Vendredi 8 octobre 2021
- Présidence de M. Bernard Jomier, président -
La réunion est ouverte à 9 h 30.
Situation sanitaire outre-mer - Audition de M. Sébastien Lecornu, ministre des outre-mer
M. Bernard Jomier, président. - Nous poursuivons nos travaux sur la situation des territoires ultra-marins après la quatrième vague épidémique outre-mer.
Je vous remercie vivement, monsieur le ministre, de vous être rendu disponible pour notre mission d'information à laquelle se joignent également les membres de la délégation sénatoriale aux outre-mer.
Début septembre, à l'occasion de la discussion du projet de loi autorisant la prorogation de l'état d'urgence sanitaire dans les outre-mer, vous avez présenté en détail, devant le Parlement, la situation dans chacun des territoires concernés.
Depuis lors, cette situation a évolué. Les indicateurs s'améliorent dans la plupart des territoires, mais demeurent préoccupants dans plusieurs d'entre eux. Les mesures de confinement ont été ou vont être assouplies aux Antilles, à La Réunion et en Polynésie française. La campagne vaccinale se déploie, mais de manière très inégale - la Nouvelle-Calédonie voit son taux de vaccination fortement augmenter. L'exposition à une reprise épidémique reste forte là où le taux de vaccination est insuffisant, notamment dans les Antilles et en Guyane.
Nous souhaitons faire le point avec vous sur les mesures prises face à cette crise, tant sur le plan sanitaire qu'en termes de soutien économique, car les perspectives de reprise sont obérées par des fragilités propres aux outre-mer.
M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer. - La délégation sénatoriale aux outre-mer est très heureuse de participer à cette deuxième audition sur les outre-mer de la mission commune d'information.
Mardi soir, nous avons débattu en séance publique de la situation sanitaire outre-mer. Cela nous a permis de dresser un point d'étape, un mois après la prorogation de l'état d'urgence sanitaire dans la plupart des territoires ultramarins, de souligner les spécificités de chaque territoire et d'interroger le Gouvernement sur les moyens mobilisés pour anticiper et lutter contre les vagues successives. Nous avons aussi abordé de nombreux autres sujets comme les conséquences de l'épidémie sur l'éducation, les évacuations sanitaires, la lutte contre les fausses informations, le maintien ou non du référendum du 12 décembre en Nouvelle-Calédonie.
Nous devrons tirer les leçons de la gestion de la crise, et surtout préparer l'après. Les conséquences économiques seront lourdes pour ces territoires, comme l'a rappelé Marie-Anne Poussin-Delmas, présidente de l'Institut d'émission des départements d'outre-mer (IEDOM), le 28 septembre dernier. La vulnérabilité structurelle de ces territoires fragilise leur reprise.
Le rapport de notre délégation sur l'urgence économique outre-mer en juillet 2020 alertait déjà sur ce sujet et recommandait de faire de la sortie de crise une opportunité pour un modèle de développement plus résilient dans nos territoires.
M. Sébastien Lecornu, ministre des outre-mer. - Merci de m'avoir permis de participer à vos travaux, alors que je suis en septaine en Nouvelle-Calédonie, un an après une quatorzaine...
J'ai une pensée pour les personnes décédées et leur famille. La situation sanitaire est préoccupante dans de nombreux territoires. Les soignants sont mobilisés aux Antilles, en Guyane, dans le Pacifique.
Je remercie le Sénat pour ses travaux de qualité, notamment lors de l'examen du dernier projet de loi de prorogation de l'état d'urgence sanitaire et dans le cadre de cette mission d'information.
Le coronavirus intéresse moins nos concitoyens dans l'Hexagone, où il semble se conjuguer au passé ; mais il se vit au présent pour nos concitoyens d'outre-mer.
Je rappellerai d'abord les mesures de freinage qui ont été prises depuis mars 2020.
À cette époque, elles ont été uniformes sur tout le territoire de la République, y compris dans certains, comme la Guyane, où le virus n'était pas présent. Wallis-et-Futuna, la Nouvelle-Calédonie et Saint-Pierre-et-Miquelon étaient ainsi covid free. Cette coupure brutale a eu des effets importants dans ces territoires notamment insulaires, difficilement connectés.
Les difficultés, dans la gestion de cette crise, sont liées à plusieurs facteurs : les cycles épidémiques en outre-mer n'ont pas été les mêmes que dans l'Hexagone, la géographie, les climats, les saisons étant différents. Dans certains territoires - je pense à Mayotte, cet été en Martinique et en Guadeloupe, désormais en Guyane et en Nouvelle-Calédonie -, la covid a explosé. Cet accordéon a rendu la gestion difficile, y compris pour la connexion avec l'Hexagone. Il y a des flux touristiques affinitaires à gérer, comme les vacances familiales, mais aussi les rentrées scolaires, les arrivées de fonctionnaires... La continuité territoriale est un principe constitutionnel. Au-delà des mesures de freinage interne, des motifs impérieux ont été exigés pour les déplacements, avec tests obligatoires.
