Mardi 07 septembre 2021
- Présidence de M. Étienne Blanc, président -
La réunion est ouverte à 12 h 30.
Audition de M. James Paterson, sénateur et président de la commission conjointe du Parlement australien sur le renseignement et la sécurité
M. Étienne Blanc, président. - Mes chers collègues, nous nous réunissons dans des conditions très particulières du fait des huit heures de décalage horaire qui nous séparent de notre interlocuteur en Australie. Je tiens donc à remercier M. James Paterson, sénateur de l'État de Victoria, d'avoir accepté notre invitation en sa qualité de président de la commission conjointe du Parlement australien sur le renseignement et la sécurité.
Au mois de novembre 2020, cette commission a lancé une enquête relative aux risques sur la sécurité nationale qui pourraient affecter les secteurs de l'enseignement supérieur et de la recherche. L'Australie est en pointe dans la prise en compte des menaces étrangères pouvant concerner le secteur universitaire. C'est la raison pour laquelle nous avons entendu le 21 juillet dernier Mme Gillian Bird, ambassadrice d'Australie en France.
L'exemple australien nous semble unique à ce jour en raison de la mobilisation de toutes les parties prenantes du pays - gouvernement, Parlement et universités - pour identifier les menaces et élaborer des recommandations.
Le Sénat français partage les mêmes préoccupations, puisqu'il a créé le 6 juillet dernier une mission d'information sur les influences étatiques extra-européennes dans le monde universitaire et académique français, mission que j'ai l'honneur de présider et dont le rapporteur est notre collègue André Gattolin.
M. André Gattolin, rapporteur. - Je remercie James Paterson d'avoir accepté notre invitation.
Comme l'a rappelé notre président, l'audition de Mme Bird s'est révélée très instructive. Il nous est évidemment apparu compréhensible que, sur le plan diplomatique, l'ambassadrice n'ait pas souhaité citer nommément les pays à l'origine des menaces nouvelles pesant sur les universités, mais nous ne sommes pas dupes : la Chine est souvent parmi les pays cités ici et là.
En Europe, le contexte est différent, mais nous devons déjà faire preuve de vigilance vis-à-vis de la Russie, notamment pour tout ce qui concerne ses campagnes de désinformation. Nous n'avons pris conscience que plus récemment des pratiques agressives de la Chine.
Entre parlementaires, la parole sera certainement plus libre pour désigner les risques et nommer les auteurs des menaces. La coordination entre gouvernement, Parlement et monde universitaire pour lutter contre ce danger me paraît en tout cas vertueuse et à prendre en exemple.
En 2019, le Parlement australien a créé une commission sur le renseignement et la sécurité. Celle-ci a lancé une enquête dont les conclusions étaient annoncées pour le mois de juillet 2021. Il semblerait que ses travaux se poursuivront après cette date. Aussi, même si votre rapport final reste à venir, monsieur Paterson, pouvez-vous nous éclairer sur la démarche de votre commission et sur votre premier diagnostic ?
Quelles ont été les raisons qui ont conduit votre commission à lancer une telle enquête sur les interférences étrangères sur votre système universitaire ?
D'après vos premières conclusions, comment ces interférences étrangères se caractérisent-elles ? Vous parlez d'influence, de captation de données et même d'espionnage. Les pressions sur les étudiants et les professeurs font-elles partie de ces menaces ?
L'autonomie des universités et les libertés académiques peuvent sembler en contradiction avec l'impératif de sécurité et de surveillance. Comment avez-vous réussi à mobiliser les universités australiennes sur un tel sujet ?
Enfin, quelles sont les recommandations, les bonnes pratiques ou les lois mises en oeuvre dans votre pays qui pourraient servir d'exemple à la France ?
M. James Paterson, sénateur et président de la commission conjointe du Parlement australien sur le renseignement et la sécurité. - Je vous remercie de votre invitation et suis flatté de l'intérêt que vous portez à l'expérience australienne. C'est un honneur pour moi que de vous répondre dans le cadre de vos travaux.
Vous l'avez dit dans vos propos introductifs, le Parlement australien enquête sur les interférences étrangères dans les universités et les établissements d'enseignement supérieur. L'enquête fait suite à plusieurs incidents qui ont conduit le gouvernement australien à se préoccuper de cette question.
Je vais citer un certain nombre d'exemples pour étayer mon propos.
Tout d'abord, j'évoquerai la situation de l'Australian National University de Canberra, qui a subi toute une série de cyberattaques ces dernières années. Nous avons découvert que les assaillants ciblaient non pas des données scientifiques, mais les dossiers personnels des étudiants. Or la plupart de ces futurs diplômés travailleront bientôt pour le gouvernement fédéral. Ces données peuvent donc avoir une très grande valeur pour une puissance étrangère.
Ensuite, j'aborderai le cas de ces jeunes étudiants de l'université du Queensland, qui ont lancé une action en faveur du mouvement pro-démocratie à Hong-Kong et qui ont été, de ce fait, molestés par des étudiants chinois nationalistes. Bizarrement, l'université du Queensland n'a ni réagi ni protesté.
En réalité, l'influence des instituts Confucius est directement en cause dans cette affaire. Nous avons en effet appris que l'université du Queensland avait permis au gouvernement chinois de financer directement un certain nombre de cours du premier cycle, notamment un cours sur la question des droits de l'homme en Chine. Nous avons également découvert en enquêtant que certains éléments de la rémunération du vice-chancelier de l'université dépendaient d'un indicateur basé sur le nombre d'étudiants chinois accueillis par l'établissement : plus ce nombre était élevé, plus son salaire augmentait... Pour nous, il est tout à fait clair que l'action des instituts Confucius ne doit en aucun cas conduire à la remise en cause de l'autonomie de nos universités ni de nos libertés académiques.
Enfin, dernier exemple, celui d'un chercheur d'université, également directeur de l'association Human Rights Watch (HRW), qui s'est vu censuré par l'université qui l'emploie pour un article très critique sur l'action de la Chine à Hong-Kong.
On le voit, les universités australiennes pratiquent volontiers l'autocensure, cédant ainsi à l'influence des étudiants chinois présents sur le territoire australien.
Nos travaux ont également montré que beaucoup d'universitaires, y compris des chercheurs de l'Australian Research Council, avaient été ouvertement ciblés par le programme chinois de recrutement « 1 000 talents ».
En matière de lutte contre les influences étrangères, l'Australie a heureusement accompli des progrès significatifs en cinq ans. D'abord, chacun reconnaît aujourd'hui que cette question est stratégique et plus personne ne minimise les incidents qui surviennent. Certaines universités ont développé des actions pour lutter contre ce type de menaces, notamment pour protéger les données sensibles qu'elles détiennent. Elles ont aussi mis en place des procédures d'approbation plus rigoureuses pour l'accueil des étudiants étrangers, notamment pour faire face au programme « 1 000 talents ».
J'ajoute qu'un groupe de travail conjoint entre les universités et le gouvernement australien a été créé pour promouvoir des standards censés protéger les universités. Il s'agit d'une avancée réellement positive. Le gouvernement a également voté l'an dernier l'Australia's Foreign Relations Act, qui autorise le ministre des affaires étrangères à annuler un accord si l'autonomie institutionnelle d'une université est en cause ou si cet accord n'est pas dans l'intérêt du pays.
