Jeudi 3 juin 2021
- Présidence de M. Cédric Villani, député, président de l'Office -
La réunion est ouverte à 9 h 10.
Audition publique sur la recherche de stratégies thérapeutiques contre la Covid-19 (Jean-François Eliaou, Florence Lassarade, Sonia de La Provôté, Gérard Leseul, rapporteurs)
M. Cédric Villani, député, président de l'Office. - Bonjour et bienvenue à cette audition publique de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) sur la recherche thérapeutique dans le cadre de l'épidémie de Covid-19, qui est organisée par les quatre rapporteurs sur la question de la stratégie vaccinale et du traitement contre la Covid-19 : Jean-François Eliaou, Gérard Leseul, Florence Lassarade et Sonia de La Provôté. Nous avons prévu un programme riche qui sera traité sous forme de deux tables rondes : l'une portant sur la recherche clinique française, l'autre consacrée à la recherche préclinique. Nous aborderons les sujets des traitements, de la réorganisation de la recherche clinique et de la priorisation des essais ainsi que de l'articulation entre les traitements, la recherche et les institutions de santé.
Ces deux tables rondes sont ouvertes aux questions des internautes selon notre habitude au sein de l'Office.
Première table ronde : Comment s'est organisée la recherche clinique française pour identifier les thérapies efficaces contre la Covid-19 ? Quels en ont été les résultats ? Quels sont les attentes et les travaux en cours ?
M. Yazdan Yazdanpanah, chef de service des maladies infectieuses de l'hôpital Bichat, directeur de l'ANRS-MIE et membre du Conseil scientifique Covid-19 auprès du gouvernement. - Nous allons vous présenter le travail que nous avons chacun réalisé depuis le début de la pandémie. En ce qui me concerne, je vais plutôt présenter l'organisation de la recherche, en découpant mon propos en trois temps : ce qui s'est passé du début de l'épidémie jusqu'à la première vague, puis ce qui s'est passé jusqu'à la création de l'agence ANRS-MIE, enfin ce qui a suivi et l'avenir.
En France, avant le début de l'épidémie, l'INSERM avait mis en place le consortium REACTing dans le but de coordonner la recherche en temps d'épidémie. Dès les premiers cas de Covid-19 en Chine puis en France, le 24 janvier 2020, le consortium a engagé une réflexion portant sur la mise en place des essais cliniques à l'hôpital et en ville, en thérapeutique et en prophylaxie. Les essais cliniques conduits à l'hôpital ont mené à l'étude Discovery qui sera présentée par Florence Ader. L'idée était de mettre en place, dès le départ, une action sur le plan européen. Quant aux essais cliniques réalisés en médecine de ville, ils ont donné l'étude Coverage qui sera présentée par le Dr Anglaret.
Dès la première vague épidémique, nous avons mis en oeuvre un certain nombre d'actions. Nous nous sommes tout d'abord efforcés de mettre en place des essais cliniques à l'échelle nationale, voire européenne. En outre, alors qu'en règle générale, la recherche sur les traitements ne débute pas immédiatement sur l'homme, un grand nombre d'études ont été menées directement à ce niveau car concernant des traitements susceptibles d'être repositionnés. Normalement, il est très important d'évaluer les traitements in vitro et in vivo, sur des modèles animaux. Nous avons donc mis en place un modèle animal afin de procéder à cette évaluation. Cette démarche a d'abord été conduite au sein de l'équipe de Roger Legrand au CEA.
REACTing, qui ne comptait que quelques personnes à l'époque, n'était pas une agence de financement. Dans ces conditions, nous avons cherché à sensibiliser le ministère de la Recherche et celui de la Santé à l'importance de créer rapidement des financements autour de projets de recherche et d'essais cliniques.
Enfin, l'aspect réglementaire est un problème récurrent dans le domaine de la recherche clinique en période d'urgence. Ainsi, nous avons cherché à obtenir rapidement les autorisations nécessaires pour mener à bien nos essais.
REACTing étant, comme je l'ai dit, une petite structure qui n'avait pas vocation à fournir des financements, elle n'a pas été en mesure de coordonner les divers travaux de recherche. De ce fait, de très nombreux projets de recherche clinique ont été lancés dès le mois de mars 2020, sans priorisation des traitements ou des méthodologies, sans coordination ou coopération entre les équipes concernées.
Au-delà de ce premier problème, de grandes lacunes sur le plan de la recherche préclinique ont été identifiées. Aucun groupe de recherche n'a réalisé d'essai préalable sur des modèles animaux avant de tester les traitements chez l'homme. Ce changement par rapport aux protocoles habituels a probablement entraîné une grande perte de temps en étudiant des traitements qui n'auraient peut-être pas dû être évalués. Il ne s'agit cependant pas d'un problème propre à la France, mais international.
Après la première vague, une réflexion a été lancée pour tenter de résoudre ces difficultés, notamment quant à la coordination de la recherche clinique. REACTing a cherché à mettre en place des groupes de priorisation et d'évaluation des traitements. Il a constitué des groupes de travail sur l'évaluation des anticorps monoclonaux et sur la recherche préclinique. De leur côté, afin d'améliorer la coordination et les modalités de financement, les ministères chargés de la recherche et de la santé ont mis en place CAPNET (Comité ad hoc de pilotage national des essais thérapeutiques et autres recherches sur le Covid-19). Dans ce cadre, REACTing (puis l'ANRS-MIE) devait évaluer les projets, puis la décision de financement était prise par les deux ministères. REACTing a ainsi évalué 129 projets de recherche clinique à partir du mois d'octobre 2020, dont certains étaient déjà financés. Sur cet échantillon, 38 ont reçu un avis favorable de REACTing. Cette deuxième phase a, certes, connu un certain nombre de succès mais certaines difficultés ont persisté, notamment d'un point de vue financier et réglementaire.
Afin de préparer l'avenir, il faut avoir conscience que la mise en place d'une recherche thérapeutique en période d'urgence nécessite une préparation. Or certains domaines tels que la recherche thérapeutique fondamentale présentaient d'importantes lacunes. Il convient désormais d'entamer un travail de fond afin d'y remédier. La France dispose de l'expertise nécessaire en la matière et a montré qu'elle avait les bonnes idées dès le début. Cependant, la recherche est confrontée à des difficultés de financement ainsi qu'à des problèmes réglementaires et structurels. Une plus grande prise de risque s'avère sans doute nécessaire.Ce sont toutes ces raisons qui ont conduit à la création d'une nouvelle agence traitant des maladies infectieuses émergentes sous tous leurs aspects et faisant de l'innovation et de la recherche thérapeutique un axe fort. Les financements et la structuration de cette agence sont en cours de mise en place.
Enfin, cette crise a permis d'identifier les points d'amélioration prioritaires : la continuité de la recherche, l'articulation entre la recherche et l'innovation et la problématique du financement de la recherche.
M. Lionel Piroth, chef du service d'infectiologie de l'hôpital de Dijon, membre du comité ad hoc de pilotage national des essais thérapeutiques et autres recherches sur la Covid-19 (CAPNET). - Je suis médecin clinicien et chercheur. J'ai intégré le conseil scientifique de REACTing à l'issue de la première vague épidémique. Nous avons constaté sur le terrain l'émergence de très nombreux projets de recherche en réponse à l'absence de thérapie existante contre la Covid-19.
Rapidement, REACTing a observé qu'il n'y avait pas suffisament de moyens pour identifier des molécules thérapeutiques intéressantes dans de bonnes conditions. Nous étions, certes, confrontés à un besoin urgent de médicaments, mais on ne pouvait se dispenser, au nom de ce besoin, de preuves suffisantes, basées sur des données scientifiques. Or le nombre de médicaments à évaluer ne permettait pas d'obtenir ce niveau de preuve dans des délais rapides. Le rapport Rossignol a bien mis en évidence qu'à l'époque où 30 000 patients étaient hospitalisés, il aurait fallu inclure 35 000 patients dans les essais cliniques pour réaliser dans de bonnes conditions l'ensemble des protocoles de recherche. Par conséquent, l'importance de prioriser les traitements s'est rapidement fait sentir, dans le but d'identifier les molécules dont les résultats semblaient les plus encourageants.
En septembre 2020, un groupe de travail que l'on m'a demandé d'organiser et d'animer s'est mis en place dans le but d'évaluer les molécules sur des éléments factuels et de la façon la plus objective possible. Cette démarche devait faire abstraction des convictions des uns ou des autres et d'un certain nombre de pressions. Ce groupe devait également se positionner avant même l'obtention des résultats des essais cliniques, afin de gagner du temps.
La méthode adoptée consistait à classer les molécules en fonction des éléments disponibles en vue d'identifier celles qui présentaient les données les plus encourageantes. Cette classification était établie sur la base d'études précliniques et des premiers résultats d'études cliniques. Elle devait permettre de prioriser les molécules et de conclure, le cas échéant, à leur efficacité.
Mme Florence Ader, infectiologue à l'hôpital la Croix-Rouge de Lyon, coordinatrice de l'essai clinique Discovery et membre du groupe de travail de l'ANRS-MIE sur la recherche clinique en milieu hospitalier. - Discovery est né du constat de l'absence de thérapeutique spécifique contre la Covid-19, en tant que maladie infectieuse émergente. Les essais ont été engagés avec l'étude de traitements dits repositionnés, c'est-à-dire de traitements requalifiés qui auraient une activité potentielle sur le virus, celle-ci restant toutefois à démontrer à grande échelle en clinique humaine.
Le deuxième constat était qu'aucune structure n'était en mesure de soutenir l'effort de recherche à l'échelle européenne, alors même qu'il était important de s'inscrire dans une dynamique internationale afin d'inclure le plus grand nombre possible de patients dans les essais et, grâce à la puissance statistique ainsi obtenue, de conclure rapidement quant à l'efficacité des traitements.
Discovery présentait plusieurs spécificités. En particulier, en tant que pays se situant à un niveau sanitaire et à un niveau de recherche élevés, nous pouvions aller plus loin que le consortium de l'OMS dans l'étude des médicaments et de leurs effets. Nous étions notamment en mesure d'effectuer des évaluations que ne pouvaient pas réaliser d'autres pays du consortium qui ne disposaient pas de la puissance de recherche nécessaire.
Très vite, est apparue l'idée de construire un réseau européen sur lequel il serait possible de s'appuyer en cas de crise future. Ainsi, Discovery avait l'ambition de transposer l'effort mené par l'OMS au niveau européen et d'en être le moteur.
Discovery a débuté son action en mars 2020 et a inclus 1 305 patients dans ses essais. Le travail réalisé en équipe a consisté en la rédaction, la mise en place et le déploiement des protocoles, d'abord au niveau national, puis au niveau européen. Puis, il s'est agi d'analyser les résultats et de procéder aux publications afférentes.
Actuellement, ce protocole se poursuit sous la forme du Discovery 2.0, dont l'une des études porte sur les anticorps monoclonaux.
Au sein du consortium de l'OMS, les résultats obtenus ont été mis à la disposition de la communauté internationale pour des variables critiques. Ces variables critiques renvoient à des variables fondamentales et vitales, telles que la mortalité. L'objectif est de déterminer si l'utilisation d'un médicament implique une diminution de la mortalité (à 14 jours et à 28 jours), en comparaison avec un groupe de patients qui n'a pas bénéficié du médicament en question. Dans l'exemple que je vous présente actuellement, la superposition des courbes démontre l'absence d'efficacité.
Une telle pandémie ne peut être gérée sans qu'une structure soit opérationnelle au niveau européen, à laquelle chaque pays peut apporter sa contribution. Le consortium EU-Response a été créé pendant l'été 2020 et Discovery a pris part à ce projet. Le nombre de partenaires avec lesquels Discovery travaille est en train de s'élargir, ce qui soulève des difficultés sur les plans réglementaires et administratifs. Il est en effet difficile de coordonner en temps réel les efforts de recherche de 12 pays.
Désormais, Discovery travaille sur des traitements spécifiques, notamment via la recherche sur des anticorps monoclonaux contre le SARS-CoV-2.
M. Xavier Anglaret, médecin interniste, coordinateur de l'essai clinique Coverage, membre du groupe de travail de l'ANRS-MIE sur la recherche clinique en ville. - Je suis directeur de recherche à l'INSERM où je dirige une équipe qui conduit des travaux de recherche clinique sur les maladies infectieuses. Depuis août 2020, je suis également co-coordinateur du groupe de travail sur la recherche ambulatoire, créé par REACTing. Enfin, je suis co-investigateur principal de l'essai Coverage précédemment évoqué.
La recherche ambulatoire pendant la pandémie de Covid-19 présente un bilan contrasté.
