- Mercredi 30 juin 2021
- Audition de M. Dominik Stillhart, directeur des opérations du Comité international de la Croix-Rouge
- Audition de membres du gouvernement d'union nationale et du Parlement birman en exil : professeur Zaw Wai Soe, ministre de la santé et de l'éducation, docteur Sasa, ministre de la coopération internationale, MM. Moe Zaw Oo, vice-ministre des affaires étrangères et Aung Kyi Nyunt, président du comité permanent de l'Assemblée de l'Union
Mercredi 30 juin 2021
- Présidence de M. Christian Cambon, président -
La réunion est ouverte à 9 h 30.
Audition de M. Dominik Stillhart, directeur des opérations du Comité international de la Croix-Rouge
M. Christian Cambon, président. - Nous avons le plaisir d'accueillir aujourd'hui M. Dominik Stillhart, directeur des opérations du Comité international de la Croix-Rouge.
Monsieur le directeur, dans le cadre des fonctions que vous occupez depuis 2014, vous êtes responsable de la définition stratégique, de la conduite et de l'examen des opérations humanitaires menées par 13.000 collaborateurs du CICR dans environ 80 pays.
Vous avez rejoint le CICR en 1990, où vous avez occupé divers postes dans le monde ainsi qu'au siège de l'organisation. Vous visitez régulièrement le terrain et avez ainsi une connaissance directe de la situation humanitaire dans les zones touchées par des conflits armés.
Le CICR conduit des opérations particulièrement importantes, au Moyen-Orient (Irak, Syrie, Yémen), en Afrique (Éthiopie, Lac Tchad, RCA, RDC, Soudan du sud) et également en Asie, en particulier en Birmanie.
Le CICR est également présent au Haut-Karabagh, suite au conflit de l'automne dernier qui est venu nous rappeler qu'une guerre interétatique de haute intensité était possible, avec des conséquences dévastatrices. Je l'ai moi-même constaté récemment lors d'un déplacement en Arménie.
Dans ce conflit comme dans d'autres, la diffusion de crimes de guerre sur les réseaux sociaux, la prise en otage des populations civiles, dans un climat de terreur, et des mouvements massifs de population rendent très difficile l'établissement, par la suite, d'une paix durable.
Les populations de ces régions en guerre vivent des situations effroyables qui perdurent souvent depuis des années. Ces situations sont parfois aggravées par des catastrophes naturelles, et par les impacts déjà perceptibles du changement climatique. Nous n'avons malheureusement aucune raison d'espérer une inversion de ces tendances.
Comme si la guerre ne suffisait pas, la pandémie de Covid-19 est venue aggraver encore la situation sanitaire dans des zones où les populations sont déjà extrêmement fragiles et les systèmes de santé défaillants. Sans doute pourrez-vous nous dire ce qu'il en est, quels ont été vos constats et actions pour venir en aide à ces populations au cours de l'année qui vient de s'écouler.
Nous serons particulièrement attentifs, enfin, à vos éclairages sur l'application du droit international humanitaire : comment inciter les parties en conflit à respecter ce droit, quelles sont vos actions pour y contribuer ? Comment permettre aux ONG de travailler dans des conditions de sécurité satisfaisantes, alors que des attaques ont endeuillé, il y a quelques jours, les équipes de Médecins sans frontières en Éthiopie et en République centrafricaine ?
M. Dominik Stillhart, directeur des opérations du Comité international de la Croix-Rouge. - Je vous remercie pour votre accueil. Comme vous l'avez dit, je suis au CICR depuis 30 ans et j'occupe les fonctions de directeur des opérations depuis 2014. Je viens une fois par an à Paris pour des entretiens avec le ministère de la défense, le Quai d'Orsay et l'Élysée. La France est un partenaire important pour nous et je salue la qualité du dialogue tissé avec une multitude d'interlocuteurs parmi lesquels les militaires. Nous discutons avec les forces armées de plus de 100 pays dans le monde et nous sommes en contact avec une multitude de groupes armés non étatiques. Selon notre décompte en 2020, nous étions en contact avec 480 groupes armés non étatiques sur les 612 existants. Cela nous permet d'avoir non seulement accès aux populations touchées par les conflits mais également de promouvoir le droit international humanitaire.
Le CICR est aujourd'hui présent dans plus de 100 pays, il dispose de 20 000 collaborateurs dont plus de 18 000 sur le terrain.
Nous avons constaté depuis 2011 une nette croissance des conflits avec des besoins en hausse. La taille de notre organisation a doublé en 10 ans.
Nous observons plusieurs tendances sur le terrain. Les besoins sont en croissance, notamment au Moyen-Orient avec la descente aux enfers de la Syrie. Ce pays est complètement dévasté ! Plusieurs millions de personnes ont été déplacées et des villes comme Alep ou Raqqa ont été complètement détruites. Il faudra longtemps avant que la vie reprenne une certaine normalité dans ce pays. Le Yémen continue de nous préoccuper. Les rebelles Houthis ont consolidé leur mainmise sur le pays. Si le nord du pays est relativement homogène, le sud qui est contrôlé par le Gouvernement internationalement reconnu, est extrêmement fragmenté et dangereux. Nos besoins sont également en croissance à cause de la situation en Afrique. Le covid a, enfin, eu des conséquences socio-économiques et un impact dévastateur sur des pays déjà fragilisés. Les inégalités sont en croissance, entre les pays, et à l'intérieur des pays. Cette inégalité est aussi visible dans l'accès aux vaccins. En Afrique, seul 2 % des personnes ont reçu une injection, contre 38 % en Europe et 41 % en Amérique du Nord. Ces inégalités persisteront et continueront de fragiliser les personnes en situation déjà difficile. Cette pandémie nous donne aussi une idée de ce qu'endurent les populations confrontées à un conflit. Il y a 30 ans quand j'ai commencé à travailler dans cette organisation, je pensais que l'action du CICR commençait en même temps qu'une guerre et finissait son travail au moment de l'accord de paix. Aujourd'hui, on ne sait plus quand une guerre commence et surtout elles ne finissent plus. La moyenne de présence du CICR dans les 15 plus grandes opérations, est de 38 ans ! Nous sommes présents pendant des décennies. Les populations affectées au Sahel ne sont pas uniquement affectées par le conflit mais également exposées à des changements climatiques qui creusent encore plus la vulnérabilité de ces populations, la pauvreté structurelle, la criminalité ... Ces facteurs pèsent lourd sur la vie de ces personnes. Une organisation humanitaire comme la nôtre, ne peut plus se concentrer uniquement sur l'aide d'urgence. Ces populations souhaitent la sécurité pour leur famille, un emploi et l'accès à l'éducation pour les enfants. Nous travaillons du coup de plus en plus avec des partenaires du développement du secteur privé pour trouver des solutions plus durables. Cela a fondamentalement changé et va continuer à changer le travail des organisations humanitaires qui doivent davantage chercher des partenariats.
La forme des conflits dans lesquels on travaille a évolué, les deux dernières décennies ont été caractérisées par des conflits asymétriques. Le paradigme principal était la lutte contre le terrorisme et les groupes armés non étatiques sur différents théâtres comme le Moyen-Orient et l'Afrique et même jusqu'en Asie du Sud-Est. C'est toujours le même paradigme dans lequel on travaille aujourd'hui. L'Irak, la Syrie, l'État Islamique, le Sahel, le lac Tchad, également l'Afghanistan, sont des situations très similaires.
Depuis deux, trois ans, on a vu le centre de gravité du djihadisme changer du Moyen-Orient vers l'Afrique. Aujourd'hui, c'est surtout l'Afrique, et notamment le Sahel, le lac Tchad et la côte Est qui est le nouveau centre de gravité des groupes djihadistes. Il y a 53 groupes armés en Afrique qui ont prêté allégeance aux réseaux principaux dont Al-Qaïda. Cela génère de nombreux besoins humanitaires, notamment au Sahel qui est la région qui a vu le plus de conflits liés au djihadisme. Au début, c'est surtout le Mali qui a été affecté dans ce domaine, aujourd'hui, c'est le Niger, le Mali et le Burkina Faso qui sont principalement concernés. C'est dans ce dernier pays que l'on a vu le plus de personnes déplacées ces dernières années. Il est extrêmement difficile d'aller travailler dans ces trois pays même pour nous qui avons des contacts dans les groupes armés.