Notre commission devrait publier son rapport final d'ici à la fin de l'année. Il comportera toute une série de recommandations pour l'université que je ne peux évidemment pour l'heure dévoiler.
Dans le contexte australien, même si d'autres pays nous préoccupent, l'influence la plus menaçante provient évidemment de Chine. C'est pourquoi nous sommes très intéressés par l'expérience française et la manière dont votre gouvernement entend également contrer la menace russe.
M. André Gattolin, rapporteur. - Dans le cadre de nos investigations, nous nous sommes intéressés plus particulièrement aux expériences australienne, britannique et tchèque. Dans ces pays, les politiques de lutte contre les menaces étrangères font l'objet de travaux approfondis. Je pense notamment à l'Australian Strategic Policy Institute (ASPI) : échangez-vous avec les chercheurs de cet institut ? Estimez-vous que le développement de ce type d'organisme soit utile ?
Par ailleurs, l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) est en train d'élaborer un rapport sur la transparence des influences étrangères au sein des principaux pays occidentaux en vue de recommander un certain nombre de règles communes. L'Australie est-elle consultée dans ce cadre ?
M. James Paterson. - L'ASPI est un think tank australien indépendant dont l'utilité est attestée. En effet, nous sommes très préoccupés par l'influence que certains États étrangers peuvent avoir sur le débat public en Australie. Aussi, l'ASPI joue un rôle important en contribuant à créer une dynamique qui pousse le gouvernement à s'attaquer à ces problèmes.
Pour répondre à votre seconde question, je ne sais pas dans quelle mesure le gouvernement australien est consulté dans le cadre des travaux de l'OCDE. En revanche, je peux vous dire que nous collaborons régulièrement avec de nombreux États occidentaux pour échanger des informations et fournir un certain nombre de renseignements.
M. André Gattolin, rapporteur. - Vous avez évoqué le cas des instituts Confucius. Certains de ces instituts ont été fermés, comme aux États-Unis ou en Suède. En France, leur développement est aujourd'hui en perte de vitesse.
Aujourd'hui, quelle est la stratégie de votre pays vis-à-vis de ces organismes ?
M. James Paterson. - Il existe dix instituts Confucius en Australie. Leurs rapports avec nos universités ont été récemment revus par le gouvernement. Actuellement, notre ministre des affaires étrangères examine cette question : il s'agit de déterminer si ces organismes agissent dans l'intérêt national australien ou s'il est préférable de les fermer. La décision n'a pas encore été prise, mais, de mon point de vue, toutes les universités devraient rester très prudentes à l'égard de structures directement liées à des États étrangers, surtout lorsque celles-ci ont vocation à financer certains de nos travaux de recherche.
Un exemple parmi d'autres : il y a quelques années, l'institut Confucius de l'université de Sydney est parvenu à empêcher le Dalaï-Lama de s'exprimer au sein du campus. Surtout, il faut savoir que nombre d'étudiants chinois hostiles au régime de Pékin, qui sont présents sur le territoire australien, se sentent menacés par ces instituts.
M. André Gattolin, rapporteur. - L'Australie a récemment fait l'objet d'importantes mesures de rétorsion commerciale de la part de la Chine, alors même que plus de 40 % de vos exportations sont destinées à ce pays. Dans quelle mesure pouvez-vous résister à ces pressions croissantes ?
M. James Paterson. - L'Australie est l'un des pays occidentaux qui commercent le plus avec la Chine. La campagne menée par les Chinois contre notre pays concerne aussi le secteur de l'enseignement supérieur. Pékin cherche à porter préjudice à certaines universités australiennes, lesquelles sont de plus en plus dépendantes des frais de scolarité réglés par les étudiants étrangers, notamment chinois. Cette situation est évidemment dangereuse pour notre pays.
En matière d'échanges commerciaux, la situation s'est beaucoup dégradée au cours des trois dernières années.
Dernier point concernant la diaspora chinoise en Australie : sur 25 millions d'habitants, 1,5 million sont d'origine chinoise.
M. André Gattolin, rapporteur. - On parle beaucoup du rôle joué par les associations étudiantes chinoises, dont les dirigeants sont souvent liés aux autorités de Pékin. Ces associations ont-elles un statut officiel et font-elles l'objet d'une attention plus particulière des services de renseignement australiens aujourd'hui ?
M. James Paterson. - L'activité de ces associations estudiantines m'inquiète en effet. Il a été démontré qu'elles avaient des liens très étroits avec le gouvernement chinois. À la suite des incidents à l'université du Queensland, le consul général chinois à Brisbane a félicité les étudiants nationalistes chinois pour le rôle qu'ils ont joué dans la répression des étudiants pro-Hong-Kong.
Nous essayons évidemment de lutter contre ce type d'influence. Depuis le vote de la loi de 2020, la règle est claire : lorsqu'une association, un organisme ou un institut agit au nom d'un gouvernement étranger, il doit le déclarer au gouvernement australien.
M. André Gattolin, rapporteur. - Au mois de novembre dernier, la commission conjointe du Parlement australien sur le renseignement et la sécurité lançait un appel à contribution. Êtes-vous satisfait du nombre de témoignages que vous avez obtenus ?
Dans un article publié dans The Guardian, votre collègue Kimberley Kitching faisait part des hésitations des étudiants chinois, membres de la diaspora, à livrer leur témoignage auprès des commissions officielles. Quel bilan quantitatif faites-vous de cet appel à témoignage, compte tenu des réticences et des pressions indirectes ou discrètes, renforcées par le fait que les familles de ces étudiants demeurent en Chine ?
M. James Paterson. - L'engagement des universités elles-mêmes, d'experts indépendants et des professeurs d'université a été significatif. En revanche, nous avons reçu très peu de témoignages de la part d'étudiants. Les recherches menées par Human Rights Watch l'expliquent : les étudiants chinois ont décrit leurs craintes à s'exprimer en public sur leurs expériences et leurs opinions, de peur d'être espionnés par d'autres étudiants chinois proches du gouvernement. Certains étudiants, en raison de leurs activités en Australie, ont vu leur famille ou leurs connaissances résidant en Chine continentale recevoir la visite des autorités...
Cela préoccupe beaucoup le gouvernement australien et nos universités, qui souhaitent protéger ces étudiants. Cela doit faire partie du débat public en Australie, le gouvernement doit prendre ce problème à bras-le-corps.
M. André Gattolin, rapporteur. - Existe-t-il des procédures ou des lieux de réception des plaintes ? Y-a-t-il une coordination entre les universités et les services de sécurité ou de police ?
Ces sujets impliquent naturellement le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, mais ils concernent aussi le ministère des affaires étrangères et le ministère des affaires intérieures. Dès lors, comment la coordination entre vos ministères fonctionne-t-elle ? Un ministère en particulier jouit-il d'un leadership ou est-ce la coopération interministérielle qui prévaut ?
M. James Paterson. - La plupart des universités ont un système permettant aux étudiants de déposer plainte. Néanmoins, les étudiants concernés n'ont souvent pas confiance et estiment que leur université ne va pas donner suite à leur plainte... Les universités doivent faire davantage pour que les étudiants, en Australie, aient confiance et se sentent libres de témoigner.
