Mercredi 6 octobre 2021
- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -
La réunion est ouverte à 10 heures.
Audition d'experts français du Groupe d'experts intergouvernemental (GIEC)
M. Jean-François Longeot, président. - Nous ouvrons aujourd'hui un cycle d'auditions consacré à la vingt-sixième conférence des parties des Nations unies pour le climat (COP 26), qui se tiendra à Glasgow en novembre prochain. La COP 26 sera la conférence des parties la plus lourde d'enjeux depuis l'adoption de l'accord de Paris de décembre 2015. Après les échecs de la COP 24 de Katowice et de la COP 25 de Madrid, la COP 26 doit permettre de trouver un consensus sur plusieurs points indispensables à l'application effective de l'accord. Glasgow devra être la COP du relèvement de l'ambition des États et constitue de ce fait un test majeur de la robustesse du dispositif créé à Paris en 2015.
Dans le cadre de ces travaux, nous entendrons la semaine prochaine l'ambassadeur climatique de la France, M. Stéphane Crouzat. Nous échangerons également en commission sur la position française lors des négociations à venir, dans la perspective de l'examen en séance publique d'une résolution consacrée aux négociations internationales sur le climat. Enfin, je rappelle qu'une délégation de notre commission se rendra sur les lieux de la COP, à Glasgow, en novembre prochain, avec un double objectif : représenter le Parlement français et assurer un suivi des négociations en rencontrant les acteurs clés de la diplomatie climatique.
Pour amorcer ce cycle d'auditions, nous sommes très heureux et honorés de recevoir aujourd'hui plusieurs experts français ayant participé aux travaux du groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC). Nous accueillons donc aujourd'hui, pour la deuxième fois depuis que je préside cette commission, Mme Valérie Masson-Delmotte, coprésidente du groupe de travail n° 1 du GIEC, M. Christophe Cassou, directeur de recherche au CNRS-Cerfacs (Centre européen de recherche et de formation avancée en calcul scientifique), M. Hervé Douville, ingénieur en chef des ponts, des eaux et des forêts, directeur de l'équipe Variabilité-détection-rétroactions au sein du groupe Climat au Centre national de recherches météorologiques et M. Laurent Terray, chercheur senior en modélisation du climat et de son changement global.
L'audition se focalisera sur la publication en août dernier du premier volet du sixième rapport du GIEC, intitulé Changement climatique 2021 : les éléments scientifiques. Deux autres volets sont encore attendus pour 2022 : ils porteront respectivement sur les conséquences du réchauffement climatique et sur son atténuation. Ce premier volet est le fruit d'un travail scientifique colossal, ayant réuni 234 auteurs, synthétisant 14 000 articles scientifiques ; plus de 78 000 observations ont été formulées par les experts et les Gouvernements avant la publication de ce rapport de plus de 3 000 pages. Qualifié par M. Antonio Guterres, secrétaire général des Nations unies, d'alerte rouge pour l'humanité, ce rapport démontre, plus que jamais, la nécessité de réduire urgemment les émissions de gaz à effet de serre afin de maintenir la température moyenne de la planète à un niveau bien inférieur à 2 degrés, et idéalement à 1,5 degré, par rapport aux niveaux préindustriels.
Nous souhaitons tout particulièrement que soient identifiées les principales avancées dans nos connaissances scientifiques depuis 2014, date de la publication du cinquième rapport du GIEC. Compte tenu de l'importance du sujet qui nous réunit aujourd'hui, nous avons fait le choix d'ouvrir cette audition à l'ensemble des parlementaires de notre assemblée.
Mme Valérie Masson-Delmotte, coprésidente du groupe de travail n° 1 du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat. - Je vous remercie de nous donner l'occasion de partager avec vous l'état le plus récent des connaissances sur les bases physiques du changement climatique, grâce à des progrès considérables réalisés sur chacune des sources d'information que nous mobilisons. Je vais m'appuyer, pour vous le présenter, sur les points clés du résumé à l'intention des décideurs.
Premier constat : nous vivons avec des changements climatiques généralisés du haut de l'atmosphère jusqu'au fond des océans, des régions tropicales aux régions polaires. Ces changements sont rapides, ils représentent une rupture par rapport aux changements précédents et s'intensifient. L'atmosphère est plus chaude, la cryosphère subit un recul généralisé, les modifications de surface affectent la végétation et des changements multiples sont relevés dans l'océan, lequel accumule 90 % de l'énergie supplémentaire emmagasinée dans le climat, ce qui rend le changement observé irréversible à l'échelle de siècles à millénaires.
Le deuxième constat est un fait scientifiquement établi : l'influence humaine a réchauffé le climat. Par rapport à la période 1850-1900, la dernière décennie indique que le réchauffement atteint 1,1 degré à la surface de la planète. Chacune des dernières décennies a successivement été la plus chaude depuis le début des mesures météorologiques. La confirmation du rôle de l'influence humaine est issue de plusieurs sources d'information : la comparaison entre des simulations d'évolution prenant en compte les facteurs naturels et l'influence humaine, comme l'ajout de gaz à effet de serre, l'effet parasol de la pollution ou des changements d'utilisation des terres, d'une part, et, d'autre part, la compréhension de chaque facteur agissant sur le bilan énergétique de la terre. Ces deux sources d'information, indépendantes l'une de l'autre, convergent.
Les facteurs naturels - activité des volcans, du soleil - peuvent faire évoluer le climat d'une décennie à l'autre, mais n'expliquent pas le réchauffement observé sur des tendances à l'échelle du siècle ; le climat connaît aussi une variabilité interne spontanée qui joue de manière importante d'une année à l'autre à l'échelle régionale, mais cela n'explique en rien le réchauffement observé au niveau planétaire. Notre meilleure estimation est que 100 % du réchauffement observé depuis la fin du XIXe siècle est la conséquence de l'influence humaine sur le climat, avec un poids très important dû à l'effet réchauffant des gaz à effet de serre, masqué au tiers par l'effet refroidissant des particules de pollution.
Malgré les fluctuations du climat sur 2 000 ans, le réchauffement actuel constitue une rupture. Nous sommes en train de sortir de la plage de variation des températures de la période chaude actuelle depuis la fin de la dernière période glaciaire. Pour trouver des températures plus élevées qu'actuellement, il faut remonter à la période chaude précédente, il y a environ 125 000 ans. Il s'agit donc d'une rupture par rapport aux variations passées du climat. Le niveau de CO2 dans l'atmosphère est le plus élevé depuis 2 millions d'années, le niveau de méthane atteint quant à lui deux fois le plus haut niveau du dernier million d'années. Le niveau des mers monte, parce que l'océan gonfle en se réchauffant et est alimenté par la fonte des glaciers, du Groenland et de l'Antarctique ; le rythme de cette montée des mers constitue une rupture, alors que le niveau était relativement stable depuis 3 000 ans. À l'échelle planétaire, le recul des glaciers est sans précédent depuis plus de 2 000 ans ; la superficie de la banquise près du pôle Nord à la fin de l'été est la plus réduite depuis plus de 1 000 ans.
Nous avons progressé dans la quantification de chaque facteur lié aux activités humaines. Le plus important est constitué par les émissions de CO2 : 40 milliards de tonnes déversées chaque année dans l'atmosphère. La moitié y reste, une partie entre dans l'océan, contribuant à son acidification, une partie est reprise par la végétation et les sols, mais l'efficacité relative de ces puits de carbone baisserait dans un climat qui se réchaufferait fortement. Le deuxième facteur important se trouve dans les émissions de méthane, qui ont un effet direct et un effet indirect en favorisant la formation d'ozone - un polluant atmosphérique - près de la surface. Les émissions de ces deux gaz sont toujours en hausse, pour le premier en raison de la consommation d'énergies fossiles et de la déforestation, pour le second à cause de fuites associées à l'utilisation d'énergies fossiles, des élevages de ruminants et des déchets.
L'influence humaine est le facteur principal du réchauffement de l'atmosphère, de la montée du niveau des mers, du dégel des sols gelés, du recul généralisé des glaciers, du recul de la glace de mer arctique ou de l'allongement de la saison de croissance végétale et un contributeur majeur à d'autres changements, notamment dans le cycle hydrologique.
Il est incontestable que les activités humaines sont à l'origine du changement climatique et continuent à y contribuer. Une avancée considérable de ce rapport se trouve dans la compréhension de leur rôle dans des événements extrêmes tels que les vagues de chaleur, les pluies torrentielles ou les sécheresses. En effet, l'influence humaine rend ce type d'événements plus fréquents et plus graves. Les extrêmes chauds - comme les vagues de chaleur de juin 2019 en France - sont plus intenses et plus fréquents sur toute la planète. Il en va de même des vagues de chaleur marine, très dommageables aux écosystèmes marins. S'agissant des pluies torrentielles, dans le sud de la France, les études montrent une augmentation des records de précipitations, c'est aussi le cas un peu partout sur la planète. Dans les régions de climat méditerranéen, on observe une intensification des sécheresses en raison de l'influence humaine sur le climat. Autour de la Méditerranée, cela résulte d'une baisse de la pluviométrie en moyenne et d'une augmentation de l'évaporation et de la transpiration des sols.
On note donc de multiples changements concernant des événements extrêmes, mais aussi des changements composites. Les conditions chaudes, sèches et venteuses, propices aux incendies de forêt, augmentent ainsi en fréquence sur des périodes plus longues et dans des régions qui n'en subissaient pas auparavant, en raison de l'influence humaine sur le climat. 'Dans l'océan, cela se caractérise par un réchauffement avec des vagues de chaleur marines plus fréquentes et un mélange moins efficace en surface, conduisant à une perte d'oxygène et à une acidification, facteurs majeurs de stress pour la vie marine et les sociétés humaines qui en dépendent.
S'agissant de l'avenir, nous explorons, dans ce rapport, cinq grandes catégories de scénarii d'évolution des températures couvrant une large palette de situations possibles en termes d'émissions de gaz à effet de serre, de politiques publiques sur la qualité de l'air et d'utilisation des terres. Ces scénarii sont utilisés pour analyser les risques liés au climat''.
'Ces scénarii 'résultent de la combinaison de toutes les sources d'information disponibles issues des observations des climats passés, de la caractérisation de l'effet de toutes les boucles de rétroaction pour contraindre les projections climatiques.
À moins d'une réduction immédiate, rapide et à grande échelle des émissions mondiales de gaz à effet de serre, les objectifs de l'accord de Paris sur le climat - limiter le réchauffement largement en dessous de 2 degrés et idéalement en dessus de 1,5 degré - seront rapidement hors de portée.
