- Mardi 25 mai 2021
- Proposition de loi tendant à abroger des lois obsolètes pour une meilleure lisibilité du droit - Procédure de législation en commission - Examen du rapport et du texte proposé par la commission
- Proposition de loi renforçant le suivi des condamnés terroristes sortant de détention - Examen des amendements au texte de la commission
- Proposition de relative aux causes de l'irresponsabilité pénale et aux conditions de réalisation de l'expertise en matière pénale - Examen des amendements au texte de la commission
- Mercredi 26 mai 2021
- Proposition de résolution visant à améliorer le suivi des ordonnances, rénover le droit de pétition, renforcer les pouvoirs de contrôle du Sénat, mieux utiliser le temps de séance publique et renforcer la parité - Examen du rapport et du texte de la commission
- Projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets - Examen du rapport pour avis
- Réforme de la haute fonction publique - Audition de Mme Amélie de Montchalin, ministre de la transformation et de la fonction publiques
- Jeudi 27 mai 2021
Mardi 25 mai 2021
- Présidence de M. François-Noël Buffet, président -
La réunion est ouverte à 9 heures.
Proposition de loi tendant à abroger des lois obsolètes pour une meilleure lisibilité du droit - Procédure de législation en commission - Examen du rapport et du texte proposé par la commission
M. François-Noël Buffet, président. - Mes chers collègues, nous examinons ce matin, selon la procédure de législation en commission définie aux articles 47 ter et suivants de notre Règlement, le rapport de Catherine Di Folco et le texte proposé par la commission sur la proposition de loi n° 68 (2020-2021) tendant à abroger des lois obsolètes pour une meilleure lisibilité du droit, présentée par Vincent Delahaye, Valérie Létard et plusieurs de leurs collègues.
M. Vincent Delahaye, auteur de la proposition de loi. - Merci d'avoir accepté d'examiner cette proposition de loi selon la procédure de législation en commission. Ce texte fait suite à une première proposition de loi dite « BALAI », acronyme de « Bureau d'abrogation des lois anciennes et inutiles », qui concernait une cinquantaine de textes. Cette démarche, que j'ai engagée avec Valérie Létard, vise à supprimer des lois qui ne servent plus à rien. Je remercie le président du Sénat, qui a soutenu ce travail de longue haleine. Il s'agit d'ailleurs de l'une des démarches qu'il souhaite promouvoir au sein de notre assemblée.
Cette proposition de loi « BALAI 2 » porte sur quelque 160 textes et a nécessité l'avis de nombreux ministères, avec des délais de réponse plus ou moins rapides. Nous avons également été confrontés à quelques non-réponses...
Le président Gérard Larcher a saisi le Conseil d'État pour connaître son avis. Ce dernier a émis des doutes sur une vingtaine de textes. Nous en prenons acte. Par ailleurs, certains ministères nous ont fait part aussi de quelques réserves. Au total, une cinquantaine de textes soulèvent des interrogations. C'est un travail de long terme, nous aurons donc le temps d'y revenir ultérieurement, après les recherches et approfondissements qui s'imposent. Le « nettoyage » pourra se poursuivre, il ne s'agit pas d'une opération destinée à s'arrêter à cette deuxième proposition de loi : un troisième texte est en cours de rédaction, qui concerne plus spécifiquement le code général des collectivités territoriales.
En tout état de cause, nous avons intérêt à poursuivre collectivement cette démarche vertueuse. Je suis heureux que le Sénat puisse faire preuve d'utilité publique avec l'adoption de cette proposition de loi, en essayant de faire en sorte qu'elle demeure la plus consensuelle possible, conformément à notre objectif de départ.
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - Avec la procédure de législation en commission, je vous rappelle que le droit d'amendement s'exerce uniquement en commission, la séance en hémicycle, qui se déroulera le 3 juin après-midi, sera centrée sur les explications de vote et le vote sur l'ensemble du texte que nous adopterons à l'issue de nos débats.
Seuls les amendements qui auront pour objet d'assurer le respect de la Constitution ou d'opérer une coordination avec d'autres dispositions du texte, d'autres textes en cours d'examen, ou avec des textes en vigueur seront recevables.
La présente proposition de loi dite « BALAI 2 » fait suite à une première loi « BALAI » du 11 décembre 2019 qui exposait déjà les résultats de la mission de simplification législative, dite « mission BALAI », acronyme de « Bureau d'abrogation des lois anciennes inutiles », créée en janvier 2018 par le Bureau du Sénat. Cette mission tend à identifier puis à abroger les dispositions devenues obsolètes ou inutiles via des propositions de loi.
Ces deux textes poursuivent ainsi les objectifs constitutionnels de clarté, d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi. Ils permettent, en effet, de réduire le stock de normes, d'éviter tout risque de confusion avec des lois ultérieures et d'améliorer la lisibilité de notre droit.
Pour rappel, la loi « BALAI 1 » avait permis d'abroger une cinquantaine de lois adoptées entre 1819 et 1940. Notre collègue centriste nous propose aujourd'hui d'en abroger 163, qui ont été adoptées entre 1941 et 1980.
Si l'objet du présent texte est bien de diminuer le stock de lois, il convient toutefois de garantir une parfaite sécurité juridique. En effet, le droit français ne prévoit pas d'abrogation expresse par le seul écoulement du temps. Ainsi, le juge, l'administration ou les justiciables peuvent se prévaloir de textes anciens, parfois, antérieurs à la Révolution française, sous réserve de leur compatibilité avec le droit postérieur.
Le risque d'une opération « BALAI » est donc d'abroger par erreur un texte d'apparence obsolète, mais qui constituerait toujours, en réalité, la base légale d'un acte ou d'une situation actuels. Rupture dans le paiement d'une pension, nullité d'un acte, mise en oeuvre de la responsabilité de l'État du fait des lois, adoption d'une loi de validation..., les conséquences d'une abrogation accidentelle pourraient être particulièrement lourdes et préjudiciables.
C'est la raison pour laquelle nous avons travaillé de concert avec les services du ministère de la transformation et de la fonction publiques et la direction des affaires juridiques de Bercy, chargée de coordonner les travaux avec les différents ministères, avec la plus grande rigueur et la plus grande prudence pour examiner les mesures d'abrogation prévues par cette proposition de loi, le doute conduisant toujours à renoncer à l'abrogation d'un texte en cas d'incertitude sur ses conséquences juridiques concrètes.
Nous nous sommes appuyés sur l'avis du Conseil d'État, rendu le 11 février 2021, pour examiner dans le détail les 163 lois mentionnées dans la proposition de loi. Nous avons passé au crible chaque article, chaque alinéa, afin de s'assurer que l'abrogation proposée ne se heurte à aucun obstacle juridique et qu'elle ne soulève pas d'objection en termes de bonne législation. In fine, cela me conduit à vous proposer, avec l'accord bien entendu de notre collègue Vincent Delahaye, d'écarter 49 des 163 lois dont la proposition de loi proposait l'abrogation. Ce nombre peut sembler important, mais il doit être regardé à la lueur de l'extrême prudence qui a guidé nos travaux.
Ces retraits ont été motivés par quatre motifs qui se sont parfois cumulés.
Premier motif, certaines lois sont toujours utilisées ou pourraient l'être. Je vous propose naturellement d'écarter les lois dont les conséquences de l'abrogation seraient dommageables ou risquées dès lors que leurs dispositions produisent toujours des effets de manière certaine ou sont toujours susceptibles de fournir une base légale à des situations ou des actes. Par exemple, je suggère de ne pas abroger la loi du 27 décembre 1975 portant réforme du régime d'indemnisation des sapeurs-pompiers communaux non professionnels victimes d'un accident survenu ou d'une maladie contractée en service commandé puisque cette loi constitue encore le fondement légal du versement de la pension de vingt-deux anciens sapeurs-pompiers.
Parmi les textes qui ne sont pas nécessairement utilisés, mais qui pourraient toujours se révéler utiles, je vous invite à conserver la loi n° 78-727 du 11 juillet 1978 de programme sur les musées, dont l'article 3 prévoit, au bénéfice du Parlement, des pouvoirs de contrôle spécifiques relatifs au musée d'Orsay.
Deuxième motif, l'abrogation de certaines lois nuirait à l'intelligibilité du droit en vigueur.
Certaines lois comportent des articles ayant introduit ou modifié des dispositions toujours en vigueur au sein d'un code ou d'une autre loi. Quel effet juridique pourrait avoir l'abrogation d'une disposition introductrice ou modificatrice ? Comment pourrait être interprétée cette abrogation par le public ?
À ce sujet, l'avis du Conseil d'État est éclairant puisqu'il indique qu'une disposition « A » qui introduit, modifie ou abroge une disposition « B » épuise ses effets dès son entrée en vigueur. En conséquence, l'abrogation ultérieure de la disposition « A » est sans effet sur la disposition « B ». Ainsi, l'abrogation d'une loi procédant elle-même à une abrogation n'a pas pour effet de rétablir la loi initiale : « abrogation sur abrogation ne vaut. »
Si cet adage juridique est bien admis, il n'en va pas de même pour les autres solutions auxquelles ce raisonnement aboutit. Beaucoup ne sont pas instinctives et risquent de créer de la confusion là où la présente proposition de loi cherche, au contraire, à introduire de la lisibilité.
Par exemple, à la question « que se passe-t-il si l'on abroge la loi du 28 décembre 1977 qui a créé l'article 112 du code civil ? », certains juristes, praticiens ou « simples » citoyens répondront que l'article 112 est abrogé, d'autres que cet article est toujours en vigueur. Afin d'éviter que cette question ne se pose et qu'il revienne, le cas échéant, au juge d'y répondre à l'occasion d'un contentieux, en accord avec le Gouvernement, je vous propose de ne pas abroger les lois ayant introduit ou modifié des dispositions toujours en vigueur afin de garantir l'intelligibilité du droit positif.
Troisième motif, l'abrogation ne doit pas introduire de risques « par ricochet ». En effet, des renvois au sein d'autres textes ont pu être établis par le législateur et il est parfois difficile de mesurer la conséquence de l'abrogation d'une disposition à laquelle un autre article fait référence.
Aussi, afin d'évaluer les problèmes de coordination que pourraient induire les abrogations proposées, nos travaux ont porté sur la recherche de ces renvois, ceux-ci étant particulièrement difficiles à détecter pour les textes anciens. Lorsque les renvois détectés se sont avérés caducs ou sans risque, il n'y a pas de difficulté pour accepter l'abrogation proposée. À l'inverse, lorsque le problème de coordination soulevé s'est montré complexe ou incertain, il me paraît prudent de maintenir en vigueur la loi en cause. Un prochain texte « BALAI 3 ou 4 » pourrait peut-être aller au bout de la démarche, avec un peu plus de temps.
Enfin, je propose de ne pas accepter l'abrogation de certaines lois pour d'autres motifs plus ponctuels.
À l'instar de notre collègue Nathalie Delattre, rapporteurs de la proposition de loi « BALAI 1 », je souhaite maintenir en vigueur certains textes pour des motifs symboliques. C'est notamment le cas de la loi du 20 mars 1948 permettant aux femmes l'accession à diverses professions d'auxiliaires de justice, de la loi du 3 juillet 1971 qui permet la libre installation des médecins ou de la loi du 31 décembre 1975 relative à la sécurité sociale des artistes auteurs d'oeuvres littéraires et dramatiques, musicales et chorégraphiques, audiovisuelles et cinématographiques, graphiques et plastiques.
Pour d'autres lois contenant des dispositions aujourd'hui de niveau organique, il conviendrait d'envisager un autre support législatif, par exemple la loi du 11 avril 1946 ayant pour objet de permettre aux femmes d'accéder à la magistrature.
Enfin, le Conseil d'État a précisé que le législateur national n'est plus compétent pour abroger des lois qui comportaient certaines dispositions applicables outre-mer. Il en est ainsi pour la loi n° 78-627 du 10 juin 1978 modifiant diverses dispositions du code civil relatives à l'indivision.
Ainsi, pour ces différentes raisons, je vous propose de modifier la proposition de loi par six amendements, qui visent à supprimer 49 lois de la liste des abrogations prévues par cette proposition de loi « BALAI 2 ».
Pour terminer, suivant l'avis du Conseil d'État, je vous soumets également un septième amendement qui vient compléter l'abrogation de la loi du 30 mai 1972 relative au contentieux des dommages de guerre par l'abrogation conjointe de la loi du 9 avril 1952 qui modifie des articles de la loi du 28 octobre 1946 sur les dommages de guerre.
Madame la ministre, je souhaite souligner la qualité de la collaboration avec les agents de vos services et ceux de la direction des affaires juridiques de Bercy. Dans un laps de temps très contraint, nos administrateurs respectifs ont réalisé un travail important et particulièrement méticuleux, je tiens à les en remercier.
Pour conclure, je remercie également notre collègue Vincent Delahaye de son implication au sein de la mission de simplification législative afin de faire la chasse « aux fossiles » législatifs, ainsi que pour sa bienveillante compréhension de notre méthode de travail prudente qui, in fine, permet de conserver 70 % des abrogations initialement prévues.
Mme Amélie de Montchalin, ministre de la transformation et de la fonction publiques. - C'est pour moi un réel honneur d'être devant vous aujourd'hui pour l'examen de cette nouvelle proposition de loi tendant à améliorer la lisibilité du droit par l'abrogation des lois obsolètes. Je vous remercie de l'ampleur et de la qualité du travail mené, mais aussi de cette initiative. Il s'agit d'une démarche qui dépasse les clivages, et concrétise l'engagement partagé entre le législateur et l'exécutif de simplifier notre droit.
Après la première proposition de loi du genre, vous nous proposez aujourd'hui l'abrogation de plus de 160 textes obsolètes sur une période allant de 1940 à 1980. Les chiffres disent à eux seuls l'ampleur du travail réalisé par la mission lancée par le Sénat et l'aggravation de l'inflation normative. Ce droit, que nul n'est censé ignorer, est devenu pléthorique : jamais le nombre d'articles de droit consolidé en vigueur n'a été aussi élevé.
Comment un usager, un chef d'entreprise, un citoyen peut-il lire et comprendre un tel corpus ? C'est une vraie question dont l'enjeu est certes économique, mais également social et démocratique. Il est donc important de veiller collectivement à la qualité et à l'applicabilité du droit.
Le Gouvernement, lui aussi, prend toute sa part dans cette entreprise de simplification normative, comme je l'ai rappelé le 15 avril dernier devant la délégation aux collectivités territoriales de votre assemblée, en précisant les enjeux, mais aussi les actions très concrètes que nous menons.
Depuis 2017, nous avons imposé que la création d'une norme réglementaire autonome s'accompagne systématiquement de l'abrogation de deux normes de même niveau. Nous avons également réduit drastiquement le nombre de circulaires publiées, à la fois en flux et en stock, soit une baisse de 30 % depuis 2017.
Par ailleurs, nous avons supprimé quatre-vingt-cinq comités consultatifs, dits « Théodule », notamment grâce à votre soutien dans un certain nombre de textes législatifs. Le résultat est là : jamais le nombre de pages publiées sur Légifrance n'a été aussi bas.
S'agissant des projets de loi que nous avons portés, ils comportent dans leurs contenus mêmes un objectif de simplification. Je pense au projet de loi dit « 4D » - décentralisation, différenciation, déconcentration et décomplexification -, mais également à la loi pour un État au service d'une société de confiance (Essoc), à la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises (Pacte) et à la loi d'accélération et simplification de l'action publique (ASAP).
Comme l'a souligné le Président de la République lors de son intervention dans le cadre de la Convention managériale de l'État le 8 avril dernier, cette complexité doit être vue comme une source d'injustice. Elle pénalise avant tout ceux qui ne peuvent pas se permettre de recourir à l'appui de conseils, en particulier les petites associations ou les TPE-PME. De manière générale, ce chantier de simplification que nous mettons en oeuvre vise bien, dans son ensemble, à transformer notre action publique afin de la rendre plus efficace. Cette efficacité implique de la proximité, de l'accessibilité et de la bienveillance des services publics, afin que chacun puisse accéder aux droits que la loi lui ouvre.
J'ai pu ainsi, à la tête de mon ministère, impulser des chantiers qui, à mon sens, sont beaucoup plus porteurs de simplification que des lois, des plans ou des feuilles de route. D'abord en établissant un baromètre partagé des résultats de l'action publique par département. Un suivi, remis à jour tous les trimestres, est disponible sur le site internet du Gouvernement : cela donne matière à la fonction d'évaluation inscrite dans la Constitution comme étant la prérogative première des parlementaires.
La deuxième action que nous menons résolument est de déconcentrer les moyens et les pouvoirs de décision au plus proche du terrain. Nous voulons accroître les possibilités de différenciation et d'expérimentation sans passer par la réécriture du droit. Il s'agit également de renforcer la culture du guichet et du service auprès des usagers, l'enjeu étant que les usagers trouvent une réponse à leurs difficultés et non pas seulement des textes à lire. Nous souhaitons aussi relancer le dispositif France Expérimentation, qui permet à tout projet économique ou social innovant de solliciter une dérogation à une règle de droit devenue inadaptée aux enjeux d'aujourd'hui. Il s'agira, là aussi, d'une disposition forte de la loi 4D.
C'est également l'un des objectifs d'une réforme de l'encadrement supérieur de l'État qui doit réellement rapprocher nos cadres supérieurs des réalités de terrain et des enjeux de nos concitoyens au quotidien, passant ainsi d'une culture de la norme à une culture de la mise en oeuvre.
Je tiens donc, dans ce contexte, à saluer la méthode rigoureuse et l'esprit constructif qui ont guidé vos travaux, en bonne intelligence avec le Gouvernement. Le Gouvernement soutiendra donc un grand nombre de vos propositions d'abrogation. Le droit doit rester vivant. Si ces lois encadrent les dommages de guerre, le travail des personnels des journaux quotidiens, les statuts spécifiques aux colonies et ouvrent la possibilité pour les femmes de devenir magistrats, elles nous disent aussi une part de notre histoire et montrent les progrès accomplis depuis : nous devons nous en féliciter !
Toutefois, comme l'a souligné la rapporteure, la sécurité juridique nous impose d'être prudents. Nous avons ainsi fait le choix d'appliquer systématiquement la règle selon laquelle, en cas de doute, il était préférable, à ce stade, de renoncer à certaines abrogations. C'est pourquoi le Gouvernement sera favorable aux amendements visant à conserver des textes, soit parce qu'ils ont une portée symbolique qui rend leur survie importante, soit parce qu'ils sont encore susceptibles d'avoir des effets en droit positif, soit parce qu'ils sont cités en référence par des dispositions actuellement en vigueur.
Si le nombre de textes à maintenir peut sembler important au regard du contenu de la proposition de loi initiale, il faut soutenir la démarche de prudence et encourager l'idée que ces abrogations, si elles sont supprimées aujourd'hui, pourront être réexaminées dans un exercice ultérieur.
Dans ce contexte et sous réserve de l'adoption des amendements de la commission, le Gouvernement sera favorable à l'adoption de cette proposition de loi qui trouve pleinement sa place dans l'action que nous menons résolument pour une plus grande clarté et une plus grande efficacité de l'action publique au service de nos concitoyens.
Mme Nathalie Goulet. - Je félicite Vincent Delahaye de son opiniâtreté. Bravo pour cet utile travail de constance ! L'abolition du salaire du conservateur des hypothèques pourrait faire l'objet d'une proposition de loi ultérieure. Le poste de conservateur a en effet été supprimé, mais son salaire demeure... C'est une proposition que je défends de manière itérative à chaque loi de finances : il serait utile de mettre enfin un terme à cet édit, qui date du 17 juin 1771 !
M. Alain Richard. - Je me joins à la forte approbation que justifie cet important travail d'orfèvre, qui nous conduit à abroger des lois entières. Je ne vois aucune difficulté à voter ces abrogations, qui ont un caractère de constatation et ne visent pas à changer le fond du droit. Il s'agit d'un travail utile, qui concourt à l'intelligibilité du droit.
J'ai eu un doute sur la codification : pourquoi maintenir une disposition dont l'effet a disparu ? Mais en examinant mieux l'avis du Conseil d'État, je me rends compte que cette mesure de prudence ne s'applique qu'aux décisions qui ont été incorporées à un ancien code. Il y a en effet eu plusieurs générations dans la codification et les premiers textes de codification - notamment ceux qui portent sur le code des impôts et sur le code électoral - ont été adoptés par décret simple, ce qui ne se pratique plus aujourd'hui.
À l'avenir, je suggère que la mission du Sénat travaille sur les textes du législateur colonial : jusqu'en 1946, les dispositions de lois étaient rendues applicables dans les colonies françaises par décret, y compris pour des sujets relevant normalement du domaine de la loi et pouvant, par exemple, toucher au code civil. Or un certain nombre de ces dispositions restent en vigueur dans les départements ou collectivités d'outre-mer.
J'ai travaillé il y a longtemps sur la disposition définissant la zone des cinquante pas géométriques à Mayotte, prise par un arrêté du gouverneur de Madagascar. Aujourd'hui, elle relèverait du domaine de la loi. Ce serait donc faire oeuvre utile de clarifier le droit en vigueur outre-mer et de rectifier ou d'abroger des dispositions anciennes.
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - Madame Goulet, il ne vous sera pas possible de déposer un amendement sur ce texte en séance, mais il vous reste deux possibilités : vous rapprocher de la mission conduite par Vinent Delahaye pour intégrer votre suggestion à une future proposition de loi, ou bien déposer vous-même une proposition de loi, sur laquelle je travaillerai avec plaisir.
Merci, monsieur Richard, pour votre intervention qui nous apprend beaucoup sur la législation outre-mer, mais il m'est difficile de vous répondre sur le fond.
EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE
SELON LA PROCÉDURE
DE LÉGISLATION EN COMMISSION
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - Nous avons fait le choix de déposer six amendements en distinguant des séries d'alinéas plutôt qu'un amendement unique, afin d'éviter une litanie difficilement compréhensible.
