Mercredi 7 juillet 2021
- Présidence de Mme Sabine Van Heghe, présidente -
La réunion est ouverte à 12h30.
Audition de M. Erwan Balanant, député, auteur du rapport de mission gouvernementale : « Comprendre et combattre le harcèlement, 120 propositions »
Mme Sabine Van Heghe, présidente. - M. le Député Erwan Balanant, cher collègue, comme vous le savez, les auditions de notre mission créée au titre du droit de tirage du groupe Les Indépendants-République et Territoires sont consacrées au harcèlement en milieu scolaire, et notamment à sa dimension « cyber ».
Au terme de 5 semaines intenses d'auditions et de 2 déplacements sur le terrain, nous avons souhaité vous entendre sur un sujet que vous connaissez parfaitement et ainsi pouvoir librement échanger et confronter nos points de vue.
Au nom de tous mes collègues, je souhaitais donc vous remercier très sincèrement d'avoir répondu à notre invitation.
Il y a 2 ans en effet, à la suite de l'examen en séance du projet de loi pour l'école de la confiance dans lequel vous avez fait inscrire le droit pour les enfants à suivre une scolarité sans violence ni harcèlement, vous avez été chargé d'une mission par le Premier ministre sur cette question qui constitue une priorité du ministère de l'éducation.
À l'automne 2020 vous avez donc rendu public votre rapport qui présente un état des lieux très complet de la situation, fruit d'un travail qui fait honneur à son auteur, et qui est assorti de 120 propositions d'action.
Nul doute que le « rapport Balanant » constitue une référence incontournable en la matière, ce qui justifie votre présence parmi nous aujourd'hui.
Comme vous, nous estimons que ce fléau doit être combattu le plus efficacement possible. Surtout que la dimension « cyber » en a radicalement changé la nature, la portée et donc les conséquences dramatiques sur les élèves.
Le harcèlement tend alors à se disséminer, à se réfugier derrière un anonymat qui en démultiplie les conséquences dévastatrices. Il ne s'arrête plus aux portes de l'école, du collège ou du lycée mais crée un continuum qui ignore les lieux, les horaires et l'intime de la vie familiale.
Vous l'avez encore évoqué, le 18 mai dernier, en interrogeant le ministre de l'Éducation nationale sur cet aspect et je vous cite : « Tolérer la violence en ces lieux, c'est l'ancrer dans le développement des enfants et la cautionner dans la société des prochaines décennies ». Vous aviez rappelé à cette occasion que des solutions existent.
Nous sommes donc impatients de vous entendre pour un propos liminaire, avant que notre rapporteure Colette Melot suivie par nos nombreux collègues présents ce jour n'entament le débat dont je sais qu'il sera passionnant et à la hauteur de l'enjeu.
Mon cher collègue, je vous cède la parole sans plus attendre.
M. Erwan Balanant. - Madame la Présidente, je vous remercie pour cette occasion de pouvoir échanger avec vous. Cette interaction est de nature à nourrir nos futures réflexions.
Je souhaite revenir brièvement sur le contexte d'écriture de ce rapport. Je tiens à le préciser, il n'est pas issu de faits personnels. J'ai été en pension dans un collège puis lycée breton, et je n'ai pas le souvenir d'avoir été victime de harcèlement. Cette réflexion est issue du rapport que m'avait confié Marlène Schiappa en 2017 sur le harcèlement de rue. J'ai pour ainsi dire « remonté la pelote » : tout commence à l'école, qui est le lieu de l'apprentissage de la socialisation. Il faut donc traiter la question du harcèlement dès l'école.
A l'occasion de l'examen du projet de loi sur l'école de la confiance, j'ai été surpris de n'y trouver aucune disposition relative à la lutte contre le harcèlement scolaire. Je l'ai été d'autant plus quand j'ai constaté que les mots de « harcèlement scolaire » étaient absents du code de l'éducation. J'ai donc déposé un amendement visant à instaurer un droit à une scolarité sans harcèlement lors de l'examen du texte. Il semblait dans un premier temps ne pas être accepté par le ministère, mais par un mouvement de séance - comme vous en connaissez aussi au Sénat - l'amendement a été voté. Cela ne représente que le début de mon travail : Édouard Philippe m'a par la suite confié une mission sur le harcèlement scolaire. Quels constats ai-je pu dresser ?
Premier constat : en matière de harcèlement, il y a eu des avancées, une amélioration en raison d'une prise de conscience sur ce phénomène. Mais il faut désormais aller plus loin et plus vite, une nouvelle politique publique doit être mise en place. J'y reviendrai.
L'actualité aujourd'hui, avec la condamnation à quatre à six mois de prison avec sursis, de 11 coupables dans l'affaire Mila nous rappelle le fléau qu'est le cyberharcèlement. Un enfant cyberharcelé n'a plus de répit. Avant, vous pouviez vous ressourcer chez vous. Désormais, le cyberharcèlement est permanent. Un certain nombre de choses pourrait être faites. Par exemple, les parents pourraient interdire l'utilisation du téléphone dans la chambre de l'enfant, ou encore, tous les téléphones, y compris ceux des parents, pourraient être mis le soir sur un guéridon. Il faut d'ailleurs s'appliquer à soi-même ce que l'on demande aux enfants.
Deuxième constat : avec le cyberharcèlement, le harcèlement peut très vite, à travers la viralité, sortir du cadre des camarades de classe, pour prendre une dimension nationale, voire mondiale. L'affaire Mila l'a montré de manière paroxystique.
Troisième point : le cyberharcèlement laisse des traces - sur le développement de l'enfant, mais aussi sur les réseaux sociaux et ceci à vie. Il faut faire comprendre aux enfants que les contenus demeurent, même si la personne qui les a reçus les supprime. Il restera une rémanence perpétuelle sur les réseaux sociaux, car, même si les forces de l'ordre ont retiré ces contenus, d'autres personnes peuvent les avoir stockés.
Voilà le constat. Il faut une grande politique publique sur le sujet. Le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement doivent devenir une grande cause nationale pendant un an. Il y a eu une prise de conscience à la suite des travaux de Debarbieux, et tous les gouvernements successifs ont agi, participant à cette prise de conscience. Mais il faut aller plus loin, car la prévention du harcèlement à l'école permet d'agir sur les autres périodes de la vie : harcèlement au travail, dans la rue, en politique, etc.
Cette politique doit définir un interdit. Le cyberharcèlement et le harcèlement scolaire ne sont pas bien définis dans le code pénal. Le code de l'éducation doit être réécrit et il faudrait décliner, dans le code pénal, un délit de harcèlement scolaire et de cyberharcèlement similaire à ce qui existe en matière de harcèlement au travail. Cela permet de créer un interdit, non pas dans un but unique de répression, mais car il est important dans une société de dire ce que l'on accepte et ce que l'on n'accepte pas. Le code pénal sert à définir des interdits sociétaux, il est le pivot de toutes les politiques publiques que l'on va mettre en place.
Dans les 120 propositions présentées dans mon rapport, toutes ne proposent pas des choses nouvelles. Certaines visent aussi à développer les choses qui existent, à augmenter les moyens consacrés, ou encore généraliser les dispositifs qui fonctionnent.
Le programme pHARe, « clé en main », va sortir de l'expérimentation et être généralisé à l'ensemble des académies à la prochaine rentrée. Toutefois, il reste sur la base d'une participation volontaire des établissements. Or, une politique de prévention du harcèlement doit se faire dans chaque école, collège et lycée.