Les mesures de freinage ont eu des effets rapides, d'autant que nous étions souvent en avance de phase. Les tests et le traçage ont été importants pour documenter en temps réel la reprise de l'épidémie. Des confinements très stricts ont été mis en place dans certains cas pour casser l'épidémie, dans d'autres pour éviter le démarrage de l'épidémie. Nous avons préfiguré des mesures prises dans l'Hexagone ensuite : en Guyane, nous avons testé le couvre-feu et des mesures différenciées selon les territoires - par exemple entre les zones du Maroni, de l'Oyapock et Cayenne.
Nous sommes partis du terrain - les préfets, les agences régionales de santé (ARS), les élus locaux, la communauté hospitalière. La tension hospitalière a été forte et dans une île, on ne fait pas de miracles. Les renforts hospitaliers ont été sollicités.
Concernant la situation hospitalière, c'est l'offre de soins qui permettra de redonner confiance et garantir la reprise. Jamais, dans l'histoire de la République, autant de renforts sanitaires n'avaient été dédiés à l'outre-mer, et je vous remercie de l'avoir rappelé lors de la discussion du projet de loi sur l'état d'urgence sanitaire : quasiment 8 000 professionnels sont venus - 4 700 réservistes sanitaires de Santé publique France et 3 200 professionnels du ministère de la santé. Actuellement, ils sont surtout présents en Guadeloupe, qui compte 2 000 soignants à elle seule, en Martinique et en Polynésie française. À ceux-ci s'ajoutent l'armée et les forces de sécurité civile. Le service de santé des armées et les services logistiques de la défense sont mobilisés, notamment pour les évacuations sanitaires, particulièrement délicates en outre-mer. Ce n'est pas la même chose que d'en réaliser entre Toulouse et Paris ! Outre-mer, 145 patients ont été évacués, pour un coût de 6,5 millions d'euros. Il y a eu 74 évacuations de Martinique, 63 de Guadeloupe, 8 de Polynésie française - des évacuations sanitaires hors normes et très délicates.
Cette crise a mis en évidence les grandes fragilités du système hospitalier et le retard dans l'organisation de l'offre de soins publique outre-mer. Le Ségur de la santé produira ses effets à terme, mais d'ici là, la covid demeure.
Par exemple, la reconstruction du centre hospitalier universitaire (CHU) de Pointe-à-Pitre n'est toujours pas terminée, car la covid a ralenti les travaux. Les services ont dû gérer la crise dans l'ancien bâtiment. De même, la transformation du centre hospitalier en centre hospitalo-universitaire à Cayenne ne sera effective qu'en 2024 ou 2025. Une remontada importante est engagée outre-mer, mais la temporalité de ces mesures et celle de la gestion de cette crise sont différentes. Le Ségur de la santé outre-mer, c'est 1 milliard d'euros, avec des investissements importants et une revalorisation des salaires des soignants.
Par ailleurs, la vaccination est le point sensible outre-mer, comme je l'indiquais au président Larcher au mois de septembre. Ce n'est pas un problème de moyens. Les outre-mer sont les premiers territoires de la République à avoir reçu dès le 11 janvier des doses importantes de vaccins, notamment Pfizer. C'était un enjeu logistique important avec les supercongélateurs déployés par l'armée. C'était notamment nécessaire en Nouvelle-Calédonie et dans le Pacifique, pour éviter la tentation de recourir aux vaccins russes et chinois, alors que l'État n'est plus compétent dans le domaine sanitaire dans ces deux collectivités autonomes.
La vaccination dans ces territoires dépend de l'acceptabilité du vaccin, de la pédagogie et de l'éducation. Vous avez déjà évoqué les fake news et les débats politiques. Je suis ouvert à toutes les bonnes recommandations. L'État s'est-il trompé dans son approche sociale ? Ceux qui le disent ne précisent pas pour autant ce que serait la bonne approche. Là où les élites ou les organismes de médiation ont fait leur travail, la vaccination progresse. Ainsi, le Congrès de Nouvelle-Calédonie a décidé de l'obligation vaccinale. Ailleurs, la vaccination a été portée par de nombreuses élites culturelles, sociales, économiques, sportives, politiques, religieuses. Dans d'autres territoires, c'est malheureusement moins le cas et les préfets et l'ARS sont en première ligne, avec parfois des menaces de mort inacceptables ; je condamne ces violences, en particulier contre des personnels soignants ayant encouragé la vaccination.
