- Mardi 18 mai 2021
- Mercredi 19 mai 2021
- Coûts et avantages de la syndication - Communication de M. Jérôme Bascher, rapporteur spécial, sur la syndication
- « Finance durable » - Audition de M. Thierry Déau, président de Finance for Tomorrow, Mme Anuschka Hilke, directrice du programme « institutions financières » de l'Institute for climate economics (I4CE), M. Anthony Requin, directeur général de l'Agence France Trésor, et Mme Laurence Scialom, professeure d'économie de l'université Paris Nanterre
- Projet de loi de règlement et d'approbation des comptes de l'année 2020 - Audition de Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement, sur l'exécution des crédits de la mission « Cohésion des territoires » (programmes 177, 109 et 135)
Mardi 18 mai 2021
- Présidence de M. Claude Raynal, président -
La réunion est ouverte à 15 heures.
Projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets - Audition de MM. Gérard Allard, spécialiste transports et mobilités à France Nature Environnement, Rodolphe Lanz, secrétaire général de la Fédération nationale des transports routiers (FNTR), Michel Neugnot, président de la commission « Transports et mobilité » de Régions de France, et Marc Papinutti, directeur général des infrastructures, des transports et de la mer, sur les projets d'écotaxe régionale et d'une trajectoire de suppression de l'avantage fiscal de taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) des transporteurs routiers
M. Claude Raynal, président. - Nous nous penchons aujourd'hui sur la fiscalité du transport routier de marchandises, un sujet sensible et symbolique, comme l'histoire récente a su en témoigner.
Plusieurs articles du projet de loi dit « Climat et résilience », dont notre commission s'est saisie pour avis sur le rapport de notre collègue Christine Lavarde, concernent le transport routier de marchandises. Nous connaissons la fragilité de la filière, dont les marges sont réduites, qui est très fortement exposée à la concurrence et qui souffre d'une harmonisation européenne incomplète. Le secteur représente plus de 400 000 emplois directs et il est majoritairement composé d'un tissu de petites et moyennes entreprises. Même si sa transition énergétique est entamée, sa part dans les émissions des transports est loin d'être anodine. Les poids lourds représentent environ 20 % des émissions de l'ensemble des véhicules routiers. La décarbonation du parc de véhicules lourds de transport routier de marchandises doit donc être une priorité.
Dans le cadre de cette table ronde, nous nous intéresserons à deux dispositifs qui, à n'en pas douter, susciteront des débats lors de l'examen du projet de loi au Sénat.
Premièrement, l'article 30 du projet de loi prévoit, à l'horizon 2030, un objectif de suppression du tarif réduit de TICPE dont bénéficie aujourd'hui le transport routier de marchandises. Cette disposition s'inspire d'une proposition de la convention citoyenne pour le climat. Le rapport sur l'impact environnemental du budget de l'État annexé au projet de loi de finances pour 2021 estime à 1,27 milliard d'euros par an cette dépense fiscale, classée parmi les dispositifs contraires aux objectifs de réduction des émissions de gaz à effets de serre.
Deuxièmement, nous allons discuter de l'article 32 du projet de loi, qui prévoit une habilitation du Gouvernement à légiférer par ordonnance pour permettre aux régions, dans le cadre d'une expérimentation qui sera instituée par l'article 7 de la loi dite 4D (décentralisation, différenciation, déconcentration et décomplexification), de créer une contribution portant sur le transport routier de marchandises. Si certaines d'entre elles ont appelé de leurs voeux le pouvoir de taxer les véhicules lourds en transit, toutes les régions ne sont pas intéressées par le dispositif. Il sera par ailleurs intéressant de pouvoir discuter de l'organisation et des objectifs de cette contribution expérimentale, notamment au regard du projet d'ordonnance diffusé la semaine dernière et visant à instaurer ce dispositif pour la Collectivité européenne d'Alsace.
Pour faire le point sur ces sujets, nous avons le plaisir d'accueillir quatre intervenants, que je remercie d'avoir accepté notre invitation : M. Marc Papinutti, directeur général des infrastructures, des transports et de la mer ; M. Rodolphe Lanz, secrétaire général de la fédération nationale des transports routiers ; et, en visioconférence, MM. Michel Neugnot, président de la commission transports et mobilité de Régions de France et premier vice-président du conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté et Gérard Allard, expert transports pour France nature environnement .
Je donne d'abord la parole à M. Marc Papinutti pour un propos liminaire qui devrait nous éclairer sur le contenu, les objectifs et la portée des deux dispositifs contenus dans le projet de loi « Climat ».
M. Marc Papinutti, directeur général des infrastructures, des transports et de la mer. - Vous avez choisi deux articles sensibles. Nous l'avons constaté lors des travaux préparatoires au projet de loi ainsi qu'à l'occasion des échanges que nous avons avec les organisations professionnelles. Nous sommes très attentifs au secteur du transport routier de marchandises, et je voudrais commencer par lui rendre hommage : pendant toute la période de crise liée à la covid, et surtout lors des premières phases, il a continué à travailler, permettant d'alimenter notre population, dans des conditions parfois difficiles. J'ai participé longuement à des échanges pour assurer cette logistique alimentaire, qui a tenu.
Le dispositif de remboursement de TICPE pour le transport routier de marchandises, dont l'article 30 fixe un objectif de suppression à l'horizon 2030, a été mis en place en 1999. Il est encadré par une directive dite « Énergie ». En 2015, le tarif de TICPE sectoriel a été augmenté une première fois de 4 euros par hectolitre, suite à la suspension de l'écotaxe puis une augmentation de 2 euros par hectolitre a été votée dans le cadre de la loi de finances initiale pour 2020. Les conseils régionaux peuvent majorer le tarif de TICPE applicable dans une certaine limite. Toutes les régions appliquent cette majoration, sauf Auvergne-Rhône-Alpes.
Mais la TICPE, ou son équivalent, ne sont pas homogènes en Europe. Le premier sujet est donc la concurrence pour le transport routier international. Seule l'Allemagne a un niveau de fiscalité supérieur au nôtre. L'Espagne est à 0,33 euro par litre, la Belgique à 0,35, le Luxembourg à 0,365. L'Allemagne est à 0,47, au-dessus de la France. La proposition de la Convention citoyenne était de mettre en oeuvre une diminution progressive du mécanisme de remboursement de TICPE qui aurait été entamée dès 2021 mais nous avons conscience de la sensibilité qu'aurait une telle mesure sur les coûts d'exploitation des transporteurs. La proposition du Gouvernement est relativement simple : il s'agit de présenter un objectif de convergence entre le tarif de TICPE de droit commun et le tarif de TICPE sectoriel dont s'acquitte le transport routier, mais sans en fixer la trajectoire immédiate. On privilégie un caractère programmatique, avec une cible de suppression du remboursement de TICPE dont bénéficie le transport routier à l'horizon 2030. Après la présidence française du Conseil de l'Union européenne en 2022, un rapport précisera la manière d'atteindre cet objectif. L'inégalité de fiscalité en Europe est nuisible, et il faut promouvoir la convergence au niveau européen si l'on ne veut pas induire une concurrence excessive.
Dans le même temps, nous avons pris des mesures pour favoriser la transition énergétique du transport routier de marchandises : le suramortissement pour les véhicules propres, une enveloppe pour le soutien à l'acquisition de véhicules lourds électriques ou à hydrogène - avec un bonus maximum de 40 % du coût d'utilisation du véhicule, et dans une limite de 50 000 euros pour un poids lourd. Le transport routier de marchandises utilise des véhicules produits par plusieurs producteurs qui ne sont pas uniquement français. Dans le cadre d'une « Task Force camions propres », nous réfléchissons depuis le début de l'année avec les constructeurs et l'ensemble des professionnels du transport routier à une convention qui permettra de définir une trajectoire partagée de décarbonation du secteur.
L'article 32 est plus simple. Il organise la reproduction du modèle que nous allons mettre en place dans la Collectivité européenne d'Alsace. Une écocontribution s'appliquera non seulement aux véhicules internationaux mais aussi aux véhicules nationaux. L'assiette sera fixée au-dessus de 3,5 tonnes par la Collectivité européenne d'Alsace. Cette contribution s'appliquera sur un réseau routier qui sera transféré aux régions dans le cadre d'une expérimentation prévue par la loi 4D, présentée en Conseil des ministres la semaine dernière. La contribution pourrait être étendue aux départements si des effets de bord devaient se manifester. Lorsque la Collectivité européenne d'Alsace a émis le voeu d'imposer une écocontribution, la région Grand Est a manifesté son inquiétude quant aux reports de trafics qu'elle pourrait provoquer sur son propre réseau. Le raisonnement de l'Alsace a été le même à l'origine. Il tirait les conséquences de l'instauration d'une taxation sur les poids lourds en Allemagne : la LKW-Maut.
La finalité est de faire contribuer les poids lourds aux coûts d'aménagement et d'entretien de la route, de réduire les impacts environnementaux du transport routier de marchandises, et de prendre en compte ses externalités négatives. Le débat existe depuis la directive Eurovignette de 1999. La contribution s'appliquerait, sur le réseau transeuropéen des transports et sur les autoroutes, aux véhicules dont le poids total est supérieur à 3,5 tonnes. Elle peut être répercutée aux usagers, mais de manière très strictement encadrée par le droit européen. Son montant est limité aux coûts d'infrastructure - exploitation, entretien, maintenance -et aux frais financiers correspondants - ainsi qu'aux externalités qui sont évaluées dans un barème figurant dans les annexes de la directive. Le niveau de la redevance doit être modulé en fonction des émissions du véhicule, et d'autres paramètres, notamment pour remédier aux problèmes de congestion.
La directive impose que les péages et droits d'usage soient appliqués sans discrimination directe ou indirecte en fonction de la nationalité du transporteur. On ne peut donc prévoir une écocontribution qui ne s'appliquerait qu'à des véhicules étrangers. La loi 4D proposera aux régions volontaires une expérimentation de cinq ans de transfert de l'intégralité du réseau routier national de leur territoire à l'exception des axes concédés et de quelques axes que l'État conserverait.
M. Claude Raynal, président. -Nous allons poursuivre avec M. Rodolphe Lanz, secrétaire général de la Fédération nationale des transports routiers, qui devrait nous faire part du sentiment de la filière des transporteurs routiers sur ces deux dispositifs.
M. Rodolphe Lanz, secrétaire général de la Fédération nationale des transports routiers (FNTR). - En ce qui concerne la suppression de ce que vous appelez l'avantage fiscal de TICPE pour le transport routier de marchandises, cette mesure s'inscrit dans une continuité, puisqu'elle arrive après les 4 centimes par litre en 2015 - pour solde de tout compte de l'abandon de l'écotaxe - et les 2 centimes par litre en 2020, pour contribution supplémentaire au financement des infrastructures, qui ont tout de même pesé pour 520 millions d'euros sur le secteur du transport routier. Les orientations prises par la Convention citoyenne pour le climat, reprises dans l'article 30 du projet de loi, gardent le même cap. Jusqu'à présent, la hausse de la fiscalité du gazole n'a pas prouvé son efficacité mais pourtant on poursuit dans cette logique avec cette disposition.
Or cette mesure fragilisera essentiellement le pavillon français. Le remboursement partiel de la TICPE n'est en rien une niche fiscale ou un avantage fiscal. C'est tout simplement l'instauration d'un gazole professionnel, pour éviter les distorsions de concurrence qui résultent notamment des écarts de taxation des carburants au sein des États membres de l'Union européenne. Les rabots successifs du remboursement vont créer encore plus de distorsions de concurrence avec les pavillons étrangers, accroître les écarts de compétitivité, et ouvrir encore plus grandes les portes de la concurrence déloyale, notamment aux pavillons de l'Est.
Cette suppression franco-française du remboursement partiel de TICPE va certes apporter des recettes nouvelles - 1,3 milliard d'euros - mais elle ne va certainement pas réduire le nombre de poids lourds ou l'impact carbone du secteur. Par contre, elle sera mortifère pour les entreprises de transport routier français, déjà fortement impactées par la crise sanitaire. Et elle sera destructrice d'emplois. Pourtant, la crise sanitaire a mis en évidence le rôle stratégique et vital du transport routier de marchandises : il est le garant de l'autonomie du pays. Comment aurions-nous fait pendant la crise sanitaire sans un pavillon français fort ?
L'approche européenne, indispensable, doit pointer vers une convergence des fiscalités. C'est ce qui est inscrit dans l'article 30. Nous tenterons, sous la présidence française, d'avancer en ce sens. Mais il ne faut pas oublier qu'en matière de fiscalité européenne, l'unanimité est requise ! Je souhaite beaucoup de courage aux négociateurs français pour l'obtenir sur la fiscalité du carburant en Europe...
D'une manière générale, l'alourdissement de la fiscalité ne se traduit pas par davantage de report modal. Une hausse importante du prix du transport routier de marchandises ne contribue pas à une hausse de la part du transport ferroviaire. Si la part du fret routier reste la même, la proposition contenue à l'article 30 va générer exclusivement une distorsion de prix en faveur des pavillons étrangers.
Nous suggérons donc d'alourdir la fiscalité des chargeurs, des donneurs d'ordre, plutôt que celle du pavillon français. Les organisations professionnelles l'ont proposé. L'idée était d'impliquer davantage les entreprises donneuses d'ordre pour changer leur comportement. Cette piste de réflexion a été rejetée par le ministère sans avoir été sérieusement approfondie.
La trajectoire fiscale envisagée par l'article 30 n'est pas réaliste en raison de la non-effectivité de l'offre. La Task Force sur la transition énergétique rassemble des constructeurs, des énergéticiens et des transporteurs, mais également l'État, pour définir une trajectoire concertée de transition énergétique et, in fine, travailler sur des énergies alternatives aux énergies fossiles. On peut supposer qu'il y aura une clause de revoyure. Il faut impérativement prendre en compte les résultats des travaux de la Task Force. Or le 20 mai, celle-ci publiera un rapport intermédiaire. Nous préconisons de prendre véritablement en compte ses travaux, pour savoir s'il est possible de travailler à si courte échéance sur une transition énergétique du secteur.
Les aides disponibles actuellement ont été évoquées. Pour utiliser le suramortissement, encore faut-il avoir du résultat ! Nous avions d'ailleurs proposé un prêt garanti par l'État pour investir dans le transport routier de marchandises, qui n'a pas été accepté par Bercy. En ce qui concerne le plan de relance et les véhicules propres, un bonus de 50 000 euros par camion a été prévu, mais pour des véhicules qui n'existent pas... Et les premiers travaux de la Task Force nous disent qu'un véhicule électrique lourd coûte cinq à six fois le prix d'un véhicule répondant à la norme Euro 6 : ce ne sont pas 50 000 euros qui vont faire la différence ! De plus, il faut produire en nombre, des dizaines de milliers de véhicules par an. Et il faut un réseau d'avitaillement. D'ailleurs, l'article 25 parle de 2040. Il faudrait que l'article 30 et l'article 25 soient en cohérence... La fin des énergies fossiles, en 2040, peut coïncider, éventuellement, avec la fin de la trajectoire de baisse de la ristourne sur le TICPE pour le gazole. Sinon, il n'y aura aucune cohérence dans le projet de loi. Il faut une vraie effectivité de l'offre, qu'il s'agisse des constructeurs ou des énergéticiens.
L'article 32, avec l'écotaxe régionale, vise le report modal. Alors que la fiscalité est toujours plus importante sur le transport routier de marchandises, celui-ci réalise aujourd'hui 89 % du transport de marchandises contre 67 % en 1985. Il y a aucune preuve qu'une hausse importante du prix du transport routier de marchandises contribuera à accroître le report modal. D'ailleurs, le transport routier de marchandises est le premier client du transport ferroviaire ! Il n'y a pas d'opposition des modes, mais des complémentarités. Et ce n'est pas en taxant le transport routier de marchandises qu'on développera le fret ferroviaire.
La hausse de la fiscalité prévue dans l'article 32 va simplement pénaliser encore un peu plus la compétitivité des entreprises locales, mais aussi de leurs clients - donc toute l'industrie locale. À la fin, c'est le pouvoir d'achat du consommateur qui en souffrira, dans une période de crise économique et sociale.
Les exemples étrangers montrent bien que la mise en oeuvre d'une écotaxe ne produit pas les effets escomptés. En Belgique, cela n'a pas contribué du tout à la diminution du nombre de poids lourds circulant sur les routes écotaxées, bien au contraire : après deux ans de mise en oeuvre, on a observé une hausse de 6 %. On nous dit qu'il faut contraindre les poids lourds en transit à utiliser les autoroutes plutôt que le réseau secondaire, gratuit. Je réponds que 76 % des trajets sont effectués sur le réseau autoroutier. La présence de poids lourds sur le réseau national et départemental est principalement liée aux transports régionaux de proximité, puisque seule la route est en mesure d'assurer une desserte fine du territoire, ou aux trajets permettant l'accès aux zones de chargement et de déchargement chez le client. Donc, aucune solution ne permet d'atteindre cet objectif sans impacter l'activité régionale ou les dessertes locales.
