Jeudi 21 octobre 2021
- Présidence de M. Stéphane Artano, président -
Étude sur la place des outre-mer dans la stratégie maritime nationale - Audition de Mme Annick Girardin, ministre de la mer
M. Stéphane Artano, président. - La Délégation sénatoriale aux outre-mer a engagé le 14 octobre un cycle d'auditions sur la place des outre-mer dans la stratégie maritime nationale. Nos collègues Philippe Folliot, Annick Petrus, aujourd'hui en visioconférence, et Marie-Laure Phinera-Horth en sont les rapporteurs.
L'étude de la délégation a naturellement pour ambition de cerner les atouts que représentent les espaces maritimes des outre-mer pour la France. Nous savons, et ceci a été rappelé avec force lors de notre première audition, que notre pays dispose du deuxième domaine maritime mondial et que 97 % de celui-ci provient des outre-mer dont les deux tiers sont situés dans le Pacifique. L'État valorise-t-il suffisamment ce potentiel et quels sont les freins à lever pour que cette valorisation se traduise concrètement dans la réalité de nos collectivités ultramarines ? Ces questions, vous les avez soulevées, chers collègues, parfois avec vigueur, mais en connaissance de cause, lors de notre dernière réunion.
En tant que parlementaires, nous avons aussi pour devoir de participer à la préparation de la présidence française du Conseil de l'Union européenne en 2022, en essayant notamment de promouvoir une vision incluant les outre-mer dans cet ensemble communautaire. Nous avons tous, bien entendu, à l'esprit le contexte particulier créé par la récente « crise des sous-marins ».
Nous sommes donc particulièrement impatients de vous entendre ce matin, avec vos collaborateurs, car les fonctions que vous occupez actuellement et celles que vous avez exercées par le passé à la tête du ministère des outre-mer, vous confèrent un rôle central dans « l'accélération de notre stratégie maritime » souhaitée par le Président de la République. Dans votre propos liminaire, je vous laisserai donc le soin de nous présenter votre action au regard de ces enjeux majeurs, dans le cadre de vos attributions.
Puis je demanderai aux rapporteurs de bien vouloir formuler leurs questions, sachant qu'une trame vous a été adressée par anticipation pour vous permettre de préparer cette réunion. Vous aurez à nouveau la parole pour leur répondre et je laisserai ensuite nos autres collègues vous interroger.
Je vous précise que cette séance fait l'objet d'une captation audiovisuelle et sera disponible en VOD sur le site internet du Sénat.
Mme Annick Girardin, ministre. - En tant que ministre des outre-mer, je n'ai eu de cesse de promouvoir la prise en compte des spécificités des outre-mer dans l'élaboration des politiques publiques. Aujourd'hui, en tant que ministre de la mer, l'ensemble de ces territoires a une place prépondérante dans la stratégie maritime nationale. Dans ce propos liminaire, je parlerai de cette stratégie maritime nationale, en évoquant l'économie bleue au sens large.
La stratégie maritime nationale ne dépend pas uniquement du ministère de la mer. C'est une stratégie impliquant l'ensemble du Gouvernement afin de porter, à ce niveau, la vision « d'archipel France » dans un monde aux multiples enjeux. En effet, les arsenaux militaires se développent et les souverainetés s'expriment avec force. Les zones de frottement et de contestation se multiplient. Dans le même temps, les activités illicites, telles que la pêche illégale, les trafics, la piraterie et le brigandage sont en forte augmentation. Les océans sont aussi, plus que jamais, les vecteurs du commerce mondial qui se développe. Ainsi, ces menaces impactent, voire fragilisent la géopolitique des océans. Ces enjeux ne sont pas uniquement des enjeux de défense. Une grande stratégie maritime doit permettre une réponse globale à l'ensemble des questions internationales liées aux océans. Pour cela, nous devons défendre des objectifs politiques.
Je suis fortement attachée aux dix-sept objectifs de développement durable élaborés par l'ONU. Parmi ces objectifs, l'objectif quatorze concerne les océans, et porte notamment sur la conservation et l'exploitation durable des océans et des ressources marines. Pour ce qui est de la pêche, les mesures telles que la gestion des stocks et les quotas, sont nécessaires et doivent reposer sur les meilleures connaissances scientifiques disponibles.
La pêche illégale est un véritable fléau qui a des conséquences immédiates sur les ressources et sur la prospérité collective. Aucun effort de coopération ne doit être ménagé pour éradiquer ces fléaux. La France soutient cette position dans chacune des douze organisations régionales de pêche dans lesquelles nous siégeons grâce à nos positions sur les trois océans. Aux côtés de l'Europe, la voix de la France porte ainsi à la Commission des thons de l'océan Indien (CTOI), à la Commission des pêches pour le Pacifique occidental et central, à la Commission internationale pour la conservation des thonidés de l'Atlantique, ou encore à l'Organisation des pêches de l'Atlantique nord-ouest (OPANO).
Au-delà de ces seules ressources naturelles, il est nécessaire de protéger le droit, en particulier le droit international de la mer. Il doit être universel et susciter l'acceptation et la reconnaissance du plus grand nombre d'États possible. Notre référentiel, aujourd'hui, est celui de la convention de Montego Bay, qui constitue la pierre angulaire du développement pacifique des activités des États en mer. La France est fortement attachée à l'application pleine et entière de cette convention, ainsi que de ses textes d'application. C'est ce que nous portons avec conviction, en particulier dans la zone indopacifique, où beaucoup d'États sont en attente d'une parole forte de la France et d'actions claires. Pour cela, il nous faut être cohérents et la majorité des ZEE françaises qui ne font pas encore l'objet d'un traité de délimitation se trouvent dans l'Indopacifique et concerne les outre-mer. Il nous faut mettre en oeuvre un dialogue franc avec nos voisins et nos partenaires sur ces questions compliquées. J'ai en mémoire les débats animés autour de la gestion de l'île Tromelin que nous avons eus à l'Assemblée nationale.
Il ne s'agit pas de s'enfermer dans une nostalgie et de s'attacher à la sécurité des textes, mais au contraire de proposer de nouvelles souverainetés. Ainsi, le Président de la République, en se rendant sur l'archipel des Glorieuses, a réaffirmé le rôle de la France dans la gestion écologique et durable dans ces territoires, en parlant de droit de la mer, mais aussi de devoir de mer.
