Mardi 21 septembre 2021
- Présidence de Mme Annick Billon, présidente -Audition de M. Cyril Cosme, directeur du bureau pour la France de l'Organisation internationale du travail (OIT)
Mme Annick Billon, présidente. - Nous accueillons M. Cyril Cosme, directeur pour la France de l'Organisation internationale du travail (OIT), sur la Convention n° 190 de l'OIT relative à l'élimination de la violence et du harcèlement dans le monde du travail, accompagnée de la recommandation n° 206 dont la portée n'est pas normative, mais en faveur de laquelle la France s'est prononcée.
La Convention contre la violence et le harcèlement au travail a été adoptée par l'OIT le 21 juin 2019, après dix ans de négociations. Elle est officiellement entrée en vigueur le 25 juin 2021. La France avait été l'un des premiers pays à annoncer sa volonté de la ratifier. Le projet de loi de ratification n'a finalement été présenté en conseil des ministres que le 2 juin dernier et a fait l'objet d'une adoption par l'Assemblée nationale le 13 juillet. Il pourrait être inscrit à l'ordre du jour des travaux du Sénat dans le courant du mois d'octobre. La France devrait alors être le huitième pays à ratifier cette convention, après l'Uruguay, les Fidji, la Namibie, l'Argentine, la Somalie, l'Équateur et l'île Maurice.
Cette convention pose le principe de l'interdiction des actes de violence et de harcèlement dans le monde du travail au sens large. Pour ce faire, elle définit ce que recouvrent ces actes de violence et de harcèlement. Elle contient également un important axe de prévention de la violence et du harcèlement dans le monde du travail.
D'après l'étude d'impact jointe au projet de loi de ratification, la législation française est conforme aux articles de la convention et il n'est donc pas nécessaire de changer nos règles pour ratifier et appliquer cette convention. Toutefois, un collectif d'associations et de syndicats, que nous avons rencontré au mois de juin dernier, conteste cette interprétation juridique et recommande de faire évoluer la loi sur plusieurs points, en particulier pour renforcer les moyens et les prérogatives des référents « harcèlement », ainsi que l'obligation pour les employeurs d'agir en matière de violences domestiques et pour mieux tenir compte de la situation des victimes de violences.
Monsieur le Directeur, comment les négociations préalables à cette convention se sont-elles déroulées, quels ont été les principaux clivages et points d'achoppement entre les parties prenantes ? Quelles sont les conditions d'entrée en vigueur de cette convention sur le territoire national ? Comment le principe de prise en charge, par l'employeur, des violences domestiques, tel qu'il est inscrit dans la convention, trouvera-t-il à s'appliquer dans l'état actuel de notre législation ? La Convention n° 190 de l'OIT prévoit la prise en compte de l'impact, dans le monde du travail, des violences domestiques subies : comment délimite-t-elle le périmètre des obligations juridiques qui pèsent sur l'employeur et quelle sera sa traduction normative en droit français ?
Enfin, quelles sont les actions possibles de l'OIT si les pays qui auront ratifié la convention ne l'appliquent cependant pas pleinement ?
M. Cyril Cosme, directeur pour la France de l'Organisation internationale du travail. - Merci pour votre invitation, c'est un honneur et un plaisir de revenir dans vos murs, où, il y a deux ans, nous avions célébré le centenaire de l'OIT, avec en particulier une exposition photographique remarquable sur les grilles du Jardin du Luxembourg.