Enfin, l'instauration des écotaxes régionales suppose un préalable, la loi 4D, et un éclaircissement sur la possibilité de créer des écotaxes départementales. Elle soulève des interrogations. Il ne peut être envisagé de laisser une région instaurer son modèle de contribution sans cohérence avec les autres. La Collectivité européenne d'Alsace, avec le projet d'ordonnance qui a été publié, a pris de l'avance. Le principe retenu y est la taxation au kilomètre, alors que, dans le même temps, en Île-de-France, Mme Pécresse annonce une vignette ! Il va falloir agrandir les pare-brise si toutes les régions imposent leur vignette... La cohérence des décisions, d'une région à l'autre, est centrale. On ne pourra pas s'en passer. Par ailleurs, le dispositif alsacien nécessite un équipement électronique embarqué.
D'autres exemples étrangers montrent bien que tout ce qu'on nous raconte sur l'écotaxe n'est pas exact. Ainsi, la Cour suprême espagnole, le 13 mars 2021, a jugé impossible de taxer uniquement des portions de route ou certains types de tonnages. L'idée de ne taxer que les poids lourds en transit, avec une compensation pour les transporteurs nationaux, a été retoquée également par la Cour de justice de l'Union européenne, dans une décision concernant l'Allemagne.
Bref, cet article 32 n'apporte aucune réponse concrète aux objectifs recherchés, et il va fragiliser essentiellement le transport routier français, un secteur vital et stratégique. Pour nous, il n'a rien à faire dans le projet de loi climat.
M. Claude Raynal, président. - Nous allons à présent entendre M. Michel Neugnot, qui nous fera part du point de vue des régions concernant la contribution sur le transport routier de marchandises dont il est question à l'article 32.
M. Michel Neugnot, président de la commission « Transports et mobilité » de Régions de France. - Qu'il s'agisse des voyageurs ou du fret, il ne faut pas opposer les moyens de transport les uns aux autres. Dans certains cas, et notamment pour les produits dangereux, le fret ferroviaire a une très grande efficacité - mais il faut nécessairement organiser l'intermodalité. Le camion reste le seul moyen pour aller au bout de la desserte. Vouloir opposer les modes de transport les uns aux autres est irréaliste.
Les régions ont aussi la compétence économique. Force est de constater, depuis une trentaine d'années, le développement du fret par camion et la diminution du fret ferroviaire. Pour autant, cette évolution n'a pas bénéficié au pavillon français. La valeur ajoutée du fret, en France, a été captée par des compagnies de transport par camion internationales, non françaises. Pis : à l'international, le pavillon français n'a quasiment plus sa place. Il serait donc urgent de promouvoir une harmonisation fiscale européenne pour garantir une égalité de traitement et pour faire cesser les distorsions de concurrence.
S'ajoute à cette évolution la crise que nous vivons. La décarbonation de nos modes de vie doit être promue, en raison de l'urgence climatique. Il faudra donc donner les inflexions et impulsions nécessaires pour traiter à la fois le sujet économique et l'urgence climatique, qui impose de donner plus de poids au fluvial et au ferroviaire lorsque c'est justifié, et de favoriser les modes de transport les plus décarbonés.
Mais autant de régions, autant de points de vue ! Il faut donc prendre le temps de la réflexion et du dialogue. Chaque région a ses positions. Plusieurs sont partantes pour des expérimentations. C'est le cas des régions Grand Est, Île-de-France, Normandie, Nouvelle-Aquitaine et Occitanie. D'autres le sont moins, comme la Bourgogne-Franche-Comté, la Bretagne, le Centre-Val de Loire, les Hauts-de-France, les Pays de Loire, ou la région Provence-Alpes-Côte d'Azur.
La perception de cette contribution n'est pas le seul sujet : son affectation mérite aussi débat. Si l'on veut être efficace dans le bilan carbone des transports, il faut que la transition des modes alternatifs au diesel arrive le plus rapidement possible. Il faut donc massifier rapidement. La taxe peut être affectée sur les infrastructures, mais on pourrait aussi l'affecter à la décarbonation des camions. Sur ce point, il n'y a pas de positions tranchées des régions, mais une volonté d'ouvrir le champ de réflexion le plus largement possible, et de faire de l'expérimentation.
Tous les transports sur moins de 150 kilomètres sont des transports de proximité qui ne peuvent pas être réalisés par des moyens autres que le camion. Il faut donc des solutions qui prennent en compte tous ces paramètres et fixent quel est l'objectif que l'on recherche, si possible de manière consensuelle.
M. Claude Raynal, président. - Nous allons conclure ce tour de table avec M. Gérard Allard, expert transport pour France Nature Environnement, qui devrait nous donner son éclairage sur les enjeux de la taxation du transport routier de marchandises.
M. Gérard Allard, spécialiste transports et mobilités à France Nature Environnement. - Lorsque nous avons lu le projet de loi présenté par le Gouvernement, et notamment les deux articles dont nous parlons aujourd'hui, nous avons pensé qu'il s'agissait uniquement de cocher une case pour 2022, en réalisant deux objectifs proposés par la Convention citoyenne. On voit toutes les difficultés d'application, qui ont été évoquées par ceux qui sont intervenus avant moi. J'ai suivi les débats à l'Assemblée nationale, où de nombreux amendements ont été déposés pour supprimer ces deux articles. Nous pensons qu'il ne faut pas les supprimer, mais qu'il faut essayer de les améliorer, sans illusions sur les difficultés d'application. L'objectif, ne l'oublions pas, est de réduire l'impact carbone des transports, pour éviter des catastrophes, qui ne manqueront pas de se produire dans quelques dizaines d'années, si ce n'est avant - on voit déjà tous les dérèglements climatiques qui surviennent.
Notre position sur les transports de marchandises est qu'il faut transporter moins, mieux, et autrement. Il faut transporter plus local ; utiliser au mieux les capacités des infrastructures et des moyens de transport ; et favoriser le report modal, ferroviaire mais aussi fluvial. Le fluvial a aussi besoin d'aide pour profiter du report modal. Je ne ferai pas de bashing contre le transport routier, qui sera toujours nécessaire à notre vie. Si on atteint les objectifs ambitieux qu'a fixés le gouvernement, il conservera toujours au moins 75 % de parts de marché.
L'article 30 prévoit l'abandon de l'avantage fiscal du gazole professionnel pour le transport routier de marchandises. Il est lié à deux conditions, qui seront difficiles à réunir. La première est l'accélération du processus de convergence des fiscalités au niveau européen : la France a annoncé que, lors de sa présidence européenne en 2022, elle allait faire tout son possible - mais l'unanimité est loin d'être acquise ! On pourrait déjà remonter le plafond du minimum de perception, de 33 centimes à 40 ou 45 centimes par litre. Ce serait déjà une belle réalisation. La France, du reste, n'est pas le pays qui taxe le plus le gazole professionnel en Europe. L'Allemagne et les Pays-Bas le taxent davantage. La seconde condition est le développement d'une offre suffisante de motorisations alternatives. Il est bienvenu d'accompagner financièrement les entreprises qui voudraient faire évoluer leur motorisation. Pour accélérer la mise en oeuvre de cet objectif, il faudrait supprimer l'exonération de la contribution climat énergie pour tous les carburants qui en bénéficient.
Le représentant de la Fédération nationale des transports routiers nous dit qu'en 2014 le Gouvernement s'était engagé à ce que l'augmentation de 4 centimes des taxes sur le gazole vaudrait solde de tout compte, mais si l'on considère les milliards d'euros qui devaient être perçus avec l'écotaxe, on voit que l'on est loin du solde de tout compte. C'est pourquoi nous sommes pour une trajectoire de rattrapage de la taxe carbone, dès le PLF 2022.
J'ai suivi les débats sur l'eurovignette depuis 2005, puis ceux de l'écotaxe - que vous aviez votée à l'unanimité. L'écotaxe a été supprimée très rapidement en 2014, malgré les investissements importants qui avaient été réalisés, c'est d'autant plus un gâchis qu'une compensation avait été accordée en amont, avec la diminution de moitié de la taxe à l'essieu en 2011 et l'autorisation, à compter du 1er janvier 2013, de la circulation des poids lourds de 44 tonnes, au détriment des transports ferroviaire et fluvial.
Nous savons les difficultés que pose cette contribution spécifique, qu'on ne nomme plus écotaxe, ses modalités pratiques sont encore à définir. Un amendement à l'Assemblée nationale a utilement prévu une prise en compte des externalités négatives du transport routier, ce qui est conforme à la directive eurovignette. Notre pays est encore bien frileux sur ce point, voilà des années que nous demandons une telle prise en compte des coûts externes, en particulier sur les péages autoroutiers, sans jamais être entendus.
Des régions sont favorables à la contribution proposée à l'article 32- je demande à voir, car il me semble y avoir beaucoup d'incompréhensions. Je pense que le plus simple aurait été de revenir au dispositif du Grenelle 1, pour faire prendre en charge les infrastructures routières plus directement par le transport routier - et je crains fort que le mécanisme imaginé aujourd'hui posera de nombreuses difficultés juridiques.
Nous n'ignorons pas non plus le problème de la concurrence européenne. Il faut en conséquence que les transporteurs étrangers participent davantage à l'entretien de nos infrastructures routières. Dès lors qu'ils utilisent principalement le réseau autoroutier, nous avions proposé d'augmenter les péages des véhicules lourds et d'abonder à due concurrence l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf) pour qu'elle investisse dans les modes de transport alternatifs.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Face à la concurrence intraeuropéenne importante, qui se joue avec règles fiscales différentes, le Gouvernement cherche une convergence avec ses partenaires européens. Cependant, les difficultés étant si importantes qu'on ne peut guère escompter une issue rapide, qu'est-ce que la France peut espérer ? Ensuite, quel est le panorama de la fiscalité applicable chez nos voisins ? Élu d'un département voisin du Luxembourg, je sais que ce sujet est déterminant. La contribution que pourrait mettre en oeuvre la Collectivité européenne d'Alsace ne manquera pas de provoquer un effet de déport vers le reste de la région Grand-Est, et tout particulièrement sur le sillon lorrain qui traverse l'ex-région Lorraine. Il faut de la cohérence dans notre démarche. Attention, le sujet est très délicat, on l'a vu avec les bonnets rouges puis les gilets jaunes, on ne peut pas dire que le Gouvernement ne soit pas prévenu...
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Notre économie est-elle prête à assumer nos objectifs politiques ? Dans les auditions, les industriels nous disent que la difficulté n'est pas tant de produire des véhicules « propres », de convertir des motorisations pour les rendre plus vertueuses que de garantir leur avitaillement : quelle est la stratégie en la matière, pour permettre aux véhicules « propres » de rouler sur l'ensemble du territoire ?
M. Stéphane Sautarel. - Quels objectifs et quelle trajectoire pour développer l'électromobilité ? Les délais industriels et d'équipement paraissent peu compatibles avec la date de 2030, et il faut compter aussi qu'une date rapprochée limitera les recherches pour améliorer les autres motorisations et, en particulier, les biocarburants, qui seront délaissés si la mobilité devient tout électrique. Je m'interroge sur la compatibilité des délais avec la réalité économique et les capacités de production des constructeurs. À ce titre j'aimerais en savoir plus sur les avancées de la Task Force.
M. Hervé Maurey. - Je partage l'objectif de réduire la part des poids lourds, mais pour le faire sans punir le routier, il faut aussi être plus incitatif avec le fret ferroviaire et le fluvial ; or, je n'ai pas entendu de propositions concrètes dans ce sens : le Gouvernement en a-t-il ? Ensuite, on parle d'une priorité à la « décarbonation » des poids lourds, mais l'aide plafonne à 50 000 euros, pour un surcoût d'environ 200 000 euros par camion ; le ministre délégué chargé des transports a laissé entendre que l'aide pourrait être relevée : qu'en est-il ?
M. Marc Laménie. - Les modes de transport sont complémentaires, nous en sommes tous convaincus, mais s'agissant des infrastructures routières, comment articuler et simplifier leur financement ?
Mme Isabelle Briquet. - N'y a-t-il pas un problème d'articulation, au moins pour le calendrier, de ce texte avec le projet de loi 4D ? En bonne méthode, ne devrait-on pas voter d'abord la loi 4D, puis déterminer les compétences des régions sur l'écotaxe ? Ensuite, est-il réaliste de confier la définition et la gestion d'une telle écotaxe aux régions - et la diversité des règles n'est-elle pas une source de complexité ? Enfin, pourquoi l'écotaxe n'est-elle pas affectée ?
M. Didier Rambaud. - La semaine dernière, Jean-Baptiste Djebbari nous a dit que les départements pourraient demander d'appliquer l'écotaxe sur certaines routes de leur réseau, en particulier pour éviter les reports de trafic : qu'en pensez-vous ?
L'article 30 renvoie la définition de la trajectoire à la fin de la présidence française de l'Union européenne, soit au premier semestre 2022 : quelle pourrait être une telle trajectoire, qui puisse répondre aux attentes environnementales sans pour autant envoyer un message punitif au secteur du transport routier ?
M. Christian Klinger. - Pour les Alsaciens, rien de neuf sous le soleil avec l'autorisation faite à la Collectivité européenne d'Alsace de se lancer dans l'écotaxe. Car nous la demandons depuis 2005, avec le député Yves Bur, nous l'avons même obtenue en 2007, date à laquelle Dominique Bussereau, alors ministre des transports, nous a demandé d'attendre l'issue du Grenelle alors en préparation... Mon village d'Houssen est traversé par une autoroute où l'on a constaté les effets très importants de déport de l'autoroute parallèle en Allemagne, depuis que de l'autre côté du Rhin, on a instauré une écotaxe, la différence a été tout de suite très nette. C'est bien pourquoi les Alsaciens demandent l'écotaxe, nous avons une autoroute gratuite sur deux cents kilomètres parallèle à l'autoroute allemande devenue payante, la nouvelle contribution n'est qu'une contrepartie à la détérioration des infrastructures et à la pollution que nous subissons. Si nos voisins lorrains devaient subir à leur tour un déport, je ne doute pas que nous trouvions une solution.
M. Bernard Delcros. - Quelles sont les mesures concrètes qu'envisage le gouvernement, à la fois pour accélérer le développement de motorisations alternatives mais aussi pour développer le transport de marchandises par voies ferrées, sachant que la France est en retard sur ce plan?
M. Philippe Tabarot. - Les coûts de collecte de la nouvelle contribution seraient importants, d'autant plus importants qu'elle serait organisée par région : est-ce le cas, et dans quelle proportion ? Le choix d'une vignette ou d'une taxation kilométrique peut-il influencer ce coût ? Quel dispositif serait le plus simple et le moins onéreux ? Pour la trajectoire de suppression de l'avantage de TICPE comme pour la contribution régionale, comment fonctionnera concrètement la refacturation des charges, entre les donneur d'ordres et les transporteurs ? Est-il possible de favoriser une refacturation aux donneurs d'ordres par la loi ? La Belgique a fait le choix d'une écotaxe régionale. En quoi le dispositif belge est-il comparable à ce que propose l'ordonnance relative à la Collectivité européenne d'Alsace ? Disposons-nous de retours d'expérience de leur part ? Faudrait-il prévoir l'interopérabilité de la contribution française avec les dispositifs mis en place dans les pays limitrophes ?
M. Michel Neugnot. - Le dispositif proposé à l'article 32 n'est pas tout à fait adapté aux attentes des régions en raison des effets de bord, il vaudrait mieux avoir une réflexion plus globale, indépendante de la question du transfert d'une partie du réseau routier aux régions. Ensuite, il y a des incertitudes financières relatives à ce transfert. Enfin, il faut préciser l'objectif de la mesure : s'agit-il de financer des infrastructures ou d'accélérer la décarbonation des transports ?
La stratégie d'avitaillement, effectivement, est décisive et elle doit impliquer l'ensemble des vecteurs : l'hydrogène, les batteries mais aussi le gaz naturel véhicule (GNV). Il en va de la crédibilité de l'État sur la transition écologique.
M. Gérard Allard. - Je croyais que le terme d'écotaxe était banni, peut-être aurait-il été préférable d'utiliser le terme de redevance d'utilisation des infrastructures... Les difficultés d'application au niveau régional de cette contribution sont effectivement un sujet. Nous pensons qu'il faudra un mode de perception qui, à mon avis ne pourra être que satellitaire et commun à toutes les régions. Par ailleurs, ce système devra être interopérable avec celui de nos voisins. En termes de délais de mise en oeuvre, il avait fallu trois ans à la Belgique, en France, pour créer le dispositif d'écotaxe qui avait été prévu dans la loi grenelle, et après 5 ans de mise en place, nous avons fait machine arrière. Nous pensons également que les recettes doivent être dirigées vers l'Afitf, à charge pour elle de les réallouer aux régions et aux départements qui géreront les infrastructures correspondantes. Concernant la possibilité qui pourrait être accordée aux départements de mettre en place cette contribution, je rappelle que la loi de 2009 incluait dans l'écotaxe une partie des routes départementales qui étaient considérées comme des itinéraires alternatifs.
Enfin, nous regrettons que ce projet de loi ne comprenne pas de mesures concrètes encourageant les modes de transport alternatif ferroviaire et fluvial. Concernant le transport ferroviaire, nous attendons les propositions du conseil d'orientation des infrastructures (COI) sur la stratégie nationale du fret ferroviaire. Nous souhaitons des propositions novatrices d'orientation vers ces modes de transport alternatifs.
