Mardi 28 septembre 2021
- Présidence de M. Bernard Jomier, président -
La réunion est ouverte à 9 heures.
Analyse globale des spécificités des Outre-mer en matières sanitaire et économique - Audition de Mmes Brigitte Chane-Hime, présidente de la Conférence régionale de santé et de l'autonomie (CRSA) de La Réunion et membre de la Commission permanente de la Conférence nationale de la santé (CNS), Cécile Courrèges, inspectrice générale des affaires sociales (IGAS), docteur Francis Fellinger, conseiller médical à l'Agence nationale d'appui à la performance (ANAP), ancien conseiller général des établissements de santé à l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), M. Eric Leung, président de la délégation aux Outre-mer du Conseil économique, social et environnemental (CESE) et Mme Marie-Anne Poussin-Delmas, présidente de l'Institut d'émission des départements d'outre-mer (IEDOM) et directrice générale de l'Institut d'émission d'outre-mer (IEOM)
M. Bernard Jomier, président. - Comme nous en sommes convenus, nous allons consacrer nos travaux dans les prochaines semaines à la situation des territoires ultramarins, compte tenu de la gravité particulière de la quatrième vague épidémique outre-mer. Pour nous permettre de formuler des préconisations adéquates, il est important que nous nous penchions sur les causes de la flambée de l'épidémie dans ces territoires et que nous en mesurions les conséquences, tant au plan sanitaire qu'économique et social.
Pour nous aider à mieux comprendre les spécificités des territoires d'outre-mer en matière sanitaire, nous accueillons ce matin trois intervenants : Mme Brigitte Chane-Hime, présidente de la Conférence régionale de santé et de l'autonomie (CRSA) de La Réunion et membre de la commission permanente de la Conférence nationale de santé (CNS) ; Mme Cécile Courrèges, inspectrice générale des affaires sociales (IGAS) et ancienne directrice générale de l'offre de soins ; et le docteur Francis Fellinger, conseiller médical à l'Agence nationale d'appui à la performance (ANAP), ancien conseiller général des établissements de santé à l'IGAS et ancien président de la conférence des présidents de commission médicale d'établissement. Mme Courrèges et le Dr Fellinger sont revenus il y a quelques semaines des Antilles, où ils ont participé à la mission d'appui mise en place par le Gouvernement pour gérer la crise de covid-19.
En ce qui concerne le volet économique, nous bénéficierons de l'expertise de Mme Marie-Anne Poussin-Delmas, présidente de l'Institut d'émission des départements d'outre-mer (IEDOM) et directrice générale de l'Institut d'émission d'outre-mer (IEOM). Ces deux organismes assument le rôle de banque centrale dans les territoires d'outre-mer ; et de M. Éric Leung, président de la délégation aux outre-mer du Conseil économique, social et environnemental (CESE), qui participe à notre réunion par visioconférence.
Je voulais tout d'abord vous remercier très chaleureusement d'avoir répondu à notre invitation. Il est très important, pour nous, de recueillir votre témoignage pour mieux comprendre les problèmes particuliers qui peuvent se poser outre-mer dans vos domaines de compétences et les adaptations qui sont nécessaires pour tenir compte de leurs spécificités. Justement, la réponse de l'État a-t-elle été suffisamment adaptée ? Quelles sont vos préconisations pour permettre aux territoires d'outre-mer de faire face à cette crise et éviter qu'elle ne se reproduise à l'avenir ? Nous sommes inquiets face au risque d'une nouvelle vague, qui pourrait avoir des effets dramatiques.
Avant de vous écouter pour un exposé liminaire de cinq minutes, je cède la parole à M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer et sénateur de Saint-Pierre-et-Miquelon, pour qu'il puisse nous dire quelques mots, compte tenu de sa connaissance approfondie du sujet. J'en profite pour saluer les membres de la délégation aux outre-mer qui se sont joints à notre réunion. J'excuse enfin l'absence de M. Karoutchi, co-rapporteur de notre mission.
M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer. - Je tiens à vous remercier pour l'invitation des membres de la délégation sénatoriale aux outre-mer à participer aux auditions organisées par votre mission commune d'information.
Face à la gravité de la situation créée par la dernière vague épidémique, et à la suite du courrier du président Gérard Larcher et de nos échanges de cet été, il a été convenu d'un commun accord que les membres de la délégation seraient associés à vos travaux, et nous nous en félicitons.
Nous savons que la mission commune va aussi organiser tout au long du mois d'octobre des tables rondes géographiques permettant de mieux appréhender la situation propre à chaque territoire et auxquelles seront conviés les sénateurs des territoires concernés. Nous saluons cette approche conjointe qui était indispensable sur un sujet de cette nature et vu le caractère exceptionnel de la situation. Elle suppose une analyse fine et territorialisée, dans laquelle vous avez choisi de vous inscrire à juste titre.
Je ne reviendrai pas sur le bilan inédit et dramatique des dernières semaines. Lors du débat sur la prorogation de l'état d'urgence, le ministre Sébastien Lecornu a lui-même a reconnu que « nous affrontons en outre-mer la pire crise sanitaire que notre pays ait connue depuis le début de l'épidémie de covid-19, et ce notamment à cause du variant delta, qui se répand avec plus d'intensité et se propage plus rapidement que les précédents variants ».
Cette épidémie nous rappelle que nos territoires ultramarins, presque tous insulaires, sont terriblement vulnérables. La Martinique, la Guadeloupe ont payé et paient encore un lourd tribut à l'épidémie ; la Polynésie française a atteint des taux d'incidence et de mortalité jamais vus ; la Nouvelle-Calédonie fait face ces jours-ci à une flambée alarmante ; la situation est très préoccupante en Guyane... Même sur mon territoire, Saint-Pierre-et-Miquelon, qui dispose d'une couverture vaccinale élevée, la protection se fait au prix de mesures draconiennes et nous appelle constamment à la vigilance, et cet impératif de vigilance est toujours de mise à Saint-Barthélemy, Saint-Martin, La Réunion ou encore Mayotte... L'examen de la situation spécifique dans les outre-mer va conduire la mission à examiner des situations très variées et des problématiques sensibles comme la vaccination, les infrastructures de soins, la communication autour des questions sanitaires, etc. Vous pourrez compter sur mes collègues et moi-même pour vous apporter nos témoignages et nos suggestions.
En ce qui concerne le volet économique que vous aurez également à traiter, la délégation s'est préoccupée, dès avril 2020, des conséquences économiques de l'épidémie dans son rapport L'urgence économique outre-mer à la suite de la crise du covid-19, et je vous renvoie aux 58 recommandations que nous avions formulées avec mes collègues Viviane Artigalas et Nassimah Dindar qui restent - je crois - pleinement valables. Au fil de nos auditions de 2020, la délégation s'était intéressée non seulement aux mesures d'urgence mises en place pour sauvegarder le tissu économique dans les outre-mer, mais elle avait aussi cherché à identifier les secteurs clés à soutenir pour un redémarrage vigoureux après la quasi-mise à l'arrêt des activités. En outre, elle s'était interrogée sur les leçons à tirer à moyen et long termes de ce choc historique pour évoluer vers des économies plus résilientes. Ces trois dimensions sont importantes. Elles nous avaient conduits à procéder à de nombreuses auditions et donné l'opportunité d'entendre, le 18 juin 2020, Mme Marie-Anne Poussin-Delmas, présidente de l'IEDOM-IEOM. Avec la présence de vos invités, nous sommes heureux de l'opportunité qui nous est offerte de revenir sur ce travail élaboré au début de la crise sanitaire et qui reste à l'évidence d'actualité.