Le deuxième axe, dans le domaine du « cyber », concerne les parents, qui ne connaissent pas nécessairement les pratiques de leurs enfants sur les réseaux sociaux. J'ai 50 ans et je pense maîtriser les réseaux sociaux. Mais cela ne veut pas dire y avoir les mêmes pratiques que les jeunes. Je suis surpris, dans mon cercle familial, de voir les interactions qu'ont les jeunes sur les réseaux sociaux. Je ne plaide pas pour leur interdiction, car les réseaux sociaux sont aussi des outils intéressants, mais il faut que les parents soient formés. Il faut une campagne de sensibilisation sur les dangers du téléphone. Je vais faire un parallèle avec la voiture. C'est un outil de liberté, mais aussi dangereux qui il est dans les mains d'un chauffard.
Enfin, cette politique publique doit comporter un axe « réseaux sociaux ». Ils doivent prendre leurs responsabilités Ils ne peuvent pas se contenter de se cacher derrière leurs conditions générales d'utilisation et y renvoyer.
Il faut faire sortir la lutte contre le harcèlement scolaire du silo de l'éducation nationale : il faut une politique interministérielle. Sous forme de boutade, je dis souvent qu'il faut un ministre de la jeunesse auquel serait attaché à ministre délégué à l'éducation nationale. Il faut créer un groupement d'intérêt public - ou une autre forme de coopération - qui regrouperait différents acteurs sur la question du harcèlement et du cyberharcèlement. Cela a été fait pour l'enfance en danger - et fonctionne bien. Cela permettrait de disposer d'un bras pour cette politique interministérielle.
Il faut une prise de conscience de l'ensemble de la société, non seulement sur ce fléau, mais aussi sur la nécessité de changer la société pour la tourner vers plus d'empathie et vers plus d'écoute. Cela nécessite aussi un changement de l'école. Notre école a les défauts de ses qualités : elle est capable de grandes choses, mais a aussi des travers. L'école forme des individus et laisse peu de place au travail de groupe. À titre personnel, je serai ainsi favorable à des notes de groupe.
Mme Colette Mélot, rapporteure. - Vous avez évoqué les parents. L'ignorance, l'éloignement font qu'ils ne sont pas tous conscients de ce qui se passe sur les réseaux sociaux.
Nous avons auditionné les réseaux sociaux. Ceux-ci n'ont pas avancé dans leurs propositions depuis la parution de votre rapport, sur le sujet de l'anonymat. Ils ont l'impression d'agir, mais en fait c'est loin d'être suffisant.
Nous nous sommes également rendus dans deux collèges, l'un en Seine-et-Marne et l'autre dans le Pas-de-Calais. Dans les deux établissements, le harcèlement est pris à bras le corps. Nous avons vu l'importance du travail de l'équipe pédagogique. Mais combien d'autres établissements ne s'inscrivent pas dans une telle démarche ! Il faudrait généraliser ce qui fonctionne dans ces établissements.
L'idée de grande cause nationale a également été évoquée avec les personnes auditionnées, notamment la Défenseure des droits. Les médias s'emparent parfois de ce sujet, mais souvent seulement lors de faits graves.
M. Erwan Balanant. - A la suite de mon rapport, j'ai déposé une proposition de loi visant à réécrire le code de l'éducation, le code pénal, et proposant un accompagnant des victimes. Il faut les accompagner, car le traumatisme peut être terrible - et avoir un coût pour la société.
Mme Céline Boulay-Espéronnier. - Cela fait désormais 10 ans que cette problématique est prise à bras le corps. Toutefois, il demeure un sentiment de manque de coordination. On constate des différences énormes entre territoires, parfois même entre établissements dans la prise en compte et la lutte contre le harcèlement.
Je suis d'accord pour inscrire l'interdit dans la loi, mais pourquoi ne l'a-t-on pas fait avant ?
Il faut également travailler avec les plateformes, pour augmenter la compréhension des conditions générales d'utilisation. Elles sont souvent peu claires pour un enfant et ses parents. Personne ne les lit. Il est nécessaire d'avoir une telle prise de conscience de l'ensemble des acteurs qu'elle rejaillisse sur l'école. Il faut également travailler sur des thématiques transversales comme la citoyenneté.
Enfin, on nous a dit que l'école manque de moyens, de temps dans les programmes. Il est nécessaire de changer l'école. En effet, on peut mettre en place toutes les actions que l'on veut, mais si l'enfant y est imperméable, cela n'aura aucun effet.
M. Erwan Balanant. - Il y a eu une prise de conscience il y a 10 ans. Je souhaite rendre hommage au travail d'Éric Debarbieux, ainsi que de Luc Chatel qui a été le premier ministre de l'Éducation nationale à réfléchir au harcèlement scolaire et à mettre en oeuvre des actions pour lutter contre ce problème de société. 10 ans, c'est court dans le temps de la société : il faut alors accompagner le processus. Je fais un parallèle avec le harcèlement au travail : au départ, on trouvait également cela normal, puis il y a eu une prise de conscience menant à l'interdiction du harcèlement au travail, qui a constitué un point de rupture.
La prise de conscience du harcèlement scolaire se fait par itération, progressivement. Cela nécessite un changement structurel. Je prendrai un exemple : les études de climat scolaire. Lorsqu'un établissement diligente une telle étude, le résultat lui appartient : les données ne remontent pas au ministère. Il n'y a donc pas de chiffres sérieux sur le harcèlement scolaire. Ceux qui sont donnés sont calculés « au doigt mouillé ».
Ma première proposition consiste en la mise en place d'un baromètre pour mesurer le climat scolaire. Il me semble également important de noter les collèges et lycées, de différencier entre ceux qui agissent contre le harcèlement scolaire, et ceux qui ne font rien. Il peut exister des établissements qui ont d'excellents résultats scolaires mais qui ne mettent en place aucune politique de prévention du harcèlement scolaire, et avec pour conséquence un climat d'études très difficile.
Je me réjouis que le Sénat se soit saisi du sujet du harcèlement. Permettez-moi seulement d'exprimer un regret. Comme c'est souvent le cas sur ces sujets et les thématiques du care de manière générale, l'assemblée ici présente est très majoritairement féminine.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Que pensez-vous de l'anonymat sur internet ? On ne peut pas agir car les auteurs de cyberharcèlement, d'insultes ne sont pas retrouvés.
M. Erwan Balanant. - Il ne faut pas confondre anonymat et pseudonymat. Sous le contrôle d'un juge, les forces de l'ordre peuvent, dans le cadre d'une procédure judiciaire, retrouver une personne cachée derrière un pseudonyme, notamment grâce à l'adresse IP. Je pense qu'il ne faut pas interdire l'anonymat. C'est un outil pour les lanceurs d'alerte. En revanche, il faut changer la façon dont on perçoit, et se perçoivent les réseaux sociaux. Ils se présentent comme des tuyaux et pas comme des médias. Or, comme l'indique la loi du 29 juillet 1881, tout média est responsable de ses publications, à travers son directeur de publication qui est pénalement responsable. Facebook a supprimé le compte de Donald Trump. C'est donc bien qu'il a une ligne éditoriale.
Certes des associations comme la Quadrature du Net estimeraient que ces considérations sont « liberticides ». Mais ce n'est pas le cas. L'expression dans notre pays est libre, mais il y a des règles à respecter.
Mme Toine Bourrat. - Un journal vérifie une information. L'information n'est pas diffusée tout de suite, permettant au directeur de rédaction de procéder à sa vérification. Sur les réseaux sociaux, tout va bien plus vite. En outre, l'anonymat facilite la diffamation.
M. Erwan Balanant. - Ce serait possible, à condition d'avoir un outil juridique plus puissant. L'affaire Mila est le premier jugement médiatique appliquant la loi du 3 août 2018, où un unique tweet, mais inséré dans une attaque « en meute » est un délit.
Pour moi ce n'est pas l'anonymat qu'il faut condamner, mais les propos. Le cyber doit être considéré comme un espace public comme les autres : des personnes qui proféreraient des insultes dans la rue se feraient arrêter en raison des propos qu'elles tiennent, et ce même si elles sont masquées.
