Mercredi 16 juin 2021
- Présidence de M. Pierre Ouzoulias, président -
La réunion est ouverte à 16 h 35.
Audition de Mme Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation
M. Pierre Ouzoulias, président. - Merci, madame la ministre, d'être parmi nous aujourd'hui pour répondre aux questions de notre mission d'information. Je précise que, comme vous le savez, cette audition est filmée et retransmise en direct sur le site du Sénat.
Mes chers collègues, je vous remercie de continuer à être aussi présents et assidus aux auditions de cette mission d'information, a fortiori en fin de parcours : votre présence en nombre montre tout l'intérêt que le Sénat porte à cette thématique.
Je rappelle que cette mission d'information a été demandée par le groupe Union centriste du Sénat. C'est M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication qui en est le rapporteur.
Les deux grands objectifs de cette mission sont les suivants : dresser un bilan de la façon dont les étudiants et étudiantes ont vécu, parfois douloureusement, la pandémie ; et porter une réflexion plus systémique sur les conditions de la vie étudiante et sur les moyens de les améliorer.
Au fur et à mesure de nos auditions, qui ont été nombreuses et parfois très suivies sur les réseaux sociaux, de nouvelles problématiques essentielles ont émergé, notamment celle qui a abouti à la proposition de loi visant à créer un ticket restaurant étudiant. C'est en effet une problématique que nous n'avions pas identifiée au démarrage de nos travaux, mais qui s'est affirmée avec force.
Je n'irai pas plus loin dans mon propos liminaire pour donner la parole au rapporteur qui vous posera quelques questions pour introduire le débat. Puis après votre intervention, madame la ministre, mes collègues vous poseront des questions auxquelles vous pourrez répondre de façon globale.
M. Laurent Lafon, rapporteur. - Madame la ministre, nous sommes heureux de vous recevoir pour cette dernière audition plénière de notre programme de travail. Pour nous, il est extrêmement important de vous entendre sur un certain nombre de points. Pour rappel, cette mission d'information se préoccupe de tout ce qui tourne autour des conditions d'études des étudiants et de tout ce qui peut faciliter ou handicaper un parcours d'enseignement supérieur. Ce champ couvre notamment les questions du revenu, du logement, de l'alimentation et de la santé. La crise covid a montré que le phénomène de précarisation étudiante dont nous parlions avant la crise sanitaire se concrétisait dans ces quatre domaines. Les pouvoirs publics doivent donc s'interroger sur la manière dont l'État peut accompagner les étudiants.
Lors de cette audition, nous souhaiterions vous entendre sur le bilan que vous tirez des mesures exceptionnelles mises en oeuvre pendant la crise. En effet, un certain nombre d'actions ont été mises en place par le gouvernement pour lutter contre la précarisation étudiante. Quel bilan en tirez-vous ? Quels dispositifs pourraient être prolongés une fois la crise sanitaire terminée ?
Je souhaite ensuite revenir plus particulièrement sur trois points.
Le premier a trait aux revenus des étudiants. Le 4 décembre dernier, à l'occasion d'un entretien avec le média en ligne Brut, le Président de la République a indiqué qu'il envisageait une amélioration du système de bourses. Puis, lors de sa visite du Campus de Paris Saclay du 19 janvier dernier, il a annoncé une réforme des bourses sur critères sociaux. Où en êtes-vous de cette réflexion ? Un calendrier est-il fixé ? Dans quelle direction envisagez-vous de faire évoluer le système de bourses ?
Le deuxième thème sur lequel je souhaite insister est celui du logement. Vous vous êtes engagée sur un plan 60 000 logements étudiants. Cependant, à l'horizon 2022, cet objectif ne sera probablement pas atteint. Certes, le retard peut être imputé à la crise sanitaire, mais ce n'est sans doute pas la seule explication. Où en êtes-vous dans le déploiement de ce plan ? Comment expliquez-vous les retards ? Comment envisagez-vous de redynamiser la construction de logements étudiants une fois la crise terminée ?
Mon dernier point concernera la santé, et en particulier la santé psychologique. Les services de santé universitaires et les bureaux d'aide psychologique ne sont pas accessibles à l'ensemble des étudiants et leurs moyens sont souvent sous-dimensionnés pour répondre à la demande. Cette tension a été fortement aggravée par la crise sanitaire. Or les besoins en santé des étudiants, notamment en santé mentale, ne vont pas s'éteindre définitivement avec la fin de la crise sanitaire. Aussi souhaiterions-nous vous interroger sur les pistes sur lesquelles vous travaillez pour améliorer l'accès aux soins des étudiants, que cela soit par une offre spécifique à l'intérieur des établissements ou que cela soit au travers d'une articulation avec la médecine de ville.
Mme Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation. - Monsieur le président de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, monsieur le président de la mission d'information, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je souhaite tout d'abord vous dire que je suis très heureuse d'être avec vous cet après-midi dans le cadre des travaux de la mission d'information sur les conditions de la vie étudiante, que vous avez initiée en février dernier.
La semaine dernière, nous avons déjà eu l'opportunité d'aborder ce sujet majeur à l'occasion de l'examen de la proposition de loi visant la création d'un ticket restaurant étudiant, à l'initiative du sénateur Pierre-Antoine Levi. Il me semble important que nous puissions prolonger ces échanges constructifs. En effet, à travers la question de la précarité alimentaire qui a été posée, c'est en réalité un sujet infiniment plus vaste que nous devons aborder. La précarité alimentaire fait écho aux discussions que nous allons avoir cet après-midi.
Cette crise a eu pour effet de remettre les conditions de vie et de bien-être étudiant au centre des préoccupations du pays. Au fil des mois et des témoignages parfois bouleversants des étudiants, c'est bien l'ensemble de nos concitoyens qui ont pris conscience que la vie d'un étudiant ne se résume pas aux cours qu'il suit. Son logement, sa santé, son budget, ses pratiques culturelles, ses pratiques sportives, ses liens sociaux, tout ce qui régit son quotidien conditionnent aussi très largement le succès dans ses études. Au fur et à mesure que cette prise de conscience s'accentuait, la question de ces conditions de vie et de ce bien-être prenait de la place dans le débat public : je suis vraiment très heureuse de cette visibilité nouvelle que je trouve tout à fait nécessaire et salutaire.
Cette mission d'information s'inscrit dans cette prise de conscience collective et dans cette volonté d'objectiver une réalité qui est en fait une vérité plurielle, car il n'existe pas une condition étudiante, mais une diversité de situations, d'histoires et de profils. Il est donc très difficile de tenter une approche standardisée de cet ensemble. Pour ces raisons, je suis très heureuse que le Sénat se soit saisi de ce sujet complexe, car les conditions de vie étudiantes et leur rôle dans la réussite des étudiants sont pour moi une priorité sociale et sociétale.