Un mot enfin pour remercier mes collègues pour leur mobilisation et vous dire que nous aurons prochainement l'occasion d'interpeller le Gouvernement sur sa politique dans cette crise inédite. La Conférence des présidents a en effet accepté, à ma demande et avec l'accord des rapporteurs concernés - Victorin Lurel, Micheline Jacques et Guillaume Gontard - de modifier l'objet du débat en séance publique prévu le mardi soir 5 octobre sur la politique du logement outre-mer, pour le consacrer à la situation sanitaire outre-mer. Nous comptons sur vous tous, Monsieur le Président, sur les rapporteurs et les membres de votre mission comme sur les membres de la délégation, pour apporter les éclairages que nos concitoyens attendent du Gouvernement sur les moyens mis en oeuvre pour lutter contre la vague actuelle et ceux pour prévenir des risques à venir. Comme vous, face à cette crise, nous sommes soucieux d'en déterminer les causes et de dégager des préconisations pour éviter sa réitération et mieux accompagner nos territoires. Je vous donne rendez-vous donc très vite et vous remercie pour ces échanges.
M. Bernard Jomier, président. - Je vous remercie. Cette table ronde est en effet générale ; nous travaillerons ensuite sur chaque territoire de manière spécifique.
Mmes Brigitte Chane-Hime, présidente de la Conférence régionale de santé et de l'autonomie (CRSA) de La Réunion et membre de la commission permanente de la Conférence nationale de santé (CNS). - La Conférence nationale de santé a adopté, fin août 2021, un communiqué de soutien aux populations d'outre-mer et aux professionnels engagés dans la lutte contre cette quatrième vague épidémique, qui touche les territoires ultramarins de plein fouet. Chaque île a sa particularité. Nous demandons au Gouvernement de chercher à comprendre pourquoi les effets de cette crise sanitaire sont différents selon les lieux, et comment nous en sommes arrivés à vivre ce cauchemar, loin de tout... On note des inégalités au niveau des équipements sanitaires ou médico-sociaux. Le peuple est ébranlé face à cette crise qui fragilise le sens même de la démocratie.
La CNS, dans son deuxième avis sur la campagne de vaccination contre la covid-19, en date du 17 mars 2021, intitulé Stratégie vaccinale et réduction des inégalités de santé, avait déjà souligné l'importance d'« adapter la stratégie de vaccination aux territoires et aux populations ». Au vu de la gravité de la situation outre-mer, elle considère comme essentiel qu'un retour d'expériences avec l'ensemble des parties prenantes - les populations concernées notamment - soit organisé. Il s'agit de déterminer les facteurs qui ont conduit à une telle situation : les facteurs professionnels, techniques et organisationnels, comme les facteurs humains et socioculturels.
À La Réunion, nous vivons depuis plusieurs années une épidémie de dengue sévère, même durant l'hiver austral. La relative inefficacité des moyens mis en oeuvre pour juguler cette pandémie suscite doute et fatalisme dans la population. Durant la première vague de covid, les décès liés à la dengue étaient d'ailleurs plus nombreux que ceux liés au coronavirus.
La Martinique et La Réunion ont été fortement touchées par la crise. De même, la Guyane a été assaillie par le variant delta et Cayenne est classée en zone rouge. Le taux de vaccination y est inférieur à celui de la Martinique et de La Réunion. Un effort de pédagogie doit être réalisé. Partout, il serait pertinent d'agir avant que les territoires n'entrent en zone rouge. Mayotte a été fortement frappée par la première vague. La situation sanitaire s'est dégradée depuis l'apparition du variant delta, alors que la campagne de vaccination contre la grippe a débuté.
Nous ne partons pas du même niveau que les autres départements de France : les moyens dans les outre-mer sont éloignés de la moyenne métropolitaine. De ce fait, lorsqu'une épidémie comme la covid apparaît, cela tourne à la catastrophe. Ces dernières années, des réductions des moyens humains et financiers dans les hôpitaux publics ont eu lieu, alors que nous étions déjà sous-dotés. La crise n'a fait que révéler les inégalités entre les territoires. Le taux d'équipement des îles est toujours au-dessous de la moyenne en métropole en hôpitaux ou en équipements sanitaires et médico-sociaux, notamment pour les adultes en situation de handicap lourd et les personnes âgées. Le taux de chômage des jeunes est élevé, avec une forte précarité. Le pouvoir d'achat est très faible ; tout est cher, même les produits de première nécessité ; malgré un effort ces dernières années, beaucoup de familles ne peuvent accéder à des produits essentiels.
Le Ségur de la santé a apporté un peu d'oxygène à la fin de la troisième vague, mais la revalorisation des salaires ne concerne pas tous les personnels et cela a créé des divisions, alors qu'au moment du confinement une nouvelle solidarité avait pris forme. On déplore aussi le manque de professionnels qualifiés, ce qui a amené la réserve sanitaire nationale à intervenir très tôt, dès le début de la période de tension dans les hôpitaux. Heureusement qu'elle est intervenue !
L'éloignement de la métropole ne permet pas de garantir l'égalité des chances dans les soins. Il convient de renforcer les moyens pour les personnes vulnérables, âgées, avec ou sans handicap, qui vivent à domicile. Nous souhaitons accompagner les virages inclusif et numérique, mais il faut que les moyens soient à la hauteur, afin de permettre aux personnes qui veulent rester chez elles de pouvoir être soignées à domicile. En définitive, il faut accroître les moyens et assurer un vrai suivi pour les Français qui vivent loin de la France, mais qui sont des citoyens français à part entière. Au regard de la violence de cette quatrième vague qui a touché les outre-mer, alors que la Guadeloupe essaie de s'en sortir dans la douleur, et que la Guyane est en difficulté, nous appelons à l'aide !
Je veux aussi souligner l'importance de la démocratie en santé et le rôle des conseils territoriaux de santé, du CRSA, de la CNS, autant de lieux d'un dialogue constructif et transversal entre les acteurs de santé, essentiels pour échanger et trouver des solutions. La Réunion a connu une phase de tourmente, mais la pédagogie sur la vaccination a fonctionné après un temps d'hésitation. Mais tout n'est pas gagné. Les décisions du pouvoir national sont parfois lentes. Les particularités des îles, avec leurs spécificités et leur faible taux d'équipement, ne peuvent que faire des victimes lors d'une crise comme celle-ci. Il importe donc de réfléchir à une vraie politique d'accompagnement de la santé pour les Français des outre-mer. Si les moyens humains et les équipements étaient suffisants, nous n'en serions pas là aujourd'hui.
Dr Francis Fellinger, conseiller médical à l'Agence nationale d'appui à la performance (ANAP), ancien conseiller général des établissements de santé à l'Inspection générale des affaires sociales. - Ancien médecin hospitalier, j'ai intégré l'IGAS en 2012, puis l'ANAP après la première vague. Pendant cette première vague, j'avais coordonné les réanimations en Alsace. Aux Antilles et en Guyane, j'avais déjà coordonné la lutte contre l'épidémie de Zika en 2016 et 2017. C'est pourquoi on m'a demandé de partir aux Antilles en urgence le 30 juillet ; j'y suis resté deux semaines. Ma mission était d'intervenir en appui de l'agence régionale de santé, de faciliter la coopération entre les acteurs et de contribuer à faire remonter les informations.
Lorsque je suis arrivé là-bas, la situation était très délicate, notamment en Martinique. Les capacités hospitalières étaient saturées. La vague épidémique est arrivée plus tardivement en Guadeloupe : tous les lits de réanimation n'étaient pas occupés.