M. Thomas Dossus. - L'anonymat n'est pas le véritable enjeu ; c'est plutôt le sentiment d'impunité qui pose problème, d'autant que les harcelés connaissent bien souvent les harceleurs. Il faut pouvoir signaler un tweet haineux, un cyberharcèlement et que tout cyberharcèlement fasse l'objet d'une réponse rapide. L'affaire Mila a montré qu'on peut être considéré comme harceleur avec un seul tweet. Avec les réseaux sociaux, l'espace public entre dans la chambre.
Je suis régulièrement intervenu sur les moyens de Pharos. Avant l'assassinat de Samuel Paty, moins de 30 équivalents temps plein (ETP) y étaient consacrés. Depuis, ils ont augmenté. L'État doit mettre les moyens pour raccourcir le délai entre le constat et l'intervention.
Enfin, une attention toute particulière doit être accordée aux numéros d'appel, car parfois la victime en ressort plus détruite qu'avant de les appeler.
Mme Toine Bourrat. - Certains, en l'absence d'anonymat, serait « moins courageux » dans leurs insultes. Certes des personnes ont été condamnées dans l'affaire Mila, mais il faut penser aux dégâts subis par cette jeune fille.
M. Erwan Balanant. - Je suis persuadé que les réseaux sociaux savent gérer la viralité. Par exemple, il pourrait y avoir le déclenchement d'une procédure bloquante lorsque l'algorithme note tout à coup une brusque augmentation d'une occurrence. E-enfance a fait un travail remarquable. Mila a reçu en moins de 24 heures plus de 100 000 tweets. Mais les algorithmes auraient pu « couper le feu ». Ils savent bien nous proposer d'acheter des biens en détectant nos préférences, ils peuvent donc casser la viralité.
Je réitère ici mon appréciation selon laquelle la question du statut juridique des plateformes est essentielle. Il s'agit bien d'un média véhiculant de l'information plutôt que d'un simple tuyau.
Mme Toine Bourrat. - Faudrait-il limiter le nombre de comptes et de pseudonymes pouvant être créés à partir d'une même adresse mail ?
M. Erwan Balanant. - Il suffirait de se créer une nouvelle adresse mail pour contourner cette mesure. De même demander la carte d'identité pour s'inscrire sur les réseaux sociaux serait une atteinte excessive à la liberté d'expression.
Pour moi, plus tôt on apprend le-vivre ensemble aux enfants, plus tôt on pourra lutter contre l'insulte sur les réseaux sociaux. La culture des réseaux sociaux est somme toute jeune en France. Les premiers sont apparus il y a une quinzaine d'années, vers 2006-2007. La culture du vivre-ensemble doit être travaillée. C'est le rôle du politique. Il n'y a pas sur les réseaux sociaux cette culture du vivre-ensemble, telle qu'elle peut exister dans la rue. Les personnalités politiques ont aussi leur part de responsabilité. À titre personnel, je veille ainsi à ne plus envoyer de « piques » politiques sur les réseaux sociaux
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - C'est dommage car cela fait partie de la culture du débat.
M. Erwan Balanant. - La culture du débat, c'est la culture de la dispute, dans son étymologie du Moyen-Âge. L'art de la dispute est codifié, et fondé sur l'argumentation. Le débat public est une dispute avec des règles à respecter.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Il y a aussi une responsabilité des journalistes. Parfois, ils reprennent certaines rumeurs des réseaux sociaux, sans même les vérifier. Il existe un conseil de déontologie des journalistes, qui a été récemment mis en place. Mais on m'a dit qu'il ne fait rien, et que cela ne vaut pas la peine de le saisir.
Rappelons-nous de « l'affaire Baudis ». C'était une affaire épouvantable pour celui qui en a été la victime, mais d'aucuns disaient que « cela devait forcément être vrai, car on en parlait dans la presse dite sérieuse ».
M. Erwan Balanant. - Je pense que cette affaire aurait été différente si les réseaux sociaux avaient existé. Les réseaux sociaux peuvent aussi présenter des avantages et je suis content qu'ils existent.
Mme Jocelyne Guidez. - J'ai organisé un débat avec des jeunes, et j'ai été surprise de constater que certains ne se rendent pas compte de ce qui constitue, concrètement, un harcèlement. Par exemple des moqueries peuvent constituer un harcèlement si elles sont répétées chaque jour. Or, les jeunes, auteurs ou destinataires de ces moqueries, ont été étonnés lorsque je leur ai fait cette remarque.
Je souhaite évoquer l'uniforme. En Martinique, il y a un uniforme, ce qui annihile les différences vestimentaires, et les enfants ne sont pas malheureux. Les jeunes sont prêts à en débattre. De même, les jeunes qui font actuellement leur service national universel ne sont pas concernés par cela.
Mme Micheline Jacques. - Dans l'école que je dirigeais à Saint-Barthélemy, tous les enfants doivent porter un T-shirt blanc. Nous avons organisé un concours de logo pour l'école.
Je pense par ailleurs qu'il faut organiser une refondation de l'école. À Saint-Barthélémy, 11 postes étaient disponibles après l'ouragan Irma. On a donc eu recours à des contractuels, ce qui peut être utile, mais il ne faut pas oublier qu'enseigner est une vocation !
Il faut également travailler avec l'enfant : souvent il ne parle pas de ce qu'il voit ou de ce qu'il subit pour ne pas être « une balance », par peur des représailles. Je rejoins ce qu'a dit ma collègue. Parfois le harcèlement part d'un sentiment de jeu. Les enfants ne se rendent pas toujours compte du mal qu'ils peuvent faire.
M. Erwan Balanant. - L'uniforme reflète une volonté d'être tous pareils, mais surtout d'être tous ensemble, de faire corps. Les jeunes en portent au Royaume-Uni et je n'ai pas le sentiment qu'ils soient malheureux.
Mme Claudine Lepage. - Si, à titre personnel, je suis favorable à l'uniforme - en tant que représentante des Français de l'étranger, je peux affirmer que certaines écoles françaises à l'étranger en ont - j'attire votre attention sur le fait qu'il ne résout pas tous les problèmes.
Mme Sabine Van Heghe, présidente. - En effet, j'ai moi-même porté la blouse au collège. Or, on ne peut pas tous être uniformisé et les moqueries portent sur d'autres choses - le physique notamment. On trouvera toujours ce qui fait une différence (Approbation de Mme Colette Mélot).
M. Erwan Balanant. - Il est naturel qu'il y ait des tensions entre les enfants. Ce qui n'est pas acceptable c'est que cela dure, ou qu'il y ait des pratiques qui vont au-delà de ces tensions.
Plus vite on casse la spirale du harcèlement, plus vite les problèmes sont résolus, et moins cela ne laisse de traces pour l'enfant. Comment casser cette spirale ? L'enfant a besoin d'un référent adulte. Je propose que dans les établissements, les formations ne se concentrent pas uniquement sur les enseignants ou les CPE, mais aussi sur le personnel technique, qui oeuvre à la cantine ou ailleurs. Il faut former tout le monde et apprendre à recueillir la parole.
Il est difficile de prévoir un grand plan général de formation, mais on peut avoir un plan plus modeste contenant un module pour « former à former », afin qu'il y ait ensuite dans chaque établissement une petite équipe. Certes cela représente des moyens, mais qui ne sont pas si considérables que cela.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Il faut aussi former les élèves.
M. Erwan Balanant. - Le système des élèves ambassadeurs fonctionne, mais j'ai la conviction qu'il est bien d'avoir un adulte, surtout au collège ou à l'école. C'est peut-être moins vrai au lycée, où on est en présence de quasi-adultes.
Il faut une présence adulte, un moyen pour l'enfant de parler, car parfois il a honte d'en parler à ses parents.
