Mercredi 6 octobre 2021
- Présidence de M. Laurent Lafon, président -
La réunion est ouverte à 09 h 35.
Projet de loi de finances pour 2022 - Désignation des rapporteurs pour avis
La commission désigne les rapporteurs pour avis sur le projet de loi de finances pour 2022 : M. Jacques Grosperrin pour les crédits relatifs à l'enseignement scolaire ; Mme Nathalie Delattre pour les crédits relatifs à l'enseignement technique agricole ; M. Jean-Raymond Hugonet pour les crédits de l'audiovisuel public ; M. Michel Laugier pour les crédits de la presse ; Mme Sabine Drexler pour les crédits du patrimoine ; Mme Sylvie Robert pour les crédits relatifs à la création, à la transmission des savoirs et à la démocratisation de la culture ; M. Julien Bargeton pour les crédits du livre et des industries culturelles ; M. Jérémy Bacchi pour les crédits du cinéma ; Mme Laure Darcos pour les crédits de la recherche ; M. Stéphane Piednoir pour les crédits de l'enseignement supérieur ; M. Jean-Jacques Lozach pour les crédits du sport ; M. Jacques-Bernard Magner pour les crédits relatifs à la jeunesse et à la vie associative ; M. Claude Kern pour les crédits de l'action culturelle extérieure de l'État.
Proposition de loi visant au gel des matchs de football le 5 mai - Examen du rapport et du texte de la commission
M. Laurent Lafon, président. - Mes chers collègues, pour débuter cette réunion, permettez-moi d'accueillir en votre nom, au sein de notre commission, deux nouveaux collègues élus le 26 septembre dernier à l'occasion du renouvellement partiel des sénateurs représentant les Français établis hors de France. Il s'agit de Yan Chantrel, qui a rejoint le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain (SER), et de Samantha Cazebonne, membre du groupe Rassemblement des démocrates progressistes et indépendants (RDPI). Soyez assurés, chers collègues, de nos plus sincères félicitations pour votre élection et de tous nos voeux de réussite dans vos nouvelles fonctions !
Je profite de cette occasion pour saluer le travail accompli au sein de la commission par les deux collègues qui la quittent. Il s'agit d'Abdallah Hassani, qui a souhaité rejoindre la commission des affaires étrangères, et de Claudine Lepage, membre de la commission depuis 2008, particulièrement active et attachée aux questions d'éducation et de francophonie, engagée pour la défense des Français vivant à l'étranger, rapporteur des crédits de l'audiovisuel extérieur de 2011 à 2017 et dont le mandat arrivait à échéance le 30 septembre. Qu'ils soient tous les deux remerciés pour leur participation aux travaux d'une commission qu'ils ont contribué à faire rayonner dans les outre-mer et à l'étranger.
Je vous propose à présent d'entendre le rapport de Thomas Dossus sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant au gel des matchs de football le 5 mai. Je vous rappelle que, sur l'initiative du groupe Écologiste - Solidarité et territoires (GEST), nous examinerons ce texte en séance publique le 14 octobre, c'est-à-dire jeudi prochain.
M. Thomas Dossus, rapporteur. - Nous examinons aujourd'hui la proposition de loi relative au gel des matchs de football le 5 mai qui a été adoptée par l'Assemblée nationale en février 2020. Cette proposition de loi a trait à la mémoire d'évènements tragiques qui sont intervenus il y a bientôt trente ans. Elle pose des questions importantes pour la place du sport dans notre société et sur la notion de drame national et sur la façon de commémorer.
Permettez-moi tout d'abord de revenir sur les circonstances de cette catastrophe de manière factuelle.
Le 5 mai 1992 devait se tenir la demi-finale de la Coupe de France au stade Armand-Cesari de Furiani opposant le SC Bastia à l'Olympique de Marseille. Afin de porter la capacité du stade à 18 000 places, une tribune de 750 places a été détruite pour l'occasion et remplacée par une structure métallique temporaire de 9 300 places.
