu'il y a eu une réorganisation de nos douanes pour tenir compte du Brexit. Cette réorganisation fonctionne-t-elle bien ? Est-elle à la hauteur des enjeux, je pense notamment à la crise de la pêche ? Avons-nous les moyens humains d'assumer une politique plus offensive par rapport au Royaume-Uni ?
M. Christian Bilhac. - Je me félicite également des économies réalisées. Les crédits de cette mission s'élèvent à environ 10 milliards d'euros, soit à peu près le montant recouvré au titre du contrôle fiscal. En supprimant trop de personnels, il ne faudrait toutefois pas que l'on perde beaucoup plus que ce que l'on gagne ! Idem pour la douane, qui mérite d'être renforcée, notamment en raison du Brexit.
Le réseau a été beaucoup transformé, les points de contact ne sont souvent que des permanences ouvertes quelques heures par semaine. De nombreux maires se plaignent de l'éloignement. Les directions régionales et Bercy ont-ils pris leur part dans cette réorganisation ou l'effort de réduction d'effectifs n'a-t-il été supporté que par le réseau déconcentré, sur le terrain ?
M. Michel Canévet. - Mes préoccupations sont similaires à celles d'Emmanuel Capus. En matière d'évolution informatique, les choses se sont plutôt bien passées pour la DGFiP, j'en veux pour preuve la mise en oeuvre du prélèvement à la source et les dispositifs liés au fonds de solidarité. Nous avons constaté certains errements de l'État au sujet des programmes informatiques. J'ai le sentiment que l'évolution du réseau de la DGFiP va dans le bon sens puisqu'il s'agit de réduire le coût global et de s'adapter aux évolutions intervenues pour le prélèvement des impôts. Qu'en pensent les rapporteurs spéciaux ?
Ma dernière préoccupation porte sur l'immobilier. Les moyens immobiliers dédiés à la rénovation des bâtiments publics ayant été décuplés dans le cadre du plan de relance, des chantiers ont-ils pris du retard ? Que faudrait-il faire pour pallier rapidement cet état de fait ?
M. Bernard Delcros. - Je souhaite que l'exemple de la DGFiP soit suivi par d'autres secteurs. La délocalisation de services entiers a permis de relocaliser des emplois publics dans les territoires ruraux et les petites villes. C'est un bon exemple en matière d'aménagement du territoire.
En ce qui concerne la réforme des trésoreries, la DGFiP annonce une augmentation des points d'accueil, mais une partie importante d'entre eux sont situés dans les maisons de services au public ou dans les maisons France Service. Il serait utile d'évaluer le coût d'un tel transfert de charges vers les collectivités.
M. Éric Bocquet. - Je pense, en cet instant, au rapport très critique produit l'an dernier par notre ancien collègue Jacques Genest sur la présence des services de l'État dans les territoires avec toutes les conséquences que cela entraîne, notamment dans les territoires ruraux.
La DGFiP a été le plus gros contributeur à la réduction des emplois publics dans ce pays : 30 000 ETP de moins depuis 2008, ça n'est pas rien. Comment imaginer que cela se fasse sans conséquence ? On met aujourd'hui en avant les nouvelles modalités d'analyse, notamment l'intelligence artificielle et le data mining. Google, qui devait 7 milliards d'euros d'impôts à la France et qui s'en est finalement tiré avec un chèque de 1 milliard, envisage d'aider la DGFiP à traquer les piscines non déclarées dans neuf départements français, à titre expérimental, à partir du mois d'octobre. Confirmez-vous cette information, qui pourrait prêter à sourire si ce n'était pas tragique ?
M. Claude Nougein, rapporteur spécial. - Plusieurs d'entre vous ont fait allusion aux diminutions d'effectifs. Les résultats du contrôle fiscal ont atteint un pic en 2019, avec 11 milliards d'euros recouvrés, mais sont retombés à 7,8 milliards d'euros en 2020. Il faut cependant nuancer cette baisse, c'est le même montant que les services du contrôle fiscal avaient recouvré en 2018, alors même que les résultats de l'année 2020 ont été très touchés par la crise sanitaire et économique.
Les contrôles sur place ont été gelés durant le premier confinement, avant de ne reprendre que très progressivement. Par ailleurs, la lutte contre la fraude fiscale n'est pas seulement une question de moyens humains, c'est aussi une question de mobilisation des nouvelles technologies et de perfectionnement de nos outils d'analyse. Les choses ont changé : la fraude est plus complexe, le volume des informations reçues ne cesse d'augmenter. Nous avons besoin de ces nouveaux dispositifs pour lutter contre la fraude qui, je le rappelle, ne doit pas être confondue avec l'évasion fiscale. Nous devons aussi tenir compte du fait que plus nos outils sont efficaces, plus ils peuvent avoir un effet désincitatif sur la fraude.
La DGFiP est en mesure de s'adapter aux nouveaux risques de fraude, elle l'a montré avec le fonds de solidarité. La Cour des comptes, dans un rapport sur les dépenses publiques pendant la crise et le bilan opérationnel de leur utilisation, a souligné que le risque de fraude sur le fonds de solidarité avait été mieux anticipé que le risque de fraude sur le chômage partiel. Là-encore, il ne faut pas non plus confondre fraude et erreurs de bonne foi de la part de certaines entreprises, d'autant que les règles d'éligibilité ont été modifiées à plusieurs reprises.
S'agissant du réseau des trésoreries, on voit sur le terrain qu'elles servent davantage aux municipalités qu'aux citoyens eux-mêmes, d'autant que les secrétaires de mairies de petites communes ont parfois du mal à suivre les changements fréquents de procédure et peuvent avoir besoin d'aide pour établir le budget communal, en particulier quand il s'agit de nouveaux maires. Sur ce point, je précise que la DGFiP doit déployer d'ici 2023 son réseau de 1 000 conseillers aux décideurs locaux : 450 sont entrés en fonction en 2021.
La DGFiP voit ses dépenses reculer, il faut s'en réjouir à condition que le service au public n'en pâtisse pas. En cinq ans, les effectifs sont passés 105 000 à 96 000, c'est important sachant que les dépenses de personnels représentent 85 % des crédits. Il faut également tenir compte de la modification des activités et des missions, avec le prélèvement à la source par exemple. Attention dans ce cadre à ne pas trop se reposer sur les entreprises pour accomplir certaines missions, je pense ici à la prime dite de pouvoir d'achat de 100 euros que le Gouvernement vient d'annoncer. Un maire qui est aussi artisan me disait que, pour le versement de cette prime à ses huit salariés, le prestataire informatique lui demandait 2 000 euros pour adapter le logiciel de paie : quand l'État sous-traite son travail, le bon sens ne l'emporte pas toujours.
La délocalisation des services de la DGFiP vers des villes moyennes n'est pas un mouvement rapide, il fallait trouver des villes qui accueillent ces services, organiser les déménagements, cela demande du temps, mais le mouvement est pris, dans le bon sens. Je ne connais pas le nombre d'usagers à France Services.
Les Douanes ont bénéficié de nouveaux matériels, en particulier d'avions, de bateaux, de scanners pour les containers, qui sont beaucoup plus efficaces.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur spécial pour le CAS « Gestion du patrimoine immobilier de l'État ». - Je conclurai avec le CAS « Gestion du patrimoine immobilier de l'État », dont on se rend bien compte qu'il n'est pas le gestionnaire de la politique immobilière de l'État.
Les dépenses augmentent nettement : elles passent de 275 millions d'euros en 2021 à 420 millions en 2022. Je soutiens toutefois que cette augmentation est en réalité une augmentation en « trompe-l'oeil », au sens où elle ne représente pas une progression durable de la capacité d'action du compte d'affectation spéciale.
La première raison est que cette augmentation des dépenses est entièrement concentrée sur les opérations structurantes. Les dépenses d'entretien diminuent par rapport à l'année dernière, passant de 165 à 160 millions d'euros, ce que je regrette vivement.
La deuxième raison est que l'augmentation des dépenses n'est pas suivie par celle des recettes. Les recettes prévues restent au niveau de celles de l'année dernière, c'est-à-dire à 370 millions d'euros. Il en résulte un déficit du CAS de 50 millions d'euros. Or ce sont pourtant les recettes qui conditionnent les dépenses visant à valoriser le parc immobilier de l'État, en vue notamment de faciliter les cessions. Un cercle vicieux est donc en train de s'installer entre chute des recettes et dégradation de l'état du parc immobilier de l'État.
Les recettes ont baissé cette année, pour s'établir à 121 millions d'euros, et la pandémie n'explique pas toute cette baisse. Les produits de cession dépendent en effet pour une part de plus en plus grande de la vente de biens « prestigieux ». Or les biens susceptibles de faire l'objet d'une « cession exceptionnelle » sont en nombre limité.
Ensuite, ce CAS ne recouvre qu'une faible partie des dépenses immobilières de l'État. Selon le document de politique transversale relatif à la politique immobilière de l'État, le compte d'affectation spéciale ne représente ainsi qu'entre 4 et 7 % des crédits de l'État consacrés à l'immobilier et environ 10 % des moyens humains. Il faut souligner en outre que le CAS est contourné à la fois dans ses règles et dans ses objectifs.