Un autre accord d'application est d'ailleurs en cours de négociation et il portera sur la biodiversité marine au-delà de la juridiction nationale, c'est-à-dire en haute mer. Le Président de la République a également annoncé l'organisation d'un événement sur les océans à Brest au début de l'année 2022. Pour la France, les océans sont des biens communs et ce sujet sera à l'ordre du jour de cette rencontre internationale. La France est aussi attachée au principe de liberté de circulation et les connaissances scientifiques constituent un préalable obligatoire, notamment pour définir les zones marines protégées et pour les positionner. La France est également attachée aux règles d'extension du plateau territorial et au rôle de l'Autorité internationale des fonds marins (AIFM) qui fixe les règles d'exploration, voire d'exploitation, dans la zone. Le rôle des outre-mer est essentiel dans nos stratégies, car c'est grâce aux outre-mer que la France dispose du deuxième espace maritime mondial, qu'elle est présente dans trois océans et qu'elle dispose d'une richesse exceptionnelle, ainsi que d'une immense responsabilité en matière de biodiversité.
Dans chaque territoire, dans chaque bassin maritime, nous avons des spécificités, des atouts et des freins. La question des statuts est importante, car ils définissent la compétence de chaque territoire. Pour autant, l'outre-mer a toute sa place dans cette grande stratégie maritime nationale.
En ce qui concerne l'économie bleue en outre-mer, les principaux enjeux recouvrent la préservation de l'environnement et le développement économique des territoires ultramarins. Par ailleurs, sur les 10,2 millions de kilomètres carrés de ZEE dont la France dispose, plus de la moitié, soit 5,7 millions de kilomètres carrés, est en réalité totalement géré par les collectivités de Polynésie française et de Nouvelle-Calédonie. La France assume pleinement avoir transféré les compétences de développement maritime à ces deux collectivités.
L'une de mes priorités est aussi l'intégration des outre-mer dans leur bassin régional d'origine, en renforçant leurs atouts dans des secteurs d'activités et des filières qui regroupent la pêche, l'aquaculture, les ports, les câbles sous-marins, la croisière et la plaisance, les énergies marines, les chantiers navals, la robotique, les produits pharmaceutiques et cosmétiques. Le champ de l'économie bleue est immense, voire infini.
Les ports ultramarins sont aussi un atout stratégique et économique, puisqu'ils sont les points d'entrée et de sortie de nos territoires. Ces ports sont également un atout géostratégique, par leur positionnement idéal à travers le globe. Ils mériteraient de se diversifier et de renforcer leurs activités économiques. En effet, ils sont davantage considérés comme des ports importateurs au bénéfice des collectivités et de leurs populations, et insuffisamment pensés comme vecteur économique. Le grand port de La Réunion a pris ce chemin de développement économique et il est un modèle pour l'ensemble des territoires ultramarins. La Martinique et la Guadeloupe ont également entrepris une stratégie de développement, qu'il faut accompagner. La nouvelle stratégie nationale portuaire, validée au dernier Comité interministériel de la mer (CIMer), concerne les ports de l'Hexagone au même titre que les ports ultramarins. Cette stratégie a des objectifs clairs de reconquête des parts de marché sur les ports concurrents étrangers, fondés sur un développement industriel et logistique durable, avec un renforcement de la complémentarité de l'ensemble de nos ports. Une part importante du plan de relance à destination des ports a été adressée aux outre-mer.
Finalement, la planification des espaces maritimes en outre-mer se traduit dans des documents stratégiques par bassins maritimes, équivalents des documents de façade pour l'Hexagone. Pour que les projets maritimes se développent, ces documents doivent vivre dans chaque bassin et pour chaque territoire.
Mme Annick Petrus, rapporteure. - Quels sont, concrètement, les leviers d'action du ministère de la mer, alors que la politique maritime reste encore essentiellement interministérielle ? Quelle est la répartition des compétences avec les autres ministères ?
Quel est le bilan, pour les outre-mer, du déploiement de la stratégie maritime nationale 2017-2022 ?
La France étant le seul pays de l'Union européenne ayant une présence permanente dans le Pacifique, comment valoriser concrètement cet atout auprès de celle-ci ? Quelles actions pourraient être conduites à cet égard dans le cadre de la Présidence française de l'Union européenne ?
Mme Annick Girardin, ministre. - Le ministère de la mer est l'un des plus transversaux de ce gouvernement. Il a été créé il y a seulement un an et demi, ce qui implique un travail important en interministériel, tout comme au ministère des outre-mer où environ 80 % des dossiers sont traités de manière transversale. Les deux partenaires privilégiés du ministère de la mer sur les actions menées sont le ministère de l'agriculture et de l'alimentation et le ministère de la transition écologique, chargé des transports.
Le ministère de la mer est un ministère des usagers, chargé de la planification maritime. Cette dernière notion est aujourd'hui encore difficile à concevoir, puisque la mer est un espace de liberté. Pour autant, au-delà de la planification déjà existante dans un certain nombre de documents, nous devons mieux penser la cohabitation des acteurs en mer, dans les eaux territoriales françaises et dans la ZEE. Alors que la France développe une stratégie géopolitique forte en matière maritime, le Président de la République a fait le choix de créer le ministère de la mer, afin que toute la dynamique interministérielle autour de cette stratégie maritime soit menée par un responsable politique. En dehors de certains nostalgiques du ministère de la mer de Louis Le Pensec, la plupart des acteurs sont en quête d'une institution commune pour construire une stratégie qui nous emmènera collectivement plus loin.
À titre d'exemple, les industriels et le Gouvernement travaillent depuis de nombreuses années sur le dossier des grands-fonds qui découle du Grenelle de la mer. Ce dossier a pris de l'ampleur avec la création du ministère de la mer, puisqu'il est désormais porté politiquement.
Concernant le déploiement de la stratégie maritime nationale 2017-2022 en outre-mer, il se traduit par l'adoption des documents stratégiques pour chacun des quatre bassins maritimes que sont le bassin Antilles, le bassin Guyane, le bassin sud océan Indien et le bassin Saint-Pierre-et-Miquelon. Cette stratégie de façade et par bassin maritime rassemble l'ensemble des acteurs et pose des cadres d'action de six ans pour l'Hexagone et sans date limite pour les territoires ultra-marins. La stratégie sud océan Indien a été adoptée en 2020 et celle des Antilles en 2021. La stratégie pour la Guyane est toujours en cours d'adoption. Pour Saint-Pierre-et-Miquelon, le travail est balbutiant. Il est donc difficile de dresser un bilan du déploiement de la stratégie maritime nationale en outre-mer, puisqu'elle n'a pas été mise en place dans tous les territoires. Cet exercice pourra être réalisé à une date ultérieure, d'ici à la fin du quinquennat.