Vous avez rappelé les prémices de la Convention n° 190. Une précision sur un aspect très important des négociations de l'OIT : elles sont tripartites, en ce sens que les pays y sont représentés, à parité, par leurs gouvernements et par les représentants des travailleurs et du patronat. Cette caractéristique est déterminante, car très souvent, quand la négociation aboutit, c'est qu'elle suit un compromis intervenu en amont entre les représentants des travailleurs et des employeurs ; c'est le cas pour la Convention n° 190, dont les prémices avaient été la revendication formulée il y a dix ans d'un instrument international contre le sexisme : c'est bien cette revendication commune qui, élargie, a donné lieu à la négociation puis à la convention dont nous parlons aujourd'hui. Lorsqu'en 2015, la Conférence internationale du travail - elle réunit, dans cette formation tripartite, les 187 pays membres de l'OIT - a choisi d'inscrire à son ordre du jour la négociation d'un instrument couvrant la violence au travail et la lutte contre le harcèlement, nous disposions déjà d'un accord entre les travailleurs et les employeurs sur le principe d'un instrument. Le terrain était donc balisé en 2018 quand les représentants se sont attelés à la négociation elle-même, qui a duré deux ans.
La convention est entrée en vigueur en juin 2021, mais le seuil décisif demeure la ratification, qui fait entrer son dispositif dans l'ordre juridique des pays signataires. Il faut le rappeler, les premiers garants de l'effectivité de la convention, ce sont les institutions nationales, les corps de contrôle, les juges, les partenaires sociaux et le Gouvernement ; ce sont eux qui font vivre la convention. Il y a des recours et des sanctions internationales qui sont possibles, mais c'est par l'échelon national que l'application s'effectue en premier lieu.
Pendant la négociation, nous avons rencontré les clivages que suscite habituellement l'énoncé de normes et de recommandations relatives au travail.
Un premier clivage a tenu à ce qu'on appelle l'effet horizontal des conventions de l'OIT. Alors que, sur le plan formel, la convention est un traité, elle se distingue des traités habituels qui organisent les rapports entre États en ce que son objectif est d'introduire des droits et des obligations réciproques entre employeurs et travailleurs dans les pays signataires. Dans ce cadre, il faut trouver un équilibre entre ceux qui demandent des dispositions conventionnelles très détaillées, qui soient autant d'obligations pour les États et qui fondent des démarches judiciaires quand l'État n'agit pas - les syndicats de travailleurs se trouvent dans cette première position -, et ceux qui veulent limiter la convention aux principes et renvoyer aux États la définition d'obligations - les gouvernements et les organisations d'employeurs se trouvent dans cette deuxième position, pour renvoyer l'effectivité du droit au système de prescription étatique.
Une deuxième ligne de clivage tient à la complexité du sujet, à son côté novateur pour bien des États membres de l'OIT. Les règles européennes elles-mêmes ont vingt ans à peine et elles n'ont guère d'équivalent dans un grand nombre de pays. Les difficultés sont donc nombreuses dès la définition des normes, et nous devons trouver des obligations suffisamment flexibles pour faire sens pour tous, mais aussi pour les pays les plus avancés sur le sujet que nous abordons.
Un troisième clivage, habituel lui aussi en droit du travail, concerne le périmètre des obligations des employeurs, qui veulent éviter le risque d'insécurité juridique, alors que les organisations de travailleurs veulent énoncer une responsabilité générale pour prévenir les violences et les risques de harcèlement, sur le modèle de l'obligation pour l'employeur de fournir un environnement de travail sûr et sain pour les salariés. La formulation retenue, celle d'une obligation de « moyens raisonnables et pratiquement réalisables », résulte de cet équilibre.
Un quatrième clivage, récurrent dans ce type de négociation, porte sur la qualification des publics vulnérables. C'est un exercice difficile, surtout quand on vise les populations en fonction de leur genre et de leur orientation sexuelle, avec des critères que certains pays n'entendent pas reconnaître. Ce clivage a suscité des craintes fin 2018 pour l'ensemble du processus, qui ont fait préférer une formulation assez large pour désigner les populations vulnérables, en référence aux instruments internationaux existants en ce domaine, plutôt qu'une liste de ces populations.