Nous voyons venir pour les 10 prochaines années un nouveau paradigme avec la compétition entre les grandes puissances que sont les États-Unis, la Chine et la Russie. On ne sait pas si une nouvelle guerre va arriver mais on constate que les tensions montent et cela a déjà un impact sur certains théâtres de conflit comme le Haut-Karabagh ou la Libye.
Il y a aussi les nouvelles technologies et de nouveaux moyens de faire la guerre. Ces guerres hybrides incluent désormais des sanctions économiques, des cyber-attaques, des campagnes de désinformation, le soutien à différents groupes armés... Il est de plus en plus difficile de déterminer qui est responsable de quoi. La promotion du droit international humanitaire est rendu plus difficile. Ces dernières années nous travaillons sur le soutien que les États donnent à d'autres États ou à des groupes armés non étatiques qui sont des occasions de faire respecter le droit international humanitaire.
L'utilisation des nouvelles technologies, notamment l'utilisation intense des drones dans le Haut-Karabagh et en Libye, est frappante. On travaille aussi sur la question des armes autonomes. Notre position est de dire que la responsabilité de tuer ne peut pas être donnée à l'intelligence artificielle (IA). Il faut un minimum de contrôle humain pour prendre ce type de décision. C'est un débat à la fois légal mais aussi éthique. En tant que gardien du droit international humanitaire, notre position est claire sur la présence d'un minimum de contrôle humain.
Aujourd'hui, notre principale préoccupation reste l'Éthiopie. Depuis la fin de l'année 2020, il y a une détérioration importante de la situation politique et humanitaire, avec notamment les évènements qui se déroulent au Tigré. Il vient d'y avoir un renversement important de la situation avec les forces tigréennes qui ont repris le contrôle de la capitale et de quelques autres villes. Il y a plus d'un million de déplacés dans cette région. Nous avons élargi notre réponse dans cette zone au cours des derniers mois, avec deux rallonges budgétaires depuis le début de l'année. J'ai été deux fois sur place et c'est l'Éthiopie dans son ensemble qui est en difficulté en termes d'intégrité de son territoire. Les tensions sont fortes selon les zones et il y a des affrontements armés entre les différentes communautés. C'est un très grand pays qui a plus de 100 millions d'habitants. C'est un poids lourd dans la Corne de l'Afrique et même dans toute l'Afrique. Tout ce qui s'y passe à des implications régionales, or la région est déjà très fragile avec le Soudan et les tensions dans le bassin du Nil.
J'aimerais également dire un mot sur l'Afghanistan qui se trouve dans un tournant avec le retrait des troupes internationales. Il existe beaucoup d'incertitudes pour la suite. Les talibans mettent une grosse pression militaire sur le Gouvernement. Ils ont repris une trentaine de districts en quelques semaines, depuis la « saison des combats ». Quel va être le cadre de la suite, des discussions ou une solution militaire ? J'ai l'impression que cela va être un mélange des deux. Mais il clair que ce pays est devant un tournant important de son histoire. C'est un pays dans lequel nous sommes très présents auprès des populations civiles et des nombreux détenus.
Je vous remercie encore de cette opportunité de m'exprimer devant vous et je suis à votre disposition pour vos questions.
M. Christian Cambon, président. - Je vous remercie de ce cadrage et je donne tout de suite la parole aux huit orateurs inscrits.
M. Olivier Cigolotti. - Avec ma collègue Marie-Arlette Carlotti, nous allons présenter la semaine prochaine devant la commission un rapport sur les enseignements à tirer du conflit au Haut-Karabagh. Nous avons procédé à de nombreuses auditions. Il y a eu 44 jours de combats terribles et la zone est aujourd'hui sous supervision russe. L'Arménie et l'Azerbaïdjan s'accusent mutuellement d'exactions et se renvoient la responsabilité en matière de mines antipersonnel et de contamination du territoire par ces armes. J'ai trois questions sur ce sujet. Comment assurez-vous la sensibilisation de la population locale à ces dangers ? Comment organisez-vous la coordination sur le terrain entre la Croix-Rouge arménienne et la Société du Croissant-Rouge d'Azerbaïdjan ? Quelles relations vos équipes entretiennent-elles avec la force d'interposition russe ?
Mme Marie-Arlette Carlotti. - Je voudrais également revenir sur le Haut-Karabagh en évoquant la question des prisonniers. Nous avons des retours très différents. Les Arméniens nous disent qu'il y a 200 prisonniers maltraités, torturés et dans une situation extrême. Côté azerbaïdjanais, on nous dit qu'il n'y en a que 60 qui n'ont pas le statut de prisonnier de guerre car ils ont été arrêtés après ce cessez-le-feu. Quelle est la vision de vos équipes sur le terrain ? Pouvez-vous nous apporter votre éclairage sur cette question ? J'ai une seconde interrogation sur le criblage, à savoir la non-discrimination de l'aide de l'action humanitaire, qui est une tradition française. Or, aujourd'hui, nous sommes très partagés car il faut à la fois lutter contre le terrorisme et ne pas l'alimenter et aussi ne pas entraver l'aide aux plus démunis. Le Gouvernement va nous présenter un rapport sur cette « zone grise ». Nous aurons à nous interroger sur ce rapport. Quel est votre point de vue ?
M. Philippe Folliot. - Vous nous avez parlé de la nature et de l'importance des actions que vous menez. Ma question porte sur leur financement. Est-ce que vous considérez que vous avez les moyens suffisants pour mener à bien vos actions ? Quelle est la nature de ces financements ? S'agit-il de financements propres liés aux dons ? Existe-il des schémas de mécénat ou de partenariat avec des entreprises ? Et, quelle est la nature de vos relations avec la Société du Croissant-Rouge ? Êtes-vous complémentaires ?
M. Guillaume Gontard. - Je voudrais revenir sur la situation militaire au Tigré. En février dernier, la Croix-Rouge locale affirmait que 80 % du Tigré était inaccessible pour l'aide humanitaire. 91 % des habitants de cette région dépendent de l'aide alimentaire, selon l'ONU. Trois employés de Médecins sans frontière ont été récemment assassinés dans le centre du Tigré. Quelle est la situation des ONG et de leur présence dans la région ? Quel est l'avenir de l'aide humanitaire au Tigré, selon vous ? Et quelles sont les conséquences du covid sur les zones de crises humanitaires, notamment au Yémen et en Syrie où les infrastructures sanitaires et le personnel médical sont extrêmement réduits ? Quels sont les moyens du CICR pour y faire face ?
M. Olivier Cadic. - Je souhaiterais des éclaircissements sur la situation au Liban. Je crois que cela fait plus de 50 ans que le CICR y est présent. C'est une zone qui a beaucoup souffert du conflit syrien. Quel est votre point de vue sur l'évolution de cette situation ? Je souhaite également revenir sur la question du Sahel. J'étais en janvier dernier au Burkina Faso où il y avait 1,2 million de réfugiés. Aujourd'hui, ils sont 2 millions ! J'ai rencontré les ONG qui ont remarqué que l'État n'était plus présent sur 30 % du territoire, ni d'ailleurs les acteurs du développement. L'objectif des ONG est l'accès à ces zones pour préserver l'assistance humanitaire. Où en est-on ? Les actions civilo-militaires sont très sensibles et il peut y avoir une confusion entre l'action des militaires et celle des ONG, ce qui les met en danger. Quel est, de votre point de vue, l'efficacité de l'aide au développement dans ces zones en conflit ?
M. André Gattolin. - Vous disposez d'une organisation importante en termes de personnels humains, vous êtes dans des zones de contact. Avez-vous eu des membres de votre personnel qui ont subi des violences, des kidnappings ou autres au cours de ces dernières années ? Vous pouvez être considéré comme une cible par certaines personnes. Vous avez également évoqué un grand nombre de groupes armés avec lesquels vous êtes en contact. Avez-vous une évaluation des armes qui circulent ? Ces conflits sont alimentés par des trafics. Avez-vous remarqué des influences de certains pays, d'organisations mafieuses qui alimenteraient particulièrement ces groupes armés non étatiques ?