Trois points forts peuvent être soulignés.Tout d'abord, en France, lors de la première vague épidémique, 8 ou 9 équipes ont proposé un essai thérapeutique ambulatoire. Ce nombre est considérable car il ne s'agissait pas d'une priorité reconnue par les acteurs à l'époque. Cela signifie qu'un certain nombre d'équipes cliniques se sont posé les bonnes questions dès le départ et ont conçu des protocoles dans un temps record. La première vague épidémique s'est caractérisée par un enthousiasme fort chez tous les acteurs. Cependant, la première phase étant passée très vite, la plupart de ces essais n'avaient pratiquement pas débuté à son issue. Il faut tout de même retenir cet évènement comme un point positif.
À partir du mois de juillet 2020, les mêmes acteurs, sous l'impulsion de REACTing, se sont réunis dans le groupe de travail national que j'ai coordonné. Celui-ci a tenu très régulièrement des réunions auxquelles ont participé des instigateurs des essais des agences réglementaires (ANSM, DGS, cellule interministérielle de recherche, etc.), avec un grand dynamisme qui ne s'est pas atténué depuis. Le groupe a proposé dès le mois d'août 2020 de fusionner les 8 essais lancés au cours de la première vague pour les transformer en un seul essai de plateforme nationale afin de permettre une optimisation des travaux.
Parmi les points forts, il convient également d'évoquer la forte participation à ce processus du Collège national des généralistes enseignants, qui a apporté sa vision stratégique et a permis de mobiliser les acteurs sur la recherche ambulatoire qui était le parent pauvre de la recherche avant l'épidémie.
Ces points forts ont abouti à l'essai plateforme national Coverage. Celui-ci, avec quelques autres, étudie à ce jour quatre traitements ; il a permis de faire émerger une grande expertise sur les essais ambulatoires, qui présentent certaines spécificités. Un grand nombre d'éléments nouveaux ont ainsi été découverts, qui mériteront d'être valorisés à l'avenir.
Coverage a permis de mettre en place des essais que l'on pourrait qualifier de « pilotes », incluant seulement 500 patients. Cependant, ceux-ci sont insuffisants pour statuer sur l'efficacité des traitements. En effet, pour mener à bien l'ensemble des tests jusqu'au terme de la phase d'évaluation de d'efficacité, il aurait fallu inclure 1 500 personnes pour chaque traitement. De ce point de vue, on ne peut parler de succès.
Les points faibles sont aussi importants, sinon davantage que les points forts déjà évoqués. Il existe trois raisons pour lesquelles il n'a pas été possible d'avancer au-delà de la phase pilote : les ressources humaines, les aspects réglementaires et la question budgétaire.
Le directeur de recherche que je suis partira bientôt à la retraite. Si je suis très satisfait des moyens mis à ma disposition au cours de ma carrière, je suis très inquiet pour mes successeurs dont le statut reste précaire et dont les carrières ne sont pas stabilisées. Les équipes existent, mais elles ne sont pas suffisamment solides sur le plan des personnels essentiels. En effet, elles ne disposent pas de manière pérenne des moyens humains pour monter en puissance face à une urgence comme celle que nous avons connue.
Le deuxième obstacle que j'identifie est réglementaire. Nous nous heurtons en France à un certain nombre de freins administratifs, même si je ne cherche nullement à mettre en cause les interlocuteurs concernés. Par exemple, au mois de février 2021, nous avions décidé d'ouvrir trois sites supplémentaires en France. Les personnels de recherche se sont alors mobilisés et ont été formés. Mais, à ce jour, les contrats d'ouverture de ces sites ne sont toujours pas signés.
De même, pour porter le nombre de patients inclus dans les essais de 500 à 1 500, il aurait fallu mettre en place une plateforme d'appel national permettant de s'adresser directement aux personnes positives à la Covid-19 et de les informer sur les essais en cours. Ce dispositif a été demandé, mais pour des raisons complexes, il n'a pas pu être mis en place. En revanche, nos homologues anglais ont pu déployer un dispositif similaire, ce qui leur a permis d'inclure un plus grand nombre de patients dans les essais cliniques.
Enfin, le troisième obstacle est budgétaire. En effet, le coût d'un essai ambulatoire est différent de celui d'un essai hospitalier et n'est pas correctement évalué. De tels essais nécessitent notamment la mise en place d'équipes mobiles, ce qui représente un coût élevé. Malheureusement, le budget promis de 5 millions d'euros ne nous aurait pas permis de réaliser correctement les essais qui doivent inclure au minimum 1 500 patients. Nous manquons d'un espace pour discuter de ces sujets et mener une réflexion sur la mise en place du modèle économique qui doit s'appliquer dans ce cadre.
Mme Brigitte Autran, professeure émérite d'immunologie, chercheuse au centre de recherche en immunologie sur les maladies infectieuses, coordinatrice du groupe d'étude sur les anticorps monoclonaux à l'ANRS-MIE, membre du comité scientifique vaccin et Covid-19 et du conseil d'orientation de la stratégie vaccinale. - Les anticorps monoclonaux antiviraux constituent des traitements qui reposent sur le concept de l'immunothérapie passive, c'est-à-dire l'administration de quantités importantes d'anticorps dirigées contre le virus SARS-Cov-2. Ces anticorps sont issus de cellules de personnes convalescentes de la maladie Covid-19, mais ils ont été sélectionnés pour avoir une activité neutralisante extrêmement puissante. Ils vont ainsi bloquer le site de liaison du virus à son récepteur cellulaire pour empêcher le virus de pénétrer dans la cellule. Ce sont les mêmes anticorps que ceux que l'on développe lorsque l'on est vacciné et c'est le même mécanisme qui permet d'empêcher l'infection des cellules. De ce fait, l'utilisation thérapeutique de ces anticorps sera intéressante essentiellement dans le cadre de la phase précoce de la maladie. Je rappelle que la maladie Covid-19 évolue en deux phases : une phase précoce purement virologique et une phase tardive inflammatoire où se développent tous les signes de gravité de la maladie. Nous allons cibler la phrase précoce de virémie active avec les anticorps. Ces derniers ont également ceci d'intéressant que non seulement ils peuvent être utilisés dans une visée thérapeutique, mais aussi l'on peut modifier leur durée d'usage (pour la porter de trois semaines à trois mois) dans une visée prophylactique.
En quoi diffèrent-ils des sérums de convalescents dont on entend beaucoup parler ? Les anticorps monoclonaux sont des clones issus d'une seule cellule qui a été sélectionnée pour avoir la plus puissante activité neutralisante contre le virus. Ils vont ainsi offrir une concentration d'activité neutralisante qui est très largement supérieure à celle des sérums de convalescents et vont donc assurer une activité thérapeutique nettement plus importante.
Néanmoins, les anticorps monoclonaux présentent aussi un inconvénient théorique : leur clonalité fait que leur spectre est étroit. Ils sont dirigés seulement sur un site très particulier du virus et peuvent donc manquer d'efficacité face à un virus qui aurait muté sur certains points critiques et notamment sur le site de liaison récepteur. Cette différence n'est toutefois que théorique puisque l'on peut multiplier en bithérapie ou en trithérapie plusieurs anticorps monoclonaux et donc constituer, à l'instar de ce qui se pratique dans le traitement du SIDA, un cocktail d'anticorps monoclonaux actif sur une large gamme de virus variants.
Ces anticorps monoclonaux sont différents des anticorps monoclonaux anti-inflammatoires qui ont été utilisés dans la phase inflammatoire de la maladie et qui sont des traitements repositionnés.
Mon propos concerne essentiellement les anticorps monoclonaux thérapeutiques antiviraux qui sont généralement développés par des Biotechsou des laboratoires académiques et repris par des firmes pharmaceutiques. Ils suivent le développement clinique normal d'un médicament, c'est-à-dire qu'ils sont testés en phase préclinique sur des modèles animaux d'infection par la Covid (notamment ceux du hamster syrien et du macaque) afin de tester l'efficacité antivirale, l'efficacité contre les variants, la cinétique et la pénétration des anticorps dans les différents tissus. Dès que ces résultats sont satisfaisants, on procède ensuite aux essais cliniques (essais de phase I, II et III) dans le cadre desquels on va rechercher la dose la plus efficace, la fenêtre thérapeutique la plus efficace. Bien évidemment, on va également s'efforcer dans ce cadre de démontrer l'efficacité clinique et l'efficacité virologique.
Yazdan Yazdanpanah m'a demandé en novembre 2020 de coordonner un groupe d'experts sur ces anticorps monoclonaux thérapeutiques. Ce groupe comprend 12 membres (médecins immunologistes et virologues). Il a auditionné toutes les firmes internationales (au nombre de 15) qui développaient des anticorps monoclonaux thérapeutiques antiviraux déjà arrivés en phase d'essais cliniques. Notre but était de sélectionner des anticorps monoclonaux qui puissent être utilisés dans les plateformes de REACTing (soit Discovery soit Coverage). Nous avons ainsi analysé tous ces anticorps monoclonaux dont les premières générations étaient dirigées contre la souche Wuhan.
Il s'est révélé assez rapidement que ces anticorps, certes, étaient intéressants sur la souche Wuhan, mais que la plupart d'entre eux étaient peu, voire pas actifs sur les nouveaux variants qui ont émergé à partir de décembre 2020. Nous nous sommes concentrés sur les rares anticorps monoclonaux de cette première génération de patients qui étaient actifs sur tous les variants. Certaines firmes mondiales (Eli Lilly, Regeneron-Roche, GSK, AstraZeneca) étaient en effet parvenues à développer de tels anticorps monoclonaux à spectre large.
Une deuxième génération d'anticorps monoclonaux au spectre extrêmement large est ensuite apparue, grâce notamment à trois efforts français : le premier mis en oeuvre par une firme de biotech franco-américaine issue de l'ESPCI et du MIT ; le deuxième issu de l'Institut Pasteur ; le troisième émanant du consortium européen CARE. Malheureusement, ceux-ci sont apparus trop tardivement pour être utilisables aujourd'hui, car ils ne sont pas encore entrés en phase d'essais cliniques.
Ainsi, nous avons défini des critères de choix des anticorps monoclonaux à faire entrer en phase clinique (dans les essais cliniques français et secondairement dans l'autorisation temporaire d'utilisation - ATU), en privilégiant les anticorps à spectre large et l'utilisation de bithérapies afin de limiter les phénomènes d'obstacles liés aux variants. Nous avons par ailleurs défini des critères d'audition de ces firmes afin d'évaluer au mieux la qualité scientifique et médicale de leurs produits. Nous avons également conseillé l'ANSM lors de la mise en place de l'autorisation temporaire d'utilisation. Celle-ci a été attribuée en mars 2021 à deux firmes (Roche et Eli Lilly) sur la base de données d'efficacité qui démontraient dans le cadre d'essais cliniques que ces anticorps pouvaient prévenir jusqu'à 85 % l'évolution vers les formes graves de la maladie.
Néanmoins, notre groupe d'experts a recommandé à l'ANSM de restreindre les indications thérapeutiques aux patients présentant le plus de risques d'évoluer vers ces formes graves, ceci afin de concentrer l'efficacité du traitement. De même, nous avons conseillé d'introduire ces médicaments de façon très précoce dans le traitement de la maladie de façon à agir sur la phase virologique. Nous avons également suggéré la mise en oeuvre d'un suivi virologique très attentif de manière à éviter les risques de dissémination des variants au sein de la population française.
Moins d'un millier de patients ont bénéficié de ces ATU depuis le mois de mars 2021 malgré son déploiement durant la troisième phase épidémique. Pourquoi ? Tout d'abord, il est nécessaire d'effectuer un diagnostic extrêmement précoce avec une transmission en temps réel au clinicien, ce qui n'a pas pu être souvent le cas. Ensuite, même si ces anticorps monoclonaux ont été mis à la disposition de toutes les pharmacies hospitalières françaises, ces mêmes hôpitaux ont rencontré des difficultés d'organisation. En outre, nous avons dû faire face à l'émergence de nouveaux variants et, par conséquent, à la nécessité de réaliser des tests PCR de criblage pour détecter ces variants et donc définir les indications. Enfin, nous n'avons pas la maîtrise de ces anticorps monoclonaux, qui sont produits par des firmes étrangères. Or ces firmes ont mis longtemps à publier les résultats de leurs essais cliniques dans des journaux à comité de lecture, ce qui a suscité une certaine méfiance des cliniciens français quant à l'efficacité réelle de ces produits.
Nous avons pu établir un partenariat avec la firme AstraZeneca qui dispose à l'heure actuelle du meilleur cocktail d'anticorps monoclonaux, actif sur tous les variants connus, et actuellement testé par Discovery.
Pour conclure, je souhaite souligner l'importance de l'approche que constituent ces anticorps monoclonaux thérapeutiques. Je suis convaincue qu'il s'agit d'une arme thérapeutique extrêmement importante. Ils sont rapides à développer et nous pouvons les obtenir quelques mois après les premières guérisons de maladies émergentes. Par ailleurs, cette stratégie est applicable à toutes les maladies émergentes infectieuses. Malheureusement, il n'existe pas assez de laboratoires de recherche et de biotechs maîtrisant cette technologie en France.