Malgré les réserves successives formulées par la commission de sécurité sur la conformité des installations, la tenue du match a été confirmée par les instances du football. À ce problème de conformité des installations s'est ajouté un second facteur concernant le respect de la jauge, puisque l'enquête a révélé qu'une « double billetterie » avait été mise en place avec pour conséquence que le nombre réel de spectateurs ne correspondait pas au nombre de places déclarées. Tous les ingrédients étaient donc réunis pour qu'un drame se produise.
Celui-ci ne tarde pas à arriver puisque, si le match devait commencer à 20 h 30, dès 19 heures il apparaît que la tribune provisoire commence à vaciller sous l'action des spectateurs. Elle s'effondrera à 20 h 23, précipitant des milliers de personnes dans un immense fracas, causant la mort de 19 personnes et en blessant plus de 2 300.
Les procès en première instance et en appel qui se sont tenus en 1995 ont permis d'établir des responsabilités graves tant de la part des autorités administratives et sportives que des entreprises qui sont intervenues dans l'installation et le contrôle de la tribune. Toutefois, la réponse pénale n'a pas permis de répondre pleinement aux attentes des victimes, ce qui explique la persistance depuis lors d'une forte attente de leur part et d'un besoin de reconnaissance du caractère national de ce drame.
Les pouvoirs publics ont réagi rapidement afin qu'une telle catastrophe ne se reproduise pas. Des dispositions législatives ont été immédiatement adoptées afin de renforcer le contrôle des installations sportives. La loi du 13 juillet 1992 a ainsi complété la loi du 16 juillet 1984 relative à l'organisation et à la promotion des activités physiques et sportives, en créant un chapitre spécifique à la sécurité des équipements et des manifestations sportives.
La procédure d'homologation des enceintes destinées à recevoir des manifestations sportives ouvertes au public - article L. 312-5 et suivants du code du sport -, ainsi que la procédure relative aux installations provisoires destinées à l'accueil du public comptent parmi les dispositifs et obligations créés à cette occasion.
Par ailleurs, afin de veiller au respect des jauges, la Fédération française de football (FFF) et la Ligue de football professionnel (LFP) ont mis en place des procédures permettant de contrôler l'émission des billets par les clubs.
Depuis 1992, aucun drame similaire à celui de Furiani n'est intervenu en France du fait des dispositions adoptées. Le drame qu'a connu la Corse, par son caractère unique, a ainsi pu conforter l'idée selon laquelle il aurait pu être évité.
Les motivations financières qui ont conduit à maximiser la taille de la tribune pour accroître le plus possible les recettes ont par ailleurs ôté toute place à l'argument de la fatalité dans le déroulement de ces évènements. L'absence de reconnaissance du caractère véritablement national de ce drame n'a par ailleurs pas permis d'apaiser la douleur des victimes et de leurs proches.
Les questions de la mémoire du drame de Furiani et de sa commémoration ont mis du temps à émerger. Lors de leur audition, les responsables de la FFF ont indiqué qu'il n'y avait pas eu de commémoration dans les premières années qui ont suivi l'évènement et que les demandes sont intervenues seulement au début des années 2010. S'est ainsi constitué en 2012, sur l'initiative de la fédération, un groupe de travail associant l'ensemble des acteurs, qui a formulé plusieurs propositions : le gel des matchs les samedis 5 mai, le gel des matchs en Corse tous les 5 mai et l'impossibilité d'organiser la finale de la Coupe de France un 5 mai.
Ces propositions n'ont pas pleinement satisfait le Collectif des victimes, qui demande que plus aucun match ne soit joué le 5 mai sur l'ensemble du territoire. Cette demande s'appuie en particulier sur une déclaration qu'aurait faite le président François Mitterrand lors de son déplacement à Bastia selon laquelle plus aucun match ne devait se jouer ce jour-là. Alors que d'autres modalités de commémoration auraient pu être imaginées - à l'image du décalage de 7 minutes des matchs ayant lieu chaque 15 avril pour rendre hommage aux victimes du drame de Hillsborough qui a fait 89 victimes le 15 avril 1989 à l'occasion d'un match opposant Liverpool FC à Nottingham Forest -, la revendication d'un gel des matchs a pris de l'ampleur ces dernières années dans l'ensemble de la société insulaire et semble aujourd'hui largement partagée, y compris sur le continent, comme en témoignent plusieurs banderoles dans les tribunes de supporters de clubs du continent.