Mme Michelle Gréaume. - Selon l'ONU en 2021, 235 millions de personnes auront besoin d'une aide humanitaire, soit plus de 40 % par rapport à l'année passée. De nombreuses inquiétudes persistent, notamment sur l'évolution de la tuberculose, du paludisme et du VIH et sur la faim dans le monde. 690 millions de personnes souffrent de la faim. Le constat est alarmant ! Qu'est ce qui est mis en oeuvre pour y faire face, de même que sur la sécurité du personnel humanitaire ? Une meilleure protection pourrait passer par un renforcement de la mise en oeuvre du droit existant ? Quel est votre avis ?
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Je trouve le constat très préoccupant. Comment pouvons-nous vous aider ? On voit s'accélérer la détérioration du climat, les problèmes s'aggraver partout que ce soit avec les mines antipersonnel, les minorités... Comment voyez-vous la suite du retrait de la force Barkhane au Sahel ou des forces de l'OTAN en Afghanistan ? Je trouve que l'on ne tient pas suffisamment compte du rôle des femmes dans les actions en faveur de la paix. Avez-vous des actions en ce sens ? Enfin le personnel des ONG est souvent pris pour cible, comment mieux les protéger ?
M. Dominik Stillhart. - Je vous remercie pour toutes ces questions.
Le Haut-Karabagh est un exemple pour notre organisation qui démontre à quel point il est important d'inscrire l'action humanitaire dans la durée. Le CICR est intervenu dans cette zone pendant les 44 jours de conflit et est une des seules organisations à opérer encore aujourd'hui car nous avons maintenu des relations depuis le cessez-le-feu de 1994. Nous sommes également très préoccupés par la situation, notamment celle des prisonniers. Notre action porte aussi sur le rétablissement des liens familiaux avec les prisonniers. Nous sommes là en tant qu'intermédiaire neutre pour aider au transfert de ces prisonniers à la fin des hostilités.
M. Christian Cambon, président. - Je vous interromps un instant sur le point évoqué par notre collègue Marie-Arlette Carlotti. Nous sommes confrontés à deux versions. Selon les Azerbaïdjanais, les prisonniers de guerre auraient été libérés. Quel est votre avis ? Ils font la distinction entre les prisonniers de guerre, pris avant l'accord de cessez-le-feu et les 62 autres qu'ils veulent juger comme criminels car interpellés après l'accord de cessez-le-feu. Côté arménien, on nous dit que de nombreux prisonniers n'ont pas été libérés. Si vous avez cette information, c'est très important pour nous.
M. Dominik Stillhart. - Je ne peux pas spéculer sur cette question, je vais demander aux équipes sur place si elles ont des informations et je reviendrai vers vous.
En ce qui concerne nos relations avec la force d'interposition russe, en fait nous avons des relations avec toutes les formes d'autorité sur place que ce soit la force d'interposition russe ou bien le Croissant-Rouge de l'Azerbaïdjan.
Concernant la question de la sécurité du personnel humanitaire, nous avons encore trop souvent du personnel kidnappé ou tué. Nous avons eu un drame à la fin de l'année passée lors de l'attaque contre l'aéroport d'Aden où trois de nos collaborateurs ont été tués. À mon avis, il est indispensable pour une organisation humanitaire de se distinguer de toute action politique. Pour nous, l'action neutre, impartiale et indépendante reste la meilleure façon de rendre l'action humanitaire plus sûre. Mais aujourd'hui, cela ne suffit plus car les conflits sont de plus en plus fragmentés, avec beaucoup de parties et des interactions croissantes entre la politique et la criminalité. Les États doivent également faire plus pour s'assurer que les organisations humanitaires puissent travailler et que ces organisations ne soient pas considérées comme le bras de leur politique étrangère. Cela n'est pas facile. D'autant plus que 95 % du financement du CICR vient des contributions des États à notre budget de deux milliards d'euros. Il est essentiel que les États qui sont eux-mêmes signataires des conventions de Genève, continuent de soutenir le CICR. C'est pourquoi nous ne recherchons pas les financements privés. Pour affirmer le droit international humanitaire, nous avons besoin que les États continuent à assumer la responsabilité du CICR. Il faut bien sûr continuer à assurer la sécurité des organisations humanitaires mais nous devons nous même être extrêmement prudents et clairs par rapport à nos principes. Les perceptions sont influencées par l'action et pas seulement par les mots. Si la population voit que l'on dit ce qu'on fait et que l'on fait ce qu'on dit, on assure mieux la sécurité de notre personnel ! Aujourd'hui, nous travaillons dans des contextes très difficiles où il existe des risques.
Sur la question du Tigré et la controverse sur l'accès des organisations humanitaires, notre position est nuancée car l'accès au Tigré dépend plus de la capacité des organisations humanitaires à se projeter dans ces zones dites « non ou difficilement accessibles » que de la décision du Gouvernement qui dit si on peut y aller ou pas. Quand le conflit a commencé le 4 novembre 2020, nous avions une équipe internationale et cinq « résidents ». Aujourd'hui, nous avons environ 500 personnes. Cette montée en puissance nous a aussi permis d'accéder à plus de zones dans le Tigré. Il y a quatre forces présentes au Tigré : les Forces de défense nationale éthiopiennes (FDNE ou Ethiopan National Defense Force), les Érythréens, les Tigréens et les milices ethniques de l'Amhara à l'Ouest. Sur le terrain, nous devons traverser des checkpoints et négocier avec les différentes forces. Nous concernant, nous n'avons jamais rencontré des interdictions d'accès à certaines zones.
La situation au Liban est effectivement très préoccupante. Le Liban a un quart de sa population composée de réfugiés syriens. Elle a quatre millions d'habitants et un million de réfugiés. Le pays connaît une crise économique très grave. L'inflation a érodé le pouvoir d'achat de la classe moyenne. Les caisses de l'État sont vides, les services publics fonctionnent mal. C'est un pays qui est resté relativement stable dans un Moyen-Orient déchiré depuis deux décennies, en Syrie, au Yémen, en Irak, en Israël... Il y a très peu de visibilité en faveur d'une éventuelle amélioration. C'est pour cela que nous restons très présents dans ce pays.
Nous sommes présents au Mali depuis des décennies, de même qu'au Niger. Mais concernant le Burkina Faso, nous y étions jusqu'à environ trois ans dans un contexte de développement. C'est un des pays qui a reçu le plus d'aide au développement par habitant. Aujourd'hui, c'est conflictuel, notamment au nord et à l'est. J'ai pu constater sur place qu'une grande partie de la population a fui ces zones, les services de l'État n'étant plus là. Il n'y a plus d'école, ni de services de santé. Avec le retrait de la force Barkhane et de l'OTAN, nous pensons que la solution ne peut pas être que sécuritaire. Si la sécurité fait partie de la solution, je regrette souvent l'absence d'action politique qui doit être à la base du processus. Le conflit s'explique souvent par la marginalisation, voire l'exclusion de certaines populations qui n'ont plus rien à perdre. Seule l'action politique et le développement peut donner accès à un minimum de services de base, l'éducation, un travail, un service de santé... Je sais que c'est facile à dire et beaucoup plus difficile à faire ! C'est pour cette raison que l'action humanitaire a aussi ses limites. L'urgence n'est plus la solution dans ce type de contexte. Nous aussi nous devons apprendre à travailler avec d'autres structures et partenaires pour offrir des solutions plus durables. C'est pourquoi nous travaillons de plus en plus sur l'accès aux services essentiels. Nous travaillons également avec les États comme la Syrie où nous devons réhabiliter aujourd'hui d'urgence les services de gestion de l'eau malgré les contraintes politiques car ils ont beaucoup souffert pendant la guerre et cela couterait très cher d'attendre et de tout reconstruire. Ce type d'action contribue au rétablissement d'un minimum de service de base dans cette zone.