Quelques remarques sur le paysage normatif dans lequel cette convention s'inscrit. Depuis une vingtaine d'années, l'OIT a entrepris de relier sa politique normative aux droits humains dont font partie un certain nombre de droits sociaux; ce renouvellement de la politique normative a commencé avec une déclaration solennelle, énonçant les principes et droits fondamentaux du travail, l'opposition au travail des enfants, au travail forcé, aux discriminations - ces principes ont fait l'objet de huit conventions fondamentales de l'OIT, qui ont désormais compté parmi les grands référentiels internationaux du droit. C'est très important, car l'énoncé de ces principes permet à la communauté internationale, aux acteurs de la mondialisation, de s'inscrire dans les référentiels de droits humains. La Convention n° 190 s'avère très proche de cette philosophie, consistant à énoncer des principes qui servent de référentiels de droits humains pour d'autres textes et bien d'autres accords, au-delà des canaux classiques du droit international - elle sert, par exemple, dans la définition des stratégies de responsabilité sociale des entreprises multinationales, qui, en se référant à cette convention, concourent à son effectivité. Je tenais à souligner ce côté très moderne de cette convention, consistant à énoncer des objets concrets de la vie au travail, et de se situer au carrefour des droits humains, du droit de la santé au travail, de la lutte contre les discriminations et pour l'égalité de traitement - tout ceci en lien avec la dignité des hommes et des femmes au travail, parmi les référentiels des droits humains et sociaux.
Je veux insister ensuite sur le champ d'application très large de cette convention. Elle couvre, au-delà des salariés, l'ensemble du monde du travail, tous les travailleurs, quel que soit leur statut. L'enjeu des travailleurs informels est essentiel, car ils comptent pour la majorité des travailleurs dans bien des pays du Sud, c'est important de les intégrer dans ces règles sachant qu'ils sont dans une situation de grande vulnérabilité. La convention s'applique également en dehors du périmètre de l'entreprise stricto sensu, puisqu'elle concerne tous les actes liés au travail, y compris dans les déplacements professionnels, les activités récréatives, le cyberespace, lequel est devenu un enjeu essentiel.
La prise en compte des violences domestiques dans le milieu du travail a suscité des controverses, car les employeurs redoutaient qu'on fasse peser sur la vie de l'entreprise des faits de violence étrangers au travail lui-même. Or, l'objectif n'est évidemment pas d'imputer la responsabilité des violences de cette nature à l'entreprise, mais de voir comment le milieu professionnel peut être un support pour lutter contre les violences domestiques, par de la sensibilisation, de l'accueil des victimes, de l'aide concrète face aux violences domestiques et à leurs conséquences. Nous voulons sensibiliser les acteurs et partenaires sociaux sur la façon dont des dispositifs peuvent être aménagés dans ce sens ; des initiatives ont été prises dans certains pays membres, par exemple en Espagne, où le lieu de travail est utilisé pour venir en aide aux victimes de violences conjugales.
Nous sommes donc parvenus à couvrir un champ très large, peu des négociateurs pensaient parvenir à un tel résultat en début de négociation. Les obligations portent sur la définition des violences au travail et du harcèlement, les termes ont été choisis de façon qu'ils restent composites, flexibles pour faire sens auprès de tous les pays membres de l'OIT, sans contredire les définitions déjà adoptées par certaines législations nationales ou internationales. La violence y est ainsi définie comme un ensemble de pratiques, de comportements et de menaces, qui ont pour objet de causer, ou qui sont susceptibles de causer, donc sans intentionnalité, des dommages psychologiques, économiques ou physiques, ce qui intègre les violences fondées sur le genre, mais également les faits de violence et de harcèlement causés par des tiers, au-delà de la relation entre l'employeur et le salarié.
La question de la prévention par le dialogue social est décisive, nous visons à faire de cette convention un objet de dialogue social et de concertation entre l'État et les partenaires sociaux, entre employeurs et salariés au niveau des branches et des secteurs d'activité. Les articles 8 et 9 vont assez loin dans le détail, avec des stratégies à préciser selon les modalités de travail, on pense au travail numérique, au travail de nuit - et c'est par le dialogue social que l'on cerne précisément, donc utilement, les facteurs de violence et de harcèlement.
Cette convention comprend bien d'autres sujets, sur l'accès au droit, aux recours, à l'évaluation, sur l'information et la sensibilisation, je répondrai très volontiers à vos questions.