Qui s'intéresse au sujet ne peut que constater l'absence de toute politique immobilière de l'État, mais des actions au coup par coup - avec les errements que l'on sait, comme l'opération de l'Imprimerie nationale il y a quelques années. La participation au Conseil de l'immobilier de l'État est à cet égard un exercice bien déprimant... Je suis donc très réservé sur ce CAS.
M. Antoine Lefèvre. - Où en est la cession des 290 hectares du domaine national de Paris-Grignon à la Cogedim ?
Mme Christine Lavarde. - Je vous confirme que la participation au Conseil de l'immobilier de l'État laisse une impression de parfaite inutilité, les dossiers qu'on y critique reviennent inchangés, le schéma pluriannuel s'améliore à peine, les dossiers se succèdent sans cohérence, ni ligne directrice. Alors que, suite à la pandémie, les entreprises réfléchissent à l'adaptation de leurs locaux, côté État, on dépense beaucoup, mais sans stratégie ni réflexion aucune - ce qui n'empêche pas de se payer de mots pompeux à chaque réunion...
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur spécial. - L'État continue à louer des locaux à des prix très élevés, sans définir de stratégie ni de politique immobilières. La vente du domaine national de Grignon a été mal engagée dès le départ, il faut dire que le ministère de l'agriculture compte parmi les plus mauvais opérateurs, on l'a vu autoriser l'Office national des forêts (ONF) à céder les maisons forestières pourtant très utiles, on constate aussi qu'il ne sait pas gérer le potager du roi à Versailles, ni le domaine de Rambouillet... Des contentieux sont en cours à Grignon et le projet initial me paraît bien compromis.
La commission décide de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des crédits de la mission « Gestion des finances publiques ».
La commission décide de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des crédits de la mission « Transformation et fonctions publiques ».
La commission décide de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des crédits de la mission « Crédits non répartis ».
La commission décide de proposer au Sénat de ne pas adopter les crédits du compte d'affectation spéciale « Gestion du patrimoine immobilier de l'État ».
Projet de loi de finances pour 2022 - Mission « Justice » (et articles 44 et 44 bis) - Examen du rapport spécial
M. Dominique de Legge, président. - Nous examinons le rapport de M. Antoine Lefèvre, rapporteur spécial sur la mission « Justice » et sur les articles 44 et 44 bis rattachés. Je salue nos collègues Agnès Canayer et Dominique Vérien, rapporteurs pour avis de la commission des lois.
M. Antoine Lefèvre, rapporteur spécial de la mission « Justice ». - La mission « Justice » comprend l'ensemble des moyens de la justice judiciaire, de l'administration pénitentiaire, de la protection judiciaire de la jeunesse, du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), ainsi que deux autres programmes transversaux.
En préambule, je tiens à vous faire part des difficultés que j'ai rencontrées, tout comme d'autres rapporteurs spéciaux, pour obtenir les réponses au questionnaire budgétaire envoyé en juillet dernier. À la date du 10 octobre, qui correspond à l'échéance prévue par la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), je n'avais reçu aucune réponse. L'essentiel des réponses m'a été transmis il y a seulement une semaine. Ce retard m'a fait perdre un temps précieux dans la préparation de mes auditions, et constitue un manque de considération pour les travaux de notre commission. J'ai fait part de mon mécontentement au cabinet du garde des sceaux. J'avais déjà éprouvé des difficultés similaires l'an passé, ce qui témoigne d'un problème structurel. Je regrette ce manque de coopération, même si les services de la Chancellerie ont été très réactifs pour répondre à mes sollicitations ces derniers jours, après l'expiration du délai de réponse.
Pour 2022, hors contribution au CAS « Pensions », le budget de la justice s'élèverait à 8,86 milliards d'euros, soit une hausse de 8 % par rapport à 2021. Pour mémoire, le budget pour 2021 consacrait déjà une hausse de 8 % par rapport à l'année précédente.
Pour l'ensemble de la mission, la création nette de 720 emplois est prévue, dont 80 % au bénéfice de l'administration pénitentiaire, conformément au souhait d'augmenter les capacités d'accueil des établissements pénitentiaires.
Les efforts budgétaires pour la justice ont donc été sanctuarisés, et même augmentés, permettant de dépasser la prévision inscrite dans la loi de programmation de près de 560 millions d'euros.
Cette consolidation des moyens de la justice me semble pleinement justifiée. Avoir une justice à la hauteur des attentes de nos concitoyens nécessite d'en finir avec la « clochardisation » de celle-ci, selon l'expression d'un ancien garde des sceaux. L'augmentation des moyens de la justice participe à l'amélioration du service public de la justice, dans un contexte marqué par une forte défiance des Français envers l'institution. D'après une étude récente commandée par nos collègues de la commission des lois, 53 % des Français n'ont pas confiance dans l'institution judiciaire, 67 % la trouvent trop lente, 21 % la jugent opaque et 27 % l'estiment laxiste. Alors que s'ouvrent les États généraux de la justice, nous devons garder en tête cette « note d'ambiance » pour évaluer ce budget.
Ces efforts budgétaires ne sont pas un chèque en blanc. L'augmentation significative des moyens du ministère de la justice depuis plusieurs années doit s'accompagner de la diffusion d'une réelle culture de l'évaluation des dépenses réalisées. Or, le manque d'outils statistiques est un frein important à cette évaluation. L'indicateur sur le taux de récidivistes, retenu l'an passé sous la forme d'un tableau, a disparu cette année, tant les obstacles méthodologiques pour le définir sont importants. De la même façon, la conduite du « plan de transformation numérique » du ministère constitue un domaine concret pour évaluer la capacité du ministère à bien mobiliser les crédits qui lui sont alloués. Notre commission a demandé à la Cour des comptes de conduire une enquête sur ce sujet, et ses conclusions nous seront présentées au début de l'année prochaine.
La justice judiciaire bénéficie en 2022 de 3,8 milliards d'euros de crédits de paiement, soit une hausse de 220 millions d'euros environ par rapport à 2021. Cette hausse tient principalement à deux facteurs.
D'une part, l'augmentation des frais de justice se poursuit, conformément à la tendance observée depuis plusieurs exercices. Leur montant devrait atteindre 648,5 millions d'euros en 2022, soit 5 % de plus qu'en 2021. Cette augmentation vise à répondre à une baisse d'attractivité des experts, dont les tarifs seront revalorisés. Elle s'inscrit aussi dans le contexte du procès des attentats du 13 novembre 2015. Cependant, peu de marges de manoeuvre paraissent pouvoir freiner leur dynamisme. Le développement de techniques d'enquêtes de plus en plus sophistiquées a un coût, tout comme la masse croissante de données à analyser. Les auditions que j'ai menées ont relayé une volonté certaine de mieux maîtriser cette dépense, via la mise en oeuvre d'un plan d'action et la sensibilisation des magistrats et des officiers de police judiciaire (OPJ).
D'autre part, de nouvelles créations de postes sont prévues pour ce programme, à hauteur de 40 équivalents temps plein (ETP). Ce renforcement des ressources humaines poursuit les recrutements importants déjà réalisés dans le cadre de l'amélioration de la justice de proximité. Toutefois, il nous faut rester vigilants. Le recrutement de nombreux contractuels depuis 2020 a, certes, permis de répondre immédiatement aux besoins des juridictions. Néanmoins, la question de la pérennisation de ces emplois constituera un enjeu des prochains exercices. La situation des greffes reste préoccupante, en raison d'un taux élevé de vacance (6 % environ) et des délais de traitement des procédures qui stagnent, en particulier en matière civile. L'activité des juridictions a été particulièrement ralentie pendant la crise sanitaire, entraînant un allongement du stock des affaires. Il me semble pertinent d'aller plus loin pour renforcer les effectifs. Je vous proposerai un amendement sur ce point.
L'administration pénitentiaire concentre près de la moitié des crédits de cette mission. En 2022, la montée en charge du budget de l'administration pénitentiaire se poursuit, avec une hausse de 7 % des crédits de paiement, à 4,9 milliards d'euros. Les dépenses de personnel augmentent de 73 millions d'euros, en raison de la création nette de 599 postes. Une enveloppe de 22 millions d'euros est également dédiée à diverses mesures catégorielles, poursuivant l'effort de revalorisation des agents pénitentiaires. Ces revalorisations me semblent nécessaires et justifiées pour accompagner les mutations que connait cette administration. Ses métiers se sont grandement diversifiés ces dernières années, s'éloignant ainsi de la carrière linéaire d'un surveillant pénitentiaire.
Par ailleurs, les crédits dédiés à la sécurisation des établissements pénitentiaires connaissent une augmentation importante de 113 %, dans un contexte marqué par des violences accrues envers les personnels pénitentiaires.
Enfin, l'année 2022 poursuit la programmation immobilière de l'administration pénitentiaire, avec le déploiement du plan de construction de 15 000 places de prison supplémentaires. Le Gouvernement a toutefois acté les retards pris dans ce plan. Une première tranche de 7 000 places devrait être livrée en 2023 ou 2024, et la seconde tranche de 8 000 places d'ici à 2027.