Sur la question du ciblage et des sanctions, certains souhaitent que rien de ce qui est donné aux organisations humanitaires ou au développement n'aille dans les mains des groupes armés. Nous avons beaucoup de discussions avec les États sur leurs sanctions. On comprend le contexte politique même si nous sommes neutres, impartiaux et indépendants. S'il n'y a pas d'exceptions pour des organisations neutres, cela nous empêche de travailler dans des zones contrôlées par des groupes « terroristes ». C'est très problématique. Beaucoup d'États dont la France disent que l'on peut travailler avec des dérogations. Le problème des dérogations, c'est que pour chaque action on doit demander une dérogation ! Cela prend, par exemple, des années en Corée du Nord pour importer du matériel pour le déminage. Même si cette mesure est préconisée par certains États, c'est difficile pour nous de travailler sur dérogation. Nous demandons des exceptions pour des organisations qui travaillent comme nous de façon neutre, impartiale et indépendante. Nous sommes d'accord pour rendre des comptes sur l'argent que l'on reçoit des États. Il faut que nous puissions aussi travailler dans des zones pas seulement contrôlées par le Gouvernement mais dans les zones contrôlées par les groupes armés. C'est là notre avantage et notre but de travailler sur les lignes de front. Une résolution récente du Conseil de sécurité de l'ONU va dans cette direction.
M. André Gattolin. - C'est au-delà de vos fonctions mais voyez-vous des connexions ou des réseaux sur le trafic des armes ? Comment les groupes armés se fournissent-ils en armes ?
M. Dominik Stillhart. - Je ne suis pas en effet un spécialiste du trafic d'armes mais je constate que quel que soit le contexte, la disponibilité des armes n'a jamais été une contrainte. Il y a toujours quelqu'un qui va vous vendre des armes. Une partie des armes fabriquées par les États finissent entre les mains dont on ne sait pas qui. C'est un trafic très lucratif. On trouvera toujours des réseaux criminels prêts à fournir des armes. Une kalachnikov coûte 40 dollars. Le travail du Conseil de sécurité de l'ONU sur le sujet est très important et fait partie de l'action politique dont j'ai déjà parlé.
M. Christian Cambon, président. - Je vous remercie de votre communication et pour ce débat très riche. Je vous dirai deux choses.
À notre manière, la France agit pour la paix et tente de résoudre les conflits ou du moins ouvrir le dialogue. Nous recevons tout le monde au Sénat, nous entendrons à votre suite des membres du gouvernement birman en exil pour prendre la mesure de cette catastrophe. L'information est importante.
Par ailleurs, nous venons d'adopter en CMP un projet de loi sur l'aide au développement. Le terreau de tous ces conflits est trop souvent la pauvreté. Il est nécessaire pour la France qui dépense près de 15 milliards d'euros chaque année puisse le faire à bon escient. Nous avons réorienté les principes de cette aide au développement pour donner au Gouvernement un chemin balisé pour aider plus efficacement ces pays car si notre présence armée au Sahel peut régler la dimension sécuritaire, elle ne règle pas les problèmes fondamentaux de la pauvreté, de la formation, de la santé... C'est quand il n'y a plus d'État que la population n'a plus rien à perdre.
J'ai bien retenu que l'essentiel du travail du CICR est l'action, y compris sur les fronts, là où les drames se passent.
Nous aurons, j'espère, l'occasion de nous revoir prochainement.
M. Dominik Stillhart. - Je vous remercie de nous avoir donné l'occasion de nous exprimer devant vous et de recevoir le soutien diplomatique et financier de la France.
La réunion est close à 10 h 30.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 10 h 30.
La réunion est ouverte à 10 h 50.
Audition de membres du gouvernement d'union nationale et du Parlement birman en exil : professeur Zaw Wai Soe, ministre de la santé et de l'éducation, docteur Sasa, ministre de la coopération internationale, MM. Moe Zaw Oo, vice-ministre des affaires étrangères et Aung Kyi Nyunt, président du comité permanent de l'Assemblée de l'Union
M. Christian Cambon, président. - Messieurs les ministres, monsieur le Président, mes chers collègues, nous avons l'honneur d'accueillir aujourd'hui les membres du Gouvernement et du Parlement birman en exil : le Professeur Zaw Wai Soe, ministre de la Santé et de l'Éducation du gouvernement d'unité nationale, le Docteur Sasa, ministre de la Coopération internationale, M. Moe Zaw Oo, Vice-ministre des Affaires étrangères pour évoquer la situation de la Birmanie. Monsieur Aung Kyi Nyunt, président du Comité permanent de l'Assemblée de l'Union, nous fait également l'honneur de participer à cette audition.
Nous avons entendu le 10 février dernier notre ambassadeur en Birmanie, Christian Lechervy, sur le coup d'État militaire perpétré par la Tatmadaw, réponse désolante à la victoire écrasante de la Ligue nationale pour la démocratie d'Aung San Suu Kyi aux élections de novembre 2020.
Depuis, la situation qui était explosive est devenue dramatique, caractérisée par l'état d'urgence, la loi martiale, les morts en grand nombre lors des manifestations, les arrestations, les appels à la grève et le procès d'Aung San Suu Kyi. Vous nous donnerez, si vous le pouvez, Messieurs les Ministres, des nouvelles du Président de la République Win Myint et de la Conseillère pour l'État Aung San Suu Kyi. En bientôt cinq mois, nous notons que les forces de sécurité ont tué plus de 800 personnes et en ont détenu des milliers d'autres. On compte nombre de disparitions forcées, augmentant le risque de torture et d'exécutions sommaires. Il semble qu'au moins 175?000 personnes ont dû fuir leur foyer, particulièrement au sein des minorités ethniques. Les médias sont fermés ou contrôlés, ainsi que l'accès à Internet. Les conditions humanitaires et l'insécurité alimentaire se détériorent à une vitesse préoccupante. L'ONU estime que la moitié de la population de la Birmanie, soit environ 25 millions de personnes, pourrait d'ores et déjà vivre sous le seuil de pauvreté national d'ici début 2022.
La France, vous le savez, a immédiatement condamné ce coup d'État militaire, et une série de sanctions de plus en plus sévères a été prise à travers le monde à l'encontre des dirigeants de la junte et des entreprises qu'ils contrôlent, qui sont les principales sources de revenus de l'armée. Ainsi, l'Union européenne vient de prendre en ce mois de juin une troisième série de sanctions. Vous nous direz, Messieurs les Ministres, si ces sanctions vous semblent efficaces et si, comme nous le souhaitons, elles ciblent bien les militaires et épargnent, autant que possible, le peuple birman, qui a déjà tant souffert.
Que cherche la junte, qui annonçait ne vouloir rien changer à la politique internationale, gouvernementale et économique, avec le nouveau Conseil de l'État ? Quels leviers utiliser face à ces militaires qui refusent l'évolution démocratique de leur pays, qui ignorent et trop souvent maltraitent leur population ?
L'Assemblée générale de l'ONU a condamné, le 18 juin dernier, le coup d'État militaire en Birmanie et appelé à empêcher l'afflux d'armes dans le pays. La Chine s'est abstenue. Vous nous direz comment vous analysez cette position chinoise. L'ASEAN, les États-Unis et l'Union européenne peuvent-ils contribuer à résoudre la crise que traverse la Birmanie ? Vous nous direz ce que vous attendez de la part de nos gouvernements respectifs.
Notre collègue et Vice-Président de la commission, Pascal Allizard, a pris l'initiative de déposer au Sénat une proposition de résolution sur la Birmanie, invitant le gouvernement français à procéder à une reconnaissance du gouvernement d'unité nationale de Birmanie et à apporter son soutien dans ses actions pour le rétablissement de la paix et de la démocratie. Cette proposition de résolution a été très largement cosignée par des sénateurs issus des différents groupes représentés au Sénat, notamment la présidente du groupe d'amitié France-Birmanie, Madame Joëlle Garriaud-Maylam. Nous sommes à vos côtés pour rétablir la démocratie.
Messieurs les Ministres, je vous cède la parole pour une vingtaine de minutes, avant d'inviter mes collègues à vous poser leurs questions. Monsieur le Président, vous pourrez naturellement à tout moment prendre la parole dans notre débat.
Je rappelle que nous avons souhaité que cette audition soit retransmise, afin que le plus grand nombre de concitoyens puissent entendre ce message.