Quant à la coordination entre les ministères, elle s'est beaucoup améliorée au cours des dernières années ; le groupe de travail dédié aux interférences étrangères a pris cette question très au sérieux. Auparavant, le ministère des affaires étrangères n'était pas représenté mais, compte tenu des nouvelles lois sur les relations avec les États étrangers, la coopération interministérielle a fini par s'imposer. Les universités ont aussi signalé l'engagement plus fort des agences de renseignement et de sécurité, lesquelles ont des programmes qui concernent aussi bien les entreprises que les universités. Bref, à l'heure actuelle, la communication est bien meilleure que par le passé.
M. Étienne Blanc, président. - Avez-vous des échanges avec les pays dont l'Australie est géographiquement proche, comme le Japon, l'Indonésie, la Nouvelle-Zélande ou la Corée du Sud ? Est-ce un sujet qui vous réunit ?
M. James Paterson. - Les pays avec lesquels nous avons le plus discuté sur ces questions sont le Royaume-Uni et les États-Unis, en tant qu'ils possèdent le même type d'enseignement supérieur qu'en Australie et qu'ils sont structurés d'une manière similaire ; les universités, quoiqu'indépendantes de l'État, reçoivent de lui des financements.
En ce qui concerne les États plus proches géographiquement, le gouvernement australien a pris d'autres initiatives, notamment avec les pays de la zone indopacifique, laquelle demeure la plus exposée aux agissements chinois.
M. Étienne Blanc, président. - Pourriez-vous détailler les points faibles des dispositifs mis en oeuvre pour lutter contre ces influences ? S'agit-il d'un manque de moyens, de coordination, de leadership, ou bien est-ce le résultat de l'autonomie des universités - principe auquel les démocraties sont très attachées - et, partant, de leur diversité dans la façon de percevoir et de traiter les risques d'ingérence ?
M. James Paterson. - Certaines universités n'ont pas mesuré l'importance de ces questions ; sans doute ont-elles été naïves ou ont-elles fermé les yeux. Si les universités ont mis du temps à se réveiller, c'est parce que bon nombre d'entre elles sont dépendantes financièrement des revenus en provenance d'étudiants étrangers, lesquels facilitent notamment leur recherche.
Est-ce à dire que le gouvernement australien ne finance pas suffisamment les universités ? C'est une question qu'il faut se poser... Cependant, il revient avant tout aux universités de gérer avec plus de prudence leur bilan financier, de telle sorte qu'elles ne dépendent plus des revenus des étudiants étrangers. Il est vrai que quelques universités particulièrement ambitieuses, souhaitant développer leur sphère de recherche, sont restées aveugles à certains risques.
M. André Gattolin, rapporteur. - Avez-vous une idée des secteurs académiques et des disciplines les plus visés par la Chine, en termes tant de nombres d'étudiants que de financements des laboratoires de recherche ? Historiquement, comme on l'a vu en France, la Chine a privilégié le domaine des sciences dures, des technologies, de la recherche fondamentale. Très récemment, on s'est aperçu de l'augmentation des demandes d'inscription d'étudiants chinois dans les écoles de journalisme et de communication, comme si la Chine souffrait là d'un déficit. On observe le même mouvement dans le domaine des sciences humaines et sociales, notamment en anthropologie, avec la volonté de montrer des filiations ethniques possibles entre les populations autochtones du grand Nord et les populations chinoises. En France, précisément, c'est aux écoles de commerce et de management que les étudiants chinois portent un intérêt croissant.
Quelles sont vos observations, tant en volume qu'en termes d'évolution dans le temps de la volonté de la Chine d'interférer dans un secteur académique, voire de se l'approprier ?
M. James Paterson. - Ce sont les domaines scientifiques qui nous inquiètent le plus, en particulier l'ingénierie. Il est des domaines de recherche qui, a priori, n'ont pas d'application militaire, mais, comme la Chine a une philosophie d'intrusion, il faut se méfier même des tentatives d'interférences qui nous semblent innocentes : la Chine cherche souvent à trouver des applications militaires aux technologies civiles.
Nous devons donc penser d'une façon beaucoup plus large et surveiller les domaines qui pourraient être utilisés contre nous.
M. Étienne Blanc, président. - Avez-vous pu repérer des faiblesses dans les moyens et les réactions de la puissance publique lorsque ces interférences sont attestées ? Je pense par exemple au renvoi d'un étudiant qui use de son statut pour capter des données dans une université ou dans un laboratoire. En droit australien, les dispositifs publics vous semblent-ils suffisants ? Envisagez-vous, en votre qualité de sénateur, une loi qui pourrait les renforcer ou mieux les adapter aux interférences étrangères ?
M. James Paterson. - Dans un monde parfait, on pourrait compter sur les universités seules pour protéger la recherche. Malheureusement, l'expérience a montré que laisser les universités décider, sans supervision, ne les conduit pas toujours à faire les choix les plus prudents, au détriment de leur intérêt propre et des intérêts nationaux. Seul le gouvernement fédéral est capable de définir les intérêts nationaux les plus importants à protéger.
Les universités ne sont pas mal intentionnées ; je ne pense pas qu'elles cherchent à nuire. Ce sont le plus souvent une certaine naïveté et un manque de renseignement qui les ont placées dans la mauvaise passe où elles se trouvent. Une législation supplémentaire et d'autres règlements sont sans doute nécessaires, en complément des mesures déjà mises en oeuvre. Toutefois, il ne faudrait pas qu'une nouvelle législation mine la créativité et l'ingéniosité des universités. Celles-ci doivent rester capables de mener à bien leur recherche et de former les étudiants, et ce avec le moins de restrictions possible.
En l'état, l'équilibre n'est pas bon.
M. André Gattolin, rapporteur. - En France, il existe des lois concernant les atteintes à la sûreté de l'État et visant les faits de collaboration avec une puissance étrangère ennemie. Or nous ne disposons que de moyens juridiques extrêmement lourds à mettre en oeuvre, qui nécessitent une instruction forte.
L'ambassadrice d'Australie en France, lorsque nous l'avons entendue, a signalé seulement quatre cas de sanctions effectives. C'est pourquoi nous posions la question de moyens intermédiaires qui ne correspondent pas à des actes coercitifs forts. Il nous manque un éventail de sanctions : en fin de compte, la puissance étrangère, surtout si elle est particulièrement influente, ne prend que le risque de l'impunité...
M. James Paterson. - Dans bien des domaines, il faut faire plus pour porter un coup aux pays autoritaires lorsque ceux-ci cherchent à interférer dans notre façon de vivre. Faute de sanction, il n'existe aucun moyen incitant ces pays à se garder de telles actions, notamment lorsqu'ils les entreprennent à couvert.
Encore faut-il être capable d'identifier les interférences et de réagir. Récemment, nombre de nations, y compris la France, se sont unies pour attribuer au gouvernement chinois la responsabilité du piratage du Microsoft Exchange Server - il était impératif à ce moment-là d'envoyer un message très fort.
Plusieurs pays, dont l'Australie, le Canada, le Royaume-Uni et les États-Unis, ainsi que l'Union européenne, disposent d'un cadre de sanctions en droit humanitaire. Ces sanctions - interdiction de stocker des avoirs dans les banques, refus d'inscription universitaire, interdiction d'entrée sur le territoire - ont des conséquences personnelles pour les officiels qui s'adonnent à divers abus, si bien qu'ils ne peuvent se réfugier derrière leur gouvernement.