Le budget de la protection judiciaire de la jeunesse est consolidé en 2022, en raison de l'entrée en vigueur du code de la justice pénale des mineurs. Le secteur associatif tient une place particulière dans la mise en oeuvre de ces dépenses puisqu'il porte près du quart des crédits du programme. Stabiliser ses moyens sur plusieurs années est essentiel.
Les dépenses du programme « Accès au droit et à la justice » sont principalement composées de l'aide juridictionnelle. En 2022, les crédits dédiés à l'aide juridictionnelle s'élèvent à 615 millions d'euros, soit 53 millions d'euros de plus qu'en 2021. Plusieurs facteurs contribuent au dynamisme de cette dépense, tels que les diverses réformes intervenues avant 2022 et qui produisent un effet budgétaire progressif, l'accroissement du nombre et la durée des gardes à vue, ou encore le rattrapage de la sous-activité temporaire des juridictions en raison de la crise. Il faut également ajouter la revalorisation de la rétribution des avocats au titre de l'aide juridictionnelle. Un premier pas a été réalisé en 2021, et l'article 44 rattaché à la mission propose d'aller plus loin. J'y reviendrai.
Avec entre 1 et 1,2 million de demandes d'admission à l'aide juridictionnelle chaque année, il est urgent de dématérialiser l'intégralité de cette procédure. Aujourd'hui, les demandes sont réalisées en format papier et transmises aux bureaux d'aide juridictionnelle... En 2022, des progrès devraient être accomplis grâce au déploiement d'un nouveau logiciel, le suivi informatisé des affaires juridiques (SIAJ).
Par ailleurs, ce programme fait également état de hausses budgétaires pour les structures visant à faciliter l'accès au droit, à l'image des maisons de la justice par exemple, ainsi que pour l'aide aux victimes.
Le programme « Conduite et pilotage de la politique de la justice » porte, entre autres, les crédits dédiés au plan de transformation numérique de la justice. Cette lourde tâche, que j'ai qualifiée de « titanesque » compte tenu des retards du ministère en la matière et de l'importance des besoins, entre dans sa dernière année de mise en oeuvre. Pour ce faire, 30 nouveaux emplois seront créés pour renforcer les effectifs dédiés à ce plan. J'ai intégré dans mon rapport un tableau récapitulant l'ensemble des axes prioritaires à compter de 2022 pour le plan de transformation numérique : les projets en cours ne manquent pas. Les principaux défis pour le ministère de la justice sont de réussir à internaliser l'expertise associée à la gestion de ces projets, de maîtriser leurs coûts dans le temps, et de développer des applications alignées avec les besoins réels des usagers, qu'il s'agisse des magistrats, des greffiers, ou des justiciables.
Sur l'ensemble des crédits de la mission « Justice », je vous propose un avis favorable, sous réserve de l'adoption d'un amendement de crédit.
Je terminerai en présentant brièvement les deux articles rattachés à la mission « Justice ».
L'article 44 vise à augmenter la rétribution des avocats au titre de l'aide juridictionnelle, en portant de 34 à 36 euros le montant de l'unité de valeur de référence qui détermine le montant de cette rétribution. Deux paramètres principaux sont pris en compte dans la rétribution de l'avocat intervenant au titre de l'aide juridictionnelle : le montant de l'unité de valeur, et le barème, c'est-à-dire le coefficient appliqué à l'unité de valeur qui varie selon le type de procédure. En revalorisant l'unité de valeur, la rétribution de l'ensemble des avocats est revalorisée, quel que soit le contentieux traité. Cette hausse s'inscrit dans la continuité des préconisations du rapport de M. Dominique Perben rendu en 2019, même s'il recommandait une unité de valeur s'élevant à 40 euros. Je vous propose un avis favorable sur cet article.
L'article 44 bis est issu de l'adoption par l'Assemblée nationale d'un amendement du Gouvernement. La commission des finances n'ayant pas pu l'examiner, le rapporteur spécial a donné un avis personnel qui était favorable. Il vise à créer une réserve pour la protection judiciaire de la jeunesse, sur le modèle de la réserve judiciaire ou encore de la réserve pénitentiaire. Les réservistes seront des volontaires civils ou des retraités de la fonction publique issus, par exemple, des ministères des armées, de l'intérieur, de l'éducation nationale. Ils apporteront une assistance pour des missions éducatives et ils participeront à des actions de mentorat des agents de la protection judiciaire de la jeunesse. Cette réserve traduit un engagement du garde des sceaux de créer un partenariat avec le ministère des armées, même si le dispositif cible un champ plus large de réservistes. Le coût pour 2022 est modique, de l'ordre de 240 000 euros, au titre des indemnités des réservistes, qui sera financé par la mission « Justice ». Ce dispositif me semble original, et permet de répliquer le principe d'une réserve qui a fait preuve de sa vertu dans d'autres ministères et d'autres domaines de l'action publique. Il conviendra d'être vigilant sur sa mise en oeuvre, pour s'assurer que les priorités de la protection judiciaire de la jeunesse sont bien prises en compte. Je vous propose également un avis favorable sur cet article.
M. Dominique de Legge, président. - Nous déplorons avec vous les difficultés que vous avez rencontrées pour obtenir des réponses du ministère.
Mme Agnès Canayer, rapporteur pour avis de la commission des lois. - Nous ne sommes qu'au début de nos auditions, après des réformes de fond intervenues depuis deux ans sur la justice des mineurs, la justice de proximité, et la confiance dans la justice, tout ceci à la veille des États généraux de la justice. L'effet de ces réformes, du reste, n'est pas évalué dans ce projet de budget, c'est bien dommage. Je constate comme vous que bien des crédits sont en trompe-l'oeil, en particulier sur l'aide juridictionnelle, parce qu'ils sont la conséquence de mesures prises dans l'année, et que les dépenses apparaîtront surtout dans les prochaines années. De même, la création de postes ne permettra pas de rasséréner la justice, une institution dans laquelle un Français sur deux n'a pas confiance, au point qu'elle rencontre des difficultés de recrutement.
Mme Dominique Vérien, rapporteure pour avis de la commission des lois. - Un mot sur l'immobilier judiciaire : les délais sont si longs entre la décision de construire un nouveau palais de justice et son ouverture, qu'entre-temps les besoins peuvent avoir changé : il faut donc plus d'organisation. Ensuite, nous nous étions déjà focalisés l'an passé sur le programme informatique du ministère et nous constatons cette année encore que les choses n'avancent pas assez vite, et c'est un euphémisme. Le manque de logiciels adaptés a des conséquences très pratiques, les magistrats et greffiers ne peuvent pas, par exemple, copier-coller des documents d'un système à l'autre, nous avons également constaté, lors d'un déplacement à Rennes et à Paris, que le logiciel des juges pour enfants n'était pas à jour et qu'il n'intégrait toujours pas la réforme du code des mineurs, ce qui oblige à s'en passer. C'est pourquoi nous nous réjouissons de votre demande d'une enquête à la Cour des comptes sur le sujet, il serait peut-être efficace d'aller chercher des ressources informatiques à Bercy qui a su, lui, parvenir dans les temps au prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu... Nous ferons donc des remarques moins sur les moyens alloués à ce budget, que sur leur usage, et d'abord sur l'efficacité de cet usage.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je voudrais rebondir sur le grand plan numérique annoncé par la Chancellerie et que l'on attend encore, au point qu'on se demande si l'objectif n'est pas de concurrencer le fameux logiciel « Louvois ». Où en est-on réellement : est-ce que les moyens mobilisés cette année ne sont qu'un simple rattrapage, ou bien va-t-on effectivement mettre en place un outil informatique efficace et réactif ?
Ensuite, l'exercice des états généraux est toujours suivi d'annonces qui ont des conséquences budgétaires : avez-vous des informations - et à tout le moins une estimation budgétaire de ce qui pourrait être annoncé lors des états généraux de la justice ?
M. Antoine Lefèvre, rapporteur spécial. - D'après les documents budgétaires, le logiciel « Portalis » avait un coût prévisionnel de 57 millions d'euros, nous en sommes à 78 millions d'euros dépensés. Le problème est récurrent, mais je pense que la Chancellerie a la volonté d'avancer et qu'elle se donne les moyens de le faire, en particulier avec la fonction somme toute récente du secrétaire général et en définissant des emplois fléchés, avec une rémunération adéquate. Le rapport de la Cour des comptes devrait faire avancer les choses.
Les défauts informatiques vont au-delà de la seule Chancellerie : j'avais constaté dans mon rapport sur le recouvrement des amendes pénales, que chaque année 600 000 fiches devaient être refaites manuellement, parce que les logiciels utilisés par la DGFiP et la Chancellerie ne sont pas compatibles...
Enfin, il est encore trop tôt pour avoir des informations sur le coût des mesures qui pourraient émerger des États généraux de la justice.