Ces réflexions ont permis d'obtenir un état des lieux sur l'environnement marin, indispensable pour faire partie de la stratégie nationale. L'élaboration des stratégies a également permis de mettre en avant un certain nombre de besoins pour poursuivre les travaux. Cela a conduit à cartographier dans certains territoires l'environnement, l'état de l'environnement, le climat, le littoral et les sujets de traits de côtes. Le sénateur de Polynésie française Teva Rohfritsch, qui siège au Conseil national de la mer et des littoraux (CNML), rappelle régulièrement le rôle des territoires en la matière. Concernant les deux bassins maritimes qui n'ont pas finalisé leurs travaux sur la stratégie maritime nationale outre-mer, un nouveau rendez-vous peut être fixé dans huit mois pour communiquer sur leurs avancées.
La France cherche à valoriser davantage la stratégie maritime française, et plus particulièrement celle que nous menons dans le Pacifique. À la suite du départ du Royaume-Uni, la France est le seul pays européen présent dans le Pacifique. Le Président de la République a souhaité parler plus largement de stratégie indopacifique, comprenant nos territoires de La Réunion, Mayotte, Nouvelle-Calédonie, Wallis-et-Futuna et Polynésie. Certaines actions ont déjà été menées. En avril 2021, le conseil de l'Union européenne a établi un nouveau cadre stratégique, prenant en compte plusieurs propositions à la demande de la France. Le renforcement de la coopération avec l'Association of Southeast Asian Nations (ASEAN) a notamment été proposé, puisque de nombreux rapports avaient constaté ce déficit important. Lorsque je me suis rendue en juin 2021 en Indonésie - le plus grand archipel au monde -, de nombreux interlocuteurs ont fait référence aux petits archipels français. Ils sont perçus comme des territoires de solutions, notamment de solutions marines. Nous avons également porté plus de prise en compte des enjeux de sécurité maritime, avec, par exemple, une participation renforcée des États membres dans l'opération Atalante. Le 16 septembre 2021, une communication conjointe de la Commission européenne et du Conseil européen a été adoptée pour définir une stratégie européenne dans l'Indopacifique. La France, dans le cadre de sa présidence du Conseil de l'Union européenne, aura un certain nombre de rendez-vous à organiser, notamment des événements à La Rochelle concernant les questions maritimes. L'événement One ocean summit sera également l'occasion de rappeler la position de la France sur ces sujets maritimes, et notamment dans le Pacifique.
M. Philippe Folliot, rapporteur. - Je salue Madame la ministre, avec qui nous avons partagé des combats communs sur les bancs de l'Assemblée nationale il y a quelques années. Je ne suis pas enfermé dans une quelconque nostalgie lorsqu'il s'agit de se battre et de défendre les enjeux de souveraineté. Pour autant, la souveraineté ne se négocie pas, il n'y a pas d'entre-deux. On est souverain, ou on ne l'est pas. Nous avions mené un combat commun sur le contentieux de l'île de Sable au Canada et la position indigente des autorités françaises avait eu pour conséquence de spolier Saint-Pierre-et-Miquelon de près de 80 % de sa ZEE.
Plus de 90 % de notre ZEE est liée aux outre-mer. En parallèle, environ 95 % des moyens de la Marine nationale sont basés dans l'Hexagone. N'y a-t-il pas, selon vous, un déséquilibre par rapport à cela ? Ne devrions-nous pas allouer des moyens aux outre-mer pour pouvoir assurer notre souveraineté dans de bonnes conditions ?
Sur la zone Pacifique et ses 5,2 millions de kilomètres carrés de ZEE, il est difficile de pouvoir gérer et assumer des éléments de surveillance adéquats. Bien que le satellite soit un outil intéressant, il ne remplace pas les moyens maritimes déployés sur place. Sur l'île de la Passion-Clipperton, la France assume une souveraineté fictive, tant au niveau terrestre que maritime. La Marine nationale va-t-elle régulièrement pouvoir changer le drapeau et repeindre la stèle présente sur cette île ? Cette stèle est par ailleurs le seul élément effectif pratique pour assumer notre souveraineté sur cette île, dont la ZEE de 436 000 km2 est supérieure à celle de l'Hexagone. Une zone marine protégée avait été mise en place par Ségolène Royal dans les eaux territoriales de l'île de la Passion-Clipperton, mais cette zone n'est pas protégée par la France.
Concernant la Guyane, parmi les enjeux majeurs en matière de souveraineté figurent les problématiques de pêche illégale, avec un pillage de ressources important. Quels sont les moyens spécifiques pouvant être mis en oeuvre pour lutter contre la pêche illégale, les narcotrafics et les flux qui transitent par nos eaux territoriales et notre ZEE ?
Concernant l'océan Indien, la situation dans les terres australes française apparaît satisfaisante. Les moyens de l'État sont organisés par un Préfet et des actions exemplaires ont été menées, notamment en termes de protection des ressources. À titre d'exemple, les actions menées pour la protection de la légine au Kerguelen et celles en cours pour la protection de la langouste aux îles Saint-Paul et Nouvelle-Amsterdam ont eu des conséquences économiques majeures pour l'île de La Réunion, en termes d'emploi. Les enjeux de souveraineté sont forts dans cette zone, comme aux îles Tromelin, alors que le Parlement n'a heureusement pas ratifié le traité de cogestion. Madagascar a des revendications sur les îles Éparses, et le Président de la République s'est entretenu avec le président malgache à ce sujet. Quel est l'état d'avancée des négociations ? Vous avez souligné la visite du Président de la République aux îles Glorieuses. Cette première visite d'un chef d'État français sur cette partie du territoire de la République était un signal fort. Quelle sera la position de la France pour assumer sa souveraineté effective sur cette partie du territoire ?
En France, le prix des hydrocarbures et notamment du gaz, augmente fortement. Ne pensez-vous pas qu'une décision trop hâtive a été prise de suspendre les permis de recherche sous l'île de Juan de Nova ? Ces permis permettaient une exploration gazière : ils ne concernaient pas l'exploitation. Je ne suis pas partisan de la loi Hulot qui interdit la recherche et l'exploitation d'hydrocarbures dans notre pays à compter de 2040. Il apparaît dommage et inconséquent que notre pays ne soit pas allé au bout de l'étude de ces ressources. Pourriez-vous me donner votre opinion sur ces questions ?
Mme Annick Girardin, ministre. - Il est important de rappeler que ce quinquennat est celui qui a le plus renforcé les moyens en mer pour les territoires ultramarins, avec notamment les patrouilleurs Antilles-Guyane et les bâtiments de soutien et d'assistance. Le CIMer a approuvé l'achat de ces nouveaux patrouilleurs, qui arriveront progressivement dans les territoires ultramarins.