On s'attend à ce que le niveau de réchauffement planétaire moyen sur vingt ans atteigne 1,5 degré. D'après les scénarii de très fortes baisses d'émissions de gaz à effet de serre, en agissant maintenant pour réduire massivement les rejets de gaz à effet de serre, il est possible de contenir le réchauffement, dans la seconde moitié de ce siècle, largement en dessous de 2 degrés.
En cas de stagnation des émissions de gaz à effet de serre à un niveau proche de l'actuel, on dépasserait les 2 degrés autour de 2050, 2,1 à 3,5 degrés à la fin du siècle et dépasserait 3 degrés pour le siècle suivant.
S'agissant des émissions mondiales de dioxyde de carbone, les trajectoires permettant de contenir le réchauffement à un niveau très bas - 1,5 degré - impliquent une baisse de plusieurs points de pourcentage par an des émissions mondiales de CO2 et des autres gaz à effet de serre afin d'atteindre la nullité nette des émissions mondiales vers 2050. Cette trajectoire n'est possible que si la baisse démarre le plus rapidement possible.
Chaque fraction de réchauffement supplémentaire amène des tendances particulièrement marquées près de l'Arctique. Nos connaissances des changements de précipitations sont plus limitées que pour ceux des températures, nous savons néanmoins que ces précipitations continueront à diminuer autour de la Méditerranée à mesure du réchauffement planétaire. Au contraire, elles auront tendance à s'exacerber dans le nord de l'Europe et en hiver.
Dans de nombreuses régions, une baisse graduelle de l'humidité des sols s'amplifiera à mesure du réchauffement planétaire, de manière particulièrement marquée sur le pourtour méditerranéen et en Amérique du Sud.
Ce rapport consacre un chapitre entier au cycle de l'eau. Nous faisons le constat que la hausse du réchauffement intensifie le cycle de l'eau à l'échelle planétaire, augmente sa variabilité, en particulier avec des saisons et des événements très humides ou très secs plus sévères. L'anticipation à un climat qui change est un enjeu considérable pour l'adaptation de nombreux secteurs d'activité, comme l'agriculture ou la gestion des forêts.
Ainsi, circonscrire le niveau de réchauffement planétaire permet de limiter l'ensemble des changements qui y sont directement reliés, à savoir : la fréquence et l'intensité des extrêmes chauds ; l'augmentation de la fréquence et de l'intensité des fortes précipitations ; l'augmentation de la sécheresse dans de nombreuses régions ; la proportion des cyclones tropicaux les plus intenses ; l'augmentation disproportionnée d'événements extrêmes composites ; le recul de la banquise près du pôle Nord, du manteau neigeux en moyenne montagne ou des sols gelés en montagne comme en Arctique.
Nous avons constaté que les changements déjà visibles auront tendance à s'accentuer avec la poursuite du réchauffement. Nous avons défini une trentaine d'indicateurs et une synthèse, pour l'ensemble des régions, de la manière dont ces indicateurs vont continuer à évoluer en fonction du réchauffement planétaire.
Anticiper pour se préparer à un climat qui va continuer à changer, c'est regarder l'ensemble de ces caractéristiques que sont les phénomènes graduels et les événements extrêmes. C'est aussi en tenir compte dès aujourd'hui.
Notre rapport souligne à quel point il est important d'articuler les connaissances des acteurs locaux, des acteurs de terrain, avec les connaissances scientifiques pour coproduire une information climatique régionale en appui à la prise de décision.
Pour certains aspects, nous ne pourrons pas revenir en arrière, le changement étant irréversible. Ainsi, le recul des glaciers se poursuivra sur des dizaines d'années, même si le climat se stabilise. L'acidification et l'augmentation de la quantité de chaleur dans l'océan profond se poursuivra également sur des siècles, tandis que l'ajustement du Groenland et de l'Antarctique s'effectue sur une échelle de temps de siècles à milliers d'années. Nous savons que le Groenland continuera à fondre pour s'ajuster, néanmoins nous avons une incertitude majeure sur la réponse de l'Antarctique, dont les effets de seuil sont difficiles à caractériser.
Dans tous les cas, il est certain que la montée du niveau des mers va se poursuivre à des échelles de temps de plusieurs milliers d'années. À l'horizon 2050, on s'attend à une augmentation d'une vingtaine de centimètres de montée du niveau des mers. Les événements d'extrême niveau marin, qui se produisaient dans le passé une fois par siècle simplement par la montée graduelle, seront 20 à 30 fois plus fréquents dans le monde.
En fin de siècle, la montée du niveau des mers dépendra radicalement des émissions de gaz à effet de serre à venir, les valeurs allant de 30 centimètres à un mètre. Une dislocation de certains secteurs de l'Antarctique pourrait ajouter environ un mètre supplémentaire.
Une ressource de la NASA basée sur des marégraphes - nous avons plusieurs stations en France - permet de projeter nos estimations d'évolution de montée du niveau des mers à l'échelle régionale pour rendre ces informations plus facilement accessibles.
À l'horizon 2300, si le réchauffement se maintient en dessous de 2 degrés, la plage de montée du niveau des mers ira jusque 3 mètres, mais se situe bien plus haut en cas de fort réchauffement. Si le réchauffement est limité à 3 degrés sur 2 000 ans, la montée du niveau des mers sera de l'ordre de 4 à 10 mètres. C'est dire les conséquences à très long terme des émissions actuelles.
Si on borne le niveau de réchauffement planétaire, on freine l'intensification des extrêmes et on limite la vitesse et l'amplitude de la montée du niveau des mers sur des échelles de temps très longues. Cela se fera à condition d'agir de manière très importante dans les années et les décennies à venir. Ce rapport confirme une relation étroite entre le cumul des émissions mondiales de dioxyde de carbone passées, présentes et futures et la hausse de la température au niveau planétaire.
D'un point de vue géophysique, le principal facteur pour limiter l'évolution du climat est de limiter ce cumul des émissions mondiales de dioxyde de carbone. Tant qu'elles ne seront pas à zéro, le climat continuera à dériver et ses conséquences seront amplifiées.
Pour limiter le réchauffement de la planète, il est nécessaire de réduire fortement les émissions des autres gaz à effet de serre telles que le dioxyde de carbone, en particulier le méthane, gaz à effet de serre à durée de vie courte et doté d'un pouvoir de réchauffement important. Réduire les émissions de méthane permettrait de compenser la perte de l'effet refroidissant des particules de pollution, d'avoir des politiques publiques cohérentes pour améliorer la qualité de l'air - c'est donc un enjeu majeur de santé publique - mais aussi de limiter le réchauffement climatique.
Quelques années de baisses importantes de gaz à effet de serre entraîneraient des effets perceptibles sur les concentrations de gaz à effet de serre et la qualité de l'air par rapport à des scénarii de fortes hausses d'émissions. Le délai entre une action coordonnée considérable et ses bénéfices visibles serait d'environ vingt ans.
Le climat que nous connaîtrons à l'avenir dépend donc des décisions que nous prenons maintenant. Nous fournissons, dans ce rapport, des informations spécifiques à chaque région, pertinentes pour être intégrées dans le cadre de stratégies d'adaptation et de gestion de risques. Pour l'Europe, il est attendu un réchauffement à un rythme plus élevé que la moyenne mondiale.
Des effets importants sont également attendus sur la disponibilité en eau : tendance à la hausse des pluies en hiver en Europe du Nord et baisse des précipitations estivales autour de la Méditerranée et en Europe de l'Ouest. Nous soulignons également la poursuite de la hausse des événements extrêmes liés au niveau des mers avec des enjeux majeurs pour le littoral, des bouleversements qui vont se poursuivre dans les zones de montagne avec le recul de l'enneigement, le dégel des sols gelés et des glaciers.
M. Jean-François Longeot, président. - Nous vous remercions pour les précisions fournies.
Nous l'avons bien compris : les événements futurs dépendront de ce que nous faisons ou ne faisons pas maintenant. L'avenir se prépare aujourd'hui.
M. Stéphane Demilly. - Antonio Guterres se montre fort pessimiste sur l'issue de la COP 26, pourtant présentée comme le sommet le plus important depuis celui de Paris. Le président de la COP n'est guère plus encourageant.
Et pour cause : une cinquantaine de pays, dont la Chine et l'Inde, n'ont pas remis à l'ONU le rapport prévu sur leurs nouveaux engagements. Quant aux pays dits du Nord, leurs engagements en matière de soutien aux politiques climatiques des pays du Sud paraissent bloqués à 80 milliards d'euros, loin de l'objectif de 100 milliards d'euros.
L'accord de Paris est contraignant, a-t-on beaucoup entendu. Au-delà de la contrainte morale, que risquent concrètement les pays qui ne respectent pas leurs engagements ?
M. Bruno Rojouan. - Avec la hausse de la population mondiale et les nouveaux usages, un risque de black-out électrique pèse sur nous comme une épée de Damoclès.
La France a de grandes ambitions en matière d'électricité d'origine renouvelable, mais, dans la ruralité, les réticences à l'implantation d'éoliennes sont de plus en plus fortes, notamment pour des raisons de pollution visuelle et sonore tout à fait compréhensibles.
Le nucléaire dont nous disposons est une force. Le bilan de Mme Merkel, qui y a renoncé, est loin d'être fameux en matière d'émissions...
Quel regard portez-vous sur notre mix énergétique ? Que proposez-vous pour innover en la matière sans dégrader le bilan carbone que le nucléaire nous assure ?
Mme Angèle Préville. - Les indicateurs sont au rouge depuis longtemps, et le dernier rapport du GIEC confirme ce constat alarmant : l'activité humaine est responsable d'un dérèglement climatique d'une ampleur sans précédent.
À chaque rapport, l'émotion est vive, mais il paraît encore possible d'agir pour endiguer ce dérèglement et en contenir les effets. Cette fois, il semble qu'un seuil critique ait été dépassé, avec des conséquences irréversibles...
Le scénario du pire est-il devant nous ? Une planification de l'adaptation au changement climatique ne serait-elle pas souhaitable ?
Mme Nicole Bonnefoy. - Alors que la responsabilité humaine dans le dérèglement du climat est incontestable, les enjeux de la COP 26 sont considérables.
La crise de la covid l'a bien montré : quand la nature est malade, l'humanité l'est aussi. Nous devons donc penser différemment le monde d'après, notamment pour préserver le climat, l'air et l'eau.