La première question a été celle des évacuations sanitaires, mais cette solution a vite trouvé ses limites, vu l'ampleur de la vague et les difficultés techniques pour organiser les évacuations dans la mesure où l'état des patients n'était pas stabilisé. Il a aussi fallu modifier les critères, en relevant, par exemple, la limite de poids, car beaucoup de patients la dépassaient, pour la porter de 110 à 130 kilogrammes.
Je veux revenir sur la différence entre la Guadeloupe et la Martinique : l'une est un archipel, ce qui pose des problématiques, notamment de logistique, différentes. Le système sanitaire est plus équilibré en Guadeloupe : l'incendie du centre hospitalier universitaire (CHU) de Pointe-à-Pitre a obligé à développer des coopérations entre le public et le privé et à associer les cliniques, ce qui a facilité les prises en charge pendant la crise sanitaire, tandis que le centre hospitalier de la Basse-Terre était aussi mobilisé. En revanche, en Martinique, le CHU est le principal établissement ; une seule clinique peut accueillir des patients de MCO - médecine, chirurgie ou obstétrique.
Nous avons vite identifié certains problèmes. D'abord, le problème capacitaire de prise en charge des soins critiques, mais les capacités des outre-mer sont équivalentes à celles des départements de métropole de population comparable. Le vrai problème est celui de l'éloignement : 7000 kilomètres avec la métropole. Nous avions envisagé des transferts vers les États-Unis, mais la distance - 2500 kilomètres - reste importante et la volonté de coopérer n'était pas évidente... On peut aussi évoquer la question de la disponibilité d'oxygène et celle de la vaccination. Quand je suis arrivé, le taux de vaccination de la population était de 15 %, à peine plus chez les soignants non-médecins, à l'exception de certains services comme le service de maladies infectieuses de Basse-Terre. Si les médecins sont vaccinés à hauteur de 90 %, le taux est très faible parmi le personnel non médical. Je dois aussi évoquer le climat social. Le centre de vaccination de Fort-de-France a été incendié, comme une pharmacie qui fournissait des vaccins. Les résistances syndicales, notamment au sein du milieu hospitalier, étaient vives pour développer des unités covid. Les négociations se déroulaient dans un climat très tendu, avec des menaces envers les médecins et les directeurs hospitaliers.
Mme Cécile Courrèges, inspectrice générale des affaires sociales (IGAS). - Je suis arrivée aux Antilles après M. Fellinger, pour une mission du 21 août au 11 septembre. Mes constats concernant l'offre de soins sont identiques. Le pic était passé en Martinique, mais la situation épidémique se maintenait sur un plateau, à un niveau élevé. La Guadeloupe était en retard de 15 jours et on s'attendait à ce qu'elle subisse une vague de même ampleur que la Martinique ; ce n'est pas tout à fait ce qui s'est passé, ce qui nous incite à une grande humilité vis-à-vis de cette pandémie.
Les renforts nationaux étaient très importants : à partir du 10 août, des rotations de professionnels de santé venant en renfort de métropole vers les Antilles ont été organisées - environ 200 à 300 professionnels de santé de métropole étaient présents sur place chaque semaine, ce qui posait un problème de coordination entre les niveaux métropolitain et local. Une partie de ma mission consistait ainsi à assurer la coordination. Je travaillais avec une équipe pluridisciplinaire, dont un logisticien des armées, par exemple, car les armées étaient très mobilisées.
J'avais participé aux opérations de la première vague : la situation qu'ont connue les Antilles est plus aiguë que celle qu'ont connue les départements de métropole, pire que celles qu'avaient connues le Grand Est ou l'Île-de-France. En outre-mer, on a été débordé. L'accès aux soins critiques a été très difficile, à tel point qu'il a fallu recourir à des stratégies de priorisation des soins. Quand je suis arrivée, la situation était un peu moins tendue, mais il y avait encore des tentes devant le CHU de Martinique pour accueillir les urgences, et une centaine de patients étaient dans des lits de médecine et attendaient une place en soins critiques.
En Guadeloupe, le taux d'incidence était deux fois plus élevé qu'en Martinique. Nous nous attendions à une crise beaucoup plus violente, mais cela n'a pas été le cas, le décalage de 15 jours ayant permis de mieux se préparer. Le 10 septembre, la décrue a été rapide : quand je suis partie, des lits étaient vacants en soins critiques en Guadeloupe, alors qu'en Martinique la situation restait sur un plateau élevé et que des patients attendaient encore des places en soins critiques.
Je tiens à saluer la capacité de mobilisation et de réactivité des équipes hospitalières sur place. Certains établissements étaient devenus des établissements de soins covid. Les couloirs des hôpitaux accueillaient uniquement des lits de patients atteints de cette maladie. Des lits de réanimation ont été montés en 48 heures ex nihilo. Je souligne aussi le soutien de la métropole. L'effort de solidarité a été important. On peut mentionner à cet égard les évacuations sanitaires : dans le cadre de l'opération Hippocampe, un véritable pont aérien a été organisé fin août, avec deux rotations hebdomadaires de deux avions pouvant évacuer chacun 12 patients pour chaque territoire : 48 patients ont ainsi été évacués chaque semaine, alors qu'en juillet et en août seuls 45 patients avaient été évacués au total. La crise a rendu possible ce qui semblait impossible quelques semaines auparavant.
Pour autant, ces territoires connaissent de vraies fragilités structurelles. L'insularité, l'éloignement de la métropole sont de vraies contraintes. De nombreuses solutions auxquelles on avait pu recourir dans l'Hexagone lors des vagues précédentes ne sont pas activables sur ces territoires. Il faut utiliser les prochaines semaines pour se préparer nationalement et localement à une possible cinquième vague, qui, hélas, adviendra probablement.
D'un point de vue sanitaire, le taux de vaccination sur ces territoires constitue un élément d'inquiétude extrêmement fort. Lorsque je me suis rendue en Martinique, le taux de vaccination devait être d'environ 33 %, très loin, donc, de toute logique d'immunité collective. Tous mes interlocuteurs locaux apparaissaient convaincus de la survenance d'une nouvelle vague d'ici deux à trois mois. Cela signifie qu'il faut un infléchissement majeur en matière de vaccination. Chacun a la responsabilité de s'y préparer. J'insiste sur le fait que ces territoires ne peuvent pas et ne pourront jamais s'en sortir seuls, compte tenu de toutes les limites existantes.
Nous avons pu travailler avec le CHU de la Martinique notamment. Le même travail a été fait en Guadeloupe. L'enseignement que l'on peut tirer des travaux réalisés sur ces deux territoires est qu'il ne faut pas revenir au même niveau de soins critiques qu'avant la crise et qu'il faut un niveau plancher supérieur pour avoir une capacité de rebond un peu meilleure qu'avant la quatrième vague et être en capacité d'activer extrêmement tôt tous les leviers nationaux - pour pouvoir monter en capacité, ces territoires ont absolument besoin de renforts humains nationaux, car ce n'est pas localement qu'une ressource humaine aussi spécialisée pourra être trouvée dans les délais requis.
Il faut pouvoir activer, dès que le besoin s'en fait sentir, l'ensemble des moyens d'évacuation sanitaire, y compris l'élément militaire de réanimation (EMR), qui est un outil extrêmement bien adapté pour les outre-mer. Or il y a toujours un délai de trois à quatre semaines entre la décision de mobiliser l'EMR et son installation effective.
Un certain nombre d'outils doivent donc être prépositionnés et activables au niveau national extrêmement rapidement si les prémices d'une cinquième vague devaient malheureusement se dessiner.
M. Bernard Jomier, président. - Je vous remercie tous trois de vos exposés sur la dimension sanitaire. Je vais passer maintenant la parole à Mme Marie-Anne Poussin-Delmas, pour évoquer la partie économique.