M. Rodolphe Lanz. - On s'interroge beaucoup sur la trajectoire idéale, une Task Force conduit des travaux... qui vont aboutir après la loi, c'est dommage. Or l'objectif en la matière, c'est bien de parvenir à une vision commune entre les transporteurs, les constructeurs, les énergéticiens et l'État. Ensuite, on oublie vite, dans cette transition énergétique, le rôle des biocarburants, qui sont importants et même indispensables, car on ne va pas passer immédiatement des énergies fossiles à l'électrique et à l'hydrogène. On met la focale sur les constructeurs, ils sont de bonne volonté, mais je signale au passage qu'il n'y a plus guère de constructeurs français, ce qui limite le poids de l'État dans la définition d'une stratégie en la matière...
La question de l'avitaillement est déterminante, mais elle n'est pas totalement abordée par la Task Force. Nous allons le souligner dans la suite des travaux car des déploiements massifs d'argent public et privé devront être prévus. Nous avons le sentiment que la trajectoire fiscale proposée ne correspond pas du tout à une trajectoire de transition énergétique nous permettant d'anticiper le renouvellement de notre flotte à un coût raisonnable.
Le moindre mal, ce serait déjà que ce texte soit cohérent. Entre les articles 25 et 30, il faudrait fixer la même échéance, pas 2030 mais 2040, quitte à faire un point d'étape en 2030 pour savoir où l'on en est en termes d'offre constructeurs et de déploiement du réseau d'avitaillement. Ce serait plus logique. De plus, nous en sommes pour ainsi dire certains, en 2030, nous n'aurons pas les solutions alternatives, ni le réseau d'avitaillement nécessaire. Dans ces conditions, les obligations pour 2030 ne pourront se faire qu'au détriment d'un secteur entier de l'économie française.
Sur l'écotaxe, il faut raisonner avec ce qu'il est possible de faire, ou bien on manque la cible. J'entends dire qu'on va taxer le transit international, mais il faut savoir qu'on ne pourra pas taxer comme on veut, distinguer les camions étrangers des français, ou encore compenser pour les seuls camions français, ce n'est guère possible. Il faut voir également qu'en mettant en place l'écotaxe sur son territoire, une région va pénaliser en réalité l'ensemble des transporteurs, au-delà des seules régions limitrophes. Même si la distance moyenne du transport de marchandises est de 150 kilomètres, les Bretons ont bien compris et montré qu'avec l'écotaxe, les régions périphériques sont affectées, leur économie tout entière subit des surcoûts. Donc même si l'écotaxe n'est en place que dans quelques régions, personne ne sera exempt, tout le monde sera impacté.
M. Marc Papinutti. - Je répondrai aux rapporteurs par écrit. En quelques mots, cependant : le Gouvernement a un projet de fret ferroviaire, qui a été analysé par le comité d'orientation des infrastructures, la stratégie est en cours de finalisation. Des financements ont été mobilisés pour le fret ferroviaire dès le plan de relance pour le wagon isolé, les tarifications des sillons, l'aide au transport combiné, les autoroutes ferroviaires et si la stratégie en cours de validation ne figure pas dans ce projet de loi « climat et résilience », elle existe bien. L'avitaillement, ensuite, est effectivement un point décisif, nous en sommes tous conscients. Il y a des plans généraux sur l'hydrogène, sur les véhicules légers, ils se déploient et incluent les problèmes d'avitaillement. La task force a l'ambition de définir une trajectoire économique complète qui prend en compte également la question de l'avitaillement.. L'électromobilité ne pourra se déployer si l'on n'a pas des bornes de recharge en nombre suffisant.
Concernant l'article 32, l'ordonnance pour la Collectivité européenne d'Alsace est au Conseil d'État. L'objectif n'est pas d'instaurer un péage, mais une taxation qui ne saurait être affectée, car elle ira à une collectivité territoriale.
Sur le coût de gestion, les systèmes ont beaucoup évolué depuis une dizaine d'années, en particulier pour la géolocalisation - et je suis convaincu que des solutions interopérables seront accessibles bien plus facilement qu'auparavant.
Je crois également que, dans ce débat, il faut aller au-delà du seul transport routier de marchandises, il faut pouvoir inclure l'ensemble de la chaîne qui fait la valeur ajoutée, en particulier la logistique, et raisonner de manière mutimodale. Je pense à nos travaux sur la stratégie des grands ports maritimes français et de la réaffectation de certaines activités en France qui sont complémentaires au transport en tant que tel..
Merci pour ces échanges, libres comme d'habitude au Sénat, je préciserai les éléments techniques par écrit aux rapporteurs.
M. Claude Raynal, président. - Merci aussi de répondre, par écrit, à cette question : pourquoi la piste consistant à alourdir la fiscalité des donneurs d'ordres n'a-t-elle pas été retenue ?
La réunion est close à 16 h 30.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Mercredi 19 mai 2021
La réunion est ouverte à 10 h 05.
Coûts et avantages de la syndication - Communication de M. Jérôme Bascher, rapporteur spécial, sur la syndication
M. Claude Raynal, président. - Nous commençons notre ordre du jour par une communication de notre collègue Jérôme Bascher, rapporteur spécial de la mission « Engagements financiers de l'État » sur les coûts et les avantages de la syndication.
M. Jérôme Bascher, rapporteur spécial. - C'est un sujet technique que je vous propose ce matin avec la syndication, une technique d'émission de la dette publique. L'Agence France Trésor (AFT), chargée de la gestion de la dette de l'État, est animée par un double objectif : que les titres de la dette française trouvent preneur - afin de couvrir nos besoins de trésorerie et de financement - et à moindre coût, dans les conditions les plus favorables possibles pour le contribuable - afin que la charge de la dette soit la moins élevée possible.
Avant de vous présenter les caractéristiques de la syndication, qui diffèrent de celles de la méthode classique d'émission par adjudication, un rappel sur la spécificité des titres de dette publique. Imaginons un particulier qui souhaite faire un prêt, il emprunte une somme donnée sur 20 ans à un coût de 2 % et il connait très exactement le coût de son produit. Pour la dette publique, c'est différent. Prenons là-aussi un exemple théorique, l'État va émettre 100 avec un coupon (un intérêt) de 0,5 %. Le prix payé par les souscripteurs pourrait très bien ne pas être de 100, mais être de 99 ou 101 selon le contexte de taux. C'est important parce qu'il faut bien se rappeler que les obligations assimilables du Trésor (OAT), les titres à moyen et long terme de la dette française, s'inscrivent dans un marché financier, il y a une offre et une demande.
Quand l'État émet des titres par adjudication, ce sont les spécialistes en valeur du Trésor (SVT), les 15 banques sélectionnées pour être les partenaires privilégiées de l'AFT, qui vont venir acheter les titres, sur ce marché primaire. Ils les portent donc dans leur bilan, avant de les revendre aux investisseurs intéressés sur le marché secondaire, là où ces titres s'échangent. Les détenteurs de dette peuvent être des assureurs, des gestionnaires d'actifs ou encore des hedge funds, des résidents français comme des non-résidents. Dans une opération d'adjudication, la Banque de France apporte un soutien technique et les SVT ne sont pas rémunérés. J'ai eu l'opportunité d'assister en direct à une adjudication et c'est très impressionnant : en moins d'une heure, plus de 10 milliards d'euros sont émis et répartis entre les souscripteurs. Les offres dont les prix sont les plus élevés sont servies en premier, chaque SVT payant donc des prix différents, correspondant aux prix demandés, pour les quantités demandées. Le prix moyen pondéré n'est donc connu qu'à la fin de l'opération.
En syndication, le déroulement de l'opération et les rôles de chacun sont différents. Commençons par les SVT, dont je rappelle ici qu'ils sont sélectionnés pour trois ans, le prochain renouvellement ayant lieu à l'automne prochain, pour la période 2022-2024. Ces SVT se rassemblent dans un syndicat bancaire, avec un rôle particulier pour les cinq établissements désignés « chefs de file ». Dans une syndication, les SVT ne sont plus acheteurs directs des titres mais garants. Ils vont servir d'intermédiaire entre l'émetteur (l'AFT) et les investisseurs finaux, à qui ils doivent faire souscrire une part de la dette, en développant aussi des stratégies de vente pour ces produits, comme ce fut le cas pour le lancement de la première OAT verte par exemple. Si jamais l'un des investisseurs venait à faire défaut, le SVT concerné prendre le papier à son compte. Il y a par ailleurs des échanges en amont de l'opération entre l'AFT et les SVT pour juger de l'appétence du marché pour le produit émis par syndication et à quel prix. Les titres sont en effet acquis par les souscripteurs au prix défini avec l'émetteur, contrairement à une adjudication. Il y a donc une négociation. Dernière spécificité, dans une syndication, les SVT sont rémunérés par l'AFT, avec le versement de commissions. Si la grille de rémunération est confidentielle, le montant total des commissions et frais encourus au titre de la gestion de la dette est connu : 27,5 millions d'euros en 2020, pour trois syndications.
Je vous l'ai indiqué, la France n'émet qu'une part minoritaire de ses titres par syndication, tout comme l'Allemagne, qui, avant 2020, n'avait plus eu recours à cette technique d'émission depuis 2015. A contrario, des plus petits émetteurs, comme la Slovénie ou le Portugal, ont au contraire couvert respectivement 100 % et 48 % de leur programme de financement net par des syndications. Passer par une syndication est un moyen plus sûr pour les pays plus petits ou plus fragiles de pouvoir placer les montants souhaités.
La France, comme les plus grands émetteurs souverains, réserve la syndication à l'émission de titres pour lesquels la demande et, surtout, le prix sont moins connus. Il s'agit notamment des produits innovants, tels la création d'une OAT verte, ou encore les titres de maturité très élevée, de 30 à 50 ans. En l'absence de référence, il est préférable de passer par cet échange direct entre l'émetteur et les investisseurs finaux. Pour les titres plus « classiques », de deux à vingt ans pour les OAT nominales, les prix sont bien connus et les adjudications se déroulent selon un calendrier précis et prédéterminé. Il n'y a pour ces produits que peu d'incertitudes sur le prix et la demande, qui plus est au regard des montants émis par la France, qui fait partie des plus gros émetteurs de dette en volume.
Les syndications conduites par la France en 2020 et en ce début d'année se sont déroulées dans de très bonnes conditions, avec des taux de rendement à des niveaux historiquement bas et surtout des taux de couverture extrêmement élevés. Ainsi, les montants inscrits sur le livre d'ordres, qui retrace la demande des investisseurs finaux, étaient près de 10 fois plus élevés que le montant émis lors du lancement de la nouvelle OAT à 50 ans. Les investisseurs demandaient 75 milliards d'euros, l'AFT en a servi sept. Dans ces conditions, certains estiment que la France devrait profiter de ce contexte pour allonger très fortement la maturité de sa dette en émettant de manière beaucoup plus fréquente des titres de maturité très élevée. Je veux tout de suite clarifier les choses : ce n'est pas la bonne solution et cela pourrait même être très dangereux pour la qualité de la dette française.
Cette proposition s'appuie en effet sur une lecture déformée du livre d'ordres, du fait du phénomène de surenchère (overbidding) de la part des investisseurs. Ce phénomène s'observe dans plusieurs pays et traduit la tendance des investisseurs, notamment les plus opportunistes d'entre eux, à demander des montants très élevés lors des syndications en anticipation de la dilution de leurs ordres lors de l'allocation finale par l'émetteur. Le but de ces investisseurs c'est de revendre rapidement les titres acquis pour réaliser un bénéfice ; ce ne sont donc pas les investisseurs les plus privilégiés lors des syndications. En effet si, dans une adjudication, les investisseurs finaux ne sont pas connus, dans une syndication, l'AFT peut optimiser l'allocation des titres en fonction de la nature des investisseurs. Ce n'est toutefois bien qu'une image à un instant donné, les titres pouvant être immédiatement revendus après l'allocation.
Ce sujet sur les syndications m'a donc conduit à m'interroger d'une part sur l'allongement de la maturité de la dette et d'autre part sur l'émission de nouvelles obligations thématiques pour traiter de la hausse de l'endettement public. J'ai répondu sur l'allongement de la maturité, une impasse. La maturité de la dette française est par ailleurs supérieure à la moyenne OCDE, dans la fourchette haute, à 8,2 ans. Loin devant se situe le Royaume-Uni, à plus de 15 ans, mais pour des raisons très spécifiques, liées au poids des fonds de pension, du fait de la gestion du système de retraite britannique. Ces acteurs demandent des titres de maturité élevée et concentrent par ailleurs leurs investissements sur le segment obligataire.
Pour conclure, il me semble qu'il me faut plutôt conserver les modalités actuelles d'émissions de la dette, avec une prédominance des adjudications, en réservant les syndications pour les produits « rares » que sont par exemple les produits innovants ou de très longue maturité. Ces opérations coûtent plus chères et il ne serait pas dans notre intérêt de bouleverser notre modèle.
M. Claude Raynal, président. - Je remercie le rapporteur pour la synthèse qu'il a offerte sur une question complexe. Les éclaircissements qu'il vient d'apporter permettront de mieux appréhender les thématiques de la table ronde qui va suivre, qui concerne les obligations vertes.
M. Éric Bocquet. - Ma première remarque vise à rappeler qu'à la différence du Royaume-Uni, où l'agence d'émission de la dette publique est située dans la City, l'Agence France Trésor est localisée au sein même de Bercy. Je me suis intéressé à la composition du comité stratégique de l'AFT, qui ne compte pas de représentant de l'administration ou du Gouvernement mais essentiellement des banquiers et des profils financiers. Comment expliquez-vous cette composition ?
Par ailleurs, alors que la demande des titres de dette français sur le marché secondaire est très forte, les spécialistes en valeur Trésor, qui achètent les titres sur le marché primaire, les revendent très rapidement. Cependant, qu'advient-il des titres une fois ces derniers revendus sur le marché secondaire ? On nous dit en effet qu'il n'est pas possible de connaître précisément les détenteurs de notre dette. N'y a-t-il pas là un danger ?
Enfin, quels sont les critères permettant de sélectionner les spécialistes en valeur Trésor ? Vous avez évoqué la rémunération des SVT en 2020 en indiquant que le détail de celle-ci était confidentiel. Le montant total est-il public ?
M. Arnaud Bazin. - Pouvez-vous nous préciser la différence entre la prime d'émission et le taux applicable aux obligations ?
M. Philippe Dominati. - Je souhaite compléter la question de notre collègue Éric Bocquet en interrogeant le rapporteur sur le profil et l'origine des principaux spécialistes en valeur du Trésor. Quels sont les principaux SVT et existe-t-il un noyau dominant ?
M. Jérôme Bascher, rapporteur spécial. - Je vais d'abord clarifier mon propos pour répondre à Arnaud Bazin : il y a bien un lien entre le prix et le taux, les deux évoluant à l'inverse l'un de l'autre. Cela me permet de rappeler qu'en 2020, le taux moyen à l'émission des SVT était de - 0,13 %, un niveau inédit.
Le comité stratégique de l'AFT est composé de connaisseurs du marché, ce qui est logique puisqu'il est chargé d'assister l'AFT dans sa gestion de la dette de l'État, de la conseiller sur les grands axes de la politique d'émission de l'État. L'AFT dispose d'ailleurs à Bercy d'une véritable salle de marché.
Parmi les SVT, on trouve d'abord des grands établissements, français comme étrangers, à l'image de BNP Paribas, de HSBC, du Crédit agricole, de JP Morgan ou encore de la Société générale, pour reprendre les cinq premiers du classement des SVT publié chaque année par l'AFT. En cas de non-respect de la charte des SVT, leur statut peut être suspendu, ce qui a été le cas pour Morgan Stanley pendant trois mois. À cette suspension s'ajoute également une sanction réputationnelle pour les SVT qui ne respecteraient pas les règles déontologiques qui leur sont applicables.
Par ailleurs, si les SVT se plaignent souvent des coûts que représente pour eux cette activité et en particulier les adjudications, ce statut ne va pas sans bénéfices. Ils peuvent par exemple être choisis par d'autres émetteurs pour les accompagner dans leurs propres opérations. En France, les agences publiques ou les banques publiques de développement procèdent ainsi par syndication, à l'instar de la SFIL, filiale de la Caisse des dépôts, dont j'ai entendu le directeur dans le cadre de ce contrôle.
M. Philippe Dominati. - Une dernière question : avez-vous constaté un effet du Brexit sur la gestion de la dette ?
M. Jérôme Bascher, rapporteur spécial. - Non, nous n'avons pas constaté d'effets.
La commission autorise la publication de la communication de M. Jérôme Bascher, rapporteur spécial, sous la forme d'un rapport d'information.
« Finance durable » - Audition de M. Thierry Déau, président de Finance for Tomorrow, Mme Anuschka Hilke, directrice du programme « institutions financières » de l'Institute for climate economics (I4CE), M. Anthony Requin, directeur général de l'Agence France Trésor, et Mme Laurence Scialom, professeure d'économie de l'université Paris Nanterre
M. Claude Raynal, président. - S'il fallait trouver un mérite à la crise sanitaire que nous traversons depuis maintenant plus d'un an, ce serait sans doute de nous faire prendre conscience de la grande fragilité de nos systèmes économiques et sociaux. De ce point de vue, alors que 2020 aura été l'année la plus chaude enregistrée depuis les premiers relevés en 1850, la crise écologique représente une menace plus grande encore, qui nous impose de transformer en profondeur nos modes de production et de vie.
