Jeudi 23 septembre 2021

- Présidence de M. Jean-François Rapin, président -

La réunion est ouverte à 9 h 10.

Culture – « Quelle place pour l’Union européenne dans les médias ? »

Séquence 1 : « Quelle couverture médiatique nationale pour l’actualité européenne ? »

M. Jean-François Rapin, président. – C’est un grand honneur pour le Sénat de tous vous accueillir au Palais du Luxembourg ce matin. Je suis très heureux de vous souhaiter la bienvenue au nom de la commission des affaires européennes.

Le Sénat prépare activement la dimension parlementaire de la présidence française du Conseil de l’Union européenne qui débutera au 1er janvier prochain pour six mois. C’est un événement exceptionnel pour notre pays puisqu’il n’a pas eu lieu depuis quatorze ans.

Parallèlement, l’Union européenne a lancé le 9 mai dernier, à destination de tous les citoyens européens, une conférence sur l’avenir de l’Europe, dont le Président de la République est l’instigateur et dont il espère des résultats au printemps prochain, sous présidence française.

Ces deux exercices parallèles, même s’ils peuvent occasionner une certaine confusion dans l’esprit des Français, représentent une double opportunité pour rapprocher l’Europe de nos concitoyens et pour les amener à se réapproprier les enjeux de la construction européenne. Celle-ci peut paraître distante, voie étrangère, alors même qu’elle emporte des conséquences très concrètes pour la vie de chacun d’entre nous.

Or selon un Eurobaromètre de 2017, près des trois quarts des Français considèrent qu’ils ne sont pas bien informés sur les questions européennes. Cela place notre pays au dernier rang des 27 États membres, derrière l’Espagne et la Belgique – 69 % – et la Grèce – 67 %.

Nous craignons que ce chiffre reflète la faible part de l’actualité de l’Union européenne dans les médias français, et spécifiquement dans les journaux télévisés. La fondation Jean Jaurès a ainsi mené plusieurs études sur le sujet : sur la période 2015-2020, l’actualité européenne n’a concerné en moyenne que 3,6 % des sujets des journaux télévisés de cinq chaînes – TF1, France 2, France 3, M6 et Arte –, avec un pic à 5 % en 2019, année électorale européenne. Et que dire de la couverture comparée des élections européennes et de l’élection présidentielle américaine ?

Ce constat ne manque pas de nous inquiéter dans un contexte où la démocratie est fragilisée, et où se présente une double occasion de ramener le débat européen sur la place publique nationale, avant les élections présidentielles et législatives de 2022.

C’est pourquoi nous avons souhaité organiser cette table ronde ce matin, afin de nous interroger ensemble sur les raisons de cette visibilité réduite de l’Union européenne dans les médias et sur les moyens d’y remédier. Je vous propose d’aborder ce sujet important pour la santé de notre démocratie, à deux échelles : au niveau national d’abord, puis au niveau européen. À cet effet, nous avons invité de nombreux intervenants. Je remercie chacun d’entre eux d’avoir répondu positivement à notre invitation.

Nous allons donc commencer nos travaux par une première séquence destinée à appréhender quelle est la couverture médiatique nationale de l’actualité européenne. Cette séquence réunit les grands acteurs de la télévision, de la radio et de la presse écrite, ainsi que les régulateurs du secteur. Chacun des intervenants pourra tenir un propos liminaire de trois à quatre minutes maximum. Je serai intraitable, vu votre nombre, afin de permettre ensuite un temps d’échange avec les sénateurs présents dans la salle !

D’entrée de jeu, j’ai jugé utile de donner la parole à Théo Verdier, expert à la Fondation Jean Jaurès, qui a mené, en partenariat avec l’Institut national de l’audiovisuel (INA), des travaux poussés sur la médiatisation des affaires européennes en France, et qui a appelé à renforcer l’information des Français sur l’Union européenne.

Je lui laisse le soin de planter le décor.

M. Théo Verdier, expert associé à la fondation Jean Jaurès. – Merci à la commission des affaires européennes du Sénat d’organiser cette table ronde. C’est la première fois que je vois réunis tous les acteurs du sujet, publics et privés.

Vous posez la question de savoir si l’on accorde à l’Union européenne et à son actualité une place dans notre espace public à la hauteur de celle qu’elle occupe dans nos vies.

Vous avez rappelé les données que nous avons publiées avec l’INA : en moyenne seulement 3 % des programmes d’information des radios et des télévisions nationales sont consacrés à l’actualité de l’Union européenne au sens large, à son action, ses institutions, ses représentants, voire à ses relations avec les États membres.

Il existe ce que nous appelons une invisibilisation du sujet européen dans nos médias nationaux. Pourquoi ?

J’appelle à ne pas faire reposer l’ensemble de la responsabilité sur les rédactions, qui ne sont que le bout de l’entonnoir et tributaires du contenu politique que produisent les institutions, la société et les acteurs du débat public.

C’est une question d’incarnation, de communication entre les institutions et notre démocratie nationale. S’il y a bien quelque chose que l’on peut modifier en France sur le plan législatif, c’est bien la démocratisation des affaires européennes. Quand, en France, débattons-nous de la politique européenne avec des acteurs nationaux connus des Français ?

C’est une question importante pour mettre des visages sur des images, sur des clivages et parler médiatiquement de l’Europe sur la scène nationale.

Néanmoins, à court terme, je crois que l’on peut agir sur la dernière partie de l’entonnoir médiatique que j’évoquais.

Je crois en premier lieu qu’il est important de pouvoir suivre ce sujet de manière chiffrée et quantitative. Si on considère que c’est une lacune dans la manière dont fonctionne notre démocratie, il faut qu’on se donne des indicateurs pour suivre cette problématique.

J’appelle à un pacte pour la visibilité de l’Union européenne dans les médias, à l’instar du pacte pour la visibilité de l’outre-mer, qui a fait la preuve de son bon fonctionnement.

Rendez-vous compte que, dans les rédactions privées ou publiques, il n’existe pas d’outils pour savoir quels sont les types de sujets que l’on met en avant. On ne peut dire en fin d’année, sauf à réaliser des décomptes manuels, qu’on a fait tel ou tel pourcentage sur la sécurité, l’Europe, les affaires étrangères, la géopolitique, Joe Biden. Ce n’est peut-être pas important au quotidien, car une rédaction a « la tête dans le guidon » et traite d’une matière première mouvante dans le débat public national.

Toutefois, si l’on veut que les Français puissent s’impliquer dans la démocratie européenne, il faut réaliser un saut quantitatif sur le traitement accordé à l’Union européenne dans les médias.

Vous allez certainement dire qu’il nous faudra faire un effort dans le cadre de la présidence française de l’Union européenne (PFUE). Je crois que l’on doit travailler sur ce sujet sur le long terme et faire un saut quantitatif en matière de visibilité de l’Union européenne dans les médias pour les dix ans à venir.

Il faut donc disposer d’un pacte avec des indicateurs chiffrés, dans lesquels les parlementaires ont toute leur place, pour apprécier la visibilité de l’Union européenne dans les médias.

Dernière proposition : je crois qu’il faut faciliter l’envoi de correspondants auprès des institutions. Il existait autrefois en France un centre d’accueil de la presse étrangère. C’est le rôle de l’État, à l’occasion de la PFUE, d’aider les médias privés, qui n’ont pas forcément les mêmes moyens que les médias publics, pour investir dans le sujet afin de se rapprocher de la matière première européenne et remettre des journalistes au cœur de la machine.

M. Jean-François Rapin, président. – Face à ce constat, chacun est tenté de se tourner vers le service public, qui a pour mission de contribuer à faire vivre le débat démocratique, et particulièrement vers la télévision publique, première visée.

La présidente de France Télévisions, Delphine Ernotte, n’a finalement pas pu être des nôtres. Aussi est-ce Christophe Tardieu, secrétaire général, que j’invite à nous dire quelle couverture France Télévisions réserve à l’actualité européenne.

M. Christophe Tardieu, secrétaire général de France Télévisions. – Tout d’abord, j’indiquerai que France Télévisions dispose d’un contrat d’objectif et de moyens (COM) pour 20212022 qui prévoit un traitement de la question européenne.

C’est la première fois qu’un véritable objectif nous est fixé par la tutelle en la matière. Je sais que mes autres collègues de l’audiovisuel public ont les mêmes dispositifs ; c’est un point important.

Nous nous efforçons d’intégrer la dimension européenne dans l’ensemble de nos programmes d’information. Nous avons gardé cinq bureaux permanents en Europe. Nous offrons des modules et des magazines sur France Info, comme La faute à l’Europe ou Drôle d’Europe.

La plupart de nos magazines – Envoyé spécial, Télématin, Complément d’enquête - s’efforcent d’avoir des rubriques sur les sujets européens. Par ailleurs, en région comme sur notre site, nous nous efforçons de donner une information aussi précise que possible sur les grands sujets européens.

Par exemple, la couverture des élections européennes de 2019 a donné lieu à environ 120 heures d’émissions et de formats divers consacrés au scrutin. Pour la première fois sur France Info, nous avons retransmis les débats pour la présidence de la Commission européenne.

Je n’irai pas jusqu’à dire que c’est un triomphe en termes d’audience, mais le succès est là, et cela fait partie des points qui, pour nous, sont extrêmement importants. Pour citer un chiffre, 108 sujets distincts ont été consacrés au plan de relance européen.

Par ailleurs, nous participons aux innovations qui traitent de sujets européens et apportent des réponses et des solutions concrètes.

En juillet dernier, nous avons lancé Vu d’Europe avec 17 autres diffuseurs publics européens. Il s’agit d’un échange de contenus numériques traduits de façon automatique. Nous allons voir ce que cela donne.

Nous avons également lancé avec NowU, la BBC et la télévision publique allemande, une offre numérique gratuite surtout destinée aux quinze-trente-cinq ans.

Enfin, une alliance a été passée avec la RAI et la ZDF pour développer des projets de fictions européennes haut de gamme. Nous pensons que l’union de plusieurs diffuseurs publics européens peut permettre de rivaliser avec la puissance des plateformes. Cette alliance est extrêmement prometteuse. Nos amis espagnols souhaitent également rallier cette alliance. Ce sera pour nous très important.

Cette coopération se joue essentiellement, pour ce qui nous concerne, via l’Union européenne de radio-télévision (UER), qui dépasse le cadre de l’Europe. C’est parfois compliqué pour les institutions communautaires de réaliser un correct partage entre ce qui relève de leur domaine d’activité et ce qui relève de l’Union européenne, où figurent des pays comme la Russie ou le Bélarus, qui vient d’être exclu compte tenu de son absence totale d’indépendance.

Notre ambition est donc d’essayer de populariser les sujets européens auprès de la plus large audience possible. On s’y efforce, mais il reste certainement beaucoup de progrès à accomplir.

M. Jean-François Rapin, président. – C’est aussi à l’Europe de se populariser un peu ! Je défends pleinement le concept d’« Europe à la maison », afin que nos concitoyens s’attachent à comprendre les mécanismes européens de façon concrète.

Je donne maintenant la parole à un autre acteur public de la télévision, France Médias Monde, représenté par sa présidente Marie-Christine Saragosse, que je remercie vivement.

Pourriez-vous nous indiquer dans quelle mesure les médias publics à diffusion internationale, qui sont réunis dans France Media Monde, contribuent à la médiatisation nationale des informations européennes ?

Mme Marie-christine Saragosse, présidente de France Médias Monde. – Nous sommes en effet des médias internationaux. Je voudrais souligner l’omniprésence des enjeux européens sur nos antennes, leur réactivité et le fait que les jeunes Européens constituent un public privilégié.

En matière d’omniprésence, je suis très sensible à l’étude de l’INA et de la Fondation Jean Jaurès. Malheureusement, nous avons seulement été pris en compte durant une seule année. Nous avions eu le bonheur de voir que France 24 était la première chaîne française d’information sur l’Europe, mais nous avons ensuite été sortis de l’étude. Cela peut fausser la perception de la présence de l’Europe dans les médias français…

Nous diffusons chaque semaine 30 heures de programmes européens sur nos antennes. L’Europe des citoyens pouvant offrir une entrée positive vers l’Europe, nous diffusons des émissions comme Accents d’Europe, qui nous racontent la vie quotidienne des Européens, ou L’Europe dans tous ses états. Nous sommes souvent financés par la Commission.

Nous travaillons avec France Info, France Télévisions et Radio France dans le cadre d’une émission commune, Drôle d’Europe. Nous travaillons aussi avec Public Sénat, avec qui nous avons également une émission commune, Ici l’Europe.

Je pense que nous allons pouvoir renforcer ces collaborations pendant la présidence française.

Deuxièmement, l’actualité l’exigeant, nous avons diffusé mercredi en direct le discours sur l’état de l’Union d’Ursula von der Leyen. Nous procédions déjà ainsi pour le président américain : il nous a semblé logique de le faire pour la présidente de la Commission. Je pense que cela a été assez remarqué par les élus européens.

Nous avons aussi couvert l’élection européenne avec un bus qui a sillonné l’Europe, et nous travaillons à quelques petites surprises pour la présidence française.

Nous avons constitué un groupe de travail interne avec nos chroniqueurs et nos spécialistes, dans les vingt langues que compte notre groupe.