Mme Annick Billon, présidente. - Dix ans pour parvenir à un compromis, c'est long. La pandémie de covid-19 a révolutionné les façons de travailler, nous nous sommes saisis du sujet au Sénat, à la délégation aux droits des femmes, mais aussi à la délégation sénatoriale aux entreprises - nous constatons combien les choses évoluent très vite. Aussi, la Convention n° 190 n'est-elle pas déjà dépassée, alors que nous n'en sommes encore qu'à la phase de ratification ? Le compromis qu'elle entérine est-il suffisamment ambitieux et satisfaisant pour un pays comme le nôtre ?
Mme Martine Filleul. - Au Canada, en Nouvelle-Zélande, en Espagne, l'entreprise est considérée comme lieu d'écoute, d'accueil et d'accompagnement des femmes victimes de violences ; ces pays accordent aux femmes victimes de violences un droit à l'aménagement d'horaires et de postes, à des absences rémunérées pour accomplir les démarches administratives dont on sait qu'elles sont toujours difficiles à faire pour les victimes, mais aussi la possibilité de mobilité fonctionnelle choisie dans l'entreprise, et ces pays interdisent le licenciement de victimes de violences conjugales. Quelle est la position du Gouvernement et des employeurs français sur ce sujet ? Ont-ils fait des propositions dans ce sens dans la négociation et vous paraissent-ils prêts à reconnaitre de tels droits ? Que vous ont-ils dit au cours de la négociation ?
M. Cyril Cosme. - La controverse apparue sur cette question me semble liée à un prisme trop juridique dans l'analyse de notre démarche. La Convention n° 190 de l'OIT ne saurait prétendre obliger les États à instaurer précisément tel ou tel aménagement de poste d'une salariée victime de violence conjugale, sous la forme d'un congé par exemple, ce n'est pas réaliste. Notre objectif, c'est de faire progresser les consciences et le droit, la prise en charge de ces violences - le meilleur moyen que nous ayons, c'est de pousser au dialogue social sur ce sujet. En Espagne, c'est par la négociation que ces droits ont été reconnus, et la Convention n° 190, mais aussi les recommandations de l'OIT, visent à nourrir le dialogue social, en particulier avec le répertoire de bonnes pratiques.
À ma connaissance, le Gouvernement français s'est intéressé aux nouveaux droits reconnus par l'Espagne, des échanges d'information ont eu lieu, une mission a été organisée. Les employeurs français, quant à eux, ont exprimé des réticences face à toute obligation générale en la matière, mais ils se sont dits sensibles à faire progresser l'aide aux victimes par le dialogue social.
Quant au délai de la négociation, les dix ans auxquels on fait référence incluent les prémices, la phase d'inventaire, car la négociation elle-même a duré deux ans, avec deux rounds de trois semaines chacun en juin 2018 et juin 2019, ce qui est assez rapide pour un texte de cette ampleur - je crois que la pression de l'actualité a eu son importance, avec l'affaire Weinstein, de même que l'imminence du centenaire de l'OIT.
Mme Laurence Cohen. - On ne peut que se réjouir que cette convention ait été ratifiée. Toutefois, la ratification se fait a minima, et à droit constant, comme l'ont déploré les associations que nous avons reçues ici. En outre, aucune des propositions de la recommandation n° 206 n'a été retenue. Six d'entre elles auraient pourtant pu être intégrées à la convention, lors de la ratification : l'instauration d'un congé pour les victimes de violences domestiques ; l'établissement d'une protection temporaire des victimes contre le licenciement ; la prise en compte des violences domestiques dans l'évaluation des risques sur le lieu de travail ; l'octroi de dix jours d'absence rémunérés aux victimes pour l'accomplissement des démarches médicales, judiciaires et sociales ; l'interdiction du licenciement des victimes pendant six mois, considérant que les violences subies ont une incidence sur l'activité professionnelle ; la reconnaissance aux victimes d'un droit à la mobilité géographique ou fonctionnelle, leur permettant de s'éloigner de leur bourreau.