Dans la zone Indopacifique, nos forces en présence, positionnées à la fois sur nos territoires et dans les États alliés, représentent 7 000 hommes, quatre frégates, trois bâtiments de soutien et d'assistance, six patrouilleurs et 32 aéronefs. C'est incomparable par rapport à la Chine et aux États-Unis, mais, à l'échelle de l'Europe, ce sont des forces conséquentes. La composante spatiale est une aide précieuse pour protéger et surveiller l'ensemble de nos zones maritimes. Au vu de la recherche et des outils portés par les entreprises françaises dans le domaine du spatial, ces moyens sont aussi primordiaux sur les questions des fonds marins, de la connaissance en mer et de la surveillance. Cela n'enlève rien à l'importance de la présence et de l'intervention en mer. La surveillance satellitaire est un atout majeur dans les zones où la surveillance en mer n'est pas suffisante.
Sur les cartes de la ZEE de la Polynésie française, il existe une zone extrêmement colorée par la présence de pêcheurs illégaux et au centre, une zone très peu impactée par la pêche illégale. Cette différence est liée à une présence en mer couplée avec l'utilisation de moyens satellitaires. La France est également en mesure de rappeler régulièrement qu'elle peut contrôler et frapper. Au-delà du fait que 95 % des moyens maritimes soient basés dans l'Hexagone, de nombreuses missions de patrouilles sont organisées, par exemple avec le SNA Émeraude ou avec le groupe Jeanne d'Arc, sur l'ensemble de nos mers et océans. Ces patrouilles permettent à la France d'être visible.
Il existe plusieurs manières de protéger nos étendues maritimes et de prendre position sur le volet de la souveraineté. La méthode chinoise consiste à bétonner les atolls et menacer d'avoir recours à la force systématiquement, ce qui a conduit à une condamnation par la justice internationale en 2016. La méthode britannique repose sur le mépris des États voisins et des décisions unilatérales. La méthode portée par la France et par le Président de la République, comme d'autres avant lui, est celle d'une fermeté sur notre souveraineté, mais d'un bon voisinage sur le partage des ressources et sur la responsabilité en matière de protection. Le Président de la République, dans son discours lors de sa visite aux îles Glorieuses, a délivré ce message de sérénité et de protection, tout en assumant la souveraineté de la France. La France peut également porter ce message à Madagascar, pays en développement, francophone, et avec qui elle a plusieurs partenariats. Nous voulons inclure Madagascar dans les réflexions en matière de recherche, de développement et de pêche, de manière cohérente avec les politiques de développement que nous souhaitons mener dans cette zone. Il s'agit d'assumer notre souveraineté en étant respectueux de nos voisins.
La France sait rester combative lorsqu'elle a des revendications à porter, par exemple sur le dossier du plateau continental de Saint-Pierre-et-Miquelon via le programme Extraplac. Un décret fixant les limites maritimes autour de Saint-Pierre-et-Miquelon publié en février 2021, mer territorialisée et ZEE, vient rappeler que Saint-Pierre-et-Miquelon a une possibilité de revendication sur le plateau continental, possibilité que nous avons exercée et que nous défendons. C'est un pas de plus dans la défense de nos intérêts, une souveraineté qui s'affirme, qui est combative dans ses revendications, tout en tenant compte de nos voisins et en souhaitant travailler avec l'ensemble de ceux-ci.
La ZEE de l'île de la Passion-Clipperton est très surveillée par satellite. Les contrôles effectués me semblent être efficaces. Les signalements aux États du pavillon sont systématiques et l'Union européenne applique des sanctions. La Marine nationale est présente dans cette ZEE.
Dans le bassin Antilles-Guyane, les moyens dont nous disposons sont un Centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage (CROSS) et des unités légères des affaires maritimes. Pour la Marine nationale, deux frégates, huit patrouilleurs, deux bâtiments d'appui et deux aéronefs. Pour les douanes, trois vedettes et un aéronef. Et pour la Gendarmerie nationale, quatre hélicoptères. 7,2 tonnes de cocaïne ont été saisies aux Antilles, pour 45 tonnes saisies en mer sur tous les océans en moyenne par les moyens navals français. Ces résultats sont donc concluants. 120 tonnes de pêche illégale ont été saisies en Guyane. Je voudrais saluer la mémoire du président du comité des pêches de Guyane, Georges-Michel Karam, avec qui j'ai travaillé. Il s'est beaucoup battu pour le développement de la pêche en Guyane et pour le plan d'accompagnement qui a été pensé après les crises que la Guyane a connues. Nous lui devons, en sa mémoire, de poursuivre les efforts sur ce sujet.
Concernant les permis d'exploitation, la France a fait le choix de décarboner notre économie. Ce choix est assumé et nécessite des actes.
Les ressources entraînent des désordres géostratégiques qui sont également liés à notre environnement. Ces décisions sont assumées et la société française, ainsi que l'ensemble des citoyens du monde, n'acceptent plus le mode de fonctionnement que nous avions jusqu'à aujourd'hui. Cela ne signifie pas que nous ne pouvons pas explorer les fonds marins. Le programme France 2030 vient d'être lancé par le Président de la République et comprend des engagements forts en matière de neutralité carbone pour l'horizon 2050, un plan climat 2017 et des interdictions de délivrance de nouveaux permis de recherche d'hydrocarbures. Dans les territoires ultramarins, cela a posé des problèmes pour les permis en cours ou à venir. Pour autant, il faut être cohérent : la décision de la France concerne l'ensemble de ses eaux.
M. Philippe Folliot, rapporteur. - Sur la question des hydrocarbures, je n'ai pas parlé d'exploitation, mais d'exploration, c'est-à-dire de connaissance des ressources. Nul ne sait quelle sera la situation géostratégique dans vingt ans ; ne serait-ce que par prudence, il est dommage de ne pas être allé au bout de la connaissance de ce qu'il y a dans le sous-sol. J'ai parlé de Juan de Nova ; l'enjeu est le même pour la Guyane.
Lorsque je me suis rendu sur l'île de la Passion-Clipperton, nous avons croisé un senneur mexicain dans notre ZEE venant de terminer sa pêche, avec un emport de 1 200 tonnes de thon, qui avait désactivé sa balise AIS et ne pouvait donc pas être capté et suivi par satellite. L'absence connue de moyens humains et navals sur place ouvre la porte à de tels actes, totalement contraires au traité concernant la pêche avec le Mexique. Je rappelle que le Mexique déclare chaque année 700 à 4 000 tonnes de pêche, alors que nous avons croisé fortuitement un seul senneur qui avait probablement 1 200 tonnes de thon dans ses soutes. La France s'affaiblit lorsqu'elle tolère des pratiques de pêche et des actions sur sa ZEE contraires à ce qu'elle défend et par rapport aux enjeux internationaux, bien que ce soit involontaire. Notre position est également affaiblie lorsqu'il existe dans notre ZEE des pratiques de pêches avec des explosifs, que nous condamnons.