Professeur Zaw Wai Soe, ministre de la Santé et de l'Éducation du gouvernement d'unité nationale. - Je suis ministre de la Santé et de l'Éducation du gouvernement d'unité nationale, mais aussi chirurgien orthopédique et médecin. J'ai des amis en France, mes mentors et professeurs, notamment le professeur Alain Patel. Nous avons reçu le soutien de nombreuses personnes en France. Juste avant le coup d'État, nous avons également reçu le soutien de la France. C'est très important pour nous. Merci beaucoup de nous accorder du temps ce matin. Je vais proposer à mon collègue Moe Zaw Oo de faire une introduction, puis nous continuerons.
Moe Zaw Oo, vice-ministre des Affaires étrangères. - Je souhaiterais commencer par vous remercier, Monsieur le Président de la Commission, et remercier le Sénat pour cette opportunité. Au nom du peuple de la Birmanie, je veux vous redire notre gratitude pour votre action dans le cadre de l'Union européenne et de sa résolution ainsi que de ses sanctions ciblées, qui touchent les deux entreprises détenues par la junte, mais aussi pour avoir proposé le gel des avoirs. Nous sommes également infiniment reconnaissants pour l'action du G7 et son soutien aux leaders politiques démocratiquement élus ainsi qu'à la société civile birmane. Il s'agit d'un gouvernement démocratiquement élu, qui respecte les droits de l'homme.
Nous apprécions également beaucoup le leadership pris par la France. S'agissant de la question de Total et des liens avec l'industrie pétrolière et gazière birmane, comme vous le savez, Monsieur le Président, il s'agit de la souveraineté de notre pays et de la démocratie.
Nous revenons malheureusement en arrière vis-à-vis de la transition démocratique qui avait été amorcée. En cela, nous ne respectons pas la volonté du peuple birman. Cette transition démocratique amorcée en 2015 se voit ainsi imposer un coup d'arrêt. La junte militaire prend maintenant pour cible des civils innocents et de très jeunes personnes, des enfants, ont perdu la vie et ont été pris pour cible. Récemment, le massacre du village de Kinma a été perpétré le 16 juin. Le gouvernement d'unité nationale a bien entendu condamné ces exactions menées par ces groupes terroristes. Des témoins oculaires ont attesté du fait que des villages avaient été pris par les flammes et que le feu avait été déclenché par cette junte militaire. De nombreuses personnes ont été arrêtées et emprisonnées. Les soldats se sont saisis de plusieurs opposants politiques et sont allés les arrêter chez eux.
Monsieur le Président, nous souhaiterions insister sur le fait que le problème ne peut être résolu par notre gouvernement d'unité nationale et par le peuple birman seuls. Au nom du peuple birman, j'aimerais lancer un appel au gouvernement français : il faut des mesures et des sanctions supplémentaires pour faire cesser ces atrocités !
Je souhaite donc lancer un appel au Sénat français et à la France pour qu'elle agisse avec d'autres pays européens. Il est nécessaire d'user de tous les moyens diplomatiques pour demander à cette junte militaire de rendre des comptes sur ces exactions. Il s'agit de crimes contre l'humanité. Des sanctions beaucoup plus sévères doivent venir frapper notamment l'industrie pétrolière et gazière, qui est entre les mains de la junte militaire. En tant que gouvernement démocratique élu, nous allons continuer notre action, mais nous avons besoin de votre aide. La légitimité du gouvernement d'unité nationale doit être reconnue encore plus clairement par vous, la France, et par les autres États de l'Union européenne. Nous demandons aux États membres non seulement de répondre à la situation extrêmement grave de la Birmanie, mais aussi de nous soutenir pour réaffirmer notre légitimité. Il est extrêmement important de souligner que cette junte militaire n'a pas de légitimité. Nous ne pouvons plus attendre. Nous apprécions à sa juste valeur votre soutien pour notre lutte qui dure depuis déjà longtemps, et qui se poursuit.
Docteur Sasa, ministre de la coopération internationale. - Monsieur le Président, chers membres respectés de la Commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées du Sénat. Je ne peux vous dire suffisamment ma gratitude pour cette occasion que vous me donnez de représenter mon peuple et le pays du Myanmar devant les parlementaires français. Je suis extrêmement ému de voir et d'entendre le soutien de votre peuple, du Parlement et du gouvernement de France pour la libération et la liberté du peuple de Myanmar. Un soutien pour libérer le peuple des mains de la junte militaire et pour nous aider à construire une union démocratique fédérale inclusive du Myanmar pour tout son peuple, quels que soient sa race, sa religion, son sexe, sa culture, son origine et son ethnie. Le peuple courageux de Birmanie, ainsi que le gouvernement d'unité nationale, apprécient énormément la solidarité du peuple, du Parlement et du gouvernement de la République française dans ces heures sombres de l'histoire de notre pays. Je voudrais à nouveau réitérer ma gratitude sincère pour le leadership que vous avez pris au sein de l'Union européenne, des Nations unies et du G7. Merci d'avoir reconnu le comité représentatif du Parlement birman (CRPH) et le gouvernement d'unité nationale comme étant les représentants légitimes de la voix du peuple du Myanmar.
Votre soutien et votre reconnaissance sont absolument cruciaux pour faire cesser les crimes contre l'humanité qui ont actuellement cours ainsi que ce règne de la terreur exercée par les généraux contre le peuple innocent. Une catastrophe, imputable aux militaires, se profile désormais, car notre pays est en train de devenir un État défaillant. L'économie est en train de s'effondrer, le système de soin, le système éducatif et tous les services de base sont de plus en plus défaillants. L'insécurité alimentaire est en train de s'accroître, la violence et les tueries se poursuivent jour et nuit. Les 54 millions d'habitants du Myanmar font face à des crimes contre l'humanité, à la mort et à la destruction.
Depuis le coup d'État du 1er février, la junte militaire a assassiné plus de 915 personnes, dont 72 enfants. Il y a eu beaucoup d'arrestations et de détention illégales qui ont touché plus de 6?200 Birmans innocents. Cela inclut nos leaders élus, notre conseillère d'État, Madame Aung San Suu Kyi, notre président, Monsieur Win Myint, et des dizaines de journalistes extrêmement courageux. Plus de 2? 000 civils innocents sont poursuivis et contraints de fuir.
Le 16 juin, la junte militaire a commis un autre crime contre l'humanité en détruisant par les flammes un village entier, le village de Kinma, soit plus de 250 foyers. Des personnes âgées ont été brûlées vives car elles étaient prisonnières de leur maison. Ce n'est pas la première fois que la junte militaire s'est rendue coupable de crimes de guerre, de crimes contre l'humanité et de nettoyage ethnique, déjà contre les Rohingyas, nos frères et soeurs, contre le peuple de Karen des États de Kachin, de Kayah, de Chan, de Môn, de Rakhine et de Chin, qui représente plus de 40 % de la population du Myanmar.
Si l'on en croit le Haut-Commissariat aux Réfugiés des Nations unies, 1,2 million de civils a actuellement été déplacé du fait de ces violences et de la terreur que fait régner cette junte militaire. Le programme des Nations unies pour le développement prédit que plus de la moitié de la population du Myanmar pourrait vivre sous le seuil de pauvreté d'ici moins d'un an. Le Programme alimentaire mondial estime que plus de 6,4 millions de Birmans seront bientôt face à un risque de famine d'ici fin octobre. Face à ces violences, de nombreux Birmans, plus de 1,2 million, ont été forcés de quitter leur foyer. Ce sont 6,4 millions de Birmans qui risquent la famine. Nous ne pouvons accepter cela. Nous ne pouvons accepter que 27 millions de nos concitoyens vivent sous le seuil de pauvreté.