Mme Colette Mélot, rapporteure. - Comment former les parents ? Former les personnels, on le conçoit aisément, mais comment toucher les parents pour qu'ils ne soient pas désorientés ?
M. Erwan Balanant. - Je suis frappé par le fait que les parents ne peuvent pas rentrer dans les écoles. Cela s'explique certes aujourd'hui par les mesures de sécurité, contre le terrorisme puis contre la Covid-19. Mais je suis convaincu que la fin de l'école le samedi matin a joué un rôle négatif. C'était souvent un moment d'échange dans un contexte plus calme, plus apaisé que le soir ou le matin en semaine. Dans notre société où les hommes travaillent encore davantage que les femmes, c'était aussi l'occasion pour les pères d'aller à l'école. D'ailleurs, plusieurs associations de parents d'élèves m'ont indiqué qu'elles avaient commencé à décliner à partir du moment où il n'y a plus eu cours le samedi.
Il est important de mettre rapidement une politique pour former les jeunes aux comportements clés à adopter sur les réseaux sociaux. En effet, les parents sont perdus sur le cyber. En tant que parents, nous avons tous connus dans nos années scolaires, des situations de harcèlement scolaire - en tant que victime, harceleur, ou témoin - en revanche, les parents actuels n'ont pas vécu, en tant qu'enfants, puis jeunes, le phénomène du cyberharcèlement. C'est seulement maintenant qu'il y a les premiers parents ayant pu connaître un cyberharcèlement dans leur jeunesse. Peut-être que cela fera évoluer la prise de conscience de ses dangers d'ici quelques années...
Mme Claudine Lepage. - Les parents ne sont pas égaux et ne sont pas armés de la même manière pour encadrer, éduquer, accompagner leurs enfants.
Mme Micheline Jacques. - On l'a bien vu lors de la crise de la Covid-19. Certains parents n'arrivaient pas à assurer la continuité pédagogique de leurs enfants.
M. Hussein Bourgi. - Souvent, les parents se déchargent sur l'éducation nationale. En tant que conseiller régional, j'ai participé à plusieurs conseils d'administration de lycée. Or, à chaque fois, nous avons du mal à trouver des parents pour participer à cinq conseils d'administration par an. Et je ne parle même pas de l'organisation d'un évènement spécifique, par exemple la célébration des dix ans d'un lycée. On essaye d'impliquer les parents, mais cela ne les intéresse pas. Ils semblent venir en réalité « chercher une prestation ».
M. Erwan Balanant. - J'ai l'expérience d'écoles Diwan, qui ne sont pas publiques, mais qui sont gratuites. Elles fonctionnent grâce à l'aide et à l'implication des parents. Dans une grande ville comme Paris, c'est différent. Des réunions sont organisées à 18 heures ou 19 heures et, malgré mon emploi du temps, je suis parmi les seuls à être présent. Je me demande comment faire revenir les parents dans l'école.
Mme Toine Bourrat. - Je partage ce constat. En tant qu'ancienne présidente de l'association des parents d'élèves des écoles de mes enfants, et ancienne élue locale, j'ai pu constater que certains parents demandent à l'enseignant de rendre des comptes sur tout : trop de devoirs, note injustifiée, exercice inadapté au niveau de l'élève,... Faisons aussi confiance aux enseignants !
Aujourd'hui lorsque votre enfant est absent, vous êtes très rapidement prévenu par SMS. Mais s'il se comporte mal, vous l'apprenez en décalé, parfois seulement à travers une remarque dans le bulletin.
Mme Catherine Belrhiti. - Je pense que les programmes n'attachent pas suffisamment d'importance à la prévention et à la lutte contre le harcèlement scolaire qui reste trop souvent une variable d'ajustement.
Mme Micheline Jacques. - Il ne faut pas oublier non plus la responsabilité des parents !
Mme Toine Bourrat. - Il arrive en effet que les parents accordent plus d'importance à la parole de leur enfant qu'à celle de son professeur.
Mme Sabine Van Heghe, présidente. - Il me semble important de retirer le harcèlement scolaire de la notation des établissements. Est-ce que cela ne participerait pas à l'omerta sur le climat scolaire ? Certains chefs d'établissement pourraient, en effet, être tentés de minimiser les faits dans le leur pour ne pas voir cette note dégradée.
M. Erwan Balanant. - Je pense qu'il faut inverser les choses. Des études de climat scolaire ne remontent pas, et il faut sortir de cette situation car il faut évaluer correctement les choses. Cela peut se faire de façon anonymisée pour éviter les effets de réputation.
À mon sens, il faut passer par une labellisation des établissements, récompenser ceux qui ont une démarche active contre le harcèlement scolaire et qui mettent en place des outils particuliers. Cela diminuera finalement l'intérêt que certains établissements pourraient avoir à cacher les faits, inévitables, qui se produisent en leur sein. Je rappelle ici que les cas aigus de harcèlement scolaire se produisent en raison du déni de l'établissement. Par ailleurs, il y a un problème d'articulation entre la justice et la discipline scolaire. Pour moi, le dépôt d'une plainte est le résultat d'un échec. Le harcèlement scolaire est un délit, et il faut que cela soit sanctionné, mais je considère que c'est un échec car on n'a pas su briser la spirale du harcèlement scolaire avant, ou parce que la famille ne s'estime pas écoutée par l'établissement. Au moment de la plainte, la famille peut entendre de la part de l'officier de police judiciaire que le harcèlement scolaire n'existe pas dans les catégories qu'il a à disposition. Par ailleurs, souvent, à partir du moment où il y a dépôt de plainte, l'établissement considère que cela ne relève plus de sa compétence. Mais dans les faits, c'est pourtant le cas. La discipline scolaire doit être partie prenante de la résolution du cas.
Par ailleurs, la victime en a besoin pour qu'on la reconnaisse en tant que victime. Or, seule la justice peut donner ce statut. C'est la raison pour laquelle je préconise la création d'un délit de harcèlement scolaire, qui permettra aussi l'insertion d'une nouvelle case dans les dépôts de plainte.
M. Hussein Bourgi. - Il peut y avoir une stratégie de « défausse » de certains chefs d'établissement avec la procédure « fait établissement ». Tous les chefs disposent de l'application pour signaler les incidents. Certains ont joué le jeu, mais d'autres ne font remonter que les cas les plus graves pour ne pas être identifiés comme des établissements à problème. Cela peut entraîner une distorsion entre les établissements, car les parents essayent d'éviter les établissements ayant mauvaise réputation.
En ce qui concerne le cyberharcèlement, trop souvent on considère que c'est extérieur à l'école, et donc que cela ne la concerne pas. Mais ce sont bien souvent des conflits qui ont vu le jour dans l'établissement et qui débordent sur les réseaux sociaux. L'élève va voir le chef d'établissement qui lui dit d'aller porter plainte. Alors qu'il y a déjà souvent une appréhension de l'élève pour aller voir le principal ou le proviseur, il est renvoyé vers la police, en lui indiquant que pour déposer plainte, comme il est mineur, il doit être accompagné de ses parents. Cela oblige par exemple une lycéenne d'expliquer à ses parents qu'une photo dénudée d'elle circule sur internet. J'ai également en tête un cas de « outing », qui impliquait pour l'élève de devoir révéler à ses parents son homosexualité.
M. Erwan Balanant. - Il me semble que la qualité de vie au sein de l'établissement pourrait être aussi un levier d'amélioration. Il existe des diplômes du fair play, ou des diplômes du médiateur. Il faut innover dans ces domaines et développer les compétences « molles », ou soft skills.
Mme Sabine Van Heghe,présidente. - Monsieur le Député, mes chers collègues, je vous remercie pour cet échange très riche.
La réunion est close à 14 h 20.