C'est une conviction que je porte depuis 2017, depuis que je suis arrivée à la tête du ministère. Ma première préoccupation a été de sortir la vie étudiante de la périphérie des politiques publiques. On l'avait souvent reléguée avec une forme de déni, en considérant que cela ne faisait pas partie des déterminants de l'égalité des chances. Avec la loi « Orientation et réussite des étudiants (ORE) » n° 2018-166 du 8 mars 2018 relative à l'orientation et à la réussite des étudiants, l'amélioration des conditions de vie des étudiants a été pour la première fois considérée comme un levier majeur de leur réussite, au même titre que l'orientation ou que la personnalisation des parcours. Le Plan Étudiants a ainsi permis d'agir sur toutes les dimensions de la vie étudiante.
C'est le cas en matière de santé, avec l'affiliation au régime général de sécurité sociale qui a grandement facilité l'accès aux soins et qui en a diminué significativement le coût (en baisse de 218 euros en moyenne par an). De nouvelles actions ont été menées pour transformer les services de santé universitaires en centres de santé, lesquels proposent des consultations de médecine générale et de médecine spécialisée au plus près des étudiants. De nouvelles actions voient aussi le jour pour promouvoir les comportements favorables à la santé, pour lutter contre les addictions. Elles ont été menées dans le cadre de la création de la Conférence de la prévention étudiante et du service sanitaire étudiant, en faisant le pari que la prévention par les pairs et la co-construction des outils de prévention par les étudiants eux-mêmes étaient la meilleure façon de les impliquer. C'est le rôle aussi des étudiants relais santé, qui sont maintenant présents dans les établissements et qui peuvent donner un premier niveau d'information en répondant aux questions de leurs camarades et en menant des opérations de sensibilisation ainsi que des campagnes d'information.
Sur le plan de la vie des campus, je citerai la création de la contribution de vie étudiante et de campus (CVEC) qui a permis d'injecter 140 millions d'euros supplémentaires par an au service de la culture, du sport, de la santé et des initiatives étudiantes, sans que cela ne pèse sur le budget des boursiers. Parallèlement, nous avons mieux reconnu et valorisé l'engagement des étudiants, que cela soit en tant que volontaire du service civique ou en tant que bénévole dans une association, en leur attribuant des crédits, en reconnaissant les compétences acquises grâce à ces expériences et en augmentant l'indemnité des volontaires en service civique pour tous les étudiants boursiers.
En matière de logement, nous avons simplifié le parcours résidentiel en levant l'obstacle de la caution avec la garantie Visale. Nous avons aussi une ambition de construction dont nous avons essayé d'améliorer le pilotage en mettant en place des observatoires territoriaux du logement étudiant, car il ne suffit pas de construire, mais de le faire là où il y a des besoins identifiés. Nous avons aussi accéléré la rénovation des résidences, notamment des résidences Crous, pour que les chambres de 9 mètres carrés sans douche ni cuisine appartiennent définitivement au passé.
En matière de soutien financier, nous avons instauré le paiement à date des bourses sur critères sociaux. Cela peut sembler une évidence, mais ce n'était pas le cas auparavant. Nous avons aussi créé une nouvelle aide à la mobilité, d'un montant de 500 euros, pour encourager les jeunes qui le souhaitent à rejoindre des lieux de formation parfois éloignés de chez eux et auxquels ils renonçaient jusque-là pour des questions financières. Au-delà de la prise en charge de la majorité du coût de la scolarité par la solidarité nationale, ce sont plus de 2,3 milliards d'euros chaque année qui permettent d'aider les étudiants les plus vulnérables au travers de tout un éventail d'aides qui vont des bourses sur critères sociaux aux bourses au mérite.
Nous avons aussi facilité l'emploi étudiant dans les établissements et dans les Crous, car ce sont des emplois compatibles avec la réussite étudiante, en limitant le nombre d'heures par semaine et en offrant des emplois en lien avec le campus et la vie étudiante. Nous avons également simplifié les formalités administratives, publié toutes les offres sur Jobaviz et recruté massivement des tuteurs et référents cité universitaire.
Plusieurs indicateurs laissaient à penser que ces efforts commençaient à payer. 90 % du parc du Crous est aujourd'hui rénové. Grâce à l'effort engagé pour le transformer et le moderniser, nous atteindrons un taux de rénovation de 95 % à l'horizon 2024. 26 centres de santé ont été créés dans les établissements. La dernière enquête de l'Observatoire national de la vie étudiante, juste avant la crise, soulignait que les étudiants étaient plus satisfaits qu'auparavant de la vie étudiante, plus optimistes et moins exposés aux difficultés financières. Et puis la pandémie est arrivée et a rebattu les cartes en rompant tous ces équilibres subtils : l'équilibre financier de ceux qui dépendaient d'un petit job ou d'un stage rémunéré, l'équilibre social avec une communauté privée de rencontres, d'échanges et d'expériences collectives qui sont essentielles pour se construire et pour apprendre, l'équilibre mental aussi d'une jeunesse qui, en se confinant plus que d'autres classes d'âge, a enduré dans la solitude les incertitudes de la crise et la peur du lendemain.
Pour endiguer cette dégradation brutale, nous sommes venus en renfort sur tous les fronts en essayant de toucher tous les étudiants et en conjuguant à la fois des mesures financières et des actions très concrètes : la montée en puissance des aides ponctuelles, le doublement des aides d'urgence en les rendant accessibles à tous, une attention particulière accordée aux boursiers, la revalorisation des bourses sur critères sociaux, le versement exceptionnel de 150 euros au mois de décembre 2020, des mois de bourses supplémentaires chaque fois qu'il y avait report d'examen ou de stage, le gel des frais d'inscription, l'élargissement des prêts d'études garantis par l'État, la compensation de la perte des petits jobs avec le versement d'une aide exceptionnelle de 200 euros, la création de 20 000 emplois, l'accès facilité aux produits de première nécessité avec le ticket à un euro pour tous les étudiants à partir de janvier et la distribution de protections périodiques gratuites, etc. Contre la souffrance psychologique, nous avons doublé le nombre de psychologues dans les services de santé universitaires (SSU) et facilité l'accès aux soins avec un dispositif en ligne. Pour lutter contre l'isolement, nous avons renforcé l'accompagnement social avec le recrutement de 60 assistants sociaux supplémentaires dans les Crous et 2 600 référents étudiants dans les résidences.
Cette période a été très éprouvante, très intense mais également très riche en expérimentations, en initiatives solidaires et en innovations, tant au niveau national que local. En effet, je n'ai pas évoqué toutes les mesures qui ont aussi été prises directement par les établissements d'enseignement supérieur pour aider leurs étudiants à s'équiper. Je tiens également à souligner l'engagement exceptionnel du Centre national des oeuvres universitaires et scolaires (Cnous) et des Centres régionaux des oeuvres universitaires et scolaires (Crous), dont les résidences n'ont jamais fermé. Les personnels ont toujours été présents et n'ont jamais hésité à faire autre chose que ce que prévoient leurs fiches de poste pour accompagner les étudiants : je tiens à les en remercier très chaleureusement. Nous avons assisté aussi à un lien très étroit avec les collectivités, signe d'une solidarité au service de notre jeunesse dont nous pouvons être collectivement extrêmement fiers.