La junte militaire est extrêmement brutale. Elle attaque les maisons des civils, leurs propriétés, les villages et les villes, avec des armes extrêmement lourdes. Elle occupe des églises, des écoles, des centres communautaires et des hôpitaux pour les utiliser comme baraquements et comme entrepôts. Elle remplace les manuels scolaires et les stylos par le règne de la terreur, des armes et des balles. Elle remplace les bibles et les livres de cantique par l'intimidation, l'oppression, les tirs de mortier et les bombes. Elle sème partout la destruction et la mort. Il n'est pas acceptable que des pasteurs, des moines, des leaders de nos communautés soient forcés de fuir pour sauver leur vie. Il n'est pas normal que nos hôpitaux, nos écoles, nos collèges, nos universités, nos banques et toute l'économie soient réduits à néant par les militaires et le règne de leur terreur. Il n'est pas normal que nos professeurs, médecins, infirmiers, sages-femmes, ingénieurs, fonctionnaires, soient forcés de fuir.
Nous avons reçu, depuis le 22 février, plus de 400?000 emails. Plus de 151?000 contenaient des preuves de crime contre l'humanité, avec un total de plus de 310?000 photos et vidéos documentant et attestant des atrocités dont la junte militaire s'est rendue coupable au Myanmar. On compte 427 affaires ouvertes par des avocats des droits de l'homme, documentant ainsi des crimes contre l'humanité et recensant plus de 28?000 victimes.
Nous avons des leaders démocratiquement élus depuis novembre dernier. Le peuple birman nous a reconnus. Notre espoir est désormais que vous nous aidiez. C'est la première fois, dans l'histoire du Myanmar, qu'un gouvernement d'unité nationale reçoit le soutien de tout le peuple. Nous avons besoin que cette reconnaissance soit attestée par le gouvernement de la France et par les leaders des pays libres du monde entier. C'est la première fois dans notre histoire que nous bénéficions d'une unité et d'une union de tout notre peuple. Nous devons absolument nous saisir de cette opportunité, avec votre aide, afin de bâtir une union fédérale inclusive pour tous les citoyens du Myanmar. Nous avons besoin de votre aide. Je voudrais à nouveau vous lancer un appel, pour décider de sanctions beaucoup plus strictes.
En conclusion, nous avons trois demandes. Avec votre soutien et votre reconnaissance, l'idée est que les défenseurs de la liberté et de la démocratie puissent mettre fin à cette dictature militaire et ce génocide militaire, qui devient un cancer pour notre nation et notre peuple, et le remplacer par des forces armées éthiques et inclusives, qui appartiennent au peuple entier du Myanmar et qui soient menées par un gouvernement civil. Ensemble, nous voulons commencer à bâtir un nouveau Myanmar, avec une union démocratique inclusive de tous les citoyens du Myanmar, quelle que soit leur race, leur religion, leur sexe, leur culture ou leur ethnie, et où les droits humains soient respectés, protégés et promus. Le Myanmar deviendra ainsi un pays où le pouvoir et les ressources seront partagés sur la base de l'égalité, de l'autodétermination, et où les trois pouvoirs (Parlement, pouvoir judiciaire et exécutif) fonctionneront en toute indépendance. Nous voulons devenir un pays où les droits et lois sont respectés par la nouvelle constitution fédérale du peuple du Myanmar.
Il s'agit d'une bataille que nous devons remporter. Il n'existe aucune autre option. Nous vaincrons dans notre lutte pour libérer le Myanmar de cette junte militaire brutale. Nous voulons voir émerger un nouveau Myanmar, une nouvelle Birmanie inclusive, engagée dans la démocratie fédérale, les droits humains, qui deviendrait ainsi un partenaire responsable de la communauté mondiale. C'est une lutte entre la lumière et l'obscurité, entre la justice et l'injustice, entre le bien et le mal, entre la paix et la violence, entre la stabilité et l'instabilité, entre la liberté et la tyrannie, entre la justice et l'injuste, entre la vie et la mort, entre la démocratie fédérale et la dictature militaire. Cette junte militaire doit être stoppée. Nous vous remercions, au nom des 54 millions de citoyens de la Birmanie.
M. Aung Kyi Nyunt, Président du Comité permanent de l'Assemblée de l'Union (CRPH). - Je suis parlementaire et Président du Comité permanent de l'Assemblée de l'Union. J'aimerais exprimer mes remerciements au Sénat français et au Président de la Commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées du Sénat. Nous savons, Monsieur le Président, que vous êtes pleinement informé de la situation en Birmanie, et je souhaiterais vous voir appuyer notre demande de reconnaissance de notre gouvernement d'unité nationale.
Professeur Zaw Wai Soe. - Puisque mes collègues ont évoqué la situation en Birmanie et que notre Président du Comité permanent de l'Assemblée de l'Union s'est exprimé, je souhaiterais ajouter quelques points concernant la pandémie de Covid-19. Nous sommes à présent en pleine troisième vague. Le nombre de malades augmente. La junte militaire est totalement inopérante face à cette pandémie. Nous souhaitons vous demander votre aide, en tant que ministre de la santé et au nom de la conseillère d'État, Aung San Suu Kyi, car nous n'avons pas la possibilité de contrôler la situation sanitaire. Nous avons formé un comité afin de suivre cette situation au sein du gouvernement d'unité nationale. Nous souhaiterions pouvoir nous coordonner avec nos partenaires internationaux, afin d'endiguer cette pandémie.
Nous avons également de grands besoins d'éducation pour nos enfants, qui en ont été privés depuis plus d'un an et demi. C'est la raison pour laquelle le gouvernement d'union nationale a engagé des programmes d'enseignement à distance, pour les écoles, les lycées mais également l'enseignement supérieur. Nous avons besoin de soutien financier afin de permettre à nos jeunes d'être éduqués. Nous pensons également à toutes les personnes déplacées. Il y a parmi eux des personnes de ma famille. Enfin, comme le Docteur Sasa l'a indiqué, une famine se prépare. Nous rencontrons donc des difficultés extrêmes. La situation politique au Myanmar est très difficile à résoudre. Nous avons annoncé une politique vis-à-vis de l'ASEAN et de la Chine. Nous aimerions vous entendre sur ces points et vous demander, encore une fois, de nous aider à sauver notre pays.
M. Christian Cambon, président. - Merci Monsieur le Président et Messieurs les Ministres pour l'intensité et la force des témoignages bouleversants que vous nous avez apportés. Je reprécise que cette audition fait l'objet d'une retransmission et est donc accessible à des centaines de milliers de nos spectateurs, qui suivent avec beaucoup d'attention les auditions de notre Commission du Sénat. Je pense qu'il s'agit d'un premier geste que nous pouvons faire vers vous, de telle sorte que ces atrocités puissent être mieux connues de la part du peuple français. Je puis en outre vous assurer qu'il y a ici, au Sénat, au Parlement, mais aussi dans l'opinion française tout entière, un soutien fort et des initiatives nombreuses qui sont prises afin de mieux comprendre la situation que la junte militaire impose à la population birmane.
Les demandes que vous nous avez faites, notamment humanitaires, se heurtent à l'impossibilité d'intervenir et d'entrer sur le territoire. Qu'il s'agisse du Covid ou de l'aide alimentaire, nous souhaiterions savoir s'il existe des canaux qui permettent de faire transiter l'aide sans que la junte ne puisse l'accaparer.
Par ailleurs, s'agissant de la reconnaissance du gouvernement d'union nationale, légitime et, malheureusement, en exil, elle revient au gouvernement, selon la Constitution française. Tel est cependant l'objet de la résolution qui sera présentée au Parlement, puisque nous avons la volonté de demander fermement au gouvernement de prendre cette décision, car vous avez évidemment besoin d'une reconnaissance internationale afin qu'une pression décisive puisse être exercée sur la junte.
Vous avez évoqué la situation de Total, qui exploite des gisements gaziers très importants en Birmanie, et notamment un gazoduc qui conduit vers la Thaïlande. Une mesure a été prise, avec la suspension du versement d'un certain nombre de dividendes aux actionnaires de la Moattama Gas Transportation Company Limited, mais nous avons bien conscience que cela n'est pas suffisant. Nous allons voir, avec le Président du Sénat, quelles initiatives nous pouvons prendre pour faire en sorte que la sanction financière qui doit frapper cette junte puisse être encore plus efficace.
Personnellement, je me réjouis de ces contacts, et je puis vous assurer que nous allons, par l'intermédiaire des sénateurs qui suivent plus particulièrement la situation dans votre pays, poursuivre ce dialogue.