Le secteur financier constitue naturellement un élément décisif des mutations à venir, compte tenu du rôle majeur qu'il joue pour orienter les financements. Pour ne donner qu'un chiffre, la Commission européenne estime que 260 milliards d'investissements « verts » supplémentaires sont nécessaires chaque année pour que l'Union européenne atteigne ses objectifs climatiques en 2030.
Dans ce contexte, la France a jusqu'à présent joué un rôle moteur en matière de finance durable. Le 24 janvier 2017, notre pays a ainsi été le premier État souverain au monde à émettre, pour une taille significative, des obligations vertes, conformément à l'engagement pris par le Président François Hollande en avril 2016 lors de la quatrième conférence environnementale. En cumulant les flux publics et privés, la France s'est classée en 2020 à la troisième place mondiale des plus grands émetteurs d'obligations vertes, derrière les États-Unis et l'Allemagne.
Notre commission avait d'ailleurs consacré dès le mois de février 2018, il y a maintenant un peu plus de trois ans, une audition commune sur la politique d'émission de dette par l'État et le développement du marché des obligations vertes. Il est désormais temps de faire le point sur l'avancée de ce sujet et de mesurer la réalité des engagements pris.
Dans un secteur aussi internationalisé, l'enjeu se situe également et logiquement à l'échelle européenne, avec la mise en place du plan d'action de l'Union européenne pour la finance durable annoncé en 2018 et les réflexions engagées par la Banque centrale européenne pour « verdir » sa politique monétaire.
Afin d'aborder ces sujets, nous avons le plaisir d'accueillir ce matin quatre intervenants, que je remercie pour leur participation : M. Thierry Déau, président de Finance for Tomorrow ; Mme Anuschka Hilke, directrice du programme « institutions financières » de l'Institute for climate economics (I4CE) ; M. Anthony Requin, directeur général de l'Agence France Trésor, qui était déjà présent lors de la table ronde en 2018 ; Mme Laurence Scialom, professeure d'économie de l'Université Paris Nanterre.
Sans plus tarder, je cède la parole à Anthony Requin, pour un bref propos liminaire sur la place grandissante prise par les obligations vertes dans la politique d'émission des États.
M. Anthony Requin, directeur général de l'Agence France Trésor. - Je vais vous présenter quelques diapositives pour introduire ce débat, en abordant le développement du marché des obligations vertes, au travers de notre expérience d'émetteur. Le marché des obligations vertes était initialement un marché de niche, défriché par quelques émetteurs supranationaux. Je rappellerais le rôle moteur joué par la Banque européenne d'investissement en 2006 et par la Banque mondiale en 2009. Les grandes entreprises du secteur de l'énergie et quelques collectivités locales ont pris le relais de ces institutions supranationales. Les États n'arrivent donc que tardivement sur ce marché. Il faut donc reconnaitre qu'il s'agit d'un marché de niche, avec une audience assez confidentielle. Au regard de l'ensemble des flux obligataires actuels, on estime que l'encours des obligations vertes, sociales et durables est à peu près de 1 000 milliards de dollars à la fin de l'année 2020, soit 0,86 % du total de l'encours du marché obligataire. Même avec le développement que nous avons connu ces dernières années, en termes de stock, l'encours des OAT vertes reste faible. Mais en 2016, l'encours n'était que de 100 milliards de dollars : le marché a donc été multiplié par 10 en termes d'encours en quelques années.
Comme vous l'avez rappelé, il y a eu un changement d'échelle en 2017 avec l'émission par la France d'une OAT souveraine qui a eu deux conséquences : d'abord, celle de consolider la place de premier plan de la France sur ce marché. Nous avons un écosystème remarquable, constitué d'agences et d'établissements publics, de grandes entreprises qui ont très tôt saisi le potentiel de ce marché, des banques qui ont des capacités de placement, et des agences de notation. Avec cette première émission, l'État a consolidé cet écosystème. En deuxième lieu, cette émission a eu un effet d'entraînement sur d'autres émetteurs européens.
La deuxième diapositive montre, à partir des données du Climate Bonds Initiative, que la France occupe ces dernières années une troisième place dans les flux d'émissions d'OAT vertes dans le monde, souvent aux côtés des États-Unis et de la Chine. L'Allemagne est arrivée en troisième position en 2020 : nouvel émetteur souverain en 2020 sur ce marché, l'Allemagne est en effet remontée dans le classement. Vous avez rappelé que c'est à l'issue de la COP 2021, en 2016, que la France a décidé de démontrer la maturité des marchés financiers pour accompagner la transition énergétique dans laquelle doivent s'engager les États signataires et de montrer l'exemple en étant le premier État souverain à émettre une obligation verte pour une taille de référence : c'est l'OAT 2039 émise en janvier 2017, pour 7 milliards d'euros. La troisième diapositive montre le changement d'échelle du marché français à compter de 2017 : le marché triple en l'espace d'une année et les OAT vertes ont représenté près de 50 % des émissions totales en 2017 et 2018, puis le marché poursuit sa lancée en 2019 et en 2020. Les émissions de l'État ont donc joué un rôle de premier plan dans la dynamique de ce marché.
La quatrième diapositive illustre le rôle pionnier de la France parmi les émetteurs souverains européens. Après avoir fait la preuve de la viabilité de ce marché, à travers une structuration adéquate qui n'a pas mis à bas les principes d'efficience qui guident les agences d'émission, d'autres pays emboîtent le pas de la France : dans l'ordre, il s'agit de la Belgique, de l'Irlande, des Pays-Bas, de l'Allemagne, et plus récemment de l'Italie. L'Espagne et le Royaume-Uni sont attendus pour cette année. Comme le montre le graphique, un mois sépare les opérations de la Pologne et de la France : la Pologne a effectué en décembre 2016 une opération de 750 millions d'euros d'émission à 5 ans. L'émission française, c'est 7 milliards d'euros, pour un titre à 22 ans de maturité. En termes de risque absorbé par le marché, nous sommes donc sur un facteur de 1 à 40 entre la Pologne et la France. Le changement d'échelle s'est véritablement produit avec l'émission française. Nous pouvons revendiquer d'avoir changé les dynamiques dans ce marché.
Les diapositives suivantes rappellent ce que sont les OAT vertes : il s'agit d'une obligation dont le produit de l'émission sert à financer les dépenses budgétaires qualifiées de « vertes ». La cinquième diapositive illustre les types de dépenses qui ont été financées sur la période de 2017 à 2020 en cumulé. Par souci de simplicité et d'illustration, nous avons sélectionné les 8 principales, d'un montant cumulé supérieur au milliard d'euros et couvrant 80 % du global, mais au total nous avons 32 lignes budgétaires concernées, relevant de 13 programmes budgétaires, auxquels il faut ajouter les 3 programmes d'investissements d'avenir. Si vous souhaitez des informations exhaustives à ce sujet, je vous renvoie au rapport annuel d'allocation des fonds de l'OAT verte, publié sur le site internet de l'Agence France Trésor. Ces dépenses vertes sont sélectionnées après un processus interministériel rigoureux. Elles doivent répondre à un cahier des charges précis, et doivent contribuer à l'atteinte d'objectifs environnementaux rappelés dans la sixième diapositive. Les quatre objectifs environnementaux sont l'atténuation du changement climatique, la protection de la biodiversité, la réduction de la pollution et l'adaptation au changement climatique. Ces dépenses interviennent dans six différents secteurs : le bâtiment, le transport, l'énergie, les ressources vivantes, l'adaptation et la pollution et l'éco-efficacité. Ces dépenses doivent faire l'objet d'un rapportage annuel quant à l'allocation des fonds, et de rapport d'impacts environnementaux dans la mesure du possible. C'est ce à quoi la France s'est attelée avec la constitution du conseil d'évaluation de l'OAT verte. La septième diapositive montre sur la gauche quelques exemples de rapports et d'études ayant été menés par le conseil. Je voudrais insister sur le rôle essentiel de ce conseil d'un point de vue institutionnel car il est garant de la qualité de notre démarche. Il est composé de neuf personnalités qualifiées, ayant une expérience internationale, spécialisées dans le champ de l'environnement, de la finance verte ou dans l'évaluation des politiques publiques : de grandes institutions sont représentées comme l'OCDE, la Banque mondiale, le Programme des Nations Unies pour l'environnement. Ce conseil est présidé par un ancien ministre de l'environnement du Pérou, qui avait présidé la COP 20.
Une dernière observation importante : rien de tout cela ne se fait en contradiction avec les principes budgétaires, notamment la règle de l'universalité, qui interdit l'utilisation d'une recette déterminée pour le financement d'une dépense déterminée. Il n'y a pas d'affectation prédéterminée, pas de compte ségrégé. Le produit des émissions d'OAT vertes est géré comme les autres produits d'émissions obligataires et les autres ressources au sein du compte unique du Trésor.
Cependant, nous sommes engagés à tenir un reporting auprès des investisseurs sur les montants qui sont effectivement décaissés sur les programmes budgétaires pré-identifiés, en assurant que chaque année, nous n'émettions pas plus d'OAT vertes que nous décaissions envers ces programmes : il s'agit de l'équivalence notionnelle, vérifiée par un auditeur externe qui certifie l'intégrité de notre approche.
Après quatre années d'expérience, le modèle d'émission conçu par la France connait un succès à trois titres. D'abord, l'émission d'OAT vertes s'est faite sans surcoût pour le contribuable, ce qui est la mission première de l'AFT - financer l'État dans les meilleures conditions de coût et de sécurité - car nous avons été en mesure d'entretenir la liquidité de notre souche d'OAT selon les mêmes principes que nous utilisons pour les émissions de nos OAT conventionnelles, en étant à l'écoute du marché et en apportant aux investisseurs le produit qu'ils recherchent au moment où il le souhaitent. Avec le temps, nous avons progressivement augmenté notre encours d'OAT vertes : la neuvième diapositive montre que l'encours atteint un niveau équivalent à celui des autres OAT, ce qui assure un niveau de liquidité équivalent. Nos émissions se sont réalisées avec un coût sans doute un peu moindre pour l'OAT verte que pour les autres OAT : le contribuable en a donc bénéficié. Nous tirons parti d'un déséquilibre persistant dans ce marché entre la demande de titres verts qui vient de la communauté des investisseurs et l'offre de titres, en dépit de la multiplication du nombre d'émetteurs, notamment souverains. L'encours atteint par l'OAT verte est actuellement de 30 milliards d'euros, ce qui nous a conduits en mars dernier à émettre une nouvelle souche, l'OAT 2044, dans d'excellentes conditions de demande et de taux d'intérêt : 0,526 % à l'émission. Pour la première fois à l'occasion d'une opération syndiquée, le fameux greenium s'est matérialisé : il s'agit de la prime à l'émission d'une OAT verte. On estime que cette OAT a été émise avec 1 point de base sous sa valeur théorique. Le greenium, par référence à l'OAT 2039 et aux conditions qui prévalaient sur le marché secondaire au moment où a été émise l'OAT 2044, peut être estimé entre 2 et 3 points de base. À l'occasion de cette opération, nous avons en quelque sorte partagé le greenium entre l'émetteur et les investisseurs. C'est donc la preuve que le marché gagne en maturité, ce premium permettant de couvrir sans difficulté les charges administratives spécifiques aux OAT vertes et la gouvernance associée à ce titre obligataire.
J'en viens au deuxième succès : l'OAT verte s'est installée comme un produit d'émission régulier de l'AFT, aux côtés des OAT conventionnelles, des titres indexés sur l'inflation, et des titres de court terme. Nous avons à peu près 5 % des programmes d'émissions sous forme d'OAT vertes contre 10 % de programmes d'émissions réalisé sous la forme de titre indexés sur l'inflation française et européenne. Nous nous adaptons en fonction de l'intensité de la demande.
Enfin, le troisième succès : beaucoup d'autres États nous ont emboité le pas, selon une structuration voisine de la nôtre, y compris des émetteurs souverains qui au départ étaient très sceptiques après notre opération en 2017. On assiste donc à des conversions bienvenues. L'arrivée de ces nouveaux émetteurs n'a pas détérioré nos conditions préférentielles d'émissions. Nous avons contribué à renforcer cette classe d'actifs, avec un cercle vertueux où l'offre génère un supplément de demande. J'ai l'intime conviction que l'émergence d'actifs souverains verts permet le développement croissant d'une gestion d'actifs purement verte, qui devrait permettre le financement d'investissements de la part d'entreprises ou de pays émergents par exemple, qui n'auraient pas pu voir le jour sans la structuration progressive du marché.
En conclusion, je voudrais évoquer les défis à venir. Ce n'est pas l'émission d'un nouveau titre vert, puisque ce défi a déjà été relevé avec succès. À court terme, le défi est de voir dans quelle mesure l'équilibre de marché actuel sera modifié ou pas par l'arrivée de la Commission européenne en tant qu'émetteur. La Commission européenne a en effet un programme d'émission de titres verts considérable, de 250 milliards d'euros potentiellement au cours des prochaines années, ce qui en fera rapidement le premier émetteur d'obligations vertes au monde. Le deuxième défi est la question de l'alignement de notre cadre d'émissions avec la taxonomie européenne en cours d'élaboration, qui n'est pas encore complète. Il s'agira de nous assurer que ce que nous faisons et les dépenses que nous finançons sont bien alignés avec cette taxonomie. Je vous remercie.
M. Claude Raynal, président. - Je vous remercie. Je cède maintenant la parole à M. Thierry Déau, qui reviendra sans doute sur l'engagement de la place de Paris en faveur de la finance durable et les évolutions en cours à l'échelle européenne.
M. Thierry Déau, président de Finance for Tomorrow. - Je vous remercie pour cette invitation. Finance for Tomorrow constitue la branche de Paris Europlace qui s'occupe de la finance durable. Nous représentons quatre-vingt institutions - des émetteurs aux entreprises en passant par les institutions financières - et les pouvoirs publics sont représentés au sein de notre gouvernance. C'est un lieu de dialogue et de coopération du marché et des pouvoirs publics, avec un objectif de transformation des pratiques du secteur de la finance pour atteindre nos objectifs de développement durable. Nous cherchons par ailleurs à faire de la place de Paris un centre financier de référence en la matière, dans une logique d'attractivité.
Dans le contexte de la pandémie et de la crise économique que nous connaissons, les enjeux de la finance durable consistent à mettre en place les moyens de notre résilience économique sur le long terme.
La finance durable, c'est d'abord un plan d'investissement public et privé à l'échelle mondiale pour permettre une transition juste - car il ne faut pas oublier les aspects sociaux de l'Accord de Paris. Pour donner quelques chiffres, l'Organisation des Nations Unies estime à 5 000 milliards de dollars les besoins d'investissement annuels à l'échelle mondiale pour respecter nos objectifs de développement durable. Au niveau européen, le Green Deal cherche à déployer plus de 1 000 milliards d'euros d'investissements publics et privés. En France, l'institut I4CE estime entre 13 et 17 milliards d'euros le déficit d'investissement annuel pour respecter la stratégie nationale bas carbone. Il s'agit donc bien de transformer les pratiques de la finance pour flécher les capitaux vers ces usages.
Dans cette perspective, permettez-moi de commencer par rappeler le rôle déterminant de la réglementation. La France est assez avant-gardiste sur ce sujet, avec par exemple l'obligation de proposer des produits labellisés dans les assurances vie. Néanmoins, les autres acteurs mondiaux se mobilisent fortement. La Commission européenne a avancé son plan d'action sur la finance durable, avec de premiers règlements qui ciblent la transparence des acteurs en matière de durabilité sur le plan climatique et social. Tout cela est assez positif mais pour garder le leadership par rapport aux États-Unis, il nous paraît nécessaire d'accélérer la coopération entre le public et le privé et de créer des incitations efficaces, en allant au-delà de l'approche par les risques. Il y a deux sujets majeurs de ce point de vue. D'abord, le prix du carbone à long terme, qui joue un rôle de signal essentiel. Ensuite, il faut aligner les priorités en matière d'investissements et de subventions publics sur les objectifs de l'Accord de Paris.
Le deuxième enjeu est celui de la donnée extra-financière. Il y a là un véritable sujet de souveraineté pour la France et l'Europe. Il est indispensable de pouvoir comparer les données afin de les rendre plus lisibles. Elles doivent être accessibles à un coût raisonnable. Il faut également en protéger l'hébergement et l'utilisation, afin de rester un marché compétitif. La mise en place de bases de données publiques s'organise à l'échelle européenne. Pour donner un exemple de ce qui se fait, nous avons mis en place un observatoire de la finance durable, avec comme première thématique la sortie du charbon. Il permet de présenter de façon claire les engagements des acteurs et de proposer des données sectorielles comparables pour mesurer les progrès et les avancées.