L'amendement COM-1 supprime de la liste des abrogations six lois dont l'abrogation aurait des conséquences dommageables ou risquées.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Avis favorable au maintien de ces lois : soit elles sont susceptibles de fournir une base légale à des situations et des actes, soit elles ne relèvent pas du législateur ordinaire, soit elles ont un caractère symbolique fort. Je partage l'analyse de la rapporteure et du Conseil d'État sur la nécessité d'un texte organique relatif à l'abrogation de la loi du 11 avril 1946 ayant pour objet de permettre aux femmes d'accéder à la magistrature, et sur la portée historique et symbolique non négligeable de la loi du 20 mars 1948 permettant aux femmes l'accession à diverses professions d'auxiliaires de justice.
L'amendement COM-1 est adopté.
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - L'amendement COM-2 supprime de la liste des abrogations cinq lois dont l'abrogation aurait des conséquences dommageables ou risquées en tant que leurs dispositions produisent toujours des effets de manière certaine ou sont toujours susceptibles de fournir une base légale à des situations ou des actes.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Avis favorable. Le Conseil d'État a notamment relevé l'importance de maintenir la loi du 16 septembre 1954 relative à la réparation des dommages de guerre subis par la SNCF et la loi du 4 août 1955 portant création d'un comité interprofessionnel du cassis de Dijon.
L'amendement COM-2 est adopté.
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - L'amendement COM-3 supprime de la liste des abrogations deux lois dont l'abrogation susciterait des difficultés de coordination avec des dispositions en vigueur ; deux lois dont l'abrogation nuirait à l'intelligibilité du droit en vigueur en tant qu'elles ont introduit ou modifié des dispositions toujours applicables ; et six lois dont l'abrogation aurait des conséquences dommageables ou risquées en ce que leurs dispositions produisent toujours des effets de manière certaine ou sont toujours susceptibles de fournir une base légale à des situations ou des actes.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Avis favorable. Il est notamment nécessaire de maintenir la loi du 12 juillet 1966 relative à l'assurance maladie et à l'assurance maternité des travailleurs non-salariés des professions non-agricoles.
L'amendement COM-3 est adopté.
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - L'amendement COM-4 supprime de la liste des abrogations six lois dont les conséquences de l'abrogation seraient dommageables ou risquées en tant que leurs dispositions produisent toujours des effets de manière certaine ou sont toujours susceptibles de fournir une base légale à des situations ou des actes; trois lois dont l'abrogation nuirait à l'intelligibilité du droit en vigueur en ce qu'elles ont introduit ou modifié des dispositions toujours applicables; et une loi dont le caractère symbolique fort conférerait à l'abrogation une portée contre-productive.
L'amendement COM-4, accepté par le Gouvernement, est adopté.
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - L'amendement COM-7 abroge la loi du 9 avril 1952, en sus de la loi du 30 mai 1972 relative au contentieux des dommages de guerre, suivant en cela l'avis du Conseil d'État, qui estimait sinon que nous n'irions pas au bout de la démarche.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Avis favorable, pour une pleine intelligibilité de la loi.
L'amendement COM-7 est adopté.
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - L'amendement COM-5 supprime de la liste des abrogations quatre lois dont l'abrogation nuirait à l'intelligibilité du droit en vigueur en tant qu'elles ont introduit ou modifié des dispositions toujours applicables ; trois lois dont l'abrogation aurait des conséquences dommageables ou risquées en ce que leurs dispositions produisent toujours des effets de manière certaine ou sont toujours susceptibles de fournir une base légale à des situations ou des actes ; et une loi dont le caractère symbolique fort conférerait à l'abrogation une portée contre-productive.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Avis favorable. La loi du 31 décembre 1975 relative à la sécurité sociale des artistes auteurs d'oeuvres littéraires et dramatiques, musicales et chorégraphiques, audiovisuelles et cinématographiques, graphiques et plastiques est l'un des textes fondateurs rattachant les artistes auteurs au régime général de la sécurité sociale.
L'amendement COM-5 est adopté.
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - L'amendement COM-6 supprime de la liste des abrogations quatre lois dont les conséquences de l'abrogation seraient dommageables ou risquées en tant que leurs dispositions produisent toujours des effets de manière certaine ou sont toujours susceptibles de fournir une base légale à des situations ou des actes; deux lois dont l'abrogation nuirait à l'intelligibilité du droit en vigueur; une loi dont le Conseil d'État précise que le législateur national n'est plus compétent pour abroger certaines dispositions applicables outre-mer ; et une loi pour laquelle des problèmes de coordination font obstacle à l'abrogation.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Avis favorable. La loi du 4 janvier 1980 relative à l'automatisation du casier judiciaire est une avancée qu'il ne faut pas supprimer.
L'amendement COM-6 est adopté.
M. Alain Richard. - Je propose que les futures propositions de loi de simplification soient transmises à la Commission supérieure de codification. Dans un certain nombre de cas où l'on hésite à abroger, ce travail pourrait être mené à bien simplement en incorporant quelques mots dans l'article du code concerné. Pour la loi de 1975 précitée par la ministre, il suffirait d'ajouter cette disposition au code de la sécurité sociale.
Depuis la remise en état du site Légifrance - que je salue -, il est devenu extrêmement difficile de retrouver des textes anciens, contrairement à la version antérieure du site. Serait-il possible d'améliorer le site pour le rendre un peu plus fonctionnel ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Il y a eu un travail important d'innovation, d'amélioration des outils numériques et de simplification du site, mais je prends note de votre remarque.
Nous sommes en train d'examiner comment simplifier le code de la fonction publique, notamment à la suite de la loi du 6 août 2019. La Commission supérieure de codification en sera chargée, afin de rendre ce code - très dense - bien plus facile à comprendre.
L'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 9 h 40.
- Présidence de Mme Catherine Di Folco, vice-présidente -
La réunion est ouverte à 14 heures.
Proposition de loi renforçant le suivi des condamnés terroristes sortant de détention - Examen des amendements au texte de la commission
Mme Catherine Di Folco, présidente. - Nous examinons les amendements de séance sur la proposition de loi renforçant le suivi des condamnés terroristes sortant de détention, présenté par François-Noël Buffet et plusieurs de ses collègues.
EXAMEN DE L'AMENDEMENT DU RAPPORTEUR
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - L'amendement n° 12 vise à corriger une erreur de référence.
L'amendement n° 12 est adopté.
EXAMEN DES AMENDEMENTS AU TEXTE DE LA COMMISSION
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - L'amendement no 7 rectifié bis vise à limiter la mesure aux individus condamnés pour des actes de terrorisme au cours desquels il a été porté atteinte à l'intégrité physique des personnes. Ce faisant, nous priverions le dispositif d'une grande partie de son champ d'application, puisque ne seraient plus concernées les infractions relatives au financement du terrorisme, ou encore l'infraction d'association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. Il convient de s'en tenir au texte proposé : avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 7 rectifié bis.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - L'amendement no 11 vise à étendre les critères permettant de caractériser la dangerosité d'une personne. La proposition de loi prévoit que la mesure de sûreté ne peut être prononcée qu'à l'égard des personnes présentant une particulière dangerosité, caractérisée à la fois par une probabilité très élevée de récidive et une adhésion persistante à une idéologie ou à des thèses incitant à la commission d'actes de terrorisme. M. Levi souhaite rendre ces critères alternatifs ; or une entreprise terroriste repose toujours sur un raisonnement, une idéologie qui sous-tend le passage à l'acte. Par ailleurs, le Conseil constitutionnel, tout en censurant la première tentative de définition de la mesure de sûreté, a considéré que ces critères étaient adaptés. Pour toutes ces raisons, je vous propose de demander le retrait de cet amendement ; sinon nous pourrions émettre un avis défavorable.
La commission demande le retrait de l'amendement n° 11 et, à défaut, y sera défavorable.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - L'amendement no 10 tend à supprimer l'impossibilité de prononcer la mesure de sûreté si les obligations imposées dans le cadre du fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions terroristes (FIJAIT) sont suffisantes. Ce faisant, nous n'obéirions plus à la décision du Conseil constitutionnel, qui a bien précisé que cette mesure ne pouvait être que subsidiaire à toutes les autres possibilités. En conséquence, je vous propose un avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 10.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Avis favorable à l'amendement no 1 rectifié ter, car il apporte une précision utile.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 1 rectifié ter.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - L'amendement no 2 rectifié bis vise à porter de six à huit semaines la durée minimale durant laquelle les individus susceptibles de faire l'objet de la mesure seraient placés dans un service chargé de leur observation aux fins d'une évaluation de leur dangerosité. Or nous n'avons reçu aucune récrimination lors de nos auditions concernant la durée minimale de six semaines que nous avons adoptée. Il s'agit par ailleurs d'une durée minimale, qui peut être augmentée si le profil du détenu l'exige. Je propose donc de demander le retrait de cet amendement ; sinon, avis défavorable.
La commission demande le retrait de l'amendement n° 2 rectifié bis et, à défaut, y sera défavorable.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - L'amendement no 9 supprime la nécessité, en vue du prononcé de la mesure de sûreté, que la personne ait pu bénéficier en détention de mesures de nature à favoriser sa réinsertion afin de faciliter le prononcé effectif de la mesure. Cette disposition répond toutefois à une exigence posée par le Conseil constitutionnel dans sa décision d'août 2020. Il paraît donc judicieux de la maintenir pour que cette proposition de loi ait un avenir. Par ailleurs, au cours des auditions, nous nous sommes assuré auprès de l'administration pénitentiaire que chaque détenu puisse bénéficier de mesures de ce type : donc avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 9.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - L'amendement no 3 rectifié bis tend à augmenter la durée maximale de la mesure de sûreté de un à deux ans. Nous avons déjà eu cette discussion lors de l'examen du texte de l'année dernière dont Jacqueline Eustache-Brinio était rapporteure, à l'issue duquel nous avions trouvé un accord avec l'Assemblée nationale sur une durée d'un an. Dans la mesure où la proposition de loi du président Buffet vise à modifier les dispositions qui ont été censurées par le Conseil constitutionnel, je vous suggère d'en rester là : demande de retrait ; sinon, avis défavorable.
La commission demande le retrait de l'amendement n° 3 rectifié bis et, à défaut, y sera défavorable.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - L'amendement no 4 rectifié bis a pour objet de doubler le délai, qui passerait de trois à six mois, dans lequel la mesure de sûreté doit être confirmée en cas de détention. Le délai de trois mois nous paraît raisonnable : demande de retrait ; sinon, avis défavorable.
La commission demande le retrait de l'amendement n° 4 rectifié bis et, à défaut, y sera défavorable.
Articles additionnels après l'article 3
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - L'amendement no 5 demande un rapport au Gouvernement sur l'accès aux activités de réinsertion des détenus radicalisés et condamnés pour terrorisme. Vous connaissez la position traditionnelle de la commission des lois concernant les demandes de rapport. J'attire par ailleurs votre attention sur le fait qu'Esther Benbassa et Catherine Troendlé ont rendu un rapport sur la déradicalisation en 2017, d'ailleurs cité dans un autre rapport très instructif de l'Institut français des relations internationales (IFRI) datant de février 2021. En conséquence, je vous propose un avis défavorable sur cette demande.
Mme Nathalie Goulet. - Je comprends la position de la commission et suivrai son avis, mais le sujet évoqué par nos collègues soulève de nombreux problèmes et mérite une réflexion approfondie, surtout lorsque l'on constate que la mesure de sûreté proposée est conditionnée par des mesures de réinsertion. Peut-être faudrait-il actualiser la mission de nos collègues pour combler le chaînon manquant indispensable à l'efficacité du dispositif.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 5.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - L'amendement no 6 rectifié demande lui aussi un rapport, cette fois-ci sur le taux de récidive des détenus radicalisés et condamnés pour terrorisme. Cette demande est peut-être anticipée, car nous aurons quelques difficultés à disposer de statistiques pour des faits commis à compter de 2015. Je vous propose donc d'émettre un avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 6 rectifié.
Le sort de l'amendement du rapporteur examiné par la commission est retracé dans le tableau suivant :
Auteur |
N° |
Avis de la commission |
Article 1er |
||
Mme Muriel JOURDA |
12 |
Adopté |
La commission a donné les avis suivants aux autres amendements de séance :
Proposition de relative aux causes de l'irresponsabilité pénale et aux conditions de réalisation de l'expertise en matière pénale - Examen des amendements au texte de la commission
Mme Catherine Di Folco, présidente. Nous poursuivons nos travaux par l'examen des amendements de séance sur la proposition de loi relative aux causes de l'irresponsabilité pénale et aux conditions de réalisation de l'expertise en matière pénale.
EXAMEN DES AMENDEMENTS AU TEXTE DE LA COMMISSION
Mme Nathalie Goulet, rapporteur. - Les amendements identiques nos 5 et 7 sont des amendements de suppression.
Les auteurs de l'amendement no 5 considèrent que le mécanisme prévu par la commission aboutit à la condamnation des personnes dont le fait fautif a causé l'abolition temporaire du discernement. Mais la commission des lois a refusé toute solution systématique en prévoyant qu'il reviendra aux juridictions de jugement de décider de la responsabilité pénale au cas par cas. C'est faire peu confiance aux juges du fond que de vouloir retenir un mécanisme global de « fait fautif » et de supprimer l'article 1er : avis défavorable.
M. Jean-Pierre Sueur. - La motivation de notre amendement de suppression est différente de celle de l'amendement no 5. Nous avons énormément travaillé la question avec les auteurs du rapport sur l'irresponsabilité pénale, MM. Raimbourg et Houillon. Avec le dispositif adopté par la commission, le risque est grand que l'irresponsabilité ne soit que très rarement reconnue, alors qu'elle est actuellement prise en compte dans des conditions contestables. On passerait ainsi d'un excès à un autre ! La juridiction de jugement, qu'il s'agisse de la cour d'assises ou du tribunal correctionnel, est faite pour décider des condamnations. La constatation de l'irresponsabilité, après appel à des experts, incombe davantage à la chambre de l'accusation, qui délibère de manière publique et contradictoire. Il nous paraît donc préférable de maintenir l'article 122-1 du code pénal. Cependant, la solution qu'a retenue la commission ne nous semble pas satisfaisante. C'est pourquoi nous avons déposé un amendement de repli, outre trois autres amendements qui sont indépendants de l'article 1er et recueilleront, je l'espère, l'attention de la commission.
Mme Nathalie Goulet, rapporteur. - L'avis est également défavorable pour cet amendement, qui est identique au précédent, même si les motivations de leurs auteurs sont différentes. MM. Raimbourg et Houillon, qui sont avocats, ont peut-être connu des problèmes aux assises. Pour notre part, nous avons opté pour ce dispositif après avoir entendu l'Association nationale des praticiens de la cour d'assises (Anapca), l'avis de plusieurs professeurs de droit et du vice-président du tribunal de grande instance chargé des libertés et de la détention. Nous aurons de toute façon ce débat en séance.
La commission émet un avis défavorable aux amendements nos 5 et 7.
Mme Nathalie Goulet, rapporteur. - L'amendement n ° 4 vise à supprimer la notion d'abolition temporaire du discernement qui a été introduite par la commission, ce qui entraînera un renvoi systématique devant le juge du fond. Or c'est précisément ce que nous voulons éviter afin de conserver intégralement l'article 122-1 et de prévoir le renvoi dans les cas bien précis de fait fautif et d'abolition partielle du discernement. Donc avis défavorable.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Les discussions sont sans fin, car il est très délicat de trouver la bonne voie. Nous voulions, au travers de cet amendement, souligner le fait que l'irresponsabilité doit sans doute être prononcée à l'issue d'un procès. Pensons aux familles, aux victimes, qui ont besoin d'un procès pour comprendre. Nous rediscuterons probablement de cette question en séance.
Mme Nathalie Goulet, rapporteur. - Le renvoi devant la juridiction de jugement donnera aussi lieu à des décisions d'irresponsabilité, ce qui satisfait à la fois le besoin des victimes et la nécessité de garanties en faveur des auteurs des faits. En supprimant la notion d'abolition temporaire du discernement, le bénéfice des mesures protectrices disparaîtra pour les personnes dont le discernement est totalement aboli. Or c'est précisément ce que nous voulions éviter, sous peine de fragiliser le dispositif ; sinon, nous aurions modifié l'article 122-1. Nous aurons ce débat en séance, mais à ce stade, je maintiens mon avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 4.
Mme Nathalie Goulet, rapporteur. - L'amendement n ° 3 tend à supprimer la mention du caractère fautif du fait. J'ai le sentiment que la notion de « fait fautif » est plus large que ce que vous nous proposez. Toute la problématique réside dans la faute préalable de l'auteur. C'est le cas de l'affaire Halimi, où le fait fautif de l'auteur a entraîné son irresponsabilité. Si l'on prévoit le renvoi pour un simple fait, on va au-delà du distinguo tel que nous le souhaitons. De surcroît, cette proposition soulèverait d'autres types de difficultés et contreviendrait au dispositif retenu en commission la semaine dernière. Pour ces raisons, j'émets un avis défavorable.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - J'entends les arguments, mais j'attends le débat en séance publique.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 3.
M. Jean-Pierre Sueur. - Mon amendement n ° 8 est un amendement de repli, au cas où l'hypothèse retenue par Mme la rapporteure serait vérifiée. Il nous semble préférable que la juridiction du fond statue sur la question de l'irresponsabilité préalablement à l'examen sur le fond.
Mme Nathalie Goulet, rapporteur. - J'émets un avis de sagesse. Selon la procédure en vigueur, une juridiction telle que la cour d'assises doit juger l'ensemble de l'affaire, notamment la responsabilité.
M. Alain Richard. - C'est la même chose pour les questions soumises par les magistrats.
Mme Nathalie Goulet, rapporteur. - Le fait de scinder l'examen des questions ne me pose aucun problème.
Mme Catherine Di Folco, présidente. - Nous aurons ce débat en séance.
La commission s'en remet à la sagesse du Sénat sur l'amendement n° 8.
Articles additionnels après l'article 1er
M. Jean-Pierre Sueur. - Au travers de l'amendement no 10, nous avons voulu, je le dis avec modestie - le garde des sceaux lui-même s'interroge -, définir ce qu'est le discernement dans le code pénal, car tel n'est pas le cas aujourd'hui. L'article 122-1 du code pénal serait complété par un alinéa ainsi rédigé : « Le discernement est la conscience de l'acte commis, de ses conséquences et la capacité à en apprécier la nature et la portée. »
Mme Nathalie Goulet, rapporteur. - Nous avons noté lors des auditions que la notion de discernement n'était pas définie. La jurisprudence s'en est plutôt bien chargée... Sur cet amendement, je suggère de demander l'avis du Gouvernement.
La commission demande l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 10.
M. Jean-Pierre Sueur. - Il nous apparaît qu'il n'est pas possible de modifier l'article 122-1, pas plus que le statu quo au regard des événements qui se sont passés. C'est pourquoi nous proposons, par l'amendement no 9, d'ajouter un article dans le code pénal en vertu duquel : « Est pénalement responsable la personne qui a volontairement provoqué une perte de discernement aux fins de commettre l'infraction, notamment par la consommation de boissons alcooliques, de drogues toxiques, de stupéfiants, de substances psychotropes ou de substances ayant des effets similaires. » À l'instar du droit espagnol, le tribunal pourrait prendre en compte le fait que la personne a elle-même organisé la perte de son discernement. Mais j'entends que cette matière sera très complexe à définir et à juger. Dans l'affaire Halimi, la Cour de cassation a confirmé l'irresponsabilité du meurtrier, non pas parce qu'il était toxicomane à ce moment-là, mais en raison de bouffées délirantes au moment de l'acte. Je ne prétends pas que cette rédaction réglera tous les problèmes, mais son insertion dans le code pénal nous semble utile.
Mme Nathalie Goulet, rapporteur. - Sans modifier l'article 122-1, cet amendement crée une exception, ce que nous voulions précisément éviter. La jurisprudence est d'ailleurs abondante et parfaitement constante en cas de consommation d'alcool ou de substances pour se donner du courage en vue d'exécuter un acte répréhensible. Votre dispositif, monsieur le sénateur, est un Canada Dry, car il peut s'apparenter à une modification de l'article 122-1. Je suis donc au regret d'émettre un avis défavorable.
M. Jean-Pierre Sueur. - Dans ce débat compliqué où nous sommes nombreux à débattre, le Canada Dry peut être une aide, sans effets néfastes pour la santé ! Nous comprendrons évidemment que la commission suive le rapporteur.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 9.
Mme Nathalie Goulet, rapporteur. - L'amendement no 2 prévoit la possibilité pour la chambre de l'instruction d'ordonner une obligation de soins. Avis favorable à cette mesure utile.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 2.
Mme Nathalie Goulet, rapporteur. - L'amendement no 6 tend à supprimer l'aggravation des peines pour les cas d'ébriété, qui serait une mesure prise sous le coup de l'émotion. Or il s'agit simplement de compléter le code pénal pour assurer la cohérence du droit : avis défavorable à cette mesure contraire à la position de la commission.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 6.
Articles additionnels après l'article 2
Mme Nathalie Goulet, rapporteur. - Lors de notre dernière réunion, l'amendement no 1 avait fait l'objet d'une demande de rectification. Sous le bénéfice de cette nouvelle rédaction, je propose un avis favorable.
Mme Valérie Boyer. - Je vous remercie, d'autant que cet amendement pose une question de la plus brulante actualité !
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 1.
M. Jean-Pierre Sueur. - Dans le même esprit que mon amendement précédent, pour lequel la commission a émis un avis défavorable, l'amendement no 11 vise cette fois à compléter l'article 158 du code de procédure pénale relatif à la démarche d'expertise, par un alinéa ainsi rédigé : « Il est ajouté aux questions techniques mentionnées au premier alinéa une question spécifique destinée à identifier une participation active à la perte du discernement. »
Mme Catherine Di Folco, présidente. - Vos deux amendements sont effectivement différents.
Mme Nathalie Goulet, rapporteur. - C'est la raison pour laquelle je propose un avis de sagesse.
La commission s'en remet à la sagesse du Sénat sur l'amendement n° 11.
La commission a donné les avis suivants :
La réunion est close à 14 h 30.
Mercredi 26 mai 2021
- Présidence de M. François-Noël Buffet, président -
La réunion est ouverte à 9 heures.
M. François-Noël Buffet, président. - Je souhaite la bienvenue au sein de notre commission à M. Ludovic Haye, membre du groupe RDPI, en remplacement de notre collègue Mikaele Kulimoetoke de Wallis-et-Futuna.