Mme Marie-Anne Poussin-Delmas, présidente de l'Institut d'émission des départements d'outre-mer (IEDOM) et directrice générale de l'Institut d'émission d'outre-mer (IEOM). - Merci, monsieur le président, de me donner l'occasion de présenter l'analyse économique de l'IEDOM, pour ce qui concerne les départements et collectivités de la zone euro, et de l'IEOM pour ce qui concerne les collectivités françaises du Pacifique.
J'ai quatre messages à vous délivrer aujourd'hui. Premièrement, ce sont paradoxalement les faiblesses structurelles de l'outre-mer qui ont permis, en 2020, d'amortir le choc conjoncturel, grâce à un soutien puissant de l'État. Deuxièmement, je veux vous faire part de notre analyse de la reprise économique qui s'est amorcée au deuxième trimestre 2021. Troisièmement, je veux évoquer les incidences de la résurgence très forte de la pandémie que nous venons d'évoquer. Quatrièmement, enfin, je veux apporter une note positive sur les apports, à moyen terme, de la crise de la covid sur l'accélération de certaines mutations structurelles.
Tout d'abord, les faiblesses structurelles ont en quelque sorte permis de sauver l'année 2020.
Passé la mesure brutale de confinement applicable à l'ensemble des territoires, quelle que soit leur situation sanitaire, les mesures ciblées par territoire qui ont été adoptées ensuite ont permis une incidence beaucoup plus légère au plan économique, du fait de l'insularité et de l'isolement. Ensuite, le poids des administrations et des services non marchands a amorti le choc de la crise. Enfin, la dépendance au prix de l'énergie a contribué à ce que l'inflation globale reste modérée.
Tout cela a permis d'amortir la baisse du PIB, qui, en dépit des estimations très élevées du début d'année, s'est établi, à la fin de l'année 2020, entre moins 3 % et moins 6 %, à comparer à la diminution de 7,9 % enregistrée dans l'Hexagone, sauf en Polynésie française, où la régression du PIB a été de 7,6 %.
L'année 2020 a également été sauvée par le soutien public, qui a été massif. Je pense en particulier à l'intensité du recours au prêt garanti par l'État (PGE). Les dix premières régions françaises bénéficiaires de PGE comptent six territoires ultramarins. À la fin du mois de septembre, l'encours de crédit dont les entreprises ultramarines ont bénéficié s'est élevé à 3,4 milliards d'euros, à savoir 2,5 % de l'encours pour la France entière, soit le poids exact du PIB des outre-mer dans le PIB de notre pays. Pour avoir suivi cet indicateur tout au long de l'année, en liaison avec la direction générale des outre-mer et la direction générale du travail, j'ai pu constater que, en dépit du tissu entrepreneurial des départements d'outre-mer, qui est plutôt un tissu de PME, la diffusion et le bénéfice des PGE à ces petites entreprises ont été réels.
L'intensité du recours au dispositif d'activité partielle a également été massive lors du premier confinement. Les cinq DOM ont bénéficié de 629 millions d'euros d'indemnisation. S'y sont ajoutés le fonds de solidarité dont elles étaient bénéficiaires et les reports de charges fiscales et sociales. Dans les collectivités du Pacifique, en Nouvelle-Calédonie comme en Polynésie française, des dispositifs ad hoc ont permis de sauver une partie de l'activité.
Par ailleurs, le refinancement apporté par l'IEOM, qui est la Banque centrale des collectivités du Pacifique, aux établissements de crédit de cette zone a été multiplié par 12 entre la fin de l'année 2019 et septembre 2021. Il représente aujourd'hui 150 milliards de francs Pacifique, avec des maturités longues, allant jusqu'à trente-six mois, et des taux nuls, voire négatifs.
Pour ce qui est de l'année 2021, la reprise a été visible jusqu'au deuxième trimestre, même si l'on voyait qu'elle pouvait finalement être entravée par les vulnérabilités structurelles qui avaient sauvé l'année 2020.
Je veux vous présenter l'indicateur du climat des affaires, qui est une enquête de conjoncture menée auprès des chefs d'entreprise de l'ensemble des territoires sur lesquels nous sommes présents, c'est-à-dire les six départements et collectivités de l'océan Atlantique et de l'océan Indien. Nous avons également trois agences dans l'océan Pacifique. L'enquête de conjoncture que nous avons réalisée sur ces neuf points, en interrogeant les chefs d'entreprise, montre clairement la violence du choc au premier trimestre 2020. La remontée est assez spectaculaire puisque, au deuxième trimestre 2021, on est quasiment sur la moyenne de longue période pour la Guadeloupe, la Nouvelle-Calédonie, tout comme l'Hexagone. La situation conjoncturelle est même meilleure que la moyenne de longue période dans l'océan Indien et en Polynésie française. Partout, c'est la composante passée, c'est-à-dire l'opinion des chefs d'entreprise sur le trimestre écoulé, qui explique cette bonne situation.
La situation s'est également améliorée en ce qui concerne l'emploi. Le nombre de demandeurs d'emploi, en glissement annuel, a régressé entre 4 % - pour la Guyane - et 10 % - pour la Martinique -, à comparer à la baisse de 14 % dans l'Hexagone. Il convient toutefois d'y apporter deux nuances : un effet de base, le deuxième trimestre 2020 ayant été assez bon, et l'impact des restrictions d'activité et de déplacement sur l'enregistrement des chômeurs. Sous ces réserves, la situation de l'emploi a été plutôt bonne.
Quels sont les possibles freins structurels à la reprise ? D'une part, une récente étude que nous venons de réaliser montre clairement que les besoins en fonds de roulement des entreprises ultramarines sont plus élevés que ceux des entreprises hexagonales : 47 jours de chiffre d'affaires dans les DCOM, contre 33 jours dans l'Hexagone. Cela correspond à la nécessité, pour les entreprises ultramarines, de constituer davantage de stock. Joue également sur ce besoin en fonds de roulement le poids de la fiscalité indirecte, en particulier de l'octroi de mer.
Autre point de vulnérabilité structurelle que nous mettons en évidence dans nos rapports annuels : les délais de paiement en outre-mer, qui connaissent une situation assez différenciée, même au niveau du secteur public. Ainsi, si le secteur public d'État en outre-mer respecte strictement les délais réglementaires, qui sont de trente jours, les collectivités territoriales et les établissements publics de santé ne respectent pas les délais légaux, à savoir trente jours pour les premières et cinquante jours pour les seconds. Cela a un effet en cascade important sur les délais de paiement interentreprises, donc sur les besoins de trésorerie des entreprises, avec un écart très significatif par rapport à la métropole, puisqu'ils sont supérieurs de vingt jours à la moyenne nationale.
Une troisième étude de l'IEDOM s'attache à la structure bilancielle. On estime que, au-delà de vingt jours de chiffre d'affaires, le besoin est supérieur à la moyenne nationale et les analystes financiers considèrent que, si les entreprises ne disposent pas de plus de trente jours de trésorerie, elles connaissent une certaine vulnérabilité.
Les bulles représentées sur le graphique correspondent au niveau d'endettement des entreprises : plus la bulle est grosse, plus l'endettement est élevé, ce qui fait apparaître que les secteurs clés sur lesquels doit reposer la reprise en outre-mer - construction, industrie, commerce, mais aussi agriculture, sylviculture et pêche - sont clairement aujourd'hui dans une situation financière compliquée par rapport au défi que représente la reprise économique compte tenu de l'environnement sanitaire.
J'en viens à la brusque résurgence de la pandémie à l'été 2021.