M. André Gattolin, rapporteur. - Depuis trois ans, la législation australienne s'est renforcée d'une manière générale contre toutes les formes d'interférence dans l'économie, les choix et les orientations de l'Australie. Votre rapport parlementaire constitue un point d'étape pour mesurer l'efficacité des mesures prises.
Toutefois, l'adoption de nouvelles mesures conduit parfois le problème à changer de forme... Ainsi, considérez-vous que la situation s'est améliorée depuis la mise en place du nouveau cadre législatif ou bien les tentatives d'interférence ont-elles changé de nature et utilisent-elles des ressources qui n'avaient pas été prises en compte à l'origine ?
M. James Paterson. - Je suis très optimiste, car les résultats ont été très positifs. Depuis que l'Australie a interdit les donations aux partis politiques et a adopté des lois visant à augmenter les pénalités concernant les faits d'espionnage et les interférences à couvert, on a observé un changement de comportement immédiat, notamment du côté des agents gouvernementaux qui essayaient d'influencer notre démocratie et de la corrompre.
La surveillance des investissements a été adaptée, pour être certain que l'intérêt national soit préservé. Un changement énorme dans les investissements s'est opéré, surtout dans les domaines sensibles - cela a déjà un impact positif sur les universités.
Il reste néanmoins beaucoup à faire... Nous devons désormais nous préoccuper des cyberattaques, qui ont été privilégiées depuis que d'autres domaines d'interférence ont été protégés. Beaucoup d'incursions contre les entreprises australiennes ont été menées, mais aussi contre le gouvernement - le Parlement et nos universités ont été hackés !
Le cyberdomaine est une vraie source de vulnérabilité. Une nation peut être endommagée via le piratage de ses infrastructures les plus importantes systémiquement : électricité, eau, alimentation, système de paiement, etc. Voilà un enjeu dont il faut se saisir, au moyen de propositions et de projets de loi. C'est un défi pour beaucoup de pays dans les années à venir.
M. Étienne Blanc, président. - Ces dernières années, à l'échelon européen, nous avons adopté des lois et des directives pour contrôler et filtrer les investissements étatiques extra-européens. Elles ont été plutôt efficaces, mais nous nous sommes rendu compte qu'entretemps certains pays, dont la Chine, ne réalisaient plus d'investissements directs, mais proposaient des prêts indirects à de grandes entreprises privées.
Ces prêts, aux conditions quasiment usuraires, s'adossent à des aides publiques nationales ou européennes. Au printemps dernier, une nouvelle proposition de directive européenne a vu le jour, dédiée à lutter contre ces aides publiques indirectes et cachées. L'influence a changé de nature, mais elle est tout aussi prégnante en termes d'impact sur nos économies.
M. James Paterson. - C'est un point important, qui a pour thème sous-jacent le désir des pays autoritaires de contrôler et d'influencer les démocraties, renforcé par l'ouverture des marchés, qui offre nécessairement des perspectives d'interférence.
Les tentatives d'interférence auront toujours cours : tout ce que nous pouvons faire, c'est de nous en tenir à nos principes, maintenir nos sociétés ouvertes, renforcer nos démocraties et laisser nos marchés libres, tout en nous protégeant de ceux qui essayent d'utiliser ces libertés contre nous. Une adaptation constante sera nécessaire. S'ils ne peuvent pas passer par la porte, ils passent par la fenêtre : les auteurs d'interférences trouvent à chaque fois les moyens de contourner les restrictions. Restons vigilants, de façon à maintenir notre souveraineté, notre démocratie et nos pays libres.
M. Étienne Blanc, président. - Monsieur Paterson, je vous remercie de cet échange particulièrement intéressant. L'ambassadrice d'Australie en France, lorsque nous l'avions entendue, avait souligné l'intérêt d'avoir des débats très nourris et des échanges d'expériences communes sur ce sujet. Tel fut le cas aujourd'hui.
M. André Gattolin, rapporteur. - Monsieur Paterson, je vous remercie également.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 13 h 25.
Jeudi 9 septembre 2021
- Présidence de M. Étienne Blanc, président -
La réunion est ouverte à 16 h 35.
Audition de Mme Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation
M. Étienne Blanc, président. - Avec mon collègue André Gattolin, rapporteur de notre mission d'information, et l'ensemble des membres de la mission ici présents, je vous remercie, madame la ministre, de votre présence. Votre participation à nos travaux était attendue. Elle est légitime et incontournable, car le sujet qui nous réunit aujourd'hui concerne au premier chef le périmètre de votre ministère.
En effet, lorsque le président du groupe du Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants (RDPI) du Sénat, M. François Patriat, avait demandé en juin dernier la constitution d'une mission d'information, le thème retenu portait sur « les influences étatiques extra-européennes dans le monde universitaire et académique français et leurs incidences ».
Nos travaux s'apparentent à une mission « flash », car celle-ci a débuté ses travaux le 6 juillet dernier et doit adopter son rapport avant la fin septembre, ce qui est une gageure sur un tel sujet. Compte tenu de nos délais extrêmement contraints, je remercie vos services ainsi que les universités et grandes écoles qui ont d'ores et déjà répondu à nos questionnaires. Et j'encourage les établissements qui ne l'ont pas encore fait à se manifester.
Nous savons l'enjeu que représentent l'enseignement supérieur et la recherche pour le rayonnement de la France en Europe et dans le monde. Vous portez d'ailleurs un discours d'internationalisation de notre système universitaire, et il doit en être ainsi.
Mais la mondialisation apporte aussi son lot d'effets secondaires. Certains États s'emploient de manière délibérée à détourner les valeurs de liberté et d'intégrité scientifique de nos universités à des fins de politique intérieure ou d'ingérence pouvant atteindre notre souveraineté nationale. Il s'agit de délimiter la frontière entre le soft power et des pratiques plus offensives de certains États qui tentent d'exploiter leur présence croissante dans nos campus et nos laboratoires comme levier d'influence géopolitique. Les auditions que nous avons menées cet été avec les présidents d'université, des chercheurs, des services de renseignement, mais aussi des personnalités étrangères - je pense à l'ambassadrice d'Australie en France et au président de la commission conjointe du Parlement australien sur le renseignement et la sécurité - nous ont montré que la France constituait une cible de choix.
Avant de vous donner la parole, madame la ministre, notre rapporteur vous précisera ses axes de travail. Ensuite, nos collègues membres de la mission d'information vous poseront leurs questions.
Je rappelle que cette réunion fait l'objet d'une captation vidéo diffusée sur le site internet du Sénat.
M. André Gattolin, rapporteur. - Madame la ministre, c'est pour nous un plaisir de vous recevoir dans le cadre des travaux de cette mission d'information constituée à l'initiative du groupe RDPI du Sénat.
Nos travaux s'effectuent effectivement dans des délais très contraints, puisque nous devons rendre nos conclusions à la fin du mois. Pour autant, et comme il est de coutume au Sénat, nous avons cherché à aller au fond des choses. La mission aura ainsi mené près de 30 auditions, et adressé un questionnaire à l'immense majorité des établissements de l'enseignement supérieur - je déplore le faible nombre de réponses des grandes écoles de commerce, mais peut-être est-ce un silence significatif en lui-même...