Mme Florence Lassarade, sénatrice, rapporteure. - Je précise en préambule que je suis également pédiatre. Je me demande tout d'abord si la stratégie des anticorps monoclonaux a été inspirée par la maladie de Kawasaki qui est traitée par les immunoglobulines de façon très efficace.
Ma deuxième question est destinée au docteur Xavier Anglaret : les essais cliniques que vous avez évoqués s'inspirent-ils de l'exemple de l'Association française de pédiatrie ambulatoire qui mène très activement des enquêtes auprès de ses membres (ceux-ci étant relativement nombreux) ?
Enfin, les anticorps monoclonaux sont-ils utilisés chez l'enfant ?
Mme Sonia de La Provôté, sénatrice, rapporteure. - Il ressort de ces présentations un décalage entre la mise en route des actions et l'urgence de la situation créée par l'épidémie. Or l'un des buts de cette audition est de mettre en évidence les freins qui empêchent la coordination des acteurs ou le développement des travaux de recherche. On a évoqué le rapprochement, en cours de route, de l'ANRS et de REACTing et la complexité liée à la coordination des efforts de recherche communs menés dans 12 pays européens.
Dans ces conditions, quelles sont les voies de simplification et d'agilité que vous pourriez identifier ? Comment permettre à tout l'écosystème de contribuer à ce but unique ? Comment mettre en place rapidement des cohortes utiles et les suivre dans le temps ?
M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office. - Ma question s'adresse au professeur Yazdan Yazdanpanah. Je voudrais savoir comment vous avez pu bénéficier de retours d'expérience des hôpitaux qui se sont engagés dans le traitement des malades ? Par ailleurs, j'ai l'impression que nombre d'actions ont débuté à la fin de l'été 2020, en prévision d'un rebondissement possible de l'épidémie. Etait-ce le cas ?
Mme Catherine Procacccia, sénateur, vice-présidente de l'Office. - Plusieurs médecins m'ont alertée sur la méconnaissance par les médecins de ville des anticorps monoclonaux. De ce fait, des patients à risques, pourtant détectés précocement, ne seraient pas traités avec ces anticorps et seraient donc admis en réanimation. S'agit-il d'une réelle méconnaissance ou cette situation s'explique-t-elle par le coût des anticorps monoclonaux ?
Par ailleurs, est-il optimiste de penser que l'on pourra faire mieux lors d'une prochaine pandémie ?
M. Cédric Villani, député, président de l'Office. - Je me fais le relais de deux questions des internautes.
La première, posée par Pascale Santi, journaliste au Monde, est destinée à Xavier ANGLARET : « L'essai Coverage est-il toujours en cours, notamment pour l'interféron de type 1 ? Cela implique une question plus générale : Quels sont aujourd'hui les essais en cours et les pistes qui sont considérées avec une attention particulière ? »
La seconde question émane de Thibault Fiolet : « Comment gérer la désinformation sur les réseaux sociaux ou lancée par des politiciens, médecins, chercheurs, influenceurs sur les traitements associés à la Covid-19 ou sur la vaccination ? Par exemple, certains d'entre eux en viennent à effectuer la promotion de traitements non prouvés et/ou non recommandés. S'agit-il d'éléments que vous surveillez et quels sont vos propres conclusions et vos propres conseils en la matière ? »
J'ajoute à cela mes propres questions. A présent que nous disposons d'un peu de recul, que peut-on dire du SARS-CoV-2 en tant que virus ? Est-il singulier au regard des traitements antiviraux ou des thérapies en général ? Entre-t-il dans des familles déjà connues ?
Professeur Yazdan Yazdanpanah, vous avez évoqué la question des modèles animaux et fait état du temps perdu à ce niveau. Cependant, vous avez aussi indiqué que certaines recherches avaient directement commencé sur l'homme sans passer par une étape sur l'animal. Dès lors, ne s'agirait-il pas plutôt d'un temps gagné ? Pourriez-vous préciser vos propos sur ce point ? Pouvez-vous préciser aussi ce que les expérimentations animales, qui ont été lancées en différé, ont permis d'accomplir ?
À propos des thérapies, il semblerait que la vaccination soit passée au premier plan par rapport aux enjeux thérapeutiques. Une telle vision est-elle exacte ou doit-elle être nuancée ?
Peut-on, avec les moyens dont nous disposons à ce jour, établir schématiquement le parcours que devrait suivre un patient qui doit être traité prioritairement, qu'il soit vacciné ou non ?
Par ailleurs, l'ANRS-MIE doit-elle être consolidée ? Il s'agit d'une nouvelle structure qui vient remplacer d'autres structures existantes. La spécificité et la cohérence de son action justifient-elles bien l'existence de l'ANRS-MIE sous sa forme actuelle ou conviendrait-il de consolider cette dernière ?
Vous nous avez parlé de réseaux de recherche clinique au niveau européen. Certains éléments méritent-ils d'être pérennisés dans ce domaine ou bien d'être transformés ?
Ma dernière question porte sur les tests. Vous avez évoqué à ce sujet des difficultés importantes. Au regard des informations dont nous disposons, on recense 365 essais cliniques en France, ce qui semble considérable par rapport aux autres pays. Pouvons-nous avoir des précisions sur les essais qui peuvent être réalisés ou non dans notre pays ? Avons-nous assisté à une multiplication de petits essais là où nous aurions dû enregistrer des essais moins nombreux, mais d'une taille plus importante ?
Enfin, souhaitez-vous dispenser au législateur des conseils sur l'éventuelle évolution de l'environnement juridique dans le domaine des essais ?
M. Yazdan Yazdanpanah. - Pour répondre tout d'abord à la question de Monsieur Longuet, je confirme que le retour d'expérience est très important. Des réunions en présentiel ou sous forme de webinaires ont eu lieu pour présenter le travail accompli. Des retours ont également pu être effectués en diverses occasions, notamment lors des journées nationales d'infectiologie au mois de septembre 2020. Depuis le début de l'épidémie, nous avons par ailleurs organisé des réunions téléphoniques régulières avec les infectiologues sur le terrain. Au moment de l'arrivée des premiers cas dans les différents hôpitaux, nous organisions une réunion quotidienne pour décider des modalités de prise en charge de ces patients. Progressivement ce groupe est devenu un groupe national qui se réunit tous les 15 jours. Nous inscrivons régulièrement à l'ordre du jour de nos réunions un point sur la recherche pour avoir des retours en la matière.
La deuxième question de Monsieur Longuet porte sur le fait que nous aurions mis en place beaucoup de choses après la première vague. Nous avons en effet d'abord observé le déroulement de la première vague et tenté au fur et à mesure de nous améliorer. Cependant, nous avons débuté notre action dès le début de l'épidémie, le 3 ou 4 janvier,et décidé de mettre en place des essais cliniques en réseau au niveau national, car il s'agissait selon nous de la meilleure manière de répondre à la problématique. D'ailleurs, dès le départ de l'épidémie en France, Discovery a réuni en seulement deux semaines près de 800 patients pour les essais. Pour l'avenir, il faudra que ces essais se déroulent mieux au niveau européen. Si seulement dix pays européens pouvaient inclure 800 patients dans ces essais, nous disposerions d'un échantillon de 8 000 patients. Notre préparation en amont nous a permis en France d'inclure 800 patients. Je pense d'ailleurs qu'il s'agit de l'essai français qui, sur une aussi courte période, a inclus le plus grand nombre de personnes. En revanche, le volet européen, malgré notre optimisme, n'a pas été un succès en raison des freins réglementaires et administratifs que nous avons rencontrés.
Nous avons travaillé pour qu'en temps de crise, les autorisations puissent être délivrées plus rapidement. Malheureusement, cette accélération des démarches a participé au foisonnement des projets d'essais cliniques. Je suis convaincu que le fait de dénombrer 365 essais cliniques sur notre territoire ne constitue pas une bonne nouvelle, dans la mesure où cela témoigne de l'existence d'un grand nombre d'essais de petite taille. A l'inverse, de grands essais cliniques au niveau national et européen produiraient des résultats beaucoup plus importants. Entre les deux vagues, nous nous sommes toutefois efforcés de recentrer les essais et de mettre en place un système de coordination, tout en nous appuyant sur l'écoute des acteurs de terrain.
Vous nous avez également interrogés sur la question des modèles animaux. Dans ce domaine, nous avons procédé à rebours de l'approche habituelle et engagé directement des études sur l'homme incluant 8 000 personnes. Nous avons pu le faire, car il s'agissait de traitements repositionnés. En cas de nouveaux traitements, une telle approche n'aurait pas été possible. Je précise que les traitements repositionnés sont des traitements dont la toxicité et la tolérance ont déjà été évaluées chez l'homme. Cependant, les études précliniques, dès lors qu'elles sont correctement réalisées sur des modèles animaux, nous permettent de ne pas évaluer tous les traitements chez l'homme, ce qui prend beaucoup de temps.
Avec Xavier Anglaret, Roger Legrand, les équipes de l'Institut Pasteur et de l'ANSES, nous avons progressivement mis en place des essais sur les modèles animaux. L'idée à présent est de n'étudier sur l'homme que les traitements prometteurs.
Mme Florence Ader. - Lionel Piroth m'aidera à répondre à la question relative au parcours de soin du patient.
En pratique, le virus a la capacité d'induire une maladie et chaque virus possède sa signature qui induit une typologie particulière. Nous avons ainsi découvert que la maladie évolue en deux temps : une phase virale lors du premier septénaire et une phase inflammatoire lors du deuxième septénaire. Or les réactions inflammatoires sont différentes chez chaque patient en raison des caractéristiques de son système immunitaire.
Au début de la pandémie nous nous sommes orientés vers la recherche d'antiviraux. Progressivement, nous avons compris que la maladie comportait une phase inflammatoire qui devait être contrée par des médicaments permettant de réduire cette inflammation. Puis, nous avons constaté que cette inflammation générait de nombreuses problématiques, notamment des problèmes respiratoires (nécessitant un apport en oxygène et une ventilation pour les patients en réanimation) ainsi qu'un risque de thromboses (présence de caillots dans le système vasculaire pulmonaire, ou embolie pulmonaire).
Ainsi, les traitements précoces de la maladie reposent sur une stratégie antivirale. Il est nécessaire de les mettre en place le plus tôt possible afin d'éviter que la charge virale du patient soit trop élevée. Quand les paramètres inflammatoires sont très élevés, nous associons ou substituons à cette démarche un arsenal thérapeutique anti-inflammatoire. L'essai anglais Recovery a montré à ce sujet que la dexaméthasone (anti-inflammatoire) permet de diminuer la mortalité en calmant les phénomènes inflammatoires. Par ailleurs, les anticoagulants sont très importants et l'on maîtrise beaucoup mieux à présent les modalités de ventilation du patient, en lien avec la réanimation.
M. Yazdan Yazdanpanah. - Il convient de citer également les corticoïdes, dont nous ne connaissons cependant pas encore la posologie adéquate.
M. Lionel Piroth. - Nous avons affiné le parcours de soin, mais nous restons très dépendants des données de recherche. Le nombre de 365 essais français constitue, selon moi, une « bonne nouvelle » dans le sens où ceux-ci témoignent d'une effervescence intellectuelle dont nous avons besoin dans la recherche médicale. Néanmoins, cette effervescence n'est pas synonyme d'efficacité. Pour parvenir à cette efficacité, il faut éviter la concurrence en suscitant la convergence. Sur le plan réglementaire, il vaut mieux mettre en place des mesures incitatives. A cet égard, disposer d'une agence centralisée me semble être un élément très important...
Cela me permet d'aborder la question de la valorisation de la recherche en France : en tant qu'investigateur, il est préférable que je participe à cinq essais plutôt qu'à un seul, quand bien même cette dernière démarche serait plus productive. À mon avis, cette question devra être prise en compte non seulement dans le cadre de la Covid-19, mais également pour l'ensemble des projets de recherche à venir.
M. Yazdan Yazdanpanah. - On peut également évoquer le tocilizumab, qui correspond à une molécule anti-inflammatoire. Une étude française a été la première à montrer l'efficacité de cette molécule. Nous disposons d'un grand nombre de données sur les anti-inflammatoires. En revanche, nous ne possédons quasiment pas d'informations sur les traitements antiviraux, en dehors des anticorps monoclonaux.
M. Xavier Anglaret. - Madame LASSARADE a eu raison de l'évoquer : les acteurs en recherche ambulatoire en pédiatrie existent bel et bien. Il n'en demeure pas moins qu'il reste à conduire un vaste travail de structuration des acteurs dans le domaine des essais thérapeutiques menés en urgence. Il s'agit d'un domaine très particulier qui se distingue du traitement des maladies de longue durée, comme le diabète ou l'hypertension artérielle.