Réussir la vaccination est un enjeu majeur. Elle progresse. C'est une préoccupation majeure en Guyane, où nous avons une épidémie de concitoyens non vaccinés. C'est la même chose en Nouvelle-Calédonie. Les chiffres sont têtus. Nous devons progresser dans « l'aller vers ». Les forces armées sont mises à contribution. Il reste beaucoup à faire. Des vaccinobus sillonnent les routes de La Réunion et les collectivités locales sont également mobilisées.
Le passe sanitaire s'applique sans difficulté à Mayotte, à La Réunion et Saint-Barthélemy. Les gouvernements de Polynésie française et de Nouvelle-Calédonie réfléchissent à sa mise mettre en place. En Guyane et aux Antilles, les confinements sont encore en cours. Saint-Pierre-et-Miquelon est le territoire où la population est la plus vaccinée.
Enfin, l'Insee et les services de l'État mesurent les impacts économiques et sociaux des mesures de confinement.
Les effets de la crise, à court terme, ont été moins importants en outre-mer que dans l'Hexagone, pour différentes raisons, notamment en raison de la surreprésentation de la dépense publique outre-mer, qui constitue une fragilité mais a relativement protégé ces territoires.
La résilience a été plus forte outre-mer en matière agricole. Le premier confinement a montré la dépendance alimentaire. Cet électrochoc a accéléré les transformations, et plusieurs secteurs économiques se sont autoportés pour faire face. Le PIB a reculé de 8 % dans l'Hexagone, mais de 3 à 6 % outre-mer.
Certes, le « quoi qu'il en coûte » a permis d'allouer 6 milliards d'euros à ces territoires : 3,5 milliards d'euros de prêts garantis par l'État (PGE), 1 milliard d'euros pour le fonds de solidarité, 830 millions d'euros de report de charges, et 650 millions d'euros pour l'activité partielle.
Ces aides n'ont pas suivi la même temporalité que dans l'Hexagone. Le fonds de solidarité, qui s'est éteint dans l'Hexagone, se poursuit outre-mer. Certains dispositifs qui ont disparu dans l'Hexagone font l'objet d'accompagnement et sont adaptés tant à la persistance de mesures de restriction qu'à la réalité économique ultramarine : doublement du plafond du fonds de solidarité en Guyane, modification des critères, des seuils, des périodes de référence, notamment car les saisons touristiques ne sont pas les mêmes que dans l'Hexagone...
Les compagnies aériennes ont fait l'objet d'un soutien particulier, et ont bénéficié de prêts et d'aides, notamment du Comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI) qui a pu les recapitaliser, que ce soit Air France ou toutes les compagnies régionales - Air Tahiti Nui, Corsair, Air Austral...
Ma véritable inquiétude ne porte pas sur la manière dont les économies ont tenu, mais sur la manière dont elles vont se remettre de la crise à court, moyen et long terme. C'est tout l'enjeu du plan de relance.
Il y a des différences entre territoires : nous ne devons pas nous lancer dans une usine à gaz, mais accélérer ce qui était nécessaire et qui était déjà prêt. Par exemple, nous nous appuyons sur le BTP en Guyane pour construire les routes dont le territoire a besoin, nous poursuivons la modernisation sanitaire en Guadeloupe avec le CHU, nous aidons la transformation agricole à La Réunion. Nous renforçons aussi la construction de logements, puisque la filière BTP est structurante. Elle dépend souvent du secteur public, que ce soit l'État ou les collectivités.
La Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française et les collectivités d'outre-mer ont reçu des dotations particulières, même si l'État n'est en théorie plus compétent. Nous avons aussi intégré Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Wallis-et-Futuna dans le plan de relance. Les ministres Alain Griset et Jean-Baptiste Lemoyne annonceront prochainement des mesures pour le tourisme en outre-mer.
Les relations avec les collectivités sont encore plus importantes dans la gestion de la crise en outre-mer. La décentralisation y est plus sensible et plus complexe que dans l'Hexagone, en raison de l'éloignement, de la spécificité des ressources fiscales et de compétences différentes. Tantôt région et département cohabitent, tantôt la collectivité est unique. Les collectivités ont un rôle majeur à jouer dans la relance. En 2020-2021, les mesures de soutien que vous aviez votées pour les collectivités se sont appliquées en outre-mer. L'octroi de mer a également été mobilisé. Il est nécessaire d'assainir les finances ultramarines. C'est pourquoi nous avons augmenté la dotation globale de fonctionnement, les aides à l'ingénierie, et amélioré les délais de paiement - ils constituent un énorme enjeu pour les entreprises ultramarines.