Audition de M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l'Éducation nationale, de la jeunesse et des sports
La réunion est ouverte à 16 h 30.
Mme Sabine Van Heghe, présidente. - Comme vous le savez, les auditions de notre mission, créée au titre du droit de tirage du groupe Les Indépendants-République et Territoires, sont consacrées au harcèlement en milieu scolaire, et notamment à sa dimension « cyber ».
Au terme de cinq semaines intenses d'auditions et de deux déplacements sur le terrain, nous avons souhaité vous entendre sur un sujet qui constitue une priorité de votre ministère et plus généralement doit guider l'ensemble de l'action publique.
La prise de conscience de l'ampleur de ce fléau remonte à déjà près d'une décennie lorsque l'un de vos prédécesseurs, Luc Chatel, en fit l'objet d'une action déterminée de la part du ministère.
Dix ans après, si les outils existent indéniablement, comment faire pour que ceux-ci soient utilisés efficacement par l'ensemble de la communauté éducative et ses partenaires ? Nos travaux l'ont montré, leur connaissance n'est pas parfaite, tant s'en faut. Si la préoccupation de lutter contre le harcèlement semble largement partagée, on note trop souvent encore un manque de temps des personnels enseignants pour libérer la parole, développer l'empathie vers les victimes à l'image de ce que les pays anglo-saxons et nordiques pratiquent.
N'y a-t-il pas là matière à faire évoluer nos modes d'éducation, nos pratiques d'apprentissage ? Même si cela tend à diminuer, on note encore trop souvent des réticences sociologiques ou culturelles à évoquer frontalement ce fléau, à le nommer pour pouvoir le combattre plus efficacement encore. Aussi ne pensez-vous pas, par exemple, qu'il faudrait extraire la question du harcèlement et sa version « cyber » des critères de notation des établissements pour véritablement libérer les freins et lever tout obstacle à une parole libérée ?
Nous avons également été informés que certains chefs d'établissement ne donnent pas suite à certaines affaires de harcèlement à partir du moment où la famille a porté plainte, estimant que l'affaire relève désormais de la police et de la justice. Or, réponse pénale et réponse scolaire sont deux choses différentes et ne s'inscrivent pas dans la même temporalité.
De même, certaines affaires de cyberharcèlement, qui commencent dans l'enceinte scolaire, sont encore parfois traitées comme des affaires extérieures à l'école, et donc ne relevant pas de la compétence de l'école.
Vous l'avez compris, nos interrogations sont multiples et visent à accompagner les décideurs publics dans leur combat contre cette violence non seulement inadmissible, mais surtout illégale. Surtout quand elle se répand dans l'espace cyber et crée ce continuum qui peut irrémédiablement briser et occasionner de lourds et durables préjudices aux enfants. D'autant plus qu'elle tend à stigmatiser toutes les différences et à accroître les préjugés, notamment sexistes, sexuels ou racistes.
Nul doute donc que la lutte contre le harcèlement scolaire sous toutes ses formes mériterait largement de devenir une grande cause nationale pour que tous nos concitoyens et en premier lieu les acteurs du monde éducatif y soient pleinement associés.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l'Éducation nationale, de la jeunesse et des sports. - Je suis très heureux d'être auditionné devant votre mission. Je serai très attentif à vos conclusions, car ce sujet réclame de la créativité, du volontarisme. Nous voulons tous aller de l'avant. Le harcèlement est une question que je prends très au sérieux, dans la continuité d'une action engagée par le ministère depuis une dizaine d'années, qui a donné des résultats, même s'il convient maintenant d'aller plus loin.
Il s'agit d'un phénomène mondial. Nous pouvons donc l'analyser sous un angle sociologique ou anthropologique, mais aussi, paradoxalement, nourrir un certain optimisme, car certains pays parviennent à le combattre avec succès, de même que certains établissements. Il est donc possible de l'endiguer.
Je pense à Marjorie, Alisha, Marion et à toutes les victimes. Aucune forme de violence ne doit être tolérée à l'école ; celle-ci doit être un lieu de fraternité. Ce qui s'y joue n'est rien d'autre que l'avenir de notre contrat social. Le verdict dans l'affaire Mila marque un jalon. Nous ne voulons pas laisser le cyberharcèlement impuni.
En 2019, j'ai souhaité porter la question du cyberharcèlement à un niveau mondial, car la problématique posée par les réseaux sociaux est planétaire. Mme Brigitte Macron s'est fortement impliquée sur ce sujet et nous avons lancé un appel lors du G7 éducation contre le harcèlement à l'école. J'ai renouvelé cet appel en 2020 à l'Unesco, lors de la conférence internationale sur la lutte contre le harcèlement entre élèves, qui s'est tenue, hasard du calendrier, quelques jours après l'assassinat de Samuel Paty.
Nous avons commencé à faire reculer le harcèlement, mais le cyberharcèlement s'est fortement développé avec le confinement. Nous devons donc passer à une nouvelle étape, et vos travaux seront précieux dans cette optique. Nous avons renforcé le cadre juridique. L'article 5 de la loi pour une école de la confiance est ainsi rédigé : « Aucun élève ne doit subir, de la part d'autres élèves, des faits de harcèlement ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions d'apprentissage susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité ou d'altérer sa santé physique ou mentale. »
L'interdiction du téléphone portable en 2017 dans l'enceinte des collèges, en plus des écoles, a constitué un progrès incontestable. En 2018, nous avons nommé 335 référents académiques et départementaux et créé des ambassadeurs collégiens - on responsabilise ainsi les adultes comme les élèves pour inverser la dynamique et passer d'une logique de persécution du faible à la stigmatisation du harceleur. En 2019, nous avons lancé un plan national, avec dix mesures : formation systématique des professeurs et des familles ; création d'un comité national d'experts pour travailler sur les contenus pédagogiques et scientifiques ; création du prix « Non au harcèlement », auquel ont participé 40 000 élèves cette année, etc. Nous serons aussi très vigilants sur le harcèlement des élèves atteints de handicap. Nous avons ouvert un numéro gratuit, le 30 20, numéro d'écoute et de prise en charge des familles, tandis que le 30 18 permet de signaler les contenus indésirables sur les réseaux sociaux.
À la rentrée, nous généraliserons à toutes les académies le programme pHARe de prévention du harcèlement, que nous avons expérimenté dans six académies pendant deux ans, et qui s'inspire des programmes qui ont réussi ailleurs, comme en Finlande par exemple. Plusieurs membres du personnel seront formés, dans chaque établissement, au repérage et au traitement des cas de harcèlement. Des parcours pédagogiques sont créés, avec dix heures d'apprentissage annuel du CP à la troisième - ce n'est pas une brique de plus dans les programmes, car il me semble que cela fait partie de l'éducation morale et civique. La loi confortant le respect des principes de la République étend le « permis Internet » à la fin du primaire. Les équipes mobiles de sécurité de l'éducation nationale pourront aussi suivre des formations sur ces enjeux. Cette action va de pair avec le renforcement de la lutte contre les bandes. Le plan de lutte contre les violences en milieu scolaire prévoit la désignation d'un référent dans chaque département pour animer une cellule de lutte contre les violences en milieu scolaire.
Tout cela vient s'insérer dans le « carré régalien » qui sera mis en place à la rentrée et qui s'articule autour de quatre dimensions : valeurs de la République et laïcité ; instruction en famille et écoles hors contrat ; drogue, violences, bandes ; harcèlement. Dans les quatre cas, il s'agit de s'assurer du respect de la loi et des valeurs de la République. Des équipes dédiées, à l'image des équipes académiques « Valeurs de la République » qui existent déjà, seront créées, afin d'intervenir sur le terrain pour mener des actions de formation, en amont, ou bien pour aider les intervenants locaux à gérer des situations complexes, en aval. Notre objectif est que les quatre sujets soient bien traités dans toutes les académies, avec les moyens en ressources humaines nécessaires. Je veillerai à ce que les 30 rectorats soient prêts à la rentrée.