Le dialogue noué en 2012 entre les Collectif des victimes et les instances du football n'ayant pu aboutir, c'est l'État qui a essayé de trouver un compromis. Celui-ci s'est matérialisé par l'« accord du 22 juillet 2015 », qui comporte cinq engagements pris par le secrétaire d'État chargé des sports, Thierry Braillard, à l'égard du Collectif des victimes du 5 mai 1992 : la reconnaissance des évènements survenus à Furiani en tant que « drame national » ; le dévoilement d'une plaque commémorative dans les locaux du ministère des sports le 5 mai 2016 et l'organisation d'une cérémonie annuelle ; le lancement d'une réflexion conjointe aux ministères des sports et de l'éducation nationale visant à promouvoir annuellement au sein des établissements scolaires les valeurs du sport au travers d'actions spécifiques durant la semaine du 5 mai ; la création par le ministère des sports d'un prix annuel dédié à la promotion des valeurs éthiques et citoyennes du sport qui sera remis lors de la semaine du 5 mai ; l'organisation d'un hommage rendu par l'ensemble des clubs de football sur tout le territoire national - minute de silence ou d'applaudissement, port d'un brassard, lecture d'un message, etc. - ainsi que, lorsque le 5 mai tombe un samedi, l'interdiction d'organiser des matchs au niveau national, professionnel et amateur.
Lors de son audition, la direction des sports a indiqué qu'une plaque commémorative avait bien été dévoilée dans les locaux du ministère des sports et qu'une cérémonie annuelle était maintenant organisée. En revanche, les services du ministère ont reconnu que les points 3 et 4 de l'« accord du 22 juillet 2015 » n'avaient pas été mis en oeuvre à ce jour.
Conscients de ce problème, les services du ministère ont organisé en 2019 plusieurs réunions de travail afin de définir les contours d'un « devoir de mémoire renforcé » qui aurait pu prendre la forme d'un « nouvel accord pérenne et réaliste ». Mais la crise sanitaire n'a pas permis à cette démarche d'aboutir.
Par ailleurs, la direction des sports estime que l'intégration du ministère des sports au sein du ministère de l'éducation nationale constitue aujourd'hui une opportunité pour mener des actions communes de sensibilisation comme le prévoyait le point 3 de l'« accord du 22 juillet 2015 ». Les services du ministère considèrent également que le projet de prix annuel sur les valeurs du sport devrait faire l'objet prochainement d'échanges avec l'Instance nationale du supportérisme. Le ministère considère en revanche que les engagements du point 5 sont maintenant bien respectés.
La LFP estime pour sa part qu'« elle applique strictement l'accord du 22 juillet 2015 » et qu'elle n'organise pas de match le 5 mai au niveau national lorsque cette date tombe un samedi et tous les 5 mai pour ce qui est de la Corse.
Les représentants du Collectif des victimes du 5 mai 1992 considèrent pour leur part que la FFF et la LFP n'ont pas pris la mesure des attentes des victimes jusqu'au lancement d'une pétition en 2012. Ils continuent à revendiquer un gel de l'ensemble des matchs tous les 5 mai sur l'ensemble du territoire afin de reconnaître véritablement le caractère national de cette tragédie.
Près de trente ans après le drame de Furiani, l'incompréhension entre le Collectif des victimes et les instances nationales du football reste en réalité entière. Alors que ces dernières affirment en coeur la nécessité de commémorer dignement cet évènement, les représentants des victimes considèrent que rien n'a été fait si ce n'est le gel des matchs en Corse tous les 5 mai.