Au 19 septembre dernier, le pic pandémique se situe en Guyane et en Nouvelle-Calédonie, ainsi que, dans une moindre mesure, en Martinique et en Guadeloupe, le taux d'incidence en France hexagonale s'élevant à 72 pour 100 000 habitants. En Polynésie française, ce taux d'incidence est de 120 pour 100 000 habitants. L'énorme vague pandémique de la fin du mois d'août, qui se situait à 3 500 occurrences pour 100 000 habitants, est passée. Actuellement, le pic est plutôt en Nouvelle-Calédonie, avec 1 000 cas pour 100 000 habitants - je rappelle que, au début du mois, il était de 2 800 cas pour 100 000 habitants. Nous regardons ces curseurs avec beaucoup d'attention.
Parallèlement, les progrès de la vaccination sont aussi très importants : dans les quatre DOM que sont la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane et Mayotte, 22 à 28 % de la population disposent d'un schéma vaccinal complet. La Polynésie française connaissait un taux similaire au moment de la vague de la fin du mois d'août, contre 49 % aujourd'hui. Le taux à La Réunion est de 51 %. Il n'y a que Saint-Pierre-et-Miquelon qui fasse mieux que la métropole, avec un taux qui s'élève à 77 %. Comme l'ont dit mes confrères représentant le secteur de la santé, ces marqueurs sont inquiétants : on voit bien que les territoires qui ont un taux autour de 20 % sont loin du seuil d'immunité collective, ce qui constitue une menace de nouvelle vague potentielle. Il est clair qu'aujourd'hui le seul outil pour lutter contre la pandémie est la vaccination. Or ce message ne semble pas véritablement être passé.
Par exemple, le taux de vaccination en Martinique et en Guadeloupe est passé de 18 % avant le pic, à 28 % après, soit une différence de 10 %. Cela signifie que les esprits de nos concitoyens ultramarins ne sont pas encore mûrs pour la vaccination, malgré les décès et la situation d'urgence absolue dans les hôpitaux. À Wallis-et-Futuna, malgré le volontarisme du ministre, le taux de couverture vaccinale est toujours autour de 37 %, donc loin encore de celle que l'on connaît, par exemple, à Saint-Pierre-et-Miquelon.
J'y insiste, face à la quatrième vague qui touche les outre-mer, le plateau que l'on observe aujourd'hui dans la vaccination est inquiétant.
Autre source de préoccupation : contrairement à l'ensemble des autres secteurs, le secteur touristique a raté son redémarrage au deuxième trimestre 2021. Il n'a pas repris du fait de la situation sanitaire, notamment de son impact sur le trafic aérien. Il se trouve dans une situation d'extrême difficulté. Le chiffre d'affaires du secteur était en recul de 4 % au premier trimestre par rapport au trimestre précédent. La situation ne s'est pas améliorée au deuxième trimestre, avec un chiffre d'affaires en recul de 14 %.
De fait, les chefs d'entreprise sont très inquiets, comme ils l'ont exprimé à l'occasion de notre enquête de conjoncture : 28 % craignent de devoir cesser leur activité dans un délai de douze mois - ce taux est de 25 % dans le secteur de la construction.
Un autre élément d'inquiétude réside dans le coût du fret. Le redémarrage industriel de la Chine et des États-Unis a créé un besoin très important de capacité de transport au départ de la Chine. Nous connaissons aujourd'hui des pénuries de conteneurs et des lenteurs d'approvisionnement. Le prix des conteneurs a été multiplié par quatre entre septembre 2020 et août 2021. Par conséquent, les outre-mer subissent aujourd'hui, de façon générale, une hausse des prix des matières premières, des coûts du fret, du prix de l'énergie et, au-delà, de nombreux intrants.
En conséquence, l'inflation rebondit. Elle le fait nettement au deuxième trimestre 2021. Ces anticipations se poursuivent sur le troisième trimestre, notamment en Guadeloupe, à Mayotte et, dans une moindre mesure, à La Réunion et en Polynésie française. Les analystes économiques considèrent à ce jour que ce phénomène est transitoire, mais on peut s'interroger sur la durée de cette hausse des prix.
La crise de la covid a aussi eu un effet important - positif, cette fois - en termes d'accélération des mutations structurelles pour le développement des outre-mer.
Nous avons analysé les plans de relance nationaux et territoriaux. Trois secteurs phares figurent dans ces plans : le verdissement, la résilience et la transition numérique.
La transition numérique est une évidence : compte tenu de l'éloignement dont souffrent les territoires d'outre-mer, il était important de passer à cette transition numérique, dans un contexte où de nombreuses entreprises ultramarines accusaient un retard en ce domaine. Aujourd'hui, les chefs d'entreprise estiment que la digitalisation de leurs relations commerciales est l'un des changements majeurs de 2020 sur le plan économique : elle va leur permettre de dépasser, dans un certain nombre de secteurs, les difficultés liées à l'éloignement.
Le deuxième axe est le verdissement. On constate que des initiatives nouvelles ont émergé durant la pandémie et continuent de s'affirmer. Je peux citer, par exemple, la signature, en février 2021, de la charte de valorisation des produits locaux par les producteurs de la grande distribution à La Réunion. On voit aussi, en Nouvelle-Calédonie, des initiatives de culture locale - « Produits d'ici ». Si beaucoup reste à faire, beaucoup a déjà été fait... En tout état de cause, la crise sanitaire a été l'occasion d'une prise de conscience de l'apport des circuits courts. Culturellement, le secteur agricole a désormais peut-être désormais les moyens de répondre présent, mais sa situation financière est tout de même assez complexe.
Le dernier indicateur concerne les énergies renouvelables, qui figurent elles aussi dans les plans de relance. On assiste aujourd'hui à un véritable verdissement. En Guyane, l'hydraulique mais aussi le photovoltaïque, enregistrent une avancée très importante - la centrale de Mana, à l'ouest de la Guyane, sera l'un des plus grands projets de stockage d'énergie photovoltaïque au monde. La Réunion ambitionne de devenir d'ici trois ans la première région française pour la production de l'électricité renouvelable, sur une base associant bagasse et biogaz, même si elle est en en grande partie importée. On pourrait multiplier les exemples.
La transition énergétique est bien en marche. Je veux vous signaler que l'IEDOM et l'IEOM ont diffusé très récemment des cartes économiques de chaque territoire où l'on retrouve l'ensemble de ces données - vous les retrouvez sur leur site internet.
M. Bernard Jomier, président. - Je vous remercie pour ce tableau très complet et très intéressant des données économiques et des perspectives, qui sont prometteuses.
M. Éric Leung, président de la délégation aux outre-mer du Conseil économique, social et environnemental. - Je m'entretiens avec vous depuis l'île de La Réunion. Je suis désolé de n'avoir pu me rendre au Sénat. Je concentrerai mon propos sur les conséquences des mesures économiques.
Premièrement, les mesures économiques qui ont été rendues éligibles dans nos onze territoires ne sont pas toutes identiques : par exemple, Saint-Pierre-et-Miquelon était éligible aux mesures d'activité partielle et de PGE, alors que la Polynésie française n'était pas éligible à l'activité partielle telle qu'organisée au plan national - un dispositif d'activité partielle a été mis en place par le gouvernement local.
Deuxièmement, les mesures massives qu'a apportées l'État depuis le premier confinement en mars 2020 ont répondu aux attentes du monde économique de façon générale. Si l'intensité de la mise en oeuvre de ces aides a été différenciée, nous pouvons considérer que les fonds de solidarité, l'articulation des prêts garantis par l'État, l'activité partielle ont permis de sauvegarder nos entreprises dans la très grande majorité de nos onze territoires.