Mon dernier point concerne la finance à impact. Il faut passer de la responsabilité à l'impact, qui cherche à créer des effets positifs dans l'économie réelle et la société. La finance dite « à impact » reste un marché de niche, centré autour de l'économie sociale et solidaire. Elle doit permettre de transformer la finance dans son ensemble. Pour répondre aux aspirations des citoyens, il faut du concret. L'objectif, c'est la transition juste. Dans ce cadre, nous avons lancé la construction de la « maison de l'impact » au sein de la place de Paris, en collaboration avec Olivia Grégoire, secrétaire d'État chargée de l'économie sociale, solidaire et responsable. L'ambition est de fédérer tous les acteurs de la place autour de cet enjeu et de porter cette voix singulière à l'échelle européenne et internationale. Plusieurs groupes de travail ont été mis en place pour s'entendre sur les définitions, la méthodologie et produire des recommandations visant à développer l'activité.
Mme Anuschka Hilke, directrice du programme « institutions financières » de l'Institute for climate economics (I4CE). - Je suis ravie d'être parmi vous. Je représente l'Institut de l'économie pour le climat, que vous connaissez peut être en raison de ses travaux relatifs à la construction d'un budget vert. Notre institut est un « think tank » qui mène des réflexions sur la façon de mettre l'économie au service du climat, ainsi que sur l'intégration des questions climatiques dans l'activité des institutions financières, et également dans le cadre fixé par la réglementation financière.
Les interventions précédentes ont souligné des expériences intéressantes, telles que les émissions d'obligations vertes souveraines, mais ces sujets restent des sujets de niches. Or, cette approche n'est pas suffisante face aux grands défis posés par le changement climatique. Comment pouvons-nous élargir le champ de cette analyse ? À mon sens, le budget vert peut fournir un exemple pour transformer l'ensemble du secteur financier face aux défis du changement climatique. Dans cette perspective, il ne suffit pas de regarder uniquement les activités dites « vertes », mais l'ensemble des activités du secteur financier, les catégoriser et les rendre compatibles avec les défis auxquels nous faisons face. Cette approche est valable pour le climat, mais elle peut être étendue aux défis plus globaux du développement durable. En somme, la question climatique ne représente qu'une partie de la problématique qui nous occupe.
Un rapport récent de notre institut, publié par Julie Evain et Michel Cardona, a analysé en détails les principaux obstacles au financement de la transition énergétique et les marges de manoeuvre de la réglementation financière afin de donner au secteur financier des incitations nécessaires pour l'aider à se transformer. En effet, ce secteur d'activité comprend des mécanismes désincitatifs, en particulier en matière de gestion des risques, qui visent à répliquer l'économie actuelle plutôt qu'à la transformer. Le rapport rappelle que les enjeux varient selon les entreprises, leur positionnement sur la question de la transition énergétique, leur taille, le secteur d'activité et la localisation. S'il n'y a pas de solution miracle, trois grands leviers d'actions peuvent être évoqués. Premièrement, la compréhension du financement de la transition énergétique avec les acteurs financiers reste limitée. L'expertise en la matière n'est pas assez généralisée. Deuxièmement, l'investissement dans une perspective de long terme doit être davantage encouragé. Enfin, il faut inciter les acteurs financiers à s'intéresser à des projets qui ne sont pas considérés comme étant suffisamment rentables. Le rapport comprend une liste de recommandations des approches qu'on pourrait mettre en oeuvre pour que la France se positionne comme pionnière en la matière.
Certes, sur certains sujets, la France ne peut pas agir seule car ils relèvent des compétences de l'Union européenne. En revanche, il est possible de progresser seuls sur la question de la formation des acteurs financiers. Plusieurs initiatives ont été mises en place, notamment le programme « finance climat », mis en oeuvre par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), et financé par la Commission européenne.
Sur la question du court-termisme des acteurs financiers, au détriment des investissements de long-terme, les travaux menés suggèrent que la politique de rémunération pourrait être un levier d'action pour modifier ce biais.
La question de la mobilisation de l'épargne des particuliers, sujet qui intéresse votre commission, est également importante. Au-delà des solutions de facilité, telles que la labellisation de fonds, la question est celle de la prise de risque : est-ce à l'épargnant de l'assumer ? Selon moi, ce n'est pas à lui de prendre ce risque, car la transition énergétique est nécessairement risquée par nature. À l'échelle de chaque épargnant, ce risque serait très élevé. Le rôle de l'État doit être interrogé pour répartir équitablement cette prise de risque entre l'ensemble des acteurs.
Mme Laurence Scialom, professeure d'économie de l'Université Paris Nanterre. - Nous ne parviendrons pas à revenir à une trajectoire de réchauffement climatique liée à 2 degrés sans une transformation profonde de la finance. Il ne faut pas seulement investir dans l'économie verte, mais aussi et surtout désinvestir de l'économie brune et carbonée. Or la finance climatique n'est pas actuellement alignée sur une trajectoire 2 degrés et une politique de simple amélioration n'est pas raisonnable. Il faudra un engagement volontariste des États et des banques centrales, qui peuvent contribuer à la réallocation de flux financiers.
En premier lieu, la finance est incapable à elle seule d'aligner les flux financiers sur une trajectoire soutenable. La plupart des efforts ont porté jusqu'à présent sur l'amélioration de l'information relative à l'exposition des entreprises aux secteurs carbonés ou peu soutenables. Il faut certes réunir des informations pour mesurer les risques financiers d'origine climatique et la taxonomie verte d'origine européenne est une avancée, mais ce n'est pas suffisant. En effet, l'allocation des flux, en finance, se fait en fonction du rendement et du risque anticipés, mais seul le rendement du point de vue de l'investisseur est pris en compte : la réduction des émissions de gaz à effet de serre, qui bénéficie à tous, n'est pas tarifée par le marché. À l'inverse, les investissements dans l'économie brune nuisent à tous sans que cela pèse sur la rentabilité financière. Ainsi les plus grandes banques mondiales ont-elles, depuis les accords de Paris, accordé près de 4 000 milliards de dollars à l'industrie fossile, dont près de 300 milliards de dollars pour les banques françaises. Cette défaillance du marché justifie une intervention publique.
En outre, les risques financiers d'origine climatique sont sous-estimés parce qu'ils sont nouveaux, les modèles existants étant basés sur les risques passés, et ils ne sont pas véritablement quantifiables, ce qui constitue une entrave à l'action.
La finance durable doit porter surtout sur le désinvestissement dans les secteurs les plus nocifs, comme l'a recommandé hier un rapport de l'Agence internationale de l'énergie. Les investissements publics doivent donc être massifs et, afin d'entraîner la finance privée, des règlementations doivent pénaliser l'investissement dans l'économie brune.
Il faut, en application du principe de double matérialité, qui est désormais reconnu dans la législation européenne, reconnaître les conséquences du réchauffement climatique sur la finance mais aussi, à l'inverse, celles des choix économiques et financiers sur l'aggravation du réchauffement climatique. Contrairement aux intermédiaires financiers, les banques centrales peuvent prendre en compte ce principe parce qu'elles n'ont pas d'objectif de maximisation des profits et qu'elles représentent les intérêts de la communauté. De même que, en situation de crise financière, les banques centrales agissent en prêteurs de dernier ressort lorsque les acteurs privés ne le font pas, il faut reconnaître une urgence à agir pour la lutte contre le réchauffement climatique, dont on ne se relève pas comme d'une crise financière : les banques centrales devraient donc, du fait de leur position hiérarchiquement supérieure, intégrer dans leur doctrine le principe de double matérialité, en dépit de la difficulté à tarifer les risques climatiques. Le prix de l'inaction, lui, est connu : elle entraînerait des catastrophes climatiques irréversibles. Les travaux du GIEC l'ont montré, certaines régions pourraient devenir invivables d'ici à la fin du siècle. Les banques centrales ont donc un rôle majeur à jouer, selon des critères différents de leurs actions habituelles.
M. Claude Raynal, président. - La Banque centrale européenne est engagée dans cette réflexion et nous aurons des résultats d'ici quelques mois. Il faudra prendre en compte la transition vers un nouveau système et les financiers doivent concilier ces impératifs avec leurs missions, y compris pour le financement des systèmes sociaux.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - S'agissant des épargnants et du label « Investissement socialement responsable » (ISR), je suis préoccupé par les conclusions sévères de l'Inspection générale des finances, qui l'estime condamné à une perte inéluctable de crédibilité et de pertinence parce que ses exigences de sélectivité ne sauraient garantir la responsabilité ou la durabilité des investissements. Comment corriger ces défauts afin que les promesses faites aux épargnants soient respectées ?
La loi « Pacte » a imposé aux assureurs-vie de proposer au moins une unité de compte ayant obtenu un label reconnu par l'État dans l'un des trois domaines d'investissement suivants : responsable, vert ou solidaire, puis dans chaque de ces trois domaines à partir du 1er janvier 2022. Quel est l'état du marché aujourd'hui ?
Enfin, dans une note publiée en mai 2019, l'Institute for Climate Economics (I4CE) s'interrogeait sur la compatibilité de la réglementation financière française avec les accords de Paris. Les récentes évolutions législatives et réglementaires vous paraissent-elles aller dans le sens d'une mobilisation des nouveaux flux financiers en direction des actifs de transition ? Comment les acteurs financiers peuvent-ils mieux tenir compte des risques financiers que fait peser le changement climatique sur l'économie ? Qu'en est-il pour les acteurs de la supervision ?
Les modalités de la transition seront essentielles : pensons à l'écotaxe qui a débouché sur le mouvement des bonnets rouges, et à la trajectoire de la taxe carbone qui s'est heurtée à celui des gilets jaunes.
M. Claude Raynal, président. - S'il y a eu un glissement dans les interventions et les propositions, le débat reste le même, sous un angle différent : il faudrait pricer les risques, en donnant par un exemple un prix au carbone pour rééquilibrer les choses.
M. Jérôme Bascher. - Sur les marchés financiers, on a besoin d'un actif de référence. Est-ce que les obligations vertes de l'État jouent aujourd'hui ce rôle pour pricer le reste des actifs ? Est-ce que leur volume est suffisant pour assurer cette fonction ?
Thierry Déau nous a rappelé que la finance durable, ce n'est pas seulement le verdissement de l'économie. Existe-t-il d'autres mécanismes, d'autres produits qui donneraient une vision plus complète, en couvrant à la fois la partie verte et la partie sociale ? Quelles sont les innovations envisagées dans ce domaine ?
Sur les marchés « classiques », l'Autorité des marchés financiers (AMF) et l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (APCR) sont là pour vérifier que les choses se passent bien. En matière de finance durable, qui doit contrôler, qui doit poser les normes et comment ?
M. Thierry Cozic. - Récemment, OFI Asset Management, un gestionnaire d'actifs engagé dans la finance responsable, s'est publiquement déclaré contre la stratégie climat de Total, en se disant particulièrement inquiet de noter les projections à la hausse du groupe dans le secteur gazier. Le 28 mai prochain, Total présentera en effet pour la première fois une résolution sur le climat à ses actionnaires. Une partie de ces derniers s'élèverait contre cette stratégie, qu'ils ne trouveraient pas suffisamment ambitieuse puisqu'elle laisse une part prépondérante aux énergies fossiles, gaz et pétrole. Il y a eu un embryon de réponse par le marché financier, à travers la réaction publique d'OFI Asset Management, mais c'est une démarche assez solitaire.
Pour ma part, il me semble que le marché ne peut pas tout. En matière de biodiversité, l'idéologie de marché croit résoudre le problème en donnant un prix à la nature, pour la préserver. Seulement, ce n'est pas en affectant un prix à des biens non marchands qu'on pourra lutter contre les effets destructeurs de l'exploitation d'un site de gisement, comme on le voit avec la destruction des forêts primaires au Canada ou au Brésil par exemple.
Par ailleurs, la mise en place des marchés de compensation (offset markets), comme cela existe aux États-Unis, est prévue par la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages d'août 2016 et le plan biodiversité de 2018. Avec ce dispositif, il est donné la possibilité de détruire la biodiversité par des opérations d'aménagement à condition de la compenser par la création de zones nouvelles où la biodiversité sera préservée, donnant lieu à des droits pouvant être achetés et revendus sur un marché de compensation. Alors même que nous faisons face à des menaces sérieuses en matière d'environnement, nous nous contentons d'implorer le marché. Pensez-vous que la finance telle qu'elle existe aujourd'hui peut venir palier les troubles qu'elle contribue à créer ?
Ma deuxième question porte sur la distribution des dividendes. En pleine pandémie, les groupes du CAC 40, tout en bénéficiant d'aides publiques massives, s'apprêtent à verser plus de 51 milliards d'euros à leurs actionnaires, soit une hausse de 22% par rapport à l'année précédente et alors même que le résultat net du CAC s'est effondré de plus de 55 %. Globalement, le CAC 40 a réalisé des bénéfices cumulés de 37 milliards d'euros en 2020. Rapportés aux dividendes versés, cela signifie que les grands groupes ont versé à leurs actionnaires l'équivalent de 140 % de leurs profits annuels. Autrement dit, ils auraient versé 100 % de leur profit aux actionnaires et puisé dans leur trésorerie pour verser le reste. Les prêts garantis par l'État ont de manière détournée servi à financer une partie de ces dividendes. Un récent sondage montrait que 85 % des personnes interrogées souhaitaient taxer davantage les actionnaires les plus fortunés. Pensez-vous qu'une taxe sur les transactions financières pourrait être une solution pour financer la transition écologique de manière plus juste et équitable ?
M. Hervé Maurey. - La Commission européenne a publié sa taxonomie sur la finance verte afin d'identifier les secteurs les plus vertueux en matière de développement durable. Certains pensent qu'il faudrait la compléter d'une taxonomie brune qui identifierait les activités nuisibles à l'environnement, sachant que certains économistes considèrent dans le même temps qu'une telle taxonomie pourrait déstabiliser l'économie dans son ensemble.
Par ailleurs, si l'AMF et l'ACPR ont mis en place des travaux de suivi des engagements pris par les acteurs financiers en matière de climat, elles soulignent la difficulté à mesurer l'impact et l'utilité réelle de ces investissements. Quelles sont les pistes d'amélioration en la matière pour s'assurer de la réalité et de l'efficacité de ces investissements durables ?
M. Jean-Marie Mizzon. - Laurence Scialom a évoqué la nécessité d'accompagner le verdissement de l'économie et, à l'inverse, de pénaliser tout ce qui n'y contribue pas. Dans quelle catégorie placez-vous l'énergie nucléaire ? Est-elle décarbonée ou est-ce une énergie d'un autre temps ?
M. Jean-Michel Arnaud. - Thierry Déau a évoqué les travaux menés avec Olivia Grégoire, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargée de l'économie sociale, solidaire et responsable. Quelles sont vos réflexions et les pistes envisagées pour réorienter une partie des moyens financiers disponibles pour les grands marchés vers l'économie de proximité non délocalisable et solidaire ? Quels instruments mettre en oeuvre pour financer cette forme d'économie dans nos territoires ?
M. Claude Raynal, président. - La finance durable et, plus généralement, le verdissement de l'économie et la transition écologique, font partie de ces sujets qui n'ont de sens qu'au niveau mondial. Sans réponse globale, on ne voit pas réellement comment on peut résoudre les problèmes auxquels nous faisons face, même s'il faut bien commencer par pousser des initiatives au niveau national avant qu'elles ne soient reprises au niveau international. Concernant la finance, cela se double d'une autre difficulté : une compétition exacerbée, à la « microseconde ». On est dans un système de compétition entre financiers qui se gère par des systèmes automatiques d'achat et de revente sur des temps extrêmement brefs et sans vision « humaine ». Comment peut-on arriver, dans ce contexte, à intégrer, autrement que par une vision globalisée en termes de normes et en termes de règles, une vision européenne ou française ? Est-ce que cela a du sens ?
Mme Laurence Scialom. - Sur le nucléaire, c'est une énergie de transition, dont nous allons encore avoir besoin pour assurer une transition vers les renouvelables, jusqu'à ce que nous disposions de capacités de stockage suffisantes pour éviter l'intermittence.
Il a été plusieurs fois question de la manière dont on pouvait financer l'économie sociale et solidaire et disposer de critères qui ne sont pas uniquement climatiques, mais également sociaux. Pour ma part, je milite beaucoup pour deux choses. La première, ce sont des circuits courts de la finance : on pourrait imaginer de nouveaux produits à l'échelle locale. Les épargnants locaux sauraient alors que l'argent qu'ils épargnent ne sert qu'à financer localement une entreprise de proximité, d'agriculture biologique, de rénovation thermique, etc. Le Crédit Coopératif a de lui-même mis en place ce type de produits mais on pourrait très bien imaginer des règlementations pour stimuler l'émergence de ces produits et les circuits courts. La transition écologique se fait en effet à tous les niveaux. Il y a les gros acteurs, comme les banques centrales, les banques publiques d'investissement ou la Banque européenne d'investissement qui peuvent agir, donner une impulsion, mais c'est également au niveau des territoires que cela se joue. C'est bien à ce niveau qu'on observe une demande de plus en plus forte pour que l'épargne ait un sens, mais il n'y a pas d'offre en face.