Mme Annick Girardin, ministre. - Nous reviendrons certainement sur France 2030 et sur les moyens de la connaissance que nous souhaitons déployer.
J'avais la même vision que vous concernant les satellites, mais elle a aujourd'hui changé. Nous sommes d'accord sur la question de la pêche et sur le fait que nous devons retravailler nos relations avec le Mexique.
Mme Marie-Laure Phinera-Horth, rapporteure. - Les pêcheurs ont invité des parlementaires et des élus guyanais à les rencontrer le 29 octobre 2021 et je souhaiterais avoir des éléments du ministère de la mer pour pouvoir les rassurer. La pêche illégale continue malgré les actions de la Marine nationale et de la Gendarmerie maritime. Je vous remercie pour votre hommage à Georges-Michel Karam ; c'était un combattant. Le président par intérim a l'intention de poursuivre ses actions.
Pourquoi la stratégie nationale portuaire adoptée en 2021 n'a-t-elle pas fait l'objet d'une déclinaison pour les outre-mer, comme cela avait été le cas en 2016 pour la précédente stratégie ? Comment permettre l'intégration des ports ultramarins dans les grandes routes maritimes du commerce mondial et répondre à l'explosion du coût du fret ? Quel est le bilan de la réforme de 2012 créant les Grands ports maritimes (GPM) dans les départements et régions outre-mer (DROM) ?
Pour financer les nombreux projets d'exploitation des ressources marines (aquaculture, médicaments, cosmétiques), comment attirer davantage de capitaux en outre-mer et permettre l'implantation des groupes leaders dans ces domaines prenant le relais des instituts de recherche ?
Comment renforcer l'attractivité et les formations aux métiers maritimes en outre-mer ?
Mme Annick Girardin, ministre. - La stratégie nationale portuaire, comme son nom l'indique, n'est pas exclusivement hexagonale et considère donc l'ensemble des territoires ultramarins et leurs ports, qui sont sous tutelle de l'État, mais aussi les ports décentralisés. Cette stratégie a pour intérêt de traiter de l'ensemble des ports d'un territoire ou de l'ensemble des ports français, avec la volonté de faire en sorte que la France soit le premier port d'Europe si elle parvient à faire travailler tous ces ports ensemble. Nous n'avons pas les mêmes défis dans les territoires ultramarins, mais la stratégie est commune. Il n'y a pas de document spécifique aux outre-mer, mais il y a bien des enjeux communs et des enjeux différents. L'enjeu, pour l'Hexagone, est de faire arriver des marchandises et les envoyer dans la totalité de notre territoire, voire sur l'ensemble de l'Europe. Pour les territoires ultramarins, ils doivent se penser davantage comme des hubs.
Les grands ports des territoires d'outre-mer ont aussi bénéficié du Plan de relance pour le verdissement des ports, qui est un défi important. L'investissement, dans le cadre du plan de relance, a été de 4,5 millions d'euros pour La Réunion, de 6 millions d'euros pour la Guyane, de 6,5 millions d'euros pour la Martinique, de 4,4 millions d'euros pour la Guadeloupe et d'1,7 million d'euros pour Saint-Pierre-et-Miquelon. Nous avons la possibilité d'intervenir à nouveau dans le cadre du Plan de relance sur l'ensemble des projets portuaires. Ces ports sont des atouts géostratégiques et c'est ainsi qu'il faut se positionner. La CMA CGM a d'ailleurs choisi, en 2015, de positionner son hub de l'océan Indien à La Réunion, ce qui apporte aujourd'hui satisfaction. Les ports de Guadeloupe et de Martinique ont pour objectif de renforcer leur positionnement régional dans l'arc caribéen, avec une amélioration dans la qualité et la fiabilité des services conteneurs. Un travail commun est mené entre la Martinique et la Guadeloupe pour avoir la complémentarité nécessaire afin de développer la zone. La Guyane s'implique fortement dans cette dynamique de bassin. Je crois à une attractivité produite par les différents ports qui viennent en complémentarité.
Deux sujets portuaires ont été portés et validés par le CIMer et le Président de la République. Le premier concerne le port de Mayotte, aujourd'hui un port départemental, qui a vocation à devenir un port d'État lorsqu'un certain nombre de freins auront été levés. Le second concerne le port de Saint-Pierre-et-Miquelon, port d'État pour lequel une gouvernance devrait être installée d'ici à l'année prochaine.
Se pose également la question des marchandises et du fret. Dans la situation actuelle, nous constatons une pénurie de conteneurs vides et une congestion dans les grands ports, ce qui permet à d'autres ports de jouer le jeu de la complémentarité. Il existe une pénurie de main-d'oeuvre sur les ports, y compris en outre-mer. À l'échelle mondiale, cela provoque une véritable augmentation du prix du fret. Il faut y apporter un certain nombre de réponses. Les transporteurs estiment qu'il faudra un an pour réguler l'ensemble des flux bloqués. La demande est de plus en plus importante, alors qu'elle avait radicalement chuté du fait de la crise sanitaire, ce qui avait également provoqué une baisse des importations.
La CMA CGM a pris l'engagement de geler les taux de fret jusqu'à début 2022. Cette position sera revue ou prolongée selon la situation. Nous voulons renouer avec la confiance des chargeurs alors que des problèmes se posent aujourd'hui dans la chaîne logistique.
Je souligne l'importance des ports d'outre-mer dans les océans pendant la crise sanitaire et salue notamment La Réunion qui a joué un rôle important dans ce moment difficile pour la relève des marins : 15 000 marins ont pu être relevés au moment où tous les ports fermaient, alors qu'ils étaient en mer depuis 12, voire 24 mois. Je souhaite à nouveau remercier ici La Réunion.
La réforme portuaire de 2008 a créé des conditions pour que les départements d'outre-mer développent leur économie locale et mettent en place de nouvelles activités (transbordement par exemple). Ils sont de véritables poumons économiques.