Cela rejoint la question relative à la faisabilité posée précédemment. Là encore, un effort de structuration est indispensable si l'on veut réaliser des essais thérapeutiques tout en respectant les exigences réglementaires, de pharmacovigilance, de monitorage, d'ingénierie scientifique, etc. Des améliorations me semblent ainsi nécessaires à trois niveaux.
Le premier renvoie aux ressources humaines. Ainsi, il convient de mettre du personnel à la disposition des praticiens pour la réalisation des essais, comme cela a été le cas pour le SIDA. Il faut également que des équipes d'ingénierie se spécialisent dans le domaine des essais en ville, notamment sur les bases de données, les outils, etc.
J'en appelle également à une réflexion réglementaire : la recherche clinique française est très fortement centrée sur l'hôpital : la grande majorité des essais cliniques français ont été réalisés à l'hôpital. Cette situation tient à un manque de réseaux et de structures. Pour y remédier, il convient de s'appuyer sur des ressources d'ingénierie scientifique et de réfléchir aux aspects réglementaires. Les acteurs qui pilotent les essais à l'hôpital maîtrisent la réglementation et l'adaptent à l'hôpital. Ils sont, en revanche, assez frileux sur les innovations que l'on pourrait réaliser en médecine de ville. Pourtant, l'ANSM ne bloque pas ces essais en ville.
La dernière source d'améliorations porte sur l'animation. De nombreux acteurs effectuent déjà de la recherche en ville et seraient disposés à en faire davantage et à entrer dans ce type de réseau. À cet égard, dans le cadre de la pandémie de Covid-19, le Collège national des généralistes enseignants (CNGE) s'est montré particulièrement actif, ce qui est encourageant pour l'avenir.
L'essai Coverage est encore en cours et parmi les essais ambulatoires actuels, l'interféron bêta inhalé reste étudié. Le ciclésonide, qui correspond à un corticoïde inhalé, fait également partie des produits évalués. Un essai français porte sur le camostat. On peut également citer le molnupiravir, qui est une molécule antivirale importante étudiée en ambulatoire en France.
Mme Brigitte Autran. - Mme Lassarade a souhaité savoir si le traitement de la maladie de Kawasaki par les immunoglobulines avait pu inspirer les traitements par anticorps monoclonaux antiviraux. Je ne le crois pas. Les antiviraux sont utilisés pour des effets antiviraux et non anti-inflammatoires. Aucun essai clinique n'a été réalisé sur les enfants dans la mesure où ceux-ci ont été peu atteints par l'épidémie. En revanche, alors que l'ATU de cohorte était attribuée pour des indications chez l'adulte, nous avons organisé des réunions pluridisciplinaires pour permettre à des enfants atteints de déficit immunitaire grave qui développaient un Covid-19, d'être traités. Cela concerne une trentaine d'enfants en France. L'ATU est donc désormais élargie aux enfants.
Une question a été posée sur la méconnaissance par le corps médical de cet outil thérapeutique que constitue l'anticorps monoclonal. Ce constat est tout à fait exact. Toutefois, avec l'ANRS, le ministère de la Santé, la société de pathologie infectieuse de langue française, le CNGE, nous avons organisé des webinaires pour diffuser l'information et pour que les cliniciens s'approprient cet outil. Malheureusement, les firmes ont tardé à publier leurs résultats définitifs et les praticiens français, « traumatisés » par l'épisode de l'hydroxychloroquine et son énorme médiatisation, ont éprouvé une certaine appréhension à utiliser des médicaments dont l'efficacité n'était pas encore totalement prouvée.
De notre côté, nous ne pouvions pas effectuer la promotion de médicaments en l'absence de publications scientifiques qui en étayaient l'efficacité. Nous pouvions faire la promotion de l'ATU, mais non celle de produits pharmaceutiques. J'insisterai enfin sur l'intérêt que pourrait trouver la France à encourager les structures de production d'anticorps monoclonaux thérapeutiques pour faire face à des situations de ce type.
Mme Florence Ader. - La question européenne est aujourd'hui un enjeu critique. Pour ma part, je ne peux que me livrer à un vibrant plaidoyer pour une recherche académique européenne. Une question a été posée sur la pérennisation du modèle actuel dans ce domaine. Pour moi, la seule réponse que nous pourrons apporter à une future pandémie passe par une organisation européenne qui se mobilise « comme un seul homme » et qui soit en capacité d'inclure des patients dans des essais de grande ampleur avec un système fédéraliste. Nous pourrons ainsi répondre rapidement aux questions qui nous sont posées et enchaîner à un rythme soutenu les phases d'essais thérapeutiques. La vitesse à laquelle nous réalisons ces tests conditionne la vitesse à laquelle nous pouvons tester des médicaments et aboutir à des conclusions.
Un pays ne peut le faire seul. Je forme donc le souhait d'être un jour auditionnée par la Commission européenne, pour faire en sorte que cette articulation que nous sommes en train de monter se pérennise et que chaque pays comprenne les enjeux considérables en termes d'impact sur les populations. Nous devons donc poursuivre dans cette voie européenne.
M. Yazdan Yazdanpanah. - Une question portait sur l'ANRS-MIE : n'est-elle pas qu'une structure de plus ?
L'ANRS-MIE constitue la déclinaison d'une agence qui existait déjà et au périmètre de laquelle nous avons ajouté les maladies infectieuses émergentes. Cette idée est ancienne puisque, dès 2012, nous avons rédigé un projet avec Jean-François DELFRAISSY à la suite de l'épidémie de grippe H1N1 pour souligner à quel point il était important de préparer et coordonner les actions contre ces maladies émergentes pendant une crise. Il nous paraissait essentiel de prévoir une structure dédiée en termes de recherche et, dans cet objectif, nous avions proposé à l'époque une évolution de l'ANRS.
Je suis convaincu qu'il ne s'agit pas simplement d'une couche supplémentaire dans l'organisation, mais d'une évolution majeure. Comme cela a été indiqué au cours des discussions, il est essentiel dans ce domaine de se montrer agile, de faire les choses simplement et de se coordonner. Pour cela, nous avons besoin d'une vision globale sans qu'il soit nécessaire d'ajouter une strate à notre organisation.
M. Cédric Villani, député, président de l'Office. - Merci pour l'ensemble de vos réponses. Si des précisions doivent être apportées, nous pourrons le faire à l'issue de la seconde table ronde. Je rebondis sur les propos de Florence ADER sur la coordination à l'échelle européenne. Nous vous recommandons de vous rapprocher du Parlement européen et plus particulièrement du STOA (Science and Technology Office Assessment) qui constitue notre homologue auprès du Parlement européen.
Deuxième table ronde : Quelles sont les pistes de traitement encore au stade de la recherche fondamentale et de la recherche préclinique ? Comment comprendre l'absence à ce jour d'antiviral efficace ?
M. Xavier de Lamballerie. - , virologue et chercheur, directeur de l'unité des virus émergents à Marseille, coordinateur du groupe d'étude sur la recherche préclinique à l'ANRS-MIE, membre du Comité scientifique vaccin et Covid-19 et du Conseil d'orientation à la stratégie vaccinale.
Mon intervention se fera autour de deux points. Je décrirai d'abord l'activité du groupe d'étude préclinique que vous avez évoqué. Puis, j'esquisserai une réponse sur l'absence d'antiviral efficace.
Le repositionnement d'une molécule thérapeutique consiste à rechercher des molécules actives dans l'arsenal thérapeutique existant afin de prendre en charge des maladies qui n'ont pas de traitement connu. Il est logique d'y recourir pour faire face à l'émergence d'une nouvelle maladie infectieuse. Les molécules repositionnées présentent des caractéristiques connues et elles peuvent être produites industriellement et utilisées rapidement chez l'homme.
De ce fait, les projets de repositionnement thérapeutique à visée antivirale se sont multipliés dans le monde entier au début de l'année 2020. En France, le revers de la médaille que présentait cette approche a été rapidement identifié. Le nombre de ces projets et leur base scientifique parfois faible pouvaient mettre en danger la stratégie globale de coordination des essais cliniques, en dispersant les efforts et en détournant potentiellement les patients des essais à grande échelle qui sont les plus susceptibles de produire des résultats scientifiques robustes.
En outre, le repositionnement est parfois proposé sur la base de concepts ou d'essais in vitro peu pertinents. Pour cette raison, j'ai proposé de mettre en place au cours de l'été 2020 au sein du groupe REACTing un groupe d'étude préclinique (GEPC) qui tente d'apporter au groupe de priorisation des traitements des données expérimentales objectives sur les molécules candidates au repositionnement. Avec l'aide de Yazdan YAZDANPANAH, ce groupe a pu voir le jour et a réuni différents partenaires institutionnels dans une approche pluridisciplinaire.
Les traitements recherchés pour la Covid-19 incluent des antiviraux et des molécules non antivirales (anti-inflammatoires et anti-thrombocytes). Le GEPC, comme l'ensemble de la communauté scientifique, ne dispose pas de modèles animaux qui reproduisent les complications inflammatoires et thrombotiques de la maladie. Il s'est donc essentiellement consacré à l'étude des très nombreuses molécules antivirales potentielles.
Les partenaires ont partagé leurs expertises et ont progressivement construit des algorithmes d'évaluation robustes. Les modèles animaux incluaient le modèle du hamster syrien ainsi que des souris transgéniques, des furets et des macaques.
Le GEPC a évalué une trentaine de molécules ou d'associations de molécules proposées pour des essais de repositionnement de phase 3, en essayant de ne pas dupliquer les travaux déjà publiés en la matière. Cet énorme travail a pour l'essentiel abouti à ne pas tester chez l'homme des molécules candidates, ce qui a permis d'éviter des essais cliniques inutiles et coûteux.
Le GEPC n'a toutefois pas pris de décision par lui-même. Il a fourni les données expérimentales au groupe de priorisation des traitements et au conseil scientifique qui ont intégré ces données dans l'argumentaire de leurs décisions.
L'expérience du GEPC a également révélé des déficiences structurelles dans l'organisation, notamment la faiblesse de l'articulation entre la recherche préclinique et clinique. Elle a également mis en évidence la faiblesse des infrastructures et des moyens consacrés à la recherche préclinique ainsi que la difficile mobilisation des infrastructures existantes pour des tâches qui sont scientifiquement peu valorisées par les instances scientifiques. Des efforts ont néanmoins été accomplis pour tenter de limiter ces faiblesses dans le contexte de la crise sanitaire.
Le bilan de la crise est médiocre en termes de production de molécules antivirales. Dans l'ensemble, les molécules repositionnées se sont révélées peu ou pas utiles. La seule molécule antivirale à large spectre qui a montré une activité inhibitrice importante, ainsi que des résultats encourageants sur les modèles animaux est le molnupiravir, qui est engagé dans des essais cliniques. Il est administré par voie orale, ce qui permettrait un usage assez large.
D'autres molécules antivirales telles que le remdésivir et le favipiravir se sont révélées peu actives in vivo. Les autres candidats se situent encore à des stades d'évaluation plus préliminaires.
Dans ce contexte, les anticorps monoclonaux occupent une place particulière puisque leur activité antivirale in vitro et in vivo est démontrée sous condition d'une utilisation précoce. En France, une autorisation temporaire d'utilisation permet leur prescription comme traitement précoce pour les malades les plus à risques de complications. Il est probable qu'elle puisse être étendue à l'avenir aux traitements prophylactiques des patients pour qui la vaccination est inefficace.
Le GEPC a assuré pour les institutions un suivi attentif de ces anticorps en les testant sur les différents variants du virus, ce qui a permis d'établir un tableau comparatif avec des données expérimentales standardisées sur leur efficacité.
La dernière catégorie thérapeutique antivirale encore en cours d'évaluation porte sur les interférons. L'essai Coverage teste notamment l'interféron bêta inhalé contre lequel il n'existe généralement pas d'anticorps chez les patients ambulatoires en début de maladie.
Il me semble que nous devrions avoir pour objectif de fournir aux générations futures une protection accrue contre les infections virales. Pour obtenir des médicaments actifs, il faut disposer de molécules candidates qui doivent être dûment évaluées lors de recherches précliniques et cliniques. Ce processus est long et coûteux. En outre, pour disposer de molécules candidates, il est indispensable de s'appuyer sur des ressources de recherche fondamentale, ce qui ne peut pas être développé en quelques mois.C'est dans une préparation à moyen, et même à long terme, que se trouve la solution pour faire avancer la thérapeutique antivirale.