Ainsi, notre système éducatif s'organise progressivement pour faire face à tous ces défis. Nous cherchons à diversifier les angles d'attaques, à avoir une vision à 360°, en mobilisant tous les acteurs, y compris les élèves. Vous posez la question de la notation dans les établissements : l'installation du conseil d'évaluation de l'école en septembre va dans ce sens. L'idée est d'évaluer tous les établissements de France en cinq ans. Nous en avons déjà évalué 15 % cette année. L'évaluation commence par une auto-évaluation, puis se poursuit par l'intervention d'une équipe pluridisciplinaire extérieure. Le climat scolaire et la politique de lutte contre le harcèlement font partie des critères.
Nous comptons beaucoup sur la responsabilisation de tous les acteurs. Nous aurons certainement à prendre d'autres mesures sur le cyberharcèlement. Le sujet dépasse le cadre de l'école et constitue une question de société, à l'échelle nationale et internationale, mais nous ne devons pas nous laisser déborder.
Mme Colette Mélot, rapporteure. - Je vous remercie pour ce premier tour d'horizon que votre présentation nous a proposé et qui constitue une très utile contribution à notre réflexion. Permettez-moi de prolonger ce premier échange en vous faisant part de plusieurs de mes interrogations.
Nous avons, il y a quinze jours, auditionné les représentants des réseaux sociaux, et de nombreuses contradictions sont apparues entre plusieurs principes : entre la protection des personnes et le secret des correspondances, entre la protection de la liberté individuelle et la communication de données personnelles aux réseaux sociaux pour faciliter la reconnaissance d'éventuels harceleurs anonymes, etc. Comment dès lors opérer une conciliation entre des objectifs variés ? Existe-t-il une différence juridique d'approche entre pays européens, car, d'évidence, la lutte contre le cyberharcèlement ne peut se concevoir dans un seul pays ?
Un grand nombre de nos interlocuteurs, notamment sur le terrain, ont attiré notre attention sur le développement dramatique du sexting et du revenge porn. Ainsi l'ensemble de la communauté éducative et des partenaires de l'éducation nationale rencontrés la semaine dernière dans le Pas-de-Calais soulignaient les dangers du cyberharcèlement, et la difficulté de lutter contre.
Quel regard portez-vous sur ce phénomène ? Comment agir pour supprimer définitivement d'internet des photos qui n'ont pas à y être ? Quelles relations entretenez-vous avec les réseaux sociaux afin qu'ils sortent clairement de l'ambiguïté actuelle et cessent de se réfugier derrière le respect formel de leurs obligations ? Bref, qu'ils soient enfin proactifs et participent à la sensibilisation et à la formation des utilisateurs.
Ainsi que nous l'a rappelé M. Éric Debarbieux la semaine dernière, l'obligation d'agir contre le harcèlement dans les établissements scolaires est déjà largement inscrite dans le droit. Nous avons tous les textes qu'il faut, et comme nous l'a confirmé la Défenseure des droits, le problème qui se pose est celui de leur application. Comment, par conséquent, faire du travail d'équipe entre les membres de la communauté éducative une réalité pour mieux lutter contre ces phénomènes ?
Si la question des moyens ne saurait tout expliquer, ceux-ci permettent d'améliorer bien des situations : nous l'avons constaté lors de notre déplacement dans un établissement REP + à Melun, où des temps sont dédiés à ce travail d'équipe grâce à une dotation supplémentaire et où les moyens existent pour former efficacement tous les personnels, grâce aussi à la labellisation du territoire comme « Cité éducative ».
Enfin, et sans empiéter sur le contenu des programmes scolaires, nous avons constaté une déficience en matière d'éducation au droit, tant des enfants que des parents au demeurant. N'est-ce pas l'occasion de faire évoluer les programmes pour mieux éduquer les enfants aux risques bien réels du monde virtuel ?
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. - Je partage vos constats sur le développement du sexting et du revenge porn, qui constitue un phénomène mondial, et la difficulté de lutter contre ces pratiques. Plusieurs principes s'opposent, en effet, comme sur bien des sujets : entre la liberté d'expression et la protection des personnes, nous devons trouver le bon équilibre. Si la liberté d'expression doit être totale dans le domaine des idées, il faut prohiber les insultes, la diffamation, les violences. Le droit pénal n'est pas harmonisé au niveau européen, mais le règlement général sur la protection des données (RGPD) fournit un cadre d'action commun et permet de faire retirer certains contenus des réseaux sociaux. Les plateformes n'ont pas toutes les mêmes politiques. Il est évident que nous devons les responsabiliser davantage. Il faut parvenir à une harmonisation vers le haut. Les plateformes ne sont pas de simples tuyaux, elles ont une responsabilité quant aux contenus. Je défendrai cette idée et plaiderai pour un pouvoir d'injonction accru.
Parmi les moyens d'action, le 30 18 et le 30 20 sont de bonnes réponses, qui ont fait leurs preuves auprès des victimes de harcèlement. Quant à l'appui aux établissements, la généralisation du programme pHARe va donner un accès bien plus large aux formations dédiées, comme cela se passe déjà dans l'établissement de Melun que vous avez visité.
Mme Céline Boulay-Espéronnier. - Je vous avais interrogé lors de votre prise de fonctions sur les moyens de lutter contre le harcèlement et le cyberharcèlement, vous m'aviez déjà donné l'impression d'être déterminé, Brigitte Macron avait fait de ce sujet une cause nationale. Cependant, trois ans après, je dois constater que les mesures s'empilent et sont qu'un cautère sur une jambe de bois - je pourrais aussi dire que nous sommes encore devant le tonneau des Danaïdes, surtout avec le cyberharcèlement qui progresse de manière exponentielle : n'est-ce pas le signe inquiétant que le harcèlement classique se transforme en un cyberharcèlement plus large ?
Le climat de la classe est important, vous évoquez les ambassadeurs collégiens, on sait l'importance qu'ont les pairs pour résoudre les problèmes : est-ce que les délégués de classe sont encore élus par leur pairs et pensez-vous qu'ils puissent avoir un rôle dans cette action contre le cyberharcèlement ?
Nous manquons d'évaluation nationale sur le harcèlement et en particulier sur l'efficacité des outils comme les deux numéros de téléphone gratuits 30 18 et 30 20 : quels sont leurs résultats ?
Enfin, vous soulignez l'importance de la liberté d'expression, un concept dont la compréhension varie selon les pays et qui est différente des deux côtés de l'Atlantique, certains vont jusqu'à y inclure la possibilité d'insulter, ce que les enfants ne peuvent évidemment pas comprendre comme les adultes : quelle action pensez-vous pertinente, en particulier sur le plan interministériel ?
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. - Je dirais que les mesures s'articulent plutôt qu'elles ne s'empilent, elles forment un tout cohérent qui renforce l'action, c'est le but en particulier du carré régalien. Notre vision n'est pas stratosphérique ni détachée du terrain, je vous trouve injuste d'y voir un cautère sur une jambe de bois, en particulier envers tous ceux qui agissent depuis le terrain en appui aux établissements. Ces mesures ne sont pas vaines, nous constatons un recul du harcèlement pour la première fois, c'est une réalité encourageante. De même, le programme expérimental pHARe a donné des résultats probants, d'où sa généralisation. Que nous soyons critiques, oui, pour aller plus loin, mais nous devons éviter un discours d'impuissance car il n'y a pas d'impuissance, nous agissons en recherchant les idées les plus opérationnelles.