Je ne suis pas optimiste sur l'évolution de l'épidémie dans certains territoires où la vaccination est faible. L'épidémie s'éloigne de l'Hexagone, mais nous aurons de longs moments de tension outre-mer avec des stop and go. La vaccination sera un véritable cadenas pour le plan de relance : les investisseurs privés attendent de voir la progression de la vaccination avant d'investir. Nous devons rester vigilants, avec des équipes de soignants qui sont fatigués, tant physiquement que moralement, en raison de l'ambiance et de la question vaccinale.
On ne peut pas déconnecter un territoire ultramarin de son environnement régional, par exemple Saint-Pierre-et-Miquelon du Canada, ou la Guyane du Suriname et du Brésil, que ce soit pour la situation épidémique ou pour l'ouverture des frontières. Cela nous conduit aussi à nous interroger sur notre capacité à entretenir des voies commerciales avec ces territoires, notamment dans le Pacifique.
M. Roger Karoutchi, rapporteur. - Monsieur le ministre, qu'en est-il de l'après, notamment en matière d'installations sanitaires ? La crise que nous vivons, y compris dans l'Hexagone, a mis en lumière le sous-investissement sanitaire dans l'ensemble des territoires ultramarins. Certes, vous avez rappelé les efforts réalisés à Pointe-à-Pitre et à Cayenne.
Avec le ministère de la santé, avez-vous envisagé un plan d'urgence sanitaire comprenant des investissements pour équiper l'ensemble de ces territoires, afin qu'ils puissent gérer la suite ? D'autres problèmes peuvent survenir, et il faudrait éviter de nouveaux transferts, que ce soit de patients ou de soignants.
Vous avez parlé d'économie de soutien et de filets de sécurité liés aux interventions publiques, voire de puissance de la fonction publique dans ces territoires. Mais le tourisme est aussi un élément clé. Les années 2020 et 2021 ont été calamiteuses. Compte tenu du niveau de vaccination aux Antilles et en Guyane, l'année 2022 ne se présente pas bien. Certains territoires demandent à rouvrir, mais les tour-opérateurs sont inquiets. Quelles sont vos perspectives pour 2022 ? Il faudrait que ce secteur essentiel puisse retrouver un peu d'espoir et de dynamisme.
M. Sébastien Lecornu, ministre. - La vaccination représente le meilleur outil de protection sanitaire et de relance économique. Son amélioration participe de la confiance. De fait, les soignants venus de métropole, dont le renfort se poursuit, sont parfois saisis de doutes au regard du faible taux de vaccination dans certains territoires ultramarins.
Oui, monsieur Karoutchi, il faut rehausser, en outre-mer, l'équipement sanitaire. Il convient déjà d'absorber les crédits du Ségur de la santé, et en premier lieu ceux qui visent à restaurer les capacités financières des hôpitaux qui, parfois, ne peuvent pas faire face aux échéances de paiement. Cette situation a des conséquences très concrètes : conscientes de ce risque de défaut, les entreprises de travaux en viennent à gonfler excessivement leurs devis. Il apparait donc indispensable de restaurer la confiance dans la capacité des hôpitaux ultramarins à honorer leurs factures, afin de réaliser les travaux, parfois simples, permettant d'améliorer l'offre de soins et les conditions de travail des soignants. Ainsi, 276 millions d'euros seront consacrés à la restauration de la situation financière des hôpitaux et de leur capacité d'investissement.
Les bâtiments représentent une deuxième priorité. Je veux ici souligner, loin de l'outre-mer bashing auquel nous avons parfois assisté, la qualité des personnels soignants. Si des renforts venus de métropole se sont avérés nécessaires, cela est dû uniquement au trop grand nombre de patients à traiter. Les travaux immobiliers, indispensables, seront financés par une enveloppe de 709 millions d'euros, dont l'utilisation sera prochainement déclinée en liaison avec le ministère de la santé. Seront enfin renforcés les investissements courants, dont le détail sera donné au Parlement.
S'agissant du tourisme, l'application du passe sanitaire et la levée des motifs impérieux de déplacement pour les personnes vaccinées permettent d'envisager une reprise. Les quinze derniers jours de décembre représentent une période cruciale, notamment aux Antilles et à La Réunion. Nous avions déjà réussi à la sauver en 2020 grâce à des campagnes de tests massives. À ce jour, le taux de réservation apparait encourageant. Il faudra cependant maintenir les mécanismes d'aide et de soutien aux entreprises.
Jean-Baptiste Lemoyne travaille à la définition de mécanismes de relance, qui pourraient prendre la forme d'outils de défiscalisation. Nous souhaitons, en particulier, soutenir le développement d'un tourisme durable, autour de la nature et de la gastronomie. La mobilisation des collectivités territoriales et des acteurs du tourisme ainsi qu'une enveloppe de 50 millions d'euros permettront le développement de tels projets. Pour autant, demeure posée la question du coût élevé des billets d'avion.