Mme Isabelle Briquet. - Ce budget augmente comme l'an passé, on ne peut que s'en féliciter, car la justice française est peu dotée, par comparaison à celle des pays voisins. Cependant, le choix d'indicateurs tournés surtout vers la productivité des juridictions risque de dégrader la qualité du service rendu aux justiciables. L'amendement de notre rapporteur spécial qui renforce le personnel est bienvenu.
Dans son rapport du 21 octobre dernier, la Cour des comptes souligne le retard numérique du ministère, malgré le plan de transformation numérique de 530 millions d'euros et 260 emplois qui y sont consacrés. Ce budget y consacre 191 millions d'euros et 30 ETP : où en est-on de ce plan ?
M. Vincent Delahaye. - Je déplore les difficultés à obtenir des informations, c'est proprement scandaleux. Je suis surpris que vous ne mentionniez pas la note que la Cour des comptes vient de publier, elle y estime en particulier que l'augmentation de moyens ne permettrait pas de régler certains problèmes d'organisation, en particulier sur le retard pris en matière civile. Le Gouvernement propose d'augmenter encore les moyens du ministère, mais jusqu'où devra-t-on aller ? S'agit-il effectivement d'un rattrapage - si c'est le cas, pendant combien de temps devra-t-on rattraper, à partir de quel moment atteindra-t-on le bon niveau pour une justice efficace ? L'augmentation de ces crédits n'est pas évaluée sérieusement, une nouvelle progression de 7 % des crédits de paiement me paraît excessive par rapport à la dette que nous créons, je ne voterai pas ces crédits.
Mme Christine Lavarde. - Il faut être concret : quand la fermeture administrative temporaire d'un commerce est prononcée suite à l'emploi d'une personne en situation irrégulière, mais qu'elle n'intervient que neuf mois après le constat de l'infraction, quand un jeune se voit punir d'un travail d'intérêt général dix-huit mois après son infraction, où est la vertu de la peine ? Pourquoi tant de lenteur ? Les conséquences sont graves, en particulier pour les victimes, je pense aux femmes victimes de violences conjugales et qu'on laisse entre les mains de leur agresseur, en famille, alors même que les faits sont constatés... Les causes sont-elles réellement du côté de l'informatique, ou bien voyez-vous d'autres explications ?
M. Michel Canévet. - Je suis très partagé sur ce budget, car la course à l'augmentation n'est pas toujours une solution. Il faudrait modérer la hausse, ou bien nous allons dans le mur. Je crois que la réponse est plutôt dans la recherche de l'efficacité, car nous constatons chaque année des dysfonctionnements qui ne sont pas acceptables. Je suis également dubitatif sur l'amendement que nous propose notre rapporteur spécial, car ce n'est pas une bonne chose de prendre sur l'investissement pour abonder des dépenses de personnel, l'administration pénitentiaire a besoin de nouvelles places en prison pour mettre fin à la surpopulation carcérale, c'est une priorité dont il ne faut pas diminuer les moyens.
M. Marc Laménie. - Quels sont les moyens en effectifs, sur le terrain, dédiés à la lutte contre les violences intrafamiliales et contre les « féminicides » ?
M. Sébastien Meurant. - Notre rôle n'est-il pas dire qu'à partir d'un certain niveau, les augmentations de crédits, ça suffit ? Ne devrions-nous pas dire, avec la Cour des comptes, que notre justice a moins besoin d'être réformée, que mieux gérée ? La Cour des comptes va jusqu'à estimer que les réformes pourront rester vaines si la gestion n'est pas plus efficace, nous devrions en tenir compte.
M. Didier Rambaud. - Je me réjouis de la hausse historique de ce budget, en cohérence avec les efforts pour les pouvoirs régaliens de l'État : 7 400 ETP sont inscrits, c'est davantage que dans la loi de programmation. Ces moyens auront des effets concrets, par exemple les procureurs de la République seront mieux secondés, ce qui permettra plus de proximité avec les élus locaux pour le suivi des plaintes, ils le demandent à la justice. Ensuite, les états généraux de la justice enclenchent une réflexion collective intéressante dans notre pays - j'y ai participé dans mon département et j'y ai entendu des pistes de progrès. Enfin, en regardant l'amendement de notre rapporteur spécial, je me dis que je n'avais peut-être pas tort, même si j'ai été contredit tout à l'heure, d'appeler à plus de moyens humains...
M. Albéric de Montgolfier. - Peut-on imaginer que le ministère de la justice et le ministère de l'intérieur gèrent en commun le dépôt de plaintes ? M'étant fait récemment volé mon Vélib', j'ai dû déposer plainte au commissariat le plus proche, où l'on a dûment dactylographié ma plainte ; comme je m'en étonnais, le policier à qui je prenais un temps précieux m'a expliqué que cette procédure d'un autre âge tenait à ce que le ministère de la justice exigeait un document papier... Quand on voit cela, pour une si petite affaire, on comprend que les délais peuvent prendre des proportions hallucinantes...
M. Arnaud Bazin. - Une fois de plus, un ministère bute sur son projet informatique, avec des délais et des surcoûts extraordinaires, et si nous additionnions toutes les mésaventures digitales ministérielles, le désastre se chiffrerait en centaines de millions d'euros. Il faut regarder aussi du côté des équipements matériels : dans mon département, les magistrats ont été équipés d'ordinateurs portables pendant le confinement, mais pas tous les greffiers, alors que nous avions demandé qu'il n'y ait pas de blocage de ce côté-là - et nous avions déposé un amendement en ce sens. Comment l'État anticipe-t-il les choses : renouvelle-t-il régulièrement les matériels ? Si une crise se produisait de nouveau, il ne faudrait pas que l'action de la justice se retrouve bloquée.
M. Emmanuel Capus. - La maitrise des dépenses publiques est souhaitable ; c'est pourquoi je souhaite qu'on limite les dépenses de personnel de la DGFiP. Toutefois, pour ce qui concerne la justice, nous sommes face à un double défi. D'abord, nous avons l'un des plus faibles taux de magistrats des pays civilisés, c'est un héritage historique, le rattrapage sera nécessairement long. Ensuite, nous judiciarisons toujours davantage notre société, ce qui accentue encore notre retard. Dans ces conditions, nous n'échapperons pas à la nécessité de devoir renforcer les crédits de cette mission.
M. Antoine Lefèvre, rapporteur spécial. - Ce budget nécessite effectivement qu'on y mette des moyens et nous avons à faire un effort de rattrapage, mais sans diminuer l'exigence d'efficacité. J'ai constaté que la Chancellerie avait la volonté d'avancer ; c'est très clair dans l'administration centrale et en particulier pour le secrétariat général, le mot d'ordre est d'aboutir rapidement.
Sur les critères de performance, il faut effectivement être vigilant, pour ne pas perdre de vue l'aspect qualitatif.
L'équipement numérique a été important, puisque tous les magistrats ont été équipés, ainsi que 70 % des greffiers, j'ai eu des retours positifs sur ce point lors des auditions.
Le plan de transformation numérique se terminera l'an prochain, il faudra aller au-delà pour poursuivre l'adaptation des applicatifs aux besoins qui pourraient émerger. Pour le coût budgétaire de ce plan, il convient de noter la création d'une cellule de contrôle de gestion interne au sein du secrétariat général pour assurer le suivi de l'utilisation des crédits, cela va dans le bon sens.
Mon amendement est effectivement gagé sur des dépenses d'investissement immobilier : non seulement les 5 millions que je propose de prélever peuvent servir à recruter des contractuels, ce qui ne constitue pas une dépense pérenne pour les finances publiques, mais je propose de le faire sur une enveloppe d'investissement de 650 millions d'euros, il s'agit donc d'une goutte d'eau pour l'administration pénitentiaire.
Je note également que le budget d'aide aux victimes progresse de 25 % environ, ce qui est important.
Notre rôle est-il de dire que « ça suffit » quand le budget de la justice augmente ? Il me semble qu'il est plutôt de contrôler l'usage des crédits, en considérant le fait que la justice est mal traitée depuis longtemps, et qu'il y a un rattrapage à faire.
Peut-on imaginer un dispositif commun, avec le ministère de l'intérieur, pour le dépôt et le suivi des plaintes ? Une pré-plainte existe déjà en ligne, un déploiement de la plainte en ligne à partir de 2023 a été annoncé, ce qui renforcera la justice de proximité.
Il faut renouveler régulièrement les matériels informatiques, c'est certain, les moyens sont engagés à la hauteur de ce défi. Si 30 % des greffiers n'ont pas été équipés, c'est que certains sont dans des fonctions qui ne nécessitent pas un tel équipement informatique.
J'en viens désormais à la présentation de l'amendement de crédit n° 1. Je vous propose de prélever 5 millions d'euros sur l'action « Garde et contrôle des personnes placées sous main de justice », pour abonder, à parts égales, les deux actions « Traitement et jugement des contentieux civils » et « Conduite de la politique pénale et jugement des affaires pénales », ceci pour renforcer les moyens humains de la justice judiciaire.
L'amendement n° 1 est adopté.
La commission décide de proposer au Sénat l'adoption des crédits de la mission « Justice », sous réserve de l'adoption de son amendement.
La commission décide de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des articles 44 et 44 bis rattachés.