Je ne peux évidemment pas vous livrer nos conclusions, sur lesquelles nous réfléchissons encore et qui doivent être débattues entre nous. Mais je remercie vos services pour les réponses très détaillées et riches en références qu'ils nous ont apportées.
Votre présence aujourd'hui souligne l'importance d'une problématique trop longtemps ignorée, mais qui a récemment émergé sur le devant de la scène politique et médiatique mondiale. Mes collègues et moi avons ainsi été frappés par la convergence d'analyses des chercheurs spécialisés, des universités, des administrations, mais également des autres grandes démocraties, concernant les nouvelles menaces qui pèsent sur l'enseignement supérieur et notre recherche. C'est un fait auquel nous devons nous habituer : le monde académique n'échappe plus à ce que certains appellent la « brutalisation » des relations internationales, il en est même partie prenante.
Dans ce paysage, nous avons retenu un mot, souvent prononcé par nos interlocuteurs : « vigilance ». Je le crois significatif d'une attitude réaliste sur l'état de notre monde. Mais il traduit également une forme de naïveté - longtemps entretenue - du monde de la recherche, dont les fondements mêmes appellent à l'ouverture et à la collaboration confiante. Il y a un énorme travail à mener pour sensibiliser le monde académique à ce nouveau monde dominé par des États qui suivent des stratégies d'influence, d'interférences, d'ingérence, des stratégies coordonnées et construites. Les nombreux cas très préoccupants dont nous avons pris connaissance ne sont probablement que la partie émergée de l'iceberg.
Pour autant, nous avons été en partie rassurés par la prise de conscience que nous sentons poindre depuis plus d'un an. Nous souhaiterions qu'elle soit amplifiée par vos soins et que les mesures de protection de notre monde académique soient adaptées à une menace désormais protéiforme.
Mme Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation. - Merci beaucoup pour cette invitation. Je me réjouis que le Sénat ait choisi de consacrer une mission d'information sur les influences étatiques extra-européennes dans le monde universitaire et académique français et leurs incidences. Je suis très heureuse de vous retrouver pour évoquer ce sujet de société qui appelle un traitement particulier s'agissant notamment de l'enseignement supérieur et de la recherche - l'actualité récente nous l'a rappelé. Il y va de notre souveraineté, mais aussi de nos libertés.
Je tiens à rappeler mon attachement sans faille à l'intégrité scientifique et aux libertés académiques. Nous avons eu l'an dernier au Sénat des débats constructifs lors de l'examen du projet de loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l'enseignement supérieur. Je sais que le Parlement mène un suivi rigoureux de ces thématiques, puisqu'en mars 2021, Monsieur le Sénateur Ouzoulias, vous remettiez avec le député Pierre Henriet un rapport très intéressant fait au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) pour la promotion et la protection d'une culture partagée de l'intégrité scientifique. Ces travaux trouvent aujourd'hui une forte résonnance dans le cadre de nos discussions.
Ces valeurs d'intégrité et de liberté conditionnent l'excellence de la recherche et son existence même. À cet égard, je rends hommage à l'ensemble de la communauté des chercheurs et des enseignants-chercheurs qui les portent avec engagement et détermination.
La recherche et l'enseignement sont aussi par définition des domaines d'interactions et d'échanges, en particulier internationaux ; il est fondamental que cela puisse perdurer. S'agissant de l'enseignement supérieur, de la recherche ou de l'innovation, qui est aussi un domaine-clé, notre politique d'attractivité et d'ouverture s'est toujours construite avec ambition, détermination et sans naïveté face à d'éventuelles menaces.
Nous devons sans cesse concilier deux impératifs : l'attractivité de nos établissements et de notre recherche, et la protection de notre modèle, de son autonomie et de ses libertés. Dans un environnement mondialisé et de plus en plus interdépendant, cette construction doit reposer sur la prudence et l'ouverture, sans sombrer dans les excès de la première, mais sans se jeter aveuglément dans les attraits de la seconde. C'est le cas de la stratégie en faveur de l'enseignement supérieur qui a été présentée en novembre 2019 et porte des ambitions très fortes pour attirer des étudiants étrangers. L'objectif est d'en accueillir 500 000 d'ici à 2027, au travers d'une politique de visas simplifiés et de frais d'inscription différenciés, et de favoriser les départs à l'international. Aujourd'hui, après dix-huit mois marqués par la pandémie de covid-19, je suis convaincue de l'importance du maintien de ces échanges et de leur dynamisme.
La visibilité de nos établissements à l'international a considérablement progressé ces dernières années. Le fait d'apparaître à une excellente place dans les classements internationaux, notamment dans le classement de Shanghai, nous permet de conserver notre troisième place mondiale au rang des pays reconnus pour l'excellence de leur recherche. Toutefois, cela nous rend aussi beaucoup plus visibles dans les radars des prédateurs et incite à une plus grande vigilance. Il convient de distinguer le soft power, qui s'appuie sur des pratiques légitimes et transparentes pour vanter les mérites de son enseignement supérieur ou de sa recherche, et l'ingérence, qui s'abrite derrière le secret.
Le renforcement de notre attractivité se déroule collégialement, dans le souci constant de protéger les travaux de nos chercheurs tout en garantissant leur liberté. Cela ne se fera jamais contre eux, ils doivent comprendre l'importance de la protection et participer à son amélioration. Grâce aux remontées spontanées des chercheurs, des directeurs de laboratoires ou des fonctionnaires de sécurité et de défense (FSD), et à une connaissance géopolitique actualisée en continu, le ministère est constamment informé des éventuelles menaces et risques d'ingérence qui pourraient affecter son écosystème. Le Haut fonctionnaire de défense et de sécurité (HFDS), la mission ministérielle en faveur de la sûreté et de la sécurisation de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, et la Délégation aux affaires européennes et internationales (DAEI) exercent un rôle primordial en la matière.
Le HFDS, en lien avec le ministère de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports, anime et coordonne la politique en matière de défense, de vigilance, de prévention de crise et de situation d'urgence. Il contrôle la préparation des mesures d'application et s'appuie sur un réseau de correspondants dans les académies et au sein des établissements d'enseignement supérieur et de recherche. Autour de ce haut fonctionnaire, un pôle veille à la protection du potentiel scientifique et technique de la Nation et lutte contre les tentatives d'ingérences étrangères, notamment au travers de la création des « zones à régime restrictif » (ZRR).
Ce dispositif de protection du potentiel scientifique et technique (PPST) s'inscrit dans un cadre réglementaire bien précis, fondé sur l'article 413-7 du code pénal. Il est piloté par le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) et vise à protéger les savoirs, les savoir-faire et les technologies les plus « sensibles » des établissements localisés sur le territoire national, dont le détournement et/ou la captation pourraient porter atteinte aux intérêts économiques de la Nation, renforcer des arsenaux militaires étrangers, affaiblir nos capacités de défense, contribuer à la prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs, ou être utilisés à des fins terroristes. Aujourd'hui, la PPST comprend 52 établissements adhérents, 573 ZRR, et plus de 150 unités de recherche.
Le HFDS intervient aussi dans l'évaluation des projets déposés dans le cadre d'appels bilatéraux ou des projets de coopération institutionnelle, avec une vigilance particulière sur les technologies duales. Au sein des établissements, il organise et structure la surveillance et la prévention des risques d'influences étrangères, via notamment ces relais que sont les FSD et leurs adjoints, habilités au secret défense.