M. Jean-Michel Arnaud, rapporteur. - Vous avez, avec raison, évoqué le sujet primordial de la vaccination, des difficultés de sa mise en oeuvre en outre-mer et de leurs conséquences sur le plan de relance. Menez-vous une réflexion pour comprendre les blocages à la vaccination dans certains territoires ? Des méthodes se sont-elles avérées efficaces pour les lever ? Comment se déroule la campagne en Nouvelle-Calédonie, où la vaccination a été rendue obligatoire ?
Je vous remercie de vos explications sur le tourisme et sur la question des compagnies aériennes. Dans certains territoires ultramarins, le poids de l'économie informelle demeure élevé. Prenez-vous en compte ce phénomène dans la politique de soutien aux entreprises ? Le Gouvernement a-t-il la volonté d'accompagner la relance par des aides aux ménages les plus précaires ?
M. Bernard Jomier, président. - Je lisais hier un entretien du président de l'Association des maires de France (AMF) qui appelait de ses voeux une loi de décentralisation de la santé pour tirer les conséquences de la crise sanitaire. Ses propos concernent, certes, surtout la métropole, mais ils sont évidemment applicables à l'outre-mer compte tenu des particularités sanitaires de ces territoires. Ainsi, la Nouvelle-Calédonie a-t-elle apporté à la pandémie des réponses différentes de celles qui sont appliquées en métropole. Comment aborderez-vous à l'avenir l'exercice de la compétence santé en outre-mer ?
M. Sébastien Lecornu, ministre. - Cette question est au coeur de notre réflexion collective.
Monsieur Arnaud, la vaccination en outre-mer constitue en partie un échec, dont nos concitoyens sont les premières victimes. Pourtant, des moyens suffisants ont été déployés et des campagnes de communication lancées. À mon sens, cela s'explique par une prise de conscience plus tardive, dans ces territoires, de la gravité de l'épidémie. De fait, en Nouvelle-Calédonie ou en Polynésie française, par exemple, la première vague a été vécue très différemment qu'en métropole et la population s'est trouvée sidérée lorsque, cet été, le taux d'incidence a atteint un niveau invraisemblable. En outre, les fake news circulent largement sur les réseaux sociaux, parfois avec une certaine complicité des journalistes locaux. Ce phénomène irrationnel déstabilise nombre de soignants.
Certains ont voulu opposer la pharmacopée locale au vaccin, comme s'il y avait d'un côté les vaccins venus de Paris - alors qu'ils sont mondiaux - et de l'autre cette pharmacopée : cette opposition est une erreur, il faut en sortir. Enfin, des élites culturelles et spirituelles ont pu avoir tendance à se placer en retrait sur la vaccination, à ne pas s'engager, voire à manifester de la réticence ou du rejet ; ce n'est pas sans danger et nous sommes allés à leur rencontre. Nous le constatons en Nouvelle-Calédonie, le travail des autorités coutumières est décisif, leur présence aux côtés des équipes médicales fait que la campagne vaccinale fonctionne bien mieux.
Il faut comprendre qu'une partie de la population vit dans l'économie informelle, nous en avons tenu compte en faisant preuve de discernement : nous avons adapté nos référentiels, l'important étant de distinguer l'entrepreneur qui fraude de celui qui ne sait pas comment boucler son budget. Les chambres consulaires ont signalé les situations individuelles. Si l'on paie des impôts et des cotisations, c'est pour bénéficier d'une assurance lorsque cela va mal, c'est l'esprit qui sous-tend le principe de la sécurité sociale - nous avons répété ce catéchisme républicain et je remercie les représentants des filières économiques de nous avoir prêté main-forte.
Sur les aides aux ménages, le premier confinement a montré l'importance de l'aide alimentaire, car, avec la fermeture des flux, certains foyers se sont trouvés en grande difficulté d'approvisionnement, nous avons alors débloqué des moyens importants - plusieurs millions d'euros - en matière d'aide alimentaire. L'action du service public de l'emploi, avec les parcours emploi compétence (PEC), a également été très importante pour permettre aux jeunes ultramarins, et aussi aux moins jeunes, de retrouver de l'emploi et donc un niveau de ressources suffisant. Je remercie les collectivités territoriales de s'être engagées dans ce sens, en particulier Cyrille Melchior, le président du conseil départemental de La Réunion.