Proposition de loi organique relative à la modernisation de la gestion des finances publiques et proposition de loi portant diverses dispositions relatives au Haut Conseil des finances publiques et à l'information du Parlement sur les finances publiques - Désignation des candidats à la commission mixte paritaire
La commission soumet au Sénat la nomination de MM. Claude Raynal et Jean-François Husson, Mme Christine Lavarde, MM. Jérôme Bascher, Vincent Capo-Canellas, Rémi Féraud et Didier Rambaud, comme membres titulaires, et de MM. Sébastien Meurant, Philippe Dominati, Charles Guené, Vincent Delahaye, Vincent Éblé, Jean-Claude Requier et Éric Bocquet, comme membres suppléants de la commission mixte paritaire sur les articles restant en discussion de la proposition de loi organique relative à la gestion à la modernisation de la gestion des finances publiques et de la proposition de loi portant diverses dispositions relatives au Haut Conseil des finances publiques et à l'information du Parlement sur les finances publiques.
La réunion est close à 12 h 25.
La réunion est ouverte à 16 h 50.
Second projet de loi de finances rectificative pour 2021 - Audition de M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics
M. Dominique de Legge, président. - Nous entendons cet après-midi le ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics, M. Olivier Dussopt, sur le deuxième et, sans doute, dernier projet de loi de finances rectificative (PLFR) pour l'année 2021.
Ce PLFR révise légèrement le scénario macroéconomique pour l'année en cours, avec une croissance attendue désormais à 6,25 % du PIB au lieu des 6 % annoncés en septembre dernier. Le déficit public serait de 8,1 % du PIB en 2021, soit une légère amélioration par rapport à la prévision de septembre, les mesures nouvelles étant notamment compensées par les moindres charges de service public de l'énergie et par l'amélioration de la situation économique.
S'agissant du budget de l'État, en revanche, le déficit budgétaire serait aggravé de 7,8 milliards d'euros par rapport au montant annoncé en septembre, notamment en raison de la compensation à la sécurité sociale de la nouvelle indemnité inflation et d'autres mesures que le ministre pourra nous présenter plus en détail.
L'ampleur des révisions en cours de discussion du projet de loi de finances (PLF) est assez inédite et suscitera, je n'en doute pas, de nombreuses questions.
M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics. - Monsieur le président, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, quelques mots pour vous présenter ce projet de loi de finances rectificative, dont je souhaite moi aussi qu'il soit le dernier de l'exercice.
Nous sommes aujourd'hui dans un contexte différent, celui d'une sortie de crise - en tout cas, nous l'espérons - d'un point de vue tant sanitaire qu'économique, qui se caractérise par la fin de la période du « quoi qu'il en coûte » et de la réponse à la crise sous forme de mesures d'urgence. Au cours de ces dix-huit derniers mois, nous avons mis en oeuvre des aides massives en engageant 37 milliards d'euros au titre du fonds de solidarité et 35 milliards d'euros au titre de l'activité partielle, prévu la possibilité pour l'État de prendre des participations au capital d'entreprises considérées comme stratégiques, répondu aux besoins des établissements de santé et accompagné les ménages les plus fragiles.
Je tiens à souligner l'engagement et le soutien que le Parlement a apporté à ces mesures : sur chacun des PLFR d'urgence, les deux chambres ont toujours répondu présent. Nous avons eu des discussions constructives. J'ai aussi pu mesurer la compréhension du Parlement lorsque j'ai eu à vous présenter, il y a quelques mois, un décret d'avance pour un montant important, qui a ensuite été régularisé lors du projet de loi de finances rectificative du mois de juillet dernier.
Si le contexte est différent, c'est aussi parce que le taux de croissance a été revu à la hausse et que le climat économique s'est largement amélioré. La preuve en est la diminution du taux de chômage à 7,6 %, taux le plus bas depuis plus de quatorze ans. Cela nous conduit à déposer un projet de loi de finances rectificative qui retrouve la nature des PLFR présentés depuis le début du quinquennat. Nous avons en effet toujours considéré ces textes comme des outils de fin de gestion, d'ajustement budgétaire, et nous ne souhaitons pas, par conviction et presque par doctrine, qu'ils soient l'occasion de réformes fiscales, encore moins avec effet rétroactif, car c'est là l'une des clés de la stabilité et de la lisibilité fiscale pour l'ensemble des ménages. C'est la raison pour laquelle ce PLFR se concentre très majoritairement sur des ajustements budgétaires. Il nous permet de vous proposer une révision de la trajectoire macroéconomique, qui se traduit également par l'actualisation de l'article liminaire du projet de loi de finances - une révision que je proposerai à la fin de la première lecture à l'Assemblée nationale ou dans le cadre des tableaux d'équilibre du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS).
Le PLFR poursuit trois objectifs principaux.
Le premier concerne la gestion des crédits consacrés au financement des mesures d'urgence.
Nous avons, avec votre concours, ouvert plusieurs milliards d'euros de crédits dans la loi de finances initiale pour 2021, mais aussi dans la loi de finances rectificative pour 2021. Grâce à une reprise économique plus forte que ce que nous envisagions, environ 8,1 milliards d'euros de ces crédits d'urgence ne seront pas consommés au 31 décembre prochain. Sur ce montant, 4 milliards d'euros correspondent à ce que l'on pourrait qualifier de reste à payer pour le fonds de solidarité et le remboursement de l'activité partielle, puisque les entreprises ont plusieurs mois après la mise en oeuvre de ces mesures pour faire leur demande de remboursement, pour les modalités propres au compte d'affectation spéciale permettant des prises de participation, et pour le financement du dispositif de prise en charge des coûts fixes qui accompagne la fin du fonds de solidarité ainsi que du dispositif spécifique dit « des fermetures ». Nous mettrons à profit la possibilité de report sur l'exercice 2022 pour mobiliser ces fonds et payer ce que nous devons au titre des mesures d'urgence.
Nous proposons ensuite de réserver 2 milliards d'euros à titre prudentiel. Nous espérons ne pas avoir à mobiliser ces crédits : s'ils ne sont pas engagés à la fin du premier trimestre, ils seront annulés comme le prévoit la procédure. Ce montant vise à faire face à un éventuel ressaut épidémique ou à une difficulté particulière : dans la période qui couvre les quatre premiers mois de l'année, il peut être utile, y compris en termes de calendrier parlementaire, de prévoir cette possibilité, plutôt que d'escompter une disponibilité pour l'examen d'un PLFR d'urgence.
Enfin, nous souhaiterions annuler 2,1 milliards d'euros de mesures d'urgence qu'il ne nous paraît plus utile de conserver. Pour être plus précis, il s'agit d'annuler de manière comptable 2,6 milliards d'euros, mais d'ouvrir 500 millions d'euros au titre de la compensation des exonérations.
Le deuxième objectif du PLFR concerne non pas les mesures d'urgence, mais la mission « Plan de relance ». Elle obéit au principe que nous avions fixé lorsque cette dernière vous a été présentée il y a un peu plus d'un an : celui d'un redéploiement entre les mesures les plus efficaces et celles qui sous-consomment les crédits prévus. De manière globale, à la fin de l'année 2021, de redéploiements concerneront 8 milliards sur les 100 milliards d'euros du plan de relance. En effet, 600 millions d'euros ont fait l'objet de redéploiements lors de l'examen de la loi de finances rectificative de juillet dernier, 1,2 milliard dans le cadre de la loi de finances pour 2022 et 2,3 milliards d'euros dans le PLFR que je vous présente aujourd'hui, soit un total légèrement supérieur à 4 milliards d'euros. Les autres 4 milliards d'euros ne nécessitent pas de mesures législatives puisque le principe de fongibilité nous permet de procéder à ces redéploiements par voie réglementaire.
Quelles sont les mesures du plan de relance qui font l'objet d'une sous-consommation ou d'annulations de crédits ? Elles sont souvent liées à des cycles économiques : je pense notamment à la prime de conversion qui, au titre de l'année 2021, aura été sous-consommée à hauteur de 70 millions d'euros. Nous vous proposons également d'annuler 750 millions d'euros au titre des appels de garantie dans le cadre des prêts garantis par l'État (PGE) pour l'année 2021, car le nombre de défaillances a été infinitésimal.
Quelles seront les mesures abondées de nouveau ? Certaines ont été annoncées, comme Territoires d'industrie ou la prolongation des aides au recrutement d'apprentis ou d'alternants. Des dispositifs seront reconduits, comme le fonds Friches avec des décaissements de 350 millions d'euros en 2022 - le second appel à projets est en cours, l'instruction des dossiers commencera autour du 15 novembre pour des décisions prises entre la fin de l'année 2021 et le début de l'année 2022. Je pense à l'appel à manifestation d'intérêt auprès des autorités organisatrices de mobilité pour les investissements en matière de transports en site propre pour 400 millions d'euros, au plan Vélo pour 150 millions d'euros ou encore à l'abondement des dispositifs en matière de soutien à l'agriculture.