Le repositionnement des molécules existantes est à mon sens un mirage et ne saurait constituer une démarche de fond, du moins tant que nous n'aurons pas un éventail large de molécules antivirales efficaces. La France ne peut avancer seule en la matière, mais peut contribuer à l'effort mondial et européen grâce à son haut niveau d'expertise. Or, à l'heure actuelle, elle y consacre peu de moyens. Plusieurs chercheurs ont plaidé au printemps 2020, pour la mise en place et le financement d'une filière intégrée pour le développement de molécules antivirales. Cette recommandation reste d'actualité. L'objectif consiste à trouver des traitements pour les principales maladies virales connues ou des molécules à spectre large pour les virus émergents.
Je conclurai en rappelant que l'histoire des maladies infectieuses est faite de rares émergences de pathogènes complètement nouveaux, mais d'incessants épisodes de réémergence de virus apparentés. De ce point de vue, le SARS-CoV-1 constituait une exception. A l'inverse, l'émergence du SARS-CoV-2 nous a rappelé cette règle. Chaque virus émergent devrait faire l'objet de thérapies antivirales même si l'épisode initial est contenu. Si tel avait été le cas avec SARS-CoV-1, l'histoire eut été différente.
M. Bruno Canard, directeur de l'équipe Réplication virale structures mécanismes et Drug-design à l'Université d'Aix-Marseille, spécialiste des coronavirus. - Je souhaite tout d'abord souligner que la recherche fondamentale aurait pu nous apprendre beaucoup plus si elle avait été effectuée en amont. Ainsi, nous aurions pu savoir que certaines molécules telles que l'hydroxychloroquine, le lopinavir, le ritonavir seraient inefficaces sur les protéases de coronavirus, ce qui aurait permis d'éviter le lancement de nombreux essais cliniques.
Je me réjouis de la constitution de l'ANRS-MIE : à mon sens, celle-ci ne constitue pas une couche supplémentaire dans l'organisation, mais une véritable avancée.
Je souhaite rappeler les difficultés rencontrées en France concernant les antiviraux. Pour qu'un traitement antiviral soit efficace, il faut suivre trois étapes. La première étape consiste en l'établissement d'un diagnostic précoce, rapide, précis et peu coûteux. Tel n'était pas le cas au début de la pandémie. La deuxième étape consiste en l'administration le plus précocement possible de l'antiviral afin qu'il puisse être efficace. Enfin, la troisième étape est celle de la gestion de la post-infection via les anti-inflammatoires et les anticoagulants. Dans cette dernière étape, la France a obtenu des résultats satisfaisants.
Dans ces conditions, pour pouvoir être facilement et largement utilisé, un antiviral doit être une molécule administrée par voie orale puisqu'en stade précoce, il n'est pas possible d'adresser les patients à l'hôpital. Ensuite, l'évaluation de la toxicité doit être particulièrement poussée dans les essais cliniques et permettre d'obtenir des molécules sûres et sans effets secondaires. Enfin, en période de pandémie, le coût de ces traitements doit être adapté à une distribution de masse.
De plus, un antiviral doit s'attaquer à des virus appartenant à une même famille, sans distinction de variants ou de mutants. Ainsi, avec des antiviraux, nous pourrions mettre en oeuvre une politique d'anticipation pour tous les virus étudiés, permettant d'éviter une politique de réaction. Une fois que le virus est apparu, même si la mise au point d'un vaccin représente une prouesse technologique, il n'en demeure pas moins qu'une année s'est avérée nécessaire pour aboutir à ce résultat. Dès lors, une réflexion importante doit être menée sur la prévention des pandémies par les molécules antivirales.
Que s'est--l passé pour les antiviraux en France ? La tradition qui, je l'espère, sera abandonnée, d'orientation des moyens de la recherche se fait en défaveur des thérapies antivirales. Depuis près de 35 ans, n'ont pas été pris en compte - ils ont au contraire décliné - les trois piliers de la recherche de molécules antivirales que sont la chimie médicinale, la biochimie et les mécanismes d'action ainsi que la biologie structurale. Alors que cette dernière constitue une révolution majeure depuis le développement des cryo-microscopes électroniques, la France n'a pas su se structurer dans ce domaine et donner à ses chercheurs les moyens de travailler sur ces sujets. Nous avons ainsi accumulé un retard qui s'est traduit par un décrochage violent sur cet aspect, qui est pourtant devenu stratégique dans le développement d'antiviraux, que cela soit sur le plan de la santé publique ou d'un point de vue économique.
Pour tenter de pallier ces manques, il faudra du temps et de la lucidité. Pour combler notre retard, nous devrons planifier les actions nécessaires sur 5 à 10 ans avant de pouvoir redevenir compétitifs sur la scène internationale. Je pense que, dans ce contexte, l'ANRS-MIE est une très bonne base. Je préconiserais donc de doubler le budget qui lui est accordé en prévoyant un effort considérable de soutien à la recherche fondamentale pour la chimie médicinale, la biochimie et les mécanismes d'action, et la biologie structurale.
Au regard des piliers de l'ANRS-MIE, on se rend compte que cette connexion avec le développement thérapeutique reste à construire. Il est également indispensable de fédérer les laboratoires français afin de mettre en place des structures d'essai de ces molécules pour ensuite passer le relais aux autres acteurs qui peuvent conduire des essais cliniques. Ce soutien de l'ANRS-MIE est important, car il peut permettre d'établir une politique sur le long terme pour pallier les lacunes françaises dans ce domaine.
Nos instances décisionnelles n'ont pas été capables de faire preuve de la réactivité que l'on a pu observer dans des pays autoritaires comme la Chine, notamment pour la mobilisation des budgets. D'autres pays l'ont également fait, peut-être parce que les scientifiques y sont mieux intégrés dans les instances décisionnelles.
La France peut pourtant s'appuyer sur des personnes bien formées et compétentes. Il reste cependant à accomplir cet effort de fédération et d'organisation, en particulier pour la formation sur les nouvelles disciplines telles que le Drug Design. Cette nouvelle science récemment apparue est absolument stratégique pour tous les pays qui entendent mieux prévoir les pandémies et mieux leur résister.
Avec l'aide de l'ANRS-MIE et des différents acteurs institutionnels (CNRS, ministères, etc.), la communication entre sciences, santé, agriculture, développement, environnement, etc. doit être renforcée tandis que la connexion entre ces différents acteurs doit être développée. Ce n'est pas simplement la recherche médicale qui est ici impliquée. En réalité, c'est tout l'amont qu'il convient de repenser et de soutenir pour pouvoir disposer de ces molécules.
M. Cédric Villani, député, président de l'Office. - Merci beaucoup. Nous avons reçu deux nouvelles questions.
Les chercheurs tablent-ils sur le développement d'antiviraux à spectre large ou d'antiviraux adaptables à chaque pathogène pour pouvoir préparer des antiviraux de manière préventive ?
Nous avons entendu parler de l'utilisation de l'ARN, notamment pour empêcher la réplication des virus grâce à la technique d'ARN interférence. L'ARN pouvant être adapté à tous les pathogènes, ne s'agirait-il pas une solution adaptable idéale ?
M. Bruno Canard. - Les antiviraux à large spectre ou, en tout cas, spécifiques à chaque famille de virus, sont envisageables, car les enzymes ciblées par ces antiviraux sont extrêmement conservées. Par exemple, un antiviral qui aurait été actif contre le SARS-CoV-1, l'aurait très probablement été contre le SARS-CoV-2, puisque leur machinerie de réplication est la même. C'est là la difficulté des anticorps ou des vaccins pour lesquels ce travail doit être adapté à mesure des variants qui arrivent.
La technique de l'ARN interférence est une merveilleuse technique. Cependant, un certain nombre de problèmes restent à résoudre, notamment pour que ces ARN puissent atteindre leur cible dans les tissus infectés. En effet, ces ARN ont dû mal à pénétrer à l'intérieur des cellules et à trouver leur cible. Ces techniques seront probablement développées dans les années à venir. Pour le moment, les petites molécules issues de la chimie médicinale et les médicaments traditionnels ciblent mieux les tissus.
M. Xavier de Lamballerie. - L'idée des ARN interférents est excellente, mais se heurte encore à de très nombreux problèmes techniques. Par ailleurs, l'administration de ce traitement par voie orale paraît, à l'heure actuelle, très difficile. Les petites molécules perturbant la réplication des virus ont encore toute leur place parmi les traitements, et ce pendant de nombreuses années.
M. Yazdan Yazdanpanah. - Nous avons essayé de vous présenter pendant cette audition nos forces et nos faiblesses. De ce point de vue, notre expertise constitue une force formidable. Nous souhaitons travailler pour construire pour le moyen et le long terme et nous avons besoin de vous pour y parvenir.
M. Cédric Villani, député, président de l'Office. - Chers collègues et chers invités, au cours de cette riche matinée d'audition, nous avons pu rappeler à quel point la science est au coeur de grandes problématiques publiques, comme au coeur de cette pandémie. Bruno Canard et Xavier de Lamballerie ont fortement insisté sur ce point.
Les interventions ont également fait ressortir à plusieurs reprises que la recherche a besoin de progresser selon des canaux et des voies multiples. Vous avez tous insisté sur le nombre des molécules et des traitements à tester, mais nous avons aussi été impressionnés par le nombre de projets vaccinaux qui ont été lancés ainsi que par la diversité des techniques utilisées.
Selon les cas, ces projets peuvent aboutir ou non à des résultats positifs. Néanmoins, tout le monde a été surpris de voir à quel point la réponse vaccinale a été puissante et rapide. A contrario, le bilan pour les traitements s'avère plutôt maigre comme le soulignait Xavier de Lamballerie. Ainsi, les nombreux produits qui ont été testés en repositionnement s'assimilent dans l'ensemble à « un mirage » pour reprendre le terme que vous avez employé. Quelques traitements efficaces ont toutefois été obtenus pour la phase inflammatoire. J'ai également relevé le besoin de poursuivre la recherche en la matière sur une base plus organisée et systématique en prévision des épidémies qui ne manqueront pas de survenir.
Vous avez soulevé des problèmes de coordination. Ainsi, le grand nombre d'essais témoigne, certes, d'une effervescence, mais aussi d'une dispersion des efforts au niveau national et européen. Vous avez évoqué la déstabilisation issue de la médiatisation de certaines pistes particulières de traitement qui ont monopolisé le débat public et produit des effets extrêmement contre-productifs. Vous avez également abordé le différentiel entre la recherche à l'hôpital et celle en ville, sur laquelle nous devons progresser.
Les interventions défendant le bien-fondé et l'importance de l'ANRS-MIE, à laquelle les parlementaires que nous sommes adressent tous leurs voeux, m'ont paru tout à fait convaincantes. Nous avons également bien compris que vos moyens restent trop modestes par rapport aux attentes qui pèsent sur vous. À travers cette agence et les autres canaux institutionnels, nous devons travailler sur la gestion des ressources humaines, notamment sur la stabilisation et la bonne gestion des carrières. Nous devons en outre progresser en termes de simplification et de réactivité, mais aussi sur les moyens qui doivent être accordés aussi en amont et aussi efficacement que possible.
Nous nous situons à un moment particulier de la pandémie, puisque les statistiques récentes montrent la décrue du nombre de cas en France. Néanmoins, la vigilance doit rester de mise. Il est cependant temps de commencer à tirer les conclusions de cette pandémie, tant du point de vue des mécanismes d'hospitalisation, des traitements, que des stratégies publiques ou des questions institutionnelles. Votre audition nous a apporté sur ces différents points des conclusions provisoires, notamment sur la nécessité de progresser dans l'organisation de nos recherches au niveau national et international.
Au nom de tous mes collègues, il me revient de vous dire combien nous sommes fiers de nos chercheurs et de notre système de recherche. Vous représentez cette aspiration française à lutter contre l'inconnu et l'ignorance. Nous mesurons simultanément le chemin qu'il reste à parcourir pour combler nos retards et remédier aux lourdeurs et aux insuffisances en la matière.
Nous tâcherons de faire le meilleur usage de vos contributions.
M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office. - Je remercie très sincèrement l'ensemble des scientifiques qui ont participé à cette audition ainsi que les parlementaires. Cette audition donnera lieu à une synthèse écrite qui engagera l'Office et qui permettra aux parlementaires intéressés par ces questions de bénéficier d'un témoignage très direct des différents acteurs qui se sont impliqués. Ce témoignage permettra sans doute de rééquilibrer certaines informations superficielles qui sont parfois désobligeantes, et ce de manière totalement injustifiée, pour la performance française.
Nous avons bien entendu les propositions que vous avez évoquées, notamment le souci d'une coordination et d'une organisation spécifiques. Nous avons bien noté - et nous pourrons l'expliquer - que l'ANRS-MIE ne constitue pas une couche organisationnelle de trop. L'objectif est de faire comprendre aux parlementaires quels sont les points de résistance, et qu'il ne faut pas suivre les modes ou les humeurs, mais faire confiance à ceux qui ont fait le choix de la science et de la connaissance.