La ratification ne prend pas en compte l'évolution des mentalités ; c'est comme si le temps était suspendu. Dans l'ensemble, le processus de ratification est très positif, mais il laisse un goût d'inachevé et donne le sentiment d'une protection insuffisante par rapport à ce que vivent ces femmes.
M. Cyril Cosme. - La ratification fait référence à une catégorie de lois particulières, qui consistent à inscrire une convention internationale dans le droit interne. À la différence des directives de l'Union européenne, qui nécessitent un acte de transposition en droit national, une convention internationale s'inscrit dans l'ordre juridique interne au jour de sa ratification ; elle possède même une valeur normative supérieure à la loi. C'est au juge qu'il reviendra, in fine, de l'interpréter - il ne s'est d'ailleurs pas privé de le faire en certaines circonstances.
Bref, la norme ratifiée n'implique pas nécessairement une adaptation de la norme nationale puisqu'elle s'impose d'elle-même. Quoi qu'il en soit, l'OIT n'intervient pas dans le processus de ratification. Son mandat est d'analyser la manière dont les gouvernements nationaux s'acquittent de leurs obligations internationales, en se fondant sur les rapports d'application, commentés par les partenaires sociaux. En outre, les organisations syndicales ou patronales peuvent saisir l'OIT lorsqu'elles estiment que le Gouvernement français, ou celui d'un pays tiers, n'a pas satisfait à ses obligations internationales.
Pour résumer, le premier niveau de garantie de l'effectivité de la convention repose sur les institutions et les nos mandants nationaux. S'ajoute à cela un mécanisme de saisine de l'OIT, ultime garant de l'effectivité de la convention.
Mme Laurence Cohen. - Deux éléments de votre réponse font apparaître les limites de la ratification. Premièrement, le juge a toujours une latitude d'interprétation, ce qui crée une inégalité de traitement - nous le savons bien, en tant que parlementaires. Deuxièmement, la saisine est un droit, mais elle ne peut s'exercer que dans le cadre établi, c'est-à-dire seulement dans la mesure où les organisations syndicales ou patronales considèrent que le Gouvernement n'a pas respecté les dispositions de la convention. Autrement dit, il n'est pas possible de saisir l'OIT dans le but de voir certaines propositions intégrées à une convention.
M. Cyril Cosme. - En effet, la saisine ne peut s'exercer que sur le fondement des dispositions de la convention ; le Gouvernement est comptable de sa mise en oeuvre. Une recommandation, comme son nom l'indique, n'est pas contraignante.
Mme Dominique Vérien. - Avez-vous essayé de mesurer l'ampleur du phénomène ? Vous êtes-vous basé sur des faits existants dans divers pays pour formuler vos recommandations ?
M. Cyril Cosme. - Cette question est importante. En effet, comment mesurer à l'échelle internationale un phénomène de cette nature ? À ce stade, nous ne sommes pas du tout armés. L'OIT s'attèle à construire des catégories statistiques harmonisées entre les différentes régions du monde, susceptibles d'alimenter un observatoire des faits de violence et de harcèlement au travail. Aux Nations Unies, des conférences de statisticiens oeuvrent à la collecte de données robustes et comparables, qui seront disponibles d'ici à quelques années. Mais, pour l'heure, nous ne disposons que de capteurs et de données nationales.
Fait marquant de ces dix années de discussions, le phénomène des violences et du harcèlement s'impose comme sujet d'actualité, partout dans le monde. Il ne concerne pas uniquement les pays les plus développés.
Mme Laure Darcos. - La convention n° 190 ne vise que les adultes. Or, dans certains pays, les violences et le harcèlement sont parfois davantage prégnants parmi les populations jeunes, qui sont plus fragiles. Dès lors, comment la convention s'articule-t-elle avec le droit des mineurs ?