Nous travaillons sur les lieux de mémoire européens à Paris et en France et, inversement, sur les lieux où la France est très présente dans d’autres pays européens.

Nous négocions aussi avec France Télévisions et Radio France un accord avec Viavoice pour avoir un baromètre de la perception de l’Union européenne par les Français avant et après la présidence de la France. Cela donnera lieu à un certain nombre d’émissions communes et de commentaires.

Enfin, pour convaincre les jeunes de l’intérêt de l’Europe, nous avons lancé Enter ! avec nos amis allemands, à la fin du mois de mai dernier, dans le cadre du traité d’Aix-la-Chapelle. C’est un programme qui allie six partenaires européens et donc six langues européennes en même temps, 100 % vidéo mobile, sur les réseaux sociaux. Nous avons déjà 13 millions de vidéos-vues dans ces différentes langues, dont 5 millions au mois d’août. Ce programme est financé à 40 % par la Commission. Nous devons soumissionner à nouveau. C’est en cours. On y traite de beaucoup de sujets, comme le logement des jeunes en Europe, par exemple. Nous sommes donc dans les starting-blocks.

M. Jean-François Rapin, président. – On ne se rend pas forcément compte qu’il existe autant de matière.

Je propose à présent d’entendre la voix des télévisions privées, à commencer par celle du groupe TF1, ici représenté par Fabien Namias, directeur général adjoint de LCI, chaîne d’information en continu, donc particulièrement concernée par notre sujet.

Quelle visibilité le groupe TF1 donne-t-il aux informations européennes ? On rapporte qu’il n’aurait aucun correspondant à Bruxelles. Est-ce vrai ?

M. Fabien Namias, directeur général adjoint de LCI. – Oui, c’est vrai, mais cela ne nous empêche pas d’envoyer très régulièrement nos reporters sillonner l’Union Européenne et rapporter dans nos journaux télévisés.

LCI, que je dirige au sein du groupe TF1, consacre une part très importante de son antenne à l’actualité internationale en général et européenne en particulier, par intérêt et goût, avant toute notion d’obligation ou de contrainte.

Chaque soir, David Pujadas présente une chronique internationale dédiée, en prime time. Il y est question d’Europe deux à trois fois par semaine. Par ailleurs, chaque après-midi, un journaliste de la rédaction internationale intervient dans une chronique sur LCI sur les sujets internationaux et européens.

Un journaliste spécialisé, correspondant à Bruxelles, Jean Quatremer, intervient sur ces sujets chaque semaine à l’antenne sur LCI. Parmi ces dossiers figurent évidemment les questions européennes. Il en a été particulièrement question récemment au sujet de l’accès aux vaccins des Européens, et nous avons consacré une part très importante d’antenne aux négociations sur le Brexit.

Chaque sommet européen fait l’objet d’une vaste couverture sur notre antenne. Lors des élections européennes, en 2019, LCI a consacré trois débats aux élections, à une heure de grande écoute, entre 20 heures et 23 heures.

Hasard de l’actualité, il se trouve que le secrétaire d’État aux affaires européennes est l’invité de l’émission de Darius Rochebin vendredi soir. La crise diplomatique avec les États-Unis, dont on parle beaucoup en ce moment, interroge le rôle de l’Europe, celle-ci ayant finalement apporté son soutien à la France. Ce sujet a été très présent sur notre antenne.

TF1 n’a plus de correspondant dans la plupart des capitales étrangères, parce qu’on a choisi de traiter l’actualité sous forme de reportages permettant de sillonner l’Union Européenne. Ces deux dernières années, 245 sujets ont été spécifiquement dédiés aux questions européennes dans les journaux télévisés de TF1 de 13 heures et de 20 heures, en semaine comme le week-end.

Un point nous est cher et peut, à court terme, poser quelques difficultés. Il s’agit de la présidence française de l’Union européenne au premier semestre 2022, non pas en raison de l’aridité supposée des contenus, mais en raison du calendrier.

Cette présidence va en effet se cumuler, pour la France, avec un autre calendrier non négligeable, celui de la campagne présidentielle, suivie par la campagne législative. L’Europe sera à n’en pas douter un sujet en soi et un enjeu, mais quelle place pourrons-nous reverser à la présidence française de l’Union européenne alors que la campagne présidentielle battra son plein ? Comment faire la part des choses entre l’action publique du chef de l’État, de l’administration, et la campagne électorale ?

Je pose la question car elle sera à n’en pas douter soulevée par tous les acteurs publics et privés, et les médias publics seront interrogés sur la place qu’ils accordent à la France. On nous reprochera aux uns et aux autres de faire la campagne de tel ou tel. On le sait, mais je préfère précéder les débats et les prévenir plutôt que les subir.

On avait déjà évoqué la problématique lors d’une réunion organisée par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) au printemps dernier, qui avait été très utile. Je pense que ce sujet reste crucial à éclaircir. Comment comptabiliser les différents temps de parole liés à ce sujet si l’on veut proposer une couverture efficace et complète ?

Le risque, pour éviter toute polémique, serait de ne traiter que des sujets techniques, qui ne favoriseraient pas le rapprochement avec le concept européen.

M. Jean-François Rapin, président. – C’est aussi une préoccupation que partagent les politiques.

Après le groupe TF1, nous aimerions entendre la voix du groupe M6, représenté ici par Stéphane Gendarme, directeur de l’information.

Quelle place le groupe M6 accorde-t-il à l’actualité européenne ?

M. Stéphane Gendarme, directeur de l’information du groupe M6. – Le dispositif de la chaîne M6 consacré aux questions européennes repose sur les rédactions. Nous n’avons en effet pas de journalistes spécialement dédiés à l’Europe. Nos journalistes politiques se déplacent donc très souvent à Bruxelles ou Strasbourg.

Nous avons également un correspondant de M6 à Nancy, qui va très régulièrement à Strasbourg. Nos équipes de Lille font aussi couramment le trajet en direction de Bruxelles.

Nous avons également des correspondants dans un grand nombre de pays de l’Union européenne, avec qui nous travaillons régulièrement.

Un point est peut-être un peu moins connu : M6 appartient à l’association ENEX, basée sur le modèle de l’Eurovision. Cette association partage des images et des positions satellites et rassemble des chaînes d’un grand nombre de pays européens. Nous faisons énormément de travail en commun avec ces chaînes.

Depuis quelques années, nous travaillons aussi étroitement avec RTL. Nous bénéficions de la force de frappe de cette radio, qui est dotée d’un dispositif européen, et nous travaillons main dans la main avec la journaliste spécialisée dans ce domaine ou avec son réseau de correspondants.

C’est la même chose avec nos partenaires de RTL Belgique, avec qui nous collaborons sur les grands événements.

Pour entrer dans le vif du sujet, je pense que nous ne devons pas nous arrêter aux grandes dates. M6 est présent, comme beaucoup, sur les événements, les Conseils européens, mais je pense que l’on gagnerait, notamment par rapport au public jeune qui regarde beaucoup nos journaux, à ne pas simplement traiter l’Europe et les questions européennes lorsqu’il se passe quelque chose.

C’est un effort dont nous sommes vraiment conscients de l’importance. Nous allons bien évidemment beaucoup parler de la présidence française. La question des quotas et du temps de parole est un vrai défi, mais je pense que M6 gagnerait à être plus présent au long cours sur ces sujets, en dehors de ces événements.

Nous sommes, comme beaucoup, très attachés à l’aspect didactique et au décryptage. Dans nos rubriques, comme Expliquez-nous, nous revenons très souvent sur l’organisation de l’Union européenne. Nous expliquons le fonctionnement des institutions. Il n’y a pas une élection à propos de laquelle nous ne rappelons pas les clés, notamment au public le plus jeune.

Pour conclure, entre janvier 2020 et août 2021, M6 a diffusé 129 « entrées » concernant l’Europe ce qui, je pense, n’est pas négligeable.

Nous nous attachons vraiment, dans nos JT, à rapprocher l’Europe des Français. Ce n’est peut-être pas ce qui est le plus visible. Au moment des élections, ou dès qu’on en a l’occasion, on essaie de montrer comment l’Europe est présente dans le quotidien des Français. Nous ne sommes pas les seuls.

C’est déjà une porte d’entrée pour montrer comment l’Europe joue sur la vie des Français, même s’il faut assurément essayer d’en faire plus entre chaque grande date.

M. Jean-François Rapin, président. – Vous venez de présenter le concept d’Europe à la maison. Je suis très intéressé par le fait de sortir des grandes dates pour se consacrer davantage sur le quotidien.

Il existe des dispositifs européens très intéressants qui n’entrent pas suffisamment dans les foyers. Je pense à Erasmus Plus, grâce auquel des apprentis peuvent aujourd’hui réaliser leur apprentissage en Europe, mais personne ne le sait, en dehors des publics bien informés.

Je souhaite à présent la bienvenue à Christopher Baldelli, président-directeur général de Public Sénat, qui est ici un peu chez lui.

J’avais pu évoquer le sujet de la couverture des sujets européens avec votre prédécesseur, Emmanuel Kessler, juste après ma prise de fonction en tant que président de la commission des affaires européennes, mais nous n’avons pas encore eu le temps de nous en entretenir tous les deux.

Quel temps Public Sénat consacre-t-il aujourd’hui à l’Europe ?

Comptez-vous donner plus de visibilité encore aux travaux du Parlement français à propos des sujets européens ?

M. Christopher Baldelli, président de Public Sénat. – J’ai eu l’occasion, à Public Sénat et dans plusieurs médias, mais aussi précédemment à France 2, RTL et au groupe M6, de me préoccuper de ce sujet qui n’est pas facile.

L’intitulé de votre table ronde – « Quelle place pour l’Union européenne dans les médias ? » – fait preuve d’une certaine pudeur. Vous auriez pu l’intituler : « Pourquoi l’Europe fait-elle l’objet d’aussi peu de couverture dans les médias français ? » Je pense que c’est le sens de votre questionnement...

Pour trouver des solutions, il faut d’abord étudier les difficultés. Elles ne sont pas négligeables, et on ne peut faire l’économie de cette phase.

Cela concerne l’Europe, mais aussi plus largement les sujets internationaux. Il faut le constater – les audiences nous le montrent – : il n’y a pas une grande appétence de nos concitoyens pour ces sujets.

J’ai dirigé France 2 de 1999 à 2006. Juste avant, France 2, première chaîne nationale, deuxième chaîne française, qui diffuse un journal important face à celui de TF1, avait décidé de montrer sa différence à travers un décor qui représentait le monde, et surtout dans la hiérarchie et le choix des sujets. Il avait été décidé de commencer systématiquement le journal de 20 heures par un thème de dimension internationale, quoi qu’il se passe en France.

On a tenu moins de six mois. J’en parle d’autant plus facilement que ce n’est pas mon équipe qui a pris cette décision, mais la précédente.

Ce n’est pas de ce point de vue une spécificité française : dans d’autres pays voisins, l’approche est de même type. Les débats qui ont récemment eu lieu en Allemagne à propos du poste de chancelier ont plus porté sur des questions nationales intra-allemandes que sur des questions européennes et internationales. Certains observateurs l’ont d’ailleurs regretté, y compris en Allemagne.

La deuxième difficulté est relative à la visibilité des actions européennes, sujet que les sénatrices et les sénateurs connaissent bien.

Aujourd’hui, quand les régions participent à des actions de transport, il est indiqué sur les wagons que tel train circule grâce à la région. Quand un État ou des collectivités, notamment en France, bénéficient de subventions européennes importantes pour les aider dans leurs projets, communiquent-ils de façon visible sur le fait que ce financement est possible grâce aux subventions européennes ?

Mme Valérie Létard, vice-présidente du Sénat me disait hier que c’était le cas dans sa région. – Je ne suis pas sûr que ce soit partout le cas.

J’en viens à présent à la loi et à la directive. Le projet de loi audiovisuelle qui doit être définitivement adopté aujourd’hui même à l’Assemblée nationale résulte en grande partie d’une transposition de directive portant notamment sur la question des services audiovisuels à la demande.

Au début, on parlait de transposition de directive. Le législateur français a progressivement élargi le sujet et y a intégré un certain nombre de spécificités qu’on ne retrouvera pas dans les autres pays, en particulier s’agissant du niveau d’investissement des différentes plateformes. On ne parle donc plus du tout d’une directive européenne, mais d’une loi française.

L’action européenne et la façon dont elle est transcrite dans les différents pays sont donc peu visibles et peu lisibles. Un journaliste de base, voire une rédaction extrêmement bien structurée et intelligente, n’arrive parfois même pas à déterminer ce qui relève du niveau européen.

Enfin, tout le monde le sait, l’Europe est plus souvent l’objet de critiques que de satisfecit, et c’est vrai à tous les niveaux, y compris politique.

L’Europe est pourtant incroyablement présente dans nos vies : ce matin même, on a appris que la Commission travaillait sur l’idée d’une recharge unique pour les portables, qui va simplifier la vie, faire faire des économies et concerner tous les citoyens. Voilà un bon sujet. Aujourd’hui, on en parle dans certains médias, comme France Info ce matin. Certaines informations de ce type peuvent concerner tous les citoyens et sont intéressantes, mais encore faut-il les voir.