Dans cet esprit, j'ai déposé, avec les sénateurs de mon groupe, une proposition de loi constitutionnelle visant à consacrer la notion de biens communs de l'humanité. Nous devons encadrer la liberté d'entreprendre et le droit de propriété, car la sacro-sainte loi du marché entraîne d'importants dégâts environnementaux et sociaux.
Que pensez-vous de cette idée de protéger les biens communs mondiaux, à rebours du modèle actuel fondé sur le PIB comme unique référence ?
M. Laurent Terray, chercheur senior en modélisation du climat et de son changement global. - En France, le réchauffement atteint aujourd'hui 1,86 degré en moyenne - il est plus élevé en été et en automne. Les températures augmentent de 0,4 degré par décennie, soit deux fois plus vite qu'au niveau global.
Dans le scénario de stagnation, le réchauffement atteindrait en France 4 degrés en valeur annuelle.
La précision des modèles globaux n'est pas toujours suffisante pour fonder les politiques locales. Des modélisations plus fines sont en cours, ainsi que d'autres travaux de projection - à Météo France, par exemple.
Nous avons besoin de maintenir un réseau d'observation de qualité, ainsi que des moyens suffisants de calcul et de stockage de données.
Il importe de diffuser ces informations, mais aussi de les coproduire avec les acteurs de terrain. Les structures et mécanismes permettant cette coproduction doivent être renforcés.
Sur le mix énergétique, n'opposons pas les énergies les unes aux autres. Comme citoyen, je pense qu'il vaut mieux préserver nos forces - même s'il est problématique d'avoir à gérer des déchets radioactifs à longue durée de vie.
Aux États-Unis, mais aussi ailleurs, les investissements dans le solaire dépassent aujourd'hui ceux dans le fossile. Ce sont des exemples dont nous pourrions nous inspirer.
M. Hervé Douville, directeur de l'équipe Variabilité-détection-rétroactions au sein du groupe Climat au Centre national de recherches météorologiques. - L'initiative DRIAS-2020 éclaire les implications du changement climatique au niveau des territoires, y compris en outre-mer ; un volet hydraulique sera bientôt publié.
Le changement d'origine anthropique est une lame de fond, mais la variabilité naturelle du climat continuera de jouer au niveau local, parfois pour adoucir le changement, parfois pour le renforcer. Les trajectoires régionales pourront donc être très différentes de la trajectoire moyenne.
Nous avons besoin de stratégies d'adaptation locales des sociétés et des infrastructures. De ce point de vue, il est regrettable que les financements accordés aux pays dits du Sud, en plus d'être insuffisants, soient destinés davantage à l'atténuation qu'à l'adaptation. Aider ces pays à s'adapter est au coeur des négociations de la COP 26.
En ce qui concerne le mix, il faut sortir de l'idéologie et tendre vers nos cibles avec pragmatisme. Ne perdons pas de vue non plus que la meilleure énergie est celle qui n'est pas gaspillée - nos marges de manoeuvre à cet égard sont importantes.
S'agissant enfin du discours alarmiste, il est certain qu'il y a des cibles qu'on souhaite ne pas dépasser, mais il n'y a pas de consensus sur un seuil identifié. Surtout, il n'est jamais trop tard pour bien faire. Le rythme de réchauffement actuel en France - 0,4 degré par décennie - correspond sans doute à une période critique ; il peut ralentir rapidement, si nous sommes suffisamment proactifs pour réduire nos émissions. Ne paniquons donc pas.
M. Christophe Cassou, directeur de recherche au CNRS-Cerfacs. - Pour mesurer l'enjeu, il est utile de se référer aux échelles de temps : le réchauffement actuel nous ramène 125 000 ans en arrière ; mais il faut remonter 2 millions d'années pour trouver une situation similaire à celle qu'entraînerait le franchissement du seuil de 2 degrés ; quant au scénario le plus émissif, il faudrait remonter 30 millions d'années pour lui trouver un équivalent.
Il est toujours intéressant de replacer ces échelles de temps dans l'histoire de l'évolution de l'homme : l'Homo sapiens, c'est environ 300 000 ans, le développement de l'agriculture, c'est 10 000 ans. Dans cette optique, l'adaptation à des niveaux de température que l'Homo sapiens n'a jamais connus s'apparente à un pari hasardeux ; il s'agit véritablement d'une rupture.
Sur le mix énergétique, la question qui se pose est celle des usages et de la sobriété énergétique. Encore une fois, la meilleure énergie, c'est celle que l'on ne consomme pas. En la matière, l'évolution passe par des normes, des encadrements, des réflexions, mais surtout par une approche systémique. On parle beaucoup d'électrification des transports, mais, sans une approche systémique de l'électrification et de la mobilité en général, on passe à côté du problème et on se cantonne à une réflexion cloisonnée.
L'analogie avec la crise du Covid, qui a révélé la très grande vulnérabilité de nos sociétés, est intéressante, mais elle a ses limites dans la mesure où il s'agit d'une crise dont on espère qu'elle s'arrêtera rapidement. Le changement climatique n'est pas une crise : c'est un nouveau monde vers lequel on se dirige. Il faut donc essayer d'anticiper et de se préparer à des changements inédits ; on entre vraiment en territoire inconnu.
J'en viens à la COP 26. On parle beaucoup de la Chine et de l'Inde, qui contribuent aujourd'hui de manière importante aux émissions de gaz à effet de serre ; or, ce qui compte, c'est le cumul des émissions de CO2 dans l'atmosphère. De ce point de vue, la France et l'Europe ont une responsabilité : l'Europe contribue à hauteur de 22 % des émissions cumulées. En la matière, la France est au huitième rang. Il ne faut pas occulter cette responsabilité historique.
C'est ce cumul des émissions actuelles qui déterminera les émissions futures et l'impact des prochaines décennies sur le climat. Il faut donc bien une approche systémique et ne pas se concentrer sur un seul indicateur.
Mme Valérie Masson-Delmotte. - Concernant les contributions volontaires des différents pays dans le cadre de l'Accord de Paris, après des premiers engagements en 2015, la deuxième salve de contributions nationales, attendue en 2020, arrive cette année ; il manque encore les engagements de certains grands pays comme l'Inde ou la Chine. 'La somme des nouvelles contributions nationales faite par la convention-cadre des Nations unies suggère que les émissions mondiales de gaz à effet de serre continueraient à augmenter à l'horizon 2030. On n'a pas encore le suivi de la réalisation des engagements précédents, mais vous savez que la France n'a pas respecté son premier budget carbone et a revu à la baisse son ambition pour le deuxième dans le cadre de sa Stratégie nationale bas-carbone (SNBC).
Il est difficile de coordonner les lois avec l'ampleur de l'effort à accomplir pour atteindre la baisse d'émissions attendue dans le cadre de la SNBC. D'ailleurs, celle-ci n'est pas réalignée avec la révision à la hausse de l'objectif européen de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Au regard du droit international, chaque pays a la responsabilité de tenir ses engagements ; il s'agit d'être à la hauteur, de manière coordonnée, des objectifs de l'accord de Paris sur le climat pour limiter le réchauffement largement en dessous de 2 degrés d'ici à 2030. Vous le savez, on n'y est pas.
Certes, des avancées existent, qui sont le fruit de l'effet cumulé des engagements des différents pays. Les scénarios de fortes émissions de gaz à effet de serre sont maintenant jugés moins plausibles, en particulier en raison des réorientations de financement hors du charbon et parce que certaines manières de produire l'électricité bas-carbone deviennent tout à fait compétitives. Pour autant, on n'a pas encore atteint un rythme d'action efficace permettant de s'assurer de tenir les objectifs de l'accord de Paris sur le climat.
Cet accord est-il contraignant moralement ou juridiquement ? Il incombe aux juridictions de chaque pays d'en tenir compte. Aux Pays-Bas, en Allemagne, en France, les juridictions nationales tendent à s'assurer que les pays tiennent leurs propres engagements.
La France a globalement une électricité décarbonée depuis les années 1970. Cette spécificité n'a rien à voir avec le climat : elle est l'héritage d'une vision stratégique d'indépendance énergétique. De ce fait, en matière de maîtrise des émissions de gaz à effet de serre, notre situation diffère de celle des autres pays. En France, le premier poste, ce sont les transports ; viennent ensuite à parts égales l'industrie, le bâtiment et l'agriculture, c'est-à-dire des secteurs plus diffus. La France est donc aux avant-postes pour construire une action en direction de ces postes diffus.
La France se distingue également par le poids de ses importations - 50 % de plus par rapport aux émissions émises sur le territoire national. Comme le souligne le Haut Conseil pour le climat, dont je fais partie, des leviers d'action existent tant sur les chaînes de valeur que sur les accords commerciaux. Ces leviers méritent d'être davantage activés à l'échelle de l'Union européenne.
Il faut conserver l'électricité bas-carbone en s'assurant de construire des filières dans les secteurs les plus porteurs, qui créent de l'emploi et puissent s'exporter, et en faisant en sorte que cela soit le moins cher possible pour le consommateur. À mon sens, c'est plutôt une question de coordination et de réflexion.
Je tiens à insister sur les enjeux croisés du climat et de la biodiversité qui ont été soulignés par un récent rapport commun du GIEC et de l'Ipbes (Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services). Une attention particulière doit être portée à ce qui touche au vivant, c'est-à-dire la préservation des écosystèmes riches en biodiversité qui permettent de stocker du carbone, mais aussi à l'aménagement du territoire - la préservation des sols agricoles, la gestion des forêts qui font face à des dépérissements. Tout cela joue un rôle considérable dans la SNBC. Il est pourtant difficile de matérialiser cette action croisée entre le climat et la biodiversité sur les puits naturels de carbone.
Les carottes de glace montrent, sur 800 000 ans, à quel point la perturbation humaine est une rupture sur la composition en gaz à effet de serre. Il faut remonter encore plus loin dans l'histoire géologique de la terre pour trouver d'autres situations inédites : cela se compte en millions d'années. La vitesse de changement est manifeste, nous sommes donc bien face à une rupture très profonde. Les effets sur le climat montrent également que l'on est sorti de la gamme des variations passées.
Hier, le prix Nobel de physique a notamment été décerné à deux brillants physiciens pour des travaux sur le climat qu'ils ont réalisés dans les années 1960, 1980 et 1990. Dans les années 1980, M. Manabe a modélisé les premières simulations climatiques représentant l'océan et l'atmosphère : il avait bien anticipé voilà trente ans ce à quoi l'on assiste aujourd'hui. Voilà qui illustre les prouesses de la physique appliquée au climat et les anticipations qu'elle permet.