- Présidence de Mme Catherine Di Folco, présidente -
Proposition de résolution visant à améliorer le suivi des ordonnances, rénover le droit de pétition, renforcer les pouvoirs de contrôle du Sénat, mieux utiliser le temps de séance publique et renforcer la parité - Examen du rapport et du texte de la commission
Mme Catherine Di Folco, présidente. - Nous examinons la proposition de résolution n° 545 (2020-2021) visant à améliorer le suivi des ordonnances, rénover le droit de pétition, renforcer les pouvoirs de contrôle du Sénat, mieux utiliser le temps de séance publique et renforcer la parité, présentée par Gérard Larcher, Président du Sénat. Je salue nos collègues présents en visioconférence.
M. François-Noël Buffet, rapporteur. - Cette proposition de résolution fait suite au groupe de travail sur la modernisation des méthodes de travail du Sénat, qui a réuni tous les groupes politiques de décembre 2020 à mars 2021 sous la présidence de Gérard Larcher. Sur le rapport de Pascale Gruny, vice-président du Sénat, ce groupe de travail a adopté 39 propositions dont 14 nécessitent une modification du Règlement du Sénat.
La proposition de résolution poursuit cinq objectifs.
D'abord, elle vise à améliorer le suivi des ordonnances prises sur le fondement de l'article 38 de la Constitution, dont le premier alinéa prévoit que : « Le Gouvernement peut, pour l'exécution de son programme, demander au Parlement l'autorisation de prendre par ordonnances, pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi. » Elle ajoute aux missions des commissions permanentes le suivi des ordonnances, consacre la compétence de la commission saisie au fond pour déclarer irrecevables les amendements présentés par les sénateurs qui seraient contraires à l'article 38 de la Constitution, et renforce l'information du Sénat sur les intentions du Gouvernement en matière de publication et de ratification d'ordonnances.
Ensuite, elle vise à rénover les modalités d'exercice du droit de pétition, en s'inspirant des modalités expérimentales mises en oeuvre depuis janvier 2020. Déposée par principe sur une plateforme électronique, toute pétition qui atteindrait un seuil de signatures fixé par le Bureau du Sénat - et non par le Règlement - serait évoquée en Conférence des présidents, qui déciderait des suites à donner. Par dérogation, cette instance pourrait également se saisir d'une pétition n'ayant pas atteint ce seuil, au vu de certains critères définis par le Bureau.
La proposition de résolution vise aussi à renforcer les pouvoirs de contrôle du Sénat. À cet effet, elle prévoit la désignation d'un rapporteur sur les nominations dont les commissions sont saisies en application de la procédure de l'article 13 de la Constitution ; la simplification de l'attribution des prérogatives de commission d'enquête à une commission permanente ou spéciale lorsque le Sénat ne siège pas ; la fixation à vingt-trois du plafond des membres des commissions d'enquête et missions d'information, tout en permettant d'y déroger sur décision de la Conférence des présidents pour les structures créées hors droit de tirage des groupes politiques ; et l'accélération de l'examen en séance d'une question écrite sans réponse transformée en question orale.
La proposition de résolution vise aussi à mieux utiliser le temps de séance publique. Elle réduit de deux minutes et demie à deux minutes la durée de droit commun des interventions des sénateurs et de dix à trois minutes la durée de présentation des motions de procédure qui n'émanent ni du Gouvernement, ni de la commission, ni d'un groupe politique, ainsi que celle de l'intervention de l'orateur d'opinion contraire.
M. Jean-Pierre Sueur. - Deux minutes, c'est une misère !
M. François-Noël Buffet, rapporteur. -La proposition de résolution supprime le renvoi en fin de « tourniquet » de l'orateur du groupe auquel appartient le rapporteur lors de la discussion générale et institue une procédure allégée d'examen du texte élaboré par une commission mixte paritaire. Enfin, elle tend à créer une motion de procédure ad hoc « tendant à ne pas examiner une proposition de loi déposée en application de l'article 11 de la Constitution », pour permettre au Sénat d'obtenir l'organisation d'un référendum d'initiative partagée, les motions existantes ne répondant pas complètement à cette exigence.
Enfin, la proposition vise à assurer la parité au sein du Bureau du Sénat. Son article 14 prévoit que les listes établies par les groupes en vue de l'élection des membres du Bureau « s'efforcent d'assurer une représentation équilibrée entre les femmes et les hommes pour chacune de ces fonctions. » L'ensemble de ces dispositions entreraient en vigueur pour l'ouverture de la prochaine session ordinaire, le 1er octobre 2021.
Elles seront soumises au préalable au contrôle du Conseil constitutionnel.
Je vous propose d'approuver cette démarche engagée par Gérard Larcher sur des dispositions qui font pour leur majorité consensus.
Mes neuf amendements n'apportent que quelques précisions et compléments. Ils porteront sur le renforcement du suivi des ordonnances, qui fait consensus compte tenu de l'importance prise par ce mode de législation ces dernières années. Il s'agit de prévoir que la transmission du calendrier de publication des ordonnances par le Gouvernement porte sur le semestre, sans se limiter à la session ordinaire. Je vous propose également d'intégrer, par cohérence, au sein de l'article 44 bis du Règlement, la compétence de la commission au fond pour déclarer irrecevables les amendements présentés par les sénateurs et sénatrices contraires à l'article 38 de la Constitution.
Je suis favorable à l'exclusion de toute automaticité liée à un seuil de signatures pour les pétitions, afin de préserver en dernier ressort le pouvoir d'appréciation des instances du Sénat. Je vous propose toutefois de clarifier les compétences entre le Bureau du Sénat, habilité à déterminer les règles de recevabilité, de caducité et de publicité des pétitions, et la Conférence des présidents, seule juge de l'opportunité des suites à leur donner. Sur les pouvoirs de contrôle du Sénat, je vous propose de modifier la procédure prévue à l'article 6 de la proposition de résolution prévoyant l'approbation tacite par le Sénat de l'attribution des prérogatives de commission d'enquête à une commission permanente ou spéciale lorsque le Sénat ne siège pas. Dans cette hypothèse, il reviendrait au président de la commission des lois d'examiner la conformité de cette demande avec l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, après consultation de ses membres.
Enfin, je vous proposerai trois amendements portant articles additionnels visant à simplifier la rédaction des dispositions régissant les modalités de dépôt et d'examen des questions orales ; supprimer l'annonce en séance de l'affichage des listes pour la désignation du Bureau du Sénat ainsi que le délai de quinze jours dans lequel le sujet d'un débat d'initiative sénatoriale dont il est souhaité l'inscription à l'ordre du jour est transmis au Président du Sénat, cette information devant, en tout état de cause, être transmise avant la Conférence des présidents ; et, enfin, corriger quelques erreurs matérielles.
M. Éric Kerrouche. - Votre présentation m'interroge : je ne crois pas que ces mesures fassent largement consensus. Certes, des réunions régulières se sont tenues, mais avec peu de résultats. La plupart des propositions de l'opposition n'ont pas été retenues, sauf celle sur le référendum d'initiative partagée. À quoi a servi cette concertation ?
Cette réforme se fait au détriment du Parlement, du Sénat et de la qualité de la loi. Nous nous inscrivons tous seuls dans la course au temps législatif, devenant un Parlement de la vitesse. Il est parfois difficile de respecter les deux minutes et demie ; avec deux minutes, cette difficulté sera générale. C'est en contradiction avec ce qui nous importe : la qualité de la loi et la place du Parlement en face d'un exécutif qui abuse des procédures accélérées.
Vous avez une certaine idée du débat parlementaire, qui serait une perte de temps, inefficace, d'où la nécessité de réduire les temps de parole. Vous invisibilisez notre rôle, et encore plus celui de l'opposition. Le Parlement, c'est l'endroit où l'on parle ; au Sénat, on parlera moins...
C'est une modernisation de façade : nous devions réfléchir aux dispositions à prendre en cas de période exceptionnelle, par exemple pour faire face à une pandémie. Au final, les pouvoirs de la majorité seront accrus, et les droits de l'opposition affaiblis par une réduction du temps de parole et une remise en cause mesquine du tourniquet. La majorité sénatoriale a suffisamment d'avantages ! Le plus souvent, le président de la commission et le rapporteur sont issus de la majorité. Ce sera ensuite un long tunnel si l'on enchaîne immédiatement avec des orateurs de la majorité.
Les ambitions de démocratisation par le pouvoir de pétition sont timides, voire moins-disantes par rapport à l'existant.
Les mesures sur la parité sont une figure imposée, mais seulement d'affichage. Le risque sous-jacent est d'externaliser la parité vers les groupes autres que le groupe majoritaire.
Je regrette qu'il ne reste rien des mesures d'anticipation pour assurer la continuité du fonctionnement du Sénat en période de crise.
Nous avons quelques sujets d'accord : le suivi des ordonnances, conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel - même si cela ne doit pas cautionner une augmentation de leur nombre ; le renforcement des pouvoirs de contrôle du Sénat, qui reste à poursuivre ; et la motion pour pouvoir refuser l'examen d'une proposition de loi déposée en application de l'article 11 de la Constitution.
Les points de désaccord sont importants : la réduction du temps de parole est pour nous quelque chose d'indépassable. Nous nous tirons nous-mêmes une balle dans le pied et nous nous en rendrons compte a posteriori. Cela aura un impact sur nos débats et sur la qualité de la loi. Nous sommes les seuls à rentrer dans cette course, et le Parlement se réduira comme peau de chagrin. Nous sommes aussi opposés à la modification de la règle du tourniquet.
Des points d'amélioration sont possibles : prévoir des mesures d'adaptation en cas de crise ; abaisser le seuil du droit de pétition ; donner des droits normaux à l'opposition ; assurer une parité effective au sein du Sénat, quand bien même elle serait faible au sein du groupe majoritaire.
Ces réformes, pour plus de « normalité » selon vous, n'emportent absolument pas notre agrément.
Mme Éliane Assassi. - Pour avoir participé à toutes les réunions du groupe de travail sauf une, je confirme qu'un consensus ne s'est pas dégagé. J'en veux pour preuve ma contribution remise au Président du Sénat.
Cette proposition de résolution est difficile à appréhender, car elle utilise trois chemins : le Règlement, le Bureau du Sénat et la Conférence des présidents. Il aurait fallu choisir une seule méthode, pour éviter la confusion. Ainsi, pour le droit de pétition, les pouvoirs du Bureau et de la Conférence des présidents s'entremêlent. Je regrette qu'il n'y ait pas de proposition de révision de l'article 38 de la Constitution, car cet article ainsi que la récente jurisprudence du Conseil constitutionnel rendent illusoire toute tentative de contrôle par le Parlement.
Le Sénat et le Parlement ont besoin non pas de voir leur travail rationalisé, mais de reconquérir leur pouvoir perdu - notamment au niveau législatif.
Le droit d'amendement, qui a été amoindri par le développement des irrecevabilités, devrait être renforcé.
Le temps de parole est continuellement réduit depuis plusieurs années. Cela devient une obsession. Au lieu d'engager une course de vitesse et de rationalité, nous aurions besoin de confronter davantage nos idées - on ne le fera pas en réduisant notre temps de parole !
Quelques avancées sont à signaler, notamment sur le droit de pétition, même si je regrette que la majorité en garde le contrôle. Cette réforme renforce le fait majoritaire, comme le disait M. Kerrouche. La volonté d'encadrer les ordonnances est louable, mais sans prise sur le réel. Nous approuvons les mesures prises sur les missions de contrôle et en faveur des groupes parlementaires. Mais pourquoi les commissions d'enquête ne seraient-elles pas concernées ?
Nous ne pouvons accepter une nouvelle réduction du temps de parole. Le réduire à deux minutes, c'est insuffisant et presque mesquin, et cela affaiblit la place de l'opposition.
Je regrette l'absence de mesures pour endiguer la croissance des irrecevabilités, prétendument le remède contre une supposée inflation des amendements - notamment pour le projet de loi de finances.
Nous aurons au sein du groupe CRCE de nouvelles séances de travail pour poursuivre notre réflexion, dont l'issue déterminera notre vote sur cette proposition de résolution.
Mme Nathalie Goulet. - Je m'interroge sur l'application de l'article 45 de la Constitution. La procédure appliquée lors de l'examen d'une proposition de résolution sur l'indépendance d'un territoire du sud du Caucase m'a choquée. Les personnes hostiles à cette résolution n'ont pas eu de temps de parole. Dans quelles conditions l'article 45 va-t-il s'appliquer à ce texte ? Certaines dispositions mériteraient d'être éclaircies dans le Règlement.
Je suis absolument hostile à la réduction du temps de parole. Lorsque nous avons réformé notre Règlement il y a dix ans, nous avons refusé de suivre l'Assemblée nationale qui restreignait le temps d'examen d'un texte. Mais au fur et à mesure, le temps de parole se restreint au Sénat. Le Sénat se fait hara-kiri avec ce type de mesures.
En séance publique, le débat est important et porteur. Ainsi, il aurait été dommage que certains sénateurs ne puissent s'exprimer lors du débat sur la bioéthique, qui fut de grande qualité.
M. Jean-Pierre Sueur. - Mes collègues Eric Kerrouche, Éliane Assassi et Nathalie Goulet ont excellemment parlé.
Quelle est l'idéologie sous-jacente ? Certes, trente secondes, c'est peu. Je suis parlementaire depuis un certain temps, après dix ans à l'Assemblée nationale, deux ans au Gouvernement puis trois mandats au Sénat. Voyez combien, de décennie en décennie, le temps parlementaire s'est réduit. Il y a peu, la deuxième lecture était banalisée. Ce n'est pas une perte de temps, mais l'occasion de peaufiner l'écriture de la loi. Par exemple, cela en valait la peine pour l'écriture de la loi de 1881 sur la presse... Il faudrait aller de plus en plus vite : j'ai entendu Emmanuel Macron se plaindre de la durée du temps parlementaire - mais François Hollande a dit la même chose...
Nous sommes une République dans laquelle le Parlement joue un rôle essentiel, avec des débats très complexes, comme celui d'hier sur l'irresponsabilité pénale - nous devrons y revenir.
De nombreux débats nécessitent une maturation. Écouter les objections aide à se faire une idée. Renonçons à la réduction de trente secondes, par principe, pour refuser l'idéologie du tweet. Nos jeunes sont aux prises avec un temps déchiqueté : lorsqu'ils regardent la télévision pendant une heure, ils assistent à une quarantaine de séquences d'une à deux minutes, sans compter le zapping, avec un téléphone dans une main et une tablette dans l'autre... Lorsque vous leur annoncez une dissertation de six à sept heures, ils tremblent devant l'effort !
La logique du tweet généralisé est incompatible avec celle d'une argumentation étayée. Vous auriez même pu réduire le temps de parole à une minute trente, voire le supprimer totalement... Cela simplifierait les choses !
Ce serait un beau signe que la commission des lois refusât cette réduction de trente secondes, histoire de dire que nous voulons prendre le temps de l'argumentation et que nous ne sommes pas dans cette idéologie qui tue l'argumentation.
M. Alain Richard. - Cette modification du Règlement n'est effectivement pas un bouleversement d'ensemble, mais une série d'ajustements par rapport aux besoins ressentis sur la production législative et le contrôle parlementaire.
La réduction de la durée d'intervention à deux minutes s'apprécie dans un contexte où le nombre de sénateurs est plus élevé que jamais. Avec les renouvellements successifs et l'évolution de la vie politique, nous sommes nombreux à parler en séance. La règle des deux minutes est une règle de partage équitable pour que de nombreux orateurs puissent s'exprimer.
Chacun des 347 orateurs peut intervenir sur l'article, pour défendre un amendement ou expliquer son vote sur un amendement ou sur un article... S'il y a cinquante amendements sur un article, il peut faire cinquante explications de vote ! Vos explications sur le temps parlementaire sont donc décalées de la réalité.
Le suivi des ordonnances permet une meilleure conciliation entre le rôle législatif de principe du Parlement et l'accompagnement du Gouvernement lorsque nous déléguons temporairement ce pouvoir. Toutefois, si on abrogeait l'article 38 de la Constitution, la gestion du temps parlementaire serait impossible !
Mme Marie Mercier. - Interrogeons-nous sur notre rapport au temps. Il y a le temps de l'observation, celui de Claude Bernard, le temps de la réflexion, et le temps de parole. Pour qui parlons-nous ? Le Sénat participe à un exercice de démocratie. Nous devons avoir des interventions courtes, pertinentes, qui nous obligent à ces temps d'observation et de réflexion en amont pour que les paroles ne s'évaporent ni ne se diluent. Il faut des débats rythmés, non pesants, pour intéresser les Français, afin qu'ils comprennent mieux comment le Sénat fonctionne et participe à l'exercice de la démocratie.
M. Philippe Bas. - Cette proposition de résolution est très intéressante, même si elle ne constitue pas un bouleversement - il n'y a pas de consensus pour un bouleversement.
Il était positif de réfléchir à des modalités de fonctionnement en cas de crise, et notamment sur le vote. Mais il faut être prudent ; l'Assemblée nationale a été sanctionnée par le Conseil constitutionnel pour être allée trop loin.
La possibilité d'évocation des pétitions n'ayant pas atteint un certain seuil est une avancée, afin de mieux prendre en compte les réflexions de la société. Le suivi des ordonnances est aussi un progrès.
M. Kerrouche s'inquiète de l'insuffisante prise en compte de la parité. C'est une question complexe : il faut veiller à la représentation de chaque groupe dans chaque instance. Lorsque la parité n'est pas atteinte dans notre assemblée, il ne faut pas la recréer dans nos instances, sinon nous imposons une surreprésentation des femmes par rapport à leur place dans l'assemblée. Ce ne serait pas équitable.
Le temps de parole se réduit individuellement, mais nous nous plaignons que les textes s'allongent et que leur volume triple au Parlement. Le travail législatif, c'est souvent du travail de nuit non compensé, et de plus en plus intensif.
Le choix est déplaisant : soit nous considérons que la loi entre trop dans les détails, et nous sommes impitoyables et renvoyons systématiquement au pouvoir règlementaire pour réduire de moitié le volume de la loi, nous pourrons alors porter à trois minutes l'expression individuelle ; soit nous ne parvenons pas à réaliser cet exploit - nous sommes mal partis pour le faire - et prenons en compte ce contexte qui nous conduit à davantage légiférer. Nous devons garder le contrôle du débat parlementaire.
Si deux minutes sont trop courtes pour présenter un exposé détaillé sur un problème particulier, deux minutes trente le sont aussi ! Or chacun peut prendre la parole sur l'article, pour présenter un amendement et pour expliquer son vote, à chaque fois qu'il le demande. La discipline est exigeante aujourd'hui, elle le sera demain, en raison de l'évolution du travail législatif. M. Sueur est souvent inspiré par la beauté du geste. Je mise plutôt sur l'esprit pratique et non sur l'idéologie pour trancher les questions qui nous sont soumises.
M. Jean-Yves Leconte. - Je partage l'avis de M. Sueur. Le Sénat ne doit pas tendre à l'expression d'un tweet pour défendre un amendement ou expliquer son vote. Il faut pouvoir exprimer des nuances, des pensées complexes. L'expression doit être suffisamment longue pour ne pas aller seulement directement à la conclusion.
On voit parfois des miracles, avec certains collègues qui changent de conviction au cours du débat. Cela suppose d'avoir un minimum de temps pour argumenter, convaincre et ne pas être seulement dans la posture. Nous n'abusons pas de ce temps de parole, dans l'absolu ! Avec cette liberté, une seule personne pourrait bloquer le débat. Je suis même étonné de cette autodiscipline. Il faut maintenir la possibilité d'intervenir individuellement.
Il faut avoir le temps du débat, comme celui de passer d'une première lecture à une deuxième lecture, pour que la démocratie fonctionne bien. Sinon, comment voulez-vous que les débats parlementaires soient bien compris ?
Il n'est jamais bon que, sous prétexte d'aller vite, on change la loi. Le temps parlementaire est une garantie de la démocratie.
Nous savons être rapides quand c'est nécessaire, par exemple pour voter l'état d'urgence sanitaire - mais cela ne doit pas être le cas sur tous les textes.
M. André Reichardt. - J'interviendrai essentiellement sur la question du temps parlementaire, qui fait débat ce matin. On propose de faire passer la durée des interventions de deux minutes trente à deux minutes. Si cette proposition est faite, c'est parce que l'on voit que nous avons beaucoup de difficultés à mener à bien tout le travail parlementaire. Cela renvoie à l'importance de ce travail parlementaire, et à la quantité de textes que nous avons à examiner. Plutôt que de réduire ce temps de parole, n'y aurait-il pas lieu de mener une réflexion sur la quantité du travail parlementaire ? Je suis sénateur depuis une dizaine d'années, et j'ai le sentiment que nous n'avons jamais été saisis d'autant de textes que ces derniers temps - projets de loi comme propositions de loi. Et, franchement, je ne suis pas toujours convaincu de l'importance des propositions de loi que l'on nous soumet. D'ailleurs, certaines, longuement débattues chez nous, n'arrivent jamais à l'Assemblée nationale. Sans remettre en cause le droit d'initiative parlementaire, nous pourrions nous attacher à considérer comment nous pourrions respecter une plus grande discipline à cet égard. La Conférence des présidents, qui élabore l'agenda parlementaire, pourrait mener une réflexion sur la quantité des textes qui nous sont soumis avant de penser à une réduction de la durée des interventions des uns et des autres.
Je sais bien que le Parlement n'a pas pour seule fonction de voter la loi, et qu'il doit aussi contrôler le Gouvernement. Mais la faible assiduité des sénateurs pendant les semaines de contrôle parlementaire interroge. Je suis d'ailleurs le premier à me demander à quoi sert-il d'assister à ces débats puisque, après toute une série d'interventions - dont on peut souvent prédire le contenu, puisqu'elles sont organisées par groupe politique - il n'y a aucun vote ! On se contente de se faire plaisir... Bien sûr, je caricature.