Une fois qu’on a dressé l’état des lieux et recensé les difficultés, les solutions sont de trois ordres. Cela a été largement évoqué par mes collègues : quand il y a un événement, il faut naturellement le traiter. Ce sera le cas évidemment avec la présidence française. Public Sénat traitera la question différemment, essentiellement par le biais des initiatives qui seront prises au niveau parlementaire, que ce soit au Sénat ou l’Assemblée nationale. Deuxièmement, il faut des modules spécifiques, des magazines dédiés à l’Europe existent aussi sur Public Sénat, comme L’Europe ensemble.

La troisième façon de parler de l’Europe, c’est de prendre du recul. Pour cela, il faut des formats de magazine qui permettent de ne pas être totalement noyé par l’actualité immédiate, en donnant un peu de sens et de profondeur aux choses. De ce point de vue, Public Sénat a lancé un nouveau magazine à la rentrée, à 18 heures, Sens public, avec un premier débat qui réunit des spécialistes autour de sujets d’actualité et un second plus prospectif, avec un retour en arrière sur certains éléments. Avec ce genre de choix, on peut mieux traiter des sujets européens.

M. Jean-François Rapin, président. – Je reviens sur la question de la visibilité européenne et les investissements que vous avez évoqués. Les plus petits pays, lorsqu’ils bénéficient d’investissements européens, le font savoir de façon très démonstrative. C’est moins vrai chez nous. Nous sommes peut-être des enfants gâtés.

Quand le relais est en outre une collectivité, une région, une intercommunalité, on garde le bébé pour soi. C’est aussi une façon de faire de la politique…

Le Sénat a lancé une consultation auprès des élus locaux sur leur ressenti de l’Europe. Une fois qu’on en aura les résultats, je ferai un tour de France pour les présenter. J’inviterai Public Sénat à nous accompagner pour constater, sur les territoires, ce que peut apporter l’Europe.

Je souhaiterais à présent me tourner vers les radios, en commençant tout naturellement par les radios publiques.

Merci à Mme Veil, présidente-directrice générale de Radio France, d’être parmi nous. Madame la présidente, quelle part les radios publiques prennent-elles dans l’information des Français sur les questions européennes ?

Mme Sibyle Veil, présidente-directrice générale de Radio France. – Je trouve cette initiative très intéressante pour nous, parce qu’elle reflète beaucoup de questions que se posent les rédactions, les directeurs d’antenne.

Le sujet est en fait de savoir comment rendre toutes les questions européennes intéressantes. Cela concerne à la fois l’action de l’Union européenne, mais aussi la compréhension des autres pays européens afin de faire vivre l’espace public européen, la conscience et la citoyenneté européennes.

C’est une question qui nous est très chère. Tout d’abord, notre rédaction est très concernée par l’actualité de l’Europe, car nous bénéficions de quatre envoyés spéciaux, à Bruxelles, Rome, Londres et Berlin. Cela entraîne une acculturation de nos journalistes à ces questions lors de leur passage dans ce type de poste.

Nous sollicitons également une quarantaine de pigistes à travers les différents pays européens pour traiter de l’actualité européenne.

Aujourd’hui nous parlons d’Europe douze heures par semaine, environ pour moitié dans les contenus d’information et pour moitié dans les programmes, soit un peu moins de deux heures par jour, ce qui est important.

On a à la fois des rendez-vous dédiés, mais on traite en fait beaucoup la question lors de la plupart des rendez-vous sur nos antennes, en prime time.

Ainsi, lundi matin, dans le 7-9 de France Inter, qui est écouté chaque jour par près de 7 millions d’auditeurs, nous recevions un député européen, sur France Info Margrethe Vestager, et nous avons traité sur France Culture de la question de savoir s’il existe encore des valeurs communes européennes. Dimanche, dans L’esprit public, émission animée par Patrick Cohen, que nous avons le bonheur de partager avec d’autres confrères, nous avons parlé de l’élection allemande.

C’est de cette manière que nous arrivons à intéresser les auditeurs, en les faisant entrer dans l’actualité et en essayant d’événementialiser les choses.

La semaine dernière, j’ai ouvert un débat qu’on a organisé à la Maison de la radio et de la musique, au Studio 104, sur la relation franco-allemande et l’élection de dimanche prochain.

On a démarré ce débat avec l’ambassadeur de France en Allemagne, Hans-Dieter Lucas. On essaie vraiment de rendre ce sujet très présent, en le traitant aussi lors de rendez-vous culturels. Augustin Trapenard, dans Boomerang émission culturelle phare de France Inter, recevait lundi une actrice italienne, Laura Morante.

Arnaud Laporte, sur France Culture, accueillait le même jour le grand romancier autrichien Wolfgang Herrmann.

On essaye aussi de le faire au travers de la recherche scientifique. On a beaucoup mis en valeur le rôle de l’Agence spatiale européenne dans le cadre de la mission Alpha. Thomas Pesquet était hier soir en direct sur France Inter, et nous avons rediffusé ce moment dans la matinale de France Info ce matin. On essaye à chaque fois de mettre en valeur le rattachement à l’Europe.

C’est un travail qui est à faire quotidiennement, et je ne pense pas que cela puisse se résumer ni à des rendez-vous dédiés ni à un simple aspect quantitatif, même si on essaie évidemment de traiter celui-ci. Il faut pouvoir faire connaître ce que font nos voisins, développer une véritable conscience publique européenne, et c’est pourquoi, avec France Médias Monde et France Télévisions, nous lançons le baromètre dont parlait Marie-Christine Saragosse, qui permet de mesurer la compréhension par les citoyens de ce que fait l’Europe, ainsi que leurs connaissances.

Nous aurons une émission spécifique début décembre pour en tirer toutes les conséquences, à des fins éditoriales, jusque dans le traitement de l’élection présidentielle. On essaie de voir de quelle manière traiter l’enjeu européen dans le cadre de cette élection, car cela fait partie des sujets de débat.

M. Jean-François Rapin, président. – En contrepoint, je souhaite à présent céder la parole à Anne Fauconnier, déléguée générale du Bureau de la radio (BDR), association qui regroupe les quatre grands groupes de radios privées commerciales : M6, Lagardère, NRJ et NextRadio.

Comment traitez-vous donc l’information européenne ?

Mme Anne Fauconnier, déléguée générale du Bureau de la Radio. – Je ne vais pas détailler les programmes de chacune des radios, puisque le BDR regroupe à la fois les radios généralistes, RTL, Europe 1 et RMC, ainsi que vous venez de le rappeler.

Je voudrais vous faire part notamment des difficultés que l’on pouvait rencontrer et de notre spécificité par rapport aux radios de service public. Les radios privées vivent exclusivement de la publicité et ne bénéficient d’aucune subvention ni des contributions à l’audiovisuel public.

Nous avons une obligation d’audience pour assurer notre survie, ce qui nous fait faire des choix financiers quant aux angles éditoriaux et aux sujets que l’on va traiter.

Pour traiter de l’Europe, il faut se déplacer, avoir des équipes et les choix financiers des rédactions sont donc obligatoires, car on ne peut tout traiter. On a donc un véritable axe financier en matière de traitement de l’information.

Par ailleurs, la radio est un média local et de proximité, et on constate un faible intérêt de la part de nos auditeurs concernant le traitement des informations européennes. On le retrouve dans le faible taux de participation aux élections européennes.

Ce faible intérêt est dû à la complexité et à la difficulté de compréhension du fonctionnement des instances européennes, mais aussi à la moindre incarnation européenne. Au fur et à mesure des années, la représentation de l’Europe s’est diluée, et les médias ont du mal à faire émerger des personnalités européennes. Il est donc difficile d’assurer la promotion des actions de l’Europe. Ne faudrait-il pas, de ce fait, que les instances parlementaires recourent à des vulgarisateurs pour discuter des grandes décisions européennes et constituer les interlocuteurs de nos médias ?

Le Gouvernement ne devrait-il pas confier à Clément Beaune, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, le soin d’animer un point presse régulier sur l’actualité européenne, comme le fait Gabriel Attal sur les autres sujets ? Un tel dispositif nous permettrait de traiter de ces sujets.

M. Jean-François Rapin, président. – Les parlements nationaux sont là pour vulgariser les sujets et les rendre plus abordables, sans entrer dans des discussions techniques qui pourraient ne pas être intéressantes.

Mme Anne Fauconnier. – Il faut que cela intéresse les auditeurs dans leur vie quotidienne.

M. Jean-François Rapin, président. – Nous sommes d’accord : c’est ce que je défends.

Dernier type de média contribuant à couvrir les sujets européens : la presse.

Jean-Christophe Boulanger, vous présidez Contexte, média web français spécialisé dans les institutions, les politiques publiques et la fabrique de la loi. Fondé il y a huit ans par trois anciens d’Euractiv.fr, Contexte donne un écho très précieux à l’actualité européenne.

Pourquoi ce choix et comment y parvenez-vous ?

M. Jean-christophe Boulanger, président de Contexte. – Je suis très heureux d’être ici, car la question de la place de l’Europe dans les médias est un peu le fil conducteur de mes vingt dernières années de vie professionnelle, avec trois aventures entrepreneuriales sur cette question.

En effet, j’ai toujours été sidéré du décalage entre la réalité de l’impact de l’Union européenne sur nos vies et le traitement médiatique de cet impact. Il ne s’agit pas d’être pro-européen, mais simplement de raconter le monde au plus près du réel.

J’ai voulu trouver un modèle économique qui permette de faire de l’information européenne de manière indépendante. C’est ce qui m’a amené progressivement à me concentrer sur les professionnels, ceux dont le métier est de participer à la fabrication des politiques publiques.

Contexte est un journal qui traite au quotidien des luttes d’influence sur les projets de loi, à Paris et à Bruxelles. Nous constituons presque un service pour les professionnels. Nous disposons de neuf correspondants permanents à Bruxelles et d’une vingtaine de journalistes à Paris pour raconter au quotidien ces luttes d’influence.

Au bout de huit ans de Contexte, je peux dire qu’il existe une vraie soif d’information professionnelle à propos des politiques européennes. Chez les journalistes également : beaucoup de nos abonnés sont des médias qui nous utilisent comme matière première, pour la retraiter ensuite pour un public plus large.

La façon dont Contexte travaille ne peut pas forcément s’appliquer aux médias généralistes, j’en ai bien conscience, mais peut-être peut-on en tirer quelques enseignements. Nous sommes un média politique biculturel. Nous attachons beaucoup d’importance au fait de traiter des enjeux comme s’il n’existait qu’un seul espace politique et non deux, ce qui demande au quotidien beaucoup de coordination entre les journalistes parisiens et bruxellois, beaucoup d’efforts mutuels pour comprendre des fonctionnements extrêmement différents dans la manière dont les politiques publiques se fabriquent.

On constate un problème de formation des journalistes aux affaires européennes, certes, mais aussi à propos de la manière dont les politiques publiques françaises se réalisent. Pour comprendre l’Union européenne, il faut déjà comprendre la réalité de la fabrication des politiques publiques françaises. Il nous semblerait aussi sain qu’il existe une meilleure sensibilisation des managers de journalistes à ce sujet.

Une autre piste d’action, c’est celle de la mobilité. On ne comprend Bruxelles que si on y a passé quelque temps. Un certain nombre de médias de la presse écrite favorisent cette mobilité, et c’est très sain.

Mon témoignage est un témoignage de terrain, plutôt optimiste. Il est possible de créer des médias privés indépendants, avec beaucoup de journalistes à Bruxelles. On y apprend des choses qui pourraient être utiles pour des médias plus généralistes.

M. Jean-François Rapin, président. – Vous faites tous des efforts pour essayer d’informer et de convaincre de l’utilité de l’Europe, mais vous estimez qu’il n’y a pas peut-être pas forcément de répondant en face. Est-ce parce que les gens sont moyennement informés ou ont un niveau de connaissances insuffisant pour appréhender les sujets européens ? En tout cas, les Français nous disent qu’ils ne sont pas assez informés de l’actualité européenne.

J’aimerais qu’on essaye de voir quels peuvent être les leviers pour rectifier cette trajectoire. Tournons-nous donc vers le régulateur…

M. Roch-olivier Maistre, président du Conseil supérieur de l’audiovisuel. – Le constat que fait le CSA est celui que vous avez fait en introduction, tout comme Théo Verdier : c’est, d’une part, une relativement faible exposition des thématiques européennes dans les médias entendus dans leur globalité – même s’il faut nuancer, les interventions que l’on vient d’entendre le montrent bien – et, de l’autre, un sentiment des Français d’être mal informés sur l’Europe, alors qu’ils manifestent leur intérêt vis-à-vis de celle-ci.

C’est un point que personne n’a mentionné ce matin. Dans le contexte français, les élections européennes sont les seules pour lesquelles on a constaté une augmentation très nette de la participation – 8 points de progression par rapport au scrutin précédent, dans une tendance générale qui est celle que nous connaissons.

Il y a là un vrai paradoxe à considérer qu’il s’agit de sujets compliqués, qui n’intéressent pas les Français, alors qu’ils estiment être mal informés et participent à ces élections.

Le CSA a souhaité porter une initiative sur ces sujets pour plusieurs raisons. En premier lieu, la dimension européenne de la régulation est très importante. Nous sommes membre d’un groupe de régulateurs européens : beaucoup de thématiques que nous sommes amenés à aborder dans la régulation des médias ont une dimension européenne.