Au-delà de la sauvegarde, il s'agit désormais de préserver nos outils industriels et nos outils économiques de façon plus générale.
Je ferai plusieurs constats. Il est certain que la sortie de la crise sanitaire ne doit pas déboucher sur une crise économique, voire une crise sociale, ce que tout le monde redoute. Cela étant, je développerai mes constats sous trois angles.
Le premier angle concerne les aides massives qui ont été apportées à nos 150 000 entreprises en outre-mer. Nous avons procédé à un rapide calcul sur les Antilles, La Réunion et Mayotte, qui sont des départements et régions d'outre-mer relativement importants : sur les quelques 4,4 milliards ou 4,5 milliards d'euros qui ont été injectés dans notre économie, entre 3,3 milliards et 3,4 milliards d'euros sont des dettes - 2,6 milliards d'euros de prêts garantis par l'État et à peu près 700 millions d'euros de reports de dettes fiscales et sociales.
Les aides directes se montent à un peu plus d'un milliard d'euros : 600 millions au titre du fonds de solidarité et 500 millions au titre de l'activité partielle. Ces aides directes, notamment l'activité partielle, ont permis de résorber les licenciements éventuels, notamment suite au confinement de mars-mai 2020.
Quoique bienvenue, l'aide au titre de l'activité partielle n'était pas directement fléchée. Par exemple, sur les 180 000 salariés du secteur privé de l'île de la Réunion, 75 % étaient en activité partielle, ce qui est important. Le fonds de solidarité de 600 millions d'euros était constitué des aides directes à destination de nos entreprises. Sur les Antilles, La Réunion et Mayotte, nos entreprises ont ainsi accumulé environ 75 % de dettes ainsi que 25 % d'aides ciblées directes.
S'agissant de l'aspect économique, nous avons besoin de visibilité et de stabilité et, pour tout vous dire, nous ne sommes pas très sereins. En effet, pour rembourser les prêts garantis par l'État, nos territoires respectifs ont sollicité une année supplémentaire, au-delà de la première année de différé, ce qui fera 24 mois de différé. Le délai total d'amortissement de ce prêt reste de six ans, ce qui signifie qu'à partir de mars 2022, nous en serons à quatre mois de remboursement. Nous faisons donc face à un mur de dettes.
Par ailleurs, les confinements successifs - ils ont été différenciés par rapport au territoire métropolitain - ont directement affecté certaines de nos industries et de nos filières, notamment le tourisme. Il apparaît évident pour tout le monde que l'activité touristique est encore dans une situation très problématique, notamment parce que nos compagnies aériennes comme Corsair ou Air Austral sont encore en difficulté. La filière touristique de l'île de La Réunion, dont le chiffre d'affaires annuel s'établit normalement à 1,7 milliard d'euros, a perdu l'année dernière plus de 770 millions d'euros, soit 50 %. Et je rappelle que le tourisme représente 9 % du PIB de notre territoire.
Un autre problème abordé par Mme Poussin-Delmas - il est encore conjoncturel, mais pourrait devenir structurel pour 10 de nos territoires - est celui de notre situation insulaire et de la problématique du fret maritime. Alors que le fret aérien ne subit que quelques baisses de trafic, le fret maritime connaît, depuis la fin de l'année dernière, des problèmes d'approvisionnement et de matières premières qui affectent directement la grande distribution et nos outils industriels. Dans le même temps, nous connaissons une forte croissance des prix, notamment pour le fret Asie et océan Indien, où les tarifs ont été multipliés par quatre, tandis qu'ils ont été multipliés par deux pour le fret Europe. Cette hausse des prix est en partie due à la raréfaction des navires sur la ligne Europe-océan Indien-Asie, peu prisée des compagnies maritimes. Nous nous activons donc pour assurer notre approvisionnement, mais celui-ci résulte d'un fret onéreux avec des prix des matières premières qui augmentent beaucoup.
Le Président de la République a dit que nous étions des îles résilientes. Nous avons effectivement réussi à mettre en place dans certains secteurs, notamment le secteur de la viande, des chambres de compensation qui réunissent les entreprises de bétail, les éleveurs, les transformateurs ou la grande distribution. Nous nous sommes entendus sur l'impérieuse nécessité de ne pas augmenter de façon vertigineuse les prix de vente à la consommation et sur le fait que chaque acteur de nos territoires puisse interagir sur le sujet.
S'agissant du plan de relance - il nous obsède quelque peu en ce moment -, il avait fait l'objet d'un avis du Conseil économique, social et environnemental (CESE) en janvier 2021 sur ses déclinaisons territoriales dans les outre-mer. J'ai proposé aux membres de la délégation des outre-mer du CESE de faire un avis de suite. De fait, entre janvier et septembre 2021, les préconisations n'ont pas été suivies de beaucoup d'effets.
Ce plan de relance interagit avec la partie santé via le volet outre-mer du Ségur de la santé. Toujours est-il que nos entreprises ultramarines n'ont pas eu un grand accès à ce plan de relance : par exemple, l'autonomie alimentaire, priorité nationale pour nos territoires, passe normalement par une réindustrialisation de la transformation agroalimentaire. Le plan de relance précise effectivement des montants relativement conséquents, que ce soit pour la métropole ou les outre-mer. Bien que nous fassions l'objet d'appels à projets (AP) ou d'appels à manifestation d'intérêt (AMI), les critères d'éligibilité ou de recevabilité des candidatures conduisent à sélectionner des entreprises de plus d'un million d'euros de chiffre d'affaires annuel. Or, sur les 45 000 entreprises que compte l'île de La Réunion, seules 2 050 font plus de 750 000 euros de chiffres d'affaires. Le spectre est donc très réduit.
Dans cette phase de préservation et de relance de notre économie, il est important que nos territoires soient entendus par les administrations et les différents ministères. D'aides massives en 2020, nous devons impérativement passer à des mesures chirurgicales. Je suis conscient de la complexité du travail que cela représente, mais il n'y a pas d'autres moyens pour sauvegarder, préserver et relancer notre économie.
Nous connaissons actuellement un phénomène extrêmement compliqué. Comme toutes les entreprises, notre tissu économique a besoin de trois éléments : de l'activité, de la compétence et de la trésorerie. L'activité reste réduite à l'heure actuelle, même si certains secteurs s'en sortent mieux. En ce qui concerne la compétence, nous connaissons des fuites, non pas simplement de cerveaux, mais de compétences et d'expertises. Enfin, en matière de trésorerie, au-delà du mur de dettes, des besoins en fonds de roulement et des délais de règlement qui sont hors norme chez nous, il faut ajouter le fait que, depuis 2018 et la crise des « gilets jaunes », les territoires ultramarins sont considérés par certains établissements bancaires ou certains assureurs-crédits comme des « pays » à haut risque. Comme les comptes à la fin de l'année 2020 ont été clôturés avec des taux d'endettement ou des résultats d'exploitation médiocres, il s'ensuit que beaucoup de nos entreprises connaissent des relations très difficiles avec nos partenaires bancaires. Sans trésorerie et sans accompagnement de nos entreprises, ce sera extrêmement compliqué.
M. Bernard Jomier, président. - Je vous remercie pour vos propos qui montrent l'étendue de la tâche qui nous attend et la gravité des questions auxquelles nous tenterons d'apporter quelques réponses.
M. Jean-Michel Arnaud, rapporteur. - Je serai très bref et préfère laisser la parole à nos collègues des territoires ultramarins. Comment agir pour débloquer l'accès à un chemin vaccinal complet et tendre à l'immunité collective ? N'y a-t-il pas des choses à faire en matière de communication ? Sur qui s'appuyer ?