Concernant la revendication du gel des matchs le 5 mai sur l'ensemble du territoire, les membres du collectif estiment que « le football est une fête et qu'il est impossible de faire la fête et de commémorer Furiani en même temps ». Pour sa part, la LFP considère que le gel des matchs le 5 mai n'est pas une bonne solution, puisque cela revient à se priver d'une occasion de commémorer. La ligue estime même que le gel des matchs reviendrait à favoriser l'oubli du drame de Furiani, en particulier sur le continent, là où la mémoire est moins vive. La FFF préférerait quant à elle que la commémoration du 5 mai soit inscrite dans la loi afin de généraliser, par exemple, le port d'un brassard noir lors de tous les matchs ce jour-là.
La proposition de loi déposée à l'Assemblée nationale par le député Michel Castellani qui a été adoptée en séance publique le 13 février 2020 vise à donner satisfaction à la revendication essentielle du Comité des victimes du 5 mai 1992 tout en circonscrivant suffisamment le gel des matchs pour ne pas créer de difficultés particulières dans la mise en oeuvre de cet hommage.
L'article unique de la proposition de loi crée un nouveau chapitre dans le code du sport dédié à cet hommage. Le nouvel article L. 334-1 prévoit ainsi qu'en hommage aux victimes de ce drame « aucune rencontre ou manifestation sportive organisée dans le cadre ou en marge des championnats de France professionnels de football de première et deuxième divisions, de la Coupe de France de football et du Trophée des Champions n'est jouée à la date du 5 mai ». Le texte prévoit par ailleurs que, lors des autres rencontres qui pourraient être organisées par la FFF, une minute de silence est observée. Un second alinéa précise également que « tous les 5 mai, lors des matchs de football officiels des championnats amateurs, chaque joueur des deux équipes et les membres du corps arbitral portent un brassard noir ».
Que peut-on penser de cette proposition de loi ? Le 5 mai 2022 marquera le trentième anniversaire du drame de Furiani. Cette date symbolique peut constituer un aboutissement et sans doute un apaisement pour l'ensemble des victimes qui attendent une reconnaissance nationale.
Compte tenu de l'impossibilité qui s'est fait jour jusqu'à présent de dégager un consensus au travers d'un dialogue avec les instances sportives puis avec le ministère en charge des sports, il apparaît que le recours à la loi constitue l'ultime espoir pour les victimes d'être entendues. La présente proposition de loi représente donc un rendez-vous important dans l'histoire du drame national de Furiani.
En raison de l'ordre du jour très chargé du Parlement au cours de cette session et des échéances nationales prévues en 2022, le temps est compté pour examiner et adopter cette proposition de loi. Il n'est pas sûr en particulier que cette proposition de loi pourrait continuer à suivre les différentes navettes si elle devait être modifiée par le Sénat à l'occasion de son examen en séance publique le 14 octobre 2021.
Dans ces conditions, le choix qui se présente au Sénat revient soit à adopter conforme cette proposition de loi dans sa rédaction issue des travaux de l'Assemblée nationale, soit à ne pas l'adopter conforme et à prendre ainsi le risque de manquer le rendez-vous du trentième anniversaire du drame de 1992 et de décevoir les attentes des victimes et de leurs proches.
Les débats à l'Assemblée nationale sur cette proposition de loi ont porté notamment sur le fait que l'objet du texte n'entrait pas dans la définition du domaine de la loi. Comme l'a indiqué la direction des sports, le dispositif ne prévoyant pas de sanction en cas de non-respect de l'interdiction de jouer des matchs le 5 mai, la portée juridique du texte est en réalité limitée.
Pour autant, le recours à la loi apparaît aujourd'hui légitime pour au moins deux raisons. Tout d'abord, les manquements qui sont apparus dans l'organisation de cette demi-finale de la Coupe de France ont été trop nombreux et trop graves dans leurs conséquences pour que les représentants de la nation refusent de s'y intéresser. Par ailleurs, l'impossibilité de trouver un compromis dans le cadre d'un dialogue avec les instances sportives et le ministère en charge des sports a fait du Parlement le seul recours possible pour trouver une solution satisfaisante.