M. Cyril Cosme. - Le travail des enfants est un sujet d'intervention très ancien de l'OIT ; c'est d'ailleurs sur ce terrain-là que la notion de droits fondamentaux a été développée. Deux conventions de l'OIT traitent du travail des enfants. La convention sur l'âge minimum entérine l'abolition effective du travail des enfants en dessous d'un certain âge ; elle favorise les efforts accomplis par l'Unesco en faveur de la scolarisation. La convention n° 182, quant à elle, vise les pires formes de travail des enfants, notamment les trafics, qui mettent directement en cause l'intégrité physique, psychologique et morale des enfants. L'année dernière, la convention n° 182 est parvenue au stade de la ratification universelle - c'est le seul instrument de l'OIT à avoir connu ce sort. Elle constitue aussi le premier programme de coopération et de développement de l'OIT.
Le travail des enfants est en forte régression depuis une vingtaine d'années, notamment grâce aux succès enregistrés en Chine et en Amérique latine. Néanmoins, selon les données de l'OIT et de l'Unicef, il est reparti à la hausse dès 2016 - la crise pandémique n'a sans doute pas arrangé le problème.
Mme Victoire Jasmin. - Concernant ces phénomènes de violence et de harcèlement, avez-vous des données chiffrées sur le taux d'absentéisme et sur les coûts générés pour les entreprises, tenant compte du fait qu'il faut remplacer les absents ? Quant au problème du travail des mineurs, il se pose aussi chez nous, malheureusement. En France, des jeunes sont victimes de sévices sexuels.
M. Cyril Cosme. - En effet, la France n'est pas complètement épargnée par ce problème ; l'exploitation des enfants intervient régulièrement dans la chronique sociale.
Concernant la mesure économique du phénomène de violences et de harcèlement, l'OIT ne dispose pas de données internationales comparatives. Nous ne travaillons qu'à partir de données plus larges, relatives à l'évolution des accidents du travail et des maladies professionnelles, qui permettent de mesurer l'évolution des conditions de travail et de la santé au travail. En revanche, nous ne sommes pas capables d'isoler le paramètre des violences et du harcèlement. Là encore, nous devons nous contenter de données éparses qui proviennent de divers pays...
Mme Annick Billon, présidente. - À quelle échéance les pays qui ont participé à l'élaboration de ce compromis ratifieront-ils la convention ? Le processus de ratification n'avance que très lentement... Est-ce le signe d'un désintérêt ou cela illustre-t-il le fait que la convention ne peut aboutir de façon totalement satisfaisante dans de nombreux pays ?
M. Cyril Cosme. - Excepté la Grèce, aucun pays de l'Union européenne n'est encore arrivé au bout du processus de ratification. Cela tient en partie à la procédure communautaire de ratification, qui a quelque peu souffert de la crise du covid-19 et au retard pris par le Parlement européen. On peut espérer qu'une bonne partie des Vingt-Sept ratifie la convention. Cela aurait un effet entraînant ; les pays européens, la France notamment, ont toujours été des alliés forts de l'OIT sur le terrain normatif.
La ratification est essentielle, je ne peux pas dire le contraire. Mais il faut aussi concevoir que l'ensemble des acteurs de la mondialisation peuvent se saisir de ce sujet. La convention peut créer du droit et être source de progrès indépendamment des canaux classiques du droit international public et du processus de ratification.
Mme Annick Billon, présidente. - Une actualisation sera-t-elle nécessaire ? Et à quelle échéance ?
M. Cyril Cosme. - Il existe des processus d'évaluation continue. Deux ans après la ratification, la France est tenue de remettre un rapport de mise en oeuvre. Mais, globalement, le processus d'évaluation prendra plus de dix ans...
Mme Annick Billon, présidente. - Je vous remercie de faire preuve d'honnêteté devant la Délégation aux droits des femmes !
Le monde du travail évolue de façon considérable ; la pandémie a entraîné des conséquences importantes sur le travail, entre autres sur celui des mineurs. Notre délégation sera attentive aux suites de la ratification. Nous vous remercions, Monsieur Cosme, d'être venu nous exposer le travail de l'OIT.