La réunion est close à 11 h 40.
- Présidence de M. Cédric Villani, député, président de l'Office -
La réunion est ouverte à 11 h 50
Examen des conclusions de l'audition publique sur les nouvelles techniques de sélection végétale
M. Cédric Villani, député, président de l'Office. - Nous sommes réunis pour évoquer une audition qui était très attendue et dont la mise au point a demandé des efforts considérables, non seulement de votre serviteur, mais aussi et surtout des rapporteurs et du secrétariat. Cette audition a porté sur les nouvelles techniques de sélection végétale - un sujet hautement sensible, puisqu'il a conduit à l'implosion du Haut Conseil des Bioechnologies (HCB).
De son côté, notre office, s'il a su éviter une telle implosion, a dû faire preuve d'une attention toute particulière pour mettre en valeur, aussi fidèlement et objectivement que possible, les nuances et divergences d'opinions qui se sont exprimées sur les plans technique et politique au cours de cette audition.
Plusieurs documents ont été préparés :
- le verbatim de l'audition, un document extrêmement riche qui permet de rendre compte de l'ampleur des sujets qui ont été abordés ;
- une synthèse d'une quinzaine de pages, recommandations comprises.
Les rapporteurs, Loïc Prud'homme et Catherine Procaccia, le premier vice-président Gérard Longuet et moi-même avons travaillé avec le secrétariat pour finaliser l'ensemble des sections de ce document afin d'exprimer fidèlement les différentes positions. Nous avons mis en avant le consensus partout où il pouvait être obtenu et acté les divergences, qu'elles s'expriment parmi les scientifiques ou les rapporteurs.
Pour rappel, cette audition s'est tenue le 18 mars 2021. Le thème abordé était celui des nouvelles techniques de sélection végétale, connues sous l'acronyme anglo-saxon NBT (New Breeding Techniques). Elle répondait à une demande de la Commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale portant sur les avantages et les risques associés à ces techniques. Il ne s'agit cependant pas d'un sujet que l'Office examine pour la première fois, puisque déjà, dans son rapport de 2017 sur les enjeux économiques, environnementaux, sanitaires et éthiques des biotechnologies, il avait fait le point sur les techniques de modification ciblée du génome en matière d'agriculture. À cet égard, on emploie souvent dans ce domaine les termes d'édition de génome (par analogie avec la terminologie anglaise « genome editing »). Néanmoins, le vocable approprié est bien celui de modification ciblée du génome.
Si le sujet est revenu sur le devant de la scène, c'est parce qu'il faisait l'objet d'une actualité réglementaire importante. À la suite de la saisine par le Conseil d'État français, lui-même mobilisé par différents acteurs tels que la Confédération Paysanne, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a été amenée à déterminer si les NBT devaient être soumis à la même réglementation que la transgénèse, une technique qui conduit aux OGM dits « classiques ». En d'autres termes, faut-il considérer du point de vue scientifique et légal les produits issus des NBT comme des OGM ? C'est aujourd'hui l'un des débats virulents au sein de l'Union européenne.
La CJUE, en 2018, a estimé que tel devait être le cas : les produits des NBT doivent être considérés comme des OGM. Depuis, les décrets d'application de cette décision à l'échelle nationale n'ont pas été validés. Il subsiste un flou sur l'utilisation des semences issues de ces techniques. D'ailleurs, certaines prises de parole du gouvernement laissent entendre que celui-ci ne partage pas la position de la CJUE. Par conséquent, un doute persiste sur une divergence qui pourrait éventuellement en découler entre les réglementations française et européenne.
La Commission européenne a produit une étude fin avril 2021, à la demande du Conseil européen. Cette étude vise à proposer une clarification du statut des nouvelles techniques génomiques dans le droit européen. Elle propose de revoir la réglementation 2001/18/CE actuellement inadaptée à ces techniques.
Les deux rapporteurs désignés par l'Office sont Catherine Procaccia et Loïc Prud'homme. Ils ont tenu l'essentiel des débats pendant cette audition de près de cinq heures, qui était divisée en trois tables rondes thématiques. Un grand soin a été apporté à leur composition pour que les points de vue, parfois opposés, y soient représentés de façon équitable.
La première table ronde a examiné les avancées scientifiques permises par les nouvelles techniques de sélection végétale en les replaçant dans le paysage de l'innovation végétale. La deuxième table ronde s'est concentrée sur l'évaluation des risques sanitaires et environnementaux et sur la question de la réglementation française. La troisième table ronde s'est attachée à analyser les enjeux du débat sous l'angle des sciences humaines et sociales, et en particulier le ressenti des Français vis-à-vis de ces techniques. Cette table ronde a été particulièrement instructive et nous a confortés dans la stratégie générale de l'OPECST visant à impliquer plus les sciences humaines et sociales dans l'analyse de ces sujets en général.
Le compte rendu que je vais vous présenter est articulé en plusieurs temps successifs.
Tout d'abord, de quoi parle-t-on lorsqu'on évoque les NBT ? Les NBT regroupent un ensemble relativement hétérogène de techniques. Au cours de l'audition, nous avons abordé exclusivement la technique de modification ciblée du génome. Le terme d'OGM, qui pourrait être compris, dans le langage courant, comme tout organisme dont le génome a été modifié par la main de l'homme, se réfère en réalité uniquement aux produits de la transgénèse, qui consiste en l'insertion d'un gène dans le génome d'une plante sans que son lieu d'insertion soit contrôlé.
Les techniques de modification ciblée du génome et surtout leur dernière génération qui utilise l'outil CRISPR-Cas9, dont la découverte a valu le prix Nobel de chimie 2020 à Emmanuelle Charpentier et Jennifer Doudna, permettent de réaliser des modifications très précises de la séquence génétique d'un organisme. Elles sont déjà utilisées en médecine humaine et le secteur du végétal y voit un intérêt pour produire de nouvelles variétés aux caractéristiques nutritionnelles ou agronomiques intéressantes.
Les acteurs qui y sont favorables ont insisté sur la grande précision de ces techniques. De surcroît, ils considèrent que leur utilisation n'a pas la même portée éthique que celle de la transgénèse dans la mesure où la modification ciblée du génome consiste à réaliser des modifications qui auraient pu en théorie se produire naturellement. L'INRAE a indiqué s'inscrire dans la recherche de modifications apportant aux plantes des caractéristiques utiles de lutte contre les virus et autres maladies, dans l'amélioration de l'absorption racinaire des nitrates, ou dans le décalage des floraisons pour améliorer la couverture végétale, par exemple.
Les premières variétés commercialisées dans le monde présentent des caractéristiques nutritionnelles intéressantes dans des contextes d'alimentation déséquilibrés, qu'il s'agisse de carences ou d'excès.
Les acteurs plutôt opposés à ces techniques ont nuancé la précision technique en indiquant qu'en plus de la modification souhaitée, la modification ciblée du génome et les techniques connexes utilisées laissent des traces dans le génome de la plante, non contrôlées. Le nettoyage de ces traces serait néanmoins possible via la réalisation de croisements supplémentaires appelés rétrocroisements qui sont également utilisés pour transférer ces modifications dans le génome d'une plante effectivement cultivée. Les plantes auxquelles sont destinées ces modifications sont qualifiées de « variétés élites ».
Si les objectifs présentés par les acteurs favorables à l'utilisation des NBT sont louables et potentiellement intéressants dans une perspective de transition agroécologique, les opposants ont rappelé que les mêmes objectifs ont été avancés pour la transgénèse et qu'ils n'ont pas été atteints. En effet, la majorité des OGM utilisés dans le monde présentent un trait de résistance à un herbicide qui est un encouragement à l'utilisation de celui-ci. Ceci ne constitue pas une pratique vertueuse au niveau environnemental, car elle conduit à un appauvrissement de la biodiversité.
Certains acteurs redoutent qu'une économie de la promesse soit à l'oeuvre, au sens où l'on effectuerait à travers ces NBT des promesses qui ne se concrétiseraient jamais. D'autres ont estimé ne pas cacher les limites des techniques existantes (en particulier, toutes les plantes ne peuvent pas être modifiées). Les promoteurs de ces techniques ne nient pas les obstacles à franchir, mais demandent que leur potentiel ne soit pas sous-estimé.
Le deuxième temps de cette synthèse concerne l'impact sanitaire éventuel des NBT. Faut-il soumettre à une évaluation des risques particulière les plantes issues des NBT ? Pour le HCB et pour l'Agence européenne de sécurité des aliments, certaines modifications opérées avec les NBT ne sont pas susceptibles de présenter un danger supplémentaire. Il est ainsi souhaitable de réaliser une évaluation au cas par cas en se basant sur la traçabilité et la déclaration documentaire de l'obtenteur.
Pour les opposants, il subsiste un risque lié aux effets hors cibles, qui justifie que les produits issus des NBT soient soumis aux mêmes procédures d'évaluation des risques que ceux issus de la transgénèse.
L'OPECST constate que, par rapport à la situation qui prévalait il y a quelques années, l'éventualité du risque sanitaire est désormais placée au second plan des préoccupations, y compris par les observateurs sceptiques qui mettent davantage en avant les risques liés à l'environnement ou au modèle agricole.
Le troisième temps de la synthèse concerne le défi de l'agrécologie. Tout le monde s'accorde sur le défi que représente la transition agroécologique, dont les enjeux ont été sous-estimés, de même que sur l'importance de la diversité (des techniques, des filières et la diversité génétique des plantes cultivées). Cette transition ne s'opérera pas avec des variétés et des modèles standardisés.
Les acteurs favorables aux NBT estiment que ces techniques peuvent contribuer à l'identification de nouvelles variétés intéressantes pour la transition, mais qu'elles ne permettront pas de relever tous les défis. L'INRAE considère qu'il convient de poursuivre la recherche sur les NBT afin de ne fermer aucune porte.
Les acteurs opposés aux NBT ont rappelé les échecs des OGM en matière de diversité. Selon eux, les mêmes contraintes économiques de retour sur investissement aboutiront aux mêmes écueils : l'utilisation de la technique sur les seules espèces de très grande culture, notamment. Un travail sur les pratiques culturales serait bénéfique. Par ailleurs, la diversité naturelle pourrait être mieux employée pour faire émerger des solutions intéressantes, notamment s'agissant de l'adaptation aux conditions locales de terroir et de culture.
Il est certain que le potentiel des NBT dans la transition agroécologique reste à démontrer par des cas d'usage concrets.
L'impact des NBT sur les modèles économiques agricoles constitue le quatrième temps de la synthèse. Cette question est au coeur des débats sur les pratiques contemporaines et dépasse le cadre de l'OPECST. Dans ce domaine s'est invité le débat autour de la propriété intellectuelle.
On constate un consensus des acteurs présents en faveur des certificats d'obtention végétale (COV) qui protègent la variété sur la base de critères phénotypiques. Ils permettent aux agriculteurs de ressemer, moyennant une rémunération équitable à l'obtenteur. Ils permettent également aux chercheurs d'effectuer librement leurs travaux sur les plantes concernées.
En l'état actuel du droit européen, les plantes ne sont pas soumises à brevet. Ce point a fait consensus. Cependant, le brevet reste envisageable pour des processus technologiques permettant l'obtention de variétés ou de gènes.
Certains participants redoutent que la brevetabilité des gènes restreigne grandement l'accès aux semences des sélectionneurs pour la création variétale et qu'elle pose des problèmes de diffusion dans les semences paysannes, venant dénaturer le principe du certificat d'obtention végétale. Il a également été rappelé que l'utilisation d'outils de modification ciblée du génome par la recherche n'est pas soumise à des contraintes de propriété intellectuelle, contrairement à la valorisation des produits obtenus avec ces outils.
Conclusion de cette réflexion : un fort soutien au modèle du COV, des enjeux qui supposent une instruction scientifique serrée et la nécessité de choix politiques nets en matière de propriété intellectuelle, ce qui ne relève pas du champ d'action de l'OPECST.
Sur la base des éléments dont il dispose, l'Office souhaite réaffirmer la nécessité que la propriété intellectuelle garantisse de bonnes conditions pour la recherche et l'innovation, en l'occurrence la création variétale, dans un objectif d'intérêt public. Ainsi, le brevet peut être utilisé de manière productive (en incitant la recherche) ou contre-productive (en protégeant des intérêts en place). Il faut donc promouvoir le brevet en tant qu'élément favorisant la recherche et l'innovation.
La traçabilité joue un rôle clé dans la mise en oeuvre de la propriété intellectuelle et l'information du consommateur. Elle forme le cinquième temps de notre synthèse. La question est complexe, une plante obtenue par NBT « pouvant potentiellement » être indiscernable d'une plante obtenue par sélection naturelle. Cependant, aucun consensus scientifique ne s'est fait jour sur ce point. Certains invités de l'audition ont affirmé que les plantes issues de NBT étaient indiscernables de plantes dans lesquelles la mutation serait survenue naturellement. D'autres, en revanche, ont évoqué des traces involontairement laissées par les techniques. Ces techniques font encore l'objet de recherches et le débat ne peut donc être tranché. Néanmoins, il semble incontestable que la détection des plantes issues de NBT est plus difficile que celle des plantes issues de transgénèse (OGM).