Le deuxième élément que je défends, c'est de permettre la création et l'installation de banques éthiques et alternatives. Ces dernières sont fédérées au niveau mondial dans la Global Alliance for Banking on Values (GABV) et la plus grande d'entre elles est Triodos. Triodos n'a pourtant pas pu s'installer en France, à cause du lobbying des grandes banques. Les banques éthiques et alternatives, qui sont généralement des banques mutualistes et coopératives, rejettent l'hybridation avec le marché et sont gouvernées par le principe des trois P : profit - il faut d'abord faire des profits pour être capable d'assurer son rôle d'intermédiaire financier - planet et people - ce qui signifie qu'elles font leurs choix d'investissement à partir de l'avantage social que peuvent procurer ces investissements et qu'elles financent donc en priorité l'économie sociale et solidaire, la culture mais également tout ce qui relève de la transition écologique. Des études ont montré qu'elles sont plus profitables que nos grandes banques : elles dégagent une rentabilité supérieure alors même qu'elles ne sont pas systémiques et ne mettent donc pas en péril la stabilité financière. Leur petite taille leur permet d'assurer un circuit court de la finance. Pour autant, on est dans un cadre dans lequel les réglementations sont faites pour les grands acteurs et dans lequel la co-construction de ces règlementations empêche ces petits acteurs d'émerger. Si c'est plus facile dans certains pays, en France, il y a très clairement un lobbying intense qui empêche ces acteurs alternatifs d'émerger et de se développer.
Sur le trading algorithmique, je considère qu'il y a là un renoncement politique : cela devrait être interdit, et d'autant plus que cette interdiction est facile à mettre en oeuvre. Il suffit d'augmenter le « pas » en passant par exemple de la nanoseconde à la milliseconde.
La finance telle qu'elle fonctionne aujourrd'hui a des pratiques qui sont antinomiques avec la transition écologique, que ce soit le trading à haute fréquence ou la gestion passive. L'essentiel de la gestion d'actifs est de la gestion passive : pour limiter les coûts, on reproduit les indices, mais ces indices, c'est l'économie telle qu'elle est et non telle qu'elle devrait être. La gestion passive ne permet pas de réallouer les fonds, c'est bien au contraire une entrave à la réallocation des fonds. De la même manière, la Banque centrale européenne (BCE) dit qu'elle doit respecter la neutralité de marché dans ses interventions et ne pas distordre les prix relatifs, empêchant donc toute évolution. Il y a donc un problème de volontarisme dans la manière dont les choses sont faites.
Il me paraît évident qu'il nous faut nous doter d'une taxonomie brune, qui serait l'équivalent de la taxonomie verte. La France n'est pas très allante dans ce domaine mais le Network for Greening the Financial System (NGFS), qui regroupe des banques centrales et des superviseurs au niveau mondial, plaide en faveur de cette taxonomie. Si on veut améliorer la transparence de l'information et sa standardisation, il ne faut pas le faire que pour le vert, il faut également le faire pour les activités dans lesquelles on doit désinvestir.
L'activisme actionnarial est une piste de transformation et d'incitation des grands groupes à agir pour la transition écologique. L'activisme actionnarial avait jusqu'ici mauvaise presse, on considérait que son objectif était seulement d'augmenter la profitabilité des entreprises (le return on equity, ROE), avec l'adoption de résolutions qui ont conduit à des plans de licenciement. Cependant, on peut également avoir un activisme actionnarial climatique, des associations d'intérêt des investisseurs qui prendraient volontairement des parts substantielles dans certaines sociétés pour faire bouger les choses.
Pour ce qui est des leviers sur lesquels il faut agir - taxe
sur les transactions financières, réglementations et
régulations - l'urgence est telle qu'il faut agir sur tous les leviers,
qui sont complémentaires. Quand je parle d'urgence à agir, il
faut bien comprendre qu'on a entre 10 et 15 ans avant d'avoir
épuisé ce qu'on appelle « le budget
carbone », que l'on est tout à fait capable de mesurer. Le
budget carbone, c'est combien de gaz à effet de serre on peut encore
émettre pour rester sous la trajectoire des 2°C d'ici 2100.
Actuellement, si on brûle toutes les réserves fossiles qui sont
déjà valorisées au bilan des entreprises, on est sur une
trajectoire de 4°C à 6°C. Cela veut donc dire qu'il faut
complètement arrêter les nouvelles prospections. C'est bien pour
cette raison que l'on propose, avec Finance Watch et
Thierry
Philipponnat, son directeur, que toute nouvelle prospection soit
financée à 100 % par du capital et non par de la dette, puisque
c'est trop risqué, même dans une logique financière. Il ne
faut plus prospecter puisqu'il ne faut même plus brûler ce que l'on
a déjà valorisé si l'on veut que notre planète
demeure vivable pour les générations futures.
Mme Anuschka Hilke. - À travers son étude « Finance fit for Paris », I4CE avait fait un état des lieux de l'environnement réglementaire en France. La question est de savoir si la situation s'était améliorée depuis. Nous n'avons pas actualisé cet exercice. Nous pouvons néanmoins considérer qu'il y a probablement eu certaines avancées notables. On peut citer notamment le premier exercice pilote de stress test climat de l'autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR). Il y a eu des avancées mais nous sommes toujours loin d'avoir une vision globale. L'exercice pilote de stress test était très intéressant quand bien même il n'avait pas d'impact direct sur les besoins en capitaux des banques. C'était un véritable exercice pédagogique pour pousser les réflexions relatives au climat au-delà des seules directions consacrées à la responsabilité sociale des entreprises (RSE) ou à la communication.
Il faut désormais utiliser la réglementation prudentielle pour obliger les institutions financières à avoir des stratégies compatibles avec les objectifs climatiques. Il faut un objectif climat contraignant. Si une stratégie d'alignement avec les objectifs climatiques ne va pas régler la question des risques financiers à court terme, elle sera utile, à plus long terme, pour éviter d'accroître les risques futurs. La réglementation prudentielle bancaire pourrait donc être utilisée en ce sens plutôt que le second pilier.
Il y a beaucoup de réflexions autour du premier pilier. L'idée d'une taxonomie brune est notamment discutée dans ce cadre. Nous ne sommes pas très favorables à ce type d'instruments car il pourrait avoir des effets négatifs sur la résilience des institutions bancaires. Nous préférons réfléchir, dans le cadre du second pilier, à intégrer directement ces questions dans les systèmes de gestion du risque des institutions financières. Par ailleurs, si elle pourrait tout de même présenter quelques avantages, une taxonomie brune serait beaucoup plus difficile à négocier qu'une taxonomie verte car les intérêts sont forts et les ajustements nécessaires qui en résulteraient pourraient se révéler brutaux. Ce qui nous paraît plus important et plus facile à mettre en place, c'est une taxonomie de transition au niveau de l'entreprise et non pas au niveau de l'activité. Nous avons besoin de transformer l'entreprise dans sa globalité et pas seulement telle ou telle activité. Il est nécessaire que la stratégie de l'entreprise dans son ensemble soit réellement compatible avec les objectifs climatiques.
Je ne suis pas du tout convaincue que les produits d'épargne durables soient aujourd'hui suffisants. Il y a un déficit de lisibilité pour les épargnants qui ne comprennent pas les stratégies utilisées derrière ces produits. Par exemple ils ne comprennent pas pourquoi ces produits contribuent à financer l'entreprise Total alors que ce sont des instruments durables. Il est nécessaire de concevoir des produits plus lisibles pour les épargnants et potentiellement plus risqués. La question se pose alors de savoir qui assume ce surcoût de risque ? Une partie du risque devrait peut-être être assumée par l'État pour permettre de lever davantage de fonds pour de véritables produits de transition.
M. Thierry Déau. - Je ne suis pas un dogmatique sur ces sujets et je considère qu'il faut revenir à des cas concrets car la finance durable ne peut exister qu'à la condition que l'on ait une économie durable et des décisionnaires publics qui la conçoivent. Je ne crois pas à la main invisible de la finance. Elle ne peut pas faire les choses toutes seules.
Je vais prendre l'exemple du nucléaire. La fermeture de la centrale de Fessenheim a beaucoup mobilisé l'opinion mais il n'en va pas de même sur la fermeture des centrales à charbon. Pourtant le nucléaire n'émet pas de CO2, même s'il existe des externalités négatives en termes de déchets qu'il ne faut pas négliger. Il n'empêche que les décisions politiques depuis 15 ans s'acharnent davantage à fermer les centrales nucléaires que les centrales à charbon qui sont pourtant fortement émettrices de gaz à effet de serre.
La finance durable ne va pas remplacer la décision et les politiques publiques. On peut parler de désinvestissement dans les énergies qui contribuent aux émissions de gaz à effets de serre mais ça ne règle pas le problème si les États ne prennent pas la décision de fermer les centrales. Dans ce cas, désinvestir cela signifie qu'un financier rapace prendra le relais en anticipant des gains financiers. L'action publique est essentielle pour guider, non seulement la finance, mais plus largement l'économie et l'ensemble des acteurs économiques sur ces sujets.
Un autre exemple intéressant est celui des transports. Combien de collectivités locales ont pris des décisions fermes de renouvellement de leurs flottes de bus diesel, même Euro 6, par des motorisations électriques, hydrogène ou autres solutions alternatives ? Est-ce qu'une décision politique centrale, comme en Californie, doit l'imposer ? Les Californiens ont décidé qu'en 2030, leurs transports afficheraient des émissions nettes nulles. Sans une telle décision, la finance ne peut pas, d'elle-même, faire bouger les choses. La question n'est pas est-ce que l'on peut faire évoluer la finance ? Il faut que la finance soit toujours en lien avec l'activité économique réelle et les objectifs de développement durable clairs et précis traduits par les États dans leur action et leurs décisions politiques. Il ne peut en être autrement.
Tous les systèmes de contrôle ont bien évolué et les régulateurs y travaillent activement. Le contrôle prudentiel est nécessaire car il y a un élément de risque évident. Je pense que les efforts de la commission européenne et de la Banque de France sont énormes et vont finir par aboutir. Les exigences de transparence obligent à mieux quantifier le risque et, in fine, elles conduisent à pénaliser, dans une logique prudentielle, ceux qui détiennent les actifs à terme.
Les obligations sociales à impact existent déjà. Nous finançons des hôpitaux en Turquie avec des obligations à la fois sociales et vertes. Nous essayons d'identifier les bonnes pratiques économiques vertueuses car c'est bien la base. Pour avoir un hôpital « vert » il faut construire un bâtiment zéro émissions nettes avec des exigences d'accessibilité. C'est d'abord l'acteur économique qui doit être responsable. La finance doit l'inciter en lui proposant des solutions pour faciliter sa transformation. Prenons l'exemple du tanneur qui fournit les sacs d'Hermès. Si ses effluents ne sont pas contrôlés par une réglementation stricte et qu'il ne dispose pas des moyens pour transformer son outil industriel, la finance durable est impuissante.
Il faut rester sur du concret, partir de la situation concrète des citoyens, des entreprises et des acteurs économiques. Il y a une responsabilité forte de l'État et du Parlement dans la définition de ces objectifs. L'économie ne va pas opérer seule une transformation aussi profonde dans un délai aussi rapide sans des décisions très claires quant aux objectifs. IL ne s'agit pas de donner de leçons, de contrôler ou de taxer systématiquement, mais de se montrer clair sur ces objectifs. Par exemple, si l'on veut protéger la biodiversité, on n'autorise pas forcément les compensations. S'il s'agit en effet d'une pratique ancienne, la question de son évolution ou de son interdiction est posée, et la réponse qu'il convient d'apporter doit reposer sur une base scientifique. La protection de la biodiversité étant un objectif de développement durable, il faut que les politiques publiques se déploient en déterminant ce qui est souhaitable ou non, la finance ne peut pas le décider à leur place.
En résumé, nous devons « rester sur terre » : c'est à l'économie de devenir durable, la finance n'est qu'à son service. Je ne nie pas qu'il ne faut pas « taper » sur la finance pour qu'elle le fasse à coups d'incitations, de réglementations et de pénalités. Il faut se monter réalistes : le fait d'attirer les flux vers l'économie durable nécessite de surmonter d'autres obstacles en amont. Il est compliqué d'expliquer à l'élu d'un territoire où une centrale à charbon génère un millier d'emplois que celle-ci doit fermer. Il faut parvenir à une transition durable, mais juste. Je suis par exemple favorable à une taxonomie de transition : certaines opérations ne sont aujourd'hui pas considérées comme relevant de la taxonomie « verte », mais pourraient le devenir. La Banque européenne d'investissement applique par exemple une taxonomie impliquant toute une série d'investissements interdits. Reste posée la question de savoir comment aider les petites entreprises dont l'activité pollue à mener leur transition grâce à une finance bien orientée et des politiques publiques adéquates.
Sur l'économie sociale et solidaire, je dirais que nous avons la chance, en France, d'être de très gros épargnants. Or, la finance ne peut être efficace que si elle atteint des volumes suffisants. Il faut que la finance globale se rende compte qu'il y existe un vrai bénéfice à investir dans l'ESS. C'est la raison pour laquelle l'initiative de l'Impact est très importante pour la place de Paris et, je l'espère, pour l'Europe.
M. Anthony Requin - La matière que nous traitons aujourd'hui est extraordinairement complexe. Je n'ai pas d'a priori sur le caractère bénéfique ou maléfique de la finance. La finance est un outil d'allocation des capitaux, qui permet notamment de financer notre déficit et donc nos politiques publiques, et qui réagit à des signaux et à des incitations. Si l'on estime que ceux-ci sont insuffisants, on peut encore les compléter avec de la réglementation, qui permet d'interdire ou d'autoriser lorsque les signaux de prix ne permettent pas d'atteindre suffisamment rapidement les objectifs fixés. Ainsi, je ne baisserais pas les bras en disant qu'il n'est pas possible d'orienter les capitaux pour atteindre certains objectifs sociaux.
Les signaux de prix sont essentiels : on peut réduire les problèmes d'externalités, notamment par la fiscalité en tenant compte des contraintes sociales et politiques qui ont été évoquées par le rapporteur général. On peut également intervenir par la réglementation quand ces signaux sont insuffisants.
La plupart des sujets que nous traitons requièrent une coopération internationale. On ne peut pas résoudre les problèmes évoqués dans le seul cadre national voire européen. C'est essentiellement aux États-Unis et en Chine que se trouvent les principaux enjeux en matière de transition énergétique. Il ne faudrait pas faire preuve de trop d'impatience en édictant trop rapidement des règles nationales, qui seraient sans efficacité dans la mesure où elles pourraient entraîner des fuites d'activités à l'étranger Il faut donc élever le niveau de conscience collective à l'échelle internationale. Quand ce n'est pas possible, il existe parfois des instruments de régulation à notre portée, comme en témoigne le mécanisme d'ajustement des prix aux frontières auquel réfléchit l'Union européenne. Une limite réside dans le temps qui est nécessaire pour parvenir à cette coopération internationale.
M. Claude Raynal, président. - Je suis déçu, je pensais que nous sortirions de cette table des solutions toutes prêtes ! (rires)
Merci à nos invités. Nous allons poursuivre nos réflexions sur ce sujet. Comme cela nous a été rappelé, il y a une sorte de « sablier », qui nous invite à suivre ces sujets de façon toujours plus précise.
La réunion est close à 12 h 25.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est ouverte à 17 h 35.
Projet de loi de règlement et d'approbation des comptes de l'année 2020 - Audition de Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement, sur l'exécution des crédits de la mission « Cohésion des territoires » (programmes 177, 109 et 135)
M. Claude Raynal, président. - Nous avons le plaisir de recevoir Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement, sur l'exécution budgétaire en 2020 des programmes 109, 135 et 177, c'est-à-dire la politique du logement.
Nous vous avons déjà reçue le 19 juin 2019 dans un exercice similaire, mais vous étiez alors secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire. Il ne s'agissait pas de la même mission budgétaire, mais la politique du logement est aujourd'hui très liée à celle de la transition écologique, comme le montre votre rattachement à ce ministère.
Cette politique a aussi été particulièrement concernée par les ouvertures de crédits en cours d'année 2020, puisque les trois programmes dont vous avez la responsabilité représentent 16,8 milliards d'euros en crédits de paiement au total dans le projet de loi de règlement, contre 14,4 milliards d'euros seulement prévus en loi de finances initiale.
Vous êtes la première des membres du Gouvernement que nous recevons dans le cadre de l'examen du projet de loi de règlement pour 2020. Nous entendrons la semaine prochaine M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué chargé des transports, le 25 mai, et Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique, le 26 mai.
Comme vous le savez, notre commission attache une grande importance, au-delà du vote de la loi de finances initiale, au contrôle de l'exécution des crédits votés et ce type d'audition, complétée par les travaux menés par les rapporteurs spéciaux, parfois avec l'appui de la Cour des comptes, a bien évidemment pour vocation de nourrir nos débats budgétaires de l'automne.
Je vous rappelle que cette audition est retransmise en direct sur le site internet du Sénat et qu'elle est suivie par certains de nos collègues en visioconférence.
Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement, sur l'exécution des crédits de la mission « Cohésion des territoires ». - Je vous remercie pour cette invitation et je suis très honorée d'être la première à vous présenter l'exécution des crédits dont j'ai la charge. Vous avez rappelé que le logement est une politique importante, à la croisée de la cohésion des territoires, mission dont ces crédits font partie, et de la transition écologique, ministère auquel celui chargé du logement est rattaché. Pour moi, le logement est, avec l'emploi et la santé, un des trois piliers qui permettent à chacun de construire sa vie et son avenir. La crise sanitaire et les confinements ont renforcé l'importance que nos concitoyens accordent au logement, ainsi que la nécessité d'un accueil inconditionnel en matière d'hébergement d'urgence. Dès le début de la crise sanitaire, l'État a mobilisé des moyens sans précédent pour répondre à l'urgence. Des aides exceptionnelles ont permis d'éviter que nombre de nos concitoyens ne basculent dans la grande pauvreté et un nombre historique de places en centres d'hébergement d'urgence ont été ouverts. Ce « quoi qu'il en coûte », toujours de mise en matière de soutien aux entreprises et aux Français, a été complété par un plan de relance ambitieux qui bénéficie au secteur du logement et de la construction.
L'impact de la crise sanitaire sur le budget de mon ministère a été important, conduisant à une ouverture de crédits de 2,3 milliards d'euros en lois de finances rectificatives (LFR), soit une hausse de 16 % par rapport à la loi de finances initiale (LFI). Au total, les trois programmes de mon ministère, 109, 135 et 177, ont mobilisé près de 16,9 milliards d'euros de crédits en 2020.
Avec les crédits du programme 177, nous avons déployé des moyens sans précédent en faveur de l'hébergement d'urgence et de l'accompagnement des personnes sans abri vers le logement. Dès le début de la crise sanitaire, le Gouvernement a mis en place les moyens nécessaires pour mettre à l'abri les personnes vivant dans la rue, répondant à un impératif tant sanitaire que social. Nous poursuivons cet accompagnement. Le Gouvernement a prolongé la trêve hivernale 2019-2020 jusqu'au 10 juillet 2020 et la trêve 2020-2021 jusqu'au 1er juin 2021. Dans l'intervalle, les préfets ont eu pour consigne de ne pas expulser les personnes sans solution de relogement ou d'hébergement pérenne. Les crédits exécutés sur le programme 177 ont augmenté de 320 millions d'euros par rapport à 2019, pour atteindre 2,4 milliards d'euros en 2020 grâce à une ouverture complémentaire de crédits de 450 millions d'euros en LFR3 et LFR4. Ces moyens nous ont permis d'apporter une aide concrète aux personnes les plus vulnérables. Cela s'est traduit par une hausse sans précédent du nombre de places d'hébergement. Plus de 200 000 places sont aujourd'hui ouvertes, soit une hausse de 45 000 par rapport à novembre 2019. Les crédits ouverts en LFR3 ont permis de distribuer pour 50 millions d'euros de chèques alimentaires, de mobiliser 7 millions d'euros de crédits pour des masques dans les structures d'hébergement et de financer à hauteur de 20 millions d'euros des primes « covid » pour les salariés des structures d'accueil et d'hébergement. L'effort financier se poursuit en 2021 avec notamment la pérennisation de 14 000 places d'hébergement, le financement de 1 500 places pour les femmes sortant de maternité et de 1 000 nouvelles places pour les femmes victimes de violence.
En parallèle, le Gouvernement poursuit et accélère le déploiement du plan « Logement d'abord » afin d'offrir des solutions pérennes aux ménages sans domicile fixe. Cela se traduit notamment en 2021 par la revalorisation du forfait des pensions de famille et par le recrutement de 150 équivalents temps plein (ETP) dans les services intégrés d'accueil et d'orientation (SIAO).
En 2021 et 2022, l'État interviendra également sur le volet investissement avec la mobilisation de 100 millions d'euros dans le cadre du plan France Relance pour financer des lieux d'accueil destinés aux personnes en situation de grande marginalité, des tiers-lieux alimentaires et la rénovation de centres d'hébergement et de résidences sociales.
J'en viens maintenant au programme 109. Nous avons mis les moyens nécessaires au financement des aides personnalisées au logement (APL) pendant cette période de crise, en abondant ce programme de 1,85 milliard d'euros en LFR. La crise a eu un impact sensible sur le budget des APL et les aides au logement ont joué leur rôle de filet de sécurité pendant cette période. Contrairement à la programmation budgétaire initiale, le montant des APL versées aux ménages en 2020 s'est maintenu à 16,6 milliards d'euros, un niveau équivalent à l'exécution 2019, alors même que la réduction de loyer de solidarité (RLS) a augmenté de 410 millions d'euros. Le montant des APL versées en 2020 a ainsi été supérieur de 1,44 milliard d'euros par rapport à la LFI. L'ouverture de crédits sur le programme 109, d'un montant de 1,85 milliard d'euros, a été supérieure à la hausse de la dépense car, du fait de la crise, les recettes issues des cotisations employeurs ont été inférieures de 320 millions d'euros aux prévisions. La LFR a permis de réduire à 264 millions d'euros la dette du Fonds national des aides au logement (FNAL) à l'égard de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS), soit une baisse de 66 millions d'euros en un an.
Les crédits mobilisés sur le programme 109 sont en légère diminution par rapport à 2019, de 1,3 % et environ 200 millions d'euros, du fait de la contribution exceptionnelle de 500 millions d'euros du groupe Action logement au FNAL en 2020. Cette même année, l'État a distribué pour plus de deux milliards d'euros d'aides exceptionnelles de solidarité qui ont largement bénéficié aux allocataires d'APL et soutenu leur pouvoir d'achat.
S'agissant du programme 135, il porte l'essentiel de notre investissement en faveur du logement, de la construction et de l'aménagement. La plus grande partie de nos moyens est en réalité mobilisée sous la forme de dépenses fiscales, telles que la TVA à taux réduit, la réduction d'impôt « Pinel » ou encore le prêt à taux zéro, qui représentent environ 12 milliards d'euros. Les crédits budgétaires du programme 135 sont plus modestes et leur exécution est en baisse en 2020, de 95 millions en autorisation d'engagement (AE) et 135 millions d'euros en crédits de paiement (CP). Cette baisse est principalement liée à la sous-exécution des crédits du Fonds national des aides à la pierre (FNAP) et à un transfert en gestion de 85 millions d'euros vers le programme 174, qui finance notamment MaPrimeRénov'. Au-delà, hors fonds de concours, la consommation du programme a été de 245 millions d'euros en AE et de 233 millions d'euros en CP. La sous-exécution de ces crédits budgétaire observée en fin de gestion n'est que de 12 millions d'euros en AE et de 20 millions d'euros en CP.
Par ailleurs, l'année 2020 a été une année difficile pour le secteur de la construction avec les effets combinés de la crise sanitaire et du report des élections municipales. Il y a eu environ 28 000 mises en chantiers et 65 000 permis de construire en moins en 2020 par rapport à 2019. Au cours des trois derniers mois, les logements autorisés sont en lente progression, tout en restant à un niveau inférieur de 2 % en mars à la période précédant le confinement. Les chiffres des agréments de logements sociaux en 2020 ont également été bas avec 87 000 logements sociaux agréés, soit une baisse de 17 % en un an, dont 27 700 prêts locatifs aidés d'intégration (PLAI), soit une baisse de 12 %. La consommation des crédits d'aide à la pierre s'est élevée à 382 millions d'euros en AE et 274 millions d'euros en CP, en baisse par rapport à 2019. Alors que 70 % des Français restent éligibles au logement social et que deux millions de personnes sont en attente d'un logement social, il est nécessaire de poursuivre l'effort de construction de ce type de logement. Mon objectif est de rattraper le creux de l'année 2020 et de faire de 2021 et 2022 des années de mobilisation générale pour le logement social. C'est le sens du protocole en faveur de la relance de la production de logements sociaux, signé le 19 mars dernier, avec l'Union sociale pour l'habitat, la majorité des fédérations HLM, Action Logement et la Banque des Territoires. Ce protocole porte des objectifs ambitieux, soit 250 000 logements sociaux financés sur deux ans. Ces objectifs ont été territorialisés à l'occasion des comités régionaux de l'habitat et de l'hébergement (CRHH) au cours des derniers mois, afin que chacun prenne sa part à cet effort. Des moyens exceptionnels ont été mobilisés par l'État, Action Logement et la Caisse des dépôts : la réhabilitation lourde des logements sociaux à concurrence de 500 millions d'euros dans le cadre du plan de relance, une mobilisation accrue du FNAP, une augmentation des financements du secteur par Action Logement à hauteur de 920 millions d'euros et enfin une distribution supplémentaire de 200 millions d'euros de titres participatifs de la part de la Caisse des dépôts. J'ai souhaité mettre en place une gouvernance renforcée de ce protocole pour un meilleur suivi et je réunis le premier comité de pilotage le 8 juin prochain.
Au-delà du logement social, l'État soutient globalement le secteur de la construction et de l'aménagement à travers les contrats de plan État-Région (CPER), les projets d'aménagement partenariaux, les cessions de terrains par les établissements publics fonciers qui ont représenté en 2020 un potentiel futur de 15 000 logements avec la production au cours de l'année d'environ 6 000 logements, et les annonces récentes du Premier ministre sur la mobilisation supplémentaire d'un milliard d'euros du plan de relance pour la reconstruction sur les friches et la construction de logements. Le fond friches a très bien fonctionné, permettant de financer environ 200 projets à hauteur de 300 millions d'euros. Le Premier ministre a accepté d'abonder ce fonds de 350 millions d'euros supplémentaires financés sur le plan de relance.
350 millions d'euros de subventions sont également affectés à l'aide à la relance de la construction durable pour les maires qui construisent avec une densité minimale. 70 millions d'euros ont déjà été attribués pour 600 000 mètres carrés de surface de logement dans près de 700 communes. À l'échelle nationale, nous avons aussi, dans la loi de finances pour 2021, prolongé les dispositifs du prêt à taux zéro et du « Pinel » afin de donner de la visibilité au secteur.
Au-delà de la mobilisation de ces outils financiers, la mobilisation est aussi politique. J'ai signé en novembre dernier un pacte pour la relance de la construction durable avec les associations d'élus et de professionnels. Compte tenu de l'inertie du système et de la difficulté à relancer concrètement la construction, j'ai proposé la création d'une commission nationale présidée par François Rebsamen, en accord avec le Premier ministre, afin de faire plus et mieux et de construire la prochaine loi de finances en ce sens.
Quant à la rénovation énergétique, MaPrimeRénov' a connu un véritable succès : 200 000 aides ont été demandées en 2020 et déjà 300 000 en 2021, ce qui nous fait anticiper 700 000 à 800 000 demandes cette année. Cette prime n'est pas financée par les programmes du ministère chargé du logement, mais par le programme 174 de la mission « Écologie, développement et mobilité durables », et elle bénéficiera également du plan de relance.
M. Philippe Dallier, rapporteur spécial. - J'ai des questions sur l'exécution 2020 mais aussi sur les annonces récentes faites par le Premier ministre en matière de construction.
S'agissant de l'hébergement d'urgence, nous avons passé la période dans des conditions plutôt satisfaisantes avec la création d'un grand nombre de places. Cela ne veut pas dire que les problèmes budgétaires n'ont pas subsisté, malgré des crédits plus importants que précédemment. Lors d'un contrôle budgétaire mené cette année, j'ai pu constater que certains organismes, tels que la Croix-Rouge française ou le Samu social de Paris, ont dû utiliser leur trésorerie car il manquait de crédits à la fin de l'année 2020. Il y a encore besoin d'un rebasage des crédits. En 2020, la Cour des comptes estime à 126,6 millions d'euros la sous-budgétisation initiale. Pouvez-vous nous donner votre chiffre ? Finalement en 2020, le déficit budgétaire a été moindre que ce qui avait été craint. Qu'est ce qui a empêché le Gouvernement d'ouvrir les crédits suffisants pour éviter ces problèmes de fin d'année ? J'ai l'impression que, d'année en année, on recrée le problème et que ce sont les grosses associations qui suppléent les insuffisances budgétaires.
Pour 2022, j'ai entendu plusieurs chiffres différents et j'aimerais savoir de quel montant il faudrait rebaser les crédits pour que la gestion budgétaire soit plus fluide.
Le projet d'informatisation des services intégrés de l'accueil et de l'orientation (SIAO) visait à les doter d'un système d'information offrant une vision des places disponibles afin de permettre une meilleure orientation des uns et des autres et d'assurer un meilleur suivi. La bascule sur le nouveau système s'est déroulée en septembre dernier et n'a pas fonctionné. On a le sentiment d'une incapacité à mener des projets informatiques d'ampleur et les associations se sont plaintes des difficultés générées. On aurait perdu des données des personnes suivies. Il semble que vous ayez commandé un audit : est-ce exact et quand peut-on espérer le rétablissement de ce système ?
L'Agence nationale de l'habitat (ANAH) connaît une hausse considérable de son budget et va devoir gérer des restes à payer considérables, déjà égaux à 1,8 milliard d'euros à la fin 2020, alors que ses ressources dépendent à la fois des décisions prises à chaque loi de finances et de l'évolution des marchés pour la ressource des quotas carbone. Or elle n'a toujours pas de contrat d'objectifs et de moyens. Pour l'instant elle continue à se reposer sur une ressource inespérée obtenue en 2018, liée au niveau élevé de la ressource des quotas carbone. Mais comment comptez-vous éviter que le chantier historique de la rénovation thermique ne se traduise par des difficultés de financement dans les années à venir ?
S'agissant toujours de l'ANAH, par décret du 7 août 2020, 84 millions d'euros ont été transférés depuis le programme 135 vers le programme 174 de la mission « Écologie » afin de financer le dynamisme de MaPrimeRénov', ce qui représente la moitié de la contribution de l'État au budget de l'ANAH inscrite au programme 135. Quelles en sont les conséquences sur le financement en 2020 des autres missions de l'ANAH relevant du programme 135, notamment « Habiter mieux » ?
Vous affichez un objectif de 250 000 agréments de logements sociaux pour les années 2021 et 2022, ce qui très ambitieux. Or nous sommes à la mi-mai et la tendance qui semble se dessiner est éloignée de cet objectif. Les permis de construire accordés dans les zones tendues, comme en Île-de-France, sont en diminution de 14 % en ce début d'année.
Le Premier ministre vient d'annoncer plusieurs décisions, dont le renforcement du fonds friches et la création d'une commission présidée par François Rebsamen. Ce n'est pas d'une commission supplémentaire dont nous avons besoin, ni d'un accord entre la ministre et les associations d'élus. Le problème se situe dans chacune de nos communes. Une partie des blocages réside dans les exonérations de taxe foncière sur les propriétés bâties et dans la manière dont vous allez régler les conséquences de l'article 55 de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (loi SRU). Ensuite, la question de l'acceptabilité par nos concitoyens d'une densification parfois jugée excessive est également une véritable question.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Sur le plan de relance, il est prévu 6,3 milliards d'euros d'AE pour la rénovation énergétique de tous les types de bâtiments. Cette somme est-elle suffisante ou allez-vous bientôt demander des crédits supplémentaires ? Il semble que MaPrimeRénov' trouve désormais son public mais je n'entends pas la même chose concernant la rénovation des bâtiments publics et je m'interroge au regard des caractéristiques notamment techniques ou énergétiques.
Le Premier ministre et vous-même venez d'annoncer l'augmentation de certaines enveloppes budgétaires, notamment le fonds de réhabilitation des friches créé dans le plan de relance. S'agit-il de réallocations entre lignes budgétaires au sein de la mission « Plan de relance , ou cela fera-t-il l'objet de mesures complémentaires dans le collectif budgétaire qui s'annonce pour le mois de juin ?
M. Claude Raynal, président. - Nous essayons de limiter les remises de rapports, mais cette fois-ci c'est le Gouvernement qui a demandé un rapport sur l'article 168 de la loi de finances pour 2021, avant fin mars 2021, sur les dispositifs de soutien au développement de l'offre de logement locatif intermédiaire, censé préparer une réforme d'ampleur du dispositif « Pinel » qui passerait par une implication accrue des investisseurs institutionnels. À notre connaissance ce rapport n'a pas encore été publié. Y a-t-il des difficultés, le sujet est-il toujours d'actualité et si oui, à quelle date peut-on espérer ce rapport ?
Mme Emmanuelle Wargon. - Sur l'hébergement d'urgence, nous sommes dans des années un peu exceptionnelles, en particulier les exercices 2020 et 2021. Je vous confirme que, pour 2021, nous aurons besoin d'un réabondement des crédits du programme 177, prévu dans la prochaine LFR du mois de juin, pour deux raisons : un report de charges d'environ 100 millions d'euros de la gestion 2020 vers l'exercice 2021 et un nombre plus important de places ouvertes que celles budgétées en raison du rebond de l'épidémie et du décalage de la fin de la trêve. Pour ne pas laisser les associations assurer la trésorerie trop longtemps, j'ai proposé qu'on ouvre ces crédits dès la prochaine LFR en juin. Nous discutons encore sur le montant. Cela pose la question de la base budgétaire et de la préparation de la loi de finances pour 2022 et j'ai mandaté la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (DIHAL), en charge désormais de ce programme, de travailler sur un rebasage pérenne à la fois quantitatif et qualitatif, sur le nombre et le type de places nécessaires concernant l'hébergement d'urgence et le logement, notamment adapté et accompagné, en rejoignant votre préoccupation de ne pas laisser les associations gérer la trésorerie trop longtemps. Nous allons faire ce travail avec comme première échéance la loi de finances pour 2022.