Je veux aussi souligner l'exceptionnelle mobilisation des étudiants eux-mêmes et du tissu associatif. Des étudiants ont été à chaque instant présents pour les autres. Ils ont inventé des solutions et le rôle de mon ministère a été de les soutenir en finançant leurs actions. C'était également très important pour eux, dans cette période si compliquée, d'avoir la fierté de pouvoir agir pour leurs camarades. Je souhaite redire ici combien je leur rends hommage pour cela.
Nous commençons aujourd'hui à entrevoir la sortie de la pandémie et nous devons tirer les leçons de cette année hors normes. Il nous faut aussi faire la part du contextuel et du structurel afin d'être en mesure d'agir dans la durée, au-delà des mesures d'urgence.
J'ai demandé à un groupe de travail, institué le 28 mai dernier, de mener les consultations aussi larges possible pour préparer la rentrée. Ce groupe de travail mobilise les ministères, les collectivités territoriales, les établissements, les Crous, les personnels et les étudiants. L'objectif est de construire un plan d'action pour la rentrée 2021. Il faut à la fois réparer ce qui a été abîmé et essayer de tirer quelque chose de positif. Pour cela, j'ai demandé à ce groupe de travail de s'intéresser particulièrement à trois enjeux.
Le premier est celui de la normalisation des dispositifs exceptionnels qui ont été mis en place pendant la crise. Quel en est le bilan ? Quels sont les retours d'expérience ? Devons-nous les prolonger ou les transformer ?
Le deuxième enjeu est celui de l'accessibilité et de la visibilité des aides. Les étudiants ne savent pas toujours à quoi ils ont droit. Les critères sont variables entre les aides d'État, les aides locales et les aides des établissements. Pour les aides d'État, nous avons mis en place un simulateur d'aide sur la plate-forme « 1 jeune 1 solution », mais nous voyons bien qu'il existe des inégalités territoriales dans l'accès à certains services (restauration, services de santé, etc.). Dans ces domaines, nous devons tirer parti de l'expérience menée avec la plate-forme dématérialisée de consultation par des psychologues. Nous devons aussi nous pencher sur une offre de télémédecine afin de pouvoir offrir des services partout.
Le troisième enjeu, directement lié au précédent, porte sur la complémentarité des initiatives et sur la coordination de l'ensemble des acteurs engagés. L'esprit d'équipe a été unanimement salué comme un aspect positif du bilan de la crise. Certains Crous ne parlaient pas à leur université, des bureaux d'aide psychologique universitaires (BAPU) ne connaissaient pas les services de santé, des associations étudiantes n'avaient jamais travaillé avec les collectivités territoriales... Pendant la crise, l'échange a été extrêmement intense car tous les intervenants portaient la même ambition. Sur la période, la collaboration a été exceptionnelle entre le ministère et les présidents d'université, avec les acteurs locaux, les collectivités, les Crous, les SSU, les équipes pédagogiques, les équipes administratives, les associations, les organisations étudiantes. Chacun a été au rendez-vous dans son champ d'action respectif avec une forme de complémentarité, sans redondance. Je crois que c'est un capital à conserver en pérennisant ces espaces de dialogue et de coordination. C'est l'objet des conférences territoriales de la vie étudiante lancées en décembre 2020 et qui vont se poursuivre de manière à continuer à porter cette dynamique d'échange et de coordination, mais aussi de mise en visibilité de la vie étudiante.
Ces points entrelacent les problématiques du logement, de la restauration, de la santé, de la réussite, de la vie sociale. Finalement, tout cela donne enfin une vision réelle et globale de ce qu'est un étudiant. Pour moi, c'est la clé de l'enseignement supérieur. Nous devons donc garder ce cap et, pour cela, relever deux grands défis.
Le premier est celui des conditions d'études. Il faut continuer à les moderniser pour les inscrire dans la durabilité, dans l'innovation, dans la solidarité. Il faut des campus mieux équipés, car personne ne sait si nous n'aurons pas à recourir de nouveau à la formation à distance. Cependant, nous pourrons aussi utiliser ces équipements pour d'autres formes de pédagogie. Il nous faut aussi des campus plus écologiques. C'est très important pour les étudiants eux-mêmes, extrêmement sensibles à cette question. Une somme de 1,3 milliard d'euros du plan de relance a été consacrée au financement de plus de 1 000 projets de rénovation énergétique, d'équipement pour l'enseignement supérieur, pour la recherche, pour la vie étudiante, pour les restaurants universitaires, pour les logements, etc. C'est quasiment un doublement du contrat de plan État-région 2021-2027. Il faut que nous sachions tirer le meilleur parti du numérique pour enrichir les pédagogies et redonner toute sa force au présentiel. Que les choses soient claires, nous préparons une rentrée en présentiel. Cependant, nous ne savons pas de quoi l'avenir sera fait et nous avons donc appris à être extrêmement prudents. Par ailleurs, nous nous sommes rendu compte aussi que la technologie, la formation à distance, le numérique pouvaient enrichir les enseignements. Nous devons donc former mieux et plus les enseignants chercheurs qui veulent développer cette pédagogie.
Aujourd'hui, force est de reconnaître que le rapport est ambigu vis-à-vis des technologies numériques. D'un côté, tout le monde est conscient que c'est grâce à elles et parce que nous avons déjà investi plus de 35 millions d'euros pour soutenir l'hybridation des formations que la continuité des parcours a été assurée pendant la crise. D'un autre côté, les professeurs comme les étudiants sont las des formations à distance et les associent au délitement du lien social.
Nous devons par conséquent essayer de dépasser ce sentiment et regarder ce que les technologies numériques ont à offrir, sans les considérer comme un simple palliatif à l'enseignement en présentiel. Je suis convaincue qu'elles sont un véritable atout pour la personnalisation des apprentissages et pour aider à lutter contre l'échec. Certains étudiants m'ont dit qu'ils pouvaient passer 7 heures sur un cours de 1h30 car ils faisaient des pauses à chaque fois qu'ils ne comprenaient pas une notion et qu'ils effectuaient des recherches complémentaires. C'est évidemment terrible pour les yeux, le dos, le moral, mais c'est aussi un exemple qui montre que les cours en ligne offrent aussi la possibilité d'approfondissement.
Nous avons lancé une stratégie d'accélération financée par le programme d'investissement d'avenir « Enseignement et numérique ». Ces outils sont essentiels tant pour la formation continue que pour la formation tout au long de la vie : nous devons aussi les penser dans cette dynamique. C'est aussi ce qui nous a permis d'ouvrir des tiers lieux comme les campus connectés ou les campus du Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), qui ont permis aux étudiants éloignés des métropoles universitaires et qui ne pouvaient pas ou ne souhaitaient pas se déplacer d'accéder à l'enseignement supérieur. Ces campus ont aussi été très utiles aux étudiants qui avaient rejoint leurs familles dans des endroits parfois isolés mais qui avaient à proximité un campus connecté. Ils pouvaient ainsi aller suivre les cours de leur université dans un lieu où le lien social était possible. Évidemment, nous ne devons pas tout baser sur les innovations technologiques, mais nous devons tirer profit de tout ce qui a été créé et construit pendant cette période compliquée.