Les débats de l'audition publique ont également porté sur la recherche, qui donne lieu au sixième temps de la synthèse. Le constat de l'impossibilité de mener des recherches dans le domaine des biotechnologies végétales en dehors du champ de recherche académique a été dressé. Il a abouti à une fuite des cerveaux qui a été regrettée par les participants. En particulier, certaines recherches ne peuvent être financées dans un cadre national, ce qui peut conduire le chercheur concerné à s'expatrier.
La recherche académique ne fait ainsi plus de demandes d'expérimentation en plein champ. Certains participants l'ont regretté, tandis que d'autres estiment que l'Europe ne devrait pas s'engager dans cette voie et développer ses compétences en la matière en vue d'envisager la transition agroécologique.
Traditionnellement, l'OPECST encourage le développement des recherches (dès lors qu'elles ne comportent pas de risque) ainsi que l'épanouissement des jeunes chercheurs et chercheuses. Sur la modification ciblée du génome qui se situe à la croisée de plusieurs domaines, il semble important de ne pas obérer la recherche. C'est pourquoi nous préconisons que les discussions sur les protocoles d'expérimentation puissent reprendre, dans l'esprit transpartisan qui avait cours au sein du HCB, impliquant toutes les parties prenantes. Il convient de découpler la recherche en la matière des possibles cultures à visée commerciale Il convient de dupliquer en matière de recherche ce qui se fait en matière de culture à visée commerciale (à vocation expérimentale).
Le débat français sur les NBT s'insère dans un climat plutôt négatif découlant du débat sur les OGM. Il s'assortit d'une grande défiance de la population s'agissant de la capacité des autorités nationales à assurer la sécurité sanitaire de l'alimentation. Ceci forme le septième temps de la synthèse.
Les sociologues ont souligné que l'appréciation de la balance bénéfices-risques est propre à chaque individu et liée aux émotions. Or, à l'heure actuelle, aucun bénéfice marquant n'a été démontré pour le consommateur. Aucune modification avancée n'est susceptible de changer la donne concernant notre alimentation en Europe occidentale.
Les NBT étant beaucoup plus récentes que les OGM, il n'existe que quelques exemples de variétés commercialisées, même dans les pays où la législation est bien plus souple. Cette absence de bénéfice visible ne permet donc pas d'établir une balance favorable dans le ressenti du citoyen. Les sociologues s'accordent à dire que le débat changera de nature le jour où une application bénéfique clairement identifiée pour la santé du consommateur ou l'environnement verra le jour. Il sera souhaitable d'expliciter les défis que représente la transition agroécologique et les outils qui sont envisagés pour y répondre.
En ce qui concerne leur image, les NBT ont l'avantage d'être plus précis et d'offrir plus de potentialité que les OGM. Elles sont en outre associées au prix Nobel d'Emmanuelle Charpentier et à des applications bénéfiques en médecine.
J'en viens à évoquer maintenant plus largement le débat de société sur les NBT, huitième temps de la synthèse. Ce débat est complexe et il importe de le poursuivre dans une logique transpartisane, telle que celle suivie par le HCB. Cette entité n'a cependant pas survécu à ce débat, notamment du fait de sa proximité avec les instances gouvernementales. Le gouvernement a fait le choix de l'efficacité en réaffectant ses missions dans plusieurs institutions. Pourtant, cette disparition est regrettable. Les blocages du HCB n'étaient pas nécessairement liés à sa composition, mais tenaient à la difficulté intrinsèque d'un débat qui est à la fois scientifique, philosophique, économique et social et doit donc être abordé selon une variété de regards. Peut-être était-ce un leurre de penser que l'on trouverait une réponse rapide à ce débat.
La question des valeurs a également été évoquée. Si les objectifs sont louables, la technique n'est pas neutre, comme l'a rappelé Bernadette Bensaude-Vincent. En effet, une technique véhicule toujours les valeurs de la communauté qui la porte. Utiliser ces techniques entre en contradiction avec les valeurs des tenants d'une version forte de l'agroécologie qui suppose d'agir et de faire avec la nature. Jean-Yves Le Déaut a déploré que le dialogue soit rendu difficile par des positions idéologiques.
Le débat sensible sur l'étiquetage est également intervenu dans l'audition. Pour les uns, des produits identiques doivent être étiquetés à l'identique. Pour les autres, les consommateurs sont en droit de connaître l'origine des variétés qu'ils consomment ainsi que les tenants et aboutissants qui lient ce produit à l'ensemble de la chaîne. Ce débat peut être rapproché de celui sur l'affichage des filières équitables dans le cadre desquelles, au-delà du produit lui-même, toute la chaîne socio-économique de production est évaluée à travers des labels.
Les incertitudes scientifiques qui demeurent conduisent à une méfiance de l'opinion publique. L'OPECST soutient la nécessité d'un débat public (scientifique, politique, économique et sociétal) évoquant aussi bien la nature des différentes techniques que leurs usages avérés pour permettre aux citoyens de prendre position.
Enfin, cette synthèse ne peut manquer de faire état des questions posées par la réglementation européenne. Adoptée en 2001 avant l'invention des NBT, et précisée dès le départ de façon peu satisfaisante à travers une liste d'exceptions, basée uniquement sur la notion de risque qui ne représente qu'une facette du débat, la directive 2001/18/CE nécessite d'être réévaluée. La réécrire intégralement serait la solution la plus ambitieuse. A tout le moins, il est souhaitable que la réglementation puisse évoluer en fonction des techniques comme le recommandait le Science Advice Mecanism. Cela pourrait se traduire par une réévaluation régulière de tout ou partie de la réglementation comme l'a proposé l'Académie d'agriculture.
Plusieurs acteurs ont exprimé leur vif rejet des conclusions de la CJUE et ont estimé que leur application consisterait en une interdiction de fait des NBT, à rebours du progrès scientifique. La pertinence de baser l'évaluation des risques sur le produit et non sur la technique a été illustrée par l'exemple des variétés résistantes aux herbicides qui peuvent être obtenues à partir de techniques ne relevant pas de la transgénèse ou des NBT. Il s'agit d'un exemple d'application non vertueuse, indépendante de la technique avec laquelle ces variétés ont été obtenues.
En rapport avec les précédentes recommandations de l'OPECST, une réglementation entièrement refondée devrait permettre d'appliquer un nouveau cadre d'évaluation dès que les propriétés d'une nouvelle variété le nécessitent, qu'elle soit issue d'une sélection classique, de techniques actuellement exemptés par la réglementation OGM ou des NBT.
Quel que soit le cadre à venir, l'évaluation des risques doit porter sur les risques sanitaires et les effets environnementaux liés aux pratiques. Ces derniers ont occupé la plus grande part de l'audition du 18 mars. Il s'agira d'une évaluation systémique basée sur le produit, ses caractéristiques et son utilisation dans le paysage agricole.
Ce sujet comprend de multiples facettes et est particulièrement complexe. Je passe la parole aux rapporteurs pour qu'ils puissent exposer leurs recommandations tout en insistant sur les points de convergence et de divergence qui ont subsisté à l'issue des débats.
Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l'Office, rapporteur. - Le texte qui vient d'être présenté et la synthèse de l'audition ont été établis en concertation. Cette démarche a été difficile, mais elle s'inscrit dans la continuité des travaux de l'OPECST. En effet, dans la mesure où l'Office a produit sur ces sujets un rapport en 2017, il était logique, quatre ans plus tard, de faire le point sur les évolutions de ces techniques.
Nous vous proposons des recommandations des rapporteurs qui seront, ou non, approuvées par l'Office. Ces recommandations font consensus, en tout cas dans leur formulation.
Première recommandation : L'OPECST soutient la nécessité de ne pas obérer la recherche et de garantir la possibilité de continuer à étudier les NBT dans un objectif d'intérêt public. Les connaissances scientifiques devraient progresser sur la question de la détectabilité ainsi que sur la possibilité d'une coexistence entre cultures NBT et non-NBT.
L'OPECST réaffirme son attachement à l'existence d'un débat public transpartisan examinant les nombreux aspects du sujet (scientifiques, économiques, politiques et sociétaux) en considérant les usages avérés des produits issus de ces techniques. L'OPECST constate que les applications aux bénéfices concrets pour les consommateurs ou aux avantages agronomiques utiles pour la transition agroécologique manquent encore et que leur apparition permettra au consommateur de mieux apprécier l'intérêt de cette technique.
M. Loïc Prud'homme, député, rapporteur. - Les divergences d'approches sont résumées dans le titre même de l'audition. La contradiction apparaît dans la traduction même de NBT en « techniques de modification ciblée du génome ». En effet s'agit-il d'un équivalent de la sélection naturelle ? Sur ce point, les discussions ont été très riches et conduisent à des divergences d'appréciation entre les deux rapporteurs.
La deuxième recommandation fait écho à mes préoccupations sur la dispersion des plantes dans le milieu naturel et la perte de biodiversité qui pourrait en découler.
Deuxième recommandation : L'OPECST souhaite que les conditions d'expérimentation en plein champ soient révisées de manière transpartisane afin qu'elles garantissent à la fois la non-dissémination des plantes issues de NBT et la possibilité d'expérimenter dans des conditions semblables aux conditions réelles de culture, sans craindre une destruction des cultures.
Il s'agit là de réaffirmer la nécessité de pouvoir opérer une recherche sur ces techniques tout en se prémunissant des risques de dissémination tant que toutes les controverses ou tous les risques ne sont pas levés.
Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l'Office, rapporteur. - Cette recommandation concerne les expérimentations effectuées en France. En effet, à l'étranger ces expérimentations sont possibles. Pour que la France puisse prendre position, il faut que ces techniques puissent être expérimentées en toute sécurité. On ne saurait ainsi se fonder uniquement sur des expériences étrangères.
Troisième recommandation : L'OPECST insiste sur la nécessité de réévaluer la directive 2001/18/CE et souhaite qu'elle soit repensée de manière à ce que l'évaluation du risque nécessaire à l'autorisation d'un produit issu de la modification du génome soit fondée sur le produit de cette modification et non sur la technique utilisée, comme il le préconisait déjà dans son rapport de 2017.
A tout le moins, la directive doit pouvoir évoluer en fonction des techniques. L'OPECST propose de réaliser une réévaluation régulière de la traduction nationale de la directive dans un délai de cinq ans. Cette réévaluation devra comporter un volet de débat public.
Rétrospectivement, on peut se dire que la directive de 2001 aurait dû être réévaluée et adaptée au fur et à mesure du développement des OGM. Nous espérons que ce sera bien le cas à l'avenir.
M. Loïc Prud'homme, député, rapporteur. - Nous retrouvons cette question de la discussion entre transgénèse (qui était le cadre de la directive de 2001), mutagenèse (dirigée ou aléatoire) et sélection. Voici le coeur du débat qui se retrouve dans la directive européenne. Il nous semble nécessaire d'examiner ces questions de façon plus actuelle.
Quatrième recommandation : L'OPECST rappelle que l'évaluation des risques doit comprendre les effets sanitaires, mais aussi les effets environnementaux liés aux pratiques. Une évaluation systématique basée sur le produit, ses caractéristiques et son utilisation dans le paysage agricole est nécessaire, et ce que le produit soit issu d'une technique de modification du génome ou non.
Comme l'a déjà évoqué Cédric Villani, cette question des risques environnementaux a été largement soulevée. Les discussions ont été franches et claires. On voit bien que le développement de ces techniques vise à produire des variétés résistantes à des produits phytosanitaires, permettant à des firmes de vendre massivement ces produits. L'histoire des OGM nous a appris cette réalité. Il existe, certes, des applications bénéfiques. J'invite, toutefois, chacun à ne pas se laisser abuser par ces rares applications bénéfiques. Il convient au contraire d'avoir en tête toutes ces questions. Le champ de ces discussions s'étend en effet au-delà des aspects scientifiques.
Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l'Office, rapporteur. - Je vais passer sur la cinquième recommandation, qui est la seule à ne pas faire l'objet d'un consensus entre les deux rapporteurs.
Sixième recommandation : L'OPECST estime qu'il est nécessaire de préserver le modèle du certificat d'obtention végétale et de donner la priorité à la recherche de l'intérêt public.
M. Loïc Prud'homme, député, rapporteur. -
Septième recommandation : L'OPECST souhaite que le gouvernement prenne rapidement position sur la question de l'application de la décision de la CJUE (Cour de justice de l'Union européenne). On constate en effet un désaccord entre son interprétation par la Commission européenne et le Conseil d'État français.