Les formations en matière de métiers liés à la mer, que l'on soit en mer ou à terre, sont un sujet qui touche l'ensemble de l'Hexagone et qui dépasse les territoires ultramarins. L'attractivité passe obligatoirement par la formation. L'objectif central du Livre bleu et des travaux sur la marine marchande du Fontenoy du maritime qui viennent de s'achever était la formation, avec des besoins considérables en matière d'officiers, qui nous obligeront à doubler, d'ici à 2027, les formations d'officiers à l'École nationale supérieure maritime (ENSM). Cette école a aujourd'hui une capacité insuffisante et ne forme pas assez d'officiers, pour nos propres navires sous pavillons français, mais aussi pour les pays étrangers, car il existe une demande forte d'officiers français très bien formés. Il existe également une réflexion sur les lycées maritimes, les formations maritimes dans l'ensemble des territoires ultramarins et les plateformes que nous souhaitons mettre en place. J'ai rencontré hier le président de la région Guadeloupe, qui attend une dernière validation pour la plateforme des métiers du maritime en Guadeloupe. La Martinique a fortement avancé. À La Réunion, plusieurs initiatives ont été portées et nous accompagnons ces dynamiques de formation avec le ministre de l'éducation. Nous travaillons, à l'ENSM, sur la place des outre-mer dans les écoles, sur les relais dans les territoires ultramarins pour en faire la promotion, ainsi que sur la capacité à accueillir les ultramarins dans les lycées de l'Hexagone : quelle est l'offre d'accompagnement, comment accroître le partenariat et la coopération entre les différents lycées ? Il faut par ailleurs davantage développer la formation continue dans l'Hexagone et dans les territoires ultramarins. Ce plan a vocation à se développer. Je vous invite à nous signaler les projets qui vous paraîtraient insuffisamment soutenus, afin que nous sachions si les dynamiques mises en place fonctionnent.
La réforme des aides économiques outre-mer de 2018 a permis d'engager 2,6 milliards d'euros de fonds publics par an dans les DROM, avec des charges nulles pour 80 % des salaires dans les secteurs de l'économie bleue et dans le secteur de la recherche et développement. Elle implique également la défiscalisation prolongée jusqu'en 2025, qui permet une meilleure visibilité pour les investissements et du financement de l'économie bleue par la Banque publique d'investissement. Les zones franches d'activités nouvelle génération permettent de porter des activités bleues. Le dispositif d'octroi de mer, souvent attaqué, a été reconduit : il permet de protéger les productions locales. Les collectivités réinjectent ainsi ces financements dans l'accompagnement et le développement économique sur leur territoire.
Mme Vivette Lopez. - Vous demandiez si nous avons les moyens de notre stratégie dans l'Indopacifique. Je pense que la France doit être fière d'être une puissance régionale dans le Pacifique. Elle doit montrer sa puissance dans l'Indopacifique en s'appuyant sur sa souveraineté régionale terrestre avec les territoires ultramarins.
Vous avez également évoqué le développement des ports ultramarins, avec le Plan de relance, et cité de nombreux ports. Qu'en est-il du port de Nouméa ?
Mme Annick Girardin, ministre. - J'ai cité les territoires, et non les ports. En effet, les ports de Nouméa et Papeete dépendent des territoires de Polynésie française et de Nouvelle-Calédonie qui, de par leurs statuts particuliers, leur confèrent la totalité de cette compétence. En matière de puissance régionale française dans le Pacifique, l'axe indopacifique se nourrit largement des partenariats avec l'Inde, l'Indonésie, le Japon et les États insulaires du Pacifique. La puissance régionale de la France ne tient pas seulement à sa souveraineté, mais aussi à ses relations, sa coopération, son aide au développement d'un certain nombre de pays, dans l'océan Indien, dans l'océan Pacifique ou dans les Caraïbes. C'est aussi cette forme de confiance qu'il faut porter dans nos relations dans chaque bassin maritime, ce qui n'empêche pas de revendiquer nos droits lorsque cela est nécessaire.
Mme Gisèle Jourda. - S'agissant des relations avec l'ASEAN, on ne peut effectivement asseoir une puissance et la développer qu'en tenant compte des différents partenaires. Les moments de crises que nous avons vécus dans l'Indopacifique notamment nous amènent plus que jamais à examiner la situation sous différents angles, afin de comprendre comment ces pays perçoivent les changements tels que le revirement australien ou la montée en puissance de la Chine. L'ASEAN se réunit chaque année en sommet. Comment la France appréhende-t-elle ce futur sommet et quel est l'état d'esprit des pays de l'ASEAN compte tenu des changements survenus récemment ?
Mme Annick Girardin, ministre. - La France reste un État de l'Indopacifique. J'ai toujours été convaincue qu'il fallait que la France ait de meilleures relations avec l'ASEAN et la France a plaidé pour que l'Union européenne reprenne davantage de relations avec l'ASEAN et s'implique dans des partenariats qui permettent de sortir du tête-à-tête Chine-États-Unis. Au cours des derniers mois, notamment du fait de l'affaire des sous-marins avec l'Australie, le comportement de certains de nos alliés prouve la volonté d'installer un tête-à-tête. Les Australiens aujourd'hui ont montré qui ils souhaitent soutenir. La France est un État de l'Indopacifique : elle a donc vocation à travailler avec ses voisins et avec l'ASEAN et nous avons tout intérêt à avoir un certain nombre de soutiens sur cet axe indopacifique. Je reste persuadée qu'entre l'océan Indien et l'océan Pacifique, l'archipel de l'Indonésie est essentiel pour nous. Il s'agit de coopérations lucides et non d'oppositions. Il s'agit de proposer une autre vision et des coopérations dans le Pacifique et dans l'océan Indien qui tiennent compte des valeurs que nous portons et de notre volonté de souveraineté respectueuse.
Sur le volet pêche, je défends une pêche viable. Pour cela, il nous faut davantage d'actions de recherche et d'études économiques et scientifiques pour la pêche durable. Nous avons, sur ce sujet, un programme de biodiversité important avec l'Indopacifique. Nous avons tous à relever les mêmes défis. La France peut partager ses compétences et ses connaissances en matière de biodiversité, de pêche, de suivi et de sécurité et a intérêt à travailler avec toutes ces voix.