Enfin, le PLFR a un troisième objet, qui correspond à sa nature même : il permet l'ajustement des crédits en fin de gestion. Les montants sont importants, puisque, hors remboursements et dégrèvements, nous proposons l'ouverture de 12,8 milliards d'euros en autorisations d'engagement et de 9,1 milliards d'euros en crédits de paiement et l'annulation de 8,8 milliards d'euros en autorisations d'engagement et de 7,3 milliards d'euros en crédits de paiement. Les schémas que nous avons retenus pour les annulations comme pour les ouvertures sont simples.
Les annulations concernent : des sous-consommations constatées qui font consensus entre mes équipes et celles des ministères concernés ; des crédits placés en réserve de précaution de manière très classique ; et des dispositifs sous-mobilisés du fait du regain économique. Conformément à nos engagements, nous vous proposons d'annuler la provision de 1,5 milliard d'euros pour les dépenses accidentelles et imprévues. Aucune des annulations que nous proposons n'entraîne de remise en cause de programmes, projets ou équipements.
Les ouvertures de crédits les plus importantes concernent le ministère du travail et de l'emploi à hauteur de 2,54 milliards d'euros. Nous voulons financer une partie du plan d'investissement dans les compétences (PIC) des personnes les plus éloignées de l'emploi, comme l'a annoncé le Premier ministre, à hauteur de 1,4 milliard d'euros. À ce titre, nous vous proposons d'ouvrir, dans le cadre du PLFR, 900 millions d'euros d'autorisations d'engagement et 480 millions de crédits de paiement et, dans celui du PLF, 500 millions d'euros en autorisations d'engagement et 780 millions en crédits de paiement. Nous proposons d'attribuer à France compétences une compensation à hauteur de 2 milliards d'euros, un montant qui nous paraît correspondre à la part du déficit de 2021 de France compétences liée à l'attrition des recettes du fait de la pression de la masse salariale servant de base au calcul de la taxe d'apprentissage, mais aussi des dépenses supplémentaires entraînées par le coup de booster mis sur l'apprentissage.
Une autre ouverture importante concerne le ministère de la transition écologique et solidaire, avec la volonté de doter l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf) de 100 millions d'euros de compensation pour des pertes de recettes constatées, et de financer le chèque énergie à hauteur de 600 millions d'euros, dont 253 millions d'euros de crédits de paiement. Je précise qu'il existe parfois une différence entre le montant total des ouvertures et le montant total des projets financés, dans la mesure où les ministères peuvent aussi faire l'objet d'annulations et de redéploiements en interne, ce qui explique quelques différences à la marge.
Nous proposons d'ouvrir 500 millions d'euros en crédits de paiement au ministère de l'agriculture pour compléter les dispositions prévues pour indemniser les conséquences de l'épisode de gel. Le Premier ministre s'était engagé à hauteur de 1 milliard d'euros : ce montant sera atteint.
Nous souhaitons aussi ouvrir 277 millions d'euros de crédits pour compenser des pertes de recettes des opérateurs culturels et des acteurs culturels.
En matière de relations avec les collectivités territoriales, nous prévoyons près de 200 millions d'euros pour le fonds de stabilisation départemental, mais aussi pour financer quelques éléments de dotation de soutien à l'investissement local (DSIL), ainsi que poursuivre, au titre de l'année 2021, le paiement par l'État de l'aide à l'achat des masques par les collectivités.
Au titre des solidarités, nous proposons une ouverture de crédits de plus de 320 millions d'euros avec notamment 130 millions d'euros pour faire face à un surcoût de la prime d'activité au cours de l'année 2021 par rapport à nos prévisions, et 90 millions d'euros pour faire face à un coût plus élevé que prévu de l'allocation aux adultes handicapés (AAH).
En matière d'aide publique au développement, nous proposons des ouvertures à hauteur de 194 millions d'euros. Cela concerne, pour 125 millions d'euros, le programme ACT-A (Access to COVID-19 Tools Accelerator), sur lequel le Président de la République s'est engagé, et, pour un peu moins de 90 millions d'euros, des programmes d'aide humanitaire, notamment pour l'accueil des Afghans sur le sol français après les rapatriements et l'aide à la société civile.
Deux points nécessitent peut-être une attention particulière. En ce qui concerne les armées, nous sommes passés entre 2017 et 2021 de 450 millions à 1,2 milliard d'euros de provisionnement du coût des opérations extérieures (OPEX). Malgré ce montant qui n'avait jamais été atteint, le surcoût des OPEX avoisine les 340 millions d'euros, auxquels il faut ajouter un surcoût lié au prix du carburant.
Nous avons pris la décision de dégeler des crédits de la réserve de précaution pour permettre au ministère des armées d'autofinancer une partie importante de ce surcoût OPEX, mais, à titre exceptionnel par rapport aux années précédentes, 150 millions d'euros de crédits supplémentaires serviront à accompagner le ministère notamment dans la prise en charge des coûts liés à la réorganisation du dispositif Barkhane et aux évacuations d'Afghanistan.
Enfin, la plus importante ouverture de crédits, à hauteur de 3,6 milliards d'euros, que nous vous proposons concerne le financement de l'indemnité inflation, dont le coût est de 3,8 milliards d'euros.
Si l'on examine le total des ouvertures et des annulations de crédits, il en ressort la conclusion suivante : hors indemnité inflation et hors compensations aux opérateurs - France compétences et les opérateurs culturels -, la norme de dépenses pilotables qui était établie à 290,5 milliards d'euros est tenue pour l'année 2021. La révision du scénario macroéconomique que nous avons soumise au Haut Conseil des finances publiques (HCFP), lequel a rendu un avis qualifiant de plausible la révision de la prévision de croissance de 6 % à 6,25 %, engendre des recettes supplémentaires. En tenant compte de ces recettes, la prévision de déficit public, qui était de 8,4 % lors de la présentation au conseil des ministres du projet de loi de finances, serait ramenée à 8,1 %. Le déficit public de 2022 serait de 5 % et, dans le même temps, la dette publique, que nous attendions à 117,8 % du PIB en 2021, serait de 115,3 % et en 2022, au lieu de 116,3 %, elle passerait à 113,5 %. J'ajoute que le taux de prélèvements obligatoires en 2022 s'établirait à 43,4 %, ce qui est un dixième de point inférieur à notre prévision au moment de la présentation du PLF.
Depuis que nous avons transmis notre scénario de révision des hypothèses macroéconomiques au Haut Conseil des finances publiques, l'Insee a publié des chiffres extrêmement encourageants pour le troisième trimestre avec une croissance trimestrielle à 3 %, en indiquant que l'hypothèse de croissance à 6,25 % était non seulement plausible mais tout à fait réalisable, voire déjà réalisée et qu'il était possible que la croissance définitivement constatée soit supérieure à ce taux. Ce serait une bonne nouvelle ! Nous serons fixés en tout état de cause début 2022. Toutes les recettes supplémentaires générées par une croissance supérieure à 6,25 % permettront de diminuer le déficit public, qui s'établit aujourd'hui à 8,1 %, pour peut-être nous approcher de 8 % ou de 7,9 %.
Enfin, un mot qui sort du cadre de la loi de finances rectificative : conformément à ce que nous avions annoncé lors de notre audition sur le projet de loi de finances, le Gouvernement déposera devant l'Assemblée nationale un certain nombre d'amendements : l'un, à hauteur de 550 millions d'euros, pour le financement du contrat d'engagement jeune, et d'autres pour traduire les annonces faites par le Président de la République sur le plan d'investissement France 2030. Nous proposons, sur la mission « Investissements d'avenir », qui serait rebaptisée pour inclure la notion de France 2030, d'ouvrir 34 milliards d'euros en autorisations d'engagement, avec 30 milliards d'euros de crédits et 4 milliards d'euros de mobilisation de fonds propres. Nous proposerons à l'Assemblée nationale d'inscrire dans le PLF pour 2022, 3,5 milliards d'euros au titre de France 2030, dont 2,8 milliards d'euros relèvent de crédits très directement mobilisables et 700 millions d'euros de concours en fonds propres pour les acteurs économiques.
M. Dominique de Legge, président. - Je vous remercie de votre intervention, monsieur le ministre. Je ferai deux observations rapides.
Vous évoquez la couverture, à titre exceptionnel, du surcoût OPEX. Je vous rappelle qu'elle est prévue dans la loi de programmation militaire, et que c'est donc de façon tout à fait exceptionnelle que vous appliquez la loi ! Néanmoins, vous ne l'appliquez pas parfaitement, puisque vous avouez vous-même que vous ne couvrirez que 150 millions sur les 340 millions d'euros.
Vous avez commencé votre propos en disant que le « quoi qu'il en coûte » était terminé. Je voudrais être certain que les économies ou les recettes supplémentaires qui pourraient découler d'une amélioration du contexte iront bien à la résorption de la dette et non à de nouvelles dépenses, comme celles que vous allez nous proposer dans le budget pour 2022.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Monsieur le ministre, je vous remercie pour la clarté de votre présentation, et pour avoir tenu un certain nombre d'engagements, comme le fait de ne pas augmenter la fiscalité. Néanmoins, d'autres engagements ne l'ont pas été, et je voudrais déplorer des dérapages répétitifs. Je veux parler du PLF pour 2022 qui était pour le moins incomplet lorsqu'il a été présenté par le Gouvernement, ce qui ne me paraît pas respectueux des institutions, pas plus d'ailleurs que de notre démocratie qui, pour bien vivre, nécessite que l'on ait un débat éclairé, en temps voulu, et non, comme nous le vivons ces derniers jours, des annonces dispersées visant à maintenir la politique du « quoi qu'il en coûte » jusqu'à Noël. Durant ce quinquennat, c'est la première fois - j'espère que ce n'est pas lié à l'élection d'avril prochain - que l'on constate de tels dépassements.