Faut-il décentraliser davantage les compétences sanitaires ? Comme élu local, je dirais plutôt oui, pour qu'il soit mieux tenu compte de la diversité des situations, mais, en tant que ministre, je crois qu'il faut faire très attention, car nos concitoyens considèrent que la santé est une question quasi-régalienne. L'enjeu est d'ordre national et relève des grands débats que nous devons avoir dans notre pays, en particulier lors des grandes échéances électorales comme celle que nous allons connaitre l'an prochain. Je remarque aussi que les territoires qui bénéficient d'un régime d'autonomie n'ont pas pu faire face seuls à cette pandémie mondiale, pour la simple raison que leur système de soins n'a pas été calibré pour un tel défi. Des questions juridiques se posent pour l'articulation entre les compétences : le sanitaire relève du pays, et donc la décision d'isolement en septaine ou en quatorzaine, mais l'arrêté qui restreint effectivement la liberté de circulation relève du Haut-Commissaire car cela touche aux libertés - cela me conduit à être favorable à un régime de compétences qui s'adapterait à la crise. Une clarification des compétences est donc utile, tout en tenant compte de l'attente de nos concitoyens en matière de santé au titre d'un domaine régalien et de la sensibilité aux questions d'égalité - je reçois des courriers contestant l'obligation vaccinale en Nouvelle-Calédonie au nom de l'égalité dans la République, alors que le principe même de l'autonomie emporte une rupture d'égalité. La Nouvelle-Calédonie vient de décider son déconfinement, les restaurants rouvrent, mais pas certains cultes, nous avons fait le contraire dans l'Hexagone - c'est possible avec le droit actuel.
Mme Nassimah Dindar. - Je salue votre intervention depuis la Nouvelle-Calédonie, ainsi que tous ceux qui défendent la place de la Nouvelle-Calédonie dans la République. Vous avez raison d'aller sur le terrain à l'approche d'échéances très importantes, non seulement pour la Nouvelle-Calédonie, mais pour tous les ultramarins. Je saisis cette occasion pour réitérer ce que je demande depuis trois ans au moins : peut-on réviser le coefficient géographique pour les hôpitaux ? Cela n'a pas été fait depuis dix ans à La Réunion, une révision modifierait les fonds à disposition de l'ARS et permettrait de mieux payer des professionnels qui se sentent abandonner : qu'en pensez-vous ?
La poursuite du plan de déconfinement est liée à la bonne pratique de la vaccination, je salue les Réunionnais qui ont largement participé. Cependant, alors que l'ARS se focalisait sur le covid-19, elle a négligé la dengue, qui tue pourtant sur notre territoire : il y a quatre souches de dengue, dont la dengue hémorragique, qui provoque des morts - il faudrait à tout le moins que l'ARS et les autorités communiquent davantage sur le sujet ; le covid-19 ne doit pas faire oublier les autres risques.
Mme Victoire Jasmin. - Je comprends, monsieur le ministre, que vous êtes sensible à la diversité des situations dans les outre-mer, et je vous en remercie. En Guadeloupe, les réalités n'ont pas toujours été prises en compte par les autorités, je l'ai constaté à maintes reprises, alors que cela est nécessaire pour mieux faire ensemble et aller de l'avant. Je regrette que la contribution que j'ai pu apporter, tant dans le cadre de la commission d'enquête qu'au plan local, n'ait pas toujours été comprise. Maintenant que les élus sont impliqués, que les professionnels sont mobilisés, le moment n'est-il pas venu de développer les contrats locaux de santé (CLS), avec un contenu plus large et plus fort ?
Il faut faire attention à ce que l'on dit de la situation dans les outre-mer. Je peux vous citer l'exemple d'un journal où des infirmières venues en renfort présentent la situation en Guadeloupe à leur retour en métropole : les termes qu'elles utilisent sont très forts, je crois qu'il faudrait mieux préparer les personnels qui viennent au titre de la réserve sanitaire. Oui, il y a beaucoup à faire sur notre territoire, mais on ne peut pas dire ou laisser dire n'importe quoi - je le dis pour avoir été accusée d'être contre le vaccin, alors que je suis vaccinée... La situation est grave et par certains côtés inédite, des médecins sont menacés parce que les autorités disent s'ils sont vaccinés ou pas, ce qui me paraît tout à fait inutile et dangereux, non seulement pour leur personne, mais aussi pour l'exercice de la médecine dans l'archipel, parce qu'il faut savoir que, dans certaines parties de la Guadeloupe, la fermeture d'un seul cabinet médical peut signifier l'impossibilité d'accéder à un médecin pour tout un territoire.