Le deuxième axe de travail est celui de la bienveillance. Je crois que ce qui fait la grandeur de l'enseignement supérieur est sa capacité à être universel et à faire que chacun se sente à sa place et s'épanouisse, quels que soit son histoire ou son projet. Cela passe par le respect inconditionnel des autres. Il ne doit être laissé aucune place à la discrimination, au harcèlement et à la maltraitance. L'actualité des derniers mois montre que les violences sexistes et sexuelles existent aussi à l'université : elles doivent y être combattues là aussi avec la plus grande fermeté. Nous avons engagé un plan de lutte contre ces phénomènes, qui sera dévoilé cet été. Il s'appuiera sur la formation des personnels et des étudiants, sur la professionnalisation des dispositifs de signalement, sur la communication et la valorisation des initiatives étudiantes. Nous y ajouterons un volet juridique pour aider les jeunes à déposer un signalement à la justice : on ne peut dans ce domaine se contenter de faire preuve d'empathie.
Tout cet ensemble sera articulé avec les initiatives prises antérieurement dans le champ des études de santé pour contrer aussi une souffrance qui peut avoir de nombreuses causes, y compris la pression psychologique sur les lieux de stage. Comme nous avions commencé à travailler avec les étudiants en santé sur cette thématique, nous généraliserons ce dispositif aux autres champs dans l'objectif d'une tolérance zéro sur les méconduites et les agressions.
La vie étudiante a été fragilisée pendant ces longs mois de crise. C'est pour cela que j'ai défendu avec force la possibilité que les étudiants puissent se rendre sur les campus dès janvier et un peu plus souvent à partir de février. Aujourd'hui, le défi est de penser des protocoles qui permettront d'organiser une rentrée à 100 % en présentiel. Nous allons quand même anticiper le pire et continuer de renforcer les équipements et les formations. Nous souhaitons aussi donner un nouveau souffle à la vie étudiante et tirer parti de toutes les adaptations trouvées pendant la crise. Les étudiants devront jouer eux-mêmes le premier rôle dans cette renaissance de la vie étudiante. Le plan d'action portera sur tous ces sujets et il est désormais en route.
Nous devons aussi penser aux étudiants en situation de handicap. Leur effectif a quadruplé en 15 ans dans l'enseignement supérieur. Avec Sophie Cluzel, nous avons installé au mois de mai le comité national de suivi de l'université inclusive. Nous avons vu que la formation à distance et certains types de pédagogie permettaient de mieux accompagner les étudiants quand ils en ont besoin. Nous travaillons sur ce continuum.
C'est un regard panoramique sur des parcours étudiants aux dimensions multiples mais interconnectées que nous devons conserver à l'issue de cette crise. Nous devons encourager les acteurs à travailler ensemble, remettre l'étudiant au centre des dispositifs, redonner aux étudiants le pouvoir d'agir. Il faut aussi dépasser des représentations. L'étudiant n'est pas un élève, il n'est pas un lycéen qui a vieilli, c'est un jeune adulte en quête d'autonomie : c'est aussi cette réalité que nous devons garder à l'esprit pour refonder les modalités de la vie étudiante et pour faire de cette crise une opportunité. Les études doivent être un véritable levier d'émancipation et de réussite pour l'ensemble de notre jeunesse.
M. Pierre Ouzoulias, président. - Madame la ministre, je retiens votre formule : un étudiant n'est pas un lycéen qui a vieilli !
M. Stéphane Piednoir. - Madame la ministre, je suis ravi que nous puissions terminer ce cycle d'auditions en écoutant votre présentation des mesures qui ont été déployées. Ces aides ont contribué à une forme de continuité pour les étudiants. Au moment de l'annonce du premier confinement, nous n'imaginions pas que la crise durerait aussi longtemps.
Je ne vais pas revenir sur vos annonces mais je note celle qui concerne les conférences territoriales ainsi que votre réflexion sur la pérennisation des aides.
Je souhaite mettre l'accent sur deux points. Le premier concerne la qualité des campus. Lorsque nous avons entendu l'association des villes universitaires de France (Avuf), nous avons vu que la qualité des campus était perfectible et que seulement 17 % des étudiants considéraient que les campus des universités françaises constituaient un véritable atout. Sans doute y a-t-il beaucoup de chemin à faire pour les moderniser et pour en faire de vrais lieux de vie. Par ailleurs, un tiers du patrimoine universitaire est dans un état assez déplorable. Faut-il envisager un nouveau plan campus ? Faut-il un circuit de dévolution accentué ? Certaines universités le réclament. Faut-il envisager de nouveaux outils pour mener de nouvelles politiques publiques, par exemple pour la rénovation des bâtiments universitaires ?
Mon deuxième focus a trait à la santé mentale. Les primo-entrants à l'université en septembre 2021 auront vécu deux années en mode dégradé, voire très dégradé. À titre personnel, j'aurais été favorable à un retour en présentiel plus précoce et plus massif. Quel type d'accompagnement sera proposé à ces primo-entrants, y compris au niveau académique, car les parcours au lycée ont été extrêmement perturbés ?
M. Christian Redon-Sarrazy. - Comme vous l'avez dit, madame la ministre, les conditions de vie des étudiants sont essentielles pour leur réussite. Il existe des facteurs exogènes à l'université (logement, santé, culture, sport, etc.), mais aussi des facteurs endogènes, en particulier les conditions de réussite des études. La réussite est précisément l'objectif premier de tous ceux qui s'inscrivent à l'université. Mais elle dépend beaucoup des moyens que les universités sont en capacité de mobiliser, notamment pour la formation des étudiants, et en particulier les taux d'encadrement.
Permettez-moi aujourd'hui d'être inquiet sur ces moyens, plus précisément en ce qui concerne les postes d'enseignants chercheurs et d'enseignants. Eu égard aux besoins supplémentaires qui sont apparus avec la crise sanitaire, par exemple en termes d'innovation pédagogique, de nouveaux moyens matériels sont nécessaires, mais aussi de nouveaux moyens en ingénierie. Des réponses avaient été apportées avant la pandémie avec de nombreux appels à projets et de nouveaux cursus universitaires, mais le bilan de ces projets est contrasté. Sommes-nous certains que tous les étudiants, dans tous les territoires, qu'ils soient à Thionville, à Tarbes, à Tulle ou à Vichy, auront accès aux mêmes moyens ? Nous voyons fleurir de très belles expériences comme celle de Strasbourg, avec des Learning Labs et des moyens pédagogiques innovants tout à fait remarquables. Malheureusement, ce n'est pas le cas partout. De plus, toutes les propositions soumises lors de l'appel à projets n'ont pas été retenues. Certaines sont restées sur le bord de la route. Que sera-t-il fait pour que ces sites soient mis à niveau ? En outre, le mécanisme de l'appel à projets constitue souvent une prime à celui qui a déjà été servi, puisque les premiers lauréats sont souvent mieux outillés pour remporter par la suite un autre appel à projets.