S'agissant du PLFR, je voudrais revenir sur deux éléments macroéconomiques. Vous retenez une prévision de croissance de 6,25 % pour 2021, alors que, sans être grand clerc, on peut présager qu'elle sera finalement plus importante puisque l'acquis de croissance est de 6,6 %. Je n'ose pas croire que vous anticipiez une contraction de l'activité au quatrième trimestre car ce n'est pas dans vos habitudes. Pourquoi ne pas avoir intégré les dernières données conjoncturelles ?
Surtout pourquoi n'avez-vous pas revu les hypothèses d'inflation pour 2021, alors qu'elles sont dépassées depuis la fin du mois d'octobre, et que c'était déjà prévisible au moment de la saisine du Haut Conseil des finances publiques ? Pouvez-vous nous indiquer les raisons qui vous ont conduit à ne pas intégrer ces modifications dans le PLFR ?
J'aborderai enfin l'indemnité inflation, que j'appellerai « indemnité carburant-inflation », annoncée en réaction à l'envolée des prix des carburants. Il apparaît certes nécessaire d'être attentif au pouvoir d'achat des ménages modestes, souvent captifs de la flambée des prix, mais le dispositif concerne aussi bien les personnes contraintes d'utiliser leur véhicule tous les jours que les ménages qui n'en ont pas ou l'utilisent peu, jusqu'à 2 000 euros de revenus mensuels. Pourquoi avoir choisi une cible si large ? Si le coût de la vie continue à croître au premier semestre 2022, y aura-t-il une nouvelle indemnité inflation ? Confirmez-vous que son montant est identique que le bénéficiaire touche le revenu de solidarité active (RSA) ou qu'il ait un revenu de 1 990 euros par mois ?
M. Olivier Dussopt, ministre délégué. - J'ai indiqué dès sa présentation que le PLF serait complété par des amendements et me suis engagé à ce qu'ils soient déposés dès la première lecture à l'Assemblée nationale. Nous nous trouvons sur une ligne de crête entre la réponse aux besoins et la maîtrise des dépenses publiques. Pour autant, hors indemnité inflation et compensation aux opérateurs, la norme de dépenses est respectée.
Nous avons saisi le HCFP le 22 octobre dernier, date à laquelle nous n'avions pas connaissance des chiffres rendus publics par l'Insee le 30 octobre. Nous n'aurions pu anticiper un taux de croissance si élevé.
Il existe un débat sur le niveau d'inflation en 2022. Nous espérons qu'elle ne dure pas. L'indemnité inflation vise à répondre à la problématique de l'augmentation des prix du carburant et de l'énergie. L'augmentation de l'électricité sera « capée » à 4 % et un chèque de 100 euros sera versé aux ménages les plus modestes. Les contraintes techniques sont considérables s'agissant du ciblage. Aussi, nous avons choisi des critères de simplicité et de rapidité. La prime concerne les Français dont le revenu individuel est inférieur à 2 000 euros - le revenu médian s'établit à 1 940 euros - soit 70 % de nos concitoyens. La priorité est donnée à l'employeur principal, lequel versera la prime avant d'en être remboursé. Les travailleurs indépendants et les salariés à domicile de plusieurs employeurs la recevront de l'Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (Urssaf). La prime sera versée en décembre 2021 à la majorité des salariés et des indépendants, en janvier 2022 pour les personnes inscrites à Pôle Emploi et aux bénéficiaires des prestations des caisses d'allocations familiales (CAF), en février au plus tard aux étudiants et aux agents publics. Le travail à réaliser pour éviter les doublons apparaît, en effet, considérable.
Afin de verser les crédits nécessaires aux caisses de sécurité sociale, à Pôle Emploi et au Centre national des oeuvres universitaires et scolaires (Cnous), 3,6 milliards d'euros sont inscrits au PLFR. Le projet de loi de finances comprend, quant à lui, une enveloppe de 200 millions d'euros pour le paiement de la prime aux agents publics, ainsi qu'aux retraités de la fonction publique et de certains régimes spéciaux. Cette allocation, ponctuelle, bénéficiera à 38 millions de Français.
M. Charles Guené. - Je vous remercie pour la clarté de votre exposé. J'ai eu, en première intention, une réaction similaire à celle du rapporteur : il me semble dommage de ne pas intégrer aux prévisions les chiffres connus. Il y a là une stratégie qui interroge... Disposez-vous d'informations sur l'évolution de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) ? Les collectivités territoriales en ont besoin pour établir leur budget.
M. Stéphane Sautarel. - Je vous remercie pour votre présentation synthétique. Les estimations du Gouvernement apparaissent prudentes s'agissant de l'inflation. Qu'anticipez-vous dans ce domaine, notamment sur d'éventuelles conséquences sur les taux d'intérêt ?
Le solde structurel demeure élevé en 2021 comme en 2022. Est-ce vraiment la fin du « quoi qu'il en coûte » ?
L'Afitf bénéficie de 100 millions d'euros de crédits supplémentaires au titre du projet de loi de finances rectificative, alors que ses besoins sont estimés à 250 millions d'euros. Cette dotation sera-t-elle suffisante ?
Enfin, vous avez évoqué des crédits complémentaires pour les collectivités territoriales. Cette manne concernera-t-elle les zones de montagne qui devaient faire l'objet d'un décret spécifique ?
M. Jérôme Bascher. - Avec quelle prévision de croissance respectez-vous la norme de dépenses ?
Vous transformez les recettes supplémentaires de 2021 en nouvelles dépenses pour faire face à la crise. Comment allez-vous concrètement les traduire, notamment le revenu d'engagement jeune, dans le projet de loi de finances pour 2022 ? S'ajouteront-elles aux 165 milliards d'euros de la dette covid ?
M. Patrice Joly. - Vous êtes revenus à une approche orthodoxe et antérieure à la crise de l'endettement, à laquelle il manque une mise en perspective sur les besoins en investissements écologiques, économiques et sociaux. Vous pilotez des ratios plus que des politiques...
Certaines mesures peuvent de prime abord sembler intéressantes, à l'instar de l'indemnité inflation, mais les Français attendent mieux qu'une charité ponctuelle : ils souhaitent une augmentation des salaires.
La justice fiscale, pilier de notre démocratie, est également absente du texte, tandis que l'allégement de la taxe d'habitation, la suppression de l'impôt de solidarité sur la fortune, la réduction des impôts de production et l'évasion fiscale coûtent plusieurs milliards d'euros.
M. Rémi Féraud. - Ce projet de loi de finances rectificative présente des recettes et des dépenses supplémentaires. Avez-vous calculé le montant des non-recettes, soit ce que coûte la diminution de l'impôt sur les sociétés, des impôts de production et l'allégement d'une tranche supplémentaire de la taxe d'habitation ? Ces crédits, auxquels vous avez renoncé, auraient pu contribuer au désendettement ou permettre de conduire de nouvelles politiques.
Il existe un débat, s'agissant du pouvoir d'achat, sur la réalité des chiffres. Vous avez, ce jour, donné un entretien au journal Les Échos, dans lequel vous indiquez que le pouvoir d'achat des 10 % de ménages les plus modestes a augmenté deux fois et demie plus que celui des 10 % de ménages les plus aisés. Je suppose qu'il s'agit de pourcentages... Disposez-vous d'informations complémentaires ?
Mme Christine Lavarde. - S'agissant de l'Afitf, chat échaudé craint l'eau froide... Nous avons eu une mauvaise surprise l'an passé. Or, l'article 2 du projet de loi de finances rectificative opère un mouvement similaire à l'article 3 de la loi du 30 novembre 2020 de finances rectificative pour 2020 en réaffectant les recettes des amendes au compte d'affectation spéciale « Contrôle de la circulation et du stationnement routiers ». L'étude d'impact ne dit rien des conséquences pour les collectivités territoriales. Disposez-vous de simulations ? Il ne faudrait pas que les communes se voient prélever des sommes dans quelques mois...
M. Olivier Dussopt, ministre délégué. - Monsieur Guené, notre prévision de croissance correspond à notre visibilité d'alors. Nous n'imaginions pas que l'Insee publierait des chiffres si élevés. Si nous la dépassons, les recettes fiscales et sociales connaîtront une augmentation dont nous constaterons le montant en février 2022. Mécaniquement, ce surplus contribuera à la réduction du déficit de 2021.