Sur le terrain, les fonctionnaires de sécurité et de défense - plus de 160, qui sont nommés sur proposition des établissements - ont pour mission d'évaluer les risques correspondant aux menaces - divulgation de secrets de la défense, utilisation frauduleuse de moyens informatiques ou pillage de hautes technologies -, et surtout, de proposer des réponses et de s'assurer de leur mise en oeuvre. La présence de ces fonctionnaires est essentielle pour construire ensemble cette stratégie de défense.
La surveillance et la prévention des éventuelles influences étatiques étrangères au sein des établissements d'enseignement supérieur et de recherche sont donc en grande partie le reflet de la structuration du paysage français. Des acteurs de l'administration centrale sont chargés de la stratégie et de la vigilance, qui se déclinent au sein de chaque établissement et opérateur autonome par la gouvernance, dans le cadre de leur autonomie et en interaction avec l'ensemble des acteurs territorialement compétents.
La recherche scientifique est confrontée au même risque, qui est connu et pris en compte de longue date par le ministère. À ce titre, nous sommes inscrits dans le dispositif de gouvernance interministérielle de la politique de sécurité économique, formalisé par le décret du 20 mars 2019. Une attention particulière est donnée à l'innovation et au transfert, puisqu'un référent de sécurité économique habilité au secret de la défense nationale sera désigné dès cette année par le président de chaque société d'accélération du transfert de technologies (SATT). Régionalement, l'accompagnement des référents et l'animation de ce réseau sont copilotés par les délégués à l'information stratégique et à la sécurité économique (Disse) et les délégués régionaux académiques à la recherche et à l'innovation (Drari). Le déploiement de ces dispositifs se poursuivra en 2022 au sein des pôles de compétitivité, puis dans toutes les structures d'écosystèmes de valorisation de l'innovation, telles que les incubateurs, les Instituts Carnot, ou encore les futurs pôles universitaires d'innovation.
Il existe une volonté affirmée de constitution d'une souveraineté nationale dans les technologies-clés, concrétisée par la protection de certaines filières industrielles françaises dans tous les domaines de recherche qui font l'objet d'un plan de soutien de l'État, notamment du programme d'investissement d'avenir (PIA). Certains financements publics sont désormais explicitement conditionnés à la prise en compte des impératifs de souveraineté nationale à travers la sécurisation des recherches scientifiques face aux risques d'ingérence. Tel est le cas des soutiens aux projets de France Relance. La prise en compte de la PPST est également une exigence pour la mise en oeuvre des programmes prioritaires de recherche du PIA.
Toutes ces problématiques sont au coeur de l'action de notre ministère et des établissements qui en dépendent. De par le niveau de son excellence, internationalement reconnue, notre système est menacé par des influences étatiques extra-européennes. Il dispose néanmoins aujourd'hui de ressources, notamment humaines, pour s'en prémunir, la clef étant de mieux former, de mieux affiner notre connaissance des risques. On ne peut pas parler d'injonctions contradictoires ; il faut simplement allier la volonté de conserver l'internationalisation de la science, tout en étant conscient des menaces qui nous entourent. Je suis convaincue que le monde universitaire saura porter les trois piliers de cette ambition que sont la sensibilisation, la responsabilité et la transparence.
M. André Gattolin, rapporteur. - Vous avez rappelé les quatre secteurs qui sont privilégiés, car ils sont indispensables pour notre souveraineté. Vous avez cité aussi la PPST et les ZRR, qui visent plus particulièrement le monde des sciences et technologies. Dans le cadre de notre mission, nous nous intéressons aux formes d'influences agressives qui résultent de la volonté politique d'infléchir la liberté académique, voire l'intégrité scientifique de certains travaux. J'en veux pour preuve l'annulation, par certaines universités, de la visite du dalaï-lama ou de certains colloques sur la population ouïghoure. Sont concernés plusieurs États comme Taïwan, Hong Kong ou la Turquie. J'ai moi-même fait les frais de ces pratiques voilà quelques années lors d'un colloque Europe-Chine. Outre le vol de données, certains partenariats militaires sont signés par de grands établissements, et le financement de certaines chaires manque de transparence, laissant à penser que certains travaux seraient influencés. Sans aller jusqu'à dire que rien n'est fait, on peut parler de « trous dans la raquette », car aucun signalement n'a été prévu en France concernant cette dimension. Et cela ne semble pas vraiment entrer dans les missions des fonctionnaires de sécurité et de défense.
Mme Frédérique Vidal, ministre. - La meilleure protection contre « la science empêchée », qui inclut les sciences de la nature, les sciences exactes et les sciences de la pensée, c'est l'intégrité scientifique de ceux qui accueillent ou préparent ces colloques. Le système public universitaire est beaucoup moins sensible à ce type d'ingérences : chaque fois que des partenariats sont conclus à l'international, ils sont soumis avant toute signature au ministère de l'enseignement supérieur et au ministère de l'Europe et des affaires étrangères.
Nous avons créé en 2018 un collège de déontologie - il mériterait d'être mieux connu - dont les référents doivent recueillir ces témoignages. Quand des colloques sont empêchés, quand des conclusions vont dans le sens de ceux qui financent les travaux, quand toute hypothèse divergente est muselée, les établissements doivent systématiquement être en mesure de dénoncer le problème et de s'appuyer sur leur déontologue, voire sur le collège de déontologie. Vous avez raison, certains sujets sont évités par les Chinois ou les Turcs. Ce qui protège la recherche française, c'est qu'elle ne dépend pas des droits d'inscription des étudiants internationaux.
M. André Gattolin, rapporteur. - Cela vaut pour les universités publiques. Mais existe-t-il une surveillance des ressources des grandes écoles privées ?
Mme Frédérique Vidal, ministre. - Tous les établissements d'enseignement supérieur privé d'intérêt général (Eespig) ou qui sont en lien avec le ministère sont tout à fait conscients de ces problématiques. En France, le seul fait d'avoir des locaux habilités à recevoir du public est suffisant pour se voir octroyer le titre d'institut et délivrer des diplômes qui n'ont aucune valeur. D'où les nombreux efforts du ministère pour informer les étudiants sur les formations reconnues par le ministère et pour éliminer ces établissements de l'offre de formation officiellement reconnue.
Au demeurant, le travail réalisé par les doctorants et le regard des FSD sur les dossiers de candidatures pour des masters sensibles nous épargnent bien des difficultés futures. Sur des disciplines moins technologiques, il faut amplifier nos efforts. En effet, le dispositif de PPST concerne uniquement les sciences dites « dures », puisque l'arrêté du 3 juillet 2012 exclut les établissements de sciences humaines et sociales. Néanmoins, ces établissements se sont tout de même dotés de fonctionnaires de sécurité et de défense. Tout le monde prend donc conscience de la nécessité de disposer de formations et d'outils en la matière, ce que nous devons encourager dans tous les champs de la science et non seulement en matière scientifique et technologique, afin d'assurer la liberté scientifique dans tous les secteurs.
M. Pierre Ouzoulias. - Malheureusement, on n'observe pas que des ingérences extra-européennes dans la recherche scientifique. D'ailleurs, je veux vous rendre hommage pour votre action déterminée lorsque la Pologne est intervenue indûment dans un colloque français pour tenter d'influencer la présentation de la participation de la Pologne à la Shoah.