L'évaluation est une dimension importante, je l'ai demandée à mes services ; les chiffres attestent d'une baisse de 5,6 % des signalements en 2018, alors que le phénomène progressait jusque-là.
La compréhension de la liberté d'expression change selon les pays, c'est une réalité qui rend plus importante la recherche d'une référence commune sur le plan européen, nous y travaillons, de même que nous le faisons dans le cadre de l'Unesco et dans celui de la francophonie.
Les délégués de classes continuent d'être élus dans les classes, nous y avons ajouté quelque 250 000 éco-délégués qui visent les objectifs de développement durable, incluant les sujets de bonne vie en commun - j'ai vu des éco-délégués être ambassadeurs contre le harcèlement, le plus efficace est de responsabiliser les élèves, nous les mobilisons par le programme pHARe.
M. Guillaume Chevrollier. - Le cyberharcèlement témoigne d'une montée de l'insécurité, appelant une réponse sécuritaire mais aussi éducative. Il faut y associer davantage les parents d'élèves : quelles propositions avez-vous en la matière ? Des parents d'enfants victimes de harcèlement nous disent le manque d'écoute des enseignants et de l'administration, ils ressentent que les faits sont minimisés : quelles réponses leur apportez-vous - en particulier dans les petites écoles, où tout le monde se connaît ?
Enfin, nous avons besoin de données, à quand une grande étude de victimisation ? Nous avons besoin d'un état très clair. Même chose pour les retours d'expériences et les initiatives des établissements : prévoyez-vous de telles études ?
M. Jacques Grosperrin. - Le cyberharcèlement est un phénomène mondial, des bonnes pratiques existent dans d'autres pays, il faut s'en inspirer. Je sais votre engagement, vous avez fait une visio-conférence très bien perçue par les établissements. Vous soulignez l'importance de l'ambiance de l'établissement, la confiance que les membres de la communauté éducative y cultivent les uns envers les autres, nous entendons à cet égard que les pratiques de sanctions et d'exclusion des élèves varient entre établissements : est-ce le cas ? Ce serait un mauvais signe.
Je crois important de développer le plus grand nombre d'outils de prévention, car plus l'intervention est précoce, moins le problème prend de l'importance. Je me souviens que dans la méthode Freinet, on incitait l'enfant en colère contre un congénère à écrire la vengeance qu'il entendait lui faire subir et à placer cet écrit dans une petite boîte ; le simple fait de l'écrire permettait de l'atténuer voire d'en faire disparaître le projet. Nous savons aussi que les enfants ont du mal à s'ouvrir aux parents des violences qu'ils subissent, et que les parents apprennent en dernier ce qui se passe pour leur enfant : comment libérer et faire entendre la parole ? Les parents d'enfants harceleurs ont également du mal à reconnaître le comportement violent de leur enfant : comment mieux les responsabiliser ? Pensez-vous qu'il y ait une solution juridique ?
Enfin, la Défenseure des droits nous a dit vous avoir sensibilisé sur l'importance de l'action de votre administration sur le harcèlement : peut-on imaginer que les correspondants de la Défenseure des droits soient davantage partie prenante de l'école ? Comment faire, également, qu'à travers des moments peut-être plus solennels, dans l'établissement, dans les classes, chacun perçoive que l'école protège ?
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. - Comment associer mieux les parents d'élèves ? La question est très importante, d'autant que leur prise en compte n'a pas toujours été le point fort de notre école - même si l'on peut aussi considérer, en renversant la perspective, que les professeurs ne sont pas toujours respectés par tous les parents, de même que, comme vous l'avez dit, des parents peuvent avoir des difficultés à percevoir ce que le comportement de leur enfant peut avoir de violent. Nous avons inscrit dans la loi sur l'école de la confiance le principe que le respect du professeur est dû, et nous l'avons assorti d'une sanction - au-delà, notre objectif est que les relations soient fluides entre les parents et l'école. Pour avancer, nous avons la mallette des parents, les établissements travaillent avec de petits groupes de parents pour leur faire mieux prendre conscience des règles du jeu de l'école, mais aussi pour leur dire qu'ils sont bienvenus à l'école - leur présence peut être un atout mais aussi un problème quand les relations sont dégradées. En tout état de cause, il faut monter que la force est du côté du droit et non pas des muscles que sortent certaines familles dans des situations conflictuelles.
Nous travaillons sur le recueil de données et l'évaluation, en particulier avec le Conseil de l'évaluation de l'école. Nous constatons une baisse du harcèlement, à l'école comme au collège.
L'exclusion des élèves est une problématique plus large que celle du harcèlement, nous avons pris des mesures pour systématiser les signalements, je tiens à faire passer ce message très clairement : quoi que certains en disent, nos consignes ne sont pas celles du « pas de vagues », j'ai demandé explicitement à ce que tous les signalements soient faits et recueillis, je précise aussi que le fait d'avoir de nombreux signalements ne joue pas contre le chef d'établissement. S'il y a eu, par le passé, une attitude qui a pu prêter à la critique de ce point de vue, les consignes sont très claires depuis 2017, nous avons demandé le signalement systématique et une réaction qui soit elle aussi systématique et proportionnée, il faut faire attention, dans le commentaire, à tenir compte du présent, ou bien on risque de faire perdurer des comportements qui ne sont plus censés avoir cours.
L'exclusion n'est jamais souhaitable en soi, mais elle peut se justifier et quand des élèves sont exclus successivement de plusieurs établissements, alors nous les accueillons dans des structures dédiées. Je crois qu'avec les consignes et les actions que nous conduisons, nous parvenons à action plus homogène. Du reste, je partage ce constat que plus tôt on intervient, mieux c'est, les initiatives pédagogiques sont nombreuses pour détecter et résoudre les problèmes. L'école apprend à lire, écrire, compter, mais aussi à respecter autrui, ces piliers vont de pair. C'est pourquoi nous encourageons aussi l'engagement des élèves. De fait, nos sociétés sécularisées n'ont plus guère de rituel pour ce passage initiatique qu'est l'adolescence, le moment correspond à l'entrée au collège et le défaut de rituel peut encourager l'entrée dans des bandes de pairs, avec le risque de dérives que l'on connaît, dans la violence ou les drogues. Je crois que nous devons encourager l'engagement, par exemple dans le secourisme, nous le faisons par des partenariats avec la gendarmerie, la police, les pompiers, dès le collège et avec la perspective du service national universel - ceux qui s'engagent dans de telles actions ont peu de risque de devenir des harceleurs. Il faut donc avoir une vision systémique du sujet.
Le constat est du même ordre pour l'objectif de libérer la parole des enfants. En réalité, les parents comme les enfants ont du mal à percevoir même qu'ils peuvent harceler, les harceleurs peuvent ne pas avoir conscience de toute la portée de leur comportement, il faut travailler sur leur parole, sur celle de leurs parents, je crois que la mallette des parents est un bon outil.
J'entends vos propos sur la coopération avec la Défenseure des droits, ses correspondants travaillent déjà avec la Médiatrice de l'éducation nationale, Catherine Becchetti-Bizot, les relations sont déjà étroites et nous travaillons avec les mêmes objectifs. Nous développons également les formations à la médiation, c'est l'une des clés pour résoudre les conflits et installer de la paix dans les établissements.
M. Thomas Dossus. - La question des données revient souvent, vous l'avez reconnu pour les atteintes à la laïcité. Prévoyez-vous de rendre publics les signalements, peut-être pas par établissement, mais par académie ? Comment faire mieux connaître les bonnes pratiques ? Ensuite, dans quelle mesure la médecine scolaire peut-elle accompagner les victimes ? Nous savons aussi que pour limiter le sentiment d'impunité, il faut réduire le délai entre le signalement et l'action ; or, le dispositif n'est pas toujours clair, les victimes de harcèlement et leurs parents ne savent pas toujours où s'adresser : ne pensez-vous pas qu'il faudrait simplifier l'ensemble, pour agir plus vite ?