M. Jean-Marc Todeschini. -Merci pour le tableau que vous nous avez dressé de la situation de votre pays. Il précise le tableau sombre qui ne nous avait pas échappé, nous sommes nombreux, et vous l'avez souligné, à connaître la situation vécue en Birmanie et à être attentifs au sort du peuple birman.
Je voudrais revenir sur la situation de vos populations, notamment des différentes ethnies. Beaucoup d'ethnies ont pris les armes, et la répression est violente. Pourriez-vous nous présenter un point sur la situation de cette répression et des groupes d'autodéfense qui se sont formés ?
Enfin, vous avez saisi l'occasion qui vous était donnée de vous exprimer pour lancer devant nous un appel au secours. Notre Président l'a cependant rappelé, nous faisons face actuellement à une impossibilité totale de rentrer dans votre pays. Pouvez-vous nous préciser les capacités d'action de votre gouvernement et du Parlement birman en exil face à cette situation ?
Mme Joëlle Garriaud-Maylam - Je préside le groupe d'amitié France-Birmanie depuis mon entrée au Sénat, il y a 17 ans, et je travaillais déjà avant sur la Birmanie, car je suis une amie de la famille d'Aung San Suu Kyi, donc très impliquée sur ces questions et très consciente des difficultés que vous subissez en Birmanie, où je me suis rendue à plusieurs reprises.
Notre action est difficile, le Président l'a rappelé. Notre gouvernement a la tradition de ne pas reconnaître de gouvernements en exil, et nous sommes dans une situation de non-droit. Nous avons le devoir d'aider la population birmane et de soutenir la démocratie. J'avais moi-même proposé une résolution il y a déjà quatre ou cinq mois, qui avait été refusée. Je suis ravie qu'un de mes collègues soit parvenu à la faire accepter, ce qui prouve bien que le Parlement est de plus en plus conscient des difficultés et des atrocités que subit le peuple birman. Je sais aussi qu'une résolution est en cours à l'Assemblée nationale. J'avais d'ailleurs initié une tribune, avec mon collègue homologue, président du groupe d'amitié à l'Assemblée nationale, signée par de nombreux parlementaires, pour demander à la fois la reconnaissance du gouvernement d'union nationale, mais aussi et surtout que Total s'implique davantage en soutien.
Nous savons qu'il est très difficile de faire entrer de l'aide humanitaire en Birmanie, dans la mesure où nous ne voulons pas légitimer le gouvernement en place. Il est donc nécessaire de trouver les moyens de mieux travailler. Je compte beaucoup sur notre ambassadeur de France en Birmanie, Christian Lechervy, qui est un de vos grands soutiens, comme ses prédécesseurs l'avaient été. Nous devons trouver des solutions pour vous aider. Je pense qu'elles passent par Total et j'ai émis des appels en ce sens. Nous avons besoin de vos propositions pour mieux vous aider dans ce domaine.
M. Pascal Allizard. -Monsieur le Président, je vous remercie d'avoir accepté d'organiser cette audition en visioconférence, qui me semble extrêmement importante. Je crois que la situation évolue fortement en France, comme l'a rappelé ma collègue Joëlle Garriaud-Maylam. Je crois pouvoir dire qu'au sein du gouvernement également, les esprits sont mobilisés, bien qu'il puisse y avoir des différences d'approche sur les actions menées. Comme vous le savez, il y a aussi, dans la société civile française, et pas seulement médicale, que vous connaissez bien, beaucoup de personnes qui vous soutiennent et qui connaissent votre cause.
L'étape suivante, en ce qui concerne le Sénat, sera l'adoption de cette résolution. Si j'ai eu l'honneur de l'avoir l'initiée, j'ai surtout le bonheur de constater que près de 150 collègues de tous les groupes politiques l'ont signée. Il s'agit donc d'une résolution collective, et nous continuerons de la porter ensemble pour faire prospérer votre cause. Nous sommes à votre disposition pour continuer de porter votre combat pour la liberté. Malgré les obstacles, nous devons faire en sorte que votre cause puisse progresser mais surtout, au-delà des idées, que ces massacres dont vous nous avez parlé puissent cesser le plus rapidement possible.
M. Philippe Folliot. - Merci Messieurs les ministres, pour la présentation que vous nous avez faite et le courage qui est le vôtre de mener ce combat dans des conditions, nous le savons, qui ne sont pas faciles. Ma question porte sur les interférences étrangères qui peuvent se faire jour dans ce conflit, eu égard à vos grands voisins. Sont-elles négatives ou positives ? Pouvez-vous nous en dire plus en la matière ?
M. Christian Cambon. - Merci. Je pense effectivement que la question de la relation avec la Chine et son attitude vis-à-vis de cette affaire sont un point très important, sur lequel nous souhaiterions avoir vos éclaircissements. Nous avons nous-mêmes des contacts avec les autorités chinoises et devons porter le bon message, qui puisse vous aider.
Mme Moe Zaw Oo. - Merci beaucoup pour ces questions. Je commencerai par répondre au sujet de la Chine. La Chine s'est abstenue lors des votes sur les résolutions de l'Assemblée générale des Nations unies. Nous pensons qu'il est extrêmement important de garder un oeil sur ce que fait la Chine. Tout d'abord, les leaders du gouvernement actuellement en place en Birmanie doivent cesser d'être considérés comme des interlocuteurs par les autorités chinoises. Nous comprenons l'inquiétude de la Chine au regard de ses intérêts en Birmanie. Nous comprenons qu'elle souhaite exercer une pression sur notre pays.
Le gouvernement démocratiquement élu peut cependant garantir à la Chine comme aux autres la stabilité de notre pays, ce qui est également dans l'intérêt de la Chine. Nous ne voulons pas la destruction des intérêts chinois qui sont sur notre sol. La Chine doit l'entendre. Nous pouvons assurer cette stabilité. Je crois que la Chine doit regarder le long terme et tirer les enseignements du passé. Dans le passé, les autorités chinoises ont soutenu le coup d'État militaire. En 1988, la dictature militaire a aussi déferlé sur le Myanmar. Il est nécessaire de tirer les enseignements du passé, ne serait-ce que pour la défense de leurs intérêts.
Depuis plus de deux mois, un envoyé spécial a été nommé. Le leadership exercé par l'ASEAN est aujourd'hui en doute. Le consensus sur cinq points doit donc être ravivé. Le secrétaire général de l'ASEAN est venu en Birmanie et a rencontré les leaders. Nous savons que cette visite a été exploitée par la junte militaire à des fins de propagande. Nous avons signifié à l'ASEAN qu'il était nécessaire de nous retenir comme interlocuteurs, et cesser d'échanger avec le gouvernement militaire. Si la présidence actuelle est inopérante, l'Indonésie devrait peut-être la reprendre.
Docteur Sasa. - Merci infiniment pour ces questions et merci aux membres éminents de votre commission. La Chine et l'Inde ont le pouvoir de faire cesser les exactions de la junte militaire et de cette violence qui frappe notre pays et notre population. Un seul appel téléphonique de Pékin ou de Delhi pourrait changer la situation. Le chaos au Myanmar ne sert pas leurs intérêts, mais leur est nuisible. L'ASEAN, la Chine et les pays voisins doivent prendre conscience que ce chaos, le trafic de drogue, les exactions, les violences, la destruction se font à leur porte.
Nous comptons sur vous pour rappeler à la Chine et aux autres que la démocratie au Myanmar est le seul moyen de pacifier la région. Il s'agit de la seule voie vers la stabilité économique, non seulement en Birmanie mais dans toute la région. Il s'agit d'un message extrêmement important, qu'il faut que vous nous aidiez à faire comprendre à Pékin et à nos voisins. Un consensus sur cinq points a été trouvé depuis deux mois, comme l'ont dit mes collègues. Cela doit se traduire concrètement en Birmanie. Le consensus sur cinq points n'a fait que servir d'outil de propagande, instrumentalisé par le gouvernement non démocratiquement élu. Il est donc nécessaire de parler clairement à la junte militaire, qui n'a aucun respect pour la communauté internationale ou les Nations unies. Nous sommes face à des criminels et des organisations terroristes. Le peuple birman fait face à ce régime voyou. Il est nécessaire d'en entraîner la défaite ensemble. Dans le cas contraire, il sera extrêmement difficile de ramener la stabilité et la prospérité dans notre pays.