L'intérêt à légiférer ayant été rappelé, il convient également de souligner le caractère équilibré du dispositif proposé. L'interdiction de jouer des matchs tous les 5 mai est en effet limitée aux championnats professionnels de ligue 1 et de ligue 2 ainsi qu'aux matchs de la Coupe de France et du Trophée des champions. Cette interdiction ne concerne pas les matchs amateurs ni les matchs internationaux, qu'il s'agisse des matchs de l'équipe de France ou des matchs des clubs français qualifiés dans les compétitions organisées par l'Union des associations européennes de football (UEFA).
Les matchs de ligue 1 et de ligue 2 ayant lieu généralement les vendredis, samedis et dimanches, la LFP a calculé que, d'ici à 2040, seules huit journées de championnats sont appelées à se dérouler un 5 mai lors de ces trois jours de fin de semaine. Il apparaît également que le décalage des matchs sur une autre journée que les 5 mai ne devrait pas poser de difficultés considérables. Il n'y a donc pas d'obstacles techniques ou économiques qui pourraient justifier de ne pas adopter cette mesure de gel des matchs le 5 mai.
En définitive, l'adoption de cette proposition de loi apparaît comme une occasion précieuse de rappeler des principes et de défendre les valeurs du sport.
Cette journée de commémoration doit être à la fois une journée du souvenir du drame et de mémoire en l'honneur des victimes. Mais elle doit aussi constituer un moment privilégié pour réaffirmer la primauté de la vie humaine sur les activités économiques et la recherche du profit. À maints égards, le drame du 5 mai 1992 a constitué une prémisse d'une dérive du « sport business » qui s'est poursuivie depuis sous d'autres formes. L'impact de ce drame sur la législation en matière de sécurisation des grands évènements renforce son caractère national auquel il faut rendre hommage. Dans ces conditions, l'adoption de cette proposition de loi constitue aussi le moyen de rappeler solennellement notre attachement aux valeurs du sport et la nécessité de préserver ces valeurs toujours menacées. L'attente des Corses comme celle du peuple du football dans son ensemble, doit nous conduire à son adoption conforme afin d'en commémorer dignement la mémoire l'an prochain, pour les trente ans du drame.
Je vous propose donc d'adopter cette proposition de loi sans modification.
M. Laurent Lafon, président. - Avant d'ouvrir la discussion générale, j'invite notre rapporteur à nous présenter le périmètre de ce texte.
M. Thomas Dossus, rapporteur. - Je vous propose de définir le périmètre pour l'application de l'article 45 de la Constitution en considérant qu'il inclut à la fois les modalités de reconnaissance du caractère national de certains drames intervenus dans le sport ainsi que les modalités de commémoration de ces mêmes drames.
M. Laurent Lafon, président. - Nous passons à la discussion générale.
M. Julien Bargeton. - Le drame de Furiani concerne non seulement la Corse, mais la Nation tout entière, qui doit se retrouver derrière le souvenir de cet évènement. On ne peut pas dire que rien n'a été fait, puisque plusieurs décisions ont été prises depuis. L'enquête judiciaire a prouvé les manquements graves, dont la primauté donnée à des intérêts de court terme par rapport à la sécurité des spectateurs. La loi du 13 juillet 1992 a créé une nouvelle procédure d'homologation des enceintes destinées à accueillir des manifestations sportives ouvertes au public. Enfin, l'accord du 22 juillet 2015 a constitué un premier pas vers une reconnaissance nationale. Cette proposition de loi nous apparaît comme une avancée supplémentaire dans cette commémoration. C'est pourquoi les membres du RDPI la soutiendront et la voteront.