Dans les années 1990, on pensait que le changement climatique concernerait des régions très lointaines et les générations à venir. Aujourd'hui, on se rend compte que cela nous affecte tous, quel que soit notre niveau de développement ou de richesse, et que nous ne sommes pas prêts. Il faut donc davantage utiliser ces connaissances scientifiques pour ne pas être à la traîne, mais au contraire anticiper le plus possible.
La crise de la covid a révélé à quel point nous n'étions pas préparés à gérer une pandémie. Cela interroge sur notre vision stratégique en matière climatique, qu'il s'agisse de la cause des problèmes - les émissions de gaz à effet de serre - ou sur la manière d'y faire face, c'est-à-dire la gestion de risques et l'adaptation. Ces questions doivent être envisagées sur le temps long.
Je suis très attachée à la dimension démocratique de l'action pour le climat ; elle est fondamentale. Reste que les principes fondamentaux de notre République ont été construits à un moment où l'on n'avait pas conscience de ces enjeux sur l'environnement, le climat, la biodiversité. Personnellement, je regrette que la Constitution française n'intègre pas la préservation de l'environnement comme un facteur clé pour la vie démocratique et pour le maintien des conditions de vie de toutes les générations.
Enfin, notre rapport souligne à quel point les villes peuvent exacerber l'effet du réchauffement climatique en constituant des îlots de chaleur, notamment la nuit, ou l'effet du ruissellement en provoquant des crues éclair importantes. Par conséquent, l'action pour le climat ne concerne pas uniquement les émissions de gaz à effet de serre, elle passe aussi par l'aménagement du territoire afin d'amortir les effets d'un climat qui change.
Quand on établit des comparaisons avec les autres pays européens, on se réfère toujours à ceux qui en font le moins alors que l'on pourrait s'intéresser à ceux qui font le mieux. Les rapports du Haut Conseil pour le climat soulignent justement ce qui se fait de mieux à l'échelle de l'Europe, par exemple en matière de rénovation des bâtiments ou de systèmes de décarbonation du chauffage. Ainsi, au Royaume-Uni, la décarbonation de l'électricité grâce à l'éolien offshore a été très efficace ces dernières années. Il faut s'en inspirer.
M. Jean-François Longeot, président. - Nos travaux sur le numérique et la proposition de loi visant à réduire l'empreinte environnementale du numérique en France montrent bien que le Sénat a conscience des enjeux de l'anticipation.
M. Joël Bigot. - Sur la question de la responsabilité des États, votre dernier rapport, qui a utilement fuité avant la COP 26 qui se déroulera le mois prochain, donne le ton. Le réchauffement climatique doit être contenu à 1,5 degré si l'on veut éviter une catastrophe climatique. Il faudra donc en passer par certaines décisions volontaristes et vraisemblablement de la contrainte.
La loi « Climat et résilience » a montré les freins puissants à la révolution qui est devant nous : un trop grand nombre d'organisations, de responsables politiques, de groupes d'intérêts, de lobbies ne comprennent pas la nécessité de s'engager maintenant dans la décarbonation de l'économie. Au lieu d'une régulation graduée et planifiée, on s'enferre dans des projets d'expérimentations volontaires et non contraignants pour les secteurs économiques. À ce rythme, on va droit dans le mur !
Par ailleurs, le détricotage du rapport de la Convention citoyenne pour le climat a démontré la force d'inertie dont fait preuve notre pays, alors que la population attend des pouvoirs publics des engagements fermes et clairs.
Avez-vous un avis sur la loi « Climat et résilience » qui vient d'être votée au regard des enjeux et de la trajectoire carbone de la France ?
Vous avez affirmé que chaque tonne de carbone compte. Nos émissions de gaz à effet de serre nous paraissent assez faibles à l'échelon national, mais ces calculs prennent-ils en compte les émissions importées ? N'est-ce pas là l'une des clés pour transformer notre modèle en une économie de la responsabilité ?
Pourriez-vous nous préciser vos analyses concernant les inégalités environnementales et écologiques ? Une transformation profonde de la société va avoir lieu. De votre point de vue, quelles sont les priorités à prendre en compte pour la grande décarbonation à réaliser ?
M. Ronan Dantec. - On aurait aimé que vous veniez nous annoncer que la situation s'améliorait et que tout allait moins vite que prévu...
De rapport du GIEC en rapport du GIEC, le consensus scientifique se dessine et on rencontre de moins en moins de climatosceptiques. Pour autant, le consensus scientifique n'entraîne pas un consensus en matière d'action publique.
Il me semble que votre rapport insiste plus que d'habitude sur la part du méthane dans le réchauffement climatique. Dans la mesure où le méthane produit un effet immédiat et a un potentiel de réchauffement global très largement supérieur au CO2, cela devrait avoir une incidence sur les priorités des politiques publiques : l'action publique de réduction des émissions de méthane devrait être absolument prioritaire, à l'échelle nationale comme à l'échelle mondiale.
Pour autant, de quel méthane parle-t-on ?
S'agit-il du méthane lié à l'exploitation gazière ? Il a été démontré que les fuites liées à l'exploitation du gaz annulaient les gains liés à son utilisation. Par conséquent, la sortie du gaz comme énergie devrait être une priorité, ce qui pose une question stratégique, notamment en France, puisque nous avons investi dans des centrales à gaz pour remplacer nos dernières centrales à charbon.
S'agit-il du méthane de l'élevage ? Cela supposerait l'acceptation sociale d'un discours de réduction massive de l'élevage bovin et de notre consommation de viande bovine.
S'agit-il du méthane naturel ? On s'aperçoit que la fonte du permafrost contribue fortement à de telles émissions.
Si plus personne ou presque ne conteste le constat, dès qu'il est question des causes, des analyses ou des solutions, rien ne va plus !
Par exemple, il est clair qu'au niveau européen les émissions baissent, ce qui est positif, notamment grâce au développement de l'éolien. C'est le grand éolien qui a permis la sortie rapide du charbon en Angleterre - avec la mise en place associée d'une taxation carbone, qui est aussi un élément central pour faire baisser les émissions. C'est l'éolien aussi qui fait que, contrairement à ce qu'on dit, les émissions baissent en Allemagne. Aujourd'hui, la part du charbon baisse en Allemagne, et les Allemands ont réussi à la fois à sortir du nucléaire et à commencer, avec un léger décalage il est vrai, à diminuer leur consommation de charbon. Ce sont là des réalités tangibles, mais nous n'arrivons pas à les retranscrire dans notre débat public, ce qui soulève une vraie question sur la qualité de ce débat public par rapport à la réalité mesurable.
Le GIEC est là pour dresser des constats scientifiques sur l'état du monde, mais on voit bien qu'une partie de la demande qui lui est adressée est aussi de nous dire ce qu'il faut faire. Quelle est la marge de manoeuvre du GIEC ? Il faut mieux quantifier quels investissements sont les plus rentables, préciser ce qui marche. La marge de manoeuvre du GIEC progresse-t-elle ? Le résumé pour décideurs est relu par les États, ce qui en fait un document éminemment politique... La marge de manoeuvre semble rester assez faible. Nous verrons ce qui se passera à Glasgow à l'occasion de la COP 26, mais on sent monter la tension dès que le GIEC sort du constat, parce qu'à l'heure actuelle, il n'y a pas d'accord mondial sur les solutions avec un certain nombre d'acteurs, entre autres les Chinois, qui considèrent que l'effort à faire, l'ajustement structurel pour tenir la réduction des émissions, est insupportable pour leur société. D'ailleurs, la loi « Climat et résilience » en France ne dit pas autre chose, puisqu'elle acte le fait qu'un effort à la hauteur de nos engagements serait insupportable pour l'économie française - et nous en avons débattu au Sénat, sans la modifier fondamentalement.
M. Guillaume Chevrollier. - Effectivement, les rapports du GIEC se suivent et se ressemblent. On voit bien que l'impact de l'homme est sans équivoque, et nous constatons tous, dans nos territoires, les accélérations visibles du changement climatique : encore récemment, des inondations ont lourdement endommagé nos communes.
De l'autre côté, on observe une mobilisation grandissante de la société civile, des jeunes, des associations et aussi des collectivités locales, qui attendent une traduction politique très concrète de la prise de conscience globale.
Il y avait eu, à l'occasion de la COP 21 en France, une mobilisation sur le réchauffement climatique, avec beaucoup d'espérance. Mais ce qu'on attend de ces réunions, ce sont des traductions très concrètes. En France, il y a eu la SNBC. Pouvez-vous nous donner un regard critique sur celle-ci ?
La COP 25 de Madrid a été longue mais sans résultat concluant, sur la question du marché du carbone, sur le fonds vert, ou la question des pertes et préjudices des destructions irréversibles liées au réchauffement, notamment sur le continent africain. Cela apporte un certain discrédit sur les sommets internationaux... À la COP 21, il y avait le leadership français. Où est aujourd'hui le leadership sur les questions climatiques ? Qu'attendez-vous de la France pour la COP 26 de Glasgow ?
Vous avez évoqué les cycles de l'eau, qui seront plus intenses, avec une plus grande variabilité. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce défi très important de la gestion de l'eau, en apportant aussi des précisions sur les différences d'approche entre l'eau douce et l'eau de mer ? Enfin, quel a été l'impact du confinement de la planète sur vos études ?
M. Philippe Tabarot. - Vous affirmez, au regard de l'amplification de la fonte des glaces, que la montée des eaux fait partie des phénomènes qui sont désormais irréversibles. Le niveau des océans a augmenté d'environ 20 centimètres depuis 1990. Selon les différentes études, les littoraux français sont parmi les plus touchés en Europe. Dans les Alpes-Maritimes, le phénomène menace de nombreuses infrastructures, parmi lesquelles l'aéroport de Nice, de nombreux ports, mais aussi des habitations, nos plages, nos îles... Je sais que vous êtes dans l'expertise mais, au vu des moyens qui ont déjà été mis en place, quelles trajectoires nos collectivités peuvent-elles suivre à leur échelle pour anticiper ce danger, protéger, se protéger de cette montée des eaux ?
Le secteur des transports émet à lui seul autour de 30 % des gaz à effet de serre (GES). Le mouvement de décarbonation engagé dans les domaines routier, ferroviaire, aérien, maritime est-il suffisant ? Les potentialités technologiques des motorisations issues de mix énergétique vous semblent-elles des vecteurs intéressants à cet égard ? Si nous sommes en retard malgré le mouvement engagé sur les facteurs technologiques, quelles mesures supplémentaires sont à privilégier ? Sur le tonnage ? La massification ? La limitation des transports ? Il y a aussi le risque de décroissance et de privation de liberté...