L’Europe est en train de réglementer le régime de responsabilité des plateformes de partage de contenus avec les projets de règlement Digital Services Act (DSA) et Digital Market Act (DMA), deux textes très importants dont l’Union européenne a eu l’initiative et sur lesquels, avec les régulateurs, nous sommes très actifs.

Pour ce qui concerne le traitement des sujets européens par les médias, il faut prendre en compte la liberté éditoriale des chaînes, qui est entière. La particularité du service public a été rappelée par les uns et les autres, les contrats d’objectifs et de moyens faisant obligation aux services publics de porter une ambition en la matière.

Pour les autres acteurs, on est effectivement dans le champ de la liberté éditoriale. Nous nous sommes placés sur le terrain de l’initiative volontaire des acteurs. C’est un vecteur de régulation qu’on utilise de façon très étendue, notamment sur toutes les thématiques sociétales, avec l’utilisation de chartes. On l’a fait en matière d’exposition des personnes en situation de handicap, en matière d’alimentation et sur toute une série d’autres sujets.

J’ai eu l’occasion d’écrire à tous les médias au printemps dernier et de réunir l’ensemble des acteurs sur ces sujets pour voir comment se mettre en mouvement. Je suis heureux de constater qu’il y a eu beaucoup d’initiatives de la part de tous les acteurs, privés et publics, ces derniers mois.

Marie-Christine Saragosse évoquait la retransmission en direct du dernier discours de la présidente de la Commission européenne. Je rappelle que le grand discours sur le plan de relance de l’Union qui, pour la première fois, engageait une politique d’endettement, n’avait pas été retransmis. On voit donc que les choses sont en train de bouger.

La dynamique de la présidence du Conseil de l’Union européenne par la France gagne du terrain. Je ne suis pas inquiet pour la présidence française de l’Union européenne : elle va être naturellement couverte par les uns et par les autres.

C’est l’occasion d’ouvrir une parenthèse pour dire à Fabien Namias que le CSA, dans les recommandations qu’il sera amené à faire sur la couverture de l’élection présidentielle, évoquera explicitement la question singulière de la présidence française de l’Union. La loi nous fait obligation de consulter le Conseil constitutionnel. Je l’évoquerai lundi prochain avec son président. Nous publierons notre recommandation, vraisemblablement dans le courant du mois d’octobre, pour fixer les règles qui seront applicables pour les médias. Un chapitre traitera vraisemblablement de ce sujet, avec des règles que les rédactions connaissent bien, s’agissant du chef de l’État. Cela a été jugé par le Conseil d’État dans un arrêt de 2009 concernant la distinction entre le chef de l’État régalien et le chef de l’État potentiellement candidat. Le partage est toujours un peu subtil à réaliser mais une certaine pratique s’est néanmoins développée.

Ce qui me soucie plus, c’est l’après-PFUE. Comment arriver à faire en sorte que la question européenne – qui, une fois encore, intéresse les Français, même si les sujets sont complexes et difficiles – soit couverte après la présidence de l’Union ?

Des propositions ont été faites. L’idée d’un baromètre périodique pour essayer de mesurer la présence me paraît bonne. Ce sont des outils que nous utilisons en tant que régulateur. Pourquoi pas une charte de tous les acteurs sur les engagements qu’ils seraient prêts à prendre ?

D’autres thématiques doivent se développer. Je crois que ce sera l’objet de la deuxième table ronde. Je pense, par exemple, à ce que le service public fait en matière de coproductions avec les autres pays de l’Union européenne. C’est aussi une approche commune en matière d’offre de programmes au niveau européen. Il y a des marges d’initiative.

Quoi qu’il en soit, le CSA sera à l’origine de propositions et disponible pour aborder ces sujets. Nous lirons avec intérêt les conclusions de cette matinée.

M. Jean-François Rapin, président. – Je reviens quelques secondes sur la présidence française et la couverture médiatique. C’est un sujet que l’on évoque assez couramment dans les organes politiques.

Nous allons connaître une présidence française de six mois mais, dans les faits, elle sera très écourtée. Avant la fin premier trimestre, les choses seront terminées. Notre calendrier s’arrête en effet le 10 mars. Cela signifie que l’on devrait quasiment être en mesure de faire une synthèse de la présidence française le 15 mars.

Il y a là aussi un sujet sur la façon dont vous allez traiter ces questions durant cette période.

Je rappelle que le Sénat sera la seule assemblée à fonctionner jusqu’à la fin de la présidence française. Bien sûr, les institutions européennes vont continuer à siéger. Mais nos députés vont être en campagne électorale, le président de la République également, de même que les ministres qui devront pourtant présider et animer toutes les réunions du Conseil à Bruxelles.

La façon dont on pourra communiquer est du ressort du CSA, sans quoi le creux médiatique qui va s’installer ne sera pas favorable au développement de l’information au niveau européen.

En complément de l’action du régulateur audiovisuel, les autorités de tutelle des médias publics disposent aussi de leviers pour donner à l’Union européenne une plus grande visibilité dans les télévisions et radios publiques.

Je me tourne d’abord vers Mme Julie Ghibellini, sous-directrice de l’audiovisuel à la direction générale des médias et des industries culturelles du Ministère de la culture.

Mme Julie Ghibellini, sous-directrice de l’audiovisuel à la direction générale des médias et des industries culturelles du ministère de la culture. – Quelques mots pour rappeler le cadre d’intervention de l’État dans le domaine qui nous intéresse ce matin et, tout d’abord, que l’intervention de l’État est nécessairement et fort heureusement limitée par les principes de liberté de communication et d’indépendance des médias qui, comme vous le savez, sont constitutionnellement garantis.

Pour l’audiovisuel, la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication définit les conditions d’exercice de cette liberté et précise que cet exercice ne peut être limité que par des motifs précisément énumérés dans ce même texte.

Le Gouvernement ne saurait intervenir sur les choix éditoriaux des chaînes privées comme publiques sans méconnaître leur indépendance, qui est souhaitée par le législateur. Elles sont libres de diffuser les programmes qu’elles souhaitent, dans les limites fixées par la loi, sous le contrôle du CSA.

Ces principes et limites étant rappelés, il convient de distinguer la situation des médias privés de celle du service public audiovisuel.

En ce qui concerne les médias privés, le Gouvernement n’est évidemment en aucun titre fondé à intervenir, et l’intervention du régulateur s’inscrit dans des limites très étroites.

Le premier levier est celui des conventions que le CSA passe avec les éditeurs, qui bénéficient d’une autorisation lorsqu’ils utilisent pour leur diffusion des fréquences du domaine public hertzien. Cette autorisation est assortie d’une convention conclue avec le CSA, qui peut définir des obligations auxquelles l’éditeur doit se soumettre. Celles-ci peuvent porter sur la couverture de l’actualité européenne. C’est le cas de LCI, dont la convention prévoit que sa programmation comporte des magazines consacrés à la vie européenne.

Pour le reste, comme l’a rappelé le président du CSA, il lui est évidemment loisible de chercher à sensibiliser les médias et éventuellement essayer d’obtenir de leur part des engagements. Cela ne peut se faire que sur une base strictement volontaire, dans le cadre de chartes, par exemple, comme cela vient d’être évoqué.

La situation de l’audiovisuel public est évidemment très différente, et le service public audiovisuel a un rôle particulier à jouer en matière de couverture de l’actualité européenne, l’Union européenne étant au cœur de ses missions de service public d’information.

C’est ainsi que les cahiers des charges des sociétés nationales de programme, France Médias Monde et France Télévisions, comportent des obligations très précises en la matière. Le CSA est chargé de veiller au respect de ces obligations.

Je note que, dans les derniers rapports rendus sur l’exécution des cahiers des charges de France Télévisions et France Médias Monde, le CSA a estimé que les obligations avaient été respectées. Dans son rapport pour l’année 2019 sur France Télévisions, il salue notamment le renforcement de la thématique européenne au sein de la programmation de France Télévisions. Dans un contexte d’année électorale, il encourage le groupe à confirmer cette dynamique en dehors des périodes électorales et au-delà des programmes d’information.

Je tiens également à souligner et à saluer le statut et le rôle singulier d’Arte, qui n’est pas représentée autour de cette table mais qui a, en la matière, un rôle majeur.

Arte est par nature une chaîne à vocation européenne, et la place qu’elle consacre à l’Europe, qui est très importante, découle de la mission qui lui est attribuée par le traité interétatique franco-allemand de 1990.

L’actualité européenne est particulièrement présente au sein des émissions d’information d’Arte, en particulier à travers un magazine dédié, Vox Pop, qui évoque les grands débats qui agitent l’Europe, mais aussi des sujets récurrents dans d’autres programmes, comme 28 Minutes ou Arte Regards.

J’évoquerai également ici la place d’Arte Journal, dont la rédaction franco-allemande est basée à Strasbourg, capitale parlementaire de l’Union européenne. C’est un journal qui promeut systématiquement une approche transnationale et européenne de l’actualité. Ses journaux consacrent tout au long de l’année environ 70 % de leurs sujets à l’international, dont environ 50 % à l’Europe.

De manière générale, Arte adopte un angle européen dans tous ses programmes, conformément à sa mission.

Je note néanmoins que nombre de parlementaires, à l’occasion notamment des débats autour du projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l’ère numérique, examiné par la commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale au printemps 2020, ont fait part de leur souhait que le rôle joué par l’audiovisuel public dans le traitement de l’actualité de l’Union européenne soit renforcé et réaffirmé.

Certains l’avaient même publiquement souligné, dans le cadre d’une tribune, en février 2020, dans le journal Le Monde, intitulée « Faisons entrer l’Union européenne à la télévision. »

Dans ce contexte, parce que la place de l’Union européenne est souvent jugée insuffisante, que les enjeux européens occupent évidemment une place croissante et essentielle dans la vie quotidienne de nos concitoyens, le Gouvernement a souhaité que la nouvelle génération de contrats d’objectifs et de moyens, qui ont été signés en mai 2021 avec l’ensemble des organismes de l’audiovisuel public, comporte une introduction commune et un paragraphe dédié à l’Europe, avec des engagements très ambitieux en la matière.

Les entreprises s’engagent à informer au mieux les Français sur le fonctionnement de l’Union, ses représentants, les actions qu’elle mène, et à contribuer à la lutte contre la manipulation de l’information sur ces sujets.

Je relève que ces contrats ont été soumis pour avis au CSA et aux commissions chargées des affaires culturelles de l’Assemblée nationale et du Sénat et, pour ce qui concerne France Médias Monde, également aux commissions chargées des affaires étrangères des deux assemblées.

Le CSA relève avec satisfaction l’importance qui est accordée aux enjeux européens. Les avis émis au nom des commissions du Sénat se félicitent également de la place donnée aux enjeux européens. L’avis de la commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale salue l’intégration de cette dimension européenne dans les COM, conformément à la volonté des parlementaires qui s’étaient exprimés dans le cadre des débats sur ce projet de loi.

En conclusion, je pense que nous sommes dans une dynamique positive. À cet égard, je souhaite en particulier saluer le lancement récent de plusieurs offres numériques évoquées à la fois par la présidente-directrice générale de France Médias Monde et par France Télévisions, comme Vu d’Europe, Enter !, ainsi que la collection européenne lancée par Arte, l’ARD, la ZDF et France Télévisions et l’offre NowU dont Christophe Tardieu a également parlé.

Ce sont des initiatives qui pourraient constituer des jalons pour une meilleure couverture des enjeux européens et la construction d’un espace public européen, objet de votre prochaine table ronde.

M. Jean-François Rapin, président. – Pour terminer notre tour de table, je laisse la parole à Mme Anne-Claire Legendre, qui retrouve le Quai d’Orsay, où elle vient d’être nommée directrice de la communication et de la presse.

Quelle place votre direction prévoit-elle de laisser à l’Europe ?

Mme Anne-claire Legendre, directrice de la communication et de la presse au ministère de l’Europe et des affaires étrangères. – Merci beaucoup pour l’organisation de cette session, extrêmement importante pour notre débat démocratique et, singulièrement, pour la présidence française de l’Union européenne, qui arrive dans 100 jours.

Mon intervention va essayer de répondre à un certain nombre de points qui ont été évoqués par certains d’entre vous. Trois axes ont été mis en avant par nos autorités concernant les enjeux qui nous occupent ce matin.

Le premier est de répondre au besoin d’incarnation que soulignait M. Verdier. C’est aussi un des sujets que certains d’entre vous ont évoqués. Les autorités françaises se sont efforcées d’accroître leurs interventions sur l’Europe depuis 2017. On peut citer les grands discours marquants comme celui de La Sorbonne, les interventions qui entourent les discussions au niveau des institutions européennes et les discours de nos ministres, à commencer par Jean-Yves Le Drian et Clément Beaune, qui mentionnent l’Europe, que ce soit le plan de relance ou les questions de souveraineté européenne.

Au-delà de ces interventions politiques, qui visent à la définition de nos positions et de nos ambitions sur le plan européen, un effort de communication au long cours vient répondre à votre souhait de sortir d’une logique de moments institutionnels pour entrer dans la logique du quotidien.