M. Philippe Folliot. - La situation économique en outre-mer était fragile, avant même la crise. Les effets du plan de relance n'ont pas été aussi importants en outre-mer que dans l'Hexagone. Comment analysez-vous les conséquences à moyen terme de cette pandémie sur les économies ultramarines, notamment s'agissant des enjeux d'autonomie alimentaire ? Que faudrait-il faire pour rebondir ?
Mme Victoire Jasmin. - Je voudrais tout d'abord aborder les problèmes économiques. J'ai eu l'occasion, au mois de juin dernier, d'interpeller le ministre de l'économie au sujet des surcoûts qui frappent tous les produits qui proviennent principalement de l'Hexagone ainsi que, parfois, de la concurrence déloyale. Ces surcoûts sont générés, outre l'octroi de mer, par le fait qu'il y a quatorze intervenants différents entre l'usine et le lieu de vente, contre trois seulement sur le territoire métropolitain.
J'ai travaillé dans le milieu hospitalier dans lequel les surcoûts sont également considérables, tant pour les équipements que pour la maintenance. Au sein de la commission des affaires sociales, j'ai eu l'occasion d'évoquer la conséquence des achats de matériel via des contrats d'exclusivité du constructeur, qui permettent à ce dernier d'avoir le monopole des consommables, de la maintenance, etc., et donc la capacité de fixer les prix. Ainsi, la maintenance de services médicaux implique de prendre en charge le billet d'avion, l'hôtel et la voiture de fonction pour toute la durée du séjour de la personne chargée d'effectuer la maintenance des microscopes ou des équipements des blocs opératoires, par exemple. La gestion d'un centre hospitalier universitaire d'un nombre de lits équivalent dans l'Hexagone et en outre-mer n'est donc pas la même chose, parce que les surcoûts sont considérables. Ces données sont vérifiables.
Un autre problème économique est celui du rebond et des risques assurantiels. Certaines entreprises, déjà dans une situation délicate avant la crise, sont devenues encore plus fragiles. Il faut savoir que certaines entreprises ont dû différer les délais de remboursement du prêt garanti par l'État (PGE).
Concernant, ensuite, le volet sanitaire, il y a eu beaucoup de problèmes au niveau de la communication. Il me semble que c'est là un sujet essentiel. Les propos culpabilisants ou moralisateurs et les jugements de valeur sont autant de choses choquantes - encore aujourd'hui, je viens d'entendre l'un d'entre vous dire que les esprits ne sont toujours pas mûrs pour la vaccination. L'État, à travers ses services locaux et ses représentants, a fait descendre un certain nombre d'informations depuis le premier confinement, sans tenir compte des réalités spécifiques de chacun des territoires. Certes, des efforts sont faits lors de cette table ronde en parlant de façon différenciée.
On voit ce qui s'est passé en Guyane, qui se situe sur un grand continent, et à Saint-Martin, dont l'île a une partie hollandaise, lorsqu'on a pris des mesures centralisées sans limiter en parallèle la circulation des personnes. Je salue, sur mon territoire, le courage de la présidente de la communauté de communes de Marie-Galante, qui a fermé très vite ses frontières et a interdit l'accès de son île aux navires. Elle a été critiquée, mais les chiffres montrent qu'elle a ainsi maîtrisé la situation sanitaire.
J'ai alerté, à la fin du mois de février 2020, M. Jérôme Salomon lors d'une audition de la commission des affaires sociales : je lui ai appris qu'en Martinique des navires de croisières arrivaient toujours. Il m'a répondu qu'il n'avait pas encore pensé aux Caraïbes et qu'il allait interpeller l'OMS...
Il est vrai que, dans ces territoires, les gens sont moins vaccinés. Vous connaissez l'histoire récente de la directrice d'agence régionale de santé (ARS) qui, lors d'une conférence de presse après une réunion avec les élus, s'est vue recadrée par le préfet qui l'a mise en garde contre des propos moralisateurs. Il y a une quinzaine de jours, cette même directrice d'ARS a répondu à un journaliste que sa question était bête : dans l'Hexagone, une telle phrase aurait provoqué un tollé.
Cela n'excuse pas le fait que les gens ne soient pas suffisamment vaccinés : c'est une réalité. Il faut trouver les voies et moyens pour faire de la pédagogie pour inciter les gens à se faire vacciner, mais certaines paroles ne sont pas à dire. Quand un artiste international, Jacob Desvarieux, qui incite à se faire vacciner en Guadeloupe et fait des émissions radio dans ce sens, meurt peu après sa troisième dose, une bonne communication voudrait qu'on explique que c'est la conséquence des autres pathologies dont il était atteint.
Nous ne sommes pas là pour donner des leçons aux gens, mais pour les inciter à se faire vacciner. Ceux qui savent doivent faire passer les messages à ceux qui ne savent pas. Les jugements de valeur, les jugements culpabilisants et les jugements de mépris ne permettent pas d'aller loin.
Les instances de la « démocratie de la santé » n'ont pas été mobilisées outre-mer comme dans l'Hexagone. Par exemple, c'est seulement il y a quinze jours que la conférence régionale de la santé et de l'autonomie de la Guyane (CRSA) s'est réunie pour évoquer ces problématiques. Faisons donc attention à dire les choses de manière positive pour impulser une dynamique et non pas pour faire se replier les gens qui sont déjà assez pessimistes sur le sujet.
M. Michel Dennemont. - Concernant le taux de vaccination, on peut raisonnablement imaginer que les gens qui ont fait une première injection feront bientôt la seconde. On peut donc prendre cela en compte dans le taux de couverture. Quels seront les chiffres quand le schéma vaccinal sera complet pour ces gens-là ?
Mme Jocelyne Guidez. - Sénatrice de l'Essonne et de père martiniquais, je vis également au Diamant où j'étais cet été. Je dirais que les Antillais se soignent surtout par les plantes. Ils ont une certaine méfiance à l'égard du Gouvernement, notamment du fait de l'épisode du chlordécone. Cet été, 16 % de la population avait reçu une dose de vaccin et 21 % la deuxième.
Les réseaux sociaux font beaucoup de mal là-bas. Les Antillais, qui en sont très friands, écoutent parfois un peu trop tout ce qui peut se dire, pour le meilleur comme pour le pire.
Le fait que les touristes aient continué à débarquer par avions entiers m'a choquée, alors que le préfet venait d'annoncer la fermeture des plages et des restrictions de mouvements. On demandait aux touristes de rembarquer, mais les compagnies aériennes leur demandaient un surplus tarifaire. Il faut faire preuve de sérieux et j'avoue n'avoir toujours pas compris les positions, aussi bien des compagnies aériennes que du préfet.
Je salue les équipes venues en aide aux Antilles : nous en avions un grand besoin au vu de la situation réellement catastrophique et du grand nombre de décès, parfois dans des conditions inadmissibles. Je tenais à apporter mon témoignage, car ce que j'ai vu m'a choquée. J'espère qu'il n'y aura pas de cinquième vague, tant pour la population que pour le retour des touristes, importants pour l'économie locale.
M. Victorin Lurel. - Je veux remercier le président et le rapporteur de cette table ronde. J'ai beaucoup appris ce matin. Je suis heureux qu'il y ait des évolutions positives, mais il faut encore maintenir les efforts. J'appréhende une éventuelle cinquième vague.
Je veux insister sur la qualité de l'information. Tous les partenaires, et l'État en particulier, doivent y réfléchir.