M. Jean-Jacques Lozach. - Ce texte est lié à l'évènement dramatique du 5 mai 1992 et comprend une dimension mémorielle très forte. Le débat en première lecture à l'Assemblée nationale a porté sur la réponse la plus pertinente à apporter à cette unique revendication portée par le Collectif de défense des victimes du drame de Furiani, à savoir le gel des matchs de football professionnel de Ligue 1, de Ligue 2 et de la Coupe de France. Cette demande est vécue comme une sorte de rattrapage de ce qui aurait pu être décidé bien avant le trentième anniversaire du drame de Furiani. Cette proposition de loi n'est pas complètement satisfaisante, car le rôle du législateur n'est pas d'interférer avec le calendrier des manifestations sportives. C'est même un coup de canif à l'autonomie du mouvement sportif. Mais il serait malvenu de s'en désolidariser eu égard au climat ambiant en faveur du Collectif. Tous les groupes politiques à l'Assemblée nationale ont d'ailleurs appelé à voter ce texte. Et nous ne pouvons laisser passer cette dernière opportunité de légiférer en la matière. J'entends la position de la FFF et de la LFP selon laquelle tout hommage est impossible en l'absence de matchs ce jour-là ; mais rien n'interdit aux clubs professionnels d'organiser telle ou telle manifestation pour commémorer ce drame qui, comme le rapporteur l'a dit fort justement, est d'abord lié à la cupidité humaine. Nous n'avons pas déposé d'amendements sur ce texte et nous le voterons conforme.
M. Jean-Raymond Hugonet. - Ayant un fort penchant pour cette belle région de Corse et pour le football, je me sens particulièrement concerné par cette discussion. Mes pensées vont aux 19 personnes qui sont mortes et aux plus de 2 300 blessés à Furiani. À l'image de ce qui s'est produit durant la guerre de 1914-1918, on ne compte pas un seul village corse qui n'ait été touché par ce drame ! Veillons donc à ne pas minimiser le sujet, qui a des répercussions importantes encore trente ans après. Que nous soyons obligés d'en passer par un texte de loi, cela me révolte, mais nous nous devons de l'examiner. Les avis sont divers, et je m'exprime ici à titre personnel. Mais nous pouvons tous reconnaître, quelle que soit notre étiquette politique, que le sport dans notre pays ne trouve pas sa place ; la présente proposition de loi en est la preuve. Je ne redirai pas qu'il n'y a plus de ministre des sports, mais que l'on ne soit pas capable depuis près de trente ans de trouver une solution concertée entre les familles de victimes, la Fédération française de football et la Ligue professionnelle de football, sous l'oeil bienveillant et indépendant des pouvoirs sportifs, ne fait honneur ni à notre pays, ni aux familles, ni au sport. Je ne partage pas le dernier couplet lyrique du rapporteur et sa condamnation du « sport business », et j'y vois un relent politique déplaisant. Le sport étant devenu un spectacle qui se nourrit du sport amateur, il requiert des moyens importants. C'est plutôt la bêtise et la cupidité qui sont condamnables. Personne n'a été capable de répondre à la demande à ce sujet. Les Anglais, qui ont inventé le football, ont résolu ce problème depuis bien longtemps, en prévoyant une minute d'applaudissements. La meilleure façon de commémorer la mémoire des morts, c'est de jouer au football. J'aurais préféré une autre voie, mais si cette proposition de loi peut apaiser la douleur des familles, toujours aussi forte depuis trente ans, je serai personnellement tenté de la voter.
M. Pierre-Antoine Levi. - Le 5 mai 1992, je m'apprêtais à regarder à la télévision une demi-finale de Coupe de France, et j'ai assisté à une catastrophe qui a marqué l'ensemble du football français. Le bilan humain de ce drame est inégalé en France, et la blessure n'est toujours pas cicatrisée. En visant à interdire les matchs professionnels de Ligue 1, de Ligue 2 et de Coupe de France, cette proposition de loi n'est pas forcément la bonne méthode pour faire vivre la mémoire. En l'espèce, le match était ouvert à tous les clubs amateurs. Pour être cohérents, il aurait donc fallu inclure dans l'interdiction les matchs amateurs. On aurait aussi pu imaginer, comme les Anglais, une minute de silence ou d'applaudissements. Quel plus bel hommage aux victimes ! La loi est un pis-aller qui a choqué nombre de nos concitoyens et de sénateurs, car un accord aurait pu être trouvé entre la FFF et la LFP. Souvenons-nous du drame du Heysel, qui eut lieu à l'occasion de la finale de la Coupe d'Europe des clubs champions le 29 mai 1985 entre la Juventus de Turin et Liverpool, faisant 39 morts et près de 500 blessés. La Juventus l'a emporté, le match n'ayant pas été annulé en hommage aux victimes. Si d'autres catastrophes similaires se produisent, les assemblées ne seront-elles pas saisies en vue de l'interdiction de futurs matchs ? Pour toutes ces raisons, je ne prendrai personnellement pas part au vote, comme la majorité des membres groupe Union centriste (UC). Mais nous ne déposerons pas d'amendements afin de ne pas bloquer le cheminement du texte.