Mme Laure Darcos. - Je tiens tout d'abord à vous informer que nous allons réunir demain 300 collégiens du plateau de Saclay pour un direct avec Thomas Pesquet. C'est un événement exceptionnel que je ne manquerais pour rien au monde ! Je suis ravi que soit organisée cette rencontre avec les collégiens de mon territoire.
Madame la ministre, sur la question de la santé, nous avons été alertés sur les conséquences d'un an et demi de visioconférence, notamment sur la santé des yeux. Or les consultations d'ophtalmologie sont coûteuses et il n'est pas toujours facile pour un étudiant d'accéder aux soins. Il n'est pas non plus facile pour les étudiants d'accéder à un rendez-vous, tant cette spécialité est en tension dans beaucoup de territoires.
Je veux aussi insister sur les expériences incroyables lancées sur des campus en province. Je me souviens de l'enthousiasme du président de l'université de La Rochelle ; je retiens également les atouts de l'institut national universitaire Champollion d'Albi, présent sur trois sites différents. La crise a souligné l'importance du cadre de vie pour les jeunes, sachant par ailleurs qu'au cours du premier cycle on peut faire de bonnes études à peu près partout. Les contrats de plan État-Région (CPER) à venir pourraient-ils porter des éléments de cette nature, sachant que certaines villes ne se donnent pas les moyens de développer des campus où la vie étudiante sera au coeur des préoccupations ?
Vous avez parlé des tiers lieux. Il se trouve qu'un maire m'a sollicitée pour savoir s'il pourrait avoir l'autorisation d'ouvrir de telles salles afin de réunir des jeunes et de leur permettre de travailler ensemble. Ces locaux présentent un intérêt certain en termes d'émulation et de convivialité. La question de l'autorisation se pose, car certains préfets ont pu être assez stricts.
À Nanterre où nous sommes allés récemment, nous avons noté des difficultés pour améliorer l'accessibilité de certains locaux aux personnes en situation de handicap. En deux ans, le nombre d'étudiants en situation de handicap y est passé de 202 à 750 alors que leur budget est resté constant. Ces aménagements doivent-ils être abordés dans le cadre des CPER ?
Mme Sonia de La Provôté. - Je souhaite revenir sur une étude réalisée deux mois après le premier confinement auprès de 70 000 jeunes d'un âge médian de 20 ans. De cette étude, il ressort que 43 % déclaraient un trouble de santé mentale, 11 % des idées suicidaires, 22 % une détresse profonde, 25 % un niveau élevé de stress, 16 % une dépression sévère et 28 % un niveau d'anxiété élevé. Les choses ne se sont pas améliorées depuis !
S'agissant de la rentrée universitaire, avez-vous fixé un calendrier pour fixer le cadre de cette rentrée, dont on dit qu'elle pourrait être le moment d'une quatrième vague ? J'ai entendu dire que des consignes avaient été données aux rectorats pour anticiper le fait que la rentrée pourrait s'organiser dans des conditions anormales et, au mieux, dans des conditions associant présentiel et distanciel. Travaillez-vous à l'élaboration d'un cadre minimal d'organisation qui respecte l'autonomie des universités ?
Nous nous interrogeons aussi sur le devenir des grands amphithéâtres. La crise que nous traversons tend plutôt à privilégier les petits groupes et les enseignements dirigés. Si c'est l'orientation choisie, cela suppose de grands investissements.
Par ailleurs, en matière de santé, est-il prévu une stratégie ferme et structurée en matière d'autotests et de vaccination ?
Finalement, le conjoncturel pourrait devenir une forme de fonctionnement, certes impromptue et non permanente, mais récurrente. Le conjoncturel pourrait ainsi s'apparenter à un structurel intermittent. Un cadrage semble nécessaire dans tous les domaines d'action, notamment s'agissant du dialogue entre les composantes universitaires, qui n'a pas toujours été simple à mettre en place, et des services en charge des parcours d'études, dont le rôle est devenu absolument majeur pour les étudiants. Il a été leur îlot de sauvetage dans bien des situations ! Il faut donc repenser la place de ces services liés à la scolarité au niveau administratif et, plus globalement, dans le fonctionnement universitaire.
Je reviendrai aussi sur la réforme de l'accès aux études de santé. Le premier ministre a annoncé le 2 juin des mesures complémentaires en faveur de sa mise en oeuvre. Un décret a été publié le 15 juin en Conseil d'État. Vous avez répondu que les commissions exceptionnelles n'étaient pas encore en place. Cependant, une date peut-elle être avancée ? Je peux témoigner d'un certain nombre de dysfonctionnements. Dans certaines universités, 48 heures avant, aucune convocation n'avait été reçue en vue des oraux. Dans d'autres, les résultats ont été retirés. Je peux citer cinq universités où ces faits se sont produits. Des retards dans les annonces ont été constatés dans plusieurs universités, avec une information prévue en juillet. Par ailleurs, les places attribuées avant le 30 juin en L.AS 2 n'ont pas été publiées non plus. Clairement, c'est un sujet à traiter. Même s'il est peu probable que ces commissions exceptionnelles soient la clé de tout, elles pourraient permettre d'envisager des redoublements ou de neutraliser la première chance, voire d'accorder un passage exceptionnel en MMOP (médecine, maïeutique, odontologie et pharmacie) dans certaines conditions. Or dans certaines universités, on annonce aux étudiants et à leurs parents que ces commissions ne seront pas mises en place faute de consignes.
Mme Monique de Marco. - Madame la ministre, je souhaite pour ma part que vous reveniez sur le bilan des mesures covid, car vous n'avez pas complètement répondu au président Lafon sur ce point. Je comprends qu'un groupe de travail a été mandaté pour préparer la rentrée. À quelle date ce bilan pourra-t-il être présenté ? Quand sera-t-il possible de connaître les mesures conservées ou améliorées ? Je souhaite insister plus particulièrement sur le sujet de la détresse mentale des étudiants. Le chèque d'accompagnement psychologique a montré son inefficacité, puisque seuls 900 étudiants l'ont demandé sur plus de 2,7 millions d'étudiants. La procédure administrative était très complexe et mérite à mon avis des améliorations.
Lors des travaux de notre mission d'information, nous avons aussi noté toutes les difficultés que rencontrent les étudiants pour se loger. Les APL sont insuffisantes. Au-delà de la rénovation des logements des Crous, je continue de m'interroger sur l'avancement du plan portant sur la construction de 60 000 logements étudiants, d'autant plus nécessaires qu'il est extrêmement difficile de trouver un logement à un coût raisonnable dans certaines métropoles.
Enfin, dans la suite de l'annonce faite par le Président de la République, avez-vous des informations à nous apporter sur les modalités d'attribution des bourses ?