Mme Frédérique Vidal, ministre. - C'est vrai.
M. Pierre Ouzoulias. - Les constructions idéologiques nationales s'observent donc partout, y compris en Europe.
Par conséquent, dans le cadre de la présidence française de l'Union européenne, ne pourrions-nous avoir une action forte visant à faire de la Déclaration de Bonn un texte fondateur de l'Union européenne en matière de recherche, promouvant tant l'intégrité scientifique que la transparence ?
Par ailleurs, les textes d'application de la loi du 24 décembre 2020 de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l'enseignement supérieur, dont certaines dispositions concernent l'intégrité scientifique, sont en cours de rédaction. Ne pourrait-on en profiter pour adopter des dispositions relatives à la transparence ?
Les missions du Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Hcéres) incluent-elles une mention spéciale pour les travaux présentant une sensibilité stratégique particulière afin que les chercheurs concernés ne soient pas soumis aux mêmes règles d'évaluation que les autres et puissent s'abstenir volontairement de publier les résultats de leurs recherches sans que leur absence de publication soit considérée comme une faute ? Cela favoriserait une prise de conscience chez certains scientifiques. Je suis internationaliste par culture, mais cela ne m'oblige pas à adopter un irénisme béat : certains chercheurs étrangers se passionnent pour les baleines à Brest, sans que cela ait quoi que ce soit à voir avec la biologie marine...
Mme Frédérique Vidal, ministre. - La loi de programmation de la recherche a été l'occasion de réviser les décrets relatifs à l'intégrité scientifique. C'est vrai, ces décrets sont en cours de rédaction et nous pourrons nous appuyer sur les résultats de cette mission parlementaire pour rappeler les principes de base de la méthode scientifique : on n'a pas la réponse à la question posée avant d'avoir démarré ses travaux ; la bibliographie ne va pas que dans le sens de l'hypothèse évaluée ; et l'on peut avoir des débats contradictoires pour évaluer les résultats. S'il n'y a pas de débat possible, c'est que les résultats existaient avant le travail de recherche ou qu'il y a un problème de méthode...
Nous avons travaillé dans le cadre des dispositifs de science ouverte, qui me paraissent excellents, tant comme ministre que comme scientifique. Il s'agit d'un contrôle des chercheurs par les pairs, qui empêche de dire n'importe quoi puisque l'on est relu par l'ensemble de sa communauté scientifique. Néanmoins, même dans ce cadre, il faut garder certains résultats sous embargo. Cela étant, on peut tout de même mettre à la disposition de la communauté scientifique, par ce biais, les résultats négatifs.
En ce qui concerne votre dernière question relative au Hcéres, un tel mécanisme existe déjà, car, dans certains cas, il n'y a pas de publication en accès libre, par exemple lorsque certaines thèses sont soutenues à huis clos. Dans ce cas, le Hcéres est informé que le travail a été mené, qu'il a abouti mais il ne doit pas s'attendre à ce que l'on puisse en trouver les résultats.
On s'est longtemps focalisé, probablement de façon justifiée, sur la question de la technologie et de l'innovation. Aujourd'hui, l'innovation de rupture est favorisée par rapport à l'innovation de rattrapage ; on constate un déplacement des financements dans certains pays.
Évidemment, si certains pays peuvent se prévaloir de publications scientifiques émanant de l'étranger et cautionnant un récit national revisité, cela permettra à ce récit de devenir l'histoire. Il faut être très vigilant. Nous devons travailler sur ce sujet, pour préserver la liberté scientifique. On observe cela régulièrement avec les doctorants financés par leur pays d'origine et qui subissent des pressions. On en a pris conscience, il faut maintenant trouver les moyens d'y remédier.
Le Programme d'aide à l'accueil en urgence des scientifiques en exil (« Pause »), qui concernent tous les domaines de la science, suscite des questionnements, car, selon les scientifiques concernés, rompre les liens de collaboration avec leurs collègues dans leur pays d'origine, où la liberté scientifique n'existe plus, c'est abandonner ces derniers. Il faut permettre à ces scientifiques de préserver leur savoir et leurs connaissances en attendant qu'ils puissent exercer de nouveau leur liberté scientifique.
M. Jean-Michel Houllegatte. - Il faut sans doute mieux former, dites-vous, mais comment faire émerger une culture commune sur ces questions ? Comment mieux diffuser les pratiques, dans un contexte souvent très médiatisé ? Il importe de ne pas laisser d'autres acteurs se saisir du sujet en dépassionnant celui-ci en amont. Il y a plusieurs possibilités : la voie réglementaire ; la circulaire relative à la stratégie d'intégrité scientifique des opérateurs de recherche ; et l'évaluation : prend-on en compte ce sujet dans l'évaluation ?
La voie de la labellisation est une autre option. Dans les critères du label « Bienvenue en France », je n'ai rien vu à ce sujet. Ce label concerne la qualité de l'accueil et de l'accompagnement matériel mais ne porte pas sur les exigences des établissements en la matière ; ne faudrait-il donc pas y inclure les questions d'intégrité scientifique ?
Mme Frédérique Vidal, ministre. - Le label « Bienvenue en France » porte sur l'accueil matériel des étudiants étrangers : la constitution d'un guichet unique, la possibilité de prendre des cours de français ou encore l'affiliation à la sécurité sociale. Néanmoins, l'accès à la France démarre dans le pays d'origine et passe notamment par Campus France. L'arrivée sur le sol français d'étudiants ou de chercheurs internationaux ne relève pas des établissements. Ce ne sont pas eux qui contrôlent la provenance de l'étudiant. Cela dit, il est important de travailler en bonne intelligence avec son FSD, qui fait le lien avec ces questions.
La formation doit être protéiforme, parce que les sujets et les modalités de l'accueil diffèrent selon les communautés disciplinaires. Certaines personnes voient immédiatement pour quelles raisons leurs recherches peuvent faire l'objet de convoitises, quand d'autres ne le perçoivent pas du tout. Il faut donc améliorer ce niveau de discernement. Le travail local est donc très important. Au lieu de considérer, par exemple, que la totalité de tel laboratoire d'électronique est susceptible de subir des ingérences, il faut identifier les secteurs sensibles et assurer une étanchéité entre ceux-ci et le reste du laboratoire. En effet, on ne peut demander à chaque chercheur de contrôler si l'étudiant qui pose une question est en droit de le faire. Bref, cela doit s'organiser sur place.
Je veux absolument éviter, dans ce domaine comme dans d'autres, que l'on prévoie un dispositif intellectuellement très satisfaisant mais impossible à appliquer. Il faut que l'on se protège et non que l'on se rassure en se disant que, si le texte était appliqué, on serait protégé...
Enfin, rien n'est plus éloquent qu'un FSD démontrant qu'il peut aspirer facilement les données d'un téléphone, pourtant éteint. Il faut donc voyager, lorsque l'on est président d'un établissement, avec un ordinateur ne contenant pas les données de l'établissement et, lorsque l'on est chercheur, sans ses données de recherche ; de même, il faut éviter d'activer son téléphone dès que l'on arrive dans un aéroport international. Il est préférable de prévoir des téléphones et des ordinateurs dédiés aux voyages internationaux. Je crois plus à ce type de formation qu'à des mécanismes parfaits mais inapplicables.