Nous avons également réalisé un effort pour nous adapter à un public plus jeune. Clément Beaune était sur les réseaux sociaux, sur Twitch, Clubhouse... Nous avons également réalisé pour la première fois cet été une académie diplomatique comportant tout un volet européen pour essayer d’acculturer un public très jeune qui, en France, s’intéresse visiblement au sujet, puisque nous avons reçu 750 candidatures.

Enfin, nous essayons de mener un effort pédagogique, comme celui que vous réalisez tous, à des fins de décryptage. On voit bien qu’il existe une difficulté de compréhension qu’il faut arriver à lever pour casser le peu d’appétence que certains décrivaient.

La Minute européenne de Clément Beaune est maintenant publiée toutes les semaines. Mme Fauconnier appelait à un point de presse régulier : Clément Beaune s’exprime très régulièrement, une fois par semaine, pour expliquer un sujet européen.

Au cours de la PFUE, nous allons réaliser un effort en matière d’infographie, en commençant en amont pour expliquer les questions qui se posent de façon très simple au grand public.

Le deuxième axe consiste à donner la parole aux citoyens européens. C’est tout l’objet de la conférence sur l’avenir de l’Europe, dont vous connaissez le dispositif, qui se déploie dans dix-huit régions en France.

Cela va permettre de générer un débat public européen parmi nos concitoyens et de montrer qu’eux-mêmes ont une parole à faire valoir sur cette question.

Enfin, le troisième axe touche directement au sujet que nous avons évoqué ce matin : la couverture européenne par la presse. Comment peut-on vous aider à faire votre métier plus facilement, notamment dans le cadre de la présidence française de l’Union européenne ?

Nous avons célébré il y a quelques jours le Prix Louise-Weiss du journalisme européen. C’est un effort du Quai d’Orsay pour soutenir des sujets européens portés par la presse française.

Au-delà, nous sommes à votre disposition pour sensibiliser vos journalistes aux objectifs de la présidence française, y compris dans nos postes diplomatiques. Je tiens à vous rappeler que nos ambassades sont faites pour cela. Nous sommes dotés de 160 ambassades et seize représentations permanentes. Notre représentation permanente à Bruxelles est évidemment au cœur du dispositif, mais il ne faut pas hésiter à solliciter nos ambassades dans l’Union européenne pour évoquer ces sujets.

Tout un effort va être mené par le Quai d’Orsay pour faire en sorte que nos ambassades soient particulièrement mobilisées auprès des correspondants français dans leur pays, mais aussi auprès de la presse européenne.

Certains d’entre vous ont évoqué les questions de formation. Le Quai d’Orsay dispose d’un programme à destination des journalistes. Nous avons formé 4 500 journalistes en trente ans. Une grande partie d’entre eux étaient Européens. Cela contribue à créer un lien avec la presse européenne pour trouver les moyens de créer cet espace public européen.

Je suis à la disposition de toutes les rédactions pour évoquer avec elles les moyens d’accroître cette diffusion et de les éclairer au mieux sur les contenus et les objectifs qui sont les nôtres.

M. Jean-François Rapin, président. – Merci beaucoup. Pour conclure cette table ronde, je propose de passer la parole à la salle.

Mme Catherine Morin-Desailly. – Mme Ghibellini et M. Maistre ont parfaitement montré le cadre législatif dans lequel s’inscrivent la possibilité et la volonté de notre audiovisuel public et privé de faire vivre l’Europe. Reste que l’audiovisuel public est soumis à un contrat d’objectifs et de moyens (COM).

Arte et France Médias Monde sont très présentes dans cette expression européenne. Cependant, l’audiovisuel, tant public que privé, s’est montré un peu timide ces dernières années. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le législateur a été particulièrement pugnace au travers du dernier COM, comme pour dire qu’il était temps de réveiller notre conscience européenne et de travailler à la construction de cette citoyenneté ô combien nécessaire à l’équilibre du monde. Bref, on attend beaucoup de volontarisme.

Cette lisibilité européenne s’exprime à la fois dans des documentaires et des programmes d’information. Mais elle se manifeste aussi dans la création des œuvres de fiction, lesquelles participent, grâce aux quotas d’expression et à la directive « Services de médias audiovisuels » (SMA), à la constitution du patrimoine cinématographique et audiovisuel européen. Je souhaiterais avoir plus de précisions sur ce sujet. Certains d’entre vous ont évoqué des coopérations avec d’autres chaînes publiques européennes. Où en sont les projets pour renforcer l’identité européenne, à la faveur de la transposition de la directive SMA ?

M. Christophe Tardieu. – Il est vrai que nous avons fait preuve d’une certaine pusillanimité. La difficulté pour les grands médias, c’est qu’ils ne sont pas soumis à des obligations très précises en la matière. Ils sont incités à respecter le principe de l’audience, c’est-à-dire à s’adresser au plus grand nombre de personnes. À cet égard, les grands médias ont considéré que les sujets européens avaient peine à rallier une grande majorité de nos compatriotes. Quant à l’Union européenne, elle doit aussi chercher à se montrer aimable et regardable.

Nous avons pris l’initiative de développer des œuvres de fiction entre les médias publics de l’Union européenne. Les grandes plateformes internationales ont une puissance financière considérable ; vu les moyens dont on dispose, nous avons beaucoup de mal à rivaliser avec elles. Même les médias privés ne sont pas épargnés. La fusion entre TF1 et M6 donnera davantage de moyens à ces chaînes. Mais malgré cela, celles-ci demeureront des « nains » par rapport à Netflix ou Amazon Prime.

Une union avec d’autres partenaires est absolument essentielle. C’est bien le sens du travail que nous menons depuis un peu plus d’un avec l’Arbeitsgemeinschaft der öffentlich-rechtlichen Rundfunkanstalten der Bundesrepublik Deutschland (ARD) et la Radiotelevisione italiana (Rai), pour développer des fictions sur des grandes thématiques européennes, avec des budgets assez significatifs. Nous nous efforcerons, dans les mois qui viennent, de développer la coopération avec d’autres partenaires européennes. Nous sommes persuadés que l’union est nécessaire pour rivaliser avec ces grandes plateformes, dont la présence va continuer de s’accroître.

Mme Marie-christine Saragosse. – Je veux féliciter France Télévisions pour la série Parlement, accessible gratuitement en vidéo à la demande. Ce programme particulièrement drôle et très jeune montre l’Europe sous un angle séduisant. La fiction est aussi une belle façon pour nos concitoyens d’apprivoiser l’Europe.

Mme Sybile Veil. – La radio, pour sa part, diffuse l’essentiel de ses programmes en direct, ce qui réduit les possibilités de coproduction avec d’autres pays européens. Néanmoins, nous nous efforçons de développer la coopération ; France Musique et la BBC ont déjà lancé des journées de co-diffusion de leurs programmes. Reste que la radio a un format très différent de ce que peut faire la télévision en termes de fiction, qui se prête bien à une logique de coproduction et de partenariats.

Mme Véronique Auger, présidente du comité directeur de la section française de l’Association des journalistes européens. – Ma question s’adresse à M. Christophe Tardieu. Christopher Baldelli a beaucoup insisté sur le fait que le public en région ne percevait pas du tout l’impact financier de l’Europe, qui est pourtant gigantesque dans les territoires au travers de tous les fonds sociaux, ou en matière d’agriculture et de pêche. Il se trouve que les programmes d’information nationale de France 3 ont l’obligation de ne pas parler d’Europe, car il s’agit d’un sujet international qui, à ce titre, relève de la compétence de France 2. Pourquoi le journal de France 3 devrait-il s’abstenir d’évoquer les sujets européens ? C’est pourtant souvent le seul journal national à être regardé en région.

M. Christophe Tardieu. – Je suis assez surpris par ce que vous dites. Je l’ignore peut-être, mais je ne pense pas qu’il soit fait consigne aux journalistes d’éviter les sujets européens. Vous connaissez aussi bien que moi le sacro-saint principe de l’indépendance éditoriale et des journalistes. Aujourd’hui, il existe une rédaction commune et des partages peuvent avoir lieu entre les rédactions sur un certain nombre de sujets. Il est vrai que des décrochages régionaux ont lieu très fréquemment. Mais dès que l’Union européenne apporte son appui pour un projet de développement économique, France 3 relaie l’information.

Mme Catherine Morin-Desailly. – Les représentants de l’audiovisuel privé n’ont pas répondu à ma question…

M. Stéphane Gendarme. – La fiction ne relève pas de mes compétences. On évoquait tout à l’heure la nécessité d’incarnation et d’accessibilité de l’Europe. À cet égard, un beau documentaire ou un très bon reportage peuvent être autant utiles qu’une œuvre de fiction pour découvrir l’Europe.

En ce qui concerne l’accessibilité, plus particulièrement, nous avons demandé aux institutions européennes de filmer leurs coulisses. Mais elles nous ont opposé des fins de non-recevoir. Il n’est pas question de rejeter la faute sur les institutions européennes, loin de là. Toutefois, beaucoup d’efforts restent à accomplir…

En effet, les reportages sur les membres ou les coulisses des institutions permettent d’éclairer les téléspectateurs, d’aborder plusieurs thèmes de façon non frontale et ainsi d’intéresser le plus grand public.

M. Théo Verdier. – Le manque de visibilité de l’Union européenne dans les médias est aussi de la responsabilité de l’émetteur. De ce point de vue, un travail d’acculturation des institutions européennes vers la France est nécessaire. L’année dernière, le discours d’Ursula von der Leyen sur l’état de l’Union a été très peu diffusé en France, excepté sur France 24, au prétexte qu’il s’agissait d’un discours technique en anglais, difficile à traiter.

Pour ma part, je voudrais voir sur nos chaînes d’information plus de débats contradictoires entre des représentants de la majorité et de l’opposition du Parlement européen. Passez-moi l’expression, mais il est temps que l’on s’engueule sur l’Europe. On ne se dispute jamais à ce sujet alors que les médias réservent des heures d’antenne aux thématiques purement nationales.

Je ne suis pas sûr que les Français soient plus sensibilisés à la technicité de la navette parlementaire française qu’au fonctionnement du trilogue européen. Il faut aussi sortir des grandes dates ; c’est la couverture du quotidien qui compte. L’Europe est un espace démocratique dans lequel on traite des sujets similaires à ceux qui se trouvent au centre du débat national : climat, géopolitique, différences partisanes entre la gauche et la droite, etc. Bref, un travail de proximité incombe véritablement à l’émetteur.

La question de l’incarnation de l’Europe est déterminante. Ursula von der Leyen, depuis qu’elle a pris ses fonctions, n’est intervenue qu’à deux reprises sur nos canaux d’information : une fois sur France 2, une fois sur France Inter. Qui parle pour la Commission européenne ? Qui parle pour l’exécutif européen ? À part Thierry Breton, les interlocuteurs dédiés sont rares en France.

Je considère qu’il y a un problème de hiérarchie éditoriale dans la valorisation des sujets européens. J’ai vu très peu de quotidiens ou de chaînes d’information relayer l’emprunt par l’Union européenne d’environ 750 milliards d’euros dans le cadre du plan de relance. Peu d’informations ont été communiquées lorsque l’Union européenne a dépassé les États-Unis pour les commandes de vaccins. Or, par ce biais, l’Union a le pouvoir de toucher à la vie et à la mort des gens. Tous ces sujets sont capitaux, mais on y reste parfois aveugles…

M. Jean-François Rapin, président. – Nous avons eu, au Sénat, de beaux débats sur le plan de relance ; les médias n’en ont pas beaucoup parlé, alors même qu’il y a eu des échanges croustillants entre les groupes politiques et même en leur sein.

M. Fabien Namias. – Je n’ai pas de remarques ou de connaissances particulières à partager sur la création de fictions par les médias. En ce qui concerne l’information, la production de contenus excède les simples débats autour des plateaux.

Même s’il ne dure que trois minutes, un reportage diffusé au journal télévisé de TF1 sur la vie des Européens aura un impact considérable, car il touchera entre 6 et 8 millions de téléspectateurs. Les reportages, les enquêtes ou les « immersions » sont importants. Des formats de cinquante-deux minutes sont diffusés tous les samedis après le journal de 13 heures ; ce sont des reportages qui jouent vraiment la carte de la proximité en montrant le mode de vie des Européens, que ce soit en termes de santé, de loisirs ou d’alimentation.

Il faut donner à voir aux téléspectateurs une Europe « à la maison », pour reprendre les propos du Président Rapin, une Europe de proximité. Si l’on se contente d’aborder l’Europe uniquement sous l’angle des institutions, nous aurons très peu de chances de progresser, même avec la meilleure volonté du monde. C’est en parlant de la vie des Européens que l’on parviendra à développer la connaissance, la culture et l’intérêt du public.

Depuis les élections européennes de 2019, qui ont vu un fort renouvellement des élus et une participation grandissante des jeunes, un très grand nombre de parlementaires européens interviennent sur les plateaux de LCI et de TF1. Ce n’était pas le cas auparavant. Nous continuons de recevoir les grands représentants institutionnels : le secrétaire d’État Clément Beaune était notre invité vendredi dernier ; dimanche prochain, jour des élections en Allemagne, le commissaire européen Thierry Breton viendra s’exprimer dans Le Grand Jury.