M. Hussein Bourgi. - Mon intervention portera sur deux points. Le premier concerne la réaction du ministère et de ses équipes lorsque le premier confinement a été décidé. Je suis élu du département de l'Hérault et, sans vous faire offense, j'ai eu l'impression que vous n'aviez pas forcément mesuré la gravité de la situation. Du jour au lendemain, les restaurants universitaires ont fermé. Je le concède, les cités universitaires sont restées ouvertes, mais pas les restaurants universitaires. Les étudiants se sont donc retrouvés complètement démunis, livrés à eux-mêmes du jour au lendemain. La décision prise à l'égard des restaurants a été appliquée aux restaurants universitaires comme s'il s'agissait de brasseries. C'est alors que les collectivités locales - la région Occitanie, la ville de Montpellier - ont volé au secours des étudiants. Mais nous avons été confrontés à une difficulté. Nous siégeons au conseil d'administration du Crous et au conseil d'administration des universités, mais nous n'avons pas les fichiers et les contacts nécessaires pour proposer une aide aux restaurants. Il y a donc des marges de progression dans ce domaine : le rôle d'une région n'est pas uniquement de signer un contrat de plan État-Région, de siéger une fois par trimestre au conseil d'administration du Crous et une fois tous les deux mois au conseil d'administration des universités ! Ce n'est pas ce que l'on peut qualifier de relation partenariale.
Deuxièmement, je reconnais - quand les choses sont positives, je le dis - que les mesures prises ont été particulièrement bienvenues. Je pense notamment au repas à un euro, très bien accueilli dans les grandes métropoles urbaines. En revanche, dans les départements ruraux, notamment en Lozère où il n'existe pas de restaurant universitaire, des étudiants qui se sentaient oubliés ont appelé à l'aide sur les réseaux sociaux. Il y a eu les oubliés du Ségur de la santé, il y a eu aussi les oubliés du repas à un euro dans ces villes moyennes et ces territoires ruraux où il n'existe pas de restaurant universitaire. Dans ces territoires, il a fallu attendre pour que des conventionnements se mettent en place. Les étudiants des grandes métropoles peuvent se retourner vers les bureaux des étudiants (BDE), faire appel aux corporations, aux syndicats et aux associations étudiantes - que je souhaite saluer avec vous pour leur action de terrain - tandis que les étudiants des villes moyennes n'ont aucun relais. C'est la France à deux vitesses.
Par ailleurs, le chèque permettant d'obtenir un soutien psychologique est une bonne chose, cependant force est de reconnaître que le nombre de psychologues est très inférieur aux besoins. De plus, les services de médecine préventive dans les universités ne sont pas au niveau attendu. Je considère que la crise que nous traversons ensemble doit nous obliger à tirer des leçons pour l'avenir. Notre pays n'était pas préparé à faire face à cette crise : je nous englobe dans ce constat, mais votre ministère singulièrement n'était pas préparé. Nous devons tirer les leçons de cette crise dans l'hypothèse d'une deuxième pandémie.
Je souhaite aussi attirer votre attention sur deux catégories d'étudiants que vous n'avez pas évoquées dans votre propos : les étudiants ultramarins et les étudiants internationaux, qui se sont trouvés « assignés à résidence ». Contrairement à d'autres étudiants, ils n'ont pas pu rentrer chez eux. Ceux qui habitaient dans une résidence universitaire pouvaient bénéficier d'une vie collective, mais ceux qui résidaient dans un logement privé en ville se sont trouvés isolés, faute de pouvoir aller en cours et faute de camarades avec qui discuter dans le même immeuble. Ce sont ces étudiants que j'ai rencontrés sur le terrain et dont j'ai pu mesurer la grande souffrance psychologique : ils étaient à la fois inquiets pour eux-mêmes, pour leurs études mais aussi pour leurs parents qui avaient misé sur eux. Je pense notamment aux étudiants internationaux, dans la mesure où les études en France représentent un budget conséquent : lorsqu'une famille se sacrifie pour qu'un enfant fasse des études en France, mais qu'il existe une incertitude sur le fait que ces études aboutissent à un diplôme, de vraies angoisses voient le jour.
Je terminerai mon intervention en évoquant la situation des étudiants en médecine qui aujourd'hui crient leur inquiétude et leur détresse. Tout le monde s'accorde à dire que la réforme des études de santé arrive au mauvais moment en raison du contexte sanitaire. Beaucoup soulignent aussi que les études d'impact n'ont pas été clairvoyantes. Aujourd'hui, nous sommes face à un problème qu'il nous faut résoudre ensemble. Sur le territoire de l'ex-région Languedoc-Roussillon, la faculté de médecine affirme pouvoir proposer 360 places, mais les arbitrages aboutissent à 320 places, sans que l'on comprenne les raisons du gel des 40 places possibles. Les universitaires que j'ai rencontrés sur le terrain me parlent d'un dialogue de sourds. L'issue de cette crise serait que les arbitrages du gouvernement soient invalidés par le Conseil d'État. Je trouve regrettable que l'on en soit là alors que le sujet est la précarité étudiante, leur inquiétude et leur anxiété pour l'avenir. Dans un pays comme le nôtre, nous devrions être capables de nous parler et de faire un pas les uns vers les autres. Tout le monde aurait à gagner d'un dialogue constructif et de l'écoute de la parole des étudiants.
M. Laurent Lafon, rapporteur. - Je souhaiterais ajouter deux questions complémentaires. Premièrement, nous avons été favorablement impressionnés par les initiatives menées dans certaines villes moyennes, qui ont mis en place des parcours étudiants très intéressants adaptés à un premier cycle. Ce sont aussi des formules intéressantes pour les étudiants les plus jeunes qui peuvent avoir davantage besoin d'être à proximité de leur milieu familial. Évidemment, ce schéma repose sur un partenariat fort avec les collectivités locales. Où en êtes-vous sur ce sujet, notamment par rapport aux Crous ? Je sais que certaines collectivités seraient prêtes à aller plus loin, notamment pour proposer des solutions de restauration.
J'aimerais également évoquer le rapport sur la diversité sociale et territoriale de l'enseignement supérieur. Quel est votre point de vue sur le prêt contingent, qui fait partie des pistes évoquées par ce rapport de Martin Hirsch, notamment pour les élèves des grandes écoles dont les frais de scolarité sont élevés : cette formule vous semble-t-elle pertinente ? Le rapport évoque également le statut de l'étudiant salarié, qu'il faut faire évoluer : qu'en pensez-vous ?
Mme Frédérique Vidal, ministre. - Je vais commencer par la question du logement, ce thème étant revenu plusieurs fois dans vos interrogations.
Il faut le reconnaître : nous aurons beaucoup de mal à atteindre les objectifs du plan « 60 000 logements étudiants », et cela d'autant plus que le programme de rénovation des logements Crous a diminué les capacités d'accueil. Plusieurs raisons peuvent être invoquées pour expliquer l'écart par rapport à l'objectif. La première raison tient au foncier. Par ailleurs, le contexte des élections municipales ne nous a pas aidés. Quelques villes sont totalement réticentes à l'installation d'étudiants sur leur territoire. Elles veulent bien des résidences étudiantes, mais à la périphérie de leur commune. La pandémie a aussi joué un rôle. L'écart entre les objectifs et les réalisations tient également à la frilosité des bailleurs.