M. Stéphane Piednoir. - Différents dispositifs existent ; s'articulent-ils correctement ? Ne se superposent-ils pas les uns aux autres ? Le collège de déontologie vous semble plus agile et repose sur des référents, mais comment ceux-ci sont-ils recrutés ?
Vous avez plutôt parlé des sciences exactes et expérimentales ; quels dispositifs sont en place dans les autres domaines ? Des algorithmes sont-ils prévus pour signaler une éventuelle ingérence ou une orientation particulière ?
Enfin, les fauteurs de troubles et les universités qui refusent d'aborder tel ou tel sujet encourent-ils des sanctions ?
Mme Frédérique Vidal, ministre. - Le collège de déontologie a été créé à la demande du monde scientifique. Des chercheurs, volontairement ou sous la contrainte d'une ingérence, ne respectent pas les règles déontologiques, mais la plupart s'y soumettent, et c'est grâce à cela que l'on est au courant. Vu le nombre de colloques et d'interventions ayant lieu chaque jour dans les établissements d'enseignement supérieur français, s'il n'y avait pas des individus signalant des ingérences, personne n'en saurait rien. D'où l'idée des référents de déontologie. Il s'agit du monde académique, ce n'est donc pas moi qui nomme ces référents ; c'est un système de cooptation de personnes s'intéressant à ces questions. Il en va de même pour les FSD, mais ceux-ci doivent être habilités au secret-défense.
De même que l'on est informé de ce qui se passe dans les zones à régime restrictif, on est au courant de ce qui intervient dans les sciences humaines et sociales, car il y a toujours quelqu'un pour signaler un comportement qui lui semble incorrect.
Les chefs d'établissement sont responsables de la sécurité au sein de leur établissement ; par exemple, la police ne peut y pénétrer que si le chef d'établissement l'y autorise. C'est donc souvent contraint et forcé qu'il annule un évènement, quand il sait que, s'il ne le fait pas, il devra demander la protection de la police - organiser un colloque sous la protection de la police ne correspond pas à la vision que l'on a du monde universitaire - ou parce que lui ou son personnel risquent d'être confrontés à des personnes violentes. C'est dans ce domaine que nous devons accompagner les chefs d'établissement.
Si les actes relèvent du pénal, la procédure de signalement au procureur prévue à l'article 40 du code de procédure pénale s'applique, mais si les actes sont d'une autre nature, nous devons déterminer ce qui doit être fait.
Jusqu'à récemment, les commissions disciplinaires ne traitaient que des fraudes aux examens. On maîtrise donc encore mal ces sujets. C'est pourquoi nous avons rendu possible le dépaysement des procédures et nous avons placé un magistrat à la tête de la section disciplinaire du Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche (Cnéser). Nous devons accompagner cette évolution, car c'est ce genre de choses qui protégeront la liberté académique.
M. André Gattolin, rapporteur. - C'est vrai, il ne faut pas tout réglementer, mais certaines règles, comme celles qui s'appliquent en matière de transparence et de conflits d'intérêts, présentent un avantage : elles constituent un principe de précaution. C'est moins le fait de répondre parfaitement que celui de devoir répondre qui entraîne une forme de contrôle a priori ; nous le savons bien, nous, les politiques, ces règles nous contraignent et nous préservent de certaines tentations. C'est pourquoi le président et les membres de cette commission sont attachés au renforcement de la transparence.
Nous devons également éviter que le monde politique impose verticalement des règles au monde universitaire ; nous préférons que celui-ci se saisisse du sujet et institue de bonnes pratiques. C'est ce qui s'est passé au Royaume-Uni et en Australie, où, pourtant, les universités sont principalement privées ; toutefois, la coordination entre leurs établissements est forte, puisque Universities UK compte 140 universités. Chez nous, la Conférence des présidents d'université (CPU), quelque respectable qu'elle soit, n'a pas les moyens d'instaurer un système dans lequel les référents se réuniraient pour déterminer les situations rencontrées et les solutions à envisager. On voit mal comment une telle action pourrait émerger.
En outre, les présidents d'université sont alarmés par la multiplication du nombre de référents, qui ne garantit pas la compétence des titulaires de ces fonctions. Nous devrions peut-être nous méfier de cette multiplication, car la création d'un référent est parfois une réponse circonstancielle apportée à un problème, pourtant réel. Il faut développer la coopération entre universités, car, au Royaume-Uni et en Australie, les pratiques qui ont émergé sont très intéressantes.
Mme Frédérique Vidal, ministre. - Les référents, il ne suffit pas de les nommer, il faut animer leur communauté. C'est là que réside leur intérêt, dans le partage d'informations. En outre, comme ces réseaux existent dans d'autres pays européens, cela permet un partage des expériences. La Commission européenne a annoncé des lignes directrices dans quatre domaines : les valeurs, la cybersécurité, les partenariats et la gouvernance. Il sera possible de les décliner au travers des référents.
Il faut également être capable d'objectiver les choses. Par exemple, je me suis beaucoup appuyée sur l'enquête sociologique Violences et rapports de genre (Virage), de l'Institut national d'études démographiques (Ined), qui porte sur l'ensemble de la population avec un focus particulier sur les universités. On ne peut pas traiter un sujet si l'on ne sait pas s'il s'agit d'un épiphénomène, d'un phénomène en croissance ou encore d'un phénomène sporadique - en l'espèce, cette enquête montre que les violences sexistes ne sont pas un épiphénomène ni un phénomène sporadique et que leur visibilité croît -, et, pour que cela soit utile, cela doit être fait dans les règles de l'art de la méthode scientifique. Pour que des chercheurs s'approprient ces sujets, il fallait des données. Or on a pu obtenir celles-ci auprès des référents, qui disposent de tous les signalements.
La question des libertés académiques se pose maintenant à l'échelon européen, puisque la Commission s'en empare, et nous devons travailler en coopération avec nos partenaires ; il existe d'ailleurs un observatoire européen des libertés académiques, qui recense les incidents, envahissements de colloque ou autres.
M. André Gattolin, rapporteur. - Entre les initiatives de la Commission et les préconisations que l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) inclura dans un rapport en préparation, on voit que le sujet de l'intégrité scientifique, de la liberté et de l'ingérence émerge à l'échelon international. Nous souhaiterions savoir quelles répercussions cela peut avoir, à l'échelle nationale et internationale.
Par ailleurs, parmi les réponses que nous avons reçues des établissements consultés, il apparaît qu'il n'existe pas de base juridique permettant d'obliger les établissements à communiquer à vos services les accords passés avec les entreprises étrangères. Or on constate, notamment à l'échelon européen, que l'influence étrangère passe maintenant au travers d'aides d'entreprises étrangères, parapubliques ou proches de l'État. Cette absence de base juridique nous semble constituer un vide à combler.
Mme Frédérique Vidal, ministre. - Vous avez raison, il faut anticiper. Pour le moment, nous traitons les problématiques qui ont été identifiées, mais d'autres émergent. Nous devons nous assurer que la prise en compte de ce sujet devienne un réflexe naturel à chaque nouvelle coopération. Néanmoins, je le répète, l'immense majorité de ce qui se passe dans le monde de la recherche se fait entre personnes intègres ; heureusement...
M. Étienne Blanc, président. - Merci beaucoup, madame la ministre.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 17 h 50.