Mme Céline Brulin. - Cette proposition de loi soulève effectivement de nombreuses questions, comme le fait de devoir légiférer sur ce sujet. Certes, depuis trente ans, des avancées ont été constatées, mais elles sont insuffisantes. Et il est assez incohérent de geler les matchs quand le 5 mai tombe un samedi. Les familles des victimes souhaitent un acte fort. Sans parler de « sport business », ce drame est différent de celui du Heysel, car des intérêts mercantiles bien identifiés ont conduit à cette catastrophe - c'est suffisamment rare pour être souligné - et ont empêché jusqu'à présent de trouver un accord. La LFP n'a pas à s'inquiéter, car cette mesure n'entraînera que peu d'effets sur l'économie du sport. Ce qui est inquiétant, c'est d'avoir à le préciser. Nous voterons cette proposition de loi, bien qu'elle soit de portée limitée et risque de susciter de l'incompréhension. Il faut marquer le coup en saisissant cette dernière occasion.
M. Bernard Fialaire. - Je fais partie de ceux qui étaient devant leur écran de télévision le jour du drame de Furiani. Nous avons un peu l'impression d'avoir un couteau sous la gorge pour voter conforme la proposition de loi. Le sport doit permettre à la jeunesse, outre le développement de ses capacités physiques, la prise de conscience des règles communes à respecter. Face au comportement de certains supporters, voire de joueurs, on se rend compte qu'il y a encore beaucoup à faire. Toutes les initiatives en ce sens sont les bienvenues. Le sport devient effectivement une économie, qui exige un comportement responsable de la part des dirigeants et de ceux qui en tirent des profits. Or Furiani a été le théâtre de tricheries évidentes. Au groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen (RDSE), nous mesurons les souffrances endurées par les victimes et par leurs proches, mais nous estimons disproportionnée une loi particulière sur le gel des matchs le 5 mai. Il nous reste toutefois une dernière étape à franchir pour que les responsables trouvent un accord avec le Gouvernement pour que nous n'ayons plus à nous prononcer en la matière. En conséquence, la grande majorité d'entre nous ne participera pas au vote ou s'abstiendra.
M. Jacques Grosperrin. - J'entends que cette demande résulte d'une souffrance persistante depuis plus de vingt-huit ans, mais elle provient avant tout de la Corse. Nous sommes mal à l'aise, car si nous aimons cette région, toutes les autres pourraient également demander au Parlement de légiférer pour les drames intervenus à tel ou tel endroit. Les élus n'interviennent-ils pas à la place des Corses eux-mêmes ? En outre, cette proposition de loi devrait aussi concerner le football amateur. Enfin, le gel des matchs empêche le devoir de mémoire, contrairement à la minute de silence, au brassard noir ou à l'explication pédagogique sur un symbole national. C'est la Fédération qui aurait dû prendre ses responsabilités. En effet, si les tribunes de Furiani ont été louées par une structure située à Besançon, son chef d'entreprise a déploré le non-respect du cahier des charges par les installateurs en Corse. Je ne veux pas remettre en cause cette proposition de loi face à cette souffrance si forte, mais les méthodes que j'ai évoquées auraient pu être préférées au gel des matchs. Je n'ose pas croire que ce texte ait un lien quelconque avec la prochaine élection présidentielle ; la souffrance des Corses ne le mérite pas ! Mais dans la mesure où elle intervient vingt-huit ans après le drame, on peut s'interroger.