M. Dominique de Legge. - Vous avez évoqué les moyens disponibles pour faire respecter notre souveraineté, mais se pose la question de nos moyens et de leur disponibilité réelle. Je songe à nos aéronefs, mais aussi à la vétusté d'un certain nombre de nos embarcations. Le gouvernement s'efforce de remplacer ces matériels, sans doute pas au rythme que nous pourrions souhaiter. Je ne nie pas cet effort. Pour autant, nous sommes dans une logique de remplacement « un pour un ». Les défis que vous avez évoqués, notamment sur le respect de notre ZEE et en matière de trafics en tous genres, me font penser qu'un remplacement ne suffit pas et qu'une augmentation très sensible des moyens est nécessaire, avec des équipements mieux adaptés à la lutte que nous devons mener face aux trafiquants et aux ambitions d'un certain nombre de pays : nous ne sommes plus dans de la « petite rapine » ou dans le simple contrôle de nos frontières et avons face à nous des gens qui ont des moyens de plus en plus importants et qui sont de plus en plus déterminés. Pourriez-vous nous apporter quelques éclairages sur l'évolution des moyens que vous souhaitez voir mis à disposition de ces territoires ?
Mme Annick Girardin, ministre. - J'ai listé les moyens selon les territoires. La loi de programmation militaire représente une hausse de 1,7 milliard d'euros au cours de la dernière année. Nous remplaçons la totalité de nos moyens au fur et à mesure de leur programmation. Les technologies évoluent et, au-delà des moyens nautiques, les bateaux gris de la Défense, des Affaires maritimes, des douaniers et de la Gendarmerie sont efficaces. Nous avons des plans de nouveaux navires et nous avons les forces militaires : il faut additionner l'ensemble de ces moyens. Je souligne également la présence de la flotte océanographique sur nos mers et dans nos ZEE : c'est aussi le drapeau français qui flotte sur nos ZEE.
Il faut travailler sur les moyens technologiques de demain et mieux programmer ou mieux prévoir les outils dont seront équipés nos navires. Par ailleurs, le spatial doit être davantage utilisé, car il apporte un certain nombre de réponses assez exceptionnelles. Nous nous dirigeons également vers d'autres types d'actions. J'ai signé le premier permis de navigation d'un bateau téléopéré.
Au-delà de la question des moyens matériels se pose celle des moyens humains. Les actions seront opérées avec des moyens nouveaux : bateaux téléopérés, drones flottants et aériens, du spatial, du radar, etc. Nous avons des capacités à agir en mer très importantes. La police en mer a modernisé l'ensemble de ces patrouilleurs. Le programme 22-25 s'achève et les navires rejoindront leurs bases : il faut s'en féliciter. Nous avons les moyens d'appliquer notre souveraineté et d'assurer le contrôle. De nombreux contrôles sont effectués en Guyane ; j'en reçois régulièrement les résultats. Nous intervenons également aux côtés d'autres pays que nous soutenons dans des zones difficiles, notamment le Golfe de Guinée, où la France est présente aux côtés d'autres forces. Elle n'est pas seule : y compris dans les zones françaises et dans les zones internationales, la France a des partenariats. Nous pouvons également compter sur ces partenariats pour repérer ceux qui sortent de nos zones et ceux qui pourraient avoir été dans des situations de pêche illégales.
Mme Micheline Jacques. - Avez-vous reçu des retours en matière d'aquaculture et de conchyliculture à la suite des appels à projets lancés par le ministère ?
Mme Annick Girardin, ministre. - Sur le plan pêche, plusieurs actions ont été menées. Sur une grande partie de nos territoires ultramarins, notamment les DROM, la politique commune de la pêche, mérite aujourd'hui d'être totalement repensée. Le combat a été difficile pour les territoires ultramarins pour obtenir que la construction de nouveaux bateaux soit financée par l'Europe. En effet, l'Europe a pour objectif que la flotte n'augmente pas. Cependant, les conditions sont différentes dans les territoires ultramarins. Il est enfin possible aujourd'hui de financer de nouveaux bateaux et une nouvelle flotte de pêche pour les territoires ultramarins. Le dispositif est opérationnel, avec une prudence pour les avis administratifs qui pourraient être en cours.
Les questions des quotas, de la connaissance et de la formation sont abordées dans le cadre de la rédaction de la nouvelle stratégie de la politique européenne. Elle comprendra obligatoirement - puisque je le défendrais - un travail mené avec l'ensemble des territoires ultramarins, pour que nous ayons une planification. L'aquaculture est le grand défi alimentaire que nous avons à relever. Une pêche durable avec des moyens durables implique obligatoirement un développement de l'aquaculture, insuffisante aujourd'hui en France et en Europe. Je plaide pour que l'Europe impose des quotas d'aquaculture aux pays européens, sans quoi ils ne réaliseront pas les investissements de départ nécessaires. Les avancées technologiques importantes permettront certainement aux fermes d'être plus rentables demain. Plusieurs projets sont issus des territoires ultramarins (Guadeloupe, Martinique, Réunion, Mayotte). Les territoires du Pacifique ont également des projets d'aquaculture, avec un accompagnement différent, puisque hors du périmètre européen. Des financements existent aujourd'hui à travers plusieurs structures. Nous devons parvenir à soutenir davantage ce secteur d'activité.
La Direction générale de la mer sera créée le 1er janvier 2022. En effet, à sa création, le ministère de la mer n'avait pas une organisation administrative, mais seulement une Direction des pêches maritimes et de l'aquaculture (DPMA) et une Direction des affaires maritimes (DAM). L'ensemble de ces activités sera réuni au sein d'une même entité qui sera donc la Direction générale de la mer (DG Mer). Elle pourra davantage s'organiser pour accompagner l'ensemble des projets ultramarins.
Sur les 50 millions d'euros de budget du plan de relance pêche et aquaculture, 6 millions d'euros ont été consacrés aux territoires ultramarins. Une deuxième enveloppe de 50 millions d'euros a été annoncée par le Président de la République à Nice pour soutenir tous les projets aujourd'hui en stock.
« France vue sur Mer » est une politique de développement du sentier du littoral, à l'origine dénommé « chemin des douaniers ». Elle vise à redonner une dynamique à ce sentier en soutenant toutes les communes et en apportant des réponses techniques aux difficultés qu'elles peuvent connaître : un rocher écroulé, un terrain privé à contourner ou encore des espaces jamais aménagés. Seuls deux dossiers outre-mer ont été soutenus en 2021, en Guadeloupe et à Saint-Martin. J'espère que les projets ultramarins seront plus nombreux avec la deuxième vague de 2022, dont l'enveloppe sera de 10 millions d'euros, contre 5 millions d'euros en 2021. Au niveau national, il existe 5 800 kilomètres de sentiers littoraux. Pour faire le tour de l'Hexagone, il manque 1 200 kilomètres. J'ai demandé qu'un bilan soit établi dans les territoires ultramarins, afin de déterminer ce qui est accessible ou non.