De ce fait, rien ne se passe, ce qui constitue une situation inacceptable pour les acteurs.
M. Cédric Villani, député, président de l'Office. - Tout le monde est insatisfait. Qui plus est, que le gouvernement tranche dans un sens ou dans un autre, il suscitera fatalement des insatisfactions. Cependant, à l'Office, nous ne pouvons pas nous satisfaire d'une situation floue qui perdurerait.
Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l'Office, rapporteur. -Le Conseil d'État a procédé à une application extensive de l'arrêt de la CJUE en l'appliquant à la mutagénèse aléatoire in vitro. De ce fait, l'Union européenne estime que la décision du Conseil d'État n'est pas conforme à celle de la CJUE. Ce sont donc les juristes qui sèment quelque peu le désordre dans ces dossiers.
Cette situation ne doit pas perdurer. Jusqu'à présent, sur la question des NBT, tous les gouvernements se sont transmis le dossier en refusant de trancher. Nous espérons cependant qu'on ne jouera plus sur les délais et que le gouvernement actuel ne se contentera pas d'attendre les élections pour transmettre à son tour le dossier à ses successeurs. Nous souhaitons au contraire qu'il prenne une décision sur les NBT. Certains souhaiteraient que ces produits soient assimilés aux OGM, d'autres non. Nous demandons une décision sur cette question ainsi que la réévaluation régulière des techniques scientifiques qui s'appliquent au végétal.
M. Loïc Prud'homme, député, rapporteur. - Sur la cinquième recommandation, nos avis sont effectivement divergents. Je souhaite que soit imposé le principe d'un étiquetage transparent prenant en compte la nature des procédés utilisés et non uniquement la nature des produits, dont les modalités seront à définir.
Comme cela a été indiqué par Cédric Villani, deux produits à la composition identique pourraient tout de même se différencier par leurs filières de production. J'ajouterai qu'il n'existe pas de consensus scientifique sur l'absolue identité entre deux plantes qui seraient issues, l'une, d'une mutagénèse dirigée, l'autre, d'une sélection effectuée à partir de variétés déjà existantes. Je pense qu'une transparence complète est absolument nécessaire pour lever toute ambiguïté sur les techniques qui permettent d'obtenir ces végétaux.
Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l'Office, rapporteur. - Pour ma part, je ne le souhaite pas. En effet, la position de l'OPECST en matière de sélection végétale a toujours consisté à affirmer qu'il convient d'analyser les caractéristiques du produit final. S'il est identique à celui obtenu par une sélection traditionnelle, pourquoi susciter la méfiance sur un produit ? Qui plus est, il semble anticipé de parler de l'étiquetage aujourd'hui, alors qu'aucun produit issu des NBT ne se trouve sur le marché et que l'on demande une réévaluation régulière de ces techniques. Dans ces conditions, je ne vois pas l'intérêt d'aborder dès à présent cette question de l'étiquetage.
M. Cédric Villani, député, président de l'Office. - Merci beaucoup aux deux rapporteurs pour le travail qu'ils ont effectué et pour cette présentation exhaustive de leurs points d'accord et divergences.
M. Bruno Sido, sénateur. - Je rappellerai en préambule que je suis ingénieur agronome. Je remercie également les rapporteurs pour leur travail sur ce sujet extrêmement complexe, voire existentiel. Leur désaccord fait avancer le débat.
Je voudrais rappeler que le blé que nous connaissons est un blé hexaploïde et qu'il ne s'agit donc pas d'une plante naturelle. Nos ancêtres il y a 2 000 ans ont réussi à le sélectionner, preuve qu'il existait déjà à l'époque des modifications génétiques mises en oeuvre par l'homme.
Je souhaiterais également rappeler que les OGM ont été initialement créés dans l'objectif de vendre un herbicide. Ces travaux de recherche ont en effet été menés par l'entreprise qui a créé le Roundup. Il s'agissait ainsi de créer une variété de colza résistante au Roundup, et ce dans un objectif économique. Or, en tant qu'agriculteur, je peux dire que le désherbage du colza est extrêmement compliqué, coûteux et néfaste pour l'environnement. L'usage du Roundup au moment opportun causait certainement moins de dommages que tous les herbicides que l'on utilisait précédemment.
Peut-on rappeler que cette affaire ne concerne pratiquement pas l'Office parlementaire ? Je m'explique. Scientifiquement, il est très difficile de différencier les OGM et les NBT. La discussion est politique et non scientifique. Elle est éminemment humaine. À cet égard, le peuple français a peur de tout. Cependant, toutes ces positions recouvrent à mon sens une grande hypocrisie. En particulier, l'Europe interdit de semer des OGM sur son territoire alors qu'elle en autorise l'importation et la consommation. Cette hypocrisie généralisée s'étend d'ailleurs aux politiques que nous sommes.
La stratégie d'autonomie alimentaire que défend actuellement le gouvernement et que je défends également est très importante. L'actuel ministre de l'Agriculture me semble avoir parfaitement raison. Toutes ces techniques doivent permettre de reconquérir cette autonomie.
Les objectifs de la politique actuelle - que je partage - sont une plus faible utilisation des produits phytosanitaires et une plus grande résilience. Or, depuis quelques années, avec le dérèglement climatique, les récoltes évoluent en dents de scie. Les agriculteurs se trouvent ainsi en grave difficulté.
Cette méthode NBT est intéressante, car elle permet d'aller plus vite que la nature et non pas de faire le contraire de ce qu'elle peut produire ou de la forcer. Nous avons précisément besoin d'aller plus vite, tant le dérèglement ou le réchauffement climatique est bien présent. Il est donc indispensable d'identifier des solutions permettant de trouver des variétés résistantes aux insectes, aux maladies ou à la sécheresse et adaptées au climat actuel.
Nous avons besoin d'une politique cohérente. Nous ne pouvons pas rechercher une souveraineté alimentaire tout en étant les seuls au monde à refuser tout progrès technologique et génétique. Par conséquent, j'attire l'attention des uns et des autres sur le fait que cette question est très grave. On n'a pas autant discuté de ces sujets à l'occasion de la PMA et de la GPA, qui sont beaucoup plus graves encore, que lorsque l'on a évoqué la sélection végétale. Nous devons évoluer rapidement sur ces questions, balayer d'un revers de la main l'hypocrisie et être cohérents dans nos stratégies gouvernementales. Dès lors, ce sujet me semble dépasser largement l'Office parlementaire.
M. Loïc Prud'homme, député, rapporteur. - Les propos que vient de tenir Bruno Sido font ressortir cette divergence dans la perception des NBT : celles-ci visent-elles à « aller plus vite que la nature » ou à faire différemment ? Pour ma part, je soutiens cette deuxième perception.
Par ailleurs, l'autonomie alimentaire et la résilience constituent bien des objectifs que nous poursuivons. Néanmoins, je rappelle que les licences CRISPR-Cas9 sont achetées aujourd'hui par les grandes firmes phytosanitaires. Dans ces conditions, serons-nous réellement en mesure d'assurer cette autonomie et cette résilience si tous nos agriculteurs se retrouvent dans une situation de dépendance vis-à-vis de ces firmes ? Effectivement, cette question n'est pas uniquement scientifique et dépasse le champ de l'Office.
Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l'Office, rapporteur. - Merci pour ces explications. Bruno Sido dispose d'une compétence que je n'ai pas. Pour ma part, j'ai appris à découvrir ces nouvelles techniques et je suis enchantée que l'OPECST puisse trouver un certain nombre de consensus, notamment sur la nécessité de prendre rapidement des positions et de réévaluer ces techniques. De la même façon que les lois bioéthiques doivent être réévaluées tous les cinq ans, pourquoi les lois qui concernent les végétaux ne seraient-elles pas réévaluées régulièrement, que ce soit pour les NBT ou pour d'autres techniques ?
Je souhaite que des évaluations soient réalisées afin d'identifier ou non la proximité des produits issus de ces techniques avec les OGM. À l'avenir, d'autres techniques verront le jour. Je crois que la science doit évoluer et que nous devons évoluer avec elle. Par exemple, la question des traces et des effets hors-cible, qui était prégnante en 2013-2014, l'est beaucoup moins aujourd'hui. Il y a cinq ans, on pensait que ce type de techniques pouvait entraîner des cassures par ailleurs dans l'ADN, notamment sur l'homme. Or les expériences qui ont été faites prouvent l'absence de telles cassures. Dans l'intervalle, la technique a évolué.
M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office. - Je voudrais exprimer ma reconnaissance et ma gratitude à l'endroit des deux rapporteurs. Nous avons naturellement tous le droit de défendre des points de vue différents. Nous devons être en mesure de proposer à nos compatriotes des chemins raisonnables pour progresser sur un terrain transpartisan. En effet, nous devons composer avec un certain nombre de réalités, quels que soient les jugements que nous portons sur celles-ci.
Le texte que vous nous avez présenté me semble parfait, car il ne cache rien et ne condamne rien a priori. Il entretient ce comportement positif qui constitue dans notre pays l'héritage d'une tradition de rationalité lentement conquise et consolidée depuis le XVIIIe siècle. Je me réjouis que nous puissions avancer sans concession aux marchands de peurs et d'illusions absolues.
C'est la qualité du travail parlementaire que je voudrais ici saluer. Chaque mot compte, la sémantique peut donner lieu à des batailles, la présence ou la place des virgules peut signifier une décision importante. Quoi qu'il en soit, les conclusions que vous proposez me semblent de nature à faire progresser la maîtrise de ce sujet par la société française, dans un cadre européen et international. Au moins nous ne serons plus dans cette situation d'isolement et de repli qui nous aurait condamnés à une forme d'obscurantisme et de régression.
M. Cédric Villani, député, président de l'Office. - La France est un pays amoureux de la rationalité et de l'universalisme en même temps qu'un grand pays de débats, de polémiques et de défiance. C'est le travail de l'Office que de trouver sa place dans cette confrontation des idées, en instruisant les dossiers scientifico-politiques avec le plus d'objectivité possible, mais sans méconnaître l'importance du débat et de la diversité des points de vue. Il ne revient surtout pas à l'OPECST de dicter les choix politiques. Nous sommes ici pour éclairer les choix politiques et non les définir.
Nous pouvons être fiers du travail accompli. Il fallait mettre à jour le travail déjà effectué par l'OPECST et prendre acte des évolutions intervenues depuis 2017. Par exemple, la question des traces et les aspects sanitaires font désormais l'objet de débats moins virulents. En revanche, les questions environnementales se posent avec une acuité accrue, du fait de la conscience de l'urgence environnementale. Il en va de même des questions économiques.
Sur ces sujets, il convient de se montrer très ouvert, mais non naïf. Nous voyons à l'oeuvre à l'échelle mondiale des mouvements de concentration considérables et des modèles économiques « impressionnants ». Ces modèles s'appliquent notamment à la manière dont les OGM sont cultivés dans certaines parties du monde. Ces questions économiques et sociétales dépassent le cadre de l'OPECST, il faut simplement en avoir conscience.
Dans cette logique d'ouverture, nous réaffirmons l'importance de mener des travaux de recherche, surtout sur des techniques à la croisée des domaines médicaux, environnementaux et agronomiques. Nous ne devons pas exclure le recours à un outil qui pourrait avoir sa place dans la transition agroécologique sans pour autant céder à l'emballement et adhérer d'emblée à une conviction.
J'ai le sentiment qu'un équilibre a été trouvé à travers ce texte et que l'Office a bien fait son travail.
Sur les sept recommandations, six font l'objet d'un consensus entre les rapporteurs. A l'inverse, le sujet de l'étiquetage soulève d'autres questions liées à la vie économique et à notre vision de la société. Il me semble possible de conserver en l'état la recommandation correspondante sans que l'OPECST ait à trancher.
Pour ma part, et sans que cela n'engage l'Office, je suis plutôt favorable à la position de Loïc Prud'homme sur cette cinquième recommandation. Il me semble néanmoins que les deux positions sont légitimes et ont leur logique.
Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l'Office, rapporteur. - Il me semblerait possible d'ajouter à cette recommandation la phrase suivante : « Elle estime qu'en tout état de cause, cette question est prématurée ».
M. Cédric Villani, député, président de l'Office. - Nous pouvons effectivement apporter cette précision.
Mes chers collègues, je vous propose à présent d'adopter ce rapport en l'état, avec toutes nos félicitations aux deux rapporteurs.
Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l'Office, rapporteur. - Je salue également la forte implication du président.
M. Cédric Villani, député, président de l'Office. - Je n'ai fait que mon devoir !
L'Office autorise la publication du rapport d'information présentant les conclusions et le compte rendu de l'audition publique sur « les nouvelles techniques de sélection végétale en 2021 : avantages, limites, acceptabilité ».
La réunion est close à 13 heures.