Les recettes fiscales des collectivités territoriales ont augmenté de 2,5 % en 2021, notamment grâce aux droits de mutation à titre onéreux (DMTO), qui, au 30 septembre, enregistraient une croissance de 30 % par rapport à 2019. En outre, celles qui bénéficient d'une fraction de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) profitent de son dynamisme, soit 5,8 % d'augmentation entre 2020 et 2021. À titre de comparaison, la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) n'a crû que de 2,5 % en quinze ans. En revanche, la CVAE devrait reculer de 1,1 % en 2021 - nous nous y attendions - puis de 4,5 % à 5 % en 2022. Nous resterons vigilants s'agissant des effets sur les collectivités territoriales concernées.
Monsieur Sautarel, nous espérons que l'inflation se calme en 2022. S'agissant du solde structurel, de nombreux observateurs, dont le HCFP, estiment que la rapidité des évolutions économiques en rend la lecture complexe.
Nous sommes convaincus que les crédits supplémentaires permettront de couvrir les besoins de l'Afitf, mais il conviendra de travailler à une affectation plus efficiente des crédits. Sur ce point, madame Lavarde, les communes de la région parisienne se trouvent dans une situation particulière.
Enfin, le fonds Avenir montagnes sera doté de 170 millions d'euros redéployés par le projet de loi de finances rectificative.
Monsieur Bascher, l'évaluation de la norme de dépenses ne tient pas compte de l'inflation : il s'agit d'une évolution en euros. En volume, en considérant l'inflation et les nouvelles dépenses, la dépense publique croît de 1 % à 1,1 %. Il faudrait effectivement limiter son augmentation à 0,8 % pour atteindre un déficit à 3 % en application de la norme européenne.
Le contrat d'engagement jeune coûtera 550 millions d'euros par an ; un amendement sera déposé en ce sens à l'Assemblée nationale. Il ne grèvera pas le solde pour 2022, puisqu'il était déjà intégré à l'évolution des dépenses.
Monsieur Joly, j'assume d'avoir une vision orthodoxe de la dette. Elle a vocation à être remboursée. Trop élevée, elle obère les capacités d'action. Nous devons y être attentifs. En l'état des hypothèses macroéconomiques, le ratio de la dette publique sur le PIB diminue lorsque le déficit atteint 3 %, ce qui correspond au critère européen.
L'allégement de la fiscalité, notamment de la taxe d'habitation, a rendu du pouvoir d'achat aux ménages. J'assume également les 6 milliards d'euros consacrés au crédit d'impôt recherche (CIR), qui a montré son utilité. De même, les réductions opérées sur l'impôt sur les sociétés - la baisse de son taux représentant 6 milliards d'euros de recettes en moins en 2022 - et sur les impôts de production sont nécessaires à notre politique de l'offre.
Mes propos sur le pouvoir d'achat reprennent les chiffres de l'Insee, qui indiquent qu'entre 2007 et 2011, il a crû de 1,4 % par an en moyenne, puis de 0,3 % entre 2012 et 2017, avec des années d'évolution négative. Entre 2017 et 2022, le pouvoir d'achat a enregistré une croissance comprise entre 1,6 % et 1,7 %, avec une évolution plus favorable en pourcentage pour les premiers déciles du fait de la progressivité des prélèvements.
Mme Sylvie Vermeillet. - Comment la croissance a-t-elle influencé le niveau d'épargne des Français, qui aurait crû de 267 milliards d'euros selon la Banque de France ? Quelle est votre stratégie pour la mobiliser ?
M. Michel Canévet. - Il me semble normal d'examiner un projet de loi de finances rectificative en temps de crise. Je me réjouis d'y constater une augmentation des recettes fiscales, notamment un dynamisme de l'impôt sur les sociétés. Cela correspond-il à la vitalité économique ou au rattrapage rendu nécessaire par une sous-estimation ? Il apparaît également logique que la croissance de la consommation entraîne une augmentation des recettes de TVA. Nous pouvons toutefois regretter le déséquilibre entre les annulations de crédits et les nouvelles inscriptions.
L'indemnité inflation coûte cher et son versement pèsera sur les entreprises comme sur les collectivités territoriales. Elle créera également des situations d'iniquité, notamment au détriment des familles monoparentales, puisque seul le revenu individuel est considéré.
France compétences recevra deux milliards d'euros en plus des 750 millions d'euros prévus. Pourquoi une telle augmentation de crédits ? Avez-vous constaté des difficultés de gestion ?
S'agissant de la prime à la conversion, veillons à ne pas bouleverser un marché automobile atone. Il faut maintenir cette aide et revoir parallèlement le barème de l'indemnité kilométrique qui favorise les grosses cylindrées au détriment des véhicules électriques.
M. Pascal Savoldelli. - Je m'interroge sur la sincérité politique de ce texte. La France n'a pas obtenu le deuxième versement de 4,8 milliards d'euros du plan de relance européen. Nous n'avons reçu que 11 % des 40 milliards d'euros promis.
Nous allons prochainement examiner un projet de loi de finances dont les prévisions d'inflation viennent d'être retoquées. Nos concitoyens s'interrogent...
Quant au pouvoir d'achat, l'indice des prix à la consommation harmonisé, qui prend en compte l'énergie, fait état d'une augmentation de 2,4 % en août, de 2,7 % en septembre et de 3,2 % en octobre. Certes, vous proposez une rallonge de 100 euros sur le chèque énergie, mais cet effort s'autofinancera grâce à l'augmentation de la TVA sur les prix de l'énergie. Ce dispositif concerne 5,8 millions de Français dont le revenu fiscal est inférieur à 10 800 euros, pour lesquels l'augmentation du gaz devrait atteindre en moyenne 453 euros. Vous comprendrez donc ma question relative à la sincérité politique...
M. Vincent Delahaye. - Nous vous avions crédité de cette sincérité au début du quinquennat, mais je peine à y croire encore en regardant vos prévisions obscures de recettes.
En 2021, la TVA et l'impôt sur les sociétés ont été sous-évalués : voilà une bonne surprise pour les élections... En revanche, l'impôt sur le revenu augmente de 4 % en 2021 puis de 7 % en 2022, alors que des réductions ont été annoncées. Est-ce grâce à l'augmentation des revenus ou à la retenue à la source ?
M. Olivier Dussopt, ministre délégué. - Je ne puis répondre à Mme Vermeillet, car les données relatives à l'épargne ne sont pas connues au-delà du deuxième trimestre. La reprise économique du troisième trimestre de 2021 est expliquée par l'Insee par un rebond de l'investissement et, surtout, de la consommation des ménages auquel la mobilisation de l'épargne a pu contribuer. Déjà, 22,4 milliards d'euros d'épargne ont été investis dans des produits de financement de France Relance.
Monsieur Delahaye, à chaque texte financier, nous avons intégré les prévisions connues de recettes fiscales. L'impôt sur les sociétés reposant plutôt sur l'exercice précédent, l'évolution constatée dans ce texte relève davantage de la TVA et des DMTO.
La réduction de la première et de la deuxième tranches de l'impôt sur le revenu a été prise en compte dès 2020 avec une perte de recettes de 5 milliards d'euros. Le prélèvement à la source a amélioré le recouvrement, déjà très satisfaisant, de 0,6 % à 0,7 %. De fait, la croissance prévue pour 2022 est essentiellement liée au dynamisme des revenus et de l'emploi : la France a déjà créé 435 000 emplois aux deux premiers trimestres de 2021.
Monsieur Canévet, l'indemnité inflation me semble nécessaire pour accompagner la reprise. Nous avons privilégié la simplicité du recours et la rapidité du décaissement. L'éligibilité sera calculée sur les dix premiers mois de 2021 et le mois d'octobre servira de référence. Nous avons travaillé avec des sociétés de logiciels pour éviter une procédure trop coûteuse. Nous avons également agi sur le chèque énergie : après un versement de 150 euros au printemps, les ménages recevront 100 euros supplémentaires en décembre.
Il faut effectivement mener une réflexion sur le fonctionnement de France compétences. Il est d'ores et déjà prévu que la structure reçoive sa dotation en un seul versement.
Enfin, la prime à la conversion, sous-consommée en 2021, sera reconduite en 2022.
Monsieur Savoldelli, le bouclier tarifaire va limiter à 4 % l'augmentation du prix de l'électricité et bloquer celui du gaz à son niveau d'octobre. Il s'agit d'un engagement important, évalué à 5,1 milliards d'euros pour la seule électricité. Les aides versées - 12 milliards d'euros - auront largement dépassé le gain de 4 milliards d'euros obtenu par l'État du fait de la hausse des prix de l'énergie.
La France a reçu 13 % des sommes promises dans le cadre du plan de relance européen. La Commission européenne ayant modifié les modalités de versement, nous percevrons en janvier 2022 un deuxième versement de 7,4 milliards d'euros.
L'Insee, enfin, a évalué l'évolution de la pauvreté : elle a légèrement reculé en France en 2021, tandis que le coefficient de Gini, qui mesure les inégalités sociales, est resté stable durant les quinze dernières années. Ce constat prouve l'efficacité de notre système redistributif et des mesures prises pendant la crise.
M. Dominique de Legge, président. - Merci, monsieur le ministre, pour vos réponses.
La réunion est close à 18 h 15.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.