Nous avons pris des mesures pour relancer le processus. Nous avons d'abord modifié par décret les aides à l'investissement pour la construction, l'amélioration et l'acquisition de logements locatifs à la suite de la loi ELAN, avec la possibilité de réserver des programmes pour les jeunes de moins de 30 ans. Nous avons aussi élargi le périmètre de capacité à construire des résidences étudiantes à d'autres types de bailleurs. Nous avons enfin transformé le bail de mobilité avec une clause de non-solidarité en cas de colocation.
Une question a été posée par le sénateur Stéphane Piednoir sur l'attractivité des campus français par rapport à d'autres modèles étrangers de campus. En France, il existe deux grands modèles : celui du campus excentré en sortie de ville, qui offre la possibilité d'y construire notamment des logements, et celui du campus de coeur de ville. Certaines universités peuvent ainsi avoir 55 sites d'implantation, tandis que d'autres n'ont que deux campus. Bien évidemment, les deux modèles ne peuvent pas être gérés de la même manière. Je crois donc qu'il y a un vrai travail à mener sur les questions de plan local d'urbanisme (PLU) avec les collectivités. Dans le cadre des dialogues stratégiques des établissements, des accords doivent être trouvés afin de pouvoir opérer des regroupements. Nous devons aussi accentuer la dévolution. J'ai d'ailleurs lancé une troisième vague de dévolution. Cependant, nous devons aussi nous montrer prudents car beaucoup d'universités ont été construites rapidement au début des années 70 et auront simultanément des besoins de rénovation et réhabilitation. Au-delà des montants en jeu, il faudra aussi s'assurer que l'établissement dispose de la compétence en gestion du patrimoine. Nous nous penchons donc sur la possibilité de dévolution partielle. J'espère aussi que la loi 4D permettra de poser le principe de sociétés d'économie mixte permettant aux collectivités et régions qui en ont les compétences de prendre en charge ces missions. Dans le cadre des contrats de plan État-Région, il existait déjà ces montages avec des collectivités maîtres d'ouvrage ou maîtres d'oeuvre. Cependant, en cas de dérives, elles doivent en assumer les conséquences.
Sur ces sujets, le problème est identifié, il est complexe. Nous lançons une troisième vague de dévolution et nous autorisons la dévolution partielle afin de mener des expérimentations sur de petits volumes. Grâce à la dévolution, nous pourrons aussi mettre à profit des surfaces sur les campus pour y développer du logement étudiant.
Nous réfléchissons à la possibilité du prêt contingenté. C'est une idée, mais elle ne peut pas être le seule financement. En effet, je crois que la capacité à souscrire un prêt pour financer ses études, quand on vient d'une famille où personne n'a fait d'études supérieures, nécessite une certaine confiance dans l'avenir ; or cette capacité à s'endetter pour préparer l'avenir ne me semble pas partagée par tous les étudiants. C'est donc une solution, mais elle ne peut pas être la seule car elle est trop restrictive.
Je suis favorable au développement de l'emploi étudiant, à condition de ne pas franchir deux lignes jaunes : d'une part, le volume horaire par semaine ; d'autre part, la simplicité des démarches. En effet, il semble difficile de dépasser 12-15 heures de travail par semaine sans sacrifier une partie de ses études. Pour les présidents d'université, faire travailler un étudiant 4 heures par semaine ne doit pas nécessiter des démarches trop longues. Pour simplifier drastiquement ces conditions, une réflexion doit être engagée avec le ministère du travail et avec le ministère des solidarités et de la santé. Je ne peux pas dire si la solution est d'exonérer de cotisations ou s'il faut passer par l'équivalent d'un chèque emploi service pour les étudiants. Je travaille sur cette thématique depuis quelque temps et nous devrons aboutir, car l'emploi étudiant participe aussi à la vie du campus.
Pour ce qui concerne la réforme des bourses sur critères sociaux, rappelons que les pays du nord sont des pays où l'on met en avant l'autonomie du jeune, que les pays du sud sont des pays où les politiques sociales sont familiales et que la France se situe entre les deux. En effet, une partie des aides est individuelle tandis que d'autres dépendent de la famille. C'est le premier choix à faire et, en fonction de ce choix, nous pourrons décliner des solutions en vue d'une réforme profonde et structurelle. Pour cela, il faudra aussi privilégier un guichet unique. Dans ce domaine, des expérimentations ont été lancées avec des régions qui prennent en charge les bourses sur critères sociaux pour certaines formations, comme les IFSI, en coopération avec les Crous.
Concernant la santé mentale des étudiants, plus de 6 700 étudiants ont utilisé le système de consultation en ligne pour plus de 18 000 consultations. Plus de 1 300 professionnels ont accepté d'être inscrits sur la plate-forme. Au-delà du renforcement de la présence des psychologues dans les SSU, nous voulions aussi faciliter l'accès quel que soit l'endroit. On m'a souvent fait remarquer que les démarches étaient compliquées car il fallait passer par un médecin, mais cette consultation est nécessaire pour déterminer si la prise en charge est psychologique, psychiatrique ou médicamenteuse. Cette orientation est un acte médical et c'est donc dans un parcours de soins que l'on doit placer cette mesure. C'est une mesure que nous maintiendrons, peut-être en l'améliorant encore un peu, car la détresse psychologique ne va pas retomber du jour au lendemain. Elle a été presque plus visible au début de l'année universitaire qu'à la fin du premier confinement. Nous devrons aussi avancer sur la télémédecine car nous ne pourrons pas installer des SSU partout. Par ailleurs, les BAPU ne dépendent pas des universités, même s'ils se sont mis à travailler avec les universités.
Vous m'avez aussi interrogée sur le calendrier des annonces. Je suppose que des annonces seront faites au mois de juillet. Je peux d'ores et déjà vous dire que nous poursuivrons l'aide psychologique et que nous maintiendrons certainement le système des tuteurs. C'est aussi grâce à ce dispositif que nous pourrons mieux accueillir les étudiants qui entameront à la rentrée de 2021 une première année d'enseignement supérieur après une année de terminale difficile, même si le Bac 2020 était encore plus compliqué. J'ai aussi déjà annoncé que nous n'augmenterions pas le prix de la rentrée universitaire ni le prix des chambres universitaires.
Nous espérons tous ne pas revivre une quatrième vague à la rentrée 2021. Le pire n'est jamais certain mais nous devons nous y préparer et nous sommes en train de recenser les besoins d'équipements des établissements. Il ne s'agit plus d'appel à projets mais d'équipement. Cependant, soyons clairs, s'il n'y a pas de porteurs de projets, s'il n'y a pas d'équipes ayant envie de se former ou de changer complètement leur façon d'enseigner, alors il ne suffira pas d'avoir des vidéoprojecteurs de dernière génération ! L'un des intérêts de l'appel à projets est que des personnes qui ne se parlaient pas au sein d'un établissement s'associent pour y répondre. L'été dernier, nous avons accordé des financements à tous ceux qui avaient porté une initiative.