Comme notre collègue Jocelyne Guidez vient de le dire, la croyance dans la médecine à base de plantes, dans la médecine « rimèd razié », comme on l'appelle en Guadeloupe, est importante. Les gens ne comprennent pas que ce sont des traitements complémentaires. De l'eau tiède avec du citron ou le zèb à pic ne sont pas des traitements alternatifs... On n'a pas pris conscience de la résistance intellectuelle, psychologique et peut-être religieuse au vaccin. Cette résistance est exceptionnelle. L'un de mes cousins m'a dit ne pas vouloir « polluer le temple de son corps avec un vaccin »...
La pédagogie aurait dû être massive. Mme Guidez a raison : il y a un quasi-monopole des réseaux sociaux en matière d'information. Chacun prétend être médecin. On n'a pas fait entrer dans la tête des gens, surtout dans nos territoires, que l'on va vivre longtemps avec ce virus et qu'il faudra tôt ou tard un deuxième vaccin obligatoire. On n'a pas encore réussi à répandre dans les outre-mer l'idée que le vaccin n'est pas provisoire, qu'il n'est pas expérimental, qu'il ne change pas le génome, que la pharmacovigilance fonctionne. Les gens ont peur du vaccin et privilégient notre pharmacopée locale.
Il faut reprendre totalement la communication, comme je ne cesse de le répéter depuis mars 2020. Le problème est culturel. Cela paraît un détail, mais l'aiguille qui plonge dans l'épaule effraie les gens ! Il faut en tenir compte.
Le pire est qu'une partie de l'élite a politisé la question : on s'est servi de la vaccination pour lutter contre le Gouvernement, contre l'État ou contre le colonialisme.
La classe politique continue à écrire qu'elle est de la génération des « rimèd razié ». Lorsque des scientifiques ont déclaré, à l'occasion d'un grand forum politique, avoir découvert un traitement préventif, les gens ont couru l'acheter en pharmacie...
Dans France-Antilles est paru le témoignage poignant d'un patient ayant pris 7 kilos d'herbe à pic. Il a vu la mort de près et implore les gens d'aller se faire vacciner. Certains cherchent à se soigner avec du jus de carotte, comme Steve Jobs l'a fait pour son cancer du pancréas... sauf qu'il en est mort.
En face, la communication est faible, pour ne pas dire inexistante. Au niveau national, on appelle à se faire vacciner, mais on ne donne pas d'explication pour rassurer. De nombreux facteurs expliquent la résistance au vaccin. C'est un fait sociologique qui n'a pas été appréhendé et qu'il faut aujourd'hui traiter en extrême urgence.
L'ouverture des frontières développe une forme de sentiment contre le tourisme, qui fait pourtant vivre nos territoires. Le Gouvernement ne l'a pas compris, et nous n'avons pas eu le courage de le dire clairement. Je regrette l'absence de leadership en la matière.
Il est compliqué d'instaurer une obligation vaccinale, mais, comme pour le vaccin de la grippe saisonnière, on aura peut-être demain à faire cette piqûre. Au lieu de parler de nouvelle injection, il faudra peut-être simplement parler de rappels...
J'insiste sur l'importance de reprendre la communication.
M. Éric Leung. - La territorialisation du plan de relance est profitable pour les réseaux d'eau et d'assainissement, les rénovations thermiques des bâtiments de l'État ou encore la protection de l'environnement. Ce plan est donc indéniablement utile.
Concernant l'autonomie alimentaire, nous demandons que les prises de décisions sur l'éligibilité de certains budgets ne se fassent pas uniquement au niveau parisien ou dans les administrations centrales, mais que les préfets disposent d'un budget à leur main. En somme qu'ils puissent actionner, en toute conscience et connaissance de nos territoires, telle ou telle éligibilité au plan de relance.
Certains de nos territoires disposent de cette fiscalité locale qu'est l'octroi de mer. Le calcul de ce dernier est basé sur le coût du fret, qui augmente. Il serait judicieux de regarder de quelle façon cette augmentation de la fiscalité locale peut être redistribuée auprès des producteurs ou des industriels pour amortir les inflations de prix.
Mme Marie-Anne Poussin-Delmas. - Jean-Michel Arnaud a posé la vraie question : comment faire pour atteindre un schéma vaccinal complet ? On le voit, c'est le seul moyen de lutte efficace contre le virus avec lequel nous allons vivre longtemps. On peut parler autant que l'on veut de plan de relance, tant que la question sanitaire n'est pas réglée, la reprise économique ne peut pas suivre.
S'agissant des conséquences à moyen terme de la pandémie, il faut tout d'abord prendre en compte l'incertitude sur la sortie de cette crise sanitaire. Le mérite premier des plans de relance est de donner des caps stratégiques. On le sait, ce qui est important en matière économique, c'est de donner de la visibilité aux entreprises, c'est d'indiquer aux jeunes les filières qui, demain, recruteront et leur donner des raisons de rester sur ces territoires.
Apparaît ensuite de nouveau la question de la communication quant à l'avenir des territoires, aux perspectives des jeunes, au futur du tourisme, etc. Tout cela repose sur notre capacité à attirer les touristes. Or on sait que cette attirance vers nos territoires résulte de la sécurité physique et sanitaire. Il est vrai que le chlordécone et un certain nombre d'autres difficultés liées à des choix des gouvernements font qu'il peut y avoir une crainte sur ce nouveau vaccin conçu, il faut bien le dire, dans des délais extrêmement rapides par rapport à ce qui se fait d'habitude. Je peux comprendre les réticences culturelles et nous nous trouvons, là, face à un défi de communication.
Deux pistes m'apparaissent pour relever ce défi. D'une part, donner des chiffres factuels via les médias et, d'autre part, trouver des influenceurs qui aideraient à passer des messages sur nos territoires ultramarins.
Mme Cécile Courrèges. - Il y a une différence de 12 à 13 % entre ceux qui ont reçu une première dose et ceux qui ont reçu la deuxième dose. On reste très loin de l'immunité collective : en Guadeloupe, par exemple, 42 % de la population a reçu sa première dose. En outre, on observe dans ces territoires que ceux qui ont reçu leur première dose ne vont pas toujours recevoir la deuxième.
Le sujet principal est effectivement la vaccination : le système de soins et les hôpitaux ne sont que le réceptacle de ce qui, en amont, n'a pas pu être fait contre la diffusion virale. Nous devons rester modestes, ce n'est pas en trois semaines de présence sur ces territoires qu'on peut savoir ce qui est bon ou pas, à la différence de la population concernée. On peut néanmoins constater le nombre extrêmement important de décès, et le faible impact que ce nombre a néanmoins eu sur le taux de vaccination. Les relais d'opinion doivent donc jouer leur rôle.
Dr Francis Fellinger. - Je tiens rapidement à rappeler la violence de la vague épidémique, avec des décès de jeunes de 30 ou 40 ans. L'obligation vaccinale ne fonctionne pas, on l'a vu avec les soignants. Le problème est donc de l'ordre du délai et de la temporalité. Nous sommes dans une course de vitesse avec un virus qui risque de se rediffuser. C'est la question sur laquelle il faudra se pencher.
Mme Brigitte Chane-Hime. - Je voudrais aborder le sujet du très faible taux d'équipement, assorti de la précarité et de l'éloignement géographique. Il faut réellement évaluer les moyens techniques et organisationnels de chaque territoire, prendre en compte les facteurs humains et socioculturels des outre-mer, la spécificité et l'histoire de chacun. Bref, développer une véritable approche, une éducation à la santé afin de surmonter des résistances à la vaccination en en pointant l'efficacité. Les clefs en sont une bonne communication et une pédagogie adaptée.
M. Bernard Jomier, président. - Il me reste à vous remercier pour le panorama très complet que vous avez dressé. Nos rapporteurs vont maintenant s'atteler à un travail par territoire.
La réunion est close à 11 heures.