Il reste des marges de progression, bien entendu. Mais je pense que la parole européenne est beaucoup plus présente qu’on ne le pense, y compris sur les plateaux des chaînes d’information, d’autant que nous y recevons des élus.

M. Jean-François Rapin, président. – C’est parfois une question de perception.

M. Fabien Namias. – Nous devons réfléchir à mettre davantage en avant les interlocuteurs et les sujets transnationaux.

Mme Marie-christine Saragosse. – La présidente de la Commission européenne s’exprime en anglais ; la Commission, dans son ensemble, et le reste des institutions européennes s’expriment de manière écrasante en anglais ; les sites institutionnels européens et les informations sont rédigés en anglais. On oublie qu’il y a des francophones et des individus qui parlent bien d’autres langues en Europe. À l’heure de la présidence française de l’Union européenne, dans un contexte post-Brexit, la question de la communication démocratique auprès du plus grand nombre de personnes dans des langues autres que l’anglais doit être posée. Cet usage institutionnel de l’anglais est un paradoxe, d’autant que bon nombre de députés européens non français parlent notre langue !

M. Jean-François Rapin, président. – La question de l’usage de la langue pose vraiment problème. Notre commission s’est beaucoup mobilisée sur ce sujet, adressant même un avis politique à la Commission européenne en janvier 2020. Depuis que le Royaume-Uni a quitté l’Union européenne, seulement 1 % de la population européenne a l’anglais pour langue maternelle.

M. Guillaume Klossa, fondateur d’Europe Nova. – Le problème est systémique. Une démultiplication des acteurs qui parlent de l’Europe est nécessaire. Beaucoup de commissaires européens parlent très bien français, comme Nicolas Schmit ou Frans Timmermans. En réalité, la Commission européenne pousse toujours les mêmes commissaires à s’exprimer dans les médias. Voilà sa stratégie de communication ! Outre les commissaires, beaucoup de parlementaires européens parlent remarquablement bien français. Or on ne les entend jamais, alors qu’ils ont chacun une histoire qui mériterait d’être partagée ; par souci d’incarnation, nous avons besoin de personnalités européennes.

Lors de la précédente présidence française de l’Union européenne, en 2008, la presse quotidienne régionale (PQR) mettait chaque jour un Européen de terrain en perspective. Aujourd’hui, Clément Beaune intervient beaucoup dans les médias. Cela risque d’ailleurs de poser problème pour l’élection présidentielle, car il est un acteur clé de la campagne…

Lors de la campagne pour l’élection à la présidence de la Commission européenne, en 2014, nous nous étions battus jusqu’au bout pour que chaque candidat puisse parler dans sa langue. Jean-Claude Juncker et Aléxis Tsípras avaient parfois refusé de s’exprimer dans les médias quand ne leur était pas laissée la possibilité de parler dans leur langue. Le storytelling européen doit se faire dans la langue de chacun, d’autant que les outils technologiques actuels le permettent ; c’est cela qui apporte une densité. Chaque Européen doit pouvoir se sentir à l’aise.

Dernier point : les médias, trop souvent, labellisent les interlocuteurs en tant qu’Européens ou pro-Européens. Ils devraient plutôt valoriser ce que les gens ont à dire.

M. André Gattolin. – La question européenne est pour moi un engagement de longue date ; je suis traversé de réflexions, parfois contradictoires. Il faut certes parler d’Europe partout mais cela ne fonctionne pas. J’ai été directeur du journal Libération. Dans les années 1990, au moment de la montée en puissance de la question européenne, nous avions créé des pages Europe, mais nous avons fini par les supprimer. Nous manquons aujourd’hui de médias dédiés à l’Europe comme d’ailleurs d’une chaîne dédiée au spectacle vivant. Encore faut-il s’entendre sur ce qu’est l’Europe…

C’est une très bonne chose que TF1 reçoive davantage de députés européens. Le véritable problème, c’est la façon dont les représentants de l’Union européenne parlent de l’Europe. Tout ce qu’ils disent est soporifique. Dans les commissions des affaires européennes nationales, nous parlons concrètement d’Europe à nos concitoyens et à nos élus ; jamais nous ne nous adressons à eux dans une sorte de volapük européen.

Au Sénat, nous avions, en 2013, adopté une résolution pour la création de Radio France Europe au sein du service public. Notre vénérable et ancien collègue Pierre Bernard-Reymond, premier secrétaire d’État aux affaires européennes sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, déplorait que nous ne disposions même pas d’une offre cumulée de la production européenne des services publics français.

L’Europe, c’est aussi parler de la vie des autres pays européens, et pas seulement des institutions. Euronews est une chaîne remarquable malheureusement en mauvais santé. Son avantage est d’avoir vocation à parler d’Europe. Ce n’est pas le cas de France 24, qui s’adresse aux Français de l’étranger et accorde des temps de paroles bien plus importants sur les sujets africains. L’Europe, c’est aussi les affaires intérieures ; or, on ne trouve quasiment pas trace dans les médias des récentes élections en Bulgarie.

J’abonde dans le sens de ma collègue Catherine Morin-Desailly au sujet de la production de fictions. Les services publics audiovisuels du nord de l’Europe ont créé Nordvision, qui coproduit chaque année des mini-séries, quelquefois rachetées par Arte ou France Télévisions. Pour que la coopération en matière de création de fictions européennes fonctionne, le cofinancement et une ligne éditoriale sont nécessaires. Quoi qu’il en soit, les difficultés de fonctionnement de la Commission européenne et des autres institutions communautaires ne doivent surtout pas être reproduites dans le domaine audiovisuel.

M. Jean-François Rapin, président. – Merci pour ce regard partagé, qui s’est révélé passionnant. Je vous propose de suspendre nos travaux le temps d’une pause avant d’aborder la seconde séquence  de cette table ronde.

La réunion, suspendue à 11 heures, est reprise à 11 h 35.

Séquence 2 : « Comment créer un espace médiatique européen ? »

M. Jean-François Rapin, président. – Nous entamons à présent la Séquence 2 : « Comment créer un espace médiatique européen ? »

Après avoir tenté de comprendre pourquoi les médias nationaux n’accordaient pas plus de place à l’Europe – ce n’est pas toujours le cas, mais la situation est perçue comme telle –, et réfléchi à des pistes d’amélioration, je vous propose maintenant de déplacer le curseur. Si nous peinons à rendre l’Europe visible ou audible à l’échelon national, ne faut-il pas chercher la solution à l’échelon européen ? Différents leviers s’offrent à nous pour favoriser l’émergence d’un espace médiatique européen, par exemple en encourageant les médias à vocation transfrontière, les consolidations à l’échelon européen entre groupes médiatiques nationaux, les sources communes d’informations européennes ou encore l’européanisation des débats politiques. Toutes ces options sont discutables ; sans doute en aurez-vous d’autres à proposer.

Monsieur Guillaume Klossa, vous êtes fondateur d’Europa Nova, collectif destiné à informer et sensibiliser aux enjeux de la construction européenne, et vous avez piloté la stratégie de communication, le débat public et le rayonnement culturel de la dernière présidence française du Conseil de l’Union européenne (PFUE) en 2008. Vous avez ensuite dirigé l’Union européenne de radiotélévision (UER), l’organisation européenne de médias de service public. Vous êtes à l’origine du premier débat Eurovision des candidats à la présidence de la Commission européenne en 2014 et du nouvel élan des coproductions de séries européennes. Vous êtes donc engagé de longue date dans cette démarche en faveur d’un espace médiatique et public européen.

M. Guillaume Klossa. – Je vous remercie pour votre invitation. Ce sujet est très important, et nous sommes dans un moment européen particulier : le plan de relance est devenu réalité, de même que la stratégie vaccinale en faveur de tous les citoyens européens. C’est une révolution qui conduit à s’interroger sur la chose publique européenne, qu’il s’agisse des droits, des biens et de l’espace public. J’ai un regard complet sur la situation grâce à mes fonctions antérieures ; j’ai notamment travaillé, vous l’avez rappelé, sur la stratégie européenne de médias de la présidence de la Commission.

La notion d’espace médiatique européen doit s’inscrire dans une perspective plus large, celle d’un espace public, culturel, démocratique, scientifique et éducatif européen. Les deux sont liés et requièrent une mise en mouvement de la société civile, car l’Europe, c’est 27 pays et une scène publique transnationale que l’on sous-estime. L’attente des citoyens est très forte pour de vrais débats publics transnationaux. La consultation We Europeans, qui a touché 38 millions de citoyens européens, a reçu deux fois plus d’engagements qu’une consultation nationale sur l’Europe. La difficulté de la langue demeure, mais elle est de moins en moins prégnante. Cet intérêt pour l’Europe a été majeur lors des élections européennes, car la participation a augmenté partout de 10 points, dépassant souvent celle des élections nationales. En réalité, l’attachement à la chose européenne progresse continuellement depuis cinq ans. Il faudra revenir sur le scepticisme français, car c’est un verrou qui conditionne la stratégie de certains médias. L’enjeu est aussi de mettre en perspective les enjeux locaux, nationaux et européens. Il faut raconter la réalité du monde au plus près.

L’Union Européenne de Radio-Télévision (UER) est un vecteur d’espace public européen. C’est par le débat public que j’ai voulu favoriser son émergence. Nous avons organisé en 2014 le premier débat transnational des candidats à la présidence de la Commission européenne. Le sujet était démocratique, après trois présidences qui avaient peu de légitimité à cet égard. L’impact a été très fort dans cette perspective. Les sujets ne manquent pas – l’immigration, le réchauffement climatique…mais, sans enjeu électoral immédiat, les chaînes s’opposent au débat. Par ailleurs, il faut articuler ces débats avec le calendrier électoral. Depuis dix ans, nous avons travaillé sur des valeurs de service public communes – universalité, responsabilité, etc. Le dialogue est devenu beaucoup plus facile, ce qui nous a permis de relancer à partir de 2014 les coproductions de séries et de documentaires européens. La Raï et la ZDF ont été moteurs ; France Télévisions a rejoint le mouvement, on ne peut que s’en féliciter. Tout cela participe d’un espace imaginaire commun que les Européens appellent de leurs vœux. Mais il faut investir, comme les Allemands, dans des coproductions européennes de qualité qui feront monter les audiences.

S’agissant du traitement de l’information, j’ai initié en 2015 le premier réseau des correspondants des chaînes de service public européennes à Bruxelles. Ils déplorent d’être trop souvent le porte-parole de leur gouvernement. Ils ont besoin de temps, d’échanges et d’équipes plus étoffées – je m’adresse à M. Christophe Tardieu sur ce point – pour réaliser un vrai traitement européen de l’information. Tant qu’ils ne parviendront pas à franchir ce verrou, l’information européenne sera traitée avec un prisme trop national. Et le public ne s’y trompe pas. Dans le cadre de l’UER, nous œuvrons pour une mise en perspective européenne de l’information.

Concernant la distribution et l’accessibilité, j’avais lancé une réflexion autour de plateformes numériques européennes pour distribuer les contenus, les traduire et diversifier les sources d’information. Le projet « Vu d’Europe » vient ainsi de voir le jour. Le champ des possibles est ouvert pour un nouvel espace médiatique européen.

Lors de la présidence française du Conseil de l’Union européenne de 2008, nous avons instauré une stratégie systémique au travers d’un partenariat États-PFUE-chaînes publiques. Arte avait, par exemple, produit des documentaires sur les priorités de la présidence. Nous avons mis à disposition un fil d’actualité pour tous les acteurs, publics et privés, et produit des contenus grâce à des partenariats avec la Commission européenne. Nous avons également travaillé à une multiplication des porteurs d’Europe au-delà des membres du Gouvernement. Enfin, la Commission travaille à la mise en place d’un écosystème industriel médiatique. Il s’appuie sur des valeurs communes que reflètent le DMA et le DSA. Cela passe aussi par la mise en place d’une stratégie de recherche et développement commune, par la facilitation des alliances, par le développement d’infrastructures communes et de la traduction automatique. Si la Commission met en œuvre cette stratégie, la donne changera.

M. Jean-François Rapin, président. – Je me tourne maintenant vers M. Boris Razon, directeur éditorial d’Arte France, chaîne franco-allemande qui se distingue en consacrant à l’Europe 10 à 15 % de ses sujets pour la période 20152020 et dont l’audience atteignait 3 % en 2019. Nous attendons que vous exprimiez votre sentiment sur la relation franco-allemande, sur sa pérennité, et sur le traitement des sujets européens.

M. Boris Razon, directeur éditorial d’Arte France. – Ce qui a profondément changé au cours des dernières années, c’est la numérisation de la société, qui a entraîné deux modifications profondes. D’une part, les médias ne sont plus centrés sur les territoires. D’autre part, la langue a été un territoire de conquête. Ce n’est pas tout à fait notre vision de l’Europe chez Arte. Nous sommes favorables au multilinguisme, car, comme l’a dit Umberto Eco, « la langue de l’Europe, c’est la traduction ». Arte fêtera ses 30 ans en mai 2022. En trente ans, nous avons pu comprendre quelques éléments de la construction d’une identité commune, à tout le moins d’un espace médiatique et d’un langage communs, qui ne reposent pas sur une vision nationale. À mes yeux, trois facteurs sont nécessaires : l’émergence d’un regard décentré, l’ambition de nourrir un imaginaire collectif européen pour renforcer la cohésion sociale, enfin la mise en place d’un réseau européen.