Enfin, sur les réseaux sociaux, au-delà de l'interdiction du téléphone, il y a un besoin de formation. Les élèves sont autodidactes, peut-être faudrait-il une formation aux réseaux sociaux au collège et à l'école ?
Mme Sabine Van Heghe, présidente. - Ne serait-il pas possible de faire connaître à tous les collégiens les applications existantes, comme Bodyguard, qui fonctionne bien ? Quand on achète un ordinateur, on installe bien des pare-feu et des antivirus...
M. Hussein Bourgi. - Merci beaucoup, Monsieur le ministre, pour les propos que vous avez tenus hier à Montpellier, dans mon département, et dont j'ai pris connaissance avec beaucoup d'intérêt dans le journal local Le Midi Libre.
Pour le carré régalien que vous voulez mettre en place à la rentrée prochaine, avez-vous prévu des personnels dédiés, ou cela se fera-t-il à moyens constants, en redéployant des effectifs qui existent déjà ? Actuellement, dans les rectorats et les inspections d'académie, on travaille déjà à flux tendu. Si vous assignez de nouvelles missions sans donner les moyens humains de les accomplir, cela ne fonctionnera guère...
Nous avons auditionné des représentants des réseaux sociaux : Facebook, Snapchat, TikTok et quelques autres. J'ai senti chez eux une attitude de minoration de leurs responsabilités et une tendance à se défausser lorsqu'on leur parlait de la gravité de la situation et de son ampleur. Dans leur stratégie de réponse, et même de défense, ils utilisaient le fait que vous aviez participé à des après-midi de tchat réunissant 500 jeunes. Je n'ai certes rien contre les séances de tchat qui réunissent quelques centaines de personnes mais, lorsque ce sont des centaines de milliers de jeunes dans notre pays qui sont confrontés à ce risque, 500 ou 600 jeunes qui participent à une après-midi de chat avec le ministre ne représentent pas grand-chose... Je ne voudrais pas que les réseaux sociaux utilisent votre participation pour essayer de nous prouver qu'ils font le maximum et qu'ils ont la bénédiction du ministre et du ministère pour ne pas aller au-delà de ce qu'ils font, parce que j'ai le sentiment qu'ils font le service minimum.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. - Vous m'interrogez sur la transparence des données. Nous allons accroître le volume de données concernées, notamment grâce à la systématicité des enquêtes. À l'échelle des établissements, ce sera le climat scolaire et, à l'échelle d'une académie, l'évolution globale de la situation. Le carré régalien permettra d'ailleurs une meilleure collecte des données. Sur le sujet des violences, nous avons fait des progrès très importants, comme sur la laïcité, puisque nous publions désormais des données transparentes chaque trimestre.
Sur l'accompagnement des victimes, vous avez fait référence à juste titre à la médecine scolaire, pour laquelle nous prendrons aussi des initiatives, car elle est parfois sous-calibrée par rapport à tous les enjeux, a fortiori dans la crise que nous venons de traverser. Et nous savons que les infirmières scolaires, comme les médecins, jouent un rôle important au quotidien pour recevoir les élèves, être à l'écoute et en tirer des conséquences, comme d'ailleurs les psychologues, les assistantes sociales, et même les professeurs.
Sur la question de l'impunité, vous avez raison de dire qu'il faut qu'on limite le temps entre le signalement et la réaction de l'institution. De nouveau, le carré régalien est là pour ça : chaque soir, sur le bureau du recteur, figureront les signalements de la journée ; chaque semaine, se tiendront les réunions appropriées, et des réactions immédiates seront prises par l'institution pour venir en appui de l'établissement ou, au moins, l'interroger sur ce qui se passe et sur les réponses apportées. Là encore, et comme pour les statistiques, la remontée d'information est cruciale.
Les formations pour maîtriser Internet sont un enjeu important. Cela fait partie du programme pHARe, qui d'ailleurs comporte un volet famille dans chaque établissement. Désormais, aussi bien dans la formation des futurs professeurs que dans la formation continue des professeurs et des personnels, ou dans la formation des élèves eux-mêmes, la lutte contre le harcèlement fait partie de la stratégie.
Au sujet du carré régalien, il y aura bien des personnels dédiés, sur les quatre points. Sur certains, comme les sujets d'instruction en famille, je me suis engagé devant les parlementaires à étoffer les équipes : il faut des ressources humaines pour effectuer les contrôles nécessaires. La réunion d'hier à Montpellier était assez significative de ce point de vue. Des sujets qui étaient auparavant épars et, partant, peu ou mal traités, sont désormais, grâce au carré régalien, rassemblés et articulés entre eux. Ils font l'objet, pour chacun des quatre points, d'une capacité d'intervention de l'institution et d'une vision du sujet en termes de ressources humaines : lorsqu'on se rend compte qu'il y a des faiblesses dans un endroit, on regarde qui s'en occupe, si les effectifs sont assez nombreux, assez formés, etc.
Sur les réseaux sociaux, je ferai attention à ne pas servir de caution d'une quelconque manière. Il est important qu'en tant qu'institution nous sachions bien utiliser les réseaux sociaux, pour relayer des messages positifs vis-à-vis des élèves. Vous dites que les responsables des réseaux sociaux se défaussent sur la question du cyberharcèlement. Je crains que vous n'ayez raison. J'ai donc bien l'intention de prendre de nouvelles initiatives en la matière, de façon à ce que les responsables de réseaux sociaux ne se considèrent pas simplement comme des responsables de tuyaux. Si on est capable de censurer Donald Trump, on doit être capable de censurer le harceleur !
Mme Sabine Van Heghe, présidente. - Je reviens sur ma question, pratico- pratique : est-ce difficile de donner aux élèves des outils qui existent et qui permettent de les protéger dès qu'ils s'en servent ? Autre question : ne faudrait-il pas prévoir un délit spécifique de harcèlement scolaire, ne serait-ce que pour afficher clairement un interdit sociétal ?
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. - Nous avons inscrit dans la loi pour l'école de la confiance un droit à ne pas être harcelé, dont la conséquence est que quelqu'un qui harcèle doit être poursuivi. Un arsenal juridique existe, comme le montre le procès Mila sur la question du cyberharcèlement : il y a des outils juridiques pour lutter contre l'attaque en meute. S'il y avait de nouvelles mesures à prendre sur le plan juridique, j'en serais évidemment partisan.
Sur les outils que l'on pourrait diffuser, je ne peux vous répondre de but en blanc, sans une analyse préalable. Le programme pHARe peut servir à cela, car il est évolutif, et nous continuons à regarder les bonnes pratiques mondiales.
Mme Colette Mélot, rapporteure. - Ce programme peut-il être l'occasion, en début d'année scolaire, de présenter à l'ensemble de la communauté scolaire les différentes mesures existantes ? Ce serait le bon moment pour sensibiliser à la fois les personnels et les familles, ainsi que les élèves. On pourrait même faire signer un contrat aux parents ; il faut du pragmatisme !
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. - La généralisation du programme pHARe va dans ce sens, puisqu'il implique, en début d'année, l'exposé de la stratégie de l'établissement, avec une adaptabilité établissement par établissement. La signature du règlement de l'établissement ou d'une charte décrivant la stratégie de lutte contre le harcèlement est tout à fait faisable à l'échelle de chaque établissement. La généralisation de pHARe à la rentrée prochaine est un événement extrêmement important. Ce sera un outil de prise de conscience très fort.
Mme Sabine Van Heghe, présidente. - Merci, Monsieur le Ministre, d'être venu devant nous, pour cette dernière audition avant la rédaction de notre rapport : celui-ci sera achevé en septembre, au moment de la rentrée.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 17 h 45.