M. Alain Richard. - Pas du tout, c'est une image fidèle !
M. André Reichardt. - Là aussi, il y a une réflexion à mener. Le temps du contrôle parlementaire ne pourrait-il pas être attribué à un travail d'élaboration de la loi, là encore au lieu de réduire le temps de deux minutes et demie ? Il m'est rarement arrivé de dépasser cette durée, sauf peut-être quelquefois dans le feu de l'action. Mais elle est courte, même si l'on a plusieurs fois l'occasion d'intervenir. Il y a sans doute d'autres pistes à explorer avant d'aller à cette extrémité. Sinon, demain, ce sera une minute et trente secondes...
M. Éric Kerrouche. - J'ai entendu des choses difficilement compréhensibles. D'abord, sur la parité. Oui, il y a plus d'hommes que de femmes au Sénat. On peut le regretter, mais c'est dû essentiellement à une pratique du groupe majoritaire, qui consiste à multiplier les listes au niveau local. Mais ce n'est pas parce qu'il y a un problème en amont qu'on ne doit pas le traiter en aval.
Deuxièmement, ne perdons pas de vue que nous sommes l'un des Parlements les plus faibles des démocraties occidentales. De multiples études le montrent. Et ce que l'on nous propose, c'est de continuer à l'affaiblir, avec, pour argument, le nombre de parlementaires, qui impose de distribuer le droit de parole. La limite de temps de parole au Bundestag est de 15 minutes. Au Sénat américain, effectivement moins nombreux que le nôtre, la limite est de 20 minutes. Mais à la Chambre des représentants, qui compte 435 parlementaires, la limite est de 5 minutes. Et, à Westminster, il n'y a pas de limite de temps de parole pour le chef de l'opposition. Qu'on ne vienne donc pas nous dire que nous allons dans le sens de l'Histoire et de la modernisation : c'est faux !
Le Parlement nécessite un temps de parole ; on peut certes regretter que ce temps soit plus ou moins bien utilisé. Mais s'enfoncer encore dans la logique d'un temps contraint, qui n'est absolument pas justifiable, aura des conséquences sur la façon dont nous faisons la loi. Beaucoup plus grave, cela dit autre chose : que nous avons accepté notre subordination aux désirs du Gouvernement et de l'exécutif, qui sont les seuls métronomes, par leur frénésie, de la possibilité pour nous de faire ce que nous devons faire, c'est-à-dire la loi. Il s'agit donc bien d'un recul.
M. Ludovic Haye. - À défaut du regard d'un parlementaire ayant des années d'expérience au sein de la commission des lois, je peux vous faire part du point de vue d'un sénateur qui ne siège que depuis huit mois et qui a commencé à la commission des affaires étrangères. Il pourrait être intéressant d'harmoniser les pratiques entre les différentes commissions. Aux affaires étrangères, les règles ont été données dès mon arrivée : le temps de parole est défini - sans être décompté à la seconde, et sans qu'il y ait de censure ou de couperet. C'est aussi une forme de respect pour ses collègues - tout le monde intervient, y compris ceux qui prennent la parole moins souvent - et pour les personnes que nous auditionnons, puisque cela évite les questions-fleuves. J'approuve également les autres propositions d'évolution qui ont été faites.
M. François-Noël Buffet, rapporteur. - En 1995, nous avons instauré la session unique, avec pour objectif d'éviter les séances de nuit. La session est unique, mais les séances de nuit sont encore plus nombreuses... Le travail parlementaire a plutôt augmenté et le nombre de textes aussi ! Les gouvernements nous en abreuvent - c'est leur rôle. Les initiatives parlementaires se sont aussi multipliées, à travers les espaces réservés et différents dispositifs qui permettent à chacun ou chacune d'entre nous de déposer un texte, et aux groupes de le porter. Depuis 2008, le texte examiné en séance publique n'est plus le texte déposé par l'auteur, mais celui établi en commission. Il n'y a, en outre, aucune limite au temps de parole des sénateurs en commission, ce qui permet à chacun de s'exprimer librement. De ce fait, la séance s'en trouve transformée.
Pour autant, faut-il réduire le temps de parole de deux minutes trente à deux minutes ? Notre programme législatif comportait hier l'examen de deux textes, qui pouvait continuer éventuellement aujourd'hui, voire demain. En réalité, nous avons examiné les deux textes hier dans l'après-midi et en début de soirée, sans difficulté particulière, car chacun s'est exprimé raisonnablement et, surtout, parce que les textes n'étaient pas longs. Inversement, nous allons voir arriver dans quelques semaines deux textes très importants, le projet de loi « Climat » et le projet de loi dit « 4D », qui comportent de nombreux dispositifs. La gestion du temps sera cruciale. Bref, il n'y a pas de solution évidente. Et l'idée de contenir le temps de parole à deux minutes en séance n'est pas mauvaise, qu'il s'agisse de la présentation des amendements, des avis sur les articles ou des explications de vote. Cette réduction est valable pour tout le monde, majorité comme opposition - tous seront logés à la même enseigne !
Cette proposition de résolution n'est pas un bouleversement de notre Règlement intérieur. Il s'agit plutôt d'une suite d'ajustements. À ce titre, la question du travail du Sénat en situation de crise a été écartée, pour des raisons simples : en réalité, les modalités souples retenues par le Sénat depuis le début de la crise sanitaire sont équilibrées sous l'égide de la Conférence des présidents. L'Assemblée nationale, qui a tenté de mettre en place un dispositif dans son Règlement, a été mise en difficulté par le Conseil constitutionnel...
L'article 45 de la Constitution ne s'applique pas aux propositions de résolution ; il ne s'applique qu'aux propositions et projets de loi.
J'ai entendu des propos qui me paraissent bien sévères avec cette proposition de résolution. Certes, il n'y a pas eu de consensus général au cours des réunions qui se sont tenues lors du premier trimestre. Mais, globalement, ces évolutions ont été considérées comme utiles - je pense en particulier au contrôle des ordonnances, ou aux évolutions en matière d'attribution des pouvoirs de commission d'enquête lorsque le Sénat ne siège pas. Restent des points très particuliers, que vous avez évoqués ou qui font l'objet d'amendements : parité, tourniquet, temps de parole...
L'idée est naturellement de favoriser la parité, et de l'appliquer, en tenant compte des différentes contraintes qui existent. Certains groupes n'ont pas en effectif suffisant pour répondre à cette obligation, qu'il faut concilier avec la représentation proportionnelle des groupes.
Le tourniquet fait que le premier orateur qui s'exprimera en discussion générale après le rapporteur ne sera pas forcément du même groupe que ce dernier. Il est simplement proposé de supprimer l'interdiction absolue que le premier orateur soit du même groupe que le rapporteur.
Le vote à distance est proposé dans les amendements. Le président du Sénat y est profondément hostile. Il est opposé au Parlement virtuel. Et je crois sincèrement qu'il a raison. Si nous instituons ce type de dispositif, nous serons de moins en moins nombreux dans nos réunions : les habitudes se prennent, c'est humain... Si nous avons la possibilité de ne pas nous rendre sur place, nous nous y accoutumerons, et nous n'aurons plus ces débats tant souhaités par les uns et les autres.
Sur le temps de parole, l'idée n'est pas tant de rationaliser que de permettre des interventions plus concises. Il s'agit avant tout d'une question de discipline collective. Certains d'entre nous n'abusent pas du tout du temps de parole ; d'autres, au contraire, l'utilisent à outrance à d'autres fins... Nous recherchons l'équilibre qui nous permettra d'avancer au mieux - et je le répète, en commission, le temps de parole n'est pas limité.
Pour conclure, ce texte comporte un certain nombre d'ajustements qui me paraissent souhaitables. Sur un certain nombre de points, le président du Sénat n'est pas d'accord, et il faudra en tenir compte - en tous cas, j'en tiendrai compte.
EXAMEN DES ARTICLES
M. François-Noël Buffet, rapporteur. - Mon amendement COM-30 prévoit la transmission par le Gouvernement de son programme de publication d'ordonnances pour le semestre, et non pour la session parlementaire.
L'amendement COM-30 est adopté.
M. François-Noël Buffet, rapporteur. - Mon amendement COM-31 donne compétence à la commission saisie au fond pour déclarer irrecevables des amendements présentés par les sénateurs qui seraient contraires à l'article 38 de la Constitution.
L'amendement COM-31 est adopté.
M. François-Noël Buffet, rapporteur. - Les amendements COM-32, COM-8 rectifié, COM-1 et COM-2 sont en discussion commune. Mon amendement COM-32 clarifie la répartition des compétences entre le Bureau, habilité à déterminer les règles de recevabilité, de caducité et de publicité des pétitions, et la Conférence des présidents, seule juge de l'opportunité des suites à leur donner. Son adoption ferait tomber les trois autres. L'amendement COM-8 rectifié est contraire à la position du groupe de travail, avec un seuil de signatures bas. L'amendement COM-1, qui propose que la pétition soit « examinée », et non « évoquée », par la Conférence des présidents, est satisfait par mon amendement COM-32, qui utilise ce terme. Enfin, l'amendement COM-2 prévoit une majorité qualifiée des quatre cinquièmes pour s'opposer à l'examen d'une pétition par le Sénat. La Conférence des présidents fonctionne plutôt par débat ouvert et consensuel. Cet amendement apporterait une forme de rigidité qui me paraît inopportune : l'objectif est d'aboutir à des décisions partagées, sinon unanimes.
L'amendement COM-32 est adopté.
Les amendements COM-8 rectifié, COM-1 et COM-2 ne sont pas adoptés.
Article additionnel avant l'article 5
M. François-Noël Buffet, rapporteur. - L'amendement COM-16 rend obligatoire l'élection d'un membre de l'opposition à la présidence de la commission des finances. C'est déjà l'usage, respecté depuis de nombreuses années. Avis défavorable.
M. Éric Kerrouche. - C'est vrai, mais cela ne tient qu'à la bonne volonté. Il serait souhaitable de l'inscrire dans le Règlement, comme c'est le cas à l'Assemblée nationale.
M. François-Noël Buffet, rapporteur. - Ce sujet n'a pas été abordé au sein du groupe de travail.
L'amendement COM-16 n'est pas adopté.
M. François-Noël Buffet, rapporteur. - Mon amendement COM-33 concerne la désignation d'un rapporteur pour les auditions effectuées en application de la procédure de l'article 13 de la Constitution.
L'amendement COM-33 est adopté.
M. François-Noël Buffet, rapporteur. - Mon amendement COM-34 propose de donner compétence au président de la commission des lois sur la recevabilité de l'attribution des prérogatives de commission d'enquête à une commission lorsque le Sénat ne tient pas séance.
L'amendement COM-34 est adopté.
M. François-Noël Buffet, rapporteur. - L'amendement COM-9 propose que l'approbation tacite des pouvoirs de commission d'enquête soit de droit lorsque le Sénat ne siège pas, alors que la proposition de résolution impose une décision du Président du Sénat. Avis défavorable.
L'amendement COM-9 n'est pas adopté.
Article 7
L'amendement rédactionnel COM-35 est adopté.
M. François-Noël Buffet, rapporteur. - L'amendement COM-28 demande au Gouvernement un rapport statistique qui est déjà élaboré par le Sénat. Retrait, ou avis défavorable.
L'amendement COM-28 n'est pas adopté.
Articles additionnels après l'article 8
M. François-Noël Buffet, rapporteur. - Les amendements COM-3 et COM-17 concernent la désignation automatique comme rapporteur d'un membre du groupe d'opposition auteur d'une proposition de loi examinée lors d'un espace réservé. Sur ce point, la majorité des commissions fonctionnent de la même manière, à l'exception de la commission des affaires sociales : le rapport sur un texte issu d'un groupe d'opposition n'est pas forcément attribué à un sénateur issu de ce groupe. En effet, dès lors que la majorité sénatoriale ne peut pas approuver un texte, il peut être délicat que le rapporteur soit systématiquement mis en difficulté sur une proposition qu'il est censé porter. En séance, il se retrouve obligé de dire du mal de son texte...
Mme Catherine Di Folco, présidente. - Situation inconfortable...
M. François-Noël Buffet, rapporteur. - Oui, pour tout le monde ! Avis défavorable.
M. Jean-Pierre Sueur. - Quel dommage !
M. Alain Richard. - Si je ne soutiens pas l'idée d'établir une règle fixe, dans le Règlement, sur le partage des rapports entre les groupes, il me semble que nous ne sommes pas tout à fait dans un gentlemen's agreement qui permettrait à la totalité des groupes d'avoir accès à des rapports, de temps à autre, sur un plus grand nombre de textes susceptibles d'être adoptés. C'est hors sujet ce matin, mais je suggère que nous reprenions la discussion sur ce point.
M. François-Noël Buffet, rapporteur. - Oui. La commission des lois, d'ailleurs, a souvent désigné des co-rapporteurs, avec des membres de différents groupes. Mes propositions récentes faites à certains groupes d'opposition de désigner certains de leurs membres comme rapporteurs n'ont toutefois pas toujours reçu un accueil favorable.
M. Jean-Pierre Sueur. - Le rapporteur est là pour rapporter le point de vue de la commission. Il n'y a pas de scandale à ce qu'un rapporteur rapporte une position qui n'est pas la sienne.
Mme Catherine Di Folco, présidente. - C'est tout de même compliqué... Parfois, en séance, il devient difficile de suivre pour les sénateurs qui n'ont pas participé aux travaux de la commission, entre la position de la commission, celle du rapporteur...
M. Jean-Pierre Sueur. - J'ai souvent vécu cela. Ainsi, du sénateur communiste Georges Hage, qui faisait tout un discours et concluait en disant que la commission n'avait pas approuvé le point de vue du rapporteur. Ce n'est pas scandaleux, vous savez...
Mme Nathalie Goulet. - Georges Hage, Douai... Grande figure ! À propos de ces observations concernant le rapporteur, je signale que le cas se produit régulièrement à la commission des finances, avec les rapporteurs spéciaux sur le projet de loi de finances. Ces rapporteurs budgétaires s'expriment au nom de la commission et donnent ensuite leur avis personnel. C'est une pratique classique dans cette maison.
M. François-Noël Buffet, rapporteur. - Oui, c'est aussi le cas chez nous puisque plusieurs rapporteurs pour avis sur le projet de loi finances sont issus de l'opposition.
M. Jean-Pierre Sueur. - Et cela ne pose pas de problème ! Le rapporteur rapporte le point de vue de la commission, avec éthique. La semaine dernière, une candidature pour faire le rapport a été refusée. Une autre candidature a été sollicitée, et nous avons entendu le rapport. Nous verrons qu'il n'y aura aucune avancée au terme de l'examen de cette proposition de résolution. C'est une illustration de ce qui peut se passer.
Les amendements COM-3 et COM-17 ne sont pas adoptés.
M. François-Noël Buffet, rapporteur. - L'amendement COM-14 instaure le vote à distance en commission. Le Président est très opposé à un Sénat virtuel. Avis défavorable.
Mme Catherine Di Folco, présidente. - On peut en tout cas espérer que cette période, où nous siégeons en demi-jauge, se terminera bientôt.
L'amendement COM-14 n'est pas adopté.
M. François-Noël Buffet, rapporteur. - L'amendement COM-18 porte sur la publicité des travaux en commission. L'idée est d'inverser le principe actuel : les réunions de chaque commission seraient publiques, sauf décision contraire. Avis défavorable.
Mme Catherine Di Folco, présidente. - De plus, les réunions de commission font d'ores et déjà l'objet d'un compte rendu écrit détaillé.
L'amendement COM-18 n'est pas adopté.
M. François-Noël Buffet, rapporteur. - Justement, l'amendement COM-20 porte sur la rectification des comptes rendus des commissions. Il est satisfait en pratique : des modifications sont déjà possibles - si elles ne changent pas le sens du propos, bien sûr. Avis défavorable.
L'amendement COM-20 n'est pas adopté.
M. François-Noël Buffet, rapporteur. - L'amendement COM-22 est également satisfait. Retrait, ou avis défavorable.
L'amendement COM-22 n'est pas adopté.
M. François-Noël Buffet, rapporteur. - L'amendement COM-23, relatif à l'horodatage des amendements, ne relève pas du Règlement. Avis défavorable.
L'amendement COM-23 n'est pas adopté.
M. François-Noël Buffet, rapporteur. - L'amendement COM-24 crée un droit de tirage, pour les groupes politiques, d'utilisation de la plateforme de consultation des élus locaux. Avis défavorable : chaque groupe politique dispose de ses propres moyens.
L'amendement COM-24 n'est pas adopté.
Article additionnel avant l'article 9
M. François-Noël Buffet, rapporteur. - L'amendement COM-15 modifie profondément le système d'espaces réservés aux groupes minoritaires. Nous fonctionnons actuellement avec un quota d'heures, dont chaque groupe dispose pour faire examiner son texte. Cet amendement propose de passer à un système par jour, sans doute pour disposer de plus de temps. Ce sujet n'a pas été évoqué par le groupe de travail, alors qu'il changerait profondément notre organisation. Avis défavorable.
L'amendement COM-15 n'est pas adopté.
M. François-Noël Buffet, rapporteur. - Les amendements identiques COM-6 et COM-10 suppriment cet article, relatif au tourniquet, c'est-à-dire l'ordre de passage des orateurs lors de la discussion générale. Avis défavorable.
Les amendements COM-6 et COM-10 ne sont pas adoptés.
M. François-Noël Buffet, rapporteur. - L'amendement COM-11 prévoit un droit d'opposition des présidents de groupe pour le retour à la procédure normale pour la lecture des conclusions de CMP. Avis défavorable. La Conférence des présidents me semble être le bon niveau.
L'amendement COM-11 n'est pas adopté.
M. François-Noël Buffet, rapporteur. - Les amendements identiques COM-7 et COM-12 suppriment cet article, qui opère le passage de deux minutes trente secondes à deux minutes. Avis défavorable.
M. Jean-Pierre Sueur. - Je demande un vote.
Mme Catherine Di Folco, présidente. - Nous procédons au vote.
Les amendements COM-7 et COM-12 ne sont pas adoptés.
M. Jean-Pierre Sueur. - C'est triste...
M. François-Noël Buffet, rapporteur. - L'amendement COM-29 demande deux heures de discussion générale par défaut, au lieu d'une heure actuellement. Le système actuel, qui résulte d'une modification de notre Règlement en 2015, me semble équilibré. La Conférence des présidents peut toujours prévoir une durée plus longue pour adapter ces discussions à la teneur du texte. Ce fut le cas récemment, sur le projet de loi confortant les principes de la République. Avis défavorable.
L'amendement COM-29 n'est pas adopté.
Article additionnel après l'article 13
M. François-Noël Buffet, rapporteur. - L'amendement COM-13 permet à tout sénateur de reprendre, en séance, un amendement dont l'auteur est absent. Le groupe de travail n'a pas évoqué ce sujet. Avis défavorable. Lorsqu'un sénateur est seul signataire d'un amendement, et qu'il n'est pas présent, son amendement n'est pas défendu. S'il y a plusieurs cosignataires, il n'y a pas de difficulté, s'ils sont présents. Et s'il y a un intérêt majeur à l'amendement, la commission peut toujours le reprendre...
M. Jean-Yves Leconte. - Cet amendement a tout de même son utilité, en particulier dans la période actuelle. Nous l'avons vu plusieurs fois lors des débats au cours de l'année 2020, lorsque la jauge dans l'hémicycle était très faible et que nous avions du mal à être tous présents. Permettre à un parlementaire de défendre un amendement d'un collègue sans être pour autant d'accord avec lui, mais en le portant pour le compte de ce collègue peut répondre à la situation que nous avons connue l'année dernière. Certes, un amendement ayant un intérêt particulier peut être repris par la commission. Mais il peut s'agir d'un amendement qui, sans avoir vocation à être adopté, pose un sujet et demande au rapporteur, ou au Gouvernement, des réponses. Dans ce cas, la commission ne le reprendrait pas, et le débat parlementaire ne serait pas complet. Bref, cet amendement a son utilité, en particulier dans une période où il est demandé à plus de la moitié de nos collègues de ne pas être présents aux séances, et donc de ne pas participer au débat.
Mme Catherine Di Folco, présidente. - Il est possible de faire cosigner les amendements jusqu'à l'ouverture de la discussion générale.
M. Jean-Yves Leconte. - Certes, mais une chose est de porter un amendement, une autre chose est de devoir demander à quelqu'un de signer un amendement avec lequel il n'est pas nécessairement d'accord. C'est un pis-aller, là où nous proposons un système clair.
Mme Nathalie Goulet. - Vous m'avez enlevé l'argument de la bouche, madame la présidente : effectivement, c'est notre responsabilité de nous organiser pour que quelqu'un qui sera présent cosigne notre amendement. Le cas se produit souvent pour les lois de finances. Et je me rappelle avoir souvent signé, par amitié - et retiré par conviction - des amendements pour aider les collègues qui n'étaient pas là. Ce n'est pas si fréquent, d'ailleurs.
L'amendement COM-13 n'est pas adopté.
M. François-Noël Buffet, rapporteur. - Les amendements COM-25 et COM-27 en discussion commune portent sur la parité au Bureau du Sénat. L'idée est, naturellement, de maintenir l'objectif de la parité, tout en le conciliant avec d'autres impératifs, notamment la représentation proportionnelle des groupes politiques. Avis défavorable.
M. Jean-Pierre Sueur. - Je souhaite défendre cet amendement. En effet, la rédaction de l'article 14 est quelque peu poussive : « ces listes s'efforcent d'assurer une représentation équilibrée » ! Le caractère normatif du verbe « s'efforcer de » n'est pas très évident... Ce que nous proposons est parfaitement faisable.
Le Bureau du Sénat compte, outre le Président du Sénat, huit vice-présidents, trois questeurs et des secrétaires. Chaque groupe doit présenter une liste pour chacune des catégories. Si un groupe dispose d'un siège dans une des trois catégories, on ne peut pas imposer la parité. Si un groupe dispose d'un nombre pair de sièges pour chaque catégorie, cet amendement fera qu'il proposera un homme et une femme. S'il dispose de trois sièges, il proposera au moins une personne de chaque sexe. S'il dispose de quatre sièges, il proposera deux femmes et deux hommes. Donc c'est tout à fait faisable.
Mme Catherine Di Folco, présidente. - Et cela se fait déjà dans certains groupes.