Mme Marta de Cidrac. - Dans vos différentes interventions, comme dans le dernier rapport du GIEC, vous confirmez l'urgence d'agir en matière de lutte contre le changement climatique. Les prochains rapports des groupes 2 et 3 du GIEC, sur l'atténuation et l'adaptation, en début d'année prochaine, sont très attendus.
S'agissant des émissions mondiales, on sait que la France est plutôt considérée comme un bon élève, puisque ses émissions représentent autour de 1 % du total. Toutefois, ce chiffre ne prend en compte ni l'effet du nombre d'habitants ni notre empreinte carbone, qui englobe l'ensemble des émissions liées à nos nombreuses importations.
Que peut-on dire des émissions de la France rapportées au nombre d'habitants par rapport à ses voisins ? Avez-vous les chiffres sur ce point ? En prenant comme base l'empreinte globale, que peut-on dire des émissions imputées à la France ? Quels sont les effets d'une réindustrialisation de la France qui pourraient être anticipés en matière de bilan carbone ? Comment conjuguer, mettre en corrélation et en cohérence notre engagement climatique mais aussi cette préoccupation réelle pour notre pays qu'est sa réindustrialisation ?
M. Laurent Terray. - Il y a un énorme avantage à réduire le méthane. Pour le comprendre, il faut aussi parler des particules polluantes. Celles-ci, en effet, ont masqué une partie du réchauffement climatique. Or toutes les politiques sur la qualité de l'air tendent à les faire disparaître ou, en tout cas, à en réduire le plus possible la quantité. Résultat : un réchauffement supplémentaire, qu'on voudrait bien annihiler, justement, par des réductions importantes de méthane.
Il y a aussi un lien, rarement évoqué, avec le développement de l'hydrogène, pour des raisons déjà signalées il y a plus de vingt ans par de premiers chercheurs. N'oublions pas, en effet, qu'un monde où la production d'hydrogène occuperait une place importante, c'est un monde avec des fuites d'hydrogène. Or l'hydrogène réagit dans l'atmosphère avec le radical OH-, qui est lui-même un destructeur de méthane... Ces questions sont cruciales, et très peu étudiées. Ne faisons pas la même erreur : si l'on doit aller vers un monde où l'hydrogène jouerait un rôle important, faisons les études nécessaires, avec des estimations des fuites qui, de toute façon, auront lieu, pour éviter ce problème - qui ne fait que renforcer l'intérêt de diminuer le méthane le plus rapidement possible.
En ce qui concerne la SNBC, vous connaissez les chiffres aussi bien que nous. L'objectif pour 2019-2023 a été réduit. Il va sans doute être satisfait, en grande partie grâce à la covid-19. En effet, on a enregistré une petite baisse en 2019 et, en 2020, une baisse importante liée à la covid-19. Mais le saut quantitatif prévu pour la période suivante 2024-2028, est considérable, tout comme le suivant - sans même tenir compte des réévaluations liées à la révision européenne de l'objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Il faut donc anticiper dès maintenant et mettre en place des politiques publiques qui vont permettre de respecter ces engagements. En particulier, la renégociation de la politique agricole commune (PAC) va certainement jouer un rôle fondamental.
L'objectif de la France est de passer d'environ 400 millions de tonnes à 80 millions de tonnes en 2050. On n'est plus sur une division par quatre, mais sur une réduction par un facteur de 6,8. Face à une telle échelle de changements, si on attend 2040, on n'y arrivera jamais.
Vous évoquez la responsabilité des États, des politiques volontaristes, la responsabilité à tous les échelons de la société... Je crois qu'il va falloir essayer de faire sens commun à tous les échelons : individus, familles, collectivités, États. Le sens commun peut se décliner de manière différente suivant les différents échelons auxquels on se place, et je crois que la responsabilité et l'impact des collectivités territoriales sur cet aspect-là sont centraux.
Je discutais hier avec une jeune femme qui travaille pour un cabinet de conseil sur les achats responsables : elle me disait que la demande explose pour la formation des jeunes ingénieurs, des jeunes communicants, dans toutes les écoles de commerce ou de communication. On sent une véritable montée dans la jeune génération de la prise en compte de ces problèmes. Le changement va aussi venir de là. Ainsi, à Supaéro, un collectif d'élèves vient de se montrer pour décarboner l'aviation. Ceux qui sont à la tête des grandes entreprises françaises ayant recours aux énergies fossiles, comme TotalEnergies, auront du mal à recruter dans les années prochaines s'ils ne montrent pas la volonté d'aller vers une décarbonation profonde de leur système industriel.
M. Hervé Douville. - Je voudrais d'abord tordre le cou à une idée selon laquelle tout cela irait plus vite que ce que nous avions prévu. Ce n'est pas vrai, et les premières projections étaient déjà tout à fait proches de ce qui se passe aujourd'hui. Nous ne pouvons donc pas feindre, nous les scientifiques ou vous les politiques, de découvrir une situation alarmante. Pour autant, ne nous affolons pas : il est urgent de penser et d'agir, mais dans cet ordre-là. Il faut penser sérieusement avant de prendre des décisions qui pourraient conduire à une mal-adaptation ou une mal-atténuation.
Vous évoquez l'idée de zéro émission nette. Les scénarios compatibles avec l'Accord de Paris imposent une réduction drastique, immédiate et prolongée, de nos émissions, mais font aussi l'hypothèse que nous serons capables de mettre en oeuvre des techniques de séquestration du dioxyde de carbone atmosphérique soit à la surface des continents, soit dans les océans. Il faut donc faire attention : les scientifiques sont très enthousiastes lorsqu'il s'agit de parler de solutions, ce qui est plus drôle que de parler des problèmes.
Il existe une initiative française qui a pris une envergure internationale : l'initiative « 4 pour 1 000 ». L'idée est que, si nous étions capables de stocker chaque année 0,4 % de carbone en plus dans les sols, nous serions quasiment capables de compenser nos émissions de dioxyde de carbone. Je crois savoir qu'aujourd'hui l'Institut national de la recherche agronomique est un peu plus prudent et parle plutôt d'une faisabilité à 2 pour 1 000, plutôt qu'à 4 pour 1 000. Bref, nous en sommes toujours au stade de la recherche, en ce qui concerne nos capacités de séquestration du carbone à la surface des continents.
L'eau est un enjeu tout à fait important, à la base de la plupart des dix-sept objectifs de développement durable. Un seul lui est spécifiquement consacré, mais la plupart des autres objectifs ont un lien avec l'eau. Hier, une journée sur le climat et l'eau se tenait à Toulouse, organisée par le Partenariat français pour l'eau. Vous avez évoqué l'importance de suivre nos émissions de dioxyde de carbone à l'échelle nationale. On a redit hier la nécessité d'avoir aussi un tableau de bord sur la consommation de l'eau au niveau national, notamment en ce qui concerne les prélèvements liés à l'agriculture et à l'irrigation. Une mesure précise permet de développer ce qu'on appelle une gestion intégrée de la ressource en eau à l'échelle de nos territoires.
Quelles sont les conclusions du GIEC au sujet de l'eau ? On dit toujours qu'on en sait peut-être un peu moins que sur les températures. En fait, on sait beaucoup de choses sur l'eau. Le climat, ce n'est pas seulement la moyenne, c'est l'ensemble de la distribution possible d'une variable en un lieu donné, sur une période, typiquement, de trente ans. Concernant les températures, on observe essentiellement une translation de la distribution vers des températures plus chaudes, avec une amplification dans la queue de distribution et donc les événements extrêmes. Concernant l'eau, on constate essentiellement un aplatissement de la distribution : il y a à la fois moins de jours de pluie dans beaucoup de régions du globe, et notamment dans le pourtour méditerranéen, mais lorsqu'il pleut, on a des intensités plus fortes. Il y a une concentration dans l'espace et dans le temps des précipitations, notamment dans la zone de convergence intertropicale : cette région, où les alizés convergent et provoquent la convection et finalement la précipitation à l'équateur météorologique, se resserre, quand les régions subtropicales, au contraire, ont tendance à s'élargir, y compris aux dépens des moyennes latitudes. Dans l'hémisphère nord comme dans l'hémisphère sud, les routes dépressionnaires se décalent vers les pôles. La situation étant un peu plus complexe sur l'Atlantique nord, pour des raisons qu'il serait trop long d'expliquer ici, et la gamme de latitudes explorées par les dépressions devient plus fine.
Ce qui pilote l'évolution de la ressource en eau à long terme, ce n'est pas que la précipitation, c'est aussi l'accroissement de l'évaporation. Du fait de l'amplification continentale du réchauffement, la demande évaporative est beaucoup plus forte sur les continents, et donc davantage de transpiration des plantes. In fine, la ressource devient plus volatile, avec davantage de variabilité d'une année sur l'autre, plus de variabilité aussi à l'intérieur même des saisons - ce qu'on appelle dans notre jargon la variabilité intrasaisonnière - et, notamment dans nos régions, une intensification des contrastes saisonniers : on a plus quand on en a déjà assez, et moins quand il nous en faudrait plus. Évidemment, cela pose des défis supplémentaires pour la gestion de la ressource.
M. Christophe Cassou. - S'agissant de la COP, nous attendons simplement le respect des engagements. La neutralité carbone n'est plus un objectif politique, c'est une contrainte géophysique non négociable pour limiter le réchauffement à un certain seuil. Désormais, nous avons besoin de jalons, ainsi que d'une évaluation de ces jalons.
Les techniques de séquestration du dioxyde de carbone ne seront utilisées qu'en fin d'échéance, lorsque la neutralité carbone sera presque atteinte. Elles permettront de compenser les émissions résiduelles, à savoir la partie non compressible. Elles relèvent encore du domaine de la recherche. Je rejoins Cédric Villani sur un point : la technique ne nous sauvera pas. Nous devons réduire rapidement nos émissions de gaz à effet de serre.
Sur la question de l'eau, j'ai participé la semaine dernière à une conférence sur la gestion de l'eau, avec le directeur de l'Agence de l'eau Adour-Garonne. Il a évoqué des années sèches, durant lesquelles les bonnes pratiques, en termes d'agriculture, de gestion des barrages, de réduction des fuites, avaient permis de réduire la consommation d'eau de 30 %. Il estime qu'on pourrait encore gagner 5 % à 10 % sur la prochaine décennie, mais pas plus. Il en a conclu que, au-delà d'un réchauffement de 2 degrés, nous ne saurons plus faire, dans la mesure où tous les secteurs - agriculture, ressource en eau et énergie - seront touchés. Le niveau des cours d'eau deviendra également problématique au regard du fonctionnement des centrales nucléaires. Ainsi, au-delà d'un certain seuil d'adaptation, nous serons très vulnérables.