M. Aung Kyi Nyunt. - En tant que Président du CRPH, je n'ai qu'une demande très simple vis-à-vis de votre Sénat : continuez à appeler à la cessation immédiate des violences. Des viols et des assassinats sont perpétrés. Ce sont des femmes et des enfants qui sont ciblés. Continuez à appeler à la libération immédiate des détenus politiques. Le Parlement français doit reconnaître le CRPH comme le Parlement démocratiquement élu du Myanmar. Nous souhaiterions que vous appeliez votre gouvernement à reconnaître notre gouvernement d'unité nationale ce qui permettrait d'avancer vers une reconnaissance internationale. Enfin, il s'agit d'encourager la communauté de l'ASEAN à appuyer le Myanmar, le CRPH et notre gouvernement d'unité nationale. Je formule le voeu que nous poursuivions notre collaboration, de Parlement à Parlement.
Professeur Zaw Wai Soe. - Je voudrais, pour ma part, répondre sur le sujet de l'aide humanitaire, de la santé et de l'éducation. Le gouvernement d'unité nationale et le ministère de l'Éducation et de la Santé ont essayé d'agir, car nous savions qu'une troisième vague extrêmement dévastatrice de la pandémie se déclarerait, que nous manquerions de médicaments et que l'éducation serait mise en péril.
C'est pourquoi nous avons essayé d'en appeler à la communauté internationale, mais la situation est extrêmement difficile. Nous nous sentons désemparés. Je pense que vous pouvez vous saisir de deux moyens : utiliser l'aéroport international de Yangon et agir en transfrontalier, avec l'aéroport d'Indonésie. Le peuple birman ne veut pas la reconnaissance de cette junte militaire. C'est pourquoi la voie transfrontalière me semble importante. Nous avons essayé d'échanger avec l'Inde, la Chine, le Laos ou le Bangladesh. Cela fut extrêmement difficile. Je souhaite donc vous demander, ainsi qu'aux Nations unies, à l'OMS, à l'Union européenne et à la France, de nous aider par un processus coordonné d'aide humanitaire, sanitaire et bien sûr par l'envoi de vaccins. C'est une préoccupation cruciale. Je suis certain que vous pourrez nous aider, notamment en acheminant l'aide par la voie transfrontalière. Il ne s'agit pas de reconnaître de quelque manière cette junte militaire comme gouvernement légitime, ce qu'elle n'est pas.
Avec le ministère de la Santé, nous sommes unifiés, avec les organisations ethniques et toutes les forces vives de notre pays, afin de permettre la vaccination des enfants. Depuis un an et demi, la Covid-19 fait rage, sans aucune possibilité de vaccination. Vous l'avez peut-être entendu, Ang San Suu Kyi a fait passer un message hier, appelant à l'unité. Elle se préoccupait particulièrement de la Covid. De la coordination et de l'intégration sont nécessaires pour permettre de sauver le Myanmar.
M. Christian Cambon, président. - Messieurs les ministres, merci d'avoir répondu avec tant d'émotion et de gravité aux questionnements de mes collègues.
Pour terminer cette audition, je souhaite vous remercier d'y avoir participé et vous assurer que le Sénat de la République française ne souhaite dialoguer avec et ne reconnaître que le Parlement en exil. Nous n'avons aucunement l'intention d'ouvrir le dialogue, de quelque nature que ce soit, avec des représentants de la junte, dans quelque organisme que ce soit. Vous êtes et restez nos seuls interlocuteurs. Nous nous engageons, par l'intermédiaire de mes collègues et de la présidente du groupe d'amitié, à poursuivre ces échanges uniquement avec votre Parlement et votre gouvernement en exil. Cela doit être très clair.
Par ailleurs, je vous répète ce qu'a indiqué le sénateur Allizard : cette résolution que nous allons voter peut-être à l'unanimité, en tout cas à une immense majorité, a pour but de demander au gouvernement français de tout faire pour aller vers la reconnaissance de ce gouvernement en exil, tant les actes commis par la junte dépassent l'entendement par leur cruauté, leur violence et leur mépris de toutes les règles gouvernementales qui devraient être applicables à un pays comme le vôtre.
Suite à cette audition, dont je souligne la portée médiatique qu'elle peut avoir en France, car une nouvelle fois, nos auditions sont largement suivies par nos concitoyens, je vais personnellement saisir au nom de la Commission le ministre de l'Europe et des Affaires étrangères afin de lui demander un véritable plan d'action pour utiliser les voies que vous venez d'évoquer, notamment par l'Indonésie et les canaux transfrontaliers. Il faut pouvoir vous faire parvenir une aide humanitaire qui ne passe pas par les mains de la junte, car ce serait une forme de reconnaissance que de leur adresser les secours, dont je ne suis pas même certain qu'ils parviendraient aux intéressés. Il est donc hors de question de travailler avec eux, d'une manière ou d'une autre. N'hésitez pas à nous fournir des éléments concrets, pratiques et sûrs, qui permettent de faire parvenir cette aide sur le plan de la santé et de l'alimentation. Vous savez que la France a un certain nombre de moyens en la matière. Nous l'avons fait encore récemment dans le cadre du conflit du Haut-Karabagh. Nous avons des moyens humanitaires qui peuvent être mis à disposition, à la seule condition, comme vous l'avez évoqué, que cela ne vienne pas servir les intérêts de la junte mais bénéficie aux populations qui souffrent.
Je vous remercie une nouvelle fois d'avoir accepté cette audition. Bien évidemment, nous nous réservons la possibilité de demander à notre représentant de la France au Conseil de Sécurité de s'entretenir avec ses collègues, notamment chinois, de la situation. Nous souhaiterions que la Chine puisse clarifier sa position et ne pas servir de caution à la junte dans l'affaire criminelle qui nous occupe.
Enfin, notre action se dirigera aussi vers la société Total, qui peut amener des éléments de pression très forts, car nous savons le profit que la junte retire de la vente des gisements gaziers, notamment par l'intermédiaire du gazoduc qui vous relie à la Thaïlande. Nous allons donc interpeler directement la société Total pour qu'elle amplifie les sanctions qui frapperont la junte. Ce sont les sanctions qui affectent le portefeuille qui sont les plus efficaces : nous devons donc rechercher des sanctions pratiques qui dépassent les déclarations de solidarité.
Pour terminer, nous avons au Parlement européen des représentants qui peuvent porter votre message et faire en sorte que l'Europe tout entière puisse répercuter votre appel. Comme vous l'avez souligné très justement, l'Europe doit se mobiliser à travers ses gouvernements. Aucun des gouvernements européens n'a la moindre faiblesse vis-à-vis de la junte, mais il est préférable que les institutions européennes, qui représentent 500 millions d'habitants, puissent s'exprimer et vous aider.
Nous vous adressons un salut amical et fraternel. Nous savons dans quelles conditions vous vivez et vous recommandons d'être attentifs à votre propre sécurité, car les méthodes de ces personnes laissent penser qu'elles pourraient vouloir vous faire taire. Nous vous recommandons donc la plus grande vigilance pour vos personnes et celles qui vous entourent. Par l'intermédiaire des sénateurs que j'ai mandatés à cette fin, le contact demeurera. N'hésitez pas, par les moyens habituels et, je l'espère, efficaces, à nous donner des informations et conseils pratiques pour nous aider, afin que cette audition ne reste pas un moment d'émotion mais nous permette d'agir pour aider votre combat et les populations dont vous avez la responsabilité, en espérant qu'un sursaut international permettra, le plus vite possible, de faire cesser cette effroyable dictature sanguinaire, qui n'a de respect pour aucun des principes auxquels vous et nous croyons.
Nous vous souhaitons bonne continuation. Restons en contact. Nous sommes à votre entière disposition. Bon courage dans votre combat. Il est aussi le nôtre.
Professeur Zaw Wai Soe. - Merci. Nous devons remporter cette victoire !
La réunion est close à 12 h 00.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.