M. Jean-Pierre Sueur. - Certains groupes y sont puissamment attachés.
L'adoption de l'amendement de M. Kerrouche obligerait tout groupe politique devant présenter un nombre pair de candidats à appliquer la parité. Le Bureau se rapprocherait ainsi de la parité, même s'il ne l'attendait pas nécessairement. La rédaction proposée évite l'expression « s'efforce de », dont le caractère inopérant est manifeste. En plus, cela nous permettrait peut-être d'avoir une femme questeur au Sénat.
Mme Catherine Di Folco, présidente. - Précisément, comment comptez-vous garantir la parité à la questure, où il n'y a que trois postes ?
M. Jean-Pierre Sueur. - Cela supposerait, il est vrai, une concertation entre les groupes politiques. Mais le dispositif est opérationnel pour tous les autres organes.
M. Alain Richard. - La Constitution a été modifiée voilà plusieurs années pour que la loi puisse favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux fonctions et mandats électifs. Or, formellement, notre Règlement, qui est d'office soumis au contrôle du Conseil constitutionnel, n'est pas une loi. Il serait donc intéressant, en cas d'adoption de l'amendement, de voir si le Conseil constitutionnel considère que la possibilité donnée à la loi s'applique aussi aux règlements des assemblées parlementaires.
M. Jean-Pierre Sueur. - La remarque de notre collègue Alain Richard est un argument fort en faveur de l'adoption de notre amendement.
Les amendements COM-25 et COM-27 ne sont pas adoptés.
Articles additionnels après l'article 14.
M. François-Noël Buffet, rapporteur. - Avis défavorable sur l'amendement COM-26 , pour les raisons que j'ai déjà exposées.
L'amendement COM-26 n'est pas adopté.
Les amendements de simplification procédurale COM-36 et COM-37 sont adoptés, de même que l'amendement rédactionnel COM-38.
M. François-Noël Buffet, rapporteur. - Les amendements en discussion commune COM-4, COM-5, COM-19 et COM-21 concernent l'irrecevabilité des amendements au titre des articles 40 et 45 de la Constitution.
Les auteurs de l'amendement COM-4 proposent que le président de la commission des finances avertisse l'auteur d'un amendement avant de le déclarer irrecevable pour lui laisser le temps de le rendre conforme à la Constitution. En pratique, il y a déjà une certaine souplesse. Il n'est pas utile de rigidifier la procédure. Avis défavorable.
La jurisprudence du Conseil constitutionnel impose un contrôle de recevabilité « effectif et systématique » au moment du dépôt des amendements. Le Sénat a traduit cela dans son Règlement par l'interdiction de la distribution des amendements déclarés irrecevables. Les amendements COM-4, COM-5 et COM-19, qui ont pour objet la publication de tels amendements, iraient à l'encontre de cette jurisprudence. L'amendement COM-21, qui tend à remplacer le contrôle du président de la commission par un vote de la commission, après avoir reçu la liste des amendements concernés vingt-quatre heures en amont, aussi. En pratique, le président de la commission adresse d'ailleurs toujours un courrier à l'auteur de l'amendement déclaré irrecevable au titre de l'article 40 de la Constitution. Le dispositif proposé par ailleurs pour l'irrecevabilité au titre de l'article 45 de la Constitution est satisfait. Et la création d'une procédure de contestation en séance d'une déclaration d'irrecevabilité ne paraît pas opportune. Avis défavorable.
M. Jean-Pierre Sueur. - Vous connaissez nos critiques quant à l'application de l'article 45 de la Constitution. Il serait utile de permettre la publication des amendements déclarés irrecevables. Le Conseil constitutionnel irait-il jusqu'à déclarer cela contraire à la Constitution ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. - Les amendements déclarés irrecevables en application de l'article 45 de la Constitution sont diffusés. La jurisprudence que j'évoquais concerne l'article 40 de la Constitution.
M. Jean-Pierre Sueur. - Il serait également intéressant de publier les amendements déclarés irrecevables au titre de l'article 40, dont l'application suscite quelquefois des interrogations.
Les amendements COM-4, COM-5, COM-19 et COM-21 ne sont pas adoptés.
La proposition de résolution est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
Projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets - Examen du rapport pour avis
- Présidence de M. François-Noël Buffet, président -
M. François-Noël Buffet, président. - Nous examinons à présent le rapport pour avis de notre collègue Stéphane Le Rudulier sur le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur pour avis. - Notre commission s'est saisie pour avis de ce projet de loi, qui est examiné au fond par la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable et par la commission des affaires économiques.
Plusieurs dispositions du texte entrent dans le champ de compétences de notre commission : le titre VI, sur la protection judiciaire de l'environnement ; l'article 15, sur le « verdissement » de la commande publique ; les dispositions introduites à l'Assemblée nationale pour lutter contre l'orpaillage illégal en Guyane, qui touchent au droit pénal ; des dispositions sur les transports et sur la lutte contre l'artificialisation des sols qui nous intéressent à travers le prisme des collectivités territoriales. J'ai veillé à ce que les mesures envisagées respectent le principe de libre administration des collectivités et ne fassent pas peser sur elles des contraintes excessives.
Nous examinerons une trentaine d'articles sur les 218 que compte ce projet de loi protéiforme. J'ai beaucoup échangé avec mes collègues rapporteurs au fond pour essayer de dégager des positions communes qui donneront plus de force à l'expression du Sénat.
La protection judiciaire de l'environnement constitue le coeur de notre saisine.
Les deux articles principaux, les articles 67 et 68, créent de nouvelles infractions pour mieux réprimer la mise en danger de l'environnement et les atteintes graves et durables causées à l'environnement, dont certaines seraient qualifiées d'écocide et punies de dix ans d'emprisonnement. Ces nouvelles incriminations suscitent des critiques contradictoires. D'une part, les associations de protection de l'environnement souhaiteraient que les condamnations soient facilitées. D'autre part, les organisations d'employeurs s'inquiètent de leurs conséquences sur l'activité industrielle et sur les investissements étrangers. Ces nouvelles infractions apparaissent en réalité assez difficiles à caractériser. Il faut d'abord que l'auteur des faits ait violé les règles administratives protégeant l'environnement pour que des poursuites pénales puissent être engagées, et la notion d'atteinte durable à l'environnement est définie comme une atteinte susceptible de durer au moins dix ans, ce qui est une condition exigeante.
C'est l'article 68 qui pose le plus de problèmes sur le plan juridique. Le Conseil d'État a émis un avis défavorable sur ce dispositif, considérant qu'il réprimait de manière incohérente les atteintes à l'environnement et posait un problème constitutionnel en raison d'un risque de double incrimination. Les mêmes faits pourraient donner lieu à une condamnation à une peine différente en fonction du texte d'incrimination choisi par les autorités de poursuite. En conséquence, je vous présenterai tout à l'heure un amendement tendant à réécrire largement cet article 68, afin de répondre aux critiques du Conseil d'État. Je vous proposerai d'abandonner le terme d'écocide, qui n'est pas utilisé à bon escient.
Autre point de vigilance, l'article 69 bis, ajouté à l'Assemblée nationale, autorise l'utilisation de drones par les agents de contrôle chargés de veiller au respect des normes environnementales. À la lumière des travaux de la commission lors de l'examen de la proposition de loi pour une sécurité globale préservant les libertés et de la récente décision du Conseil constitutionnel, je vous proposerai plusieurs amendements tendant à mieux encadrer le recours aux drones.
Je suggère d'abroger le référé pénal, à l'article 69 ter. Ce dispositif n'a quasiment jamais été utilisé et paraît redondant avec les référés civil et administratif.
En revanche, je vous propose d'approuver la mesure tendant à confier le contentieux du devoir de vigilance à un ou plusieurs tribunaux judiciaires, comme le prévoit l'article 71 ter. Il y a une vraie incertitude concernant la juridiction compétente. Ce contentieux paraît déborder du champ de compétences habituel des tribunaux de commerce.
Les articles relatifs à la lutte contre l'orpaillage illégal en Guyane comportent d'autres mesures de droit pénal. Les moyens déployés par l'État sont extrêmement importants ; je pense à l'opération Harpie qui associe l'armée et la gendarmerie. Mais les résultats restent relativement modestes.
Sont notamment prévus des mesures pour habiliter des inspecteurs de l'environnement et des agents de l'Office national de forêts (ONF) à constater les infractions au droit minier en Guyane, le renforcement des sanctions pénales en cas d'infraction au droit minier et l'extension de la possibilité de reporter de vingt heures au maximum le début de la garde à vue. Il faut parfois des heures pour qu'une personne interpellée en Guyane soit acheminée au poste de gendarmerie le plus proche, ce qui justifie de reporter le point de départ de la garde à vue.
Ce sont des mesures attendues par les acteurs de terrain comme les auditions l'ont montré. Elles rejoignent certaines des préconisations de notre commission dans son rapport de février 2020 sur la Guyane. Elles sont utiles et proportionnées aux enjeux de la lutte contre l'orpaillage illégal. Je vous propose donc de soutenir leur adoption.
Je souhaite évoquer à présent le « verdissement » de la commande publique. L'article 15 tend à rendre systématique la prise en compte de considérations environnementales dans les conditions d'exécution des marchés publics et dans les critères de sélection des offres. Dans sa version initiale, l'article était acceptable : il est légitime que la commande publique contribue à la protection de l'environnement. Des modifications apportées à l'Assemblée nationale pour ajouter des critères sociaux apparaissent en revanche plus problématiques. Elles ne tiennent pas compte de la réalité des PME, qui risquent de se retrouver exclues des marchés publics, et ne paraissent pas compatibles avec le droit européen, qui impose l'existence d'un lien entre les critères posés dans l'appel d'offres et l'objet du marché. Je vous proposerai donc tout à l'heure plusieurs amendements pour remédier à ce problème.
J'en viens aux transports et à la lutte contre l'artificialisation des sols. J'ai examiné les articles 26 ter, 27, 29 et 32, ainsi que les articles 47 à 50 et 56 bis, relatifs à la lutte contre l'artificialisation des sols, en veillant à leurs effets sur les collectivités territoriales et en m'assurant de leur conformité au principe de libre administration.
Sur le volet transports, je vous proposerai des amendements à l'article 26 ter pour apporter des assouplissements à la trajectoire que le projet de loi entend imposer aux collectivités s'agissant du « verdissement » de leur flotte de véhicules.
À l'article 27, relatif aux zones à faibles émissions mobilités (ZFE-m), je vous suggérerai de défendre les prérogatives du maire en introduisant un mécanisme permettant aux communes de s'opposer au transfert automatique de cette compétence à l'établissement public de coopération intercommunale (EPCI). Je proposerai de préserver la liberté pour les collectivités de définir comme elles le souhaitent les restrictions devant s'appliquer sur le périmètre des ZFE-m.
À l'article 29, relatif à la tarification des services ferroviaires d'intérêt régional, je vous proposerai un amendement visant à maintenir la liberté tarifaire des autorités organisatrices de transport (AOT) régionales, qui participe du principe de libre administration des collectivités.
L'article 32 est politiquement sensible. Il vise à habiliter le Gouvernement à prendre par ordonnance toute mesure du domaine de la loi permettant aux régions qui le souhaitent d'instituer une écotaxe, assise sur le transport routier de marchandises. Celle-ci serait appliquée sur des routes dont le transfert aux régions est envisagé, à titre expérimental, dans le projet de loi dit « 4D », que nous examinerons prochainement. Cela pose un problème de cohérence, puisque le débat sur l'écotaxe précéderait le débat sur le transfert des routes qui en sont le support. Des interrogations demeurent concernant le champ de l'habilitation, particulièrement imprécis et vague. De plus, la révision prochaine de la directive Eurovignette risque de rendre caduque l'ordonnance. Enfin, nous sommes toujours en attente de l'ordonnance qui doit permettre à la Collectivité européenne d'Alsace (CEA) d'instituer une écotaxe. Si elle était prise, il pourrait se poser un problème d'articulation entre les deux dispositifs.
En matière de lutte contre l'artificialisation des sols, le projet de loi fixe un objectif national qui serait ensuite décliné dans les documents locaux de planification et d'urbanisme. Le rythme d'artificialisation des sols serait divisé par deux au cours des dix prochaines années par rapport aux dix années écoulées, avec l'objectif d'arriver à zéro artificialisation nette en 2050.
Néanmoins, on peut s'interroger sur le rôle central dévolu au schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET). Je vous proposerai de préserver la liberté des collectivités infrarégionales, en précisant que leurs documents - les schémas de cohérence territoriale (SCoT) et les plans locaux d'urbanisme (PLU) - tiennent compte des objectifs fixés dans le SRADDET sans lui être subordonnés.
Je propose de supprimer plusieurs articles imposant aux collectivités des contraintes supplémentaires peu justifiées. D'abord, l'article 49 quater alourdit la composition des conférences territoriales de l'action publique (CTAP). Ensuite, l'article 49 quinquies crée des conventions de sobriété foncière ; si de tels outils de coordination de l'action des collectivités publiques impliquées dans la lutte contre l'artificialisation des sols peuvent être utiles, il n'est pas souhaitable d'en rigidifier le fonctionnement. Enfin, l'article 50 prévoit la production par les communes ou les EPCI compétents en matière d'urbanisme de rapports relatifs à l'artificialisation des sols, sans tenir compte des besoins et des moyens réels des communes ou des EPCI de petite taille.
Les amendements que je vous présenterai visent à trouver un juste équilibre entre le respect du principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales et la mise en oeuvre de nouvelles dispositions tendant à protéger notre environnement, tout en préservant la vie économique de nos territoires.
M. Marc-Philippe Daubresse. - Je salue la qualité du rapport pour avis de Stéphane Le Rudulier. Le projet de loi est pharaonique ; il faut y remettre de la clarté. Ce texte de planification rigide stalinienne de l'aménagement du territoire nous conduirait à de graves désillusions s'il était adopté en l'état.
Les chiffres que j'avais annoncés en tant que rapporteur pour avis sur le projet de loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (ÉLAN) se sont révélés exacts ; le Gouvernement n'en a pas tenu compte. Cette loi a freiné la construction de logements. C'est un effondrement total, notamment dans les zones les plus tendues, qui va aboutir à une baisse considérable de la construction de logements collectifs et de logements sociaux. Et l'on vient encore créer une nouvelle usine à gaz. Si Les maires n'accordent pas assez de permis de construire, c'est à cause de la jungle des normes et des réglementations.
Les articles sur l'artificialisation des sols, qui semblent très techniques, sont essentiels. Je le dis très tranquillement : en continuant comme cela, nous allons perdre 250 000, voire 400 000 emplois dans le bâtiment, alors que nous devons relancer l'économie du pays. Il faut évidemment tenir compte de conséquences environnementales. Mais, comme le rapporteur pour avis l'a indiqué, la définition de l'artificialisation des sols qui résulte des travaux de l'Assemblée nationale est particulièrement floue. Nous avons un double enjeu : d'une part, redéfinir l'artificialisation en fixant un objectif qui puisse se décliner localement et qui respecte le principe de libre administration des collectivités locales ; d'autre part, ne pas repartir dans des schémas d'aménagement du territoire qui vont bloquer la construction.
Le plan que nous avions lancé avec Jean-Louis Borloo, alors ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement, avait abouti à 490 000 mises en chantier, alors que nous sommes descendus à moins de 360 000 aujourd'hui. Dans les zones tendues, nombre de ménages modestes n'auront pas la possibilité de se loger ou d'accéder à la propriété.
Je trouve excellents les amendements du rapporteur pour avis sur l'artificialisation et sur la combinaison entre objectifs environnementaux et libre administration des collectivités locales. Nos collègues Dominique Estrosi Sassone et Valérie Létard sont dans le même état d'esprit que moi. Nous sommes très préoccupés par ce texte, qui peut porter un coup fatal à la construction dans notre pays.
Mme Muriel Jourda. - Je partage totalement les propos de notre collègue Marc-Philippe Daubresse. Dans mon département, pour se loger, il faudra bientôt avoir soit très peu d'argent pour pouvoir vivre en logement social, soit en avoir beaucoup pour pouvoir acheter du foncier.
Les articles 67 et suivants concernent les atteintes à l'environnement et leur répression. Le droit de l'environnement et le droit pénal sanctionnent déjà les comportements visés. Quel est l'apport de ces nouveaux articles ? Quid des atteintes à l'environnement susceptibles de durer au moins dix ans ? Bien malin celui qui pourrait prévoir les réactions de la nature sur une telle durée...
M. Alain Richard. - La préservation de la biodiversité est notre sujet constitutionnel du moment. Je suis frappé par l'immensité des incertitudes scientifiques et statistiques sur l'intensité de la présence des différentes espèces végétales et animales.
La définition administrative de l'artificialisation qui a été retenue dans notre pays sert de base à toute une série de décisions des pouvoirs publics. Or elle est, à mon avis, profondément erronée, puisqu'elle rend très difficile toute évolution de l'accueil des populations et des services, avec des effets économiques très négatifs. Je souhaite que les travaux du Sénat permettent de rationaliser et de rendre plus cohérente la nouvelle définition.
J'en viens à une remarque de méthode législative. En matière d'urbanisme, il existe deux modes de subordination d'une règle à une autre : la conformité et la compatibilité. La jurisprudence sur le sujet est abondante. L'introduction d'une troisième catégorie, qui serait la « prise en compte », ne me semble guère opportune. En droit, je ne sais pas ce que cela signifie. En cas de litige, ce sera au juge de trancher : il risque de devoir faire des contorsions pour apprécier si l'on a suffisamment tenu compte ou non. Au demeurant, la notion est déjà utilisée pour les parcs naturels régionaux. Mais il s'agit de droit souple, pour ne pas dire de « droit mou ». Je ne crois pas que cela soit un modèle à imiter.
Mme Françoise Gatel. - Je salue le travail de réflexion et de concertation très important du rapporteur pour avis. Je partage les inquiétudes de mes collègues quant à la définition de l'artificialisation.
L'article 32, qui concerne la contribution assise sur le transport routier des marchandises, est une élucubration juridique. Il consiste à donner le sentiment que les régions et les départements pourraient créer une écotaxe alors que le texte qui rendra cela possible viendra ultérieurement. C'est de l'enfumage. Et qu'est-ce qui nous garantit que l'État ne tirera pas prétexte de cette taxe pour réduire le financement des transferts de compétences annoncé dans le cadre du projet de loi dit « 4D » ? En plus, les modalités de calcul de la taxe sont très floues. Enfin, la France, qui exercera la présidence de l'Union européenne au premier semestre 2022, a indiqué que la révision de la directive Eurovignette serait une de ses priorités.
Région péninsulaire de 3 millions d'habitants, la Bretagne nourrit 17 millions de personnes qui vivent au-delà de ses limites. Les transports routiers bretons seraient donc lourdement pénalisés par le dispositif envisagé. Il y a un vrai sujet d'équilibre territorial et de capacité à assumer l'autonomie alimentaire.
Par ailleurs, nous connaissons tous le développement du e-commerce ; or, pratiquer le e-commerce, c'est soutenir le développement du transport routier. Les marchandises sont livrées et peuvent même être renvoyées si elles ne conviennent pas. Cela revient à financer un aller-retour.
M. André Reichardt. - Je remercie le rapporteur pour avis de son travail.
Je rejoins les propos de Mme Gatel relatifs à l'écotaxe, ainsi que la proposition du rapporteur pour avis d'aborder ce débat en même temps que le transfert de certaines routes aux régions dans le projet de loi « 4D ». En Alsace, nous sommes toujours en attente de l'ordonnance prévue par la loi relative aux compétences de la Collectivité européenne d'Alsace adoptée il y a bientôt deux ans !
Je salue les amendements du rapporteur pour avis relatifs à la libre administration des collectivités territoriales. S'agissant des ZFE-m, il propose notamment de refuser que la compétence soit automatiquement transmise aux EPCI. Cette proposition me semble particulièrement pertinente.
Mme Marie Mercier. - Je félicite à mon tour le rapporteur pour avis pour la qualité de son travail.
En mai 2019, en tant que rapporteur de la proposition de loi portant reconnaissance du crime d'écocide, je m'étais heurtée à un certain nombre de difficultés. En effet, le texte ne permettait pas de différencier les activités légales des activités illégales, ni de trancher la question de l'intention des auteurs de l'écocide - la dégradation de l'environnement était-elle l'objectif poursuivi, ou simplement une conséquence ? - ni de déterminer ce qu'était une atteinte grave et durable. Des sanctions administratives existant déjà, nous avions donné un avis défavorable à cette proposition de loi.
Mme Valérie Boyer. - Je remercie également le rapporteur pour avis, dont le travail de pédagogie sur ce texte fourre-tout a permis de remettre l'église au centre du village en rappelant nos principes.
J'ai pu observer les effets de l'application de la loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR) dans des quartiers pavillonnaires de la ville de Marseille qui bénéficiaient d'un cadre de vie agréable et confortable. Je ne mésestime pas la difficulté, notamment pour les jeunes, d'accéder à la propriété, mais il me paraît préjudiciable pour la qualité de vie et l'habitat de bon nombre de nos concitoyens de densifier et d'élever les habitations. À vouloir préserver l'environnement, il arrive qu'on le dégrade. De plus, les maires rencontreront de nombreuses difficultés dans la délivrance des permis de construire. De ce point de vue, ce texte amène de la confusion.
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur pour avis. - Je crois essentiel que le débat se tienne au sein des assemblées délibérantes des intercommunalités et des communes afin de déterminer un objectif raisonnable de non-artificialisation pour les dix prochaines années, en corrélation avec les programmes locaux de l'habitat et les objectifs de construction qui découlent de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU).
Par ailleurs, il faut mieux définir ce qu'est l'artificialisation. Je propose d'introduire la notion d'imperméabilisation, qui permet de préserver les zones végétalisées tout en évitant une interprétation excessive de la non-artificialisation. La référence à la notion de parcelle permettra également aux élus de mieux s'approprier leurs nouvelles obligations.