J'évoquerai le fameux « 1 % », qui devient un élément de langage, alors que l'argument n'est pas recevable. En effet, chaque pays peut se targuer de ne représenter que quelques pourcents des émissions. Utiliser un tel indicateur pour retarder les actions à mener n'aurait aucun sens ! Je rappelle par ailleurs que l'empreinte carbone d'un Français, intégrant les émissions associées aux biens et services importés, est tout à fait comparable à celle d'un habitant d'un autre pays européen et bien supérieure à la moyenne planétaire.
Le méthane a des effets rapides sur le climat. C'est un précurseur d'ozone, qui joue sur la qualité de l'air, dans les villes, mais aussi à la campagne, puisqu'il est corrélé au rendement agricole. À cet égard, il convient d'interroger nos modes de vie. Je pense notamment à la consommation de viande, dont la réduction, c'est prouvé, améliore la santé. La réduction du méthane induit des cobénéfices à tous les niveaux.
Permettez-moi de rebondir sur l'expression « privation de liberté ». Il s'agit au contraire de penser à la création d'un futur désirable, d'un monde dans lequel la liberté sera peut-être plus grande.
M. Valérie Masson-Delmotte. - Pour moi, la pire des privations de liberté est de subir les conséquences d'un changement climatique, en particulier lorsqu'on est jeune, qu'on a un faible niveau de vie, qu'on est vulnérable et exposé.
Nous travaillons en étroite collaboration avec les autres groupes de travail du GIEC. Il est important de considérer l'ensemble des leviers d'action, avec une analyse des coûts, des investissements, des effets indésirables et des cobénéfices. Il faut également prendre en compte la dimension institutionnelle et les multiples aspects d'un développement soutenable, avec les objectifs du développement durable, qui constituent une grille d'analyse.
Ne pas agir sur les émissions de gaz à effet de serre, c'est le pire en termes de soutenabilité. L'action doit être guidée par la multiplication des cobénéfices. Ainsi, une alimentation saine et nutritive permet également de réduire l'empreinte environnementale. De la même manière, la lutte pour la qualité de l'air induit des bénéfices en termes de santé publique.
Pourtant, je ne suis pas sûre que vous utilisiez, dans le cadre de la construction des politiques publiques, les objectifs du développement durable comme une grille d'analyse. Ce type d'analyse, qui vise à penser l'action pour le climat dans un cadre plus large de soutenabilité, permettra sans doute de changer d'échelle.
Il est sans doute difficile de nous projeter en 2050. Il existe des méthodes de délibération pour sortir des clivages actuels. On peut ainsi se mettre à la place de ses enfants et jouer leur rôle, en 2050.
M. Philippe Tabarot. - Nous n'avons pas tant dit pour recevoir une telle leçon ! Nous avons simplement posé la question suivante : peut-on considérer comme une privation de liberté le fait de demander à quelqu'un de ne plus utiliser son véhicule ? Il y a ici des gens qui agissent au quotidien pour l'environnement !
M. Valérie Masson-Delmotte. - Les exemples récents d'assemblées citoyennes, en France, au Royaume-Uni ou en Irlande l'ont montré : les aspirations sont communes pour protéger, construire et transmettre ; elles dépassent les clivages de court terme.
Samedi dernier, le Parlement européen a organisé une assemblée citoyenne. J'en ai retenu le point suivant : la peur d'être dépendant de multiples dictatures pour ce qui concerne les sources d'approvisionnement stratégiques.
Sur les inégalités environnementales entre générations et pays, voire au sein d'un même État, j'évoquerai la question de l'exposition et de la vulnérabilité aux facteurs climatiques. En France, les travaux sur l'adaptation font souvent l'impasse sur ce sujet.
Par ailleurs, l'acceptabilité d'actions ambitieuses, une transition perçue comme juste, le poids de l'effort de chacun, la redistribution et les mécanismes de solidarité, seront abordés dans les rapports des groupes nos 2 et 3 du GIEC.
S'agissant du climatoscepticisme, qui a fait l'objet d'une question, je vois encore de nombreux freins à l'action. Certes, le déni s'est estompé. Mais il existe toujours une forme de cynisme, insupportable pour les plus jeunes.
L'empreinte d'un Français, c'est 10 tonnes de gaz à effet de serre par an, avec une partie importée et une partie territoriale. Cette empreinte baisse peu, alors que notre capacité à agir est grande en tant que cinquième ou sixième puissance économique mondiale. S'agissant du méthane, le rapport du Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE), souligne les leviers d'action, comme la capacité à discerner par satellite les fuites d'infrastructures industrielles, dans chaque région du monde. En la matière, il convient d'agir de manière contraignante.
Notre rapport le souligne, les émissions de méthane, qui avaient stagné dans le monde entre 2000 et 2010, sont reparties fortement à la hausse, en particulier au cours des cinq dernières années, en raison, principalement, des fuites d'énergie fossile et de l'élevage de ruminants. Dans les zones humides, des facteurs naturels peuvent également conduire à l'augmentation des émissions de méthane.
Les rapports du GIEC fournissent un diagnostic à grande échelle. Les politiques publiques d'un pays particulier ne sont pas évaluées. Mais des types d'action sont passés en revue. Cela se rapproche ainsi de feuilles de route permettant d'éclairer des choix spécifiques à chaque contexte.
Le Haut Conseil pour le climat fournit des recommandations spécifiques au contexte français.
Je souligne la mobilisation des plus jeunes. Il conviendrait de mener une réflexion concernant la formation continue sur ces enjeux, qui n'est pas à la hauteur, y compris en France.
Notre pays joue un rôle de leadership concernant les mécanismes liés à l'accord de Paris. La France a toujours appuyé les scientifiques, qui lui témoignent une profonde gratitude.
S'agissant de la crise de la covid, nous l'évaluons sous l'angle de la composition atmosphérique. Les mesures de confinement ont eu des effets parfois immédiats, mais complexes, sur la qualité de l'air. Toutefois, la baisse de la teneur en gaz à effet de serre est aujourd'hui indiscernable dans l'atmosphère.
M. Étienne Blanc. - Dans certaines de nos villes, notamment à Lyon, les collectivités chargées de la collecte des déchets - communes ou communautés de communes - ont fait installer partout des composteurs de déchets organiques. Toute une vie sociale s'organiserait autour de ces cuves ! Or vous nous expliquez que de vrais problèmes sont causés par le méthane, gaz émis en quantité importante par le compostage. La presse s'extasie devant un tel traitement des déchets, mais ces collectivités ne se fourvoient-elles pas ?
M. Daniel Gueret. - Madame Masson-Delmotte, le Sénat aussi est constitué d'hommes et de femmes dont les enfants sont largement en âge de vivre les conséquences des sujets que vous traitez. Ne serait-ce qu'à ce titre, nous nous sentons concernés par ces sujets au même titre que vous.
Je voudrais rendre hommage à vos travaux. J'avais participé à des ateliers de travail de la COP 21 ; il me semble que si l'Accord de Paris avait été un peu moins surévalué dans sa capacité à changer les choses, il serait peut-être aujourd'hui mieux appliqué. Je respecte les scientifiques, mais chacun doit oeuvrer à sa place, collectivement. Je suis également très attaché à la démocratie, quand bien même il serait plus simple d'avoir un gouvernement mondial qui dicterait à tous les fins et les moyens ! J'aimerais vous entendre saluer une première victoire : grâce à vos travaux, il n'y a plus aujourd'hui de déni. Mais quant aux actions nécessaires, le mix scientifique et politique est tout aussi compliqué que le mix énergétique !
Je comprends vos appels, mais nous n'avons pas le sentiment de les ignorer. Notre mission est de nous occuper des gens au quotidien, ainsi naturellement que de leurs descendants. Tout le dilemme est là, et il ne faudrait pas que certains propos, d'un côté ou de l'autre, suscitent des tensions et, au final, nous mènent dans l'impasse. Beaucoup d'États se trouvent dans une profonde indécision, et nous ignorons paradoxalement la réalité des engagements des principaux pollueurs de la planète, alors même que ces États, tels que la Chine, sont les premiers à toucher les dividendes de nos nouvelles politiques industrielles.
Concernant l'alimentation, les générations futures voudront évidemment s'alimenter mieux. Un effort dans ce sens est bienvenu, mais il ne faudrait pas en tirer prétexte pour imposer aux gens telle ou telle alimentation. Quand des dirigeants politiques, animés de la volonté de bien faire, essaient de mettre en place des mesures de ce type, ils se heurtent parfois à la résistance de leur population : l'adhésion de celle-ci est absolument nécessaire, et elle ne peut résulter que d'un apaisement du débat, que d'une modération de certains constats. Il faudrait également adopter une planification de long terme, à laquelle on se tiendrait par-delà les changements politiques.
Ces problématiques imprègnent aujourd'hui tous les aspects de nos vies quotidiennes. Comment aller plus vite, au vu de l'urgence que vous décrivez ? Cela doit se faire en s'appuyant sur le fonctionnement démocratique des nations. De ce point de vue, je refuse absolument les expérimentations consistant à tirer au sort une centaine de citoyens chargés de décider pour tout le monde ! Ne soyez pas surpris que vos constats, incontestables, suscitent un débat démocratique, qui ne saurait être mis sous la coupe de quelque conseil scientifique que ce soit !
Vos travaux, que je vous encourage à poursuivre, ont le mérite de rafraîchir la mémoire de tout le monde, mais je regrette que les pays qui devraient le plus progresser ne fassent pas grande chose. La France n'est peut-être pas un bon élève, mais elle n'est pas le pire : arrêtons de nous flageller ! Le nucléaire nous aide tout de même beaucoup, même si son objectif initial n'était pas la décarbonation. Revenons-en à une volonté collective d'avancer en tenant compte du rôle et de la place de chacun !
Mme Marie-Claude Varaillas. - Les cinq scénarios que vous avez évoqués illustrent bien le danger croissant qui accompagnera chaque degré de réchauffement. Au vu du rapport de synthèse des contributions déterminées au niveau national élaboré par l'ONU, on constate que les émissions de gaz à effet de serre auront augmenté de 16 % en 2030, loin de la réduction de 45 % qui serait nécessaire pour ne pas dépasser le seuil de 1,5° degré. Certains pays, comme l'Australie ou le Brésil, ont même régressé. Aujourd'hui, pour un euro d'investissement dans les énergies renouvelables, on en compte deux pour les énergies fossiles. Il faut aller vers un autre modèle !