Le regard décentré et singulier se construit dans le temps. Lors de chaque décision éditoriale, nous nous demandons si les deux publics pourront regarder le programme avec le même intérêt. Pour avoir travaillé longtemps dans des médias nationaux, je sais que cette question n’est jamais posée sous cet angle. Or pour construire un espace européen, il faut des médias prêts à opérer ce déplacement.

Au sein d’Arte, la conférence des programmes regroupe chaque mois des Français et des Allemands, qui débattent des projets et les rejettent parfois. Nous pouvons nous enorgueillir d’une création profondément européenne, le Journal d’Arte, qui n’est pas une juxtaposition de sujets nationaux ; sans traiter spécifiquement de l’Europe politique, il présente une vision européenne qui peut s’étendre à d’autres pays.

Nous utilisons le numérique à des fins de consultation pour nourrir la nouvelle formule de l’émission Vox Pop en janvier prochain. Là encore, nous nous centrons non pas sur la politique européenne, mais bien sur les Européens eux-mêmes. Les échanges en ligne ont pour but de dégager des idées communes ; la télévision doit être un laboratoire de la vie en Europe. Le programme Karambolage s’amuse des différences entre Français et Allemands !

J’en viens à la création. Les médias nourrissent un imaginaire collectif. Or, dans la construction européenne, cette dimension presque mythologique qui se crée à travers le cinéma et les documentaires fait défaut. Nous tentons d’y répondre. Là où la plupart misent sur le magazine, nous fabriquons des récits – en raison de cette appartenance européenne. Cette exigence commence à porter ses fruits. Arte est un phare dans la création. À Cannes, sur 30 films de la chaîne sélectionnés, 11 ont été récompensés, pour la plupart européens. À Séries Mania, c’est une série islandaise coproduite par Arte France, Blackport, qui a obtenu le Grand prix.

Le maillage territorial est la dernière étape de cette construction, via un réseau de chaînes partenaires, et des coproducteurs qui partagent la même vision européenne centrée sur l’individu. C’est ainsi que nous pouvons construire cet espace médiatique. Ce sera long, mais nous avons l’ambition de faire d’Arte un label culturel et une plateforme à destination des Européens.

M. Jean-François Rapin, président. – Le groupe France Médias Monde a-t-il l’ambition de devenir un acteur médiatique d’envergure européenne ?

M. Serge Schick, directeur du développement international de France Médias Monde. – Sur la question de l’espace médiatique commun, j’évoquerai trois axes de réflexion.

Le premier est la circulation des œuvres et des contenus audiovisuels, qui date de la directive Télévision sans frontières de 1989. L’idée n’est pas nouvelle, puisqu’elle date de plus de trente ans, mais elle est fondatrice. Le régime n’est pas applicable uniformément, mais certains acteurs très puissants ou des chaînes comme Arte essaient de produire une offre accessible sur l’ensemble du territoire.

L’information est un secteur fondamentalement ouvert, compétitif, difficile ou impossible à contrôler. Depuis vingt ans, l’effet de la numérisation sur l’information est considérable. Les usages ont beaucoup changé, et les acteurs sont très diversifiés. Il existe aujourd’hui des agrégateurs d’informations comme Google News, et des constructeurs de terminaux qui offrent en direct les offres des éditeurs. La quantité n’est pas la qualité et ne génère pas la confiance. Heureusement, les services publics audiovisuels bénéficient d’une cote de confiance largement supérieure à celle des autres opérateurs. La libre circulation des œuvres doit être conciliée avec le principe de responsabilité et, compte tenu des investissements importants dans les documentaires et l’information, la juste rétribution des auteurs qui produisent. Certaines négociations sont en cours avec les grandes plateformes, et des amendes ont été infligées. Il faut poursuivre dans cette voie.

Il convient de s’appuyer sur les structures de gouvernance solides qui existent aujourd’hui en Europe. Nous sommes très souvent en contact avec la Commission européenne ; nous répondons notamment à des appels à consultation lancés par ses directions générales pour produire des programmes qui correspondent à l’ambition européenne et sont traités en toute indépendance. Nous travaillons aussi avec le Parlement, qui nous apporte son aide, et avec l’Union européenne de radiotélévision. Grâce à elle, France Médias Monde a accès à des images crédibles – cela paraît neutre pour l’usager, mais c’est une chance considérable.

Enfin, il importe d’engager les publics à nous suivre, c’est le sens premier de notre action que de toucher le public. Ainsi, chaque semaine, France 24 est regardée par 7 millions de leaders d’opinion, nous avons de bons résultats notamment en Roumanie. Je vous citerai deux offres numériques originales que nous développons : Enter !, que nous lançons avec notre homologue allemand Deutsche Welle à destination des jeunes Européens, et InfoMigrants, une plateforme soutenue par la Commission européenne, et dont le but est d’informer sur les conditions d’accès au territoire européen – nous avons constaté que l’usage des deux langues dari et pachtoune a progressé sur la plateforme, signe qu’elle est au cœur des enjeux européens.

M. Jean-François Rapin, président. – Je souhaite redonner la parole au groupe France Télévisions, dont la présidente assure aussi la présidence de l’Union européenne de radiotélévision, laquelle rassemble les grandes télévisions publiques nationales dans 56 pays, en Europe, mais aussi en Afrique et au Proche-Orient. L’UER organise de nombreux événements, dont le concours Eurovision de la chanson et elle représente les intérêts des radiodiffuseurs de service public auprès des institutions européennes. Monsieur Christophe Tardieu, quelle contribution l’UER peut-elle apporter à une meilleure couverture européenne des sujets européens ?

M. Christophe Tardieu, secrétaire général de France Télévisions. – Beaucoup a été dit sur l’UER, je rappelle qu’elle regroupe 56 pays et va donc bien au-delà du territoire de l’UE, ce qui semble expliquer certaines réticences de la Commission européenne dans son soutien. Pour répondre à la question que vous me posez, je crois qu’il faut se tourner vers les institutions européennes elles-mêmes et regarder si elles conçoivent des outils propres à développer des projets européens. Or, quand un ancien président de l’UE dit que les droits d’auteur sont un obstacle à la diffusion des œuvres, on peut se demander s’il y consensus sur le projet culturel européen même – et nous savons que plusieurs de nos partenaires peinent à regarder le soutien aux programmes audiovisuels comme un moyen de développer la culture européenne chère à notre cœur.

Vous esquissez le projet d’une plateforme européenne où l’on trouverait des œuvres européennes : nous ne pouvons qu’en être, avec enthousiasme, mais sans perdre de vue que dans un monde où l’on ne nous a pas attendus pour créer des plateformes de contenus audiovisuels, la constitution d’une plateforme est complexe, ni qu’il faudra une institution pour fédérer les participations et coordonner l’action. Ne mésestimons pas non plus les obstacles, quand la territorialisation des droits est remise en cause par la Commission européenne ou par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). Je plaide donc pour que les institutions communautaires comprennent qu’une saine circulation des œuvres au sein de l’Europe est un enjeu prioritaire ; le commissaire Breton l’a compris, il était temps.

M. Jean-François Rapin, président. – Après avoir évoqué le point de vue des télévisions publiques, je vous propose de nous tourner vers la presse écrite européenne. Elle est ici représentée par Véronique Auger, présidente du comité directeur de la section française de l’Association des journalistes européens (AJE). Madame la présidente, quel est le projet des journalistes réunis dans cette association des journalistes européens ? Dans quelle mesure peut-on ou doit-on favoriser l’émergence d’une presse européenne ?

Mme Véronique Auger. – Une précision : je représente les journalistes européens, donc pas seulement la presse écrite, mais aussi l’audiovisuel et la radio.

Journaliste : le mot est le grand absent de nos débats ce matin et je remarque que sur 19 intervenants, seulement 2 d’entre eux exercent la profession de journaliste…

M. Boris Razon. – Je l’ai été initialement…

Mme Véronique Auger. – Certes, mais je compte les journalistes en exercice.

Dans le débat du jour, j’entends que la Commission européenne lance des appels d’offres pour faire travailler ensemble des médias en vue d’encourager la formation d’une opinion publique européenne, d’un espace médiatique européen. Cependant, il faudrait commencer par regarder si les journalistes des différents pays peuvent travailler ensemble, si leurs pratiques professionnelles, leur environnement de travail sont compatibles. Or ce n’est pas le cas, je le dis par expérience, les choses sont bien plus difficiles qu’on ne l’imagine. D’abord, parce que nous n’avons pas la même approche du métier ; la construction de reportages, par exemple, est différente et cela rend difficile de travailler ensemble, sauf avec nos voisins allemands. Ensuite, notre environnement juridique du travail journalistique diffère ; il y a quelques années, nous parlions de thèmes communs avec nos confrères hongrois ou polonais, ce n’est plus guère possible dès lors que, chez eux, l’État de droit a tant perdu de terrain. Comment peut-on travailler ensemble, dans ces conditions, alors que les institutions européennes ne jouent pas pleinement leur rôle pour faire respecter les principes fondateurs de l’Union ?

Il ne suffit donc pas de subventionner les médias européens pour créer un espace médiatique européen. Qui plus est, la technicité des demandes de subvention est telle, que même des entreprises publiques comme France Télévisions hésitent à s’y risquer, par crainte d’y consacrer trop de moyens. Il y a également des incertitudes sur le fond : veut-on, avec cet espace médiatique européen, faire disparaitre nos différences ? L’objectif est-il de nous rendre tous semblables ? On a vu des échecs avec le regroupement de titres à l’échelle européenne, par exemple dans la presse automobile, un sujet qui peut sembler consensuel, mais qui est loin de l’être. Il ne va donc pas de soi que les journalistes travaillent ensemble, à part pour quelques grands sujets d’investigation, dans des cas bien précis comme celui de l’assassinat de la journaliste maltaise Daphne Caruana Galizia, ou encore sur des sujets consensuels, comme le football. Mais il suffit de voir comment certains sujets comme l’orientation sexuelle provoquent une levée de boucliers, pour comprendre que le chemin est encore long avant de disposer d’un espace médiatique européen.

Enfin, il faut que les politiques et les enseignants fassent leur travail d’éducation à l’Europe. L’Europe est absente des débats lors des présidentielles en France, aussi bien que lors des législatives en Allemagne ; l’apport des fonds européens n’est quasiment jamais valorisé dans les réalisations locales, alors que c’est obligatoire ; l’école est quasiment silencieuse sur l’Europe : c’est tout cela qu’il faut changer aussi.

M. Jean-François Rapin, président. – La construction européenne bute visiblement sur la fragmentation de l’espace médiatique européen. Il existe toutefois un organe qui rassemble les autorités de régulation de l’audiovisuel des 27 États membres de l’Union européenne : le groupe des régulateurs européens des services de médias audiovisuels (ERGA), qui est l’interlocuteur de la Commission européenne sur tous les sujets de régulation.

Je donne la parole à Olivier Schrameck, qui fut président du CSA et qui fut l’un des instigateurs de la création de l’ERGA en 2014. Monsieur le président, pouvez-vous nous présenter la genèse de l’ERGA ? Cet organe a-t-il vocation à favoriser l’émergence d’un espace médiatique européen ?

M. Olivier Schrameck, ancien président du CSA, fondateur de l’ERGA. – Il y a un paradoxe à revenir sur le passé pour aborder l’avenir, mais je suis convaincu que l’analyse rétrospective est riche d’enseignements sur les atouts que nous avons entre les mains. A la veille de la création de l’ERGA, en 2013, l’espace médiatique européen était embryonnaire, les traités en faisaient une question relevant de la simple coopération entre États membres et la Commission européenne faisait preuve d’un dynamisme modéré, convaincue qu’il existait sur ce domaine des positions très différentes entre les pays du nord, libéraux, et les pays du sud, plus interventionnistes. Les relations bilatérales étaient faibles, nous travaillions surtout sur des sujets techniques, la stratégie des groupes publics et privés n’était pas européenne, mais nationale ; il n’y avait pas de lobby audiovisuel à Bruxelles, mes correspondants étaient de simples représentants des États, qui avaient d’autres priorités que l’audiovisuel : nous avions peu d’appui, il y avait peu de coopération entre groupes privés et publics, et guère plus de think tanks dans le domaine. Enfin, les directives sur l’audiovisuel étaient anciennes et fondées sur une technologique largement dépassée et nous savions qu’il fallait prendre la mesure du numérique.

Comment avons-nous accéléré le processus ? Nous avions un atout : un secteur public fort, qui envisageait déjà une approche européenne. Nous avons mis l’accent sur l’éducation aux médias et par les médias, ce qui était un moyen d’indiquer que nos objectifs étaient les mêmes qu’à l’échelon national. Nous avons ensuite exercé une pression sur la Commission européenne, d’abord en trouvant un accord informel avec les Britanniques, en septembre 2013, puis nous avons réuni les pays qui nous semblaient les plus motivés, le 4 octobre 2013. La Commission européenne a alors réagi, avec un premier texte en mars 2014 : six mois pour obtenir un texte européen, vous reconnaîtrez que c’est bien peu. Nous avons joué des alliés potentiels, en nous ralliant l’appui de pays importants d’Europe centrale et orientale, qui étaient hantés par la crainte d’une présence russe trop importante à leurs frontières. Enfin, nous avons fait place à des pays moins importants par la population, mais dont nous voulions qu’ils aient toute leur part dans la régulation : les Pays-Bas et la Belgique. Il nous fallait une présence en continu : j’ai pu obtenir l’exercice de la présidence de l’ERGA deux années de suite, en 2014 et 2015, puis la vice-présidence et la responsabilité du groupe chargé de la préparation de la directive.