Sur le volet pénal, le projet de loi a effectivement pour objectif d'aggraver les peines encourues pour les atteintes graves et durables à l'environnement. Comme cela a été indiqué, toute la difficulté est d'apprécier ce qu'est une atteinte « durable », car il est rare qu'une atteinte de l'eau ou du sol dure plus de dix ans. Il reviendra aux tribunaux de trancher sur la base d'avis d'experts. La commission saisie au fond souhaitera peut-être faire évoluer ce critère de durée. En réponse à Marie Mercier, je signale que la proposition de loi portant reconnaissance du crime d'écocide était rédigée en des termes très différents de ceux du présent projet de loi. Nous aurons l'occasion d'y revenir.
Madame Gatel, vous avez évoqué le risque que la ressource issue de l'écotaxe soit intégrée dans le calcul des compensations accordées aux régions. Je souligne dans mon rapport écrit que ne sauraient être prises en compte dans le calcul des conditions financières du transfert des routes envisagé dans le projet de loi « 4D » les recettes résultant de la mise en oeuvre de cette contribution. C'est une ligne rouge pour la commission.
Cela fait dix-huit mois que le Gouvernement est habilité à prendre une ordonnance en vue de la création d'une écotaxe régionalisée pour l'Alsace. On peut donc légitimement s'interroger sur sa capacité à édicter dans un délai similaire une ordonnance d'envergure nationale.
M. François-Noël Buffet, président. - Mes chers collègues, je vous rappelle que lorsque la commission est saisie pour avis, seul le rapporteur peut déposer des amendements.
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-798 vise à supprimer l'obligation de publication annuelle des indicateurs des schémas de promotion des achats publics socialement et écologiquement responsables (Spaser).
L'amendement COM-798 est adopté.
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-799 vise à supprimer l'obligation de prendre en compte certaines considérations en matière sociale et d'emploi dans les conditions d'exécution des marchés publics.
L'amendement COM-799 est adopté.
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-800 vise également à revenir sur des dispositions relatives aux marchés publics.
L'amendement COM-800 est adopté.
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-801 tend à assouplir la trajectoire de « verdissement » des flottes de véhicules légers des collectivités territoriales afin qu'elle soit supportable par les finances locales. Ainsi, le taux plancher d'incorporation de véhicules propres lors du renouvellement des flottes serait fixé à 40 % à partir du 30 juin 2025, à 50 % à compter du 1er juillet 2030 et à 70 % à partir du 1er juillet 2032.
L'amendement COM-801 est adopté.
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-802 tend à exclure certains véhicules, tels que les déneigeuses, de la trajectoire de « verdissement » des flottes de véhicules légers des collectivités territoriales.
L'amendement COM-802 est adopté.
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-803 vise à permettre plus de souplesse dans la fixation du schéma de restriction de circulation établi par les collectivités territoriales dans le cadre des ZFE-m.
L'amendement COM-803 est adopté.
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-804 vise à permettre aux maires de s'opposer au transfert automatique des pouvoirs et compétences de police de la circulation en matière de ZFE-m.
L'amendement COM-804 est adopté.
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-805 vise à supprimer l'obligation pesant sur les autorités organisatrices de transports de proposer des barèmes tarifaires, pour les trains express régionaux (TER) et les transiliens, incitant les usagers à privilégier le recours aux transports collectifs et favorisant l'intermodalité. Plutôt que de légiférer sur ce point, il vaut mieux faire confiance aux initiatives des régions.
L'amendement COM-805 est adopté.
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur pour avis. - Comme je l'ai déjà évoqué, l'amendement COM-806 vise à supprimer l'habilitation à légiférer par ordonnances demandée par le Gouvernement concernant l'écotaxe.
L'amendement COM-806 est adopté.
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-807 tend à préciser la définition de l'artificialisation des sols pour en garantir l'opérationnalité. De nombreux acteurs de terrain ayant exprimé leur difficulté à se saisir de cette notion d'artificialisation des sols, il est apparu nécessaire d'en préciser la portée concrète dans la loi. La définition ainsi proposée, qui recourt à la notion de parcelle et lie l'artificialisation à l'imperméabilisation, est de nature à faciliter l'appropriation de la notion par les acteurs impliqués.
M. Alain Richard. - Tous les outils de mesure des services de l'État reposent sur la définition actuelle. Si nous obtenons satisfaction, il faudra prévoir une date d'application différée.
L'amendement COM-807 est adopté.
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-808 tend, à titre principal, à inclure la fixation de la trajectoire de réduction du rythme de l'artificialisation parmi les objectifs fixés par le SRADDET. Initialement incluse parmi les règles fixées par ce document, cette trajectoire aurait constitué une contrainte excessive pour les collectivités territoriales ou leurs groupements en charge de l'élaboration des SCoT ou des PLU.
M. Marc-Philippe Daubresse. - Lors de l'examen de la loi ÉLAN, nous avons obtenu que l'on définisse par ordonnance la hiérarchie des normes applicable aux documents d'urbanisme. Notre rapporteur a donc raison d'introduire l'expression « prendre en compte », également utilisée dans cette ordonnance en date du 17 juin 2020.
L'amendement COM-808 est adopté.
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-809 tend à supprimer la possibilité, pour le règlement de PLU, de définir des règles de limitation de l'imperméabilisation des sols, de désimperméabilisation des sols et de compensation de toute nouvelle imperméabilisation. Ces deux dernières notions, mal définies, pourraient poser des difficultés aux communes ou EPCI en charge de ce document.
L'amendement COM-809 est adopté.
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-810 tend à apporter un léger assouplissement à la procédure de révision des SCoT et des PLU prévue pour leur mise en conformité avec les objectifs de lutte contre l'artificialisation des sols.
L'amendement COM-810 est adopté.
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-811 tend à prévoir que l'évaluation sexennale des SCoT inclurait une évaluation au regard de l'objectif de réduction du rythme de l'artificialisation des sols.
M. Alain Richard. - Il conviendrait que ce rapport soit fait la première année du mandat municipal.
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur pour avis. - Il importe effectivement de procéder à cette évaluation à intervalle de six ans, mais le rythme de production de ces documents est indépendant de celui des mandats municipaux.
L'amendement COM-811 est adopté.
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-812 tend à supprimer une modification inopportune de la composition de la CTAP.
L'amendement COM-812 est adopté.
Article 49 quinquies (Nouveau)
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-813 tend à revenir sur la création de conventions de sobriété foncière.
L'amendement COM-813 est adopté.
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-814 vise à supprimer cet article, qui prévoit la production par les communes d'un rapport annuel ou biannuel sur l'artificialisation des sols.
L'amendement COM-814 est adopté.
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-815 vise à supprimer cet article, qui est redondant avec les dispositions mieux rédigées figurant dans le projet de loi « 4D ».
L'amendement COM-815 est adopté.
Article 67
L'amendement de coordination COM-816 est adopté.
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-817 vise à corriger un oubli concernant la définition de la notion d'atteinte durable à l'environnement.
L'amendement COM-817 est adopté.
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-818 vise à réécrire l'article en tenant compte de l'avis sévère rendu par le Conseil d'État. Nous proposons ainsi de distinguer les atteintes à l'environnement selon qu'elles sont intentionnelles ou non, la peine encourue étant logiquement plus élevée dans le premier cas.
Cette rédaction prévoit en outre une protection plus complète des sols en ne limitant pas le champ de l'incrimination à la seule hypothèse d'une pollution causée par des déchets. Elle fixe également un délai maximal de douze ans à compter de la commission des faits pour le délai de prescription. Enfin, elle évite le recours au terme d'écocide qui renvoie dans la littérature juridique à une infraction criminelle susceptible d'être reconnue à l'échelon international.
L'amendement COM-818 est adopté.
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-819 vise à supprimer la référence à l'article L. 173-3-1, relatif au délit de mise en danger de l'environnement, qu'il n'apparaît pas judicieux de mentionner ici, et procède à une coordination avec les changements introduits à l'article 68.
L'amendement COM-819 est adopté.
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur pour avis. - Par cohérence avec les dispositions adoptées par le Parlement dans le cadre de l'examen de la proposition de loi pour une sécurité globale préservant les libertés, l'amendement COM-820 subordonne l'utilisation de drones à une autorisation.
L'amendement COM-820 est adopté.
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-821 vise à restreindre l'usage des drones aux hypothèses où le recours à ce moyen technique présente une vraie justification.
M. Alain Richard. - Nous sommes indirectement en train de préparer la nouvelle mouture d'un article de la proposition de loi pour une sécurité globale préservant les libertés. Le Conseil constitutionnel a indiqué ce qu'il convenait d'ajouter aux règles d'utilisation des drones pour les rendre conformes au principe du droit au respect de la vie privée.
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur pour avis. - Cette rédaction tient compte de la décision du Conseil constitutionnel et s'inspire des dispositions que nous avons votées dans la proposition de loi « Sécurité globale ».
L'amendement COM-821 est adopté.
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-822 tend à préciser qu'en cas d'utilisation d'un drone, la personne faisant l'objet du contrôle en est avisée.
L'amendement COM-822 est adopté.
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-823 a pour objet de fixer à trente jours la durée de conservation des données à caractère personnel, hors le cas où elles sont utiles à une procédure administrative qui peut être plus longue.
L'amendement COM-823 est adopté.
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur pour avis. - Le projet de loi prévoit que l'utilisation de caméras embarquées sur des drones ne serait possible qu'aux abords des sites que l'agent cherche à contrôler. L'amendement COM-824 vise à élargir cette possibilité à l'intérieur des sites.
L'amendement COM-824 est adopté.
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-825 vise à encadrer l'utilisation des drones en prohibant la captation du son, le recours à des techniques de reconnaissance faciale ou des rapprochements automatisés de données à caractère personnel.
L'amendement COM-825 est adopté.
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-826 vise à supprimer le référé pénal en matière d'environnement, dispositif qui n'a été utilisé qu'une fois en vingt-cinq ans.
L'amendement COM-826 est adopté.
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-827 vise à supprimer une demande de rapport.
L'amendement COM-827 est adopté.
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-828 vise également à supprimer une demande de rapport. En revanche, je vous propose de maintenir la demande de rapport sur les efforts de la France en vue de la reconnaissance d'un crime d'écocide en droit international.
L'amendement COM-828 est adopté.
La réunion est close à 11 h 45.
- Présidence de M. François-Noël Buffet, président -
La réunion est ouverte à 17 heures.
Réforme de la haute fonction publique - Audition de Mme Amélie de Montchalin, ministre de la transformation et de la fonction publiques
M. François-Noël Buffet, président. - Le 8 avril dernier, le Président de la République a confirmé son intention de réformer la formation des hauts fonctionnaires, notamment par la suppression de l'École nationale d'administration et la création d'un Institut national du service public (INSP). La réforme est plus large que celle d'une école, il s'agit d'une refonte des modalités d'accès aux fonctions publiques, en supprimant les statuts de corps de fonctionnaires pour favoriser les statuts d'emplois.
Cette réforme est annoncée de longue date. Dès avril 2019, le Président de la République avait missionné Frédéric Thiriez pour conduire une réflexion sur le sujet, dont les conclusions n'ont été dévoilées qu'en janvier 2020. Ce qu'envisage aujourd'hui le Gouvernement semble toutefois aller bien au-delà de ce qui était alors proposé.
Quel qu'en soit le contenu, la réforme de la fonction publique implique à la fois une intervention législative et la modification de plusieurs textes réglementaires. Pour ce qui est des modifications relevant de la loi, le Gouvernement a reçu une habilitation à intervenir par ordonnance par l'article 59 de la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique, qui laissait très ouvert le champ de la réforme, puisqu'il autorisait le Gouvernement à organiser le rapprochement et modifier le financement des établissements publics et services qui concourent à la formation des agents publics pour améliorer la qualité du service rendu aux agents et aux employeurs publics ; à réformer les modalités de recrutement des corps et cadres d'emplois de catégorie A afin de diversifier leurs profils, harmoniser leur formation initiale, créer un tronc commun d'enseignements et développer leur formation continue afin d'accroître leur culture commune de l'action publique, aménager leur parcours de carrière en adaptant les modes de sélection et en favorisant les mobilités au sein de la fonction publique et vers le secteur privé ; enfin, à renforcer la formation des agents les moins qualifiés, des agents en situation de handicap ainsi que des agents les plus exposés aux risques d'usure professionnelle, afin de favoriser leur évolution professionnelle. Le délai d'habilitation expirera le 7 juin prochain.
L'ordonnance prise sur ce fondement devait être adoptée ce matin en conseil des ministres, et vous deviez nous la présenter, mais son examen a été reporté à la semaine suivante. Merci d'être là malgré tout, et peut-être pourrez-vous nous faire quelques révélations.
En tout état de cause, cette réforme annoncée en passionne certains et en inquiète d'autres, qui s'interrogent sur deux plans. D'abord, s'agissant de la formation initiale des hauts fonctionnaires, la création d'une nouvelle école soulève chez certains quelque scepticisme par rapport au modèle de l'École nationale d'administration (ENA) et à la plus-value réelle d'un nouvel institut.
Mais le débat porte surtout sur le statut futur de certains hauts fonctionnaires : qu'il s'agisse de ceux qui sont chargés de missions juridictionnelles, de ceux qui assurent des fonctions d'inspection, ou qui sont les chefs de l'administration déconcentrée de l'État dans les départements et les régions, à savoir les préfets. Les parcours de carrière de ces fonctionnaires doivent en effet absolument présenter des garanties en termes de compétence et, pour certains d'entre eux, d'indépendance, afin que des fonctions qui sont au coeur de notre État de droit puissent s'exercer dans des conditions satisfaisantes.
Mme Amélie de Montchalin, ministre de la transformation et de la fonction publiques. - Mesdames et messieurs les sénateurs, c'est un honneur pour moi de présenter devant votre commission l'ordonnance qui porte réforme de l'encadrement supérieur de l'État. Ce texte est un rendez-vous de l'État avec son histoire et avec son avenir, au service des Français et de la transformation de notre pays. Les hommes et les femmes qui servent notre pays répondront présent, comme ils l'ont fait pendant la crise sanitaire.
En 1945, une ordonnance jetait les bases d'un système administratif nouveau et forgeait, non sans résistance, une nouvelle génération de hauts fonctionnaires formés aux enjeux du XXe siècle. Le monde n'est plus le même, les enjeux ont changé, la France de 2021 n'est plus celle de 1945. Elle a connu la décentralisation, la déconcentration - la Haute Assemblée le sait mieux que quiconque. Parallèlement, le système de gestion des corps, des recrutements, des carrières s'est rigidifié, loin de la promesse initiale de 1945. Pour y revenir et la tenir pour 2021, il faut la mettre à jour en relevant le défi de cette nouvelle crise, même si nous ne l'avons pas attendue pour engager cette réforme.
Celle-ci est profondément gaullienne et républicaine, elle répond à un engagement fort du Président de la République qui sera tenu, dans la continuité des réformes engagées depuis le début du quinquennat et dont je suis la bonne exécution au sein de mon ministère. Tant de gouvernements, tant de majorités ont promis de mener ce chantier majeur, sans toujours aller jusqu'au bout, parce que ce n'est jamais le bon moment, parce que c'est une réforme plus difficile que celles qui ont consisté à dépouiller l'État de ses forces vives à coups de rabot budgétaire et qui ont beaucoup affaibli nos services déconcentrés. Ce gouvernement, avec cette majorité, a le courage de faire face à ces défis pour refonder la formation et les carrières des cadres de l'état du XXIe siècle, sans rien renier de la promesse de 1945.
J'ai tenu à venir devant le Parlement pour présenter cette ordonnance avant son adoption en conseil des ministres. Loin des caricatures, des postures, d'un certain nombre de détournements, je souhaite que nos débats d'aujourd'hui permettent de rappeler le sens et l'ambition de cette transformation. On peut être en désaccord avec cette réforme, quitte à ne pas toujours être cohérent avec les positions adoptées par le passé, mais lorsque je lis çà et là que nous supprimerions l'institution préfectorale ou que nous serions sur le point d'organiser un grand spoil system à l'américaine, les bras m'en tombent. Au débat d'idées, certains ont préféré la course à l'outrance électorale, ce qui me semble déplorable, s'agissant d'un sujet aussi important. Dans ce contexte préélectoral, il faut dénoncer toute tentative de récupération de notre haute fonction publique à des fins politiciennes, qui représenterait un grave danger pour notre démocratie. En tant que ministre de la fonction publique, je suis très attachée à ce que les hommes et les femmes qui servent notre pays le fassent en ayant chevillées au corps les valeurs du service public.
Je tiens d'abord à saluer l'engagement de tous les agents publics et de tous nos hauts fonctionnaires, en particulier pendant cette crise sanitaire, qui ont su faire face aux exigences de sauver des vies, d'assurer l'ordre public, de maintenir la continuité du service public essentiel à nos concitoyens ; ils ont innové, sans renier nos valeurs fondamentales. Nos agents publics ont tenu et avec eux, l'État. Au-delà de cette crise, la plus grave depuis le milieu du XXe siècle, nous devons nous rendre à l'évidence : les trente dernières années ont été marquées par un affaiblissement de la perception de l'État par nos concitoyens, voire d'une défiance grandissante, qui contribue à nourrir les extrêmes. Les Français veulent un État fort, parce qu'ils veulent être protégés, et ils attendent des services publics sur tout le territoire, parce qu'ils sont attachés à l'égalité, mais ils ne veulent plus de la complexité qui caractérise bien trop souvent l'action publique, à laquelle nous nous sommes attachés. Je sais combien le Sénat partage ces préoccupations, et mon échange récent avec la mission chargée la simplification des normes au sein de la délégation aux collectivités territoriales l'a confirmé. Je tiens à dire solennellement que les hommes et les femmes ne sont nullement en cause, ils sont les premières victimes d'un système qui crée de la complexité et qui nourrit l'impuissance. Forts de ce constat, nous avons conçu cette réforme pour refonder une action publique qui réponde aux attentes de proximité, d'humanité, de simplicité et d'efficacité exprimées par nos concitoyens.
Cette réforme est bâtie sur trois idées.
L'enjeu est, d'abord, de renforcer la confiance entre les citoyens et l'État, avec une haute fonction publique davantage à l'image de la réalité sociale et territoriale de notre pays. C'est l'ambition du programme « Talents du service public », que le Président de la République a présenté à Nantes en février et qui s'est concrétisé dans l'ordonnance promulguée le 3 mars dernier. Sans renier les insuffisances du système scolaire, auxquelles le Gouvernement s'est attaqué depuis 2017, ce programme a pour ambition de faire en sorte que cette fonction publique redevienne l'ascenseur social républicain qu'elle a été. Concrètement, il acte, dès la rentrée de 2021, la création partout sur le territoire, dans soixante-quatorze universités, de 1 700 places en classe préparatoire aux grands concours de la fonction publique pour les jeunes boursiers. À la rentrée prochaine, trente-cinq places seront réservées à ces élèves boursiers dans les différents concours de la fonction publique, dans le plein respect des principes posés par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Nous aurions pu attendre que les mesures prises dès l'école maternelle, en primaire ou au collège atteignent leur plein effet dans dix ou vingt ans, mais, s'agissant d'égalité des chances, nous n'avions pas le droit d'attendre, il fallait agir.
Le deuxième axe est d'assurer aux cadres supérieurs de l'État une formation et une carrière en adéquation avec les besoins de l'action publique au XXIe siècle et avec les aspirations des jeunes générations. À défaut, celles-ci se détourneront plus encore de la fonction publique. Une formation initiale, fût-elle de qualité, ne saurait suffire à appréhender et à accompagner ces changements ; de même, une formation qui se limiterait à reproduire des schémas administratifs éprouvés ou des enseignements reçus antérieurement serait également insatisfaisante. C'est la raison pour laquelle nous créons l'Institut national du service public qui verra le jour le 1er janvier 2022 à Strasbourg et deviendra le principal opérateur de formation, initiale et continue, de l'encadrement supérieur et des administrateurs de l'État, avec une formation plus ouverte sur le monde académique et faisant place à l'esprit critique et au sens de l'innovation, sans renier les fondamentaux de notre République. Cet Institut formera plus généralement l'ensemble des cadres supérieurs de l'État, mais aussi de la fonction publique territoriale et hospitalière, parce qu'un commissaire de police, un directeur d'hôpital, un administrateur de l'État ont beaucoup à apprendre ensemble. L'INSP sera donc chargé d'animer, d'approfondir, de faire vivre un tronc commun à quatorze écoles du service public en formation initiale, parmi lesquelles on retrouve les cinq écoles d'application de l'École polytechnique. Il s'agit aussi de renforcer l'évaluation des cadres supérieurs, de les accompagner tout au long de leur carrière en favorisant la mobilité et l'acquisition de compétences dans des filières métiers. Mobilité, respiration, accompagnement doivent être désormais les maîtres mots de la carrière de haut fonctionnaire. C'est d'abord un défi culturel important, car le constat est clair : trop peu de nos dirigeants ont pu bénéficier d'un vrai parcours de carrière ou ont pu se voir offrir une formation adaptée à leurs aspirations. C'est dommageable à l'action publique comme aux cadres de l'État. Ce sera le rôle de la nouvelle délégation interministérielle à l'encadrement supérieur de l'État d'y remédier.
La troisième idée est de mettre fin aux voies toutes tracées basées sur un rang de classement à la sortie d'une école et qui génèrent injustices et frustrations. Nous devons mettre les bonnes compétences au bon endroit, notamment au plus proche des besoins de nos concitoyens, sur le terrain, dans les territoires. À la sortie de l'INSP, le classement perdurera, mais il permettra de choisir son premier poste. Il constitue un gage de transparence et d'équité, mais sa portée sera très réduite au regard de ce que nous connaissons aujourd'hui, car tous les élèves sortant de l'INSP rejoindront le corps des administrateurs de l'État. Ils n'auront plus accès aux quinze places que les grands corps leur réservaient et devront tous avoir une première expérience opérationnelle avant de juger, de contrôler ou d'inspecter. Nous aurions pu mettre fin au statut et recruter uniquement sur contrat, mais nous n'avons pas voulu céder à cette facilité, car nous sommes attachés à ce statut, qui emporte des droits, mais également des obligations. Nous avons choisi de créer le corps des administrateurs d'État, qui pourra constituer, dès demain, le principal corps de l'encadrement supérieur. Cela permettra de passer d'une logique de corps à une logique de métier et de compétences au service des besoins de l'État, tout en libérant les cadres supérieurs - les femmes, notamment - de schémas prédéterminés et de carcan administratif. Les besoins de l'État sont aujourd'hui sur le terrain, au plus près des Français, dans les fonctions opérationnelles. Cette réforme permettra de mieux les satisfaire, en faisant du passage par de telles fonctions non pas un frein à la carrière, mais, au contraire, un passage obligé et valorisé.