S'agissant du système d'information des SIAO, j'attache beaucoup d'importance à la conduite de ce type de chantier. Nous avons ainsi mis en place, pour MaPrimeRénov', une plateforme qui a reçu beaucoup plus de demandes que nous ne pouvions l'imaginer. Nous faisons tout pour que les Français soient satisfaits de cette plateforme. C'est vrai aussi sur le travail que nous faisons sur la dématérialisation des autorisations d'urbanisme, un gros chantier issu de la loi pour l'évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (ELAN), avec comme échéance le 1er janvier 2022. Les services de l'État devront être prêts à recevoir les dossiers dématérialisés et les éditeurs de logiciels devront être en capacité de proposer à toutes les collectivités des solutions fiables et pas trop chères. Je pilote directement ce sujet pour être sûre que le système d'information fonctionne et c'est un sujet central. La bascule du système d'information des SIAO s'est effectivement faite au début de l'automne et nous avons constaté un grand nombre de dysfonctionnements avec des données perdues. J'ai lancé en janvier un audit, confié à Capgemini, qui a identifié beaucoup de défauts et qui rendra son rapport mi-juin, nous permettant ensuite de mettre en place le calendrier de correctifs qui prendra sans doute plusieurs mois. Je peux vous rassurer sur les données perdues, qui ont été récupérées, mais on ne peut pas dire que le système fonctionne. La conduite de ce projet avait été sous-estimée initialement et nous avons besoin de le reprendre avec plus d'attention, le pilotage des données et la capacité à les gérer étant indispensables dans l'exercice des missions de service public.
Le budget de l'ANAH a considérablement augmenté. Le budget initial en 2021 était de 2,7 milliards d'euros, soit un quadruplement par rapport au début du quinquennat. Cela a permis à l'Agence d'être au rendez-vous de MaPrimeRénov' et du dispositif « Habiter Mieux Sérénité ». Nous avons aussi doublé le montant consacré au traitement des copropriétés dégradées. Toutes les lignes de l'ANAH augmentent et MaPrimerénov' ne se développe pas au détriment des autres.
Sur le modèle économique de la construction de logement social, c'est effectivement un défi d'agréer 250 000 logements sociaux sur deux ans. Il s'agit d'une ambition collective avec la Caisse des dépôts, l'Union sociale pour l'habitat (USH) et Action Logement pour essayer d'aller chercher les logements sociaux non agréés. Les bailleurs nous disent que cela reprend doucement. Il est trop tôt pour dire si nous serons capables de rattraper la totalité du retard et d'atteindre les objectifs, les agréments étant traditionnellement déposés à partir du mois de septembre, mais il est aussi trop tôt pour se décourager. Cela pose la question de la volonté des écosystèmes locaux d'accueillir du logement social et celle du modèle économique de la construction du point de vue des élus. La commission Rebsamen aura notamment pour objet de faire des recommandations précises et concrètes sur ce sujet. Quel est le modèle économique, du point de vue d'un élu local, qui permettrait d'accueillir des logements et d'accorder des permis de construire en étant sûr que l'équation économique permette d'accueillir les habitants dans de bonnes conditions et de financer les équipements ? Cette question mènera à des propositions qui pourront être intégrées en loi de finances.
Nous avons également besoin de nous redonner une ambition commune autour de l'acte de construire, qui est un sujet très culturel. Il y a une sorte de réticence générale à accueillir toujours plus de bâtiments, que ce soit des immeubles ou des maisons individuelles. Par ailleurs, nous avons un enjeu de construction durable, ce qui nécessite parfois une densité à la fois acceptable par les personnes et soutenable sur le plan écologique. Il faut apporter des solutions et redonner l'envie de construire. La commission Rebsamen ne changera peut être pas fondamentalement les choses, mais le travail de grands élus sur le modèle économique est utile et trouvera peut-être sa place en loi de finances. Ce n'est pas un problème de financement, mais plutôt de mobilisation à la fois nationale et locale. J'ai souhaité que les préfets aillent à la rencontre des élus locaux pour avoir ce dialogue sur les besoins de logements et les éventuels blocages et difficultés existants. Nous avons un système inerte, qui finira par repartir. J'utilise tous les leviers à ma disposition pour le faire repartir rapidement.
S'agissant du plan de relance et de la question du rapporteur général, pour l'instant les crédits sont suffisants. Sur MaPrimeRénov', nous allons consommer plus rapidement l'enveloppe 2021-2022, et il faudra vraisemblablement abonder les crédits en 2022. Pour la rénovation des bâtiments publics, concernant l'État nous avons réparti une enveloppe de 2,7 milliards d'euros de crédits en identifiant de nombreux projets qui vont de l'université aux casernes, avec comme objectif de lancer les marchés et de démarrer les travaux. Il existe une liste de projets en réserve au cas où certains ne seraient pas lancés. Du côté des collectivités territoriales, il s'agit d'une contractualisation, au moyen de la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL), entre les préfets et les élus locaux pour les bâtiments communaux, pour laquelle il y a environ un milliard d'euros. J'ai plutôt de bons retours, notamment sur les rénovations d'écoles, de salles communales ou polyvalentes. Nous aurons une vision exhaustive fin juin. C'est le ministère des collectivités territoriales qui collige toutes ces données.
L'enveloppe de 500 millions d'euros pour la rénovation des logements sociaux sera consommée. L'enveloppe du fonds friches est surconsommée car nous avons eu plus de demandes que de capacité à financer. Les 350 millions d'euros supplémentaires seront trouvés par redéploiement à l'intérieur du plan de relance.
En réponse à la question du Président, le logement intermédiaire reste une préoccupation. C'est un produit utile qui permet d'attirer des investisseurs institutionnels afin de compléter l'offre de logement social et l'offre de logement libre. Un rapport de l'inspection générale des finances (IGF) et du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) devrait être présenté d'ici quelques semaines et sera rendu public, ainsi que les arbitrages rendus par le Gouvernement.
M. Michel Canévet. - On nous dit régulièrement que 300 000 personnes ne sont pas logées en France. À combien estimez-vous cette réalité, alors qu'il existe tout de même un certain nombre de places d'hébergement d'urgence ouvertes ?
Vous avez également évoqué les questions de rénovation énergétique. On peut se féliciter du succès en 2019 de ces opérations, 7 % des logements français ayant été rénovés, et du succès de MaPrimeRénov' en 2020. L'Observatoire de la rénovation énergétique considère toutefois qu'en 2019, nous n'avons gagné que 1,6 % d'économies d'énergie. Les bénéfices ne sont pas à la hauteur des efforts engagés. Je pense que les dispositifs n'ont pas toujours été efficients.
S'agissant de la DSIL, il n'y a plus de crédits alors qu'il reste beaucoup de dossiers en attente, notamment les logements gérés par les communes et les communautés de communes. Il va falloir abonder ces enveloppes si on veut que ces opérations se concrétisent.
La question de la construction du logement est en grande partie une conséquence de la loi ELAN et de la fusion des opérateurs qui a beaucoup préoccupé ces derniers, avec pour conséquence une baisse significative de la production de logement locatif public. Ma crainte est que cela se poursuive car le coût de la construction est en train d'augmenter, notamment avec la hausse du prix des matériaux. Les entreprises sont très sollicitées et ont du mal à répondre aux appels d'offre en cours.
Enfin, à combien estimez-vous les fraudes aux aides au logement ? Les fichiers sont-ils à jour, compte tenu des déplacements de personnes à travers le pays ?
Mme Sylvie Vermeillet. - Ma première inquiétude concerne le programme 135 « Urbanisme, territoires et amélioration de l'habitat ». Vous avez fait état de la diminution conséquente de la consommation de crédits par rapport à 2019, soit 95 millions d'euros de moins en AE, 135 millions d'euros de moins en CP et 65 000 permis de construire en moins. Avez-vous pris conscience des difficultés des départements ruraux pour obtenir des permis de construire et élaborer les documents d'urbanisme ? Certes les terres agricoles sont précieuses et rares comme dans le Jura, mais nous avons tous des difficultés aujourd'hui pour espérer obtenir quelques hectares constructibles. Je vous alerte sur les difficultés de fonctionnement des commissions départementales de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPNAF), notamment suite aux décisions de la direction départementale des territoires (DDT). Les maires ont des difficultés pour parvenir à réaliser des documents d'urbanisme qui leur conviennent ou à obtenir des permis de construire.
Vous avez fait état du succès de MaPrimerénov' en 2020. Nadia Sollogoub, sénatrice de la Nièvre, vous a alerté sur la rigidité de la plateforme Internet et la carence en équipes de conseil. Les aides financières sont les bienvenues, mais avez-vous prévu d'apporter davantage de conseil et d'information sur le dispositif ?
M. Christian Bilhac. - Ma première question rejoint ce qui vient d'être évoqué. Comment concilier la demande de logement avec la protection de l'environnement par les maires et l'extension du plan local d'urbanisme (PLU) ? Aujourd'hui, lorsque les élus locaux veulent élaborer un PLU, ils évoluent dans un cadre très contraint par la loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (loi ALUR), le schéma de cohérence territoriale (Scot) qui en découle, la trame verte et bleue... Il est très difficile d'ajouter deux hectares dans une commune rurale pour élaborer un PLU. Il me semble que l'environnement prime sur le logement, à l'image de votre titre de ministre déléguée auprès du ministre de la transition écologique. En milieu urbain, on peut densifier en hauteur, mais je mets en garde contre les risques sociétaux de la densification à outrance. En milieu rural, la marque de fabrique est plutôt l'horizontalité. Comment concilier la préservation de l'environnement et la construction de logements, pour laquelle il faut des terrains ?
Concernant l'accession à la propriété, les primo-accédants modestes ont des difficultés à concrétiser leurs projets. Envisagez-vous de revenir à l'APL pour ces jeunes couples qui travaillent dur ?
Enfin, pourrait-on alléger les dossiers soumis à l'ANAH, car de nombreux propriétaires occupants ou bailleurs sont découragés face à toute cette paperasse ?
M. Claude Raynal, président. - Il me semble que vous avez laissé de côté une question de Philippe Dallier sur la façon de redonner aux communes un attrait fiscal à la création de logements sociaux. Avec la réforme de la taxe d'habitation, ce serait bien de proposer quelque chose sur le foncier. Cette utilisation du foncier ne donne aujourd'hui droit à aucune ressource pour la commune. Envisagez-vous d'en parler à Bercy ?
Mme Emmanuelle Wargon. - On a besoin de progresser en données statistiques sur la question du nombre de personnes sans domicile : on ne parle pas toujours de la même chose selon les sources. L'Insee prépare un recensement des personnes sans domicile, et j'ai proposé aux communes qui le souhaitent de coordonner les Nuits de la Solidarité qu'elles mènent spontanément. En faisant coïncider leurs chiffres avec le recensement Insee, on aura une vision plus exhaustive du nombre de personnes concernées. Le chiffre de 300 000 personnes vient de la fondation Abbé Pierre et englobe les personnes qui n'ont pas accès à un véritable domicile mais qui sont très largement prises en charge dans des structures d'hébergement. Le programme 177 finance l'hébergement d'environ 200 000 personnes chaque nuit et les centres d'accueil de demandeurs d'asile (CADA) financent les hébergements des demandeurs d'asile à hauteur d'environ 100 000 places. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a personne à la rue, cela concerne probablement entre 10 000 et 15 000 personnes. Il s'agit d'un ordre de grandeur. C'est assez difficile à comptabiliser, d'autant plus en période de crise où les personnes sont moins visibles.
C'est une fierté de ma part d'avoir permis à l'Observatoire de la rénovation énergétique de voir le jour. Avant, nous n'étions pas capable d'additionner le nombre de ménages qui recevaient une aide à la rénovation énergétique, via une aide fiscale ou via les certificats d'économie d'énergie. Nous avons enfin une méthodologie qui nous permet de dire combien de ménages ont fait des travaux et combien de ménages ont été aidés. 2,1 millions de ménages ont été aidés pour faire leurs travaux de rénovation énergétique en 2019. On en avait 1,7 million en 2016, soit une progression d'environ 20 %, les économies d'énergie réalisées ayant progressé de 50 %. Par conséquent, la qualité de chaque rénovation progresse. Le chiffre que vous citez de 1,6 % signifie qu'en 2019 et 2018 le parc global de logement a, dans son ensemble, économisé 1,6 % de consommation énergétique : ce n'est pas un chiffre limité aux logements rénovés. Cela correspond à notre trajectoire de l'accord de Paris, telle qu'elle a été fixée dans la stratégie nationale bas carbone pour la période 2018-2023. Pour la période suivante, il faut accélérer et dépasser les 3 % par an. Si on fait des rénovations plus nombreuses et plus performantes, nous sommes dans la bonne direction.
Nous n'avons pas les données consolidées de l'utilisation de la DSIL « rénovation » de la part du ministère de la cohésion des territoires. Il y a eu beaucoup d'expressions de besoins et on devrait donc consommer cette enveloppe. S'il y a trop de dossiers, la question du redéploiement à l'intérieur du plan de relance ou d'un complément se posera.
Sur le logement social, le trou de 2020 n'est pas principalement lié à la fusion des opérateurs, d'autant plus que les agréments étaient plutôt à un niveau intéressant l'année précédente. Je reconnais que quand des opérateurs fusionnent, ils sont un peu plus tournés vers leur gestion interne que vers le développement de leur activité. Un quart des opérateurs environ ne sont pas allés au bout des opérations de rapprochement. Les bailleurs sociaux devraient continuer à développer leur mission. Je pense qu'il est exagéré d'imputer la baisse des agréments aux opérations de rapprochement.
Je reconnais que le prix des matériaux est un problème pour le secteur du bâtiment comme pour d'autres secteurs industriels. Ce sujet concerne plutôt Bercy.
Sur la question des fraudes aux prestations, les bases de ressources APL sont désormais bien interconnectées entre elles. Il est peu probable de pouvoir faire deux demandes d'APL dans deux résidences principales dans le pays. Je n'ai pas plus de données sur la fraude aux prestations.
Sur le programme 135 et le droit de l'urbanisme, le développement des communes rurales ne passe pas par l'habitat collectif dense. Le débat sur la lutte contre l'artificialisation des sols a lieu dans le cadre du projet de loi Climat et résilience. Il ne faut pas être dogmatique sur ce sujet, mais accepter qu'il y ait des besoins de développement partout et que la terre soit une ressource rare et précieuse. On doit regarder les alternatives avant d'en consommer. C'est la raison pour laquelle on insiste autant sur la rénovation des vieilles fermes et des friches, qui existent partout. Lors de la répartition des enveloppes de lutte contre l'artificialisation, j'ai accepté un amendement à l'Assemblée nationale pour que cette répartition soit équitable, y compris pour les zones rurales. L'esprit est de dire qu'il sera toujours possible d'artificialiser dans le respect de la diversité des territoires. Je conviens que c'est une contrainte supplémentaire. Les espaces naturels constituent une ressource qui a une valeur écologique pour tous et qu'il ne faut pas gaspiller. Cela ne veut pas dire que tout devient impossible.
Sur la difficulté de production de documents d'urbanisme pour les communes rurales, Jacqueline Gourault travaille avec l'Agence nationale de cohésion des territoires (ANCT) pour mettre en place des services d'appui aux collectivités et en particulier aux petites collectivités, afin de leur apporter l'ingénierie dont elles ont besoin. Par ailleurs, on peut imaginer des simplifications dans la dématérialisation des documents d'urbanisme.
J'ai bien entendu le voeu relatif à l'allègement des dossiers ANAH et je vais me pencher sur la question des dossiers de copropriétés dégradées ou de rénovation.
La plateforme Internet relative à MaPrimeRénov' fonctionne globalement bien et nous avons des taux de satisfaction très bons, aux alentours des 88 %. Néanmoins, il faut que le conseil et l'accompagnement montent en puissance à la même vitesse que les aides. Le conseil est beaucoup porté par les collectivités, avec un rôle de pivot des régions et d'acteur des départements ou des intercommunalités. On le finance principalement à travers un programme de certificats d'économie d'énergie mis en oeuvre par le Service d'accompagnement à la rénovation énergétique (SARE). Cela ne va pas forcément à la bonne vitesse par rapport à la demande de conseil qui explose. Je travaille sur le sujet.
S'agissant de l'accession à la propriété, nous examinerons la question de l'APL accession dans les prochaines semaines. L'accord conclu avec Action Logement crée par ailleurs une nouvelle aide à l'accession pour les salariés.
Enfin, je n'ai pas eu l'impression d'avoir éludé la question des exonérations de taxes foncières sur le bâti. C'est dans le cadre de la commission Rebsamen que l'on regardera le modèle économique de la construction du point de vue des élus, qui prend en compte l'impact de la réforme de la taxe d'habitation, et que l'on fera des propositions. Je ne sais pas encore quelle forme cela prendra. Je partage le point de vue selon lequel il faut démontrer aux élus que le modèle économique est robuste lorsqu'ils accueillent de nouveaux habitants, quel que soit le type de logement. Ce point sera examiné rapidement par cette commission.
La réunion est close à 18h 40.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.