Les signataires de l'Accord de Paris ont convenu d'une aide financière aux pays en voie de développement, mais aucun montant n'a été fixé pour cette aide. Selon les scientifiques, si la finance ne s'engage pas aux côtés des États, peu se fera. Or les quatre plus grandes banques françaises continuent de soutenir de nouveaux projets de forage de pétrole et de gaz. Il est nécessaire de mobiliser tous les outils pour agir et en particulier de réorienter la finance vers des objectifs plus vertueux.
M. Jean Bacci. - On s'appuie sur la forêt pour stocker le carbone, mais les sécheresses prolongées que cause le réchauffement climatique donnent lieu à toujours plus de mégafeux. Ceux-ci ont-ils à leur tour un effet sensible sur l'évolution du climat ? Peut-on quantifier les émissions directes de gaz carbonique par les incendies, mais aussi la quantité de CO2 qui ne pourra pas être stockée par la forêt disparue ?
M. Gilbert-Luc Devinaz. - À écouter nos échanges, je me pose une question simple : l'homme arrivera-t-il à s'adapter à l'homme ?
M. Jean-Claude Anglars. - Vous n'avez pas répondu à la question de M. Dantec sur le méthane. Hier, j'étais au Sommet de l'élevage de Cournon-en-Auvergne, qui rassemble des éleveurs bovins de France et d'Europe. Le sujet du méthane inquiète les agriculteurs ; quand on en pointe les aspects négatifs, on oublie les effets positifs de l'élevage. La fonction première de l'agriculteur est de nourrir les gens : on n'en parle jamais ! Je veux vous inviter à rencontrer nos jeunes éleveurs, qui sont fiers d'avoir des vaches dans les prés et de participer au bien commun.
M. Laurent Terray. - Concernant le rôle du GIEC, il s'agit bien d'un organisme scientifique, mais il a un impact sur les politiques publiques. On a bien vu lors de la pandémie que l'absence d'un équivalent au GIEC en matière de santé était problématique. La continuation de ses travaux est fondamentale.
Il est possible que des solutions nouvelles soient proposées dans les prochaines décennies ; on évoque notamment le solar radiation management, l'envoi dans la haute atmosphère de particules de sulfate chargées de réfléchir le rayonnement solaire. La géoingénierie a une longue histoire, qu'elle soit employée à des fins militaires ou météorologiques. J'ai rencontré au début de ma carrière le physicien Edward Teller, l'un des pères de la bombe H ; dans les années 1980, conseiller du président Reagan, il lui avait proposé une solution technologique au réchauffement climatique : la diffusion de particules dans la haute stratosphère. Le problème est qu'il n'avait pris en compte que les effets sur la température d'une telle mesure, alors qu'on sait aujourd'hui qu'elle aurait aussi des impacts énormes sur le cycle de l'eau. Si un nouveau Teller devait conseiller un président Trump de retour aux affaires, on pourrait à nouveau voir un pays agir de manière unilatérale, avec des impacts sur le monde entier. Au cours de notre siècle, on parlera toujours plus de telles solutions, surtout si la limitation des émissions n'est pas opérante : il sera alors crucial d'avoir une assise scientifique très solide sur l'efficacité et les dangers de ces méthodes. Par ailleurs, des questions majeures de justice environnementale se poseront : procéder à de telles manipulations est à la portée de très peu de pays.
Nous voulons rester à notre place en tant que scientifiques, mais nous sommes aussi des citoyens et ces sujets ont des implications sur la vie publique et politique. Quand vous nous interrogez sur ces implications, je ne m'exprime pas en tant qu'expert : je vous donne mon point de vue de citoyen, sans prétendre à la vérité. J'ai apprécié la manière dont Bertrand Hauchecorne, maire d'une petite commune rurale du Loiret, s'était exprimé lors d'une table ronde organisée par votre commission le 12 mai dernier : il mettait bien en évidence les freins qui s'opposaient à la mise en place de telle ou telle solution dans les territoires ruraux.
Concernant les mégafeux, on est maintenant capables d'évaluer les conditions qui rendent probables des occurrences toujours plus fréquentes. Les rejets de carbone associés à ces feux font l'objet d'études en ce moment ; les modèles climatiques actuels les sous-estiment encore. Ainsi, aucun modèle actuel n'a pu simuler la quantité de carbone réellement émise ces dernières années par de tels incendies en Australie. Par ailleurs, les mégafeux observés au Canada cet été généraient leur propre météorologie : une rétroaction positive très importante s'enclenchait, avec des orages qui eux-mêmes allumaient de nouveaux foyers.
Il faut arrêter d'opposer les uns et les autres, ou de se cacher derrière l'existence de plus gros émetteurs. Quels sont nos moyens d'action ? Personne ici n'a le pouvoir d'infléchir la politique de la Chine, mais nous pouvons tous faire quelque chose à notre échelle. Il faut arrêter de se repasser le ballon ! En fondant une politique du sens commun à tous les échelons, on pourra se rassembler ; j'espère que ce souhait pourra être exaucé.
M. Hervé Douville. - Je veux vous remercier, monsieur Gueret, pour le profond respect que vous avez exprimé envers les scientifiques ; j'ai le même respect pour l'engagement politique et la démocratie représentative. À vrai dire, il est plus facile d'être scientifique que d'être politique, car la question de la responsabilité va se poser toujours plus dans la vie politique, pour le renouvellement des mandats, mais aussi en matière pénale : ce n'est pas Didier Raoult qui est mis en examen, mais bien Mme Buzyn ! Je recommande à tout le monde la lecture de l'essai que Pierre-Henri Tavoillot a consacré à ce sujet et aux limites de la démocratie participative, Comment gouverner un peuple roi ? L'un des piliers de la démocratie est la reddition des comptes, mais celle-ci s'affaiblit en cas d'unanimité.
Même parmi les scientifiques, certains sujets font débat : le prix de l'énergie et de l'eau, par exemple. Bien sûr, on peut vouloir le prix le plus bas possible, notamment pour les plus défavorisés d'entre nous. Le problème est que, quand on accorde une valeur à un bien et, notamment, à un bien commun, on oublie souvent qui a fait l'essentiel du travail : dans le cas du pétrole, c'est le vivant, sur des millions d'années ! La Convention citoyenne a refusé l'idée d'une taxe carbone, alors que nombre d'économistes plaident en sa faveur et voient en elle un outil très efficace pour nous rendre plus vertueux, à condition de mettre en place des mesures d'accompagnement. Vous l'avez bien dit : l'exemplarité de la France ne tiendra pas uniquement à sa capacité à tenir ses engagements : il faudra aussi que cela se fasse avec l'adhésion du peuple, sans mettre à bas la démocratie.
À propos des mégafeux, cela pose la question de la reforestation : si les forêts en question ne sont pas à l'abri de tels événements, le stockage de carbone qu'elles offrent ne sera que temporaire. La Chine est le pays qui reboise le plus au monde, mais son climat risque d'être de plus en plus sec : ces forêts seront-elles pérennes ? Ces feux posent aussi un problème quant à l'adaptation de nos pratiques : leur propagation est beaucoup plus efficace que celle des feux habituels, les clairières ne suffisent plus à les interrompre, car ils se propagent via les éclairs.
Je ne suis pas un expert en matière de méthane, je ne saurais dire si l'on se fourvoie en favorisant le compost. Quoi qu'il en soit, la chimie du carbone dépend beaucoup de l'humidité. Ainsi, la fonte du pergélisol dans les hautes latitudes émettra essentiellement du méthane si les conditions sont humides ; si elles sont plus sèches, c'est surtout du CO2 qui sera émis. Peut-être faudrait-il prendre ce facteur en compte pour le compostage.
L'homme arrivera-t-il à s'adapter à l'homme, monsieur Devinaz ? De fait, me semble-t-il, le principal danger n'est pas le changement climatique en lui-même, mais la réaction de l'homme à ce changement, qu'elle soit apathique ou paniquée. Il ne faudrait pas que le débat devienne si polarisé que les solutions soient impossibles ou trop agressives. La question de la liberté est tout à fait légitime, mais peut-être faudrait-il donner plus de poids à la fraternité avec les futures générations et les autres peuples si l'on veut avancer.
M. Christophe Cassou. - Nous avons entre nous aussi un débat sur la place du scientifique dans la vie démocratique : où mettre le curseur ? Le CNRS a deux missions : produire de la connaissance et être utile à la société. Contribuer au débat démocratique fait partie intégrante de cette seconde mission. En tant que géophysiciens, le message que nous portons est que l'on ne négocie pas avec la physique ! Il ne s'agit pas de désigner des bons et des mauvais élèves ; ce qui compte, ce sont les tonnes de CO2 émises dans l'atmosphère, c'est de déterminer comment, ensemble, diminuer ces émissions. Chaque action manquée conduit à un réchauffement supplémentaire, à un risque additionnel ! Un rythme de réduction des émissions deux fois trop faible se traduit par une augmentation du risque, notamment pour les plus vulnérables, mais en France aussi.
Concernant les mégafeux, la pérennité des forêts est effectivement mise à mal, ce qui pose le problème de la compensation carbone : ces actions pourraient s'avérer problématiques à long terme. Quant à l'agriculture et au méthane, je ne suis pas spécialiste non plus de ces questions : des données en la matière seront fournies par le groupe n° 2 du GIEC.
Mme Valérie Masson-Delmotte. - Je voudrais vous remercier pour la qualité de nos échanges. L'une des forces des rapports du GIEC est leur mécanisme de coproduction : leurs thématiques sont alimentées par ce que les représentants de tous les pays demandent. Ainsi, un rapport spécial sur l'océan, la cryosphère et le niveau des mers a été publié en 2019 pour explorer les enjeux physiques, mais aussi les options d'action face à la montée du niveau des eaux ; c'était une demande de ces représentants, qui participent aussi à la relecture du rapport. Peut-être ces mécanismes de coproduction mériteraient-ils d'être renforcés dans d'autres contextes, à plusieurs échelles. Beaucoup de vos questions demanderaient un travail supplémentaire de production de connaissance. Nous nous attachons à ce que nos rapports reflètent de manière rigoureuse et complète l'état des connaissances, mais aussi à ce qu'il soit exprimé de manière claire et compréhensible pour tous et à ce qu'il puisse servir d'appui à la prise de décision publique.