En conclusion, cette réforme n'est certainement pas celle de la déconstruction de l'État, il s'agit bien d'une refondation. Nous voulons continuer à attirer les nouvelles générations vers le service de l'État et nous voulons redonner à la fonction publique son caractère méritocratique. Ces défis imposent de profonds changements qu'il était urgent d'entreprendre. Plus qu'une transformation, c'est un changement culturel profond qu'il convient d'opérer et que nous engageons avec cette réforme, condition indispensable d'un État plus proche, plus humain, plus efficace, comme les Français l'appellent de leurs voeux. Plus que jamais, la France et les Français ont besoin de l'État et celui-ci a besoin de sa fonction publique, de ses cadres supérieurs. Tel est le défi que nous avons relevé.
Mme Catherine Di Folco, rapporteur pour avis des crédits de la fonction publique. - Le Gouvernement envisage-t-il une ratification rapide de l'ordonnance qui sera prise sur le fondement de la loi du 6 août 2019 ? Compte tenu de l'importance de la réforme et de ses enjeux, il est indispensable qu'elle soit examinée par le Parlement afin qu'il s'assure de la pertinence des options retenues par le Gouvernement. Or j'entends que les premières mesures s'appliqueront à la rentrée 2021...
M. Thiriez a été missionné pour conduire une réflexion sur le sujet, dont les conclusions n'ont été dévoilées qu'en janvier 2020. Quelles mesures de la « mission Thiriez » avez-vous retenues dans cette réforme ?
Cette réforme est présentée par certains comme le début de la fin de l'administration à la française, fondée sur la carrière, au profit d'une administration « ouverte ». Faut-il concevoir votre projet comme une volonté de remise en cause de ce « modèle français », sans doute imparfait et pouvant certainement faire l'objet d'ajustements et d'une plus grande diversité de profils, mais qui a incontestablement fait ses preuves ?
Il résulte de cette réforme une forte inquiétude sur la disparition de certains corps, notamment le corps préfectoral. Qu'en est-il ? Qu'est-ce qui va changer ? On évoque souvent la relation entre les maires et les préfets depuis le début de cette crise sanitaire. Les élus locaux, qui entretiennent de bonnes relations avec les préfets, craignent leur disparition. Certes, il y aura toujours un représentant de l'État dans les territoires, mais quelle différence existera-t-il entre les actuels préfets et les nouveaux fonctionnaires chargés de représenter l'État sur le terrain ?
Cette réforme entend revaloriser des parcours professionnels, qui dépendraient moins de l'appartenance à un corps de fonctionnaires intégrés, pour l'essentiel, dès la sortie de l'école, comme c'est le cas aujourd'hui. Une délégation interministérielle sera chargée de piloter une véritable politique de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. Sans nier l'intérêt de cette démarche, une telle délégation aura-t-elle les moyens humains, mais aussi l'ascendant suffisant, pour dépasser la logique actuelle de corps de fonctionnaires et remplir son objectif ?
M. Dany Wattebled. - Quelle mesure comptez-vous prendre pour combattre le phénomène de pantouflage si répandu parmi les anciens élèves de l'ENA ou d'autres grands corps, comme l'Inspection générale des finances (IGF) ? Alors que l'État a lourdement investi pour leur formation, pouvons-nous les laisser passer constamment du public au privé, laissant de côté toute considération éthique ?
Le Gouvernement envisage de renforcer la réactivité des services administratifs aux demandes des usagers, notamment le principe selon lequel le silence vaut acceptation adopté en 2013 et dont l'application connaît tellement d'exceptions que seules 34 % des démarches sont régies par ce principe. Pourriez-vous nous en dire plus ?
Que comptez-vous faire pour contrer le pouvoir écrasant de notre administration et de ses différentes agences ? Sur mon territoire, une commune a récupéré une pierre du VIIe siècle qui servait à aiguiser les épées, et qui a été classée bâtiment historique. À 500 mètres de là, le maire souhaite développer un projet d'école avec une cantine scolaire. Trois anciennes maisons des mines, qui ne présentent aucun intérêt, doivent cette abattues à cette fin. Or les bâtiments de France ont interdit ce projet au motif que le périmètre était classé. Voilà un exemple frappant de l'inconséquence à laquelle nous sommes malheureusement trop souvent confrontés dans notre pays : on a l'impression que c'est l'élu qui est au service de l'administration et non l'inverse !
M. Philippe Bas. - Madame la ministre, merci de cet exposé introductif qui nous a permis de constater que vous considériez cette réforme comme profondément gaullienne et républicaine. Vous n'avez pas manqué de saluer le courage de ce gouvernement : je suppose que vous vouliez dire « votre » courage et celui Premier ministre ? On n'est jamais mieux servi que par soi-même...
Je m'interroge sur le caractère réellement gaullien et républicain d'une réforme qui remet en cause à la fois les choix du chef du Gouvernement de la République française en 1945, ainsi que ceux du chef du Gouvernement de la même République en 1958 et du Président de la République en 1959 !
Vous voulez constituer un corps d'administrateurs interministériels. Ce corps existe, c'est le corps des administrateurs civils. La raison d'être de la création de l'ENA est d'avoir mis fin à des recrutements spécifiques de rédacteurs dans chaque ministère.
En réalité ça n'est pas tant l'interministérialité qui vous intéresse que l'absorption par ce corps interministériel d'un certain nombre d'autres corps que le général de Gaulle n'avait pas souhaité intégrer au corps des administrateurs civils. Je pense, notamment, au corps préfectoral. Je vois bien qu'il ne s'agit pas de supprimer la fonction de préfet, mais seulement son statut. Pour autant, ce statut n'est-il pas nécessaire à l'exercice de la fonction ? Certes, d'autres que des sous-préfets peuvent être capables d'exercer ce métier, mais quid de la culture préfectorale ? N'est-il pas au fond exact qu'il existe un apprentissage de la fonction de préfet, qui fait qu'administrateurs civils et préfets ne sont pas complètement interchangeables ?
Alors oui, je fais partie de ceux qui s'inquiètent, au nom du service de l'État, de voir disparaître des garanties qui organisent la carrière des membres du corps préfectoral et qui permettent aux préfets d'être un trait d'union entre le Gouvernement et les élus dans les territoires. Il est très important, y compris pour la décentralisation, qui appelle la présence d'interlocuteurs capables de s'engager localement, mais aussi pour l'autorité de l'État, si malmenée dans la période actuelle, que les préfets aient à la fois des garanties et soient soumis à des obligations, comme celle d'impartialité qui nous protège de la diffusion d'un esprit courtisan dans la fonction préfectorale.
Quelles seront les garanties applicables aux préfets ? Comment assurerez-vous le maintien d'un apprentissage de ce métier dans le cadre que vous voulez mettre en place ? Je suis également inquiet de voir disparaître un certain nombre de garanties d'indépendance, dont certaines sont prétoriennes, qui protègent les corps d'inspection de l'influence ministérielle, laquelle souhaite obtenir d'eux des rapports qui lui soient plutôt favorables.
Mme Françoise Gatel. - Je profite de votre présence parmi nous pour vous rappeler la question que je vous avais posée lors de votre audition par la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation : qu'en est-il de l'évaluation faite du pouvoir réglementaire donné aux préfets ?
Certes, il est indispensable de renforcer la confiance de nos concitoyens dans l'État. Selon vous, nos concitoyens attendraient de l'administration qu'elle soit davantage en phase avec la société. Je partage votre intérêt pouf l'ascenseur social, mais nous regagnerons la confiance de nos concitoyens uniquement par l'efficacité de l'action publique.
Avons-nous constaté une carence des préfets ? Au sortir de la crise, toutes les études montrent au contraire que les préfets ont plutôt été de grands serviteurs de l'État, ils ont su gérer les problèmes localement de manière remarquable. Seuls les directeurs des Agences régionales de santé (ARS) ont semblé en inadéquation avec la réponse opérationnelle qui étaient attendues d'eux pendant cette crise.
Avant d'oeuvrer à des solutions, l'État a-t-il bien défini les missions qu'il entendait confier et a-t-il affiché ses exigences ? C'est seulement après cela qu'il pourra décider de profils ou de modifications de recrutement. On a beaucoup parlé d'État censeur et d'État venant compliquer la vie de nos concitoyens. Il importe avant tout d'initier un changement de culture et de mettre davantage l'accent sur l'efficacité de l'action publique. Cela ne pourra se faire que si l'État travaille en étroite collaboration avec les collectivités.
Une expérience d'administration ouverte a été faite très récemment puisque le Gouvernement a souhaité créer des postes de sous-préfets à la relance, avec des profils très différents et des personnes venant du privé. Je n'ai rien contre le changement et contre l'enrichissement des profils. Loin de moi également l'idée d'opposer le privé au public. Toutefois, il serait intéressant, avant d'entreprendre quoi que ce soit, de disposer d'une évaluation de cette expérience de sous-préfets à la relance, d'autant qu'ils ont sans doute rencontré des difficultés.
Ne pensez-vous pas qu'il serait souhaitable d'associer très étroitement le Parlement, mais aussi les collectivités, à la réforme que vous entreprenez ?
M. Thani Mohamed Soilihi. - L'objet et les motivations de cette réforme ne sont pas nouveaux, ils ont occupé, sans nécessairement aboutir, de précédents gouvernements. Les craintes exprimées sur le principe de la création d'un corps unique d'administrateur de l'État ne doivent pas faire oublier l'importance que revêtiront, dans la mise en oeuvre de la réforme, les processus d'affectation et de formation à l'exercice des différentes fonctions. Plusieurs pistes ont été évoquées telles que la création de statuts d'emploi. Pouvez-vous revenir, madame la ministre, sur les modalités procédurales de nature à garantir que cette réforme, visant à lutter contre le déterminisme dans la carrière et à favoriser la mobilité opérationnelle et l'interministérialité, ménagera non seulement la neutralité politique, mais également les spécificités et les compétences propres des différentes fonctions de l'encadrement supérieur de l'État ?
M. Jean-Yves Leconte. - Nous sommes dans un pays où l'État, d'une certaine manière, a précédé la Nation. Une réforme de la haute fonction publique, qui constitue notre colonne vertébrale, se saurait donc être anecdotique. Comme vous l'avez rappelé, le Conseil national de la Résistance est à l'origine de la création de l'ENA. Certes, des réformes sont devenues nécessaires pour contrer certaines dérives d'interaction public-privé au plus haut niveau de la fonction publique et pour améliorer l'efficacité de l'action publique. Pour autant, je suis étonné qu'un sujet aussi fondamental soit traité par ordonnances. On s'est moqué du spoil system, mais c'est un peu ce qu'a fait le Président de la République. N'a-t-il pas voulu, au début de son quinquennat, des cabinets suffisamment faibles pour ne pas qu'ils contrôlent l'action des directeurs d'administration ? Le Président de la République a même évoqué, en conférence des ambassadeurs, l'État profond, c'est-à-dire une notion un peu complotiste. Pensez-vous qu'il y ait en France un problème de contrôle de la fonction publique par le politique ? Si oui, est-ce lié à la fonction publique ou au politique ? Et dans ce cas, est-ce lié au manque de compétence du politique ou à son comportement ? Enfin, comment renforcer l'indépendance de la justice administrative ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Comme vous l'avez dit, la Nation et l'État sont consubstantiels en France. Cette réforme n'est donc pas anecdotique. C'est pourquoi j'ai tenu à vous la présenter en détail, alors que, parfois, les ordonnances ne sont connues des parlementaires qu'une fois que le projet de loi de ratification est déposé sur le bureau des assemblées. Nous avons préféré la transparence, notamment à l'égard des fonctionnaires ; le Président de la République s'est adressé à eux le 8 avril et nous lançons une consultation sur la mise en oeuvre.
Cette ordonnance résulte d'une loi qui a été longuement débattue en 2019. Un projet de loi de ratification sera déposé, mais je ne saurais m'engager aujourd'hui sur l'ordre du jour au nom du Gouvernement. En tout état de cause, je suis prête à revenir devant vous pour en préciser les principes ou les modalités d'application. Je veux aussi vous remercier pour la qualité de nos échanges, ce qui montre que l'on peut échanger avec maturité, loin des invectives et de la simplification.
En ce qui concerne la réforme du corps préfectoral, on entend dire beaucoup de choses fausses. Je le dis sans ambiguïté : nous ne voulons pas politiser les préfets ni supprimer une institution qui remonte à Napoléon. Nous y sommes d'ailleurs très attachés, ainsi qu'à tous les fonctionnaires qui exercent ce métier très particulier de préfet, qui n'existe dans aucun autre pays et qui constitue l'armature essentielle de l'État dans les territoires. Cette réforme n'est en aucun cas une punition ni une remise en question des hommes et des femmes qui exercent ce métier. Simplement, nous croyons à une gestion moderne des ressources humaines et qu'il est possible de construire une carrière, d'acquérir un métier, de développer une éthique professionnelle indépendamment de l'existence d'un corps. Cette perspective facilite aussi l'ouverture et la mobilité.
Toute notre action depuis 2007 a été de réaffirmer la place centrale des préfets dans la République et le Gouvernement a placé le couple maire-préfet au coeur de la gestion de la crise sanitaire. Nos préfets sont, conformément à la Constitution, les représentants de l'État dans les territoires : ils doivent agir au plus près de leurs concitoyens, assurer que nos politiques publiques se déploient jusqu'au dernier kilomètre au bénéfice des usagers, le cas échéant dans un souci de différenciation, dans la mesure où les politiques publiques ne peuvent être mises en oeuvre de la même manière sur tout le territoire. La création des trente postes de sous-préfets à la relance constitue d'ailleurs bien la preuve, s'il en est besoin, de notre attachement à leur rôle.
De même, autre signal, nous augmentons les postes dans les services déconcentrés à la sortie de l'ENA, dès 2021, avec l'objectif que l'ensemble des administrateurs de l'État commencent désormais leur carrière en exerçant des fonctions opérationnelles. Je mesure aussi chaque semaine l'engagement des préfets lors de mes déplacements dans le cadre du suivi de la mise en oeuvre de nos politiques prioritaires.
L'enjeu de cette réforme est de passer à une logique de compétences et de métiers. Il ne s'agit pas de supprimer le métier de préfet : je rappelle d'ailleurs que le corps des préfets n'a été créé qu'en 1950, avant d'être renforcé en 1964, soit un siècle et demi après leur création ! Le but n'est pas de favoriser les nominations politiques ; les préfets ont toujours été nommés par le pouvoir exécutif, ce n'est donc pas l'enjeu. La réforme s'inscrit dans une logique d'organisation des carrières selon les métiers ou les compétences et non en fonction de l'appartenance à un corps. Les fonctionnaires qui accéderont à ces emplois appartiendront au corps des administrateurs de l'État, mais également, comme c'est le cas aujourd'hui, à d'autres corps et cadres d'emplois comparables.
Le recrutement sera fondé sur les seules compétences, en tenant compte de l'expérience professionnelle. Nous créons un statut d'emploi qui sera propre aux fonctions préfectorales : il vise à renforcer la vocation d'ouverture du corps des préfets et des sous-préfets vis-à-vis de l'extérieur, à accroître leur capacité à conduire des projets et à s'assurer que les cadres de la haute fonction publique aient une connaissance de l'État déconcentré. Il s'agit d'organiser une mobilité plus grande entre les fonctions normatives des administrations centrales et les fonctions de mise en oeuvre. Les passages par des postes de terrain seront valorisés dans la carrière.
Avec le statut d'emploi, on vise à mieux tenir compte des nécessités opérationnelles des métiers, à mieux reconnaître la spécificité des fonctions exercées, les contraintes, les sujétions, et donc à affecter les personnes en fonction de leurs compétences et de leurs expériences. C'est pour cela que nous définissons, à partir du baromètre des résultats de l'action publique, des feuilles de route pour définir les priorités de l'État dans chaque territoire, et donc les moyens nécessaires. Dès lors, il sera plus facile de nommer les bonnes personnes, d'assurer la concordance entre les compétences et les besoins - là où aujourd'hui la progression dans les postes préfectoraux se fait en fonction du nombre d'habitants et pas en fonction des besoins du territoire -, en tenant compte aussi des aspirations individuelles.
Ce statut d'emploi garantira l'impartialité : c'est pour y veiller que l'on crée un corps d'administrateurs de l'État, et que l'on ne recrutera pas par le biais de contrats de droit privé. Il ne s'agit donc pas de transformer le statut de la haute fonction publique en la soumettant à des contrats de droit privé. Nous croyons précisément aux valeurs de neutralité, d'impartialité, d'égalité de traitement, de laïcité, etc., que le statut de la fonction publique garantit. Simplement, dans ce cadre, nous tiendrons davantage compte des compétences ou de l'expérience, afin de sortir d'une logique de progression essentiellement à l'ancienneté. L'objectif est de conforter les fonctions préfectorales, d'accroître l'attractivité de ces fonctions pour les cadres supérieurs de l'État, et donc de renforcer cette institution fondamentale pour les élus et pour le pays.
La mise en place des statuts d'emploi concernera les fonctions préfectorales, mais également les inspections. Les travaux ont déjà commencé avec les différents ministères et services d'inspection, pour définir précisément les règles applicables à ces emplois, les compétences requises, la valorisation de ces postes dans les carrières. Nous travaillons ainsi sur les rémunérations, la durée des affectations, les conditions de renouvellement ou de fin de fonctions, etc.
Nous ne voulons pas fusionner les inspections générales en une inspection interministérielle, car nous ne croyons pas aux généralistes qui pourraient tout faire dans tous les domaines. Nous restons attachés à une forme de spécialisation. Nous ne voulons pas non plus remettre en cause la qualité des travaux réalisés par les inspections, notamment pour aider à la prise de décision publique. À partir de 2023, l'accès direct aux grands corps à la sortie de l'école ne sera plus possible. En revanche, ces services pourront recruter beaucoup plus largement des personnes qui auront au moins deux ans d'expérience opérationnelle.
Nous introduisons aussi dans la loi, par le biais de l'article 7 de l'ordonnance, des dispositions garantissant l'impartialité et la neutralité, ce qui n'avait jamais été fait dans la mesure où l'on considérait que l'appartenance au corps suffisait à les garantir. Voilà une reconnaissance inédite au niveau législatif, un gage que les missions d'audit, d'évaluation ou d'inspection seront bien exercées dans des conditions qui permettront aux inspecteurs de travailler avec impartialité.
En concertation avec les chefs de corps et les représentants syndicaux, nous avons aussi précisé les spécificités des métiers, les modalités d'accès, la durée, les modalités d'avancement ou de sortie, afin que la progression de carrière ne dépende pas seulement du ministère où l'on exerce. Nous avons aussi précisé au niveau législatif que les chefs de service d'inspection seraient nommés pour une durée renouvelable ; ils ne pourront être démis de leurs fonctions que dans des cas très particuliers, extrêmement encadrés. Ils sont donc protégés d'une quelconque intrusion politique, et donc fortement responsabilisés. Les recrutements seront à la main des chefs de service, dans une logique de métier, de compétences, et non plus dans une logique de statut. Là encore, nous ne supprimons pas les métiers, mais facilitons les passages, pour que les membres de ces inspections puissent exercer des responsabilités dans des postes d'administration active.
Vous m'avez demandé si la délégation interministérielle aurait assez de moyens : ce sera le cas puisque nous la dotons de trente à cinquante personnes, qui auront pour fonction d'assurer la cohérence de la gestion des ressources humaines et de veiller à éviter des déperditions de ressources, injustifiables pour nos concitoyens - pensez à ceux qui ne se voient plus offrir de perspectives parce qu'ils travaillent dans un ministère ou un corps ! La délégation interministérielle comptera plus d'agents que n'en comptent actuellement les différents ministères pour exercer ces missions. Elle aura vocation à orienter les cadres supérieurs dans leur carrière, à échanger avec eux sur leurs aspirations - élément nouveau, guère pris en considération aujourd'hui ! -, à définir leurs besoins de formation, de reconversion, ou d'évolution vers un autre ministère, vers la fonction publique territoriale ou la fonction publique hospitalière, voire vers le privé. Au fond, on crée une « DRH Talents ». Elle sera aussi chargée de la mise en application, avec les ministères, des lignes directrices de gestion interministérielle, c'est-à-dire d'une vraie stratégie de ressources humaines, assumée, transparente, qui donnera de la visibilité à chacun.
Vous avez évoqué le spoil system. Permettez-moi de récuser ce terme. Il ne correspond pas à notre tradition. En France, on ne demande pas à un fonctionnaire sa couleur politique. C'est pour cela que notre fonction publique a un statut qui vise à garantir son impartialité et sa neutralité. En revanche, il est nécessaire, et c'est plutôt sain pour la République, que ceux qui sont chargés de mettre en oeuvre une politique soient loyaux à l'égard du gouvernement démocratiquement élu qui définit cette politique.
Depuis 2017, nous avons renouvelé 87 % des directeurs d'administration centrale ; à chaque fois, on a veillé à ce que les personnes nommées soient d'accord avec la politique qu'on leur demande d'appliquer : ce n'est pas une question d'appartenance politique, on ne leur demande pas comment ils votent ! Il n'y a donc pas de politisation ni de reprise en main de la haute administration par le politique. Simplement, c'est conforme à la répartition des rôles : le pouvoir politique est démocratiquement élu et la haute fonction publique a comme mission la mise en oeuvre des politiques décidées, avec loyauté et efficacité, ce qui est gage de confiance grâce à la capacité à traduire les mots en actes et en résultats visibles.
Le rapport Thiriez a été une contribution essentielle à la réflexion. Nous en conservons plusieurs propositions : création d'un tronc commun pour la formation initiale des trois versants de la fonction publique ; intégration des corps techniques dans la réforme, même si ce sera dans un second temps ; fin des possibilités de sortie de l'ENA directement dans les grands corps et passage par le terrain en début de carrière ; et volonté de diversifier les recrutements et de dynamiser les carrières.