Enfin, il y a les surcoûts, qui sont liés aux réseaux d'approvisionnement, aux sous-traitants, aux intermédiaires. On pointe les difficultés de gestion, le manque d'efficience de l'hôpital. Certes, mais il faut voir aussi le poids de ces surcoûts, en particulier quand les normes changent très fréquemment, ainsi que les matériels et les nécessités de la maintenance. Tout cela est très concret et ne se règle pas de la même façon en métropole ou dans nos territoires. Il importe de prendre en compte ces spécificités, ces problèmes particuliers, sur lesquels nous alertons depuis des années et que la crise sanitaire a mis au grand jour. Il faut maintenant que vous le compreniez et que vous agissiez en conséquence : des CLS larges et ambitieux sont plus que jamais d'actualité ; nous sommes mobilisés, j'espère que nous serons entendus !
M. Pierre Frogier. - Je remercie le Gouvernement et mes collègues parlementaires pour la solidarité nationale dont la Nouvelle-Calédonie bénéficie, une solidarité qui n'a pas été comptée alors qu'approche un rendez-vous déterminant pour les Néo-Calédoniens. Cette solidarité nationale me semble d'ailleurs la meilleure réponse à ceux qui se demandent s'ils répondront par « oui » ou par « non » au référendum. Des responsables du Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) n'ont pas hésité tous ces derniers mois, pour convaincre « leur » population dans la perspective du référendum, qu'il ne fallait pas se vacciner - et ils insistaient avec ces termes : « d'où vient le vaccin ? » et « qu'est-ce qu'il y a dedans ? » Il ne faut pas s'étonner dès lors que l'épidémie ait explosé, en particulier sur la côte Est. Je constate qu'heureusement la courbe s'inverse et que la situation s'améliore - c'est une très bonne chose.
Mme Micheline Jacques. - L'hôpital de Bruyn, à Saint-Barthélemy, est le plus petit Hôtel-Dieu de France. Cette seule structure assure la permanence des soins en proximité, la médicalisation des évacuations sanitaires et la prise en charge de 17 lits d'hospitalisation. En temps normal, le nombre de séjours est important dans une zone peuplée de 10 000 résidents sur 21 kilomètres carrés et fréquentée par 300 000 touristes par an. Cet établissement qui relève de la catégorie des « petits » hôpitaux, ex hôpitaux locaux, doit être considéré non seulement comme un établissement de proximité, mais aussi comme un centre hospitalier de référence pour les consultations de deuxième intention, d'orientation et d'organisation des prises en charge spécialisées.
Le covid-19 lui a imposé de passer à « une troisième médecine » évoquant un travail étroit, mal coordonné entre la ville, l'hôpital, le médico-social et la sécurité civile. Cette épidémie a signé un changement majeur dans l'organisation de l'offre de soins, mettant en évidence des insuffisances administratives, des lacunes organisationnelles et des lenteurs opérationnelles au quotidien qui rendent nécessaires des mesures correctives.
Le déploiement du dossier médical partagé (DMP), une meilleure organisation des filières de prise en charge avec le développement de la télémédecine et des pratiques avancées en dehors de l'hôpital ont manqué dès le début de l'épidémie. L'ensemble des forces vives n'a pas été impliqué. Les activités d'urgence et de consultations externes ont été impactées par la gestion du covid-19. Le rôle de l'établissement en termes de recours aux soins s'est abîmé ; le nombre de séjours a baissé ; la dispersion de l'activité s'est réduite ; la lourdeur des soins a augmenté ; la part de l'activité consacrée aux urgences a augmenté ; la fonction de recours a diminué.
Le sentiment qui est né avec le covid-19 et qui persiste pour les soignants, c'est celui d'une gestion hospitalière approximative, loin des réalités locales avec l'idée d'être empêché de travailler, de progresser, de projeter et de s'améliorer. Il en résulte encore une forme de lassitude.
Après un an et demi, trois questions demeurent : quelle activité hospitalière assurer sur une île de 21 kilomètres carrés ? Quel est le périmètre de l'environnement technique et sanitaire qui permette l'organisation de filières efficaces en période épidémique ? Quel doit être le mode de gestion de l'établissement pour atteindre sécurité sanitaire et équilibre économique ?
Mme Marie-Laure Phinera-Horth. - Je souscris aux propos de Victoire Jasmin, il en va en Guyane comme en Guadeloupe. Je me fais le porte-parole d'un groupe de citoyens engagés dans « La caravane de la liberté », qui m'ont demandé de vous poser quelques questions. Pourquoi les Guyanais n'ont-ils qu'un seul vaccin à disposition, le Pfizer, alors que partout ailleurs plusieurs vaccins sont proposés ? Pourquoi ne sont-ils pas inclus dans l'expérimentation des traitements à base de biothérapie, comme le sont nos voisins guadeloupéens ? Comment feront, ensuite, tous ceux qui ne pourront payer le test, qui ne sera plus remboursé pour les personnes non vaccinées à partir de vendredi prochain : ne craignez-vous pas d'encourager la reprise épidémique ?