M. Stéphane Piednoir. - Je salue le travail du rapporteur. Mon incompréhension est totale, non pas sur les motivations de cette proposition de loi, mais sur sa traduction législative. On nous reproche de faire trop de lois, et je crains que ce ne soit une nouvelle illustration de cette inflation législative. Les causes du drame ont été parfaitement identifiées, avec une affluence hors-norme et des conditions de sécurités bafouées. Ce qui primait en 1992, c'était non pas la rentabilité, mais le plaisir des supporters avides de spectacle en cette demi-finale de Coupe de France entre le SC Bastia et l'Olympique de Marseille. Des mesures ont été prises depuis cette date ; elles ont visiblement été suffisantes, puisqu'aucun nouveau drame ne s'est produit. Mais le risque zéro n'existe pas. De plus, rien n'efface la douleur des familles et de tous les amateurs de football. Mais quelle idée incongrue de vouloir leur rendre un hommage muet, confiné, pour verser dans l'oubli un évènement qui a marqué toute la France ! Je préférerais que la FFF et le ministre des sports prennent leurs responsabilités. Cela pourrait passer par la mise en oeuvre d'actions pédagogiques dans les écoles, par des applaudissements lors des matchs le week-end du 5 mai ou le port d'un brassard. Il existe tant de façons de perpétuer cette mémoire auprès des jeunes générations. Geler une journée dans le calendrier professionnel n'empêchera pas les jeunes joueurs de jouer d'autres matchs en division départementale ou régionale. Je voterai contre ce texte, car l'amour du sport dépasse les considérations électorales...
M. Olivier Paccaud. - Je m'interroge également sur la pertinence de la solution proposée. Comme tous les passionnés de football, j'ai vécu le drame du 5 mai 1992 en direct devant mon poste ; je me souviens du bruit lorsque la tribune est tombée, de l'agression de Thierry Roland. Plusieurs évènements encore plus coûteux en vies humaines s'étaient produits au Royaume-Uni, à Bradford et à Sheffield. Les leçons en ont été tirées. Il ne faut pas oublier, mais pour faire vivre le souvenir, quelle est la meilleure des commémorations ? Celle qui est la plus pédagogique. Se taire ou ne rien faire est à mon avis la moins bonne des solutions. Il est essentiel que les évènements soient rappelés, notamment lors de chaque match qui aura lieu à la date anniversaire, par les éducateurs sportifs, les arbitres, lors de matchs professionnels ou amateurs. Je ne voterai pas non plus cette proposition de loi tout en étant pleinement solidaire de la douleur de ces familles corses.
M. Thomas Dossus, rapporteur. - Je partage certaines de vos réserves, mais des précisions s'imposent sur certains points. Certes, depuis ce drame, des lois ont encadré l'organisation des spectacles. Mais c'est parce que la FFF et la Ligue n'ont rien fait ou si peu que nous sommes obligés d'en arriver là. D'ailleurs, le Collectif des victimes a été créé vingt ans environ après le drame, car la situation n'évoluait pas. Et les journalistes, pourtant attentifs aux messages envoyés par la FFF ou par la Ligue, ont déploré l'absence de devoir de mémoire le 5 mai. Cette proposition de loi est donc aussi une réponse au risque d'oubli par des actions concrètes et des commémorations qui auront lieu à la place des matchs ce jour-là. C'est l'option portée par le Collectif des victimes et notre groupe. Dans la mémoire collective, le sport renvoie aux grands matchs de football, aux derbys, aux rencontres festives. En font aussi partie les drames comme Furiani. Il est important d'entretenir la mémoire de tels évènements. Tel est le sens de cette proposition de loi. Des voies d'amélioration sont à explorer sur les actions pédagogiques prévues par l'accord du 22 juillet 2015, car elles n'ont jamais été mises en oeuvre.
EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE
Article unique
L'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi est adopté sans modification.
La réunion est close à 10 h 25.