La loi de 2019 a renforcé les obligations sur le pantouflage. Appliquons-là avant de la modifier ! Elle a permis d'élargir les compétences de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) et d'effectuer un contrôle au retour - et plus seulement au départ dans le secteur privé. En 2020, 300 contrôles ont été menés. Je ne souhaite pas que la fonction publique devienne une île ; elle a besoin de se connecter. C'est pour cela que nous valorisons les stages dans les PME. Le troisième concours est aussi un moyen de faire entrer des profils différents.
Nous cherchons à redonner des perspectives de moyen et de long terme à l'ensemble des hauts fonctionnaires. On ne peut pas imaginer uniquement une haute fonction publique où les gens viendraient servir quelques missions. Le but n'est pas d'organiser un départ massif vers le privé. Nous avons encadré par des périodes de deux fois cinq ans le temps maximum qu'un agent peut passer en dehors de la fonction publique, période au terme de laquelle il ne peut plus revenir en tant que fonctionnaire. Nous allons également appliquer strictement le remboursement financier des études s'il quitte la fonction publique avant la durée qui correspond à sa formation.
Nous devons respecter la Constitution sur l'impartialité et le recrutement des membres des juridictions administratives et financières. Il n'était pas envisageable que l'ensemble des magistrats financiers ou administratifs soient des membres de l'administration de l'État et non pas des personnes rattachées à leur institution, où les principes d'inamovibilité et d'impartialité sont de rang constitutionnel. Mais ces institutions ne sont pas à l'écart de la réforme : il n'y a plus d'élèves qui iront directement rejoindre ces corps à la sortie de l'école puisque chacun devra commencer par être en administration active. Cela concerne autant le Conseil d'État que la Cour des comptes, mais également les conseillers des tribunaux administratifs, de cours administratives d'appel et les conseillers de chambres régionales des comptes. Les corps des magistrats des juridictions administratives et financières se verront appliquer les mêmes principes d'ouverture, de mobilité obligatoire, d'évaluation. Avec cette culture du recrutement, bien plus de personnes pourront travailler dans ces institutions avant de se présenter potentiellement pour une intégration dans ces corps. Le Président du Sénat et celui de l'Assemblée nationale auront à nommer des personnes indépendantes qui veilleront à l'absence de cooptation et de népotisme lors de cette intégration. Cela garantira donc leur indépendance et leur impartialité.
Permettez-moi d'évoquer trois sujets un peu plus éloignés de la réforme, mais qui sont des enjeux d'efficacité de l'action publique.
Monsieur Wattebled, vous citez l'incomplétude des procédures qui sont soumises au principe dit du « silence vaut acceptation ». Il y aurait un principe général, mais beaucoup de trous. Mon premier objectif est que l'administration réponde au maximum. Nous avons parmi les indicateurs de performance de l'administration le « taux de décroché ».
Sur l'archéologie préventive, il faut une administration qui gère la confiance, qui facilite, accompagne et différencie. J'ai dit aux agents des services déconcentrés qu'ils ne pouvaient plus dire non à un projet sans être allés sur les lieux voir l'ampleur du projet ou les aménagements à proposer pour qu'il se réalise. Nous devons être davantage en appui et beaucoup moins en contrôle. Nous devons passer d'une culture de la norme à une mise en oeuvre efficace et opérationnelle. C'est le rôle du droit à la dérogation ou à la différenciation. Oui, le silence vaut acceptation. Plutôt qu'un contrôle tatillon ex post en archéologie préventive, nous voulons nous inscrire dans une logique d'appui aux territoires, aux élus et aux entreprises.
Dans le projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale (4D) et dans la loi d'accélération et simplification de l'action publique (ASAP), nous avons essayé de simplifier. C'est aussi le principe de France Expérimentation, un service qui permet aux élus et aux entreprises d'avoir accès à une dérogation législative ou réglementaire, à partir du moment où l'on considère que le projet est suffisamment innovant ou d'ampleur. C'est soit une dérogation au droit des entreprises, soit une dérogation accordée par le préfet. Je vous invite à faire connaître cet outil, très efficace pour nos PME, TPE et ETI. Il ne faut pas que le droit actuel empêche la croissance de demain.
Madame Gatel, je vous répondrai par écrit. Une expérimentation sur les dérogations a été menée entre 2019 et 2020 : 130 arrêtés ont été pris, dont plus d'une centaine au bénéfice des collectivités, afin d'accroître les recours aux bénéfices du secteur privé. Nous allons renforcer ce point dans la loi 4D. Plus de 250 dossiers ont été déposés auprès de France Expérimentation, dont la moitié ont obtenu une réponse positive. Nous vous enverrons le bilan réalisé par le ministère de l'intérieur.
Mme Catherine Di Folco, rapporteur pour avis. - Nous entendons de nombreuses critiques des grands corps et des anciens élèves de l'ENA sur la réforme de l'ENA. Fallait-il vraiment supprimer l'ENA ? Quelles raisons ont abouti à cette mesure radicale ? Qu'en est-il concrètement des élèves qui passent le concours cette année, alors que l'école n'existera plus ?
Face à cette bronca, le Premier ministre a annoncé une concertation dans les prochaines semaines. Comment va-t-elle se dérouler, avec qui, et pour quelle finalité ?
M. Philippe Bas. - Comment se dérouleront les futurs recrutements des auditeurs à la Cour des comptes et au Conseil d'État ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Cela fait des décennies que sur tous les bancs, on critique l'ENA. Un candidat à la présidentielle en 1995 avait même proposé de la supprimer, après avoir listé les difficultés tout en reconnaissant le besoin de former nos fonctionnaires.
Nous proposons plus une suppression-refondation qu'une suppression pure et simple.
Je suis un peu étonnée d'entendre un concert de louanges sur l'ENA... Je ne suis pas dans la caricature : l'ENA a apporté beaucoup à notre pays, en formant de nombreux hommes et femmes, qui nous disent aussi que la formation aurait pu évoluer. Le classement était devenu un facteur déterminant pour l'ensemble de la carrière. C'était extrêmement pesant. Nous allons jusqu'au bout de la réforme, et allons changer la gouvernance, la tutelle, les missions, le périmètre, le tronc commun. Mais garde-t-on un nom, une coquille vide pour tout changer à l'intérieur ou assume-t-on ce changement, sans renier les apports de l'ENA ?
Mme Catherine Di Folco, rapporteur pour avis. - L'ENA ce n'est pas seulement un nom, c'est aussi une marque qui rayonne à l'international. Comment conserver ou reconquérir ce prestige avec un autre nom ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Plus qu'à la marque ENA, je crois en la marque France. Des cadres étrangers viennent se former en France, et demain nous pourrons former des élites européennes et internationales non pas parce qu'on veut leur montrer ce qu'est notre administration, mais plutôt la manière dont la France aborde les enjeux d'universalisme républicain, de développement, et les enjeux sociaux.
Je suis très attachée au rayonnement européen de l'école. C'est pour cela que dès février 2022, dans le cadre de la présidence française de l'Union européenne, je réunirai mes homologues dans les locaux de l'INSP à Strasbourg. Passer d'une école « d'administration » à une école « du service public » illustre bien le changement de culture que nous voulons proposer. La finalité de l'action publique, c'est le service public.
Nous sommes très attachés aux principes fondateurs. Les travaux préparatoires à l'ordonnance de 1945 montrent que l'enjeu était de refondre la machine administrative française. La nouvelle formation sera beaucoup plus liée au monde académique. Nous sommes l'un des rares pays au monde où nous avons autant éloigné les décideurs publics des chercheurs, alors que chacun gagnerait au renforcement de ces liens.
Selon le principe de confiance légitime, on ne change jamais un concours ni des épreuves pour des candidats en cours de préparation. Les élèves préparant actuellement l'ENA passeront les épreuves prévues. Ils intégreront au 1er janvier 2022 l'INSP et en sortiront comme administrateurs de l'État dans la nouvelle procédure. Nous allons évidemment réfléchir aux épreuves, aux compétences demandées au vu de l'ouverture du socle de formation, mais cela s'appliquera avec le délai nécessaire pour que personne ne soit privé de sa capacité à réussir un concours.
Le Président de la République a présenté des objectifs interministériels sur lesquels se fondera la nouvelle ordonnance qui sera présentée en conseils des ministres la semaine prochaine. Ensuite, un immense chantier réglementaire se déclinera selon les statuts d'emploi, selon les ministères et les employeurs publics afin de ne pas avoir d'angle mort, et de travailler avec un niveau de finesse qui corresponde à la diversité des profils. Ma consultation, sur une vingtaine de questions simples, permettra à l'ensemble des cadres de l'État de faire part de leur regard sur leur fonction et sur leurs perspectives de carrière. Les aspirations individuelles des fonctionnaires ne sont actuellement pas entendues, alors qu'elles sont la base pour construire des parcours de carrière et pour mettre en place la fameuse délégation interministérielle. Cette consultation se déroulera jusqu'au 18 juin. Ses conclusions seront rendues publiques et un retour sera présenté au Premier ministre et à moi-même d'ici fin juillet.
Les conditions de recrutement des auditeurs sont en cours de discussion au Conseil d'État. Nous avons proposé de supprimer l'accès direct dès la sortie de l'école aux fonctions d'auditeur. Tous les élèves commenceront sur le terrain. Après au moins deux ans d'expérience professionnelle, les élèves de l'INSP, mais aussi tous ceux venant d'un corps comparable - administrateur territorial, directeur d'hôpital... - pourront être recrutés dans un emploi d'auditeur et se présenter devant une commission de sélection. Les emplois seront ouverts au fil des besoins. Au terme de cet emploi d'auditeur, ceux qui le souhaitent pourront se présenter devant la commission d'intégration pour rejoindre ce qui est actuellement le deuxième grade du corps, et qui deviendra du coup le grade d'entrée. Cette commission d'intégration sera une commission paritaire, comprenant trois membres du Conseil d'État ou de la Cour des comptes et trois membres extérieurs - un désigné par le président du Sénat, un par le Président de l'Assemblée nationale, et le dernier par le Président de la République. Cette commission d'intégration regardera les qualités et les mérites de la personne dans l'exercice de ses fonctions de terrain et dans les travaux qu'elle aura pu faire en tant qu'auditeur. Pour intégrer la personne dans le corps, il faudra au moins quatre votes positifs, sans voix prépondérante, et donc un consensus.
Nous ouvrirons aussi d'autres voies d'entrée à d'autres moments, à des gens qui ont six à dix ans d'expérience, avec des profils plus larges, d'abord pour exercer des emplois avant de se présenter dans la commission d'intégration. L'esprit de la réforme, sur laquelle ont beaucoup travaillé à la fois Bruno Lasserre et Pierre Moscovici, c'est que la personne soit intégrée sur la base de la qualité de son travail et de son envie de faire partie du corps. Actuellement, pour rentrer dans ces corps et y faire carrière, il faut soit avoir un bon classement, soit être nommé par le Gouvernement... C'est une vision un peu étrange des ressources humaines. Les auditeurs recrutés par une commission de sélection ne seront pas membres du corps ; pour le devenir, ils devront avoir fait la preuve de leurs qualités et être évalués.
Mme Catherine Di Folco, rapporteur pour avis. - Vous avez évoqué une direction interministérielle de trente à quarante personnes créant une « DRH Talents ». Y aura-t-il une traduction budgétaire de cette création ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Nous y travaillons. En général, lorsque l'État met les moyens, cela se voit.
Mme Catherine Di Folco, rapporteur pour avis. - Le directeur de l'ENA, que j'ai entendu il y a deux ans, avait annoncé une refonte du fonctionnement de l'ENA. Et au moment où sa réforme prend corps, vous lui coupez les ailes ! Vous voulez vous appuyer sur un concours pour recruter des docteurs, mais cela existe déjà dans son expérimentation. Il serait intéressant de prendre en compte cette réforme qui semble intéressante.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Je rends hommage au travail de Patrick Gérard, qui a initié des changements qui rendent notre réforme possible, notamment le recrutement de docteurs, la diplomation au grade de docteur, la réforme de la scolarité et le stage en PME.
Bien évidemment, comme ministre de l'efficacité de l'action publique, je mettrai les moyens nécessaires, qui trouveront une traduction budgétaire.
De nombreux sujets d'inquiétude légitime sont le fruit de corps se faisant entendre, mais dans leur grande majorité, les hauts fonctionnaires - les administrateurs civils - parlent peu. Or la promesse de 1945 n'a pas été tenue, que ce soit en termes de mobilité interministérielle, d'homogénéité de rémunération ou d'animation même de ce corps. En créant le corps des administrateurs de l'État, il n'y aura pas de perdants : nous aurons une harmonisation des rémunérations, une formation continue, une vraie mobilité interministérielle à nouveau rendue possible - auparavant, il y avait des écarts de primes de 30 à 40 % selon les ministères... Nous offrirons également un accompagnement individuel.
M. Jean-Pierre Sueur. - L'ENA a été préfigurée par Jean Zay, grand ministre de la République, comme l'ont montré des textes récents de Pascal Ory et Pierre Allorant. Après la résistance, elle a été créée par Michel Debré. Il y a une origine, une vertu et une existence profondément républicaine de l'ENA.
Vous pouvez faire des réformes, mais pourquoi supprimer le sigle ENA ? Rien n'est-il compatible avec le fait de garder une école nationale d'administration ? On a l'impression que vous avez voulu avoir un scalp....
Ceux qui furent les plus critiques contre l'ENA, comme Jean-Pierre Chevènement, avaient acquis dans l'université française et à l'ENA le sens critique qui permet de n'avoir pas d'indulgence, fût-ce à l'égard de l'institution dont on est issu.
Depuis quatre décennies en tant qu'élu, j'ai rencontré de nombreux ministres, préfets et fonctionnaires. J'ai été très frappé par la grande qualité de beaucoup de ces personnes. Il est facile de critiquer l'ENA, mais plus difficile d'y entrer. Faire trois stages en préfecture, en ambassade et en entreprise, c'est intéressant !
Certes, il faut augmenter la part des études dans tel ou tel domaine, mais rien n'empêche actuellement de le faire. Parlez-en avec Patrick Gérard et avec les élèves.
L'actuel président de la République n'est pas le seul à être issu de l'ENA ; mais il est étrange de vouloir supprimer une appellation qui compte beaucoup dans l'histoire de la République.
Prenez l'exemple de cette crise sanitaire. J'étais opposé à la création des ARS, qui déplument les préfets. Or ce qui fonctionne bien localement, ce sont les préfets de département et de région, qui ont diverses missions. L'État tient grâce à ses préfets, de haute culture. Ne vous acharnez pas sur ce qui est une partie de l'histoire de France.
Je lis des articles de diplomates indiquant que nous sommes un pays qui tient par une certaine idée de l'État, et qui n'est pas fédéral. Je ne dis pas qu'il ne faut pas réformer : je ne suis pas immobiliste, mais cette culture de l'État est consubstantielle à la décentralisation. C'est parce que je suis favorable à la décentralisation que je défends un État fort. Ce n'est pas un État omnipotent ou qui veut tout faire ; c'est un État qui fait ce qu'il a à faire - régalien, solidarité, etc. -, car la décentralisation, ce n'est pas 101 égoïsmes départementaux et 34 000 égoïsmes communaux. L'État doit réaliser une péréquation et faire ne sorte que cela marche. Cela n'empêche pas la décentralisation, mais la conforte.
Un de vos prédécesseurs - qui a dû abandonner son mandat de maire dans des circonstances difficiles - s'était occupé du sujet. Je l'avais rencontré avec Catherine Tasca. Préalablement, j'avais été voir Jean-Pierre Jouyet, qui m'avait dit qu'on ne rentrerait plus comme cela dans les grands corps. Il m'avait expliqué que chaque administration ferait des fiches pour établir ses besoins et ses attentes, et que chaque candidat ferait des fiches pour dire ses desiderata. Puis il y aurait un premier entretien, ensuite un second, pour essayer de caler les fiches avec les desiderata... Je lui ai répondu qu'il fallait arrêter de vouloir créer des fils d'archevêque. Ce système aurait été tellement compliqué qu'on en serait revenu à la connivence - or l'ENA avait été créée pour l'éviter.
Certes, il est bon de ne pas entrer comme auditeur au Conseil d'État sans avoir été sur le terrain voir ce qu'est une direction des affaires sociales, une sous-préfecture, etc. Mais il faut des procédures hyper rigoureuses, afin de ne pas recréer ce contre quoi avait prémuni le concours, idée républicaine. Il faut donc tout faire pour que les jeunes des quartiers défavorisés puissent accéder à ces concours.
Mme Catherine Belrhiti. - Votre réforme, certes, va moderniser l'ENA, mais on aurait pu garder le nom de l'école, qui jouit d'une excellente réputation au niveau international.
Il y a une contradiction à parler de méritocratie et en même temps à vouloir réserver 35 places à des élèves boursiers. Les deux ne vont pas de pair. Cette école doit être dédiée au mérite au travail ; il n'y a aucun mérite à réserver des places à certains élèves...
Mme Amélie de Montchalin. - Monsieur Sueur, nous ne sommes pas dans une logique de discrimination positive. Je ne conteste pas votre diagnostic sur ce que l'ENA a apporté à la France et sur la qualité des personnels qu'elle a formés. Notre action n'est pas orientée contre qui que ce soit. Il s'agit simplement de considérer avec lucidité les forces et les faiblesses du système, et de voir les réformes qui s'imposent.
J'ai entendu les critiques des élèves et anciens élèves que j'ai rencontrés. L'ENA est devenue une institution de classement. Tous ont souligné que la pression du classement créait un sentiment très dommageable au sein de l'école. D'ailleurs, ce classement a produit des effets contraires aux intérêts de l'État. Il n'est pas normal d'avoir à dire à des jeunes que leur carrière serait moins bonne si elle commençait au ministère de la santé ou du travail.
Dans notre réforme, nous gardons le classement de sortie comme mécanisme d'allocation des premiers postes. C'est le seul système qui permette d'éviter les effets de réseau et de reproduction sociale. Mais si le premier poste dépendra toujours de l'implication au cours de la scolarité, il ne prédéterminera plus l'ensemble d'une carrière.
Vous croyez en un État fort ? Moi aussi ! Mais, aujourd'hui, 90 % des cadres dirigeants et des hauts fonctionnaires sont à l'intérieur de la petite couronne. Pour moi, un État fort doit être capable de positionner ses meilleurs éléments au plus près des difficultés. Nous devons totalement repenser la gestion des carrières et l'allocation des parcours. Un État fort, ce n'est pas seulement des institutions et une histoire. Notre réforme va bien au-delà.
Madame Belrhiti, vous m'interpellez sur les classes préparatoires et les concours Talents du service public. Le constat initial est que de multiples jeunes très méritants et motivés, mais issus de familles modestes, se disent que de telles carrières ne sont pas pour eux. Le problème principal, ce ne sont pas les discriminations : c'est l'autocensure.
Nous devons leur offrir de bonnes conditions pour se préparer aux concours, avec des bourses supplémentaires et un tutorat renforcé. Beaucoup d'éléments nécessaires à la réussite d'un concours ne s'apprennent pas dans les livres.
Le dispositif concernera cinq ou six élèves à l'ENA et autant à l''institut national des études territoriales (INET) ; c'est dans ces écoles que l'on observe le plus fort niveau d'autocensure. Beaucoup de sociologues ont décrit ce phénomène. Nous ouvrons cette voie de manière expérimentale pour trois ans. Mon souhait est que la qualité du recrutement et de l'accompagnement apporté à ces jeunes suffise à résoudre en quelques années le problème d'autocensure. D'ailleurs, les jeunes concernés pourront aussi se présenter au concours externe ; je pense qu'ils auront largement le niveau. Nous voulons sortir d'un déterminisme très antirépublicain : si vous ne venez pas de la rue Saint-Guillaume ou de la place du Panthéon, vos chances d'intégrer de telles écoles sont très faibles. Or il n'est écrit nulle part dans le contrat républicain qu'il faut impérativement passer quelques années à Paris pour devenir un serviteur de l'intérêt général. Nous allons donc mettre en place des classes de préparation aux concours de la fonction publique à Valenciennes, à Brest, à Limoges, à Agen ou à Clermont-Ferrand.
Pour moi, c'est essentiel. Si la promesse républicaine devient complètement illusoire pour beaucoup de jeunes, cela crée du ressentiment et du séparatisme.
Les élèves concernés passeront les mêmes épreuves, le même jour, devant le même jury. Nous les préparons bien à passer des concours ; il ne s'agit pas d'accorder des places sur des dossiers. Et, au final, il n'y aura qu'une seule liste d'admissibles et qu'une seule liste d'admis, par ordre alphabétique, sans distinction. C'est, à mon sens, le gage d'un regard uniforme.
M. François-Noël Buffet, président. - Madame la ministre, je vous remercie des réponses précises que vous avez apportées à notre commission.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 18 h 40.
Jeudi 27 mai 2021
- Présidence de M. François-Noël Buffet, président -
La réunion est ouverte à 10 heures.
Proposition de loi pour un meilleur accès des jeunes dans la fonction publique et les entreprises - Examen des amendements de séance
M. François-Noël Buffet, président. - Nous examinons ce matin les amendements de séance sur la proposition de loi pour un meilleur accès des jeunes dans la fonction publique et les entreprises, dont nous allons débattre dans l'hémicycle dans quelques instants. Il s'agit des mêmes amendements que la semaine dernière.
EXAMEN DES AMENDEMENTS AU TEXTE DE LA COMMISSION
Mme Jacky Deromedi, rapporteur. - Avis défavorable à l'amendement n° 1.
M. François-Noël Buffet, président. - Il est contraire à la position de la commission, nous aurons le débat en séance.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 1.
Mme Jacky Deromedi, rapporteur. - Avis défavorable à l'amendement n° 2.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 2.
Mme Jacky Deromedi, rapporteur. - Avis défavorable à l'amendement n° 3.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 3.
Mme Jacky Deromedi, rapporteur. - Avis défavorable à l'amendement n° 4.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 4.
M. François-Noël Buffet, président. - Nous aurons le débat en séance dans quelques instants.
La commission a donné les avis suivants aux amendements de séance :
La réunion est close à 10 h 05.