M. Stéphane Artano, président. - Concernant le plan pêche, vous avez fait référence à la politique européenne mise en place. Certains territoires, tels que Saint-Pierre-et-Miquelon, ne font pas partie de l'Union européenne, mais des territoires sont associés. Peut-on imaginer une déclinaison territoriale, quand cela est possible et quand c'est demandé sur ces territoires, par voie de conventionnement entre les autorités de l'État sur le territoire et les collectivités ?
En ce qui concerne France 2030, et pour rejoindre Philippe Folliot, le Président de la République a été assez prudent dans son discours. Il parle effectivement d'exploration. Il ne parle pas de recherche fondamentale pure : on a le sentiment que cette recherche sera au service du développement économique de nos industries, par exemple en termes de santé. Autrement dit, il s'agit d'une recherche scientifique au service des territoires. Le Président de la République a évoqué les ZEE. Peut-on imaginer aller également explorer au-delà des ZEE, en eaux internationales, où se situent les très hauts fonds, jusqu'à 4 000 mètres de profondeur, et où se trouvent les nodules polymétalliques, et notamment l'accès à des métaux rares ? Cela peut impliquer d'engager, dans certaines zones, des négociations avec les États voisins.
Nous sommes tous satisfaits de la recréation du ministère de la mer. L'interministériel est indispensable en la matière. Ne peut-on pas imaginer, pour prendre l'exemple d'autres pays comme le Canada, un ministère doté d'une puissance régalienne ?
Au 1er janvier 2022, une nouvelle étape sera franchie avec la création d'une Direction générale de la mer. Nous devons aller plus loin au niveau français.
Mme Annick Girardin, ministre. - Concernant Saint-Pierre-et-Miquelon, un travail de construction d'une stratégie pêche a été mené par un cabinet mandaté et financé par la collectivité, qui rendra ses conclusions très prochainement. En parallèle, un travail a été mené pour justifier le plan pêche initié par le ministère des outre-mer, qui s'élève à 500 000 euros par an et n'a pas toujours été utilisé à cette hauteur. Il sera certainement renouvelé dès lors que cette stratégie sera finalisée. Je n'ai pas d'inquiétude pour que cela soit finalisé d'ici la fin de l'année et que nous soyons au rendez-vous du soutien nécessaire à la filière pêche et aquaculture de Saint-Pierre-et-Miquelon, sous les différentes formes qui seront sans doute proposées dans les mois qui viennent. Les professionnels ont travaillé avec les pouvoirs publics sur une stratégie future tenant compte des quotas qui peuvent exister sur le territoire, mais aussi de projets qui peuvent se développer y compris au sujet des algues.
Le sujet des grands fonds est aujourd'hui totalement intégré au projet France 2030 et vient renforcer la vision stratégique maritime que le Président de la République a présentée à Nice. Nous ne faisons que commencer à travailler sur le monde de la mer et sur la place de la France dans le maritime. Les travaux d'exploration ne doivent pas écarter l'exploitation : les conditions nécessaires à une éventuelle exploitation devront se construire en même temps que l'exploration. Il est important d'avoir à l'esprit que les grands fonds peuvent se situer dans notre ZEE, dans notre plateau continental quand il est déjà acquis, voire dans les eaux internationales avec l'octroi de permis par l'Autorité internationale des fonds marins. Tout cela a vocation à venir renforcer le plan industriel français. Nos entreprises sont à la pointe des nouvelles technologies liées aux explorations maritimes. Nous pouvons avoir les moyens de l'exploration que nous voulons mener. La France a vocation à créer des partenariats avec d'autres pays européens et d'autres voisins selon les différentes zones. Des travaux sont d'ores et déjà prévus dans le Pacifique en matière d'exploration. Nous disposerons d'ici deux mois de définitions précises de ces actions qui sont menées par le ministère de la mer en coopération avec le ministère de la recherche et de l'enseignement supérieur, et les autres ministères concernés.
Toutefois il s'est avéré nécessaire de construire une « maison commune » : les agents de la Direction des pêches maritimes et de l'aquaculture (DPMA) et ceux des directions des affaires maritimes (DAM) souhaitaient porter le « maillot mer » sur l'ensemble des territoires. Pour être plus efficaces. Pour cela, nous avons proposé la création de la DG Mer, qui sera effective à partir du 1er janvier 2022. Elle ne comporte pas tous les éléments de la politique maritime française, et n'a pas vocation à les porter. Nous devrons la renforcer dans le temps selon l'évolution des dossiers et des missions. La fonction publique se réinvente et travaille davantage en transversal, avec une ligne de commandement et d'exécution claire. La DG mer aura certainement les commandes de missions particulières qu'elle pourra diriger au-delà de son administration, directement avec les territoires ou avec d'autres administrations centrales.
Mme Micheline Jacques. - Compte tenu de la transversalité de votre ministère, quelle serait son implication en matière de dépollution ? Le chlordécone, dans les Caraïbes, constitue par exemple un frein au développement de la conchyliculture alors que les eaux caribéennes sont favorables à cet élevage. D'une manière plus générale, le ministère pourrait-il jouer un rôle dans le cadre de la recherche et l'innovation ?
Mme Annick Girardin, ministre. - Le ministère, qui est nouveau, s'est associé aux travaux sur la question du chlordécone. J'ai travaillé en tant que ministre des outre-mer sur le plan chlordécone IV (2021-2027), qui a été annoncé et financé par différents ministères. Le ministère de la mer ne figure pas dans ce plan. Nous sommes néanmoins partenaires sur la question du développement de la pêche et de l'aquaculture dans le bassin. Quelles sont les nouvelles technologies ? Quels sont les moyens de dépollution ? Quels sont les nouvelles techniques (éventuellement à terre aussi en matière d'aquaculture) ? Comment développer le secteur d'activité de la pêche et de l'aquaculture ? Le ministère de la mer n'intervient pas dans la dépollution directe des eaux, ni dans les moyens et les investissements qui sont faits pour récupérer les algues ramassées sur les territoires. Les sargasses et le chlordécone sont deux sujets que doivent affronter les pêcheurs, trop souvent seuls. Des plans sont en application sur le sujet. Le dernier « Plan sargasses » doit être validé au CIMer. Nous devons pouvoir agir pour les pêcheurs comme dans l'agriculture au sujet des terres polluées, avec des aides aux professionnels et aux entreprises. C'est ce que nous mettons en place soit par les crédits européens soit par d'autres moyens.
M. Stéphane Artano, président. - La prochaine audition plénière de la délégation aura lieu le 4 novembre 2021.
Je vous remercie de nous faire part toutes les contributions écrites qui seront utiles au travail des rapporteurs. Un retour d'expérience au moins partiel sur le déploiement du Plan Ports sera prévu d'ici quelques mois.