Enfin, je vous suggère la mise en place d'un médiateur, entre les autorités et la population, tant la parole publique est mise en doute : qu'en pensez-vous ?
M. Victorin Lurel. - Il faut penser l'après-crise, se placer au-delà de l'urgence. Je souhaite le succès et reconnais l'effort du Gouvernement. Nous allons vivre longtemps avec le virus, des traitements pourraient arriver bientôt, mais un problème de sécurité se pose pour nos soignants. Un sentiment de colère étreint la population : j'ai été traité de nazi parce que j'appelais nos concitoyens à se faire vacciner - ces excès montrent qu'il ne faut pas s'y arrêter, qu'il faut aller au-delà de ces propos politiciens parce que la santé de nos concitoyens est en jeu. Oui, je souscris au plan d'urgence à long terme, on aurait peut-être dû profiter du projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale pour modifier la gouvernance du secteur de la santé ; ce n'est pas simple, mais ce n'est pas impossible - j'espère que nous en débattrons plus avant. Je souhaite un plein succès de vos actions, je ne sais pas quels sont les chiffres précis en Guadeloupe, mais l'enjeu est de taille.
M. Sébastien Lecornu, ministre. - Madame Dindar, un travail a été engagé sur la révision des coefficients géographiques pour les hôpitaux, j'espère que nous en aurons le résultat l'an prochain. L'épidémie de dengue est un point majeur, j'ai oublié de le dire dans mon intervention liminaire : nous avons travaillé sur plusieurs épidémies en même temps, ce qui a rendu notre tâche plus difficile encore. Nous avons maintenu des moyens importants contre la dengue, je tiens les chiffres à votre disposition, notre effort est large et implique aussi, par exemple, la gestion des déchets, qui importe évidemment dans la lutte contre la propagation des virus.
Madame Jasmin, vous avez raison de vouloir mieux associer les parlementaires aux politiques publiques, même si certains demandent à participer, mais ne se rendent pas toujours disponibles ensuite, pour le travail concret - c'est pourquoi je suis favorable à l'idée de rendre publiques les participations aux commissions techniques. Sur les CLS, les choses avancent, des contrats sont signés.
Merci, monsieur Frogier, de vos mots sur la solidarité nationale : effectivement, l'État n'a pas la compétence juridique, mais nous sommes là, pour l'hôpital, pour les vaccins, mais également en soutien financier, par voie de prêt et de subvention. Quelque 4 000 injections ont eu lieu en Nouvelle-Calédonie, donc 3 000 sont des deuxièmes injections, il faut aller au contact de personnes plus éloignées. Les autorités coutumières jouent le jeu, c'est un engagement moral de protection de nos concitoyens.
Madame Jacques, je salue votre engagement pour l'équipement sanitaire de Saint-Barthélemy : j'avais émis un avis de sagesse favorable à votre amendement lors de la loi « 3DS », il faut effectivement travailler sur le périmètre de soins, mieux l'adapter aux situations locales. Ensuite, je salue la signature du CLS, c'est très encourageant. Je vous remercie également pour votre action en faveur de la vaccination, vous avez su donner confiance aux milieux économiques, c'est évidemment très important pour Saint-Barthélemy.
Madame Phinera-Horth, je vous annonce que des doses de vaccin Janssen ont été livrées à La Guyane ; votre demande de ne pas se limiter au Pfizer est donc satisfaite. L'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) a effectivement autorisé l'expérimentation du traitement par anticorps monoclonaux, il me semblait que La Guyane en faisait partie - je demanderai à mon cabinet de vous le confirmer. Faut-il un médiateur entre les autorités et la population ? S'il s'agit de convaincre ceux qui font de la politique sur le dos de la vaccination, un médiateur ne changera rien ; en revanche, pour les publics qui doutent, cela peut être utile, il faut des personnalités aux profils différents pour leur répondre, je suis à votre disposition pour voir comment faire.
Enfin, monsieur Lurel, je peux vous communiquer quelques chiffres concernant la population guadeloupéenne : 26 % ont un schéma vaccinal complet, 46,2 % des soignants en établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), 68 % des soignants libéraux, je demanderai au cabinet d'Olivier Véran de vous communiquer les chiffres dont nous disposons.
M. Bernard Jomier, président. - Merci monsieur le ministre. Je précise à la mission que nous commencerons, la semaine prochaine, un travail par territoire ultramarin, sous la conduite de nos deux rapporteurs, et nous nous rendrons à la Martinique et en Guadeloupe du 17 au 22 octobre. Enfin, nous auditionnerons M. Véran.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 11 h 10.