Nos travaux préparatoires à la COP 26 ont abordé la question des pertes et des dommages que le changement climatique occasionne toujours plus. Les connaissances que notre communauté produit permettent d'évaluer l'influence des activités humaines sur le climat, mais aussi, plus précisément, sur des événements climatiques ponctuels et, enfin, sur la sévérité des dommages causés par de tels événements dont l'intensité et la durée augmentent du fait du changement climatique. Cela peut avoir des conséquences juridiques en cas de recours pour compensation. Nous nous posons en permanence des questions éthiques sur la manière dont ces connaissances sont mobilisées, pour que cela se fasse de la manière la plus rigoureuse possible.
Concernant les transports, on peut trouver des analyses en cycle de vie dans les travaux effectués par l'Ademe ; elles permettent de comparer différentes solutions de décarbonation des transports. Comment aller plus loin ? L'Agence de la transition énergétique (Ademe) et le Haut Conseil pour le climat soulignent qu'il faut prendre en compte le poids des véhicules, ainsi que l'énergie et les matériaux utilisés pour leur construction.
Quant à l'agriculture, le rapport spécial du GIEC de 2019 portait spécifiquement sur les enjeux de sécurité alimentaire et d'utilisation des terres en lien avec le changement climatique. Il soulignait que même si le secteur des énergies fossiles pèse le plus dans la perturbation du climat à l'échelle mondiale, le système alimentaire dans son ensemble - production, transport, préparation, conservation, cuisson et déchets - représente environ un tiers des émissions totales de gaz à effet de serre ; ce secteur est donc crucial, d'autant qu'il est aussi extrêmement vulnérable aux conséquences du changement climatique. On voit là aussi les limites de l'approche par groupes de travail du GIEC, qui sépare information, adaptation et atténuation, alors que les représentants des pays expriment le besoin d'une information beaucoup plus intégrée. Il convient aussi de mieux intégrer climat et biodiversité.
Quant au compost, l'Ademe a également produit un certain nombre d'analyses sur l'efficacité comparée de diverses méthodes de traitement des déchets. Incinérer des déchets mouillés pour récupérer de la chaleur est peu efficace. La question se pose sur l'ensemble du cycle de vie.
L'homme et la femme peuvent-ils s'adapter à eux-mêmes ? C'était le thème d'un colloque organisé au Collège de France par Gilles Boeuf il y a quelques années. Cette question est majeure, mais il convient d'y intégrer également les autres écosystèmes et les autres formes de vie : la préservation de la biodiversité est cruciale pour le stockage des gaz à effet de serre. En la matière, au-delà des feux de forêt, il faut s'intéresser à l'état des sols, à la biomasse disponible.
Enfin, pour en revenir à la COP 26, il faut rester vigilant quant aux propositions qui seront faites en ce qui concerne le marché du carbone ou en matière de compensations : le stockage du carbone peut s'avérer éphémère et les méthodes d'évaluation des projets défectueuses. Certaines sont des atouts - le label bas-carbone en France, par exemple -, mais on n'a pas toujours les éléments nécessaires pour suivre un projet de compensation et en particulier sa pérennité. Le secteur aérien et des États dépendant largement des énergies fossiles vont avoir recours à de tels schémas de plantation d'arbres, mais il faut que cela soit sincère et bien encadré.
M. Jean-François Longeot, président. - Merci pour ces riches échanges ! Cette audition nous démontre que les enjeux sont immenses et que chacun d'entre nous doit jouer son rôle de manière utile à notre société, nos territoires et nos populations. Nos rôles de scientifique et de législateur sont complémentaires.
M. Christophe Cassou. - En conclusion, je veux porter une réflexion plus personnelle, une sorte de pas de côté. On est en train de vivre une rupture ; nous entamons un voyage sans retour en territoire inconnu. Nous espérons, dans nos échanges d'aujourd'hui, incarner ce rappel à la réalité : nous portons un plaidoyer pour l'action, dicté par les lois non négociables de la physique. Le message principal ne change plus depuis 2015, les incertitudes se réduisent ; pourtant, bien que nous sachions que le risque climatique est fort et s'intensifie, l'action pour le limiter n'est toujours pas à la hauteur.
Quel sens, alors, peut avoir notre rencontre ? Qu'allons-nous faire de ce moment, qu'allez-vous en faire ? J'aimerais vous demander comment vous vous sentez, émotionnellement, après ce moment que nous avons passé ensemble. Le tableau que nous avons dressé est clair et sombre à la fois ; il appelle à des actions courageuses pour protéger les sociétés humaines et le vivant. Alors, vous sentez-vous curieux d'en savoir davantage ? Impuissants ou paralysés par le défi immense que nous devons relever, et dont vous êtes un acteur incontournable en tant que représentants des citoyens ? Anxieux, comme notre jeunesse ? Dissonants, face aux décisions à prendre, alors que vous portez, consciemment ou non, les excuses de l'inaction climatique ? « Boostés » par ce moment d'échange, convaincus et revigorés, prêts à écrire un moment d'histoire ? De prime abord, cette question peut paraître incongrue, mais elle est centrale pour le devoir d'honnêteté, de lucidité et de courage que le climat, la société et les jeunes générations nous imposent. Qu'allez-vous faire de cet important moment d'échange et de vie démocratique ?
M. Jean-François Longeot, président. - La question que vous posez n'est pas du tout incongrue. Nous allons analyser la situation plus finement, voir quelles décisions nouvelles nous pouvons prendre. Nous prendrons toutes nos responsabilités en tant que législateur. Nous exigerons aussi, dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2022, que le Gouvernement s'engage à consacrer à ce défi les crédits nécessaires, car la législation seule ne suffira pas. Parfois, il est compliqué d'assumer ces responsabilités dans le jeu démocratique mais 'notre commission et le Sénat tout entier prendra toutes ses responsabilités. Je tiens à vous remercier pour l'alerte que vous lancez et les échanges francs que nous avons eus.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible sur le site du Sénat.
Projet de loi de finances pour 2022 - Demande de saisine pour avis et désignation de rapporteurs pour avis
M. Jean-François Longeot, président. - Nous devons à présent désigner nos rapporteurs pour avis sur le projet de loi de finances pour 2022.
Cette année, le Bureau de la commission qui s'est réuni la semaine dernière, a reconduit, d'une part, la répartition des avis budgétaires entre les groupes de la majorité sénatoriale et les deux groupes d'opposition numériquement les plus importants, et, d'autre part, le périmètre d'examen de nos avis, sur la base de neuf avis budgétaires, qui seront à nouveau regroupés en quatre tomes thématiques.
Selon le calendrier de la session adopté par la Conférence des Présidents, la discussion budgétaire devrait démarrer au Sénat le jeudi 18 novembre pour la première partie (fiscale) et, sous toutes réserves, à partir du 22 novembre, au plus tôt, pour les crédits inscrits en deuxième partie.
En conséquence, je vous propose que la commission se saisisse pour avis, d'une part, sur la première partie du projet de loi de finances pour 2022 pour les dispositions qui entrent dans son champ de compétences, ainsi que sur les crédits des missions suivantes :
- Cohésion des territoires
- Direction de l'action du Gouvernement
- Écologie, développement et mobilité durables
- Économie
- Plan de relance
- Recherche et enseignement supérieur
- Relations avec les collectivités territoriales
Et, le cas échéant, sur les articles non rattachés de la seconde partie dans la mesure où seraient concernés des sujets sur lesquels la commission serait compétente.
Si vous en êtes d'accord, seraient donc désignés rapporteurs pour avis pour l'examen du projet de loi de finances pour 2022 :
- sur les crédits de la mission « Écologie, développement et mobilité durables », M. Philippe Tabarot pour les transports ferroviaires, fluviaux et maritimes, Mme Évelyne Perrot pour les transports aériens, M. Olivier Jacquin pour les transports routiers, M. Pascal Martin pour la prévention des risques, M. Guillaume Chevrollier pour le paysage, l'eau et la biodiversité et l'expertise en matière de développement durable et la météorologie, M. François Calvet pour la transition énergétique ;
- sur les crédits de la mission « Cohésion des territoires », M. Louis-Jean de Nicolaÿ pour les politiques des territoires et M. Jean-Michel Houllegatte pour l'aménagement numérique du territoire, étant précisé que certains crédits de la mission « Économie » seront également traités dans le champ de cet avis thématique ;
- sur les crédits de la mission « Recherche et enseignement supérieur », M. Frédéric Marchand pour la recherche dans le domaine de l'énergie, du développement et de la mobilité durables.
Par ailleurs, je vous indique que les crédits de la mission Plan de relance, de même que les articles de la première partie et de la deuxième partie (articles non rattachés) du projet de loi de finances pour 2022 feront l'objet, comme ce fut le cas l'année dernière, d'un examen thématique traité par chacun des rapporteurs.
Il n'y a pas d'opposition ?
Il en est ainsi décidé.
Désignation d'un rapporteur
M. Jean-François Longeot, président. - Il nous revient enfin de désigner un rapporteur sur le projet de loi n° 755 (2020-2021) ratifiant les ordonnances prises sur le fondement de l'article 13 de la loi n° 2019-816 du 2 août 2019 relative aux compétences de la Collectivité européenne d'Alsace (CEA), dont l'examen au fond a été renvoyé à notre commission.
Ce texte vise à ratifier trois ordonnances liées au transfert du réseau routier non concédé à la CEA. L'une d'entre elles, en particulier, fait écho aux récents travaux de notre commission, puisqu'elle porte sur les modalités d'instauration d'une taxe sur le transport routier de marchandises empruntant certaines voies de la CEA (autrement dit sur les modalités de mise en place d'une « écotaxe » en Alsace).
Sous réserve de ce que pourrait décider la prochaine Conférence des Présidents, la commission pourrait examiner le rapport et établir son texte le mercredi 3 novembre prochain, avant un examen en séance publique possible la semaine du 15 novembre. On ne peut que souhaiter que notre assemblée examine prochainement un texte ratifiant des ordonnances tant attendues. Une telle inscription à l'ordre du jour permettrait en effet au Parlement de se prononcer pleinement dans un domaine entrant dans son champ de compétences et de s'inscrire dans l'esprit des préconisations du groupe de travail sur la modernisation des méthodes de travail du Sénat adoptées en mai dernier, dont le rapporteur était notre collègue, Pascale Gruny.
J'ai reçu la candidature de M. Jean-Claude Anglars.
Il n'y a pas d'opposition ?
Il en est ainsi décidé.
Je vous remercie.
La réunion est close à 12 h 50.