Force est de reconnaître que la relation à l'enseignement numérique est encore ambiguë et que les équipes ont besoin de prendre du recul. Nous notons aussi que des conférences de doyens, comme Sciences et techniques des activités physiques et sportives (Staps) et Méthodes informatiques appliquées à la gestion des entreprises (Miage), ont construit une offre de formation modulaire.
Vous m'avez interrogée sur les autotests, mais ceux-ci sont déjà livrés dans les établissements. Plusieurs établissements ont proposé la possibilité de réaliser des RT PCR dans leurs murs, mais les étudiants peuvent aussi se faire tester dans une pharmacie ou dans un autre lieu, comme tout autre adulte. Ce qui est important, c'est que nous ayons des autotests disponibles. Nous n'allons pas imposer un autotest avant d'entrer en salle de cours. Il en est de même pour les vaccins. En revanche, nous ferons en sorte que les étudiants internationaux qui viennent de pays où la vaccination est peu avancée puissent se faire vacciner. Toutes ces mesures sont en train d'être travaillées.
En ce qui concerne les études de médecine, le décret en Conseil d'État a été enregistré le 7 juin. Toutes les universités ont été prévenues par courrier. L'arrêté sortira vendredi ou lundi. Je confirme que les résultats ont été retardés car des sessions de rattrapage sont prévues parmi les mesures. Or les résultats ne peuvent pas être publiés tant que l'on n'a pas fait passer les sessions de rattrapage ! Espérer que le Conseil d'État casse le système, il faudra l'expliquer aux 2 000 jeunes supplémentaires qui accéderont aux études de santé cette année ! Ils seront 16 500 en 2021 contre 14 000 en 2020. Ils seront plus de 10 600 à entrer en médecine, soit 1 750 étudiants de plus que l'année dernière. Je peux comprendre que cela a été compliqué et que les informations ont été difficiles à obtenir. De plus, les professeurs de faculté sont des praticiens hospitaliers, or chacun sait la situation de l'hôpital au cours des derniers mois. Je souhaite aussi être très claire et rappeler que ce n'est pas le ministère qui fixe le nombre d'admis. Aussi, quand on vous dit que 360 places sont possibles mais que le ministère limite ce chiffre à 320, c'est totalement faux. Ce que nous avons fixé avec le ministère des solidarités et de la santé, c'est la barre en dessous de laquelle on ne peut pas descendre : c'est le principe même du numerus apertus.
De la même façon, nous avons fixé un numerus apertus pour l'année prochaine et, en aucun cas, il ne pourra y avoir moins d'étudiants que cette année. Il sera possible de faire plus mais cette discussion devra être menée entre l'université et l'agence régionale de santé (ARS). Pour finir, il n'est pas possible de dire que c'est une question de moyens, car plus de 19 millions d'euros sont prévus pour accompagner cette réforme.
Les mentalités doivent aussi évoluer, car il y a sans doute un certain nombre de personnes qui considèrent que le système qu'ils ont connu lors de leurs études de médecine était le seul qui soit bon pour devenir médecin. J'ai entendu ce type de commentaires ; j'ai entendu aussi certains espérer un échec de la réforme pour revenir au système antérieur. Cependant, je vous le confirme : nous n'allons pas revenir en arrière. Nous n'allons pas revenir à des questionnaires à choix multiple (QCM) stupides !
Sur la question des repas à un euro, nous avons passé des conventions. Il est vrai que la première a été un peu complexe, car personne n'avait jamais conventionné pour utiliser des cantines non universitaires. Depuis, nous en avons signé beaucoup, hormis peut-être pour 7 ou 8 sites. Nous vérifierons que nous avons signé une convention à Thionville car nous y installons un institut universitaire de technologie (IUT).
Des mesures spécifiques proposées par le ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation (MESRI) et le ministère des outre-mer ont concerné les étudiants ultramarins, avec notamment des aides pour prendre en charge le billet d'avion. Vous avez raison de souligner le drame absolu qu'ont connu les étudiants internationaux. C'est pour cela que nous avons ouvert et doublé toutes les aides spécifiques, car ce sont les seules aides auxquelles ils ont droit. 70 % des étudiants qui sollicitent ces aides sont des étudiants internationaux. Ces étudiants étaient dans une détresse multiple, car ils étaient par définition loin de chez eux, ils se faisaient du souci pour leur famille, ils craignaient, s'ils retournaient chez eux, de ne pas pouvoir revenir en France. C'est aussi pour cela que je me suis toujours attachée à dire, avec les établissements, qu'il n'y aurait pas de diplôme dégradé et que l'année serait validée. Une « année blanche » était hors de question.
Pour répondre à vos questions sur le patrimoine à rénover, le montant de 1,3 milliard d'euros couvre à la fois des travaux de rénovation énergétique et des travaux de mise en conformité des bâtiments pour qu'ils soient accessibles aux personnes en situation de handicap. Dans ce domaine, nous avons utilisé au maximum les possibilités offertes par le plan de relance.
Je pense que nous avons autorisé toutes les demandes de tiers lieux en lien avec l'enseignement supérieur, qu'il y ait eu financement ou non, labélisation ou non. Je pense que votre question renvoyait aux tiers lieux généraux, qui relèvent des préfets.
Enfin, en réponse à votre question sur la vision, il faut tout d'abord rappeler que nous manquons d'ophtalmologistes en France. Le dispositif mis en place à un euro fonctionne désormais et les étudiants peuvent y avoir accès, mais il faut qu'ils pensent à consulter. Il est aussi essentiel d'utiliser les fonds non utilisés en 2020 pour mettre en place prioritairement les centres de santé.
M. Pierre Ouzoulias, président. - Merci madame la ministre, je pense avoir donné la parole à tous les groupes - hormis au mien. Notre collègue Bernard Fialaire souhaite poser une dernière question.
M. Bernard Fialaire. - Nous avons parlé de territorialisation et de numérique mais qu'en est-il des campus connectés ?
Mme Frédérique Vidal, ministre. - Les campus connectés sont un vrai succès. Cette formule, qui relève du « sur-mesure », est plébiscitée par les jeunes. Dans certaines villes où nous avons installé des campus connectés, nous avons enregistré des progressions de 40 % d'accès post Bac. Nous allons continuer dans cette voie. Il faudra trouver les financements, mais nous les trouverons car cette formule fait sens. Les collectivités sont aussi volontaires, dès lors que l'on garantit le lien avec une université et l'encadrement pédagogique. Nous devons aussi encore développer l'offre de formation. Ce sont aussi des solutions mobilisées dans un contexte de reprise d'études.
M. Pierre Ouzoulias, président. - Au nom de cette mission d'information, je souhaite vous remercier une nouvelle fois pour la qualité de votre présentation et pour l'information que vous nous avez donnée. Après la remise de notre rapport suivra sans doute un travail d'échanges avec le Sénat : nous savons que vous êtes toujours très disponible pour discuter avec notre commission Mes chers collègues, je vous donne rendez-vous pour l'examen du rapport.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 18 h 08.