Je voudrais faire deux observations sur la régulation. Il me semble, d’abord, que l’opinion s’accorde sur certaines fonctions dévolues au régulateur : la protection des jeunes, la lutte contre les émetteurs violents, la lutte contre les fake news. Ensuite, nous avons su développer un partenariat dense avec les plateformes numériques, c’est essentiel pour l’effectivité de la régulation. Je suis convaincu que, dans les mois qui viennent, l’ERGA pourra être un aiguillon politique, d’autant que le relai a été pris auprès de l’Allemagne, qui a d’abord été réticente et qui nous suit désormais – je rends ici hommage à Tobias Schmid, actuel président de l’ERGA, qui a su entretenir le volontarisme nécessaire à ce projet.

M. Jean-François Rapin, président. – M. Schmid n’a malheureusement pas pu se joindre à nous ce matin. Mais Karim Ibourki, vice-président de l’ERGA et président du CSA belge, est avec nous en visioconférence. Sa position lui permet de comparer la couverture que les médias français d’un côté, et belges de l’autre, réservent aux sujets européens et de nous indiquer dans quelle mesure l’ERGA contribue à la naissance d’un espace médiatique européen.

M. Karim Ibourki, vice-président de l’ERGA. – Les régulateurs tentent de jouer un rôle important en promouvant des règles du jeu équitables entre acteurs, alors que les plateformes ont pris de plus en plus de place dans l’audiovisuel. Nous portons un regard critique sur les projets de directives DSA-DMA, car les règles qu’elles tendent à imposer aux plateformes numériques ne sont pas à la hauteur des nécessités de la lutte contre la haine en ligne et de la lutte contre les fake news, alors même que ces plateformes accaparent une partie importante des ressources qui devraient aller aux autres acteurs.

Ensuite, il faut compter avec le Media and Audiovisuel Action Plan (MAAP) défendu par le commissaire Breton, qui apporte de l’aide aux médias affectés par la crise sanitaire, et qui vise un espace médiatique plus fort, afin que la création de valeur se fasse au profit des entreprises et des citoyens européens. Il devrait y avoir des débats nationaux sur ce plan d’action.

Il faut aussi se demander quel est l’imaginaire, le rêve européen. J’ai 52 ans, et quand j’avais 20 ans, l’Europe était la grande utopie, on y voyait un élan de bonheur et prospérité. Aujourd’hui, quand on a 20 ans, on ne pense plus guère cela. Le débat européen est clivant, y compris dans les pays europhiles comme la Hollande – et nous le savons tous, l’appétence pour l’Europe n’est possible que si le projet rencontre les préoccupations des citoyens, comme ambition et comme bouclier face aux difficultés. Vous allez avoir une campagne électorale en France, il y aura de l’Europe bashing, on verra comment le projet européen est présenté. On évoque le projet européen de chargeur unique pour le téléphone, c’est bien, mais on en parle depuis plusieurs années : il faut le faire sans plus attendre.

Deuxième élément, il nous faut savoir qui parle au nom de l’Europe, avec des gens qui l’incarnent : c’est nécessaire pour concrétiser le projet européen, qui doit surmonter le multilinguisme. L’Europe est dans notre quotidien, avec des aides très concrètes : il faut le faire savoir davantage.

M. Jean-François Rapin, président. – Pour conclure nos échanges, je souhaite donner la parole à la Commission européenne. Je suis heureux d’accueillir Sixtine Bouygues, Directrice générale adjointe de la communication à la Commission européenne. Comment la Commission européenne appréhende-t-elle le défaut de visibilité de l’Union européenne dans les médias ? Comment contribue-t-elle à améliorer cet état de fait qui alimente la distance entre les citoyens européens et l’Union ?

Mme Sixtine Bouygues, directrice générale adjointe de la communication à la Commission européenne. – La création d’un espace médiatique européen exige une forte identité européenne qui existe mais de façon encore trop limitée. Lors des dernières élections européennes, la participation a augmenté de 8 points en France, 13 points en Allemagne et 21 points en Espagne.

L’Europe doit aussi respecter sa devise, « Unie dans la diversité ». Le système français, très centralisé, fonctionne par exemple à l’inverse de l’Allemagne. La France n’a pas la culture politique européenne du compromis. Ces différences culturelles doivent être prises en compte et rendent l’espace public européen plus difficile à atteindre.

L’Union européenne doit mettre en place un cadre législatif qui permettrait aux opérateurs des différents États membres de travailler ensemble.

Concernant le financement, soulignons le plan d’action visant à soutenir la relance et la transformation des secteurs des médias et de l’audiovisuel de l’UE, présenté par le commissaire Thierry Breton en décembre 2020, qui a pour objet de stimuler les investissements et faciliter les financements et la mise en réseau de différents acteurs.

La difficulté pour les opérateurs de trouver les financements européens a été mentionnée à raison. Mais il existe désormais des outils permettant aux opérateurs d’identifier les financements européens auxquels ils peuvent prétendre.

Le Plan d’action sur la démocratie européenne, qui traite de la lutte contre la désinformation, la protection des élections, et le pluralisme est essentiel. Le 16 septembre, la Commission européenne a présenté une recommandation visant à renforcer la sécurité des journalistes et autres professionnels des médias.

On parle beaucoup de l’amélioration de la communication et de l’incarnation, ce qui pose la question de la présence de la présidente de la Commission européenne dans les médias. Son discours sur l’État de l’Union était diffusé en français, anglais et allemand, puis disponible dans les 24 langues de l’Union immédiatement après la fin du discours. C’est un grand progrès car le multilinguisme est une difficulté pour relayer l’information.

La Conférence sur l’avenir de l’Europe peut elle aussi être un vecteur d’incarnation de l’Europe au travers des citoyens. Pour la Conférence sur l’avenir de l’Europe, nous avons mis en place une plateforme digitale disponible dans les 24 langues. Toutes les propositions publiées dans une langue sont immédiatement disponibles dans toutes les langues par le biais d’une traduction automatique.

L’intérêt des citoyens pour l’Europe doit aussi passer par l’éducation. Comment susciter cet intérêt si au niveau scolaire, il n’existe pas d’éducation sur ces sujets ? Cela dépend de la seule responsabilité des États membres. L’Union européenne est perçue comme un sujet secondaire, indépendant du niveau national. Pourtant, 40 % du plan de relance viennent des financements européens.

En 2020, seulement 45 accréditations de correspondants à Bruxelles ont été accordées pour la France, contre 80 pour l’Allemagne. Les correspondants européens dans les rédactions sont souvent considérés comme des correspondants internationaux. Lors de l’inauguration du TGV Paris-Bordeaux, qui a bénéficié de prêts européens, j’étais placée dans le wagon international avec les Japonais et les Russes. C’est à l’image de la perception générale de l’Union européenne.

Il faudrait également inciter les télévisions à utiliser davantage le matériel audiovisuel qui est produit.

80 % des citoyens français se disent mal informés, soit 20 % de plus que la moyenne européenne. Trois quarts des Français ne font pas confiance aux médias. Dans le même temps, quatre français sur dix estiment que la télévision devrait parler davantage d’Europe.

Concernant la formation des journalistes, nous avons entamé des discussions avec le ministère de l’Éducation nationale car les formations de journalistes ne comportent actuellement pas d’éducation à l’Europe.

Il y a donc une spécificité malheureusement française à notre mauvaise information et notre manque de confiance en l’Europe. Nous utilisons peut-être moins que les autres pays les moyens à disposition pour relayer davantage d’informations.

M. Jean-François Rapin, président. – Je laisse la parole à mes collègues sénateurs qui souhaiteraient vous interroger.

Mme Catherine Morin-Desailly. – Cette table ronde montre combien nos médias et notre audiovisuel public et privé participent de la construction de l’identité européenne et de l’espace médiatique européen. Cette citoyenneté européenne reste à construire. Elle est un espace politique, social et culturel que nous devons renforcer.

Tout cela relève d’une question : comment construit-on une véritable souveraineté culturelle ? Cela ne peut passer que par la reconquête de notre souveraineté numérique.

Le président du Conseil européen, Charles Michel disait il y a quelques mois que nous étions pris en tenaille entre les modèles extra-européens, le modèle américain des grandes plateformes et le modèle chinois. Il est temps de construire cet espace européen. Il faudra pour cela une véritable stratégie politique, des financements et des moyens de régulation.

Notre système médiatique dépend d’un écosystème largement dominé par les Américains et les Chinois. La reconstruction de notre politique industrielle nous permettrait de reconquérir des morceaux de souveraineté à travers le soutien à nos entreprises.

Delphine Ernotte, qui dirige France Télévisions, était précurseur puisqu’elle défendait l’idée d’une plateforme européenne. On a finalement créé la plateforme Salto, dont l’ambition est très réduite puisqu’elle ne réunit que les chaînes des groupes France Télévisions, TF1 et M6. Ne vaudrait-il pas mieux se doter d’une plateforme européenne de l’audiovisuel capable de concurrencer Disney+, Amazon Prime et Netflix ?

Je regrette que la norme Hybrid Broadcast Broadband TV dite « HbbTV » n’ait pas été retenue lors de l’examen du projet de loi relatif à la régulation et à la protection de l’accès aux œuvres culturelles à l’ère numérique. Elle est un standard qui permet l’interactivité et la diffusion de contenus à la demande, donnant aux éditeurs nationaux la possibilité de fournir leurs services interactifs aux téléspectateurs. La ministre de la culture a rejeté cette norme au motif qu’elle serait anti-européenne. Je note cependant que le CSA a autorisé Arte à l’utiliser. Aujourd’hui, sur vos télécommandes, vous trouvez Netflix mais pas Salto. Nous sommes en faiblesse de souveraineté culturelle, notamment parce que nous manquons d’outils.

À la veille de la présidence française de l’Union européenne, vous semble-t-il que la politique nationale soit toujours en adéquation avec l’ambition affichée par le commissaire Thierry Breton ?

M. Guillaume Klossa. – Il m’avait été demandé de faire un rapport sur ce sujet pour préparer la feuille de route du commissaire Breton sur la stratégie industrielle pour les médias à l’échelle européenne. Dans le cadre de l’UER, dès 2013, Mme Vestager avait confirmé l’opportunité de créer un Salto européen pour les services publics. L’Allemagne avait même suggéré de l’ouvrir largement à toutes les offres culturelles, de sorte que les Européens bénéficient d’une infrastructure européenne centrale.

La question des plateformes sera un grand sujet des quinze prochaines années. Le début d’une stratégie industrielle pour les médias et la proposition d’un écosystème industriel pour les médias proposés par le commissaire Breton manquent pour l’instant de clarté dans leurs définitions. Il existe par ailleurs un problème très concret au niveau de l’organisation et de la fédération des médias à l’échelle européenne. Avec la numérisation, la différence entre presse écrite, télévision et radio a de moins en moins de sens. Il faudrait donc une véritable coalition de l’ensemble des médias, ce que la présidence française de l’Union européenne pourrait d’ailleurs permettre.

L’autre grand défi est l’hébergement. Il est anormal que nous n’ayons d’autre choix que de recourir à des entreprises américaines, à part OVH. Cela pose la question des données de nos utilisateurs. Le DMA et le DSA devraient à cet égard avoir plus d’ambition. Je défends l’idée qu’un hébergeur européen ne devrait pouvoir dépendre que d’une société européenne. Si OVH veut développer de l’hébergement aux États-Unis, il doit créer il créé une société américaine indépendante d’OVH. Nous pourrions imposer une règlementation similaire en Europe. Ce débat est fondamental pour les médias européens qui ont besoin d’être hébergés.

M. Serge Schick. – Le DMA fixe des règles aux plateformes vidéo mais l’audio n’est pas suffisamment abordé. Les gros opérateurs qui travaillent dans l’univers des enceintes connectées pourraient se retrouver en situation dominante. Dans quelques années, si les jeunes auditeurs prennent l’habitude de demander des contenus à la demande par l’intermédiaire de leur téléphone via des enceintes connectées, et qu’un opérateur se trouve en situation dominante, cela posera un problème d’accès aux contenus. L’audio doit donc être traité comme la vidéo dans les réflexions.

Mme Catherine Morin-Desailly. – Je souhaite insister sur le fait que le DSA et le DMA, en cours de discussion, sont en deçà du niveau d’exigence qu’ils devraient porter. Nous devons effectivement renforcer nos exigences par rapport aux plateformes extra-européennes d’hébergement.

M. Jean-François Rapin, président. – Un grand merci à tous pour votre présence et votre participation à ces échanges. Nous pourrions refaire le point dans une configuration similaire dans un an, après la Conférence sur l’avenir de l’Europe et la présidence française de l’Union européenne. Il serait intéressant de voir les avancées sur le sujet.

Ce point de l’ordre du jour a fait